Regards croisés sur le FCFA : que faut – il retenir ?

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Lors d’une conférence de presse faisant suite à la réunion des ministres des finances qui s’est tenue à Paris en Octobre 2015, Michel Sapin déclare à propos de la zone CFA[1] : « La France est entièrement ouverte à toutes les discussions. Tous les membres de cette zone monétaire sont libres et indépendants, ils peuvent donc demander à rediscuter les accords monétaires qui les lient avec la France. Rien n’est figé ni tabou ». Cette annonce a d’avantage amplifié la spéculation autour du F CFA soutenue depuis quelques années par la montée en force d’un panafricanisme qui se dit avisé.

            Alors que l’opinion publique s’attendait à l’ouverture du débat sur les mutations des mécanismes de fonctionnement et / ou à une éventuelle sortie des économies africaines de la zone CFA, le comité ministériel lors de sa dernière session de travail – qui s’est tenue à Yaoundé du 8 au 9 Avril dernier – semble affirmer sans ambages que la zone CFA reste un instrument approprié pour les pays membres.  

            Pour rappel, la zone CFA repose depuis plus de 50 ans sur des accords qui définissent d’une part les modalités de la coopération monétaire entre pays africains et, d’autre part sur les modalités de la coopération monétaire avec la  France –  articulés autour de la fixité du F CFA  arrimé d’abord  au franc français puis à l’euro en vertu de l’article 234 alinéa 1 du traité de Maastricht.  

            Grâce à l’originalité de son mécanisme de fonctionnement, cette « construction originale » a à plus d’un titre traversé les décennies en conservant sa convenance et son dynamisme (Noyer, 2012,5). De la sorte, elle a su résister aux évolutions du Système Monétaire International, à la décolonisation, à la globalisation, à la dévaluation, à l’avènement de l’euro qui offrait l’opportunité de mutations profondes et, récemment aux différentes crises financières internationales.

            Bien que la zone CFA relève avec brio le défi de la pérennité, les réalités socioéconomiques de la CEMAC et de l’UEMOA posent de façon permanente la question de la pertinence de la coopération monétaire avec la France et donc de la monnaie unique et des changes fixes.

  1. Avantages théoriques et critiques réelles

            Théoriquement, la monnaie unique et les changes fixes suppriment à la fois les coûts de transaction et l’incertitude liés au taux de change (Ripoll, 2000) ; accroissent la transparence des prix dans les pays suffisamment ouverts (Benassy-Quéré et Coeuré, 2010). En ce sens, ils simplifient les calculs économiques et rendent les transactions internationales moins risquées. En ce sens, ils permettent de réaliser des gains d’efficacité monétaire (Krugman et Obstfeld, 2008).  

            Avec la garantie monétaire, ces conditions sont également supposées favoriser l’afflux des IDE dans les régions Ouest et Centre Africaine. Mais, selon les statistiques financières internationales, la plus grande part des IDE de la France – principal partenaire commercial et financier de la zone CFA – en Afrique est orientée vers le Maroc.

                Néanmoins, les changes fixes restent favorables au commerce et à l’attrait des capitaux extérieurs. Durant la phase initiale de sa mise en place, l’arrimage à l’euro a permis la hausse des recettes d’exportation et des flux de capitaux de plus de 30% et 100% respectivement au Cameroun, en Côte d’ivoire et au Sénégal[2].

            Cependant, la prééminence de la défense du taux de change fixe entre le F CFA et l’euro favorise  la constitution excessive des réserves[3] de change au détriment du financement des économies (Kako Nubukpo, 2015). Aussi, pour les économies permanemment sujettes à des chocs extérieurs, la fixité du taux de change handicape lourdement le processus de l’ajustement alors que la volatilité de la parité euro-dollar – préoccupation mineure pour la BCE à cause de l’importance du commerce intra-zone euro – se répercute intégralement sur la parité du F CFA et contraint le taux de change réel. Zafar (2005) montre qu’en provoquant des appréciations réelles d’environ 8% en zone UEMOA et  7%  en zone CEMAC  entre 1999 et 2004, un euro fort – un F CFA fort – réduit  la  marge de manœuvre de la compétitivité-prix des pays membres.

