Nelson Mandela : un Combattant de la Liberté

Nelson Mandela, un leader atypique

Je ne peux ne pas adresser ce billet à la mémoire d’un homme d’exception, ni cacher mon respect et mon admiration envers celui qui, de sa vie, en a fait un chant de lutte, afin que des millions soient libérés. Le 466ème  prisonnier, de 1964, de Robben Island, la désormais tristement célèbre prison. Nelson Mandela est plus qu’un homme, il est devenu le symbole de la lutte pour la liberté, pour le respect des individualités, et la libre conscience. Qu’il me soit permis de rendre hommage à Madiba (son nom de clan), et à Rohlilala, son prénom xhosa, signifiant  "celui qui amène les problèmes".

Les problèmes, Nelson Mandela en a résolu, il a été en cela le type même du leader, en résolvant les problèmes et en apportant des solutions. Partout, sur son chemin, de Ford Hare où il fut exclu avec son ami Oliver Tambo, à la création du Mk (partie de la division armée de l’ANC, dont il fut le fondateur, et une des raisons de sa condamnation), il a su apporter les mesures qui, une fois insufflées, ont imposé le changement.

Mandela était de ceux qui n’aimaient pas la stagnation, et qui, de par leur simple présence apportait des changements positifs. Que l’on ne s’inquiète pas des nuages, des tourments, des problèmes apparents; avec lui, le moment le plus sombre précédait toujours l’aube, et les solutions venaient après les luttes et les souffrances. Des geôles de Robben Island à la présidence, seul le Joseph de l'Ancien Testament a fait mieux.

Que l’on pense à l’homme, un humain, normal, fait de chair et d’os, refusant à plusieurs reprises la liberté offerte par le parti nationaliste sud-africain, refusant par conviction, refusant pour ne pas se compromettre, car il avait compris que la liberté sans les autres n’était pas la liberté. 

Mandela a défié les limites de l’Homme et montré une race d’hommes qui refusait de se compromettre. Il a choisi de se battre contre le système et compris qu’il ne s’agissait pas de se battre contre l’homme. Le système de l’apartheid qui voulait que l’homme noir se sente inférieur, limité, pauvre et ignorant. Il a refusé de se limiter par le langage de l’oppresseur, et a désiré jalousement la liberté qui lui était refusée.

Mandela, c’est aussi « le père de la nation », celui qui, dans son émouvant et captivant livre Un long chemin vers la liberté nous parle avec son cœur et reconnait les choix qui l’ont amené, inexorablement loin des siens. Le cri d’un père qui reconnait avoir fait des choix qui se sont avérés difficiles pour ses enfants, sa femme, Winnie Mandela.

Ce que je retiens de Mandela, c’est le sillage d’un homme qui a brillé pour montrer l’exemple. C’est la capacité à s’oublier pour être un repère pour les générations futures. C’est un homme de paix, qui pourtant, avait toutes les raisons pour haïr, détester, et refuser de pardonner. Mandela nous montre encore aujourd’hui qu’un leader, ce n’est pas ce qui est vu par le phrasé, le charisme ou encore les promesses de campagne, mais le sacrifice réel d’un homme pour les siens, l’exemplarité dans la conduite quelque soient les circonstances, en supportant l’insupportable, en gardant le moral.

Je suis fière que Mandela ait existé, et plus fière encore qu’il ait été AFRICAIN. Fière que l’Afrique ait engendré un tel leader, loin des dictateurs qui nous font souvent mauvaise presse. Mandela ne s’est pas affalé dans un pouvoir éternel. Le cri de ralliement de l’ANC était : « Amandla ! Ngawethu ! », ce qui veut dire « le Pouvoir, nous appartient ! » avec le poing levé. Il aurait pu rester indéfiniment et ‘mourir au pouvoir’ comme bon nombres de faux leaders ont décidé de le faire dans certains pays ; mais non, il a montré jusqu’au bout le chemin de la droiture,  du respect de l’autre.

La rectitude de son caractère, était sa marque de fabrique :

« Tout homme ou toute institution qui essaieront de me voler ma dignité perdront. »

Mandela a refusé tout compromis et pris sur lui de montrer le chemin de la liberté. Voilà pourquoi il n’est pas qu’aux Sud-Africains, mais au monde entier, car sa vie inspire chacun d’entre nous et nous sert de repère.

