Aperçu des télécommunications en Afrique

ihub-Nairobi-4-e1454490094336Cet article est le premier d’une série sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) en Afrique. Il vise à dresser un panorama général des télécommunications en Afrique, permettant de mieux comprendre l’environnement dans lequel s’inscrivent les problématiques abordées dans les articles à venir. 

Les TIC, auparavant aussi appelées Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communications (NTIC) ou en anglais, Information Technologies tout court, n’ont pas de définition universellement reconnue. Elles sont généralement comprises comme un ensemble de technologies permettant le traitement et le transfert de l’information. En 2006, l’OCDE définit le secteur des TIC comme celui dont les entreprises ont comme principales activités le traitement et la communication de l’information de manière électronique, y compris sa transmission et son affichage[1]. Plus récemment, dans son rapport sur le développement dans le monde 2016, intitulé « Les dividendes du numérique », la Banque mondiale définit les technologies numériques comme « internet, les téléphones mobiles et tous les autres outils servant à recueillir, stocker, analyser et partager des informations sous une forme numérique » [2]

Les technologies qui seront principalement abordées dans cette série seront donc celles qui répondent à cette définition, en particulier la téléphonie fixe et mobile ainsi qu’internet, et les services qui y sont liés.  

Téléphonie fixe

Sans surprise, la téléphonie fixe est marginale dans le paysage des télécommunications en Afrique subsaharienne. Les lignes fixes sont souvent considérées comme s’appuyant sur des infrastructures obsolètes, issues des anciennes entreprises nationales gérant les télécommunications, et couteuses à entretenir et donc souvent en mauvais état. Ces dernières années, ces entreprises ont plutôt concentré leurs investissements dans le développement des réseaux mobiles, considérés comme plus prometteurs.

Par conséquent, la téléphonie fixe a rapidement été dépassée par la téléphonie mobile : Il y avait en 2015 50 fois plus de connexions par téléphones portables que par fixes, avec un taux de pénétration des lignes fixes inférieur à 1%, le plus bas au monde[3]. La Banque Mondiale elle, constate une augmentation constante des abonnés africains à une ligne fixe jusque 2009 (1,57%), avant une légère baisse pour atteindre 1,11% en 2014[4]. La téléphonie fixe, pourtant révolutionnaire dans les pays occidentaux à sa naissance, semble donc bel et bien dépassée par des technologies apparaissant comme plus riches en termes de possibilités offertes.

Internet

Parmi les technologies plus attractives, l’internet qui est pourtant vu comme un levier de développement essentiel, est néanmoins un des domaines dans lequel le continent africain apparaît comme le plus en retard. En améliorant l’accès à l’information et en baissant son coût, il permet par exemple à des agents économiques jusque-là isolés ou du moins limités géographiquement, d’avoir accès à de nouveaux marchés, par exemple avec des services de eCommerce et de mAgri. Alors que 80% de la population des pays développés est connectée à internet, et 40% de la population mondiale, en 2014, ils ne seraient que 19,2 % en Afrique subsaharienne selon la Banque Mondiale[5]. L’Internet Society précise dans un rapport publié en 2015 que ce chiffre cache des disparités importantes, certains pays comme le Maroc observent un taux de 50% tandis que d’autres avoisinent les 2%, la moyenne étant à 10%[6].

La difficulté d’accès à internet s’explique par une bande passante insuffisante et couteuse : pour une même quantité, elle couterait 30 à 40 fois plus chère en Afrique qu’aux États-Unis et représenterait une part beaucoup plus importante des revenus annuels par habitant (800% en Afrique contre 15% aux États-Unis), avec d’importantes variations régionales[7]. Les pays enclavés rencontrent plus de difficultés que ceux qui bénéficient directement des câbles sous-marins, et les zones rurales sont également bien moins connectées que les centres urbains, qui regroupent un cinquième de la fibre terrestre.

Face à ces difficultés, des projets de « backbones », des réseaux terrestres permettant de relier les câbles sous-marins aux zones enclavées, sont en cours mais doivent faire face à des défis géographiques et financiers. Le développement des câbles sous-marins a tout de même contribué à l’augmentation de la bande passante en Afrique, multipliée par 20 entre 2009 et 2014 ; elle a ainsi permis de connecter 176 millions de personnes en plus à l’internet[8]. Néanmoins, la prépondérance du téléphone portable en Afrique, et les services mobiles qui y sont liés, donnent une place particulière aux données: en 2015, 90% des connexions internet du continent se faisaient par l’internet mobile[9].