            Or, la probabilité d’abandonner un régime de change fixe augmente avec l’appréciation du taux de change et le degré d’ouverture des économies. Ce d’autant plus que la perte de compétitivité est l’une des causes principales du déficit du compte courant – plus important pour les pays ayant une stratégie d’ancrage du taux de change (Ghosh et al., 1997). Ceci suggère une influence forte de la compétitivité (Berger et al., 2000) dont le maintien est important pour le développement économique des pays.

            Puisqu’elle ne permet donc pas d’atténuer la vulnérabilité aux effets externes, la zone CFA est loin de garantir et de maintenir la stabilité macroéconomique comme attendu. Tout  au contraire, le F CFA du fait de sa fixité à l’euro permet de transférer les chocs et les fluctuations sur les autres variables macroéconomiques ; Levy-Yeyati et Sturzengger  (2000)  l’associent  à  une volatilité plus élevée[4].

            De ce fait, le taux de change effectif réel, les termes de l’échange et le PIB[5] réel sont en moyenne[6], plus volatiles que dans les autres pays d’Afrique Subsaharienne[7]. En s’arrêtant temps soit peu sur la volatilité trimestrielle du PIB réel en Afrique Sub-saharienne entre 2001 et 2010, on constate que les pays de la zone CFA sont d’environ 1,5 fois plus volatiles que les autres pays d’Afrique Sub-saharienne qui n’ont pas opté pour un taux de change fixe depuis 2001. D’ailleurs, la fixité de change expliquerait environ 14%[8] de cette volatilité.

            Plus encore, grâce à ses principes de convertibilité et de libre transférabilité, la zone CFA favorise les sorties des capitaux financiers indispensables à la construction des économies et s’oppose à la formation de l’épargne intérieure au profit de l’endettement extérieur dont le remboursement contraint les populations (Agbohou, 2013).

            Telles sont les principales critiques à l’égard du F CFA. Mais, la structure même de ces économies et leur fonctionnement sont entre autres autant d’éléments qui obligent à relativiser.

            Il convient alors de souligner que le F CFA – c’est-à-dire la monnaie en elle même – n’a aucune influence sur l’activité économique. Son efficacité dépend de l’usage qu’on en fait et donc de sa gestion. C’est d’ailleurs pour cela que le choix d’un régime de change dépend essentiellement des conditions socio économiques et des nécessités des économies ; les principales nécessités étant relatives à la solidarité et à la crédibilité.

  1. Le F CFA n’est pas l’alpha et l’oméga du développement économique des pays

            Les développements récents de la théorie des zones monétaires privilégient une analyse en termes  d'économie politique et mettent l'accent sur l’importance de la crédibilité de la politique monétaire. Le F CFA confert aux pays qui l’ont adopté une crédibilité internationale du fait de son lien fort avec l’euro et, le plus grand bénéfice lié à l'appartenance à la zone est la rigueur et la discipline qui découlent des engagements institutionnels pris au niveau supranational (Alésina et Barro, 2002). Elles permettent de lutter efficacement contre l’inflation dont la maitrise est un atout dans le contexte des économies à faible niveau de revenu. A cet effet, la permanence de la zone CFA et la relative stabilité qu’elle autorise contrastent avec l'instabilité économique et politique de l'ensemble du continent africain.

            En instituant un ensemble de règles communes, la zone CFA est aussi un catalyseur de la solidarité entre pays. Cette solidarité est vue comme une condition nécessaire et suffisante de l’optimalité de la zone, en tant qu’elle constitue la finalité d’une union monétaire (Ondo Ossa, 2000). Par solidarité, il faut entendre l’aptitude d’un pays à supporter le coût de gestion d‘un autre. Elle permet aux pays en difficultés économiques et financières d’être soutenus par les pays « sains ». D’où la mise en commun des fonds dans les comptes d’opérations permet aux pays déficitaires de continuer à régler leurs achats extérieurs.

            Un exemple illustratif est relatif à la période 1985 – 1991, période au cours de laquelle tous les pays membres de la zone CFA avaient un solde commercial déficitaire à l’exception du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Congo et du Gabon. Plus récemment, la RCA (2004-2009) et le Tchad (199-2003) ont également connu une persistance de leur déficit commercial dont les conséquences ont pu être atténuées par le biais de cette même solidarité.

