Regards croisés sur le FCFA : que faut – il retenir ?

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Lors d’une conférence de presse faisant suite à la réunion des ministres des finances qui s’est tenue à Paris en Octobre 2015, Michel Sapin déclare à propos de la zone CFA[1] : « La France est entièrement ouverte à toutes les discussions. Tous les membres de cette zone monétaire sont libres et indépendants, ils peuvent donc demander à rediscuter les accords monétaires qui les lient avec la France. Rien n’est figé ni tabou ». Cette annonce a d’avantage amplifié la spéculation autour du F CFA soutenue depuis quelques années par la montée en force d’un panafricanisme qui se dit avisé.

            Alors que l’opinion publique s’attendait à l’ouverture du débat sur les mutations des mécanismes de fonctionnement et / ou à une éventuelle sortie des économies africaines de la zone CFA, le comité ministériel lors de sa dernière session de travail – qui s’est tenue à Yaoundé du 8 au 9 Avril dernier – semble affirmer sans ambages que la zone CFA reste un instrument approprié pour les pays membres.  

            Pour rappel, la zone CFA repose depuis plus de 50 ans sur des accords qui définissent d’une part les modalités de la coopération monétaire entre pays africains et, d’autre part sur les modalités de la coopération monétaire avec la  France –  articulés autour de la fixité du F CFA  arrimé d’abord  au franc français puis à l’euro en vertu de l’article 234 alinéa 1 du traité de Maastricht.  

            Grâce à l’originalité de son mécanisme de fonctionnement, cette « construction originale » a à plus d’un titre traversé les décennies en conservant sa convenance et son dynamisme (Noyer, 2012,5). De la sorte, elle a su résister aux évolutions du Système Monétaire International, à la décolonisation, à la globalisation, à la dévaluation, à l’avènement de l’euro qui offrait l’opportunité de mutations profondes et, récemment aux différentes crises financières internationales.

            Bien que la zone CFA relève avec brio le défi de la pérennité, les réalités socioéconomiques de la CEMAC et de l’UEMOA posent de façon permanente la question de la pertinence de la coopération monétaire avec la France et donc de la monnaie unique et des changes fixes.

  1. Avantages théoriques et critiques réelles

            Théoriquement, la monnaie unique et les changes fixes suppriment à la fois les coûts de transaction et l’incertitude liés au taux de change (Ripoll, 2000) ; accroissent la transparence des prix dans les pays suffisamment ouverts (Benassy-Quéré et Coeuré, 2010). En ce sens, ils simplifient les calculs économiques et rendent les transactions internationales moins risquées. En ce sens, ils permettent de réaliser des gains d’efficacité monétaire (Krugman et Obstfeld, 2008).  

            Avec la garantie monétaire, ces conditions sont également supposées favoriser l’afflux des IDE dans les régions Ouest et Centre Africaine. Mais, selon les statistiques financières internationales, la plus grande part des IDE de la France – principal partenaire commercial et financier de la zone CFA – en Afrique est orientée vers le Maroc.

                Néanmoins, les changes fixes restent favorables au commerce et à l’attrait des capitaux extérieurs. Durant la phase initiale de sa mise en place, l’arrimage à l’euro a permis la hausse des recettes d’exportation et des flux de capitaux de plus de 30% et 100% respectivement au Cameroun, en Côte d’ivoire et au Sénégal[2].

            Cependant, la prééminence de la défense du taux de change fixe entre le F CFA et l’euro favorise  la constitution excessive des réserves[3] de change au détriment du financement des économies (Kako Nubukpo, 2015). Aussi, pour les économies permanemment sujettes à des chocs extérieurs, la fixité du taux de change handicape lourdement le processus de l’ajustement alors que la volatilité de la parité euro-dollar – préoccupation mineure pour la BCE à cause de l’importance du commerce intra-zone euro – se répercute intégralement sur la parité du F CFA et contraint le taux de change réel. Zafar (2005) montre qu’en provoquant des appréciations réelles d’environ 8% en zone UEMOA et  7%  en zone CEMAC  entre 1999 et 2004, un euro fort – un F CFA fort – réduit  la  marge de manœuvre de la compétitivité-prix des pays membres.

            Or, la probabilité d’abandonner un régime de change fixe augmente avec l’appréciation du taux de change et le degré d’ouverture des économies. Ce d’autant plus que la perte de compétitivité est l’une des causes principales du déficit du compte courant – plus important pour les pays ayant une stratégie d’ancrage du taux de change (Ghosh et al., 1997). Ceci suggère une influence forte de la compétitivité (Berger et al., 2000) dont le maintien est important pour le développement économique des pays.

