La promotion d’une mobilité « intelligente et « intégrée » qui prend en compte les attentes variées et évolutives des populations, positionne au cœur des enjeux contemporains la question du : « comment mieux-vivre ensemble avec un système de transport efficient ? », dans les villes africaines. Les populations africaines, par l’usage des modes de transport « classiques » – du taxi à l’autobus, en passant par la voiture individuelle et des systèmes de covoiturage informels – se déplacent classiquement pour la courtoisie, le travail, les soins, etc. Aujourd’hui, avec l’émergence de nouveaux besoins en transports et mobilités, liée à la forte urbanisation (40% en 2015, selon la Banque Mondiale) à la croissance démographique (solde naturel[1] et solde migratoire[2] relativement élevés) et le développement des activités dans les grands pôles urbains, les attentes des populations se redéfinissent en fonction des exigences de la modernité et de la mondialisation. Le système de transport classique (un bon indicateur de développement de la ville africaine, car étant en forte corrélation avec le niveau de développement socio-économique des pays et l’hétérogénéité des niveaux de vie) n’est plus forcément adapté et suffisant. Cet article revient sur le système de transport des villes africaines et les enjeux et défis auxquels elles font face.
Le système de transport et de la mobilité dans les villes africaines.
Le circuit des transports et de la mobilité a donc besoin d’être réactualisé et étudié en profondeur pour comprendre sa complexité, mais cela nécessite, dans un premier temps, une analyse du système de transport existant. Le système de transport africain n’est pas une exception. Son analyse nécessite la prise en compte – comme partout ailleurs – de trois éléments : les services, les équipements-infrastructures et les usagers.
D’abord, les services sont les moyens de transports : les véhicules déployés par les pouvoirs publics ou par les entrepreneurs privés pour la mobilité des usagers, la voiture individuelle, le bus, le vélo, etc.
Sur le continent africain, les services de transport peuvent être répartis en fonction du niveau de développement socio-économique des pays : plus un pays est développé, plus il dispose de ressources technico-financières pour bien s’équiper en services de transport efficaces. À l’échelle du continent, les plus grandes villes se situent sur le long des littoraux (Atlantique et Méditerranéen), notamment un premier ensemble « Afrique maghrébine- Afrique Australe » qui se distingue grâce à un niveau de développement économique plus affirmé par rapport à un deuxième ensemble de villes littorales relativement développées (Afrique de l’ouest : Dakar, Abidjan, etc.) et un troisième ensemble composé de villes de l’Afrique continentale, peu dynamiques économiquement. L’inventaire des services de transport disponibles nous permet de lister quelques pays qui ont le tramway (Maroc, Algérie, Afrique du Sud, Rwanda, etc.) avec bien-sûr les autres services de transport (bus, taxi, etc.) et la quasi-totalité des pays africains qui a le bus, le taxi ainsi que d’autres services de transport hérités de la culture locale (calèche d’âne dans les villages, etc.).
Ensuite, les équipements et les infrastructures sont des moyens techniques, des voies de circulation sur lesquelles circulent les services de transport. C’est la route pour la voiture individuelle (les particuliers) et collective (le bus, le taxi, etc.) ; le rail destiné au train et au tramway, des parkings pour le stationnement des véhicules, enfin, des passages piétons pour les passagers piétons. Le niveau de ces équipements dépend fortement du développement économique du pays et des politiques publiques de planification des transports.
Enfin, les usagers (les piétons, les conducteurs automobiles, les cyclistes) sont les utilisateurs des services et des infrastructures de transport qui expérimentent la mobilité. Nous avons deux ensembles d’usagers : les usagers « complets » et les usagers « réduits » (les personnes à mobilité réduite : handicapés, femmes enceintes, personnes âgées, etc.). Généralement, dans la planification des transports, ces derniers sont négligés, à cause la non-maîtrise de leurs attentes liée à l’absence d’études sociologiques, de l’informalité, mais aussi et surtout du manque de volonté politique. En revanche, l’avènement du numérique avec le développement de nouveaux services de transport et de mobilité (système de covoiturage de proximité – bien que informel, l’informatisation de la location de voiture, le déploiement croissant de nouveaux mobiliers urbains « intelligents », la recrudescence de nouvelles entreprises innovantes dans le secteur du transport grâce à la « Main Invisible » des ingénieurs et concepteurs de la diaspora africaine en Europe et aux États-Unis), les usagers « réduits » sont de plus en plus pris en compte dans le circuit de la mobilité.
Au regard des attentes de populations, il est donc difficile d’appréhender un système de transport efficient sans une bonne maîtrise des usagers et leurs besoins en terme de mobilité. Les usagers représentent le barycentre sur lequel toutes les innovations et toutes les politiques publiques et privées en matière de transport prennent source. La prise en compte des attentes des usagers est une condition sine qua none dans les différentes politiques publiques de transport.
En somme, les services de transport disponibles pour les différentes catégories d’usagers façonnent le niveau de vie socio-économique des espaces urbains africains. Aujourd’hui, plus une ville est développée économiquement, plus elle dispose de façon déterministe une population hautement qualifiée, plus elle a une propension à miser sur des moyens pour favoriser le développement de services innovants en matière de transport et de mobilité. L’existence d’applications mobiles (Talibi – Un GPS développé par des ingénieurs sénégalais), modifie positivement les manières et les raisons de se déplacer, les tarifications des services, etc.
L’efficience d’un système de transport dépend aussi fortement de sa planification.
Une planification défaillante des transports dans les villes africaines.