            En assurant la convertibilité illimitée des F CFA en euro, la France participe également à cette solidarité ; ce d’autant plus qu’elle accorde par son trésor national une garantie de non dépréciation de l’euro par rapport aux DTS[9] pour les 50%[10] des avoirs extérieurs que les pays africains sont tenus de déposer dans les comptes d’opérations (rémunérés) pour garantir leur valeur.

            Quant on parle de 50% des avoirs extérieurs déposés dans les comptes d’opérations, l’imagerie populaire africaine ne peut s’empêcher de dénoncer un hypothétique mécanisme de détournement de leurs ressources au profit de la France. Il est donc opportun et de judicieux de souligner que les avoirs des pays africains dans les dits comptes d’opérations sont peu signifiants pour leurs économies et pour celle de la France. En effet, entre 2011 et 2012, le solde du compte d’opération de la CEMAC au du trésor français représentaient en moyenne 0.32% de la masse monétaire de la France et 0.00652% de la masse monétaire de la CEMAC. On peut donc convenir que la mise à l’écart de ces fonds n’entrave en rien le financement des économies.

            Avec un niveau de masse monétaire plus élevé que celui de la France, on s’attendrait à ce que les actions de la politique monétaire en zone CFA se fassent véritablement ressentir dans les économies, ce d’autant plus que les différents taux directeurs sont inférieurs à 3%.

            Mais, les modifications des taux débiteurs des banques ne suivent pas systématiquement les  variations des taux directeurs et restent élevés compte tenus des risques. Ainsi, le financement des économies par le biais des banques est beaucoup plus régi par les considérations externes que par les conditions internes au système bancaire d’où le double rationnement de crédit (rationnement par les prix et par les conditionnalités d’accès au crédit) permanent dans ces économies. L’existence d'un système monétaire stable et unifié n'a malheureusement pas permis l'émergence d'un système bancaire et financier efficace dans les pays africains de la zone franc.

            Pour revenir au cas réserves extérieures des pays membres, force est de constater que leur niveau est bien inférieur à celui des autres pays africains à niveau de développement comparable. C’est dire que les pays de la zone CFA gagnent peu dans les échanges avec l’extérieur. Leur faible compétitivité prix (qu’on attribue l’arrimage à l’euro) en est la cause. Pourtant, lorsqu’on compare la moyenne[11] des taux de change effectifs réels de la CEMAC et de l’UEMOA à ceux du Nigéria et du Ghana sur la période 1999 – 2012, on constate que la différence est négligeable (l’UEMOA étant d’ailleurs en moyenne plus compétitive que le Ghana et le Nigéria).

            La conception[12] du taux de change effectif réel d’Edwards (1989), montre qu’il dépend fortement des politiques économiques et des facteurs internes (politique fiscale, productivité, niveau des dépenses publiques, etc.). C’est donc dire que d’autres facteurs relatifs à la compétitivité hors prix influencent les échanges avec l’extérieur et notamment la structure des économies.

            Pour ce qu’il en est, aussi bien pour les économies de la CEMAC que pour celles de l’UEMOA, la propension marginale à importer est plus forte que la propension marginale à exporter. Les importations sont élastiques par rapport au revenu et au taux de change effectif réel. Les élasticités-revenu et prix estimées valent respectivement 1.36 (1.26) et 3.12 (1.62) pour la CEMAC (l’UEMOA). Ainsi, une amélioration du revenu de 1% augmente les importations de 1.36% et 1.26% en CEMAC et en UEMOA respectivement tandis qu’une appréciation du taux de change effectif réel de 1% qui rend les produits étrangers moins chers augmente les importations de 3.12% et 1.62% en CEMAC et en UEMOA respectivement.

            Dans le même temps, les exportations elles sont inélastiques par rapport au taux de change effectif réel. Elles n’augmentent que faiblement (0.27% en moyenne) suite à une modification de 1% des prix  relatifs favorables aux pays de la zone CFA.  

            Ces faits sont attribués entre autres à la faible diversification des productions domestiques (concentrées sur le pétrole, le cacao, le coton, entre autres), au caractère embryonnaire des industries locales et à la forte extraversion des habitudes alimentaires qui, rendent les revenus de ces économies tributaires des fluctuations des prix internationaux des matières premières et les maintiennent fortement dépendants des biens alimentaires et manufacturés extérieurs. Ainsi, même lorsque les prix relatifs deviennent défavorables et que les importations baissent, la pression qu’exercera la demande interne sur l’offre tendra plutôt à augmenter en interne les prix à la consommation.

