Gamal Abdel Nasser: l’expérience du socialisme arabe et l’émergence du Tiers Monde

L’expérience du socialisme arabe

Dés son arrivée au pouvoir, Nasser donne un immense coup de barre à gauche qui tranche avec  la monarchie aristocratique de Farouk. Le premier chantier vise l’agriculture, domaine d’autant plus symbolique dans un pays qui a toujours vécu au rythme du Nil et de ses crues. La réforme agraire commence par une loi qui limite drastiquement la taille des propriétés agricoles. Une politique de redistribution des terres entend briser le féodalisme : les grands propriétaires terriens qui avaient longtemps dominé le pays sont contraints de céder une partie de leurs domaines à ceux qui la travaillent, d’autres seront expropriés en totalité, et des centaines de milliers d’hectares passent sous le contrôle direct des paysans qui deviennent ainsi les plus grands partisans du régime.

Après les féodaux à la campagne, Nasser s’attaque à la bourgeoisie liée à l’ancien régime dans les grandes villes. La démocratisation de l’éducation à travers l’établissement de la gratuité de l’enseignement ouvre les portes des écoles et des universités à toute une génération. De plus, l’accès à l’administration et à l’armée est facilité pour les fils des classes moyennes et populaires qui s’identifient au  parcours exemplaire de Nasser et de ce que l’Académie Militaire lui a ouvert comme horizon.  Les banques et les grandes entreprises du service public seront également nationalisées. Les discours du président, dans lesquels il se présente comme un fils du peuple et où il condamne les « féodaux » et les « capitalistes » sont suivis avec ferveur par des foules immenses qui veulent partager le rêve socialiste de Nasser. Tout cet espoir d’un pays moderne et plus égalitaire est cristallisé dans le projet du Haut Barrage d’Assouan, qui doit bénéficier aussi bien à l’agriculture (en contrôlant les eaux du Nil)  qu’à l’industrie et à l’électrification de l’ensemble du pays.

Mais rapidement, l’Etat socialiste manque cruellement de moyens et se trouve limité dans ses ambitions. Les Etats Unis, auxquels s’adresse Nasser en priorité et qu’il respecte pour leur hostilité historique au colonialisme, finissent par lui tourner le dos. Ils refuseront de vendre des armes à l’Egypte, et feront même pression sur le FMI pour qu’il lui refuse les crédits nécessaires à la construction du barrage d’Assouan. Une seule issue s’offre à lui, mais elle est risquée : nationaliser le Canal de Suez, générateur de rente pour une compagnie anglo-française (et qui devait de toute façon passer sous contrôle Egyptien quelques années plus tard conformément à un traité signé auparavant).  Le 26 juillet 1956, il annonce triomphalement à Alexandrie que « le canal est une propriété de l’Egypte » et qu’au moment même où il parle, ses hommes  prennent le contrôle de la compagnie qui le gère. Cette action, au départ fixée par un agenda et des facteurs purement propres à l’Egypte, va provoquer une crise internationale et projeter Nasser au cœur de l’affrontement mondial entre Est et Ouest…

L’action internationale de Nasser

L’acte audacieux de nationaliser le canal est pour Paris et Londres la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ceux-ci étaient déjà exaspérés par le refus de Nasser de joindre le camp Occidental dans la Guerre froide et par son engagement anticolonialiste, qu’il avait manifesté notamment par sa participation à la Conférence de Bandung en 1955 et par son soutien indéfectible à l’indépendance de l’Algérie. Un accord secret est établi entre les Français, les Britanniques et les Israéliens pour récupérer le Canal et chasser Nasser du pouvoir. La coalition passe à l’action en octobre 1956, soit trois mois après la nationalisation. Malgré la défaite militaire et les bombardements qui accompagnent l’invasion de l’Egypte, la crise de Suez se transforme finalement en victoire politique grâce à la convergence inédite des Etats Unis et de l’Union Soviétique et des pressions que les Deux Grands exercent sur Paris et Londres.

L’aura de Nasser dans le monde arabe et dans le Tiers-Monde est immense, et sa stature lui donnera l’opportunité de développer le mouvement des non alignés, avec Tito, Nehru, Zhou Enlai, et tous ceux qui se reconnaissent dans des valeurs anti-impérialistes et refusent d’être instrumentalisés dans des luttes idéologiques de domination.