            Puisqu’elle ne permet donc pas d’atténuer la vulnérabilité aux effets externes, la zone CFA est loin de garantir et de maintenir la stabilité macroéconomique comme attendu. Tout  au contraire, le F CFA du fait de sa fixité à l’euro permet de transférer les chocs et les fluctuations sur les autres variables macroéconomiques ; Levy-Yeyati et Sturzengger  (2000)  l’associent  à  une volatilité plus élevée[4].

            De ce fait, le taux de change effectif réel, les termes de l’échange et le PIB[5] réel sont en moyenne[6], plus volatiles que dans les autres pays d’Afrique Subsaharienne[7]. En s’arrêtant temps soit peu sur la volatilité trimestrielle du PIB réel en Afrique Sub-saharienne entre 2001 et 2010, on constate que les pays de la zone CFA sont d’environ 1,5 fois plus volatiles que les autres pays d’Afrique Sub-saharienne qui n’ont pas opté pour un taux de change fixe depuis 2001. D’ailleurs, la fixité de change expliquerait environ 14%[8] de cette volatilité.

            Plus encore, grâce à ses principes de convertibilité et de libre transférabilité, la zone CFA favorise les sorties des capitaux financiers indispensables à la construction des économies et s’oppose à la formation de l’épargne intérieure au profit de l’endettement extérieur dont le remboursement contraint les populations (Agbohou, 2013).

            Telles sont les principales critiques à l’égard du F CFA. Mais, la structure même de ces économies et leur fonctionnement sont entre autres autant d’éléments qui obligent à relativiser.

            Il convient alors de souligner que le F CFA – c’est-à-dire la monnaie en elle même – n’a aucune influence sur l’activité économique. Son efficacité dépend de l’usage qu’on en fait et donc de sa gestion. C’est d’ailleurs pour cela que le choix d’un régime de change dépend essentiellement des conditions socio économiques et des nécessités des économies ; les principales nécessités étant relatives à la solidarité et à la crédibilité.

  1. Le F CFA n’est pas l’alpha et l’oméga du développement économique des pays

            Les développements récents de la théorie des zones monétaires privilégient une analyse en termes  d'économie politique et mettent l'accent sur l’importance de la crédibilité de la politique monétaire. Le F CFA confert aux pays qui l’ont adopté une crédibilité internationale du fait de son lien fort avec l’euro et, le plus grand bénéfice lié à l'appartenance à la zone est la rigueur et la discipline qui découlent des engagements institutionnels pris au niveau supranational (Alésina et Barro, 2002). Elles permettent de lutter efficacement contre l’inflation dont la maitrise est un atout dans le contexte des économies à faible niveau de revenu. A cet effet, la permanence de la zone CFA et la relative stabilité qu’elle autorise contrastent avec l'instabilité économique et politique de l'ensemble du continent africain.

            En instituant un ensemble de règles communes, la zone CFA est aussi un catalyseur de la solidarité entre pays. Cette solidarité est vue comme une condition nécessaire et suffisante de l’optimalité de la zone, en tant qu’elle constitue la finalité d’une union monétaire (Ondo Ossa, 2000). Par solidarité, il faut entendre l’aptitude d’un pays à supporter le coût de gestion d‘un autre. Elle permet aux pays en difficultés économiques et financières d’être soutenus par les pays « sains ». D’où la mise en commun des fonds dans les comptes d’opérations permet aux pays déficitaires de continuer à régler leurs achats extérieurs.

            Un exemple illustratif est relatif à la période 1985 – 1991, période au cours de laquelle tous les pays membres de la zone CFA avaient un solde commercial déficitaire à l’exception du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Congo et du Gabon. Plus récemment, la RCA (2004-2009) et le Tchad (199-2003) ont également connu une persistance de leur déficit commercial dont les conséquences ont pu être atténuées par le biais de cette même solidarité.

            En assurant la convertibilité illimitée des F CFA en euro, la France participe également à cette solidarité ; ce d’autant plus qu’elle accorde par son trésor national une garantie de non dépréciation de l’euro par rapport aux DTS[9] pour les 50%[10] des avoirs extérieurs que les pays africains sont tenus de déposer dans les comptes d’opérations (rémunérés) pour garantir leur valeur.