Pour ne pas conclure, je cite ici, la célèbre déclaration de Nelson Mandela, lorsqu’il devait recevoir la sentence pour le procès de Rivonia :

« Au cours de ma vie, je me suis entièrement consacré à la lutte du peuple africain. J'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. J'espère vivre assez pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »

 Une citation que l’on entend ou lit et qui résonne longuement en nous : Et nous ? Sommes-nous prêts à dire de même ?

Pénélope Zang Mba

Un long chemin vers la liberté, Editions Fayard, 1994

Nelson Mandela-2008 (edit)" by South Africa The Good News / www.sagoodnews.co.za. Licensed under CC BY 2.0 via Wikimedia Commons – 

Desmond Tutu rend hommage à Nelson Mandela

prison_roben_islandNelson Mandela est pleuré par les Sud-Africains, les Africains et la communauté internationale aujourd'hui comme le leader de notre génération qui se tenait la tête et les épaules au-dessus de ses contemporains – un colosse de moralité irréprochable et l'intégrité, figure publique la plus admirée et vénérée dans le monde.

Pour l’Afrique, il est plus que Kenyatta, Nkrumah, Nyerere et Senghor. Vous recherchez des comparaisons au-delà de l'Afrique, il restera dans l'histoire comme le George Washington de l’Afrique du Sud, une personne qui, au sein d'une présidence unique de cinq ans est devenu l'icône principale de la libération et la réconciliation, aimé par ceux de tous les bords politiques comme le fondateur d’une Afrique du Sud moderne et démocratique.

Il n’a pas bien sûr été toujours considéré comme tel. Quand il est né en 1918 dans le village rural de Mvezo, il a été nommé Rolihlahla, ou «fauteur de troubles». (Nelson était le nom donné à lui par un enseignant quand il a commencé l'école.) Après la fuite à Johannesburg pour échapper à un mariage arrangé, il a vécu sur les traces de son nom. Introduit à la politique par son mentor, Walter Sisulu, il rejoint un groupe de jeunes militants qui ont défié les dirigeants de l'African National Congress, fondé par les leaders noirs en 1912 pour s'opposer à la politique raciste du syndicat nouvellement formé de blanc statué Colombie colonies et républiques afrikaners.

Après l’arrivée au pouvoir des nationalistes afrikaners en 1948, avec leur intention de déposséder les Noirs, la confrontation devient inévitable. Comme le nouveau gouvernement a mis en œuvre sans relâche des lois répressives racistes, l'ANC a intensifié sa résistance jusqu'à son interdiction en 1960, quand il a décidé que, après avoir épuisé tous les moyens pacifiques de réalisation de la démocratie, il n'avait d'autre choix que de recourir à l'utilisation de la force.

Madiba, le nom de clan par lequel les Sud-Africains désignent Nelson Mandela, entre dans la clandestinité, puis a quitté le pays pour chercher du soutien pour la lutte. Il l’a reçu dans de nombreuses parties de l'Afrique – en formation militaire en Ethiopie – mais il n'a pas réussi à obtenir un soutien significatif à l'Ouest.

À son retour en Afrique du Sud, il a été capturé par la police et d’abord emprisonné pour incitation à la grève et voyage illégal. Deux ans plus tard, il a été amené de la prison pour faire face à des accusations, avec d'autres dirigeants, de guérilla. À la fin du procès, ils ont tous été condamnés à la prison à vie.

En 1964, Madiba a été envoyé à la prison de Robben Island au large de la côte de Cape Town en tant que leader de la guérilla militant, le commandant en chef de l'aile militaire de l'ANC, Umkhonto Wesizwe, engagé à renverser l'apartheid par la force. Quand il est sorti de prison en 1990, ses yeux sont endommagés par les carrières de calcaire aveuglantes et vives dans lesquelles les prisonniers avaient été forcés d'écraser la roche, et ayant contracté la tuberculose en raison des conditions de détention, il aurait pu s'attendre à sortir mordicus sur la vengeance et la rétribution. Les Sud-Africains blancs craignaient certainement cela. De l'autre côté de l'échiquier politique, certains de ses partisans ont craint que ayant été adulé auprès des militants pour son rôle crucial dans la lutte, il pourrait se révéler avoir des pieds d'argile et être incapable de vivre avec sa réputation.