  1. Des reformes concrètes à mener en attendant (peut – être) un nouveau système de change

            Les défis des économies africaines de la zone CFA sont donc plus structurels que conjoncturels et un simple changement de monnaie ou de régime de change ne suffira à les relever. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les avantages de la monnaie unique et des zones monétaires n’ont jamais pu être optimisés au sein de la zone. Puisque le régime de change et les conditions économiques interagissent, la question qui demeure est celle de savoir quels changements faut-il initier pour que la zone CFA en plus d’être soutenable puisse être efficace et améliorer le niveau développement des économies?

            Les recommandations vont prioritairement dans le sens de l’amélioration de l’environnement des affaires, de la promotion et de l’accélération de l’intégration économique (intra et inter sous régions) et de la convergence, de la coordination des politiques économiques (programmation monétaire et  programmation budgétaire pour l’élaboration d’un Policy Mix adéquat), et de la diversification des structures productives.

                Le choix du régime de change approprié quant à lui exige au-delà d’une telle analyse de comparer dans le temps le bénéfice net de la fixité de change du F CFA par rapport à l’euro relativement à celui qui résulterait des régimes de change alternatifs dans un scénario de simulation.

 

Bibliographie:

AGBOHOU, N. (2012): « Le fonctionnement du F CFA, l’arme monétaire de la France contre l’Afrique », Word Press Infos.

BEAC (1973): Convention du compte d’opération.

BCEAO (1973): Convention du compte d’opération.

BEAC (2013): Rapport Spécial sur le Contrôle du Compte d’opération.

Edwards, S. (1989): ‘Exchange rate misalignment in Developing Countries’. Baltimore: John Hopkins University Press.

Ghosh, A. R., Gulde, A. M., Ostry, J. and Wolf, H. (1997): « Does the Nominal Exchange Rate Regime Matter? », NBER Working Paper, n° 5874.

 


[1] Coopération  financière  en  Afrique  Centrale  et  communauté  Financière  Africaine  en  Afrique  de  l’Ouest.  La zone franc CFA compte la France et quatorze pays d’Afrique Sub-saharienne regroupés en deux sous régions (la CEMAC :  Cameroun,  Gabon,  Tchad,  Congo,  RCA,  Guinée  Equatoriale  ;  l’UEMOA :  Sénégal,  Cote  d’ivoire, Bénin,  Burkina,  Mali,  Niger,  Togo,  Guinée  Bissau)  représentées  dans  les  accords  de  coopération  par  leurs Banques Centrales respectives (BEAC et BCEAO).

 

 

[2] Calculs de l’auteur

 

 

[3] Les avoirs extérieurs nets s’élèvent au 31 décembre 2014 à 5 208 milliards de francs CFA (7,9 milliards d’euros) pour la BCEAO, soit un taux de couverture de l’émission monétaire de 84,3 %. Pour la zone de la CEMAC, les avoirs extérieurs nets s’élèvent à la même période à 8 387 milliards de francs CFA (12,4 milliards d’euros) pour la BEAC, soit un taux de couverture de l’émission monétaire de 89,8 % via le mécanisme dit « du compte d’opérations » (Kako Nubukpo, 2015).

 

 

 

 

[4] L’Argentine et l’Uruguay en avaient été durablement frappés à la fin des années 1990.

 

 

[5] Dont les fluctuations sont liées aux fluctuations de l’emploi et du chômage (Saludjian, *).

 

 

[6] Cameroun, Gabon, RCA, Guinée Equatoriale, Togo, Cote d’ivoire, Sénégal à cause de la disponibilité des données.

 

 

[7] Nigéria, Ghana, Afrique du Sud, Burundi, Gambie, Malawi, Ouganda, Zambie.

 

 

[8] Coefficient de détermination obtenu de la régression par les MCO de la volatilité du PIB réel sur le type de régime de change.

 

 

 

[9] Droits de triages spéciaux

 

 

[10] Ce taux a évolué au cours du temps. Il était de 100% à l’origine jusqu’en 2005 où la quotité a été définit à 65%, de 60% jusqu’en Juin 2008, 55% jusqu’en Juin 2009 et de 50% depuis Juillet 2009.