            Quant on parle de 50% des avoirs extérieurs déposés dans les comptes d’opérations, l’imagerie populaire africaine ne peut s’empêcher de dénoncer un hypothétique mécanisme de détournement de leurs ressources au profit de la France. Il est donc opportun et de judicieux de souligner que les avoirs des pays africains dans les dits comptes d’opérations sont peu signifiants pour leurs économies et pour celle de la France. En effet, entre 2011 et 2012, le solde du compte d’opération de la CEMAC au du trésor français représentaient en moyenne 0.32% de la masse monétaire de la France et 0.00652% de la masse monétaire de la CEMAC. On peut donc convenir que la mise à l’écart de ces fonds n’entrave en rien le financement des économies.

            Avec un niveau de masse monétaire plus élevé que celui de la France, on s’attendrait à ce que les actions de la politique monétaire en zone CFA se fassent véritablement ressentir dans les économies, ce d’autant plus que les différents taux directeurs sont inférieurs à 3%.

            Mais, les modifications des taux débiteurs des banques ne suivent pas systématiquement les  variations des taux directeurs et restent élevés compte tenus des risques. Ainsi, le financement des économies par le biais des banques est beaucoup plus régi par les considérations externes que par les conditions internes au système bancaire d’où le double rationnement de crédit (rationnement par les prix et par les conditionnalités d’accès au crédit) permanent dans ces économies. L’existence d'un système monétaire stable et unifié n'a malheureusement pas permis l'émergence d'un système bancaire et financier efficace dans les pays africains de la zone franc.

            Pour revenir au cas réserves extérieures des pays membres, force est de constater que leur niveau est bien inférieur à celui des autres pays africains à niveau de développement comparable. C’est dire que les pays de la zone CFA gagnent peu dans les échanges avec l’extérieur. Leur faible compétitivité prix (qu’on attribue l’arrimage à l’euro) en est la cause. Pourtant, lorsqu’on compare la moyenne[11] des taux de change effectifs réels de la CEMAC et de l’UEMOA à ceux du Nigéria et du Ghana sur la période 1999 – 2012, on constate que la différence est négligeable (l’UEMOA étant d’ailleurs en moyenne plus compétitive que le Ghana et le Nigéria).

            La conception[12] du taux de change effectif réel d’Edwards (1989), montre qu’il dépend fortement des politiques économiques et des facteurs internes (politique fiscale, productivité, niveau des dépenses publiques, etc.). C’est donc dire que d’autres facteurs relatifs à la compétitivité hors prix influencent les échanges avec l’extérieur et notamment la structure des économies.

            Pour ce qu’il en est, aussi bien pour les économies de la CEMAC que pour celles de l’UEMOA, la propension marginale à importer est plus forte que la propension marginale à exporter. Les importations sont élastiques par rapport au revenu et au taux de change effectif réel. Les élasticités-revenu et prix estimées valent respectivement 1.36 (1.26) et 3.12 (1.62) pour la CEMAC (l’UEMOA). Ainsi, une amélioration du revenu de 1% augmente les importations de 1.36% et 1.26% en CEMAC et en UEMOA respectivement tandis qu’une appréciation du taux de change effectif réel de 1% qui rend les produits étrangers moins chers augmente les importations de 3.12% et 1.62% en CEMAC et en UEMOA respectivement.

            Dans le même temps, les exportations elles sont inélastiques par rapport au taux de change effectif réel. Elles n’augmentent que faiblement (0.27% en moyenne) suite à une modification de 1% des prix  relatifs favorables aux pays de la zone CFA.  

            Ces faits sont attribués entre autres à la faible diversification des productions domestiques (concentrées sur le pétrole, le cacao, le coton, entre autres), au caractère embryonnaire des industries locales et à la forte extraversion des habitudes alimentaires qui, rendent les revenus de ces économies tributaires des fluctuations des prix internationaux des matières premières et les maintiennent fortement dépendants des biens alimentaires et manufacturés extérieurs. Ainsi, même lorsque les prix relatifs deviennent défavorables et que les importations baissent, la pression qu’exercera la demande interne sur l’offre tendra plutôt à augmenter en interne les prix à la consommation.

  1. Des reformes concrètes à mener en attendant (peut – être) un nouveau système de change

            Les défis des économies africaines de la zone CFA sont donc plus structurels que conjoncturels et un simple changement de monnaie ou de régime de change ne suffira à les relever. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les avantages de la monnaie unique et des zones monétaires n’ont jamais pu être optimisés au sein de la zone. Puisque le régime de change et les conditions économiques interagissent, la question qui demeure est celle de savoir quels changements faut-il initier pour que la zone CFA en plus d’être soutenable puisse être efficace et améliorer le niveau développement des économies?