Rien de tout cela ne se produisit. La souffrance peut empoisonner ses victimes, mais aussi elle peut les ennoblir. Dans le cas de Madiba, ces 27 années de prison n'ont pas été gaspillées. Tout d'abord, il lui a donné une autorité et une crédibilité difficile à atteindre par d'autres moyens. Personne ne peut contester ses lettres de créance. Il avait prouvé son engagement, son abnégation par ce qu'il avait subi. Deuxièmement, le creuset de la souffrance atroce qu'il avait enduré a purgé la crasse, la colère, la tentation de tout désir de vengeance, aiguisant son esprit et le transformant en une icône de la magnanimité. Il a utilisé son énorme stature morale à bon escient à convaincre son parti et beaucoup dans la communauté noire, en particulier les jeunes, que la compréhension et le compromis sont les moyens d'atteindre notre objectif de démocratie et de justice pour tous.

Aux pourparlers que le chef de l'Église méthodiste, le Dr Stanley Mogoba, et moi avions convoqué, pour tenter de régler les différences entre l'ANC et l'Inkatha Freedom Party de Mangosuthu Buthelezi, Madiba va au-delà de son mandat d'offrir au Docteur Buthelezi un poste supérieur dans le gouvernement post-apartheid ; il lui offrit même le poste de ministre des Affaires étrangères. Pourtant, Madiba n’était pas mou dans les négociations: quand les Sud-Africains noirs ont été massacrés au cours de la transition par les forces de l’ordre qui essayait de conserver le pouvoir que l'apartheid leur avait conféré, il pourrait s’indigner de l’échec du gouvernement à empêcher les massacres – tant et si bien que, une fois un dirigeant syndical est venu me voir, disant qu'il avait peur que l'intransigeance de Madiba anéantirait les pourparlers.

Quand il devint président en 1994, au lieu de réclamer vengeance pour le sang de ceux qui avaient opprimé et maltraité lui et de notre peuple, il a prêché un évangile du pardon et de la réconciliation. Il a invité son ancien geôlier blanc à son inauguration. Il s’est envolé pour une enclave rurale afrikaner éloignée, mise de côté comme un refuge pour ceux qui ne pouvaient pas supporter qu’un noir Sud-Africain dirige un pays uni, pour répondre à la veuve du premier ministre qui a été reconnue comme l'architecte et grand prêtre de l'apartheid. Il a invité à déjeuner le procureur qui l'avait envoyé en prison. Et qui, en Afrique du Sud pourra oublier la journée à la Coupe du monde de rugby en 1995, mémorablement célébrée dans le film, œInvictus, durant laquelle il a enfilé le maillot de rugby des Springboks – autrefois méprisé dans la communauté noire comme un symbole de l'apartheid dans le sport – et inspiré l'équipe à la victoire, avec des dizaines de milliers de Blancs qui à peine cinq ans plus tôt l'avait considéré comme un terroriste, en chantant dans le stade de rugby, « Nelson, Nelson ».

Après avoir appris en prison à connaître son ennemi dans ses rapports avec ses gardiens, et acquis une compréhension très fine de la psychologie humaine, il s'est rendu compte que les Afrikaners se sentaient menacés et mal, ayant perdu le pouvoir politique et pensant qu'ils perdraient même leurs symboles chers. En un coup de maître, il les avait à ses côtés en désamorçant les risques d'instabilité. En tant que président, et par la suite, il a travaillé sans relâche, en levant des fonds pour les écoles et les dispensaires dans les zones rurales. Les chefs d'entreprises recevaient une invitation à se joindre à lui pour la journée, et il les amenait par hélicoptère dans un village reculé et leur demandait de donner de l'argent pour une école. Il a aussi utilisé une partie de son salaire de président pour mettre en place le Fonds Nelson Mandela pour les enfants et plus tard a créé sa fondation pour les œuvres caritatives.

A la fin de son premier mandat, Madiba a fait une autre contribution d'une importance énorme pour l'Afrique du Sud et le continent: il a refusé le second mandat auquel la Constitution lui donnait droit, et a pris sa retraite, pour se démarquer de ces dirigeants africains qui semblent ne pas savoir quand il faut quitter ses fonctions.

Madiba avait des défauts. Sa principale faiblesse était sa loyauté envers ses camarades et du parti pour lequel il a passé près de trois décennies en prison. Il a permis à des ministres peu performants de rester à leur poste pendant trop longtemps. Il n'a pas réussi à comprendre l'ampleur de la crise du VIH/sida – bien que plus tard, après avoir quitté ses fonctions, il a vu qu'il avait eu tort. Réalisant son erreur, il s’est présenté devant la direction de l'ANC pour tenter de convaincre le parti de prendre la crise au sérieux, et a été attaqué par ses collègues pour sa position.