 

 

[11] En logarithme, 4.60 pour la CEMAC, 4.57 pour l’UEMOA, 4.59 pour le Ghana et 4.58 pour le Nigéria.

 

 

[12] Selon laquelle le taux de change réel dépend des fondamentaux des économies.

 

 

Conference sur le FCFA et la souveraineté monétaire des Etats africains de la zone Franc

 Terangaweb – L'Afrique des Idées a organisé le 8 novembre 2011 sa première conférence. Cette table tonde qui a eu lieu à Sciences Po Paris a réuni quatre experts sur la question du franc CFA. Instauré en 1945, cette monnaie aujourd'hui commune à 15 pays d'Afrique est régie depuis par quatre grands principes : la libre convertibilité des francs CFA garantie par le Trésor Français, la fixité des parités entre franc CFA et franc français puis euro, la centralisation des réserves de change, la liberté des transferts de capitaux. Ces principes constituent-ils une entrave à la souveraineté monétaire des pays membres de la zone CFA ?

Au cours de cette conférence, nos intervenants ont été amenés à réinterroger les fondements constitutifs du franc CFA au regard des besoins économiques actuels et futurs des pays membres. Ils ont notamment répondu aux questions suivantes  : quel est l'intérêt aujourd'hui de la zone franc CFA ? En quoi les pays membres peuvent théoriquement en tirer bénéfice ? Le franc CFA est-il un levier ou un frein à la croissance et au développement des pays membres ? Quelles seraient les réformes prioritaires à mettre en œuvre ? Quel serait l'avenir souhaitable de cette zone ?

Pour cette première conférence, Terangaweb – L'Afrique des Idées a eu l'honneur de recevoir quatre éminents experts :

Lionel Zinsou
PDG du fonds d'investissement PAI Partners et conseiller au cabinet du Président de la République du Bénin.

Nicolas Agbohou
Economiste et Docteur en Sciences Politiques, professeur associé à l'Université du Gabon, il enseigne les sciences économiques en France.

Demba Moussa Dembélé
Economiste basé à Dakar, spécialiste du franc CFA, co-organisateur du Forum Social Mondial de Dakar en 2011, co-auteur de L’Afrique Répond à Sarkozy.

Jacques Nikonoff
Administrateur à la Caisse des Dépôts, Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l'Université Paris 8, ex-président de l'association ATTAC, porte-parole du M’PEP, dernier ouvrage publié : Sortons de l’euro !

Ces experts apportent un éclairage d'autant plus important aujourd'hui que les rumeurs sur une éventuelle dévaluation du FCFA se font de plus en plus insistantes.
 

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Cette conférence a été organisée en partenariat avec :

• l'Alliance pour le Développement et l’Education en Afrique (ADEA), association africaine de Sciences Po
• l'Association des Doctorants et Etudiants Panafricains (ADEP)
• l'Association Survie

 

Cliquez sur les liens suivants pour télécharger :

– le compte-rendu de la table ronde sur le franc CFA

http://terangaweb.com/2011/12/02/conference-sur-le-fcfa-et-la-souverainete-monetaire-des-etats-africains-de-la-zone-franc/compte-rendu-de-la-table-ronde-sur-le-franc-cfa/

– l'analyse de Demba Moussa Dembélé sur le franc CFA et la souveraineté des pays africains de la zone franc

http://terangaweb.com/2011/12/02/conference-sur-le-fcfa-et-la-souverainete-monetaire-des-etats-africains-de-la-zone-franc/analyse-de-demba-moussa-dembele-sur-le-franc-cfa/

Vers une dévaluation du Franc CFA ?

Au regard de l’évolution de l’euro par rapport au dollar américain, il est possible que les pays de la zone franc subissent une perte de compétitivité-prix. Ainsi, une dévaluation du franc CFA est envisageable. Cependant, les indicateurs économiques actuels de la zone franc ne révèlent pas la nécessité d’une telle dévaluation. Au contraire, ils suggèrent une dégradation de la situation économique suite à une dévaluation.