Abonnés mobiles

Le GSMA recense en 2015, 557 millions d’abonnés mobiles en Afrique, ce qui représente un taux de pénétration de 46% ; il prévoit qu’ils seront 725 millions en 2020[10]. Malgré le fait que ces chiffres font de l’Afrique la deuxième région avec le plus grand nombre d’abonnés uniques derrière l’Asie, elle reste la moins connectée, avec un taux de pénétration bien en dessous de la moyenne mondiale de 63%. Et elle devrait toujours l’être en 2020, avec un taux de 54%[11]. Parmi les obstacles au développement des services mobiles, l’on peut évoquer le coût, les dépenses liées au mobile représentant une part importante du revenu ; des couvertures variables par les réseaux mobiles, notamment 3G et 4G ; et enfin une faible culture technologique des populations. 

L’Afrique est néanmoins le continent avec la plus grosse croissance en nombre d’abonnés, avec une croissance moyenne de 11% les dernières années mais qui devrait ralentir à 6% entre 2015 et 2020, mais toujours au-dessus de la moyenne mondiale de 4%. 8 pays possèdent à eux seuls 55% des abonnés, à savoir le Nigeria (15%), l’Egypte (10%), l’Afrique du Sud (7%), l’Ethiopie (6%), l’Algérie et le Kenya (5%) et la Tanzanie et la RDC (4%)[12].  La Banque mondiale, qui prend en compte le nombre de personnes ayant accès à un téléphone portable, constate, elle, un taux de pénétration de 73% du mobile dans les pays d’Afrique subsaharienne.

Le développement de la data

D’un point de vue plus qualitatif, l’on constate une évolution vers des réseaux dits de 3ème génération et 4ème génération (3G et 4G), chaque « génération » permettant des débits de transmission plus rapides. 28 pays possèdent déjà des réseaux 4G, avec des lancements récents en Tunisie, au Burundi, au Liberia, au Nigeria, au Soudan, en Tanzanie et en Ouganda. D’ici 2020, ils devraient être 50 pays à la proposer. Cette évolution vers ces réseaux plus rapides contribue au développement de nouveaux services mobiles, notamment basés sur l’utilisation de smartphones mais pas uniquement. Le prix de ceux-ci reste prohibitif pour de nombreux utilisateurs africains : vendus en moyenne à 230$ en 2012, ce prix est descendu à 160$ en 2015, tandis que des smartphones à moins de 50$ commencent à apparaître.

Les opérateurs cherchent à tenir compte des réalités économiques mais aussi des attentes de leurs clients en proposant des « kits » alliant téléphone abordable, forfait voix, SMS et données (Orange), ainsi qu’éventuellement des applications supplémentaires – éducatives ou musicales ; ou en adaptant leurs offres, par exemple en offrant gratuitement l’accès à certaines applications populaires comme WhatsApp, Facebook (MTN Rwanda). Cette évolution vers l’internet mobile se manifeste aussi bien dans les flux de données, qui peuvent augmenter de 60% et 75% d’une année sur l’autre, voire d’un trimestre sur l’autre ; que dans les revenus issus de ceux-ci.

Quelle contribution à l’économie ?

Ainsi, les revenus issus de l’industrie mobile en Afrique, représentent aujourd’hui 53,5 milliards de dollars, contre 42 milliards en 2010. Même si les revenus liés à la voix et aux SMS représentent toujours la plus grosse part de l’économie du mobile, c’est l’augmentation des revenus liés aux données qui sont à la base de cette croissance. En effet, les revenus issus de l’internet mobile représentent en moyenne un cinquième des revenus des opérateurs.