Je n'étais pas toujours d'accord avec lui, d'abord sur la décision de son gouvernement de continuer à fabriquer et à commercialiser des armes et sur la décision du Parlement de s'octroyer des augmentations de salaires peu de temps après son arrivée au pouvoir. Il m'a publiquement attaqué comme un populiste, mais il n'a jamais essayé de me faire taire, et nous avons pu rire de nos prises de bec et rester amis. À une occasion, au cours des travaux de la Commission Vérité et Réconciliation, l'un de nos commissaires a été accusé d'être impliqué dans une affaire devant une commission. Madiba a instruit une enquête judiciaire pour examiner les allégations et lorsque le rapport était prêt, j'ai reçu un coup de téléphone de son secrétaire demandant des détails de contact pour le commissaire. Je lui ai dit que j'étais en colère contre le président: en tant que président de la commission, je dois connaître les résultats de l'enquête en premier. Quelques minutes après, Madiba m’a personnellement appelé pour s'excuser et reconnaître qu'il a eu tort. Les gens qui sont précaires et incertains d'eux-mêmes trouvent qu'il est difficile de présenter des excuses; Madiba a montré sa grandeur par sa volonté de le faire rapidement et sans aucune réserve.

Il était surprenant dans son altruisme désintéressé pour les autres, tout en reconnaissant – comme l'a fait un Mahatma Gandhi ou un Dalaï Lama – qu’un vrai leader n’existe pas pour l'auto-glorification, mais pour le bien de ceux qu'il dirige. Malheureusement, sa vie personnelle a été marquée par la tragédie. Sacrifier le bonheur personnel pour son peuple, la prison l'a séparé de son épouse bien-aimée, Winnie et ses enfants. Il était profondément affligé qu’alors que Winnie est harcelée et persécutée par la police, et était plus tard prise dans les manigances de personnes qui l'entouraient, il a été forcé de rester impuissant dans sa cellule, incapable d'intervenir. Alors qu’il s’inquiétait pour Winnie, et était chagriné par le deuil de sa mère, il a perdu son fils aîné, Thembi, dans un accident de la route.

Peu de temps après sa libération, ma femme, Leah, et moi avions invités Nelson et Winnie dans notre maison de Soweto pour un repas traditionnel Xhosa. Comment il l'adorait: tout le temps qu'ils étaient avec nous, il suivait tous ses mouvements comme un chiot radoteur. Plus tard, quand il était clair que leur mariage était en difficulté, j'ai passé du temps avec lui. Il a été dévastée par la rupture de leur relation – il n'est pas exagéré de dire qu'il était un homme brisé après leur divorce, et il entra dans la présidence comme un personnage solitaire.

C’était d'autant plus merveilleux quand lui et Graça Machel, la veuve éponyme du président fondateur du Mozambique, Samora Machel, sont tombés amoureux. Madiba a été transformé, excité comme un adolescent dans l'amour, puisqu’elle a restauré son bonheur. Elle était une aubaine. Il a montré une remarquable humilité quand je l'ai critiqué publiquement pour vivre avec elle sans bénéfice de mariage. Certains chefs d'État m'auraient écorché. Pas celui-ci. Peu de temps après, j'ai reçu une invitation à son mariage.

Le monde est un meilleur endroit pour Nelson Mandela. Il a montré dans son propre caractère, et inspiré dans d'autres, un grand nombre des attributs de Dieu: la bonté, la compassion, un désir de justice, la paix, le pardon et la réconciliation. Il était non seulement un incroyable cadeau à l'humanité, il a fait que les Sud-Africains et Africains se sentent bien d'être qui nous sommes. Il nous a fait marcher la tête haute. Dieu soit loué.

Desmond Tutu est l'archevêque anglican émérite de Cape Town, en 1984 le prix Nobel de la paix et, plus récemment, le bénéficiaire d'une Ibrahim Prix spécial de la Fondation Mo et le Prix Templeton 2013.

Un article initialement paru sur allafrica, et traduit de l'anglais. Les idées traduites peuvent ne pas réfléter la version originale. Nous vous invitons à la consulter autant que possible.