Jusqu’à présent, d’importantes discussions normatives ont eu lieu sur le fonctionnement de la monnaie commune au pays d’Afrique francophone, le franc CFA. Il repose sur quatre piliers dont la parité fixe avec le franc Français et par conséquent avec l’euro, la libre convertibilité, la centralisation des réserves au Trésor Français et enfin  la libre circulation des capitaux. Dans un contexte où l’euro s’apprécie par rapport au dollar américain, il y a des craintes sur une probable perte de compétitivité-prix des pays de la zone Franc. Compte tenu des conséquences d’une telle politique de change, il importe de replacer les faits dans le cadre de la théorie économique afin de mieux comprendre l’opportunité d’une dévaluation du franc CFA.

La dévaluation intervient dans un contexte de parité fixe. Cependant, pour mieux comprendre les conditions qui président à son occurrence, il faut se placer dans le cas d’un régime de change complètement flexible. La monnaie peut alors fluctuer au gré de l’évolution de la balance courante[1] et de la balance des capitaux[2]. Ces fluctuations sont économiquement justifiées car elles permettent à la monnaie de s’ajuster aux échanges afin de maintenir une neutralité avec les échanges intérieurs. Ainsi, une augmentation du flux nets des capitaux, des biens, des services ou des transferts va se traduire par une appréciation de la monnaie. Dans le cas inverse, on assiste à une dépréciation de la monnaie.

La mise en place d’une parité fixe suppose alors que ces mécanismes de marché sont entièrement contrôlés par la banque centrale qui peut intervenir par le biais des outils de la politique monétaire pour reproduire le type de mécanisme auquel on aurait assisté en change flexible. Ainsi, une dévaluation est nécessaire si les flux nets sont en constante diminution pour annihiler l’effet d’une perte de la compétitivité-prix ; et de la faiblesse de la rentabilité des investissements étrangers.

Dans la zone Franc, la situation diffère selon les deux groupements régionaux, l’UEMOA[3] et l’UMAC[4], de même qu’au sein de chacune de ces unions monétaires. D’abord, la plupart des pays des deux zones ont une balance courante déficitaire à l’exception de la Côte d’Ivoire dans l’UEMOA et de la Guinée-Equatoriale dans l’UMAC. Sans ces deux pays, on constate qu’en moyenne, la balance courante est plus déficitaire et instable dans la zone UMAC que dans la zone UEMOA, comme le montre le graphique ci-contre. On note une tendance légèrement décroissante dans l’UEMOA ; tandis qu’elle est globalement croissante dans l’UMAC à l’exception des années 2009 et 2010. La situation dans les deux pays extrêmes est bien différente. Ils enregistrent contrairement à leur zone d’appartenance une balance courante presque excédentaire et en forte croissance notamment en Guinée Equatoriale. Il en résulte que la balance courante dans les deux zones ne suit pas une tendance à la baisse pouvant justifier la mise en œuvre d’une dévaluation.

Par ailleurs, la situation économique qui prévaut actuellement n’est pas similaire à celle qui prévalait avant la dévaluation de 1994. La différence vient notamment de la situation dans les deux pays aux situations extrêmes. En fait, la Côte d’Ivoire et la Guinée Equatoriale avaient toutes deux des balances courantes déficitaires avant la dévaluation de 1994. Cela pouvait servir de justification à une dévaluation puisque le solde des échanges extérieurs était globalement déficitaire dans les deux zones, de même qu’au Comores. Aujourd'hui, ces deux pays ont une balance excédentaire.

Quant à la balance des capitaux, les données du FMI montrent une légère croissance des IDE dans la zone Franc. Ainsi, la situation de la balance des capitaux ne peut pas non plus justifier une dévaluation du CFA même si l'hypothèse selon laquelle la croissance des IDE aurait été plus forte en l’absence d’une certaine surévaluation du CFA est plausible.

Bien que la situation des indicateurs économiques ne soit pas favorable à une quelconque dévaluation, l'on peut essayer de mesurer l’enjeu d’une telle politique. Dans le court-terme, on devrait s’attendre à une dégradation significative de la balance courante comme ce fût le cas dans l’UMAC après la dévaluation de 1994. Cette dégradation est notamment due au renchérissement du prix des importations ; l’augmentation du volume des exportations n’intervient que dans le long-terme. Dès lors, on estime que la balance courante retrouvera son niveau structurel dans plus de 10 – 15 ans.