Le GSMA distingue les revenus directement issue de l’économie mobile, constitués par les activités des opérateurs téléphoniques, les distributeurs de produits et services mobiles ou encore les fournisseurs de services d’infrastructure ; les revenus indirects liés aux activités engendrées dans d’autres secteurs (achat de matériaux, recours à d’autres services) ; et enfin les gains de productivité permis dans les autres secteurs (communications facilitées, accès à information et nouveaux services via SMS, voix, 3G-4G…). En 2015, le GSMA estime les revenus directs à 50 milliards de dollars, ceux indirects à 12 milliards de dollars, et les gains de productivité à 92 milliards ; additionnés, les revenus issus de l’économie mobile s’élèveraient à 153 milliards de dollars, soit 6,7% du PIB des économies africaines.

En termes d’emplois, entre ceux du secteur même et ceux d’autres secteurs, tirés par la demande de l’économie mobile, le GSMA estime que celle-ci a contribué à créer 1,3 millions d’emplois directs et 2,4 millions indirects.            

Marie Caplain

Cet article a été publié le 09/09/2016.


[1] OCDE, DSTI/ICCP,  Working Party on Indicators for the Information Society , « Information Economy – Sector definition based on the international standard industry classification (ISIC 4) », Mars 2007.  

[2] Banque mondiale. 2016.  « Rapport sur le développement dans le monde 2016 : Les dividendes du numérique. » Abrégé. Washington :  Banque mondiale. Licence : Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO, p.2.

[3]  Douglas Sele, Michael Mudau, « Telecommunications in Sub-Saharan Africa, Fixed & Mobile markets overview », Detecon, 02/05/2016.

[4] Banque Mondiale, Fixed telephone subscriptions (per 100 people), Subsaharan Africa, 1960-2014.

[5] Banque Mondiale, Internet users (per 100 people), Subsaharan Africa, 1990-2014.

[6] Towela Nyirenda-Jere & Tesfaye Biru, « Internet development and Internet governance in Africa », Internet Society, 22/05/2015.

[7] Towela Nyirenda-Jere & Tesfaye Biru, « Internet development and Internet governance in Africa », Internet Society, 22/05/2015.

[8] Hamilton Research, « Africa: Africa’s Terrestrial Transmission Network Reaches 1 Million Kilometres During 2015 », Africa Bandwidth Maps, 11/11/2015.

[9] Towela Nyirenda-Jere & Tesfaye Biru, « Internet development and Internet governance in Africa », Internet Society, 22/05/2015.

[10] GSMA, The Mobile Economy – Africa 2016.

Le GSMA parle « d’abonnés uniques » c’est à dire de personnes possédant une carte SIM ou plus, et non pas le nombre de carte SIM en circulation. L’industrie mobile a tendance à comptabiliser chaque carte SIM ce qui peut fausser les statistiques.

[11] GSMA, The Mobile Economy – Africa 2016.

[12] GSMA, The Mobile Economy – Africa 2016.

L’Afrique et la Data Revolution 

dataCombien de pauvres existe-il vraiment dans le monde ? Savons-nous avec exactitude le nombre de personnes vivant dans les pays en développement ? Quel est le vrai PIB du Nigeria ou du Ghana ? Ces questions élémentaires restent à ce jour sans réponses claires ou précises aussi bien de la part des pays en développement que des organisations internationales et des agences multilatérales travaillant dans le domaine du développement. Cette imprécision dans l’information concernant les pays en développement, notamment ceux d’Afrique, pose un énorme problème, celui de l’efficacité des politiques publiques d’où la nécessité de répondre au problème de manque de données de bonne qualité.

Des appareils statistiques encore « fragiles »…

L’efficacité des politiques publiques passe par une maitrise du problème à régler ainsi que de toutes les facteurs qui déterminent ce problème. Il deveint donc nécessaire de disposer d’informations précises. Mais tel n’est pas le cas dans les pays en développement où l’appareil statistique, le système statistique national composé entre autres de l’Institut National de la Statistique (INS), des ministères sectoriels, de l’État Civil et du système d’enregistrement des statistiques vitales et des faits d’état civil pour ne citer que ceux-là, sont encore défaillants et ne permettent pas une conception et une mise en œuvre efficace ainsi qu’un suivi en temps réel et une évaluation pertinente des politiques publiques et des projets et programmes de développement.