La planification d’un système de transport nécessite la prise en compte des disparités spatiales qui caractérisent les territoires : les dualités rural/urbain, centres/périphéries, etc. ; les besoins quantitatifs (besoin en quantité d’infrastructures) et qualitatifs (préférence des unes par rapport aux autres, une bonne gestion) des usagers. La réalité africaine montre une complexité de la mobilité, notamment dans les zones urbaines : le système de transport y est globalement mal maitrisé. En effet, en plus de la forte urbanisation (40% en moyenne dans les pays africains) et de l’accélération du taux de motorisation (taux de motorisation de 27% et une croissance de 2% en moyenne depuis 10 ans, Echos, 2015); la non-prise en compte des réalités socioéconomiques des populations et la mauvaise qualité des voies de circulations – des routes bitumées et étroites, héritées généralement de la colonisation, causant une mobilité anarchique et des congestions urbaines chroniques – entrainent des pertes de temps ne serait- ce que pour faire un petit trajet. Cette situation provoque des externalités négatives sur le social, l’économie et l’environnement des villes, car plus une ville est encombrée, plus elle devient moins attractive à cause de la pollution sonore et atmosphérique, moins elle est compétitive sur le plan international.
Au Sénégal, les mouvements pendulaires, avec les déplacements campagne-Dakar et le sens inverse, sont une conséquence de l’urbanisation et de l’étalement urbain de la région de Dakar. En effet, la polarisation des activités et des services dans la capitale positionne la ville comme la centralité et le terminus de multiples trajets au quotidien.
De même, les déplacements inverses, Dakar-espaces périphériques et campagnes, deviennent importants, car la capitale s’étale, les infrastructures se développent et les candidats à l’exode rural gardent généralement des liens affectifs avec leur localité d’origine et n’ont pas forcément le choix à cause de la rareté et la cherté du foncier à Dakar. Par conséquent, les voies de circulation s’encombrent pendant les week-ends et les périodes de grandes fêtes culturelles et religieuses (Tabaski[3], etc.). Cet encombrement se conjugue avec une informalité dans les différents réseaux de circulation : la présence de marchands ambulants sur le long des routes, le non-respect du code de la route par certains automobilistes et la corruption entre ces derniers et les agents de régulation, une certaine insouciance des dangers de la circulation de la part des piétons : traversées anarchiques des voies routières, etc.
En outre, nous notons une primauté du transport routier, donc une absence de diversification des réseaux. Le réseau ferroviaire assurait une bonne qualité de desserte et de circulation des personnes et des marchandises au Sénégal, mais il est aujourd’hui délaissé au profit du réseau routier qui ne suffit plus, au regard de l’augmentation des besoins en mobilité des populations aux catégories socioéconomiques variées.
Les services et les infrastructures de transport dépendent d’un choix politique opéré par les décideurs publics, résultant généralement d’enquêtes sociologiques réalisées en fonction des réalités socio-culturelles du pays. Cependant, face au tarissement des finances publiques et un système de décentralisation inachevée et vulnérable (les collectivités locales ne disposent pas de moyens financiers solides pour financer certains services locaux essentiels), plusieurs pays africains ne disposent pas suffisamment de moyens pour mettre en place des projets tangibles de construction d’infrastructures de transport.
Enjeux et défis.
Les différents contextes du transport et de la mobilité dans les villes africaines, soulèvent des enjeux et défis environnementaux, économiques, culturels, sociétaux.
D’un point de vue économique, la diversité et l’augmentation des services de mobilité plus innovants en fonction des besoins des populations ainsi que l’évolution des différents acteurs et usagers font que l’offre de mobilité se transforme au niveau des prix, des coûts et des modèles économiques. De plus, le secteur privé apparaît de plus en plus comme un relais pour compenser les limites financières du secteur public en terme d’innovation et de créativité des services de transport et de mobilité pour les différentes catégories de populations.
De plus, les transports et la mobilité présentent des effets structurants dans le développement économique d’une ville. En effet, plus les populations sont motorisées, plus elles sont mobiles et – corrélativement – plus l’économie est dynamique.
Sur le plan environnemental, l’innovation dans le transport et la mobilité, notamment les usages numériques, participe à la lutte contre la consommation d’énergie, à la réduction des coûts de la mobilité, et la lutte contre la pollution atmosphérique. L’hybridation entre le numérique et les services de transport favorise donc une certaine sobriété énergique dans la mobilité.
Les enjeux sociétaux concernent, d’une part, l’émergence d’une nouvelle forme d’urbanité, de sociabilité à distance avec notamment les communications à distance à la place de la mobilité physique et d’autre part, les nouveaux comportements liés aux usages d’équipements de passe-temps en plein voyage, l’usage de nouveaux modes de transport « smart », économiques et conviviaux (système de covoiturage – même si encore informel, location de voiture en groupe, etc.).
Nous estimons finalement que les services, les usagers, les équipements-infrastructures définissent le système de transport pour la mobilité des différentes catégories de population dans les villes africaines. Ce système de transport, au regard de ses différentes ambiguïtés, nécessite une maîtrise de la part des pouvoirs publics, en répondant mieux aux attentes variées des populations.
Par ailleurs, moyens de création d’emplois, de la richesse, de rapprochement entre les populations, le système de transport est consubstantiel au développement économique. Face au défi de la modernité, à la volonté de créer une cohésion sociale entre les différentes classes sociales, à l’ambition de favoriser une équité territoriale, l’innovation dans le transport et la mobilité, notamment l’émergence des mobiliers urbains « smarts » et des usages numériques, redonne une nouvelle lecture à la planification urbaine, en accordant par exemple un périmètre de « Providence » aux usagers à mobilité réduite (handicapées, les personnes âgées), en désenclavant les territoires « périphériques » des zones urbaines.
En définitive, révélatrice des disfonctionnements urbains, la question des mobilités et des transports est centrale en Afrique et sa maîtrise est présentée comme une alternative efficiente dans une perspective de développement durable des villes.