La politique étrangère de Nasser intervient sur trois niveaux : arabe, tout d’abord, où l’idéologie nassérienne connait de plus en plus de succès et qui vise à unifier l’ensemble des pays de culture arabe dans un ensemble dans lequel l’Egypte jouerait un rôle central. La cause palestinienne constitue le combat symbolique duquel dépendrait l’issue de ce projet, puisque qu’Israël est la principale menace régionale et l’obstacle géographique entre l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Africain ensuite, terrain de prédilection du colonialisme, où l’Egypte s’engage aux cotés des peuples luttant pour leur indépendance, l’opposition à l’impérialisme et au racisme ainsi que le projet de modernisation devant être les piliers de l’intégration afro-arabe. Et mondial enfin, dans un contexte de Guerre Froide, où Nasser est un l’un des fondateurs du mouvement des Non-alignés et une figure de premier plan du Tiers monde.

Néanmoins, cette politique étrangère audacieuse finira par se retourner contre Nasser puisqu’elle suscitera contre son régime de plus en plus d’hostilité. L’armée Egyptienne s’enlise au Yémen, où elle s’était impliquée dans les affaires du pays de manière trop forte. De même, la Syrie refuse l’action hégémonique du Caire sur ses affaires, et un projet d’unification des deux pays finira par échouer. Il semble que les idéaux panarabes de fraternité et d’union séduisent moins les foules. La Cause Palestinienne finira par avoir raison du rêve Nassérien, et l’humiliante défaite de juin 1967 durant laquelle l’armée  Egyptienne s’écroule face aux Israéliens sonne le glas des grandes réformes modernisatrices de la Révolution.

L’héritage de Nasser

Au lendemain de la défaite, Nasser annonce sa démission à la radio et dit assumer la responsabilité du désastre. Mais des millions d’Egyptiens envahissent immédiatement et spontanément les rues et refusent que leur président soit une victime supplémentaire de cette guerre. Profondément touché par ce geste,  Nasser finira par revenir sur sa décision, et promet de mettre les bouchées doubles pour laver l’affront. L’Egypte s’engage alors dans une longue guerre d’usure autour du Canal, et continue malgré tout de militer pour les principes anti-impérialistes.

Sur le plan intérieur, les échecs paraissent de plus en plus au grand jour, d’autant plus que le Canal est fermé et ne génère plus de revenus. La nouvelle génération connait des difficultés à s’intégrer au marché du travail, la pression démographique accentuant ses problèmes. Certains commencent à dénoncer l’autoritarisme de Nasser, et l’émergence d’une nouvelle classe autour de lui (officiers, hauts fonctionnaires, etc.) qui aurait remplacé la cour de Farouk.  Parallèlement, La répression qui s’était abattue sur les Frères Musulmans dés les années 1950, après qu’un de leurs membres ait tenté d’assassiner le président s’accentue, la torture et les condamnations à mort étant souvent pratiquées.

Sur le plan idéologique, l’expansion du Nassérisme s’essouffle : le socialisme arabe et le panarabisme étant directement liés au prestige personnel de Nasser, sa défaite en 1967 détourne les masses des idées qu’il promeut. Même si le personnage de Nasser continue de fasciner,  tout le monde est conscient que plus rien ne sera plus comme avant. Il y aura indéniablement eu un avant et un après juin 1967.

Les problèmes de santé du président, liés à son rythme de vie insoutenable (il lui arrivait de travailler plus de 18 heures par jour et il fumait cinq paquets de cigarettes quotidiennement), auront finalement raison de son volontarisme. Il s’effondre le 28 septembre 1970 à la suite d’une crise cardiaque, quelques heures après une conférence épuisante dans laquelle il s’était efforcé d’établir un accord de paix entre les combattants palestiniens et le roi de Jordanie. Les funérailles du président attireront plus de cinq millions de personnes venus manifester leur dernier adieu au « père de la Révolution ».

Reste à répondre à notre question introductive : qu’aurait pensé Nasser des événements qui secouent aujourd’hui l’Egypte ? En tant que révolutionnaire soucieux des intérêts du peuple, il se serait sans aucun doute reconnu dans les grands idéaux animant le mouvement : liberté, justice sociale, indépendance, autant de principes qu’il avait défendus dès sa jeunesse. Il se serait élevé contre l’alignement de la politique étrangère de l’Egypte sur celle des Etats Unis et de son rapprochement indélicat avec Israël. Il aurait rejeté la libéralisation de l’économie qui a enrichi un petit nombre et laissé des millions de personnes en proie au chômage, à la misère et à l’inflation. Il aurait également rejeté le faste et la corruption du régime, lui qui a toujours vécu dans la même maison modeste en banlieue du Caire avec ses cinq enfants. Il aurait manifestement été fier de cette nouvelle génération soucieuse de changer les choses et de ne pas se résigner à l’injustice. Et il aurait espéré que le peuple et l’armée, les deux choses qu’il avait toujours servies, puissent engager le pays dans un nouveau départ, et donner un second souffle à « sa » révolution.