En effet, moins de 10% des pays Africains[1], Maghreb y compris, ont une couverture de l’état civil  (enregistrement des naissances et des décès) dépassant les 90%. La majorité des pays africains n’arrivent pas à produire à temps pour une année N donnée (soit en N+1), les principaux agrégats macroéconomiques tels que les comptes nationaux, les chiffres du commerce extérieur, etc. Les recensements de la population et de l’habitat ne sont pas toujours organisés tous les 10 ans, et quand c’est le cas, les résultats sont disponibles 2 ou 3 ans après.  Tous ces dysfonctionnements s’expliquent par des problèmes structurels liés à l’organisation et à la gestion des systèmes statistiques nationaux et aussi à des problèmes conjoncturels comme l’instabilité politique et ou sécuritaire, etc.

…malgré les efforts nationaux et le soutien international

Si la période 2000-2015 a été favorable au développement de la statistique officielle grâce notamment aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), elle s’est inscrite comme un des piliers essentiels de la période Post 2015 comme le démontre l’objectif 17 des Objectifs de Développement Durable (ODD) qui prennent le relais des OMD pour les 15 prochaines années.

En effet, le premier rapport de suivi des OMD est survenu 5 ans après le lancement du processus. Pour pallier à ce manque, la communauté internationale a décidé de mettre la statistique au cœur de la période post 2015 en faisant d’elle un des objectifs principaux des ODD à travers son objectif 17.18 en continuant d’appuyer des appareils statistiques des pays en développement à travers la mise en œuvre des Stratégies Nationales de Développement de la Statistique (SNDS,) qui se sont généralisées dans tous les pays en développement. Aujourd’hui, plus de 100 pays en développement ont déjà mis en œuvre une SNDS et certains en sont déjà à leur deuxième.

Toutefois, malgré les efforts accomplis, le travail à accomplir reste encore énorme et le temps et les ressources, eux comme d’habitude, reste limités. Cette situation a incité la communauté internationale à appeler une Data Revolution pour pallier au problème de données de bonne qualité et disponible en temps réel.

La Data Revolution : une Evolution plus qu’une Révolution !

La Data Revolution, une expression de plus en plus évoquée dans la communauté du développement international, dans les médias et considérée comme un moyen, sinon le moyen, pour mettre à disposition des décideurs, les statistiques qu’il faut, quand il faut et dans le format adéquat. Mais de quoi s’agit-il réellement ?

En réalité, la data révolution ou révolution des données a déjà commencé. Pour beaucoup, Data Revolution rime surtout avec utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment l’utilisation des téléphones portables, des tablettes, des PDA, etc. dans la collecte et la production des statistiques officielles et d’indicateurs socioéconomiques.  Ceci n’est pas une pratique nouvelle en soi : à titre d’exemple, le dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) en 2013 du Sénégal a été réalisé à l’aide de PDA. Grace à ce procédé, les résultats ont été publiés quelques mois après la fin de l’opération, contraire à 2002 où les résultats n’ont été finalisés que 3 ou 4 ans plus tard. En Afrique de l’Est, UN Global Pulse,  UN World Food Programme (WFP), l’Université Catholique de Louvain et Real Impact Analytics grâce à des données extraites de l’achat de crédits de communication (ou « top-up ») et de l’activité de téléphonie mobile dans un pays d’Afrique de l’Est, ont estimé l’état de la sécurité alimentaire du pays[2].

Au-delà de l’utilisation des technologies, c’est surtout une évolution dans l’organisation et la gestion des institutions, ainsi que dans la planification de la production statistique qui est visée avec la Data Revolution. En effet, les nouveaux défis auxquels font face les États demandent de penser autrement la production des statistiques et de tenir compte des acteurs notamment le secteur privé qui, autrefois, étaient à l’écart du système. Il s’agit par exemple de mettre en place des Partenariats Public-Privé entre les sociétés privés qui disposent de grandes base de microdonnées actualisées, comme les sociétés de téléphonie mobile, et les INS pour la production d’indicateurs socioéconomiques permettant d’informer les décideurs politiques sur le niveau de bien-être des populations comme c’est le cas avec le Projet D4D au Sénégal. C’est aussi considérer l’utilisation de sources de données non traditionnelles comme celles provenant d’internet, des réseaux sociaux, des emails et aussi l’utilisation des méthodes d’analyse de big data.