Les caïlcédrats qu’on inonde

JP-MANDELA-articleLargeDurant mes études au Sénégal, un ami nous avait conté les derniers moments de son grand-père, une histoire absolument effroyable. Ils étaient venus, ils étaient tous là : le patriarche mourant accompagné de sa famille entière, fils, petits-fils, beaux-fils, pièces rapportées, concubines et bâtards. Tout un capharnaüm autour du vieil homme agonisant. Et plus grave encore, toute la famille pleurait sa mort, devant lui qui respirait à peine mais était définitivement vivant… ça a duré des semaines. Une version africaine de « La Mamma » d’Aznavour, en fait, mais sans la guitare andalouse, sans les chansons, sans l’Ave Maria.

J’y ai repensé en relisant cet article sur les « familles » de Nelson Mandela : la vraie et la politique (l’ANC) qui se disputent déjà l’héritage et le prestige du saint nom, alors même que Mandela est encore – plus ou moins – en vie. Sur la photo qui illustre l’article, on aperçoit un vieillard émacié, le visage de marbre, le regard vitreux, ailleurs, harassé et confus, entouré d’une demi-douzaine d’imbéciles heureux, rondouillards, souriants et aux anges : le bureau de l’ANC. Le photographe, selon le journaliste du NYT, ne cessait de répéter à la relique de « sourire ». Et si Nelson n’a pas souri, ses compagnons de route souriaient assez pour une éternité.

Les enfants et petits-enfants de Mandela ont été choqués par cette opération de communication, paraît-il. Comment a-t-on osé répliquer (piquer) leur méthode ? L’une ses filles a eu la hardiesse de comparer l’héritage de Mandela à celui des Rothschild : ceux-là ont mis à profit le nom dont ils ont hérité, pourquoi les héritiers de Mandela n’auraient pas le droit d’en faire de même ? Je ne sais pour qui la comparaison est plus insultante : les descendants de la dynastie Rothschild qui ont su faire fructifier, étendre et protéger l’héritage reçu, qui sont ainsi rabaissés au rang de prête-noms ; ou le père mourant dont le labeur et les sacrifices ne valent guère mieux qu’un compte en banque ou une assurance-vie. L’animateur de télévision français Jacques Martin avait l’habitude de dire : « l’argent ne fait pas le bonheur. Il permet seulement dans ses vieux jours de revoir ses enfants plus souvent »…

Vincent ROUGET a exploré dans les pages même de Terangaweb-l’Afrique des Idées les incertitudes sur l’avenir d’une Afrique du Sud « post-Mandela ». Mais une question plus mystérieuse demeure, celle de l’attitude de Mandela après son retrait de la vie politique. Depuis une dizaine d’années maintenant, le prestige de sa lutte contre l’apartheid, son manteau d’homme de paix, son sourire et ses cheveux grisonnant ont tous été mis à contribution. Pour le meilleur et pour le pire. De la lutte contre le Sida aux intrigues politicardes. De la production de vin aux posters et aux pins’. Du recueil de citations aux films. Des Doctorats honoris causa aux livres de Ségolène Royal. J’avais proposé qu’on étende la gamme aux préservatifs « Mandela » (le goût de la liberté, etc.)

La fin de vie de Nelson Mandela telle qu’on l’observe aujourd’hui est triste et affligeante – comme toutes les fins de vie. Banal et incérémonieux clap final pour une histoire riche et exceptionnelle. Le labeur achevé, les sacrifices consentis, la place dans l’histoire établie et confirmée, il ne reste plus qu’à expirer. Mortel, forcément mortel. S’en aller, si possible sans trop gêner, sans faire trop de bruit. Céder la place aux nouveaux venus qui tendus et ridicules dans leur impatience attendent leur tour de manège. Et puis rien.

Certes, mais tendre vers cette sure extinction en étant entouré de hâbleurs et de marchands de colifichets ? Remus et Romulus tétant la louve mourante. En voyant cette image du “grand” Mandela réduit à pas grand-chose, au crépuscule de sa vie, le regard perdu dans un monde lointain – et effroyable – je ne peux qu’accepter cette idée impie : même si l’on m’offrait son destin, la certitude de demeurer dans la mémoire des hommes, le salut de mon âme assuré et l’éternité dans la joie des saints, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Et je repense aux derniers mots d’un autre géant, le chancelier Adenauer : « Da jitt et nix kriesche » (Cela ne vaut pas la peine de pleurer).