L’augmentation du prix des importations dans le court-terme affecte de manière permanente les prix à la consommation. En effet, le renchérissement des prix à l’importation est reporté sur les prix de vente. Sachant que la plupart des produits de consommation, et même de première nécessité, est importée, une forte inflation est à craindre. On assistera certainement à l’effondrement du pouvoir d’achat des ménages et par conséquent à davantage de pauvreté. Les conséquences politiques d’une telle situation peuvent être désastreuses notamment à cause de la fragilité des gouvernements actuels.

Par ailleurs, une dévaluation va alourdir le poids de la dette extérieure pour les pays de la zone franc, qui consacrent en moyenne 15%[5] de leurs recettes d’exportation au service de la dette. Dans la mesure où le volume des exportations ne change pas dans le court-terme et que la valeur des exportations est moindre, la part des exportations dédiée au paiement du service de la dette sera encore plus importante. Il en est de même pour le principal de la dette qui verra sa valeur en monnaie locale augmenter.

Malgré les inconvénients liés à une dévaluation du CFA, il existe un gain dans le long terme sur le volume des exportations. Puisque celles-ci deviennent moins chères, leur demande augmente et se traduit par une augmentation des exportations, sous l’hypothèse que les capacités de production et la demande existent. Autrement, dans le cas où l’offre est limitée, ce qui est souvent le cas, les prix seront réajustés vers la hausse pour refléter leur niveau avant la dévaluation; ce qui limite l’augmentation attendue du volume. Il en résulte donc que dans le meilleur des cas, une dévaluation du CFA aura un effet neutre sur la balance courante dans le long-terme.

La seule composante sur laquelle une dévaluation du CFA peut avoir des effets positifs est le transfert des migrants ; notamment celui des résidents de la zone euro. Ces derniers vont bénéficier d’une augmentation significative de la valeur en CFA de leurs épargnes et pourront donc envoyer davantage de fonds vers leur pays d’origine. Cependant, l’augmentation du coût de la vie dans la zone franc risque d’éroder ce gain.

En définitive, il ressort d’une part que les indicateurs économiques actuels dans les pays de la zone franc ne justifient pas une dévaluation de la monnaie unique. D’autre part, si elle intervenait, une dévaluation du FCFA aurait de sérieuses conséquences tant économiques que politiques pour les pays de la zone. En vertu de ces deux conclusions, une dévaluation du FCFA ne peut provenir que de raisons indépendantes de la situation économique des pays de la zone franc.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Solde des échanges de biens, de services et des transferts.

[2] Solde des flux de capitaux (investissements direct étrangers et placements spéculatifs)

[3] Union Monétaire Ouest Africaine

[4] Union Monétaire d’Afrique Centrale

[5] Perspectives Economiques de l’Afrique : http://www.africaneconomicoutlook.org/en/data-statistics/

Cameroun: richesse économique et surliquidité bancaire

Approche en chiffres de l’économie Camerounaise
Le Cameroun dispose de ressources naturelles agricoles (bananes, cacao, café, coton,miel), forestières, minières et pétrolières. Son PIB (environ 42.750 Mds de $ au total pour 3.923 Mds de budget de l’État en 2009 et par habitant 2300 $ en PPA) représente la moitié de celui de la Comunauté économique et monétaires de l’Afrique Centrale (CEMAC), ce qui lui confère une place importante au niveau régional. Le taux de croissance du PIB, en 2008 était de 3.9 %, la dette publique constitue 14.3 % du PIB ( 2009), ce qui lui confère le 116e rang mondial .La dette extérieure est de 2,929 milliards $ (2009).

Il a connu la valorisation de sa croissance économique vers les années 70 avec l’exploitation et la valorisation de ses gisements de pétrole , celle de ses exportations agricoles et de l’élevage qui était exercé en grande partie par les « peulhs ».

Le financement de l’économie Camerounaise 
La littérature économique distingue deux définitions de la liquidité : une définition étroite appelée « liquidité de financement » et une définition plus large qui renvoie beaucoup plus à la « liquidité des marchés ». Au sens étroit, la notion de liquidité recouvre les espèces ou les actifs susceptibles d’être convertis rapidement en espèces et détenus à cet effet pour satisfaire les demandes de retraits de fonds à court terme émanant des contreparties, ou pour couvrir leurs opérations. Dans cette approche, la liquidité est principalement liée à l’activité de transformation traditionnellement pratiquée par les banques.

