L’Afrique du Sud veut écrire un nouveau chapitre de son histoire : (1) un bilan accablant

Mandela_and_deKlerk_0Près de vingt ans après son arrivée démocratique au pouvoir et la planification de ses objectifs à travers le Reconstruction & Development Programme (RDP), le gouvernement de l’ANC tire un bilan de son action et fixe les grandes lignes de sa volonté politique et économique d’ici à 2030, pour la prochaine génération de Sud-Africains. 

L’Afrique du Sud de 1994 n’était pas en forme. Le pays sortait péniblement de plusieurs décennies de divisions internes, de haines raciales cristallisées par un régime de l’apartheid qui discriminait systématiquement la grande majorité de la population. L’Afrique du Sud de l’apartheid avait été mise au ban de la communauté internationale. La situation économique s’en ressentait fortement puisque, depuis 1974, le PIB per capita déclinait en moyenne de 0,6% par an. C’est donc de cette situation difficile qu’héritait le nouveau pouvoir de l’African National Congress (ANC) de Mandela lorsqu’il remporta les premières élections démocratiques du pays le 27 avril 1994.   

Le Reconstruction & Development Programme (RDP) synthétisa à la fois les ambitions et la lecture politique et économique du nouveau pouvoir en place. Le but du RDP était double : d’une part, construire un Etat Sud-africain uni, non-racial et non sexiste ; d’autre part, réduire drastiquement la pauvreté qui concernait prioritairement la population noire du pays et atténuer les fortes inégalités sociales bâties sur les fondations de l’apartheid et de l’époque coloniale. Pour ce faire, le RDP prévoyait notamment de nationaliser les grands secteurs de l’économie, de redistribuer 30% des terres agricoles et de bâtir un million de logements neufs. 

La mise en œuvre de ce plan rencontra de très sérieux obstacles, parmi lesquels les délocalisations de sièges sociaux de multinationales sud-africaines (au premier rang desquelles De Beers qui s’installa en Suisse) ;  une augmentation du chômage suite à une restructuration de la Fonction Publique ; une baisse de la productivité agricole liée aux incertitudes des détenteurs de capitaux du secteur ainsi qu’au fait qu’une part importante de la main d’œuvre longtemps sous-payée décida de quitter ce secteur d’activité ; de manière générale, le ralentissement des investissements des détenteurs de capitaux, souvent liés à l’ancien régime, eut un effet de contraction sur l’économie. De 1994 à 1996, le PIB croissait tout juste au même rythme que la démographie. 

Face à cette situation, et sous l’impulsion de Thabo Mbeki, l’ANC décida en 1996 de réorienter sa politique pour rassurer les investisseurs nationaux et internationaux, ce qui se traduisit par un nouveau plan stratégique Croissance, Emploi et Reconstruction (CER). Le gouvernement sud-africain abandonna les nationalisations et privilégia les privatisations, baissa ses droits de douane dans l’optique de stimuler la compétitivité, encouragea la flexibilité du marché du travail. A juste titre, cette réorientation fut jugée comme le tournant libéral d’un ancien parti marxiste. 

En 1999, l’ANC fait voter la loi sur l’équité, complétée en 2003 par l’adoption du Broad-Based Black Economic Empowerment Act,  deux mesures ayant rendu obligatoire la participation des populations noires en tant qu’employés et actionnaires dans les entreprises sud-africaines, ce qui a favorisé l’émergence d’une classe moyenne aisée noire, les buppies (black urban professionnals), regroupant selon les estimations 3,5 millions de personnes, soit environ 10% de la population noire sud-africaine. Le CER eu un impact plus douloureux sur la population non adaptée aux besoins du marché du travail. Les privatisations d’entreprises publiques ont conduit à des plans de restructuration pour gagner en compétitivité qui ont détruit près de 500 000 emplois peu qualifiés en l’espace de trois ans. Actuellement, le taux de chômage officiel est de 23,9% (chiffres début d’année 2012) pour l’ensemble de la population et de 50,5% pour les jeunes. 