L’un de mes poèmes préférés de Philip Larkin est sa – justement célèbre – « Aubade ». C’est une réflexion désabusée et froide sur la mort. Ni mélancolique, ni stoïque, elle rejette les fausses consolations du courage et de l’indifférence :

« Courage is no good: /it means not scaring others.

Being brave/ Lets no one off the grave.

Death is no different whined at than withstood »

Joel Assoko

Des géants dans l’ombre de Mandela : les héros oubliés de la lutte anti-apartheid

11 février 1990 : une date qui représente un tournant dans l’Histoire de l’Afrique du Sud et une victoire symbolique pour l’ensemble de l’humanité. Après vingt sept années passées dans les geôles de l’Apartheid, le plus célèbre prisonnier politique du monde est enfin libéré, suscitant une immense vague de joie et d’espoir. Vingt et un an après, le personnage de Nelson Mandela inspire toujours autant de respect et suscite une admiration unanime pour son parcours et ses idées, y compris et surtout auprès des jeunes générations. Son statut de père de la nation arc-en-ciel et d’icône universel de la lutte contre le racisme ne doit pourtant pas occulter le rôle majeur joué par d’autres acteurs aux parcours tout aussi admirables, mais qui ont eu tendance à être occultés par l’immense charisme de Mandela et la médiatisation qui l’a fait connaitre partout dans le monde.

A 92 ans, Mandela occupe une place de choix dans l’Histoire et dans le cœur des hommes, toute origine et tout âge confondus, et revient épisodiquement dans l’actualité. Une place qu’il mérite amplement et qui doit être préservée. Mais si tout le monde connait le personnage de Mandela, très peu connaissent les noms d’Albert Lutuli, Oliver Tombo, Walter Sisulu, Ahmed Kathrada et tant d’autres, qui ont consacré toute leur vie à la lutte contre le régime raciste Sud-africain et ont consenti de très lourds sacrifices pour y mettre fin. Il faut en effet réaliser que Mandela n’est pas, tel Ho Chi Minh, Senghor ou Houphouët Boigny, le leader central d’un mouvement qui a été naturellement reconnu comme héros fondateur d’une nouvelle nation. L’African National Congress(ANC) a connu d’autres personnages de premier plan, dont l’action a contribué de manière décisive à la réussite du combat. Ils ont connu Mandela, certains l’ont accompagné, d’autres l’ont conseillé, et tous ont contribué d’une manière ou d’une autre à permettre l’émergence de « Madiba » sur le devant de la scène politique sud-africaine et mondiale.  Leurs noms méritent donc d’être connus et remémorés.

Albert Lutuli (1897-1967) a ainsi été le premier Africain à recevoir le Prix Nobel de la paix, en 1960, pour son engagement dans la lutte non violente contre l’Apartheid. Né en Rhodésie (actuel Zimbabwe), il fera ses études en Afrique du Sud et deviendra président d’une association d’enseignants (l’African Teachers Association) avant d’adhérer à l’ANC en 1944. Le mouvement connait alors d’importantes dissensions sur l’idéologie et les méthodes à adopter, sur fond de rivalité ethnique et régionale entre ses différents membres.

Lutuli s’imposera comme Président de l’ANC de 1952 jusqu'à sa mort, et s’efforcera d’en maintenir la cohésion et d’accroitre son influence sur la société. Mais il se trouve rapidement dépassé par des tendances plus radicales et plus violentes, en particulier après le lancement au début des années soixante d’une aile armée dénommée Umkhonyo we Sizwe (dont Mandela est membre fondateur), vraisemblablement sans l’accord de Lutuli, ou du moins avec une grande réticence de ce dernier. Lutuli avait toujours privilégié la lutte politique non violente et craignait que les actes de guérilla puissent s’avérer contreproductifs pour l’avenir de la lutte. Néanmoins, le tristement célèbre massacre de Sharpeville en mars 1960 ne pouvait déboucher que sur une évolution  de l’ANC et l’adoption de méthodes plus radicales, dont Lutuli finit par consentir la nécessité. Il meurt en 1967, à l’âge de 69 ans, laissant l’ANC entre les mains d’un autre poids lourd de la lutte anti-apartheid : Oliver Tombo.

Oliver Tombo (1917-1993) appartient à une nouvelle génération, celle qui n’a connu que l’Apartheid comme système politique et qui se fait par conséquent moins d’illusions sur une lutte entièrement non-violente. Il est né dans la province du Cap oriental et a étudié dans la même université que Nelson Mandela (dont ils furent par la suite expulsés tous les deux pour avoir participé à une grève !)