Au sens large, la liquidité correspond à la capacité des banques à liquider un actif non monétaire, par exemple un titre d’investissement acquis à l’origine pour être détenu jusqu’à l’échéance, dans le cadre d’une opération de refinancement en monnaie de la banque centrale. La liquidité des marchés est au cœur des préoccupations de stabilité financière des banques centrales. L’absence de liquidité des marchés peut non seulement engendrer une inefficience des marchés, mais sa disparition soudaine sur un marché peut aussi dégénérer en crise systémique (Fouda, 2005).

Dans le premier cas, on est en présence d’un système bancaire qui refuse de prêter aux entreprises nationales et préfère détenir des actifs liquides mais à faible rendement auprès de la banque centrale. Dans le deuxième cas, le Cameroun comme tous les pays de la CEMAC préfèrent financer l’économie française aux dépends de leur propre économie à travers le mécanisme du « compte d’opérations ». Cette situation, n’étant pas une anomalie passagère, soulève plusieurs interrogations (Garsuault et Priami, 1997). Premièrement ne traduirait-elle pas une profonde défaillance de l’ensemble des mécanismes monétaires ? Deuxièmement, la solution adoptée actuellement qui consiste à mettre en place des Fonds pour les Générations Futures (FGF) ne remet-elle pas en question le principe même de solidarité à la base de la zone FCFA ? Troisièmement, dans ce contexte, quelles sont les différentes options qui s’offrent au Cameroun pour le financement de son économie ?

Cette surliquidité bancaire est commune à plusieurs pays à travers le monde. Elle survient lorsque la somme du compte courant et des réserves libres des institutions de crédit auprès de la banque centrale excède de manière persistante le niveau des réserves obligatoires. Plusieurs arguments ont été avancés pour expliquer l’excédent de liquidité dans la zone CEMAC en générale et au Cameroun en particulier. Nous notons le recyclage des excédents des ressources pétrolières; l’entrée des devises suite aux privatisations des entreprises publiques ; le risque élevé que représentent les prêts pour les banques, en raison des difficultés juridiques que soulève le recouvrement effectif des créances en cas de défaut ; les inefficiences importantes du système bancaire au niveau régional, qui freinent la transmission de fonds des banques très liquides de certains pays membres aux banques d’autres pays dans lesquels la demande de crédit est relativement forte ; le manque de concurrence entre les banques, en particulier au niveau régional ; la faiblesse de la demande de crédit d’un certain nombre de gros emprunteurs habituels, en particulier dans le secteur axé sur l’exportation, qui ont connu une amélioration substantielle de leur liquidité ainsi qu’un meilleur accès au crédit extérieur après la dévaluation de 1994.

Le paradoxe de la surliquidité se manifeste par une concomitance entre une surliquidité persistante et une insuffisance de financement du secteur réel. C’est le cas actuellement de la zone CEMAC. En effet, l’économie réelle de la zone CEMAC est en manque de moyens de financement externe, alors que le secteur bancaire dispose de liquidités excédentaires qu’il ne parvient pas à employer. Par sa persistance, le paradoxe de la surliquidité bancaire de la zone CEMAC dépasse un simple phénomène conjoncturel, laissant à penser que le problème de financement est celui de l’intermédiation financière et qu’il puise sa source dans l’histoire institutionnelle de la zone FCFA. Les tentatives d’explications de ce paradoxe avancées jusqu’à présent ne tiennent pas compte de cet aspect fondamental. Elles sont principalement de trois ordres.

La première tiendrait à la non coïncidence dans les temporalités de l’offre et de la demande. En effet, les banques de la zone CEMAC disposent essentiellement de ressources à court terme, alors que le secteur non financier recherche principalement le financement à plus long terme. Traumatisé par une très forte incertitude inhérente à la crise de la fin de la décennie quatre vingt, le système financier de la zone CEMAC s’avère actuellement incapable d’assurer une transformation effective des ressources.

Sources et Chiffres : BCEA
Sidi Ahmad Gueye

Article initiallement paru chez Njaccaar Le Courrier du Visionnaire