Nacim Kaid Slimane

Gamal Abdel Nasser et le mouvement des Officiers Libres

A l’aube d’une révolution : un parallèle entre 1952 et 2011

A l’heure à laquelle un vent de contestation sans précédent souffle sur l’Afrique du Nord, suscitant partout dans le monde une réaction de stupeur, d’espoir, mais aussi de crainte pour l’avenir, il convient plus que jamais de se remémorer de l’adage « lorsque tu ne sais pas ou tu vas, n’oublie pas d’où tu viens ». En Egypte, la révolte qui secoue aujourd’hui le pays est paradoxale. Elle se pose en rupture du régime militaire en vigueur depuis presque 60 ans en Egypte, tout en se réclamant des idéaux de la Révolution de 1952, qui avait renversé la monarchie et fait entrer le pays dans une nouvelle ère. Le contexte est d’ailleurs étrangement similaire à celui qui prévalait alors. Un souverain impopulaire, se laissait alors dicter sa politique par des Etrangers, et en profitait pour s’enrichir au passage avec les membres de sa cour, tout en menant un train de vie insoutenable dans une société inégalitaire, corrompue, et qui semble inconsciente des dangers qui pèsent sur son avenir. De violentes émeutes avaient secoué le pays en janvier. Comme en 1952, l’Egypte semble aujourd’hui être une étape en retard sur les dynamiques qui ont secoué le monde, perpétuant un régime issu d’un autre âge tout en générant les mêmes aspirations que dans d’autres parties du monde. Elle s’est laissée enfermer dans une sorte de coma politique, bouchant toutes les soupapes de sécurité qui auraient permis d’éviter l’explosion sociale actuelle.

Il serait intéressant d’imaginer ce qu’aurait été la réaction de Gamal Abdel Nasser, père de l’Egypte contemporaine, face aux événements qui secouent aujourd’hui son  pays. Adulé comme une icône de son vivant, Nasser n’est pas seulement le fondateur de la République Egyptienne, qui a renversé la monarchie, libéré le pays de la domination étrangère et redonné sa dignité à tout un peuple. Il est aussi une figure de référence pour tous les mouvements révolutionnaires des continents africain et asiatique,  un leader du mouvement des non alignés, ainsi qu’un personnage de premier plan dans les relations internationales au XXème siècle.

L’irrésistible ascension « d’un fils du peuple »

Gamal Abdel Nasser est né à Alexandrie en 1918, où son père est fonctionnaire des postes. Il est scolarisé au Caire, ville en pleine ébullition politique. En effet, l’indépendance accordée à l’Egypte en 1922, apparait de plus en plus comme purement formelle. La fragile monarchie qui a été établie après des siècles de domination ottomane et un protectorat de 40 ans, reste la victime de l’ingérence constante des Britanniques. Nasser s’engage très tôt en tant que militant nationaliste et est même blessé au cours d’une manifestation à l’âge de 16 ans. Il consacre une grande partie de son temps à la lecture, sa pensée étant influencée autant par la culture arabo-islamique que par des références européennes. Il admire en particulier les grands stratèges politico-militaires, comme Alexandre le Grand, Napoléon ou Garibaldi, et se renseigne sur les grandes personnalités de son époque comme Churchill, Hitler ou Gandhi.

Refoulé à l’académie de police et à l’académie militaire en raison de ses origines modestes, Nasser sera l’un des premiers à bénéficier d’une réforme politique qui va changer sa vie. Un nouveau gouvernement issu du parti nationaliste Wafd décide d’autoriser l’accès à la carrière d’officier aux fils de la classe moyenne, jusque la réservée à de grandes familles qui dominaient également l’administration et les professions libérales. Nasser renouvelle sa candidature à l’Académie Royale Militaire, et y est finalement admis en mars 1937. Il en sortira avec le grade de sous lieutenant, et est affectée dans le sud du pays, prés d’Assiout.