Devenu enseignant à Johannesburg, il rejoint l’ANC et fonde au coté de Mandela et Sisulu, la Ligue des Jeunes de l’ANC (ANCYL), qui préconise l’usage de nouvelles méthodes de lutte, comme la désobéissance civile ou la grève. L’ANC s’était en effet cantonnée jusque là à des méthodes plus consensuelles, à savoir des pétitions et des manifestations (influencée en partie par Gandhi, qui a vécu plus de 20 ans en Afrique du Sud et y a mené ses premiers pas en politique).

Alors que ses compagnons Mandela et Sisulu sont arrêtés et condamnés, Oliver Tombo est envoyé à l’étranger pour sensibiliser les gouvernements et les opinions publiques à la lutte contre l’Apartheid, alors que le massacre de Sharpeville révèle au monde entier la nature profondément raciste et violente de l’Apartheid. Il passera au total 30 ans en exil, installé à Londres mais sillonnant le monde sans relâche pour servir la cause de l’ANC, contribuant ainsi de manière déterminante à discréditer le régime de Pretoria et à l’isoler sur la scène internationale. De même, il ne ménagera pas ses efforts pour médiatiser le sort de Mandela et accentuer la pression sur les autorités sud-africaines en vue de libérer ses autres camarades de lutte. Oliver Tombo restera président de l’ANC jusqu’en 1991,  après avoir occupé ce poste pendant 24 ans, et rentre en Afrique du Sud en tant que héros. Il aura réussi à préserver les structures de l’ANC (dont les principaux membres étaient en prison ou soumis à une forte répression), a mené le combat diplomatique contre l’Apartheid, et a grandement participé à forger le « phénomène Mandela ». Mais il ne vivra pas assez longtemps pour voir le premier président noir accéder à la tête du pays, puisqu’il disparait en avril 1993.

Walter Sisulu (1912-2003), est le dernier poids lourd et l’ainé du trio qu’il forme avec Mandela et Tombo, mais reste sans doute le moins connu des trois. Etant métis, fils d’un magistrat blanc et d’une servante noire, Sisulu aurait pu être enregistré comme tel et bénéficier de conditions moins difficiles sous l’Apartheid (qui établissait une hiérarchie de droits selon les races). Mais il a préféré être identifié en tant que noir et lutter pour mettre fin à l’injustice du système raciste. Il a été un militant de la première heure et un pilier de l’ANC ainsi que le mentor de Nelson Mandela, dont il fut l’ami intime sur Robben Island, après avoir été condamné lors d’un même procès (le célèbre procès de Rivonia, qui a jugé 10 dirigeants de la branche armée de l’ANC, dont 4 Blancs et 2 Indiens).

Sisulu aura passé 26 ans en prison et n’est libéré qu’une année avant son camarade de fortune, Nelson Mandela. Ils auront tellement le temps de se connaitre qu’ils deviendront parfaitement complémentaires. Autant Mandela est charismatique et brillant orateur, autant Sisulu préfère la discrétion et la réflexion. Il écrira plus tard à propos de son mentor: « Walter et moi avons tout connu ensemble. C’était un homme de raison et de sagesse, et personne ne me connaissait mieux que lui. Il était l’homme dont l’opinion me paraissait la plus digne de confiance et la plus précieuse”.

 Sisulu avait partagé sa vision de l’Afrique du Sud  postapartheid avec ses compagnons à Robben Island et a conseillé Mandela lors des négociations avec les autorités du régime agonisant. Apprécié pour sa modestie et son intégrité, il a renoncé à toute carrière politique et s’est éteint en 2003. Ses efforts et  l’influence qu’il a eue sur l’ANC, sur Mandela, et sur la nation Sud Africaine moderne constituent néanmoins un héritage inestimable.