Il s’agit aussi de penser à la mise en place de plateforme d’échange pour faciliter la communication et le partage d’information pour coordonner la réponse et l’action humanitaire ainsi que la constitution de réseaux d’experts en prévision de la gestion de crises humanitaires dans les pays à risques comme les petits états insulaires, les états fragiles etc. Également, l’utilisation d’images satellites pour capter l’information disponible dans zones difficilement joignables, ainsi que la mise à disposition des données disponibles auprès des administrations publiques et sans restrictions sont aussi préconisées comme  essentielles à la Data Revolution.

Le projet Informing Data Revolution (IDR) initié par la Fondation Bill et Melinda Gates et réalisé par PARIS21 a permis de répertorier une multitude d’innovations déjà opérationnelles ou en cours de  réalisation dans toutes les régions du monde et qui peuvent être adaptées à d’autres régions du monde comme l’Afrique subsaharienne où la question d’informations fiables se posent avec accuité.

De la nécessité d’assurer les fondamentaux !

La Data Revolution peut apporter beaucoup à la production de statistique officielle dans les pays en développement mais ne réglera pas tous les problèmes de données. Et elle risque d’être encore moins effective si les fondamentaux nécessaires ne sont pas mis en place. En effet, un récent rapport intitulé « Data For Development » produit en 2015 par une large coalition d’experts du développement provenant de SDSN, Open Data Watch, CIESIN, PARIS21, Banque Mondiale, UNESCO a estimé à 1 milliard US$ par an, le montant total nécessaire aux 77 pays à faibles revenus dans le monde pour mettre en place un système statistique capable de leur permettre de suivre et de mesurer les ODD. Aujourd’hui, le soutien à la statistique provenant des bailleurs de fonds s’élève à 300 millions US$ et un effort supplémentaire de 200 millions US$ leur est demandé pour couvrir les besoins supplémentaires des pays en développement dans le cadre des ODD. Le reste de la facture devra être payée par les pays en développement grâce à la mobilisation de ressources internes et des moyens innovants de financement.

Tout partira donc d’un engagement politique fort provenant du plus haut sommet de l’État au service la statistique avec à la clé des moyens importants et surtout financiers. Sans financement adéquat, les INS des pays en développement ne disposeront toujours pas d’un environnement de travail de qualité avec des locaux connectés à internet, d’ordinateurs performants capables d’exécuter des analyses big data, des outils de collectes performants capable d’accélérer la vitesse de la production statistique. Mais surtout, le manque ressources humaines se fera toujours sentir car il faut pouvoir disposer des statisticiens compétents, dont la formation est assez onéreuse, pour accomplir les activités de production de statistiques officielles mais aussi il faudra pouvoir les retenir car la concurrence du secteur privé  et des organisations internationales est de plus en plus rude, ces derniers offrant le plus souvent des rémunérations et des conditions de travail attrayantes sur lesquelles les INS ne peuvent pas toujours s’aligner.

Un autre aspect fondamental est l’amélioration de la coordination entre les membres du système statistique national pour favoriser une meilleure gestion et programmation des activités de production des statistiques officielles ainsi qu’un meilleur partage de l’information. Aussi, une meilleure coordination favorisera une harmonisation des concepts statistiques, des procédures de collecte et un contrôle efficace de la qualité des différentes données produites par les différents acteurs du système statistique national.

C’est seulement quand ces fondamentaux seront mises en place que la Data Revolution aura un véritable impact sur la production des statistiques officielles en Afrique et permettra aux décideurs et utilisateurs de données de disposer des données de qualité, quand il faut et dans le format adéquat.

Pourquoi des données fiables sont-elles nécessaires dans la lutte contre la pauvreté ?