C’est  à cette période qu’il rencontre ceux qui seront ses compagnons de route, notamment Anouar el-Sadate, officier issu comme lui d’un milieu modeste. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, l’Afrique du Nord devient l’un de ses principaux fronts. Arguant de la menace d’une avancée de l’Axe, l’Armée britannique se redéploie en Egypte et n’hésite pas à s’ingérer ouvertement dans les affaires du pays. Un incident en particulier choque Nasser, tout comme l’opinion publique Egyptienne : en 1942, l’Ambassadeur britannique au Caire marche sur le palais royal à la tête d’un bataillon et « ordonne » au Roi Farouk de destituer son Premier Ministre (en l’accusant de sympathies pronazies), pour exiger son remplacement par un homme davantage pro-anglais.

Alors que son ami Sadate œuvre au coté de l’Axe et fini par être emprisonné par les Anglais, Nasser attendra une autre guerre pour s’engager. Le premier conflit israélo-arabe éclate en 1948, et l’intervention de l’Armée égyptienne en Palestine connait de grandes difficultés. Le 6éme bataillon d’infanterie, dans lequel est mobilisé le jeune officier, se retrouve encerclé par les Israéliens dans la zone de Falluja, à une trentaine de kilomètres de Gaza.  Blessé, il résistera  courageusement avec quelques 4000 hommes pendant plusieurs mois, et n’évacuera la zone qu’a la fin du conflit, une fois l’armistice signé. Mais si cette action lui donne un statut de héros, elle ne suffit pas à éviter la déroute de l’armée Egyptienne, mal équipée, mal préparée et mal coordonnée.  L’armistice est perçu comme une humiliation, d’autant plus insupportable que le Roi et son entourage  auraient profité du conflit pour s’enrichir en trafiquant sur les provisions destinées à l’armée. A l’instar de la France en 1870, la Russie en 1917 ou de l’Allemagne en 1918, les échecs militaires catalysent le changement politique en discréditant complètement le régime en place et en mettant en avant la nécessité d’une réforme radicale.  C’est dans ce contexte que se constitue le mouvement des Officiers Libres, dont Nasser est le fondateur et principal animateur.

Les Officiers Libres et la Révolution du 23 juillet 1952

 

Le réseau des officiers libres, clandestin, regroupe quelques dizaines de jeunes officiers autour de Nasser, qui est le seul à en connaitre tous les membres et leur place dans l’organisation. Cette dernière est pourtant rigoureusement structurée en cinq comités spécialisés qui regroupent des officiers issus de différentes milieux et de diverses tendances, tous désireux de restaurer le prestige de l’armée et d’enclencher une profonde dynamique de réforme politique, sociale et économique. Nasser réussit même à convaincre un haut-gradé respecté et populaire, le Général Neguib, qui apporte une légitimité et une expérience décisive à un mouvement dans lequel la moyenne d’âge ne dépasse pas 35 ans.

Alors que le réseau était resté très discret pendant plusieurs années, il décide de passer à l’action prématurément dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, estimant par ailleurs que le contexte est favorable à un changement politique. L’opération est lancée à dix heures du soir, aboutissant à l’arrestation du chef d’Etat major, au contrôle de l’essentiel de l’appareil militaire et des principaux points stratégiques de la capitale, en particulier de la radio. Le lendemain, la prise de pouvoir des officiers libres est saluée, aussi bien en Egypte qu’à l’étranger, même si leur identité reste très floue et leurs intentions largement méconnues. Néanmoins, le seul  fait d’avoir renversé le Roi Farouk, corrompu et impopulaire, apparait comme un succès en soi.

Dans la foulée, une réforme agraire est annoncée, suscitant d’immenses espoirs parmi la classe paysanne. Les Officiers Libres placent le général Neguib au poste de président et Nasser à celui de  ministre de l’intérieur. Néanmoins, on observe un certain flottement, car ils ne semblent pas savoir exactement quoi faire du pouvoir, ni de leur alliance encombrante avec les Frères Musulmans. Et que faire de l’ancien Roi ? Sa vie sera finalement épargnée, et il sera conduit en exil sur son yacht vers l’Europe.