            Les recommandations vont prioritairement dans le sens de l’amélioration de l’environnement des affaires, de la promotion et de l’accélération de l’intégration économique (intra et inter sous régions) et de la convergence, de la coordination des politiques économiques (programmation monétaire et  programmation budgétaire pour l’élaboration d’un Policy Mix adéquat), et de la diversification des structures productives.

                Le choix du régime de change approprié quant à lui exige au-delà d’une telle analyse de comparer dans le temps le bénéfice net de la fixité de change du F CFA par rapport à l’euro relativement à celui qui résulterait des régimes de change alternatifs dans un scénario de simulation.

 

Bibliographie:

AGBOHOU, N. (2012): « Le fonctionnement du F CFA, l’arme monétaire de la France contre l’Afrique », Word Press Infos.

BEAC (1973): Convention du compte d’opération.

BCEAO (1973): Convention du compte d’opération.

BEAC (2013): Rapport Spécial sur le Contrôle du Compte d’opération.

Edwards, S. (1989): ‘Exchange rate misalignment in Developing Countries’. Baltimore: John Hopkins University Press.

Ghosh, A. R., Gulde, A. M., Ostry, J. and Wolf, H. (1997): « Does the Nominal Exchange Rate Regime Matter? », NBER Working Paper, n° 5874.

 


[1] Coopération  financière  en  Afrique  Centrale  et  communauté  Financière  Africaine  en  Afrique  de  l’Ouest.  La zone franc CFA compte la France et quatorze pays d’Afrique Sub-saharienne regroupés en deux sous régions (la CEMAC :  Cameroun,  Gabon,  Tchad,  Congo,  RCA,  Guinée  Equatoriale  ;  l’UEMOA :  Sénégal,  Cote  d’ivoire, Bénin,  Burkina,  Mali,  Niger,  Togo,  Guinée  Bissau)  représentées  dans  les  accords  de  coopération  par  leurs Banques Centrales respectives (BEAC et BCEAO).

 

 

[2] Calculs de l’auteur

 

 

[3] Les avoirs extérieurs nets s’élèvent au 31 décembre 2014 à 5 208 milliards de francs CFA (7,9 milliards d’euros) pour la BCEAO, soit un taux de couverture de l’émission monétaire de 84,3 %. Pour la zone de la CEMAC, les avoirs extérieurs nets s’élèvent à la même période à 8 387 milliards de francs CFA (12,4 milliards d’euros) pour la BEAC, soit un taux de couverture de l’émission monétaire de 89,8 % via le mécanisme dit « du compte d’opérations » (Kako Nubukpo, 2015).

 

 

 

 

[4] L’Argentine et l’Uruguay en avaient été durablement frappés à la fin des années 1990.

 

 

[5] Dont les fluctuations sont liées aux fluctuations de l’emploi et du chômage (Saludjian, *).

 

 

[6] Cameroun, Gabon, RCA, Guinée Equatoriale, Togo, Cote d’ivoire, Sénégal à cause de la disponibilité des données.

 

 

[7] Nigéria, Ghana, Afrique du Sud, Burundi, Gambie, Malawi, Ouganda, Zambie.

 

 

[8] Coefficient de détermination obtenu de la régression par les MCO de la volatilité du PIB réel sur le type de régime de change.

 

 

 

[9] Droits de triages spéciaux

 

 

[10] Ce taux a évolué au cours du temps. Il était de 100% à l’origine jusqu’en 2005 où la quotité a été définit à 65%, de 60% jusqu’en Juin 2008, 55% jusqu’en Juin 2009 et de 50% depuis Juillet 2009.

 

 

[11] En logarithme, 4.60 pour la CEMAC, 4.57 pour l’UEMOA, 4.59 pour le Ghana et 4.58 pour le Nigéria.

 

 

[12] Selon laquelle le taux de change réel dépend des fondamentaux des économies.

 

 

L’expérience de la politique de ciblage de l’inflation en Afrique

1000179_blogspot-quels-futurs-pour-la-politique-monetaire-et-la-croissance-economique-94771-1La stabilité des prix constitue pour les autorités une priorité. En effet, dans un contexte de croissance permanente des prix, sachant que les revenus n’évoluent que très peu, la crise économique et sociale est inévitable. Les analyses théoriques sur le sujet ont permis d’identifier la politique monétaire comme instrument pour lutter contre l’évolution des prix. Cette mission est donc confiée aux Banques Centrales Le succès remporté par certains pays développés[1] suite à l’adoption d’une politique de ciblage de l’inflation a amené plusieurs pays dans le monde à adopter une telle politique pour lutter contre l’inflation. Cette politique consiste en un engagement de la Banque Centrale sur un objectif d’inflation pour une période déterminée sous la forme d’un niveau ou d’une fourchette.