NPCDiagnosticL’arrivée au pouvoir en 2009 du président Jacob Zuma a coïncidé avec la volonté pour l’ANC de porter un regard critique sur son propre bilan afin de construire, sur cette base, les lignes de son projet d’avenir pour l’Afrique du Sud. Une démarche rigoureuse et honnête qui mérite d’être saluée. Cette tâche difficile a été confiée à Trévor Manuel, ancien ministre des Finances sous les deux mandats de Thabo Mbeki.  En juin 2011, un premier Rapport de Diagnostic sur le bilan de l’ANC est rendu public. Ce diagnostic est sans concession, qui reconnaît d’emblée que « les conditions socio-économiques qui ont caractérisé le système de l’apartheid et du colonialisme définissent encore largement notre réalité sociale ». Tout en se félicitant des réelles avancées connues depuis 1994 – l’adoption d’une nouvelle Constitution pour l’égalité des droits et l’établissement de la démocratie ; le rétablissement de l’équilibre des finances publiques ; la fin des persécutions politiques de l’apartheid ; l’accès aux services publiques de première nécessité (éducation, santé, eau, électricité) pour des populations qui en étaient privées – le rapport de diagnostic reconnait que la situation présente de l’Afrique du Sud pose problème. La pauvreté reste endémique et les inégalités socio-économiques ont continué à se creuser, faisant de la Nation arc-en-ciel le deuxième pays le plus inégalitaire au monde après le Lesotho[1].

Le Rapport de Diagnostic constate que le RDP n’a pas atteint son objectif de réduction de la pauvreté et des inégalités. Selon les auteurs du rapport, deux raisons principales expliqueraient cet échec du RDP : tout d’abord une confiance démesurée dans les capacités de l’Etat à transformer seul la réalité socio-économique du pays, qui a conduit à un manque de coordination entre l’Etat, le secteur privé et la société civile ;  ensuite, une mauvaise anticipation des chocs externes et du changement de l’environnement international. « Les effets de la crise asiatique en 1998, de la chute du rand en 2001, de la crise financière internationale en 2008 et la réorientation des tendances du commerce et des investissements internationaux ont été significatifs sur l’Afrique du Sud », reconnait le document. 

Le Rapport de Diagnostic identifie 9 principaux challenges à relever pour l’Afrique du Sud :

1.      Trop peu de personnes travaillent

2.      Les standards d’éducation pour la plupart des élèves et étudiants noirs sont de mauvaise qualité

3.      Les infrastructures du pays sont mal situées, sous-entretenues et insuffisantes pour soutenir la croissance économique

4.      L’aménagement spatial du pays exclut les pauvres des fruits du développement

5.      L’économie est trop dépendante de l’exploitation des ressources, et de manière non soutenable

6.      Les pandémies sanitaires sont aggravées par un système de santé publique défaillant

7.      Les services publics ne sont pas équitablement distribués et souvent de mauvaise qualité

8.      La corruption est très répandue

9.      L’Afrique du Sud reste une société divisée

Le National Development Plan : vision 2030 South Africa (NDP) se conçoit comme une réponse à ces défis. Ce document fixe les grandes ambitions de l’Afrique du Sud à horizon 2030 et identifie certains moyens d’y parvenir. 

A suivre : L'Afrique du Sud veut écrire un nouveau chapitre de son histoire : (2) une stratégie 2030 à la hauteur des défis ?

Emmanuel Leroueil

[1] : https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/rankorder/2172rank.html

L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2)

Comment juger du succès d’une politique économique ? Longtemps, la réponse a été simple : la forte croissance du PNB, à savoir l’augmentation du volume total de la production économique nationale. Si l’on s’en tient à ce seul critère, il nous faut nous rendre à l’évidence : la politique économique de l’Afrique du Sud, sur les dix dernières années, a été couronnée d’un relatif succès. En effet, depuis 1999, le taux de croissance moyen du PNB a été de 3%, avec un pic ces derniers temps (moyenne de 5% depuis 2006). Il faut aussi rappeler que l’Afrique du Sud était en récession économique (de 1988 à 1993) quand l’ANC a pris le pouvoir, ce qui porte la comparaison à son avantage. Succès relatif toutefois, parce que l’Afrique du Sud pouvait, structurellement, mieux faire. Comme toute économie émergente en phase de rattrapage économique, ce pays sort d’un état de sous-exploitation de ses ressources économiques (main d’œuvre, ressources naturelles, marché intérieur, opportunités d’investissements, etc.), ce qui lui permet normalement de connaître de forts taux de croissance, comparés aux économies développées matures. Or, des taux de croissance à 3% ou 5% sont dans la fourchette basse des résultats des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), groupe auquel l’Afrique du Sud aspire à faire partie.

Il n’en demeure pas moins que la plupart des analystes salue le « miracle économique sud-africain », sorte de locomotive d’une Afrique à la traîne. Deux hommes sont crédités du mérite de ce succès : l’ancien président Thabo Mbeki et son ministre des finances Trévor Manuel. Continue reading « L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2) »