dataLa réduction de la pauvreté et la question du développement socio-économique constituent des enjeux primordiaux. Si aujourd’hui, on s’oriente vers ce qui s’appelle les ODD, en prolongement des OMD, c’est bien parce que les objectifs prévus dans le cadre de ces OMD n’ont pas été atteints. Et pour cause, les politiques et autres actions menées dans ce cadre n’ont pas eu l’impact escompté du fait du manque de visibilité qu’ont les responsables sur leur cible. Il ne s’agit pas là d’une critique aux OMD, ni d’une remise en cause des efforts qui ont été réalisés dans les différents pays avec la mise en œuvre des OMD – les données disponibles nous montrent assez bien que les conditions de vie ont significativement été améliorées pour de nombreuses populations – mais la persistance de la précarité fait ressortir la question de la pertinence de ces programmes ambitieux. En fait, ces programmes (OMD/ODD) offre un diagnostic pertinent et complet de la situation socio-économique du monde et donnent des directives précises pour améliorer ces conditions. L’obstacle réside surtout dans son implémentation et l’information en est la clé. Cette information est primordiale à double titre : d’une part il permet d’orienter les politiques et les actions et permet d’autre part d’en assurer le suivi. Le défaut de cette information, notamment dans les pays en développement, principaux bénéficiaires des ressources financières au titre de l'aide au développement et de lutte contre la pauvreté, serait donc un obstacle majeur dans l’atteinte des objectifs des ODD. L’Overseas Development Institute (ODI) a publié un rapport sur le sujet pour illustrer la nécessité de disposer de données fiables dans la tentative de lutte contre la pauvreté.

Selon ce rapport de l’ODI, les différentes enquêtes menées pour mesurer l’évolution des conditions de vie (enquête ménage) excluent une frange importante de la population. Ce sont ainsi près de 350 millions de personnes qui ne seraient pas couverts par ces enquêtes. Il s’agirait surtout des personnes vivant dans les bidonvilles, qui sont soit inaccessibles ou qui refusent d’être interviewer craignant que ce soit des manœuvres de déguerpissement, des nomades ou des sans-abris, selon l’économiste de la santé, Carr-Hill. S’ils devraient être intégrés dans ces enquêtes, le taux de pauvreté à l’échelle mondiale pourrait s’accroître de 25%.  Des estimations qui pourraient expliquer le contraste entre les chiffres avancés par les institutions en charge de la production de statistiques et la perception qu’ont les populations.

En outre, des biais importants existeraient dans les données utilisées pour faire le suivi des objectifs des OMD. De nombreux pays n’effectuent pas ou effectuent très rarement des enquêtes portant sur les conditions de vie des ménages. Pour ceux ayant une pratique fréquente de cet exercice, l’analyse des données est plus lente et les publications en déphasage avec la réalité courante. En Afrique, c’est seulement 31 pays sur les 53 qui ont fourni de façon régulière des données sur les enquêtes ménage portant sur des années antérieures. Ceci supposerait donc que les données sur la pauvreté en Afrique ne portent que sur des données « vieilles », qui au mieux subissent des travaux d’estimation (qui prennent en compte l’évolution de la conjoncture économique). A titre d’exemple, le chiffre le plus récent sur la pauvreté en Algérie est calculé sur la base d’une enquête de 1995. Dans ce contexte, le renouvellement des enquêtes ou la modification des méthodologies donne lieu à des révisions « extravagantes » des chiffres. A titre d’exemple, le nombre de pauvre (avec le seuil de 1.25 USD par jour) dans le monde est passé de 931 millions en 2005, à 1,4 milliards suite à la prise en compte du taux d’inflation, qui a induit des modifications au niveau du seuil de pauvreté en parité du pouvoir d’achat.  La donnée la plus récente qui porte sur 2011 (1 milliards d’individus) pourrait être ainsi revue à la baisse, avec la révision des prix.

Chacune des dimensions des OMD souffrent de maux similaires – dans l’éducation, dans la santé, etc. Une situation qui a amené l’ODI à identifier des facteurs qui nous sont encore inconnus[1] ou très peu documentés : (i) la population urbaine ; (ii) les actifs détenus dans les comptes offshores et qui échappent aux administrations fiscales ; (iii) le nombre de filles de moins de 18 ans en situation d’union ; (iv) la situation de l’éducation ; (v) le nombre de personnes pauvres dans le monde (avec un focus sur les jeunes et les femmes) ; (vi) les personnes en situation de travail indécent et les enfants en emploi ; (vii) le nombre d’enfants de rue et les sans-abris ;  (viii) la faim dans le monde ; (ix) l’économie informelle et (x) la structure des économies d’Afrique subsaharienne.