Lutuli, Tambo, Sisulu : trois géants qui demeurent dans l’ombre de Mandela et qui méritent une plus grande reconnaissance nationale et internationale pour leur contribution majeure à l lutte anti-apartheid.  Leur « passage à la trappe » est illustré par le classement des cent plus grands Sud Africains, mené en 2003, et basé sur les votes de téléspectateurs de SABC3, qui placera sans surprise Mandela à la première place. Mais la stupeur et la consternation ont accompagné les performances d’autres grandes figures de la lutte : Tombo et Sisulu n’arrivent respectivement qu’a la 31ème et la 33ème place, et Lutuli est 41ème, très loin derrière Hendrik Verwoerd, ancien Premier Ministre et architecte du système de l’Apartheid, ou Eugène Terre’Blanche, à la tête d’un mouvement qui promeut toujours la suprématie blanche, ainsi que plusieurs artistes et joueurs de criquets…

Toutes les grandes causes ont leurs panthéons de héros, qu’il convient d’honorer de manière équitable. La « personnalisation » d’une lutte peut en effet avoir de graves conséquences sur l’avenir d’une nation, comme le montre la difficulté pour la Guinée de remplacer Sékou Touré, celle de la Cote d’Ivoire d’assurer une stabilité après Houphouët Boigny, ou celle des militants de la Cause Palestinienne à rester unifiés après la mort de Yasser Arafat. Si Mandela n’a jamais organisé de culte de la personnalité, son immense popularité a occulté, malgré lui, le combat de ses compagnons. C’est une injustice à laquelle il convient de remédier, et que les autres nations doivent méditer pour ne pas faire passer à la trappe de l’oubli leurs héros et avoir à faire face ensuite aux contradictions historiques et aux crises identitaires.

Nacim Kaid Slimane 

 

L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2)

Comment juger du succès d’une politique économique ? Longtemps, la réponse a été simple : la forte croissance du PNB, à savoir l’augmentation du volume total de la production économique nationale. Si l’on s’en tient à ce seul critère, il nous faut nous rendre à l’évidence : la politique économique de l’Afrique du Sud, sur les dix dernières années, a été couronnée d’un relatif succès. En effet, depuis 1999, le taux de croissance moyen du PNB a été de 3%, avec un pic ces derniers temps (moyenne de 5% depuis 2006). Il faut aussi rappeler que l’Afrique du Sud était en récession économique (de 1988 à 1993) quand l’ANC a pris le pouvoir, ce qui porte la comparaison à son avantage. Succès relatif toutefois, parce que l’Afrique du Sud pouvait, structurellement, mieux faire. Comme toute économie émergente en phase de rattrapage économique, ce pays sort d’un état de sous-exploitation de ses ressources économiques (main d’œuvre, ressources naturelles, marché intérieur, opportunités d’investissements, etc.), ce qui lui permet normalement de connaître de forts taux de croissance, comparés aux économies développées matures. Or, des taux de croissance à 3% ou 5% sont dans la fourchette basse des résultats des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), groupe auquel l’Afrique du Sud aspire à faire partie.

Il n’en demeure pas moins que la plupart des analystes salue le « miracle économique sud-africain », sorte de locomotive d’une Afrique à la traîne. Deux hommes sont crédités du mérite de ce succès : l’ancien président Thabo Mbeki et son ministre des finances Trévor Manuel. Continue reading « L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2) »

L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (1)

Son nom est Zuma, Jacob Zuma. Il est zoulou, il a 67 ans et vient d’être nommé président de l’Afrique du Sud le 6 mai 2009, conclusion logique de la victoire de l’ANC aux dernières élections législatives, avec 65,9% des voix. Par la grâce de ce scrutin, il est devenu le troisième leader post-apartheid de ce géant d’Afrique sub-saharienne : une population de 48,5 millions d’habitants, une économie qui pèse à elle-seule 45% du PNB de l’Afrique sub-saharienne et un Etat qui siège dans le tout nouveau club des puissants de ce monde, le G20. Un géant aux pieds d’argile toutefois, classé au 125ème rang (sur 179) de l’Indice de Développement Humain du PNUD en 2008, et qui partage avec le Brésil le triste record de pays aux plus fortes inégalités sociales dans le monde.

Comme ses prédécesseurs Nelson Mandela et Thabo Mbeki, Jacob Zuma est issu des rangs de l’African National Congress (ANC) qui, depuis 1991, fait face à l’immense défi du développement socio-économique. L’élection d’un nouveau président est donc une bonne occasion de juger le bilan gouvernemental de ce parti qui porta les espoirs de tout un peuple, et même de tout un continent. Car de par son poids réel et symbolique, l’Afrique du Sud est à l’avant-garde du mouvement développementaliste africain. Ses succès, et peut-être encore plus ses échecs, se doivent d’être médités. Continue reading « L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (1) »