Après deux ans de « transition » entre l’ancien régime et la nouvelle république, Nasser finit par écarter le président et mettre en place un système de parti unique. En novembre 1954, Gamal Abdel Nasser est le seul maitre de l’Etat et engage des réformes politiques qui marqueront en profondeur l’Egypte et  la scène internationale. La Révolution Nassérienne est en marche… (à suivre)

Nacim Kaid-Slimane

Révolution du Jasmin en Tunisie : la révolte de tous les espoirs

La Tunisie vit aujourd’hui un tournant décisif dans son Histoire. Ce pays longtemps réputé comme l’un des plus stables du monde Arabe, n’a été dirigé que par deux présidents de la République en l’espace de 55 ans, avant de voir se succéder deux présidents par intérim en l’espace de 24 heures…

Ce changement est d’autant plus surprenant du fait de la rapidité avec laquelle les événements se sont succédés, conduisant un dictateur solidement établi depuis 23 ans à quitter le pouvoir d’une manière aussi précipité, et contredisant les analyses de bien des observateurs qui ne considéraient les événements que comme une révolte passagère.

Il est vrai que la tentative de suicide de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant à Sidi Bouzid, a suscité un vif émoi dans sa ville, dans sa région, puis à l’échelle national et internationale. Mais ce qui aurait pu être considéré comme un tragique mais somme toute banal « fait-divers » s’est transformé en l’étincelle d’un vaste mouvement de protestations qui a fini par emporter le régime de Ben Ali.

La révolution du Jasmin, comme il convient de l’appeler désormais, soulève deux questions majeures : pourquoi la Tunisie ? Et pourquoi aujourd’hui ?

La Tunisie constitue, à bien des égards, une exception dans la région et dans le monde. En Afrique, il a longtemps été considéré comme l’élève modèle en matière de développement, reconnu et salué en raison de ses excellentes performances en matière d’éducation et de croissance économique. Dans le monde arabe, il fait figure de seul pays véritablement laïque et relativement épargné par l’extrémisme religieux et par le terrorisme.

Il apparait aujourd’hui que cette façade n’a pas réussi à cacher l’autre face du « miracle tunisien » : régime autoritaire particulièrement violent, corruption répandu à tous les niveaux, profondes inégalités sociales et régionales (entre le littoral en plein boom et l’arrière pays rural et exclu), et surtout une violation massive et prolongée des libertés fondamentales, y compris dans la vie privée.

Nature des evennements et ampleur de la répréssion : Le Monde Diplomatique publie un reportage d’un journaliste en pleine immersion dans la Tunisie en révolution (http://blog.mondediplo.net/2011-01-19-La-semaine-qui-a-fait-tomber-Ben-Ali ), soulignant le rôle de la répression qui a discrédité le régime et catalysé un mouvement d’abord spontané mais de plus en plus politisé.

Role des médias : Les médias étrangers ont également été déterminants, en servant de relais et de tribune aux acteurs du mouvement. En particulier, Facebook et Al Jazeera peuvent être considérés comme des éléments révolutionnaires de premier plan, de même que Wikileaks a confirmé les rumeurs de corruption et mainmise du clan Trabelsi  sur l’économie du pays, faisant ainsi de la Tunisie le premier théâtre d’une « Révolution 2.0 » : http://english.aljazeera.net/indepth/opinion/2011/01/2011116142317498666.html

Causes profondes du mouvement : le chômage des jeunes diplômés a indéniablement été le premier motif de mécontentement évoqué par la foule. Ce problème endémique du pays (comme le montre une étude très complète sur le sujet accessible sur http://www.leaders.com.tn/uploads/FCK_files/file/diplomes.pdf), s’est posé avec d’autant plus d’acuité en raison de la crise économique actuelle qui n’a pas épargné le pays et qui a remis en cause le « pacte à la chinoise » libertés contre croissance économique, jusque la garant de la stabilité de la Tunisie.

Principales revendications : L’incapacité de l’Etat Tunisien à répondre à ce défi et la gestion catastrophique de la révolte des « chômeurs-diplômés » a débouché sur une contestation du système dans son ensemble, faisant passer des revendications politiques au premier plan.

Ainsi, la situation alarmante des droits de l’Homme dans le pays, comme en atteste le rapport de Human Rights Watch (http://www.hrw.org/fr/node/87788), ainsi que la liberté d’expression sont passés au premier plan des protestations (la Tunisie étant classé au 154eme rang mondial sur 175 dans ce domaine par Reporters sans Frontière).

Défis de la Revolution : La Révolution du Jasmin a suscité de nombreux espoirs, non seulement en Tunisie et au sein de la diaspora Tunisienne, mais aussi en Afrique et dans le monde arabe ou le renversement d’un régime autoritaire par un mouvement populaire apparait comme une option à portée de main. Le pays est aujourd’hui confronté à d’importants défis, que l’Express analyse dans l’article http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/la-tunisie-a-fait-sa-revolution-et-apres_953980.html.