On comprend aisément que la mauvaise connaissance des caractères socio-économiques des populations induit une mauvaise mise en place des projets visant à réduire la pauvreté et à promouvoir le développement, notamment au niveau local. Les programmes de transferts d’argent, par exemple, ont besoin d’un ciblage précis pour éviter des problèmes d’aléa moral et de sélection adverse mais aussi pour assurer le suivi des personnes bénéficiaires. La disponibilité de données fiables rend donc facile l’implémentation des programmes de développement.

Face aux objectifs majestueux des ODD, la question demeure et explique certainement pourquoi l’initiative « Data Revolution »[2] afin d’assurer le « […] leaving no one behind » que promeut ces ODD, a été initiée. Pour l’ODI, relever ce défi passera par  3 facteurs principaux :

  • le renforcement des capacités des organes nationales en charge de la production de données statistiques. En effet, selon une enquête de Paris 21 (2015)[3], les instituts nationaux de statistique des pays sous-développés, et africains en particulier, sont très peu développés, disposant de ressources financières et humaines (parfois non adaptées) limitées avec des équipements inadéquats. Dans ce contexte, on imagine mal les pays se mettre à niveau quant aux nouvelles méthodes de collecte et de traitement de données ; l’essentiel du personnel qualifié étant occupé dans la production d'information de premier rang (basiques).
  • l’indépendance statistique. S’il est une chose que de disposer des capacités pour produire de l’informatique statistique fiable, le choix de l’information et sa diffusion peuvent être influencés par des aspects politiques. En effet, l’information est source de pouvoir et donc l’appareil statistique peut être détourné à des fins politiques. A titre d’exemple, en Inde, la question portant sur les castes est exclue du recensement depuis 1931 mais en 2011, pour des raisons politiques, cette question fut introduite parce que les autorités avaient senti le besoin d’identifier les groupes marginaux pour en faire des alliés.
  • la non-ingérence des institutions internationales et des bailleurs.  Ils arrivent assez souvent que des ONG ou des institutions internationaux aient recours à de l’expertise locale pour disposer de données dont ils ont besoin dans leur analyse. Cependant, ils le font au dépend des INS, recrutant comme consultants des personnels des INS, affaiblissant davantage ainsi la capacité de ces dernières. De plus ces enquêtes, qui parfois sont conduits en marge des INS, laissent ces organes sans expérience pratique de gestion d’enquête de sorte que chaque nouvelle enquête appelle à un recommencement perpétuel. Dans certains cas, ces enquêtes absorbent tout l’appareil statistique, de sorte que le personnel n’éprouve plus de réel intérêt à conduire des travaux pour les autorités[4], qui par ailleurs, fondent ses projets sur des estimations faites par des institutions externes.

Si les pays africains, notamment ceux d’Afrique subsaharienne veulent relever le défi de l’émergence et de la réduction (voir l’éradication) de la pauvreté, il est impératif pour eux de disposer d’outils de planification et de suivi de leurs actions qui s’appuient sur des données cohérentes, fiables et produites de façon régulière. La souscription à l’initiative « Data Revolution » peut être considéré comme un pas dans ce sens mais cette problématique doit être autonomisée par les pays africains avec des solutions adaptées aux réalités locales. Les nouvelles technologies de l’information offrent des solutions, qui pourraient sans doute être exploitées. Les statistiques ont souvent été considérées dans de nombreux pays africains comme accessoires, au service des institutions internationales et des ONG, de sorte que la culture statistique y est presque inexistante, se traduisant donc par un système statistique dont la performance est souvent remise en cause. Les défis de l’Afrique, qui se construit et se développe, sont nombreux et variés. Si la question énergétique et des infrastructures est centrale pour valoriser les ressources du continent, celle de la maîtrise de l'information est tout aussi importante pour la planification et le suivi des différentes actions. Il urge donc de replacer l’information chiffrée au cœur de leur stratégie et de permettre à l’appareil statistique d’être un outil pour la gouvernance socio-économique.

Foly Ananou


[1] Il ne s’agit pas, en fait de données non documentées mais dont la précision est discutable – la plupart des informations dont nous disposons sur ces variables étant des estimations provenant d'ONG ou d'institutions internationales, qui ont commandité des enquêtes sur le sujet.

 

[2] Pour en savoir plus : http://www.undatarevolution.org/

 

[3] Paris21 (2015). A road map for a country-led revolution.

 

[4] La rémunération étant plus conséquente avec les bailleurs