Même si à l’heure actuelle, personne ne peut prédire l’évolution de la Tunisie dans un avenir proche, l’éclairage de Souhayr Belhassen, militante tunisienne et présidente de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme,  apporte une vision intéressante sur les principales énigmes du changement en Tunisie, en particulier sur le risque de détournement de la Révolution et le devenir de l’ancien parti unique, du rôle de l’armée et des principaux acteurs de la nouvelle Tunisie, ou encore sur le risque de contagion du mouvement à d’autres pays. http://www.lemonde.fr/afrique/chat/2011/01/17/ou-va-la-tunisie_1466411_3212.html

Nacim Kaid Slimane

Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés au sous-développement? (3ème et dernière partie)

Les clés pour relever le défi du développement

Si, dans le débat sur l’origine des inégalités de développement, vous avez choisis l’hypothèse optimiste (et en tant qu’Africains, peut on réellement opter pour l’alternative et abattre définitivement notre espoir dans l’avenir ? ), il reste une dernière interrogation importante à considérer : comment peut on tirer les leçons de nos échecs passés afin de mieux relever le défi du développement à l’avenir ?

Premièrement, il est nécessaire de poursuivre les politiques d’ouverture économique de manière raisonnable, en favorisant les échanges intra-africains et les partenariats régionaux. Jusqu’à présent, 60% du commerce sur le contient se fait avec des pays non Africains, alors que partout ailleurs, l’intégration régionale semble être une priorité (UE en Europe, Alena et Mercosur en Amérique, CCG au Moyen Orient, etc.). Malgré ses retards et ses déceptions, le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) doit être soutenu et animé d’un nouveau souffle au delà des divergences politiques que peuvent afficher ses membres. Continue reading « Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés au sous-développement? (3ème et dernière partie) »

Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés sous-développement? (2ème partie)

Les causes des inégalités de développement : l’hypothèse optimiste et l’hypothèse fataliste

Dans le débat sur l’origine des retards de développement observées, deux écoles s’affrontent, chacune faisant prévaloir ses arguments et aboutissant à des prédictions diamétralement opposés pour le futur. Pour les tenants de l’hypothèse dite « pessimiste », l’Afrique a été, dés le départ, handicapée par des conditions peu favorables à une croissance durable et forte. Climat, géographie, histoire, tous les facteurs serraient réunies pour nuire à une bonne performance économique et sociale. Le fondateur de l’économie moderne, Adam Smith, soutenait déjà au XVIIIéme siècle, que l’Afrique n’était pas réellement adapté à l’implantation d’un processus de croissance, principalement en raison des maladies qui y sévissent (en particulier la malaria), et de « l’enclavement » de beaucoup de ses régions (les rares fleuves qui la traversent n’étant pas reliés entre eux, et le terrain étant très souvent difficile aux transports, ce qui nuit au commerce). Encore aujourd’hui, l’hypothèse déterministe, qui condamne l’Afrique à un destin de misère, reste souvent mise en avant, avec pour maitre à penser actuel le célèbre économiste Américain Jeffrey Sachs. Continue reading « Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés sous-développement? (2ème partie) »

Un bilan de la mondialisation en Afrique: Sommes-nous condamnés au sous-développement? (1ère partie)

La fin de l’année est souvent une période propice pour dresser des bilans et prendre de bonnes résolutions, en prenant en considération ses faiblesses et ses fautes pour ne pas les répéter. Au delà d’un passage à une nouvelle année, les fins de décennies ont, par une étrange coïncidence de l’histoire, plus tendance à constituer des ruptures que d’autres. 2009 n’aura pas échappée à cette règle, puisqu’elle sembler clôturer un cycle qui a été entamée avec le mémorable Millenium il y’a de cela dix ans. Si 1929 a ébranlé la foi dans un progrès et une croissance illimitée, si 1939 a mis fin aux espoirs pacifistes d’une sécurité bâtie sur le dialogue et non plus sur la force, et si 1989 a indéniablement introduit une nouvelle donne dans les affaires du monde, 2009 aura également constitué, à sa manière, une année charnière dans l’histoire universelle. Continue reading « Un bilan de la mondialisation en Afrique: Sommes-nous condamnés au sous-développement? (1ère partie) »