En Afrique, les pays de la zone franc et plus récemment l’Afrique du Sud (2000) et le Ghana (2007) ont  adopté une politique de ciblage de l’inflation mais nous intéresserons dans ce cas précis au Ghana et à l’Afrique du Sud – dans la zone franc, l'inflation ayant toujours été sous contrôle. D’après le graphique ci-dessous, on peut dire que le Ghana en adoptant cette politique a réussi dans une large mesure à réduire son taux d’inflation qui est passé de 46% en 1996 à 10,7% en 2007 et 11.6% en 2013. En Afrique du Sud, elle a permis de contenir l’inflation, qui avait atteint en 2008 11.5% suite à l’envolée des prix internationaux des carburants et des produits alimentaires au cours du premier semestre de cette année, sous la barre de 7%.

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Source : donnees locales

Généralement, l’efficacité de la politique de ciblage de l’inflation est associée à l’amélioration de la performance économique. Plusieurs travaux ont montré que les pays qui adoptent cette politique sont caractérisés par une baisse du niveau et de la volatilité de l’inflation ainsi que de la volatilité de l’output. D’après les tableaux suivants on peut confirmer l’efficacité de la politique de ciblage de l’inflation à l’Afrique du Sud et au Ghana dans la mesure où on assiste à une baisse de l'évolution du  niveau des prix ainsi que de la volatilité de l’inflation à la période post-ciblage dans les deux pays. Aussi, une hausse du taux de croissance peut être constatée dans sur la même période et dans les deux pays, avec cependant une volatilité plus importante au Ghana.

En somme on peut dire que la politique de ciblage de l’inflation a contribuer à améliorer la performance économique dans ces deux pays africains tout en conservant pour les deux un taux de change flexible .

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Source : Calcul de l auteur

Le recours à une politique de ciblage de l’inflation signifie nécessairement une annonce publique saine et claire d’un objectif de moyen terme de lutte contre  l’inflation. Cela implique un engagement institutionnel qui fixe comme objectif la stabilité monétaire en faisant recours à une politique monétaire transparente et crédible qui permet de développer les capacités d’anticipations des autorités monétaires. Selon Mishkin (2000), la poursuite d’une politique de ciblage de l’inflation repose, en réalité, sur deux principales conditions:

  • Les autorités monétaires sont amenées à annoncer le niveau ou la fourchette cible de l’inflation lors de la poursuite de l’objectif de stabilité des prix.
  • La politique monétaire est sensée être transparente et mise en œuvre par une Banque Centrale indépendante, autonome et responsable afin d’atteindre ses cibles d’inflation.

A ce niveau deux types d’indépendance se présentent. En premier lieu, l’indépendance politique des autorités monétaires qui repose sur l’absence d’intervention du gouvernement concernant les décisions de politique monétaire. En deuxième lieu, l’indépendance économique qui repose principalement sur les limites posées au financement de l’État par la Banque Centrale. D’après le tableau ci-dessous, la spécification de l’objectif de la politique monétaire en Afrique du Sud et au Ghana est effectuée par la Banque Centrale et le gouvernement. Ce dernier peut emprunter auprès de l’institut d’émission dans les deux pays. En Afrique du Sud, le gouvernement ne participe à la prise des décisions des autorités monétaires tandis qu’au Ghana le gouvernement est considéré comme un membre votant. Néanmoins, dans ces deux pays aucun rapport n’est publié en cas d’échec au niveau de réalisation de la cible de l’inflation.

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La réussite de la politique en Afrique du Sud et au Ghana a été porté par l’indépendance dont jouissait les Banques Centrales de ces pays. Dans ce contexte, les pays africains qui adoptent déjà la politique de ciblage de l’inflation ou qui ambitionne d’adopter une telle politique devraient renforcer, d’un coté l’indépendance et l’autonomie des autorités monétaires et d’un autre coté, la crédibilité et la transparence de leur politique monétaire pour garantir l’efficacité désirée de cette politique.

Ben Hassine Aymen

Références  :

  • Don C., Jack S. et Carolyn W., 2006, « Une nouvelle analyse de l’horizon de la cible d’inflation. » ; Revue de la Banque du Canada.
  • Faber S. M. et Fischer A. M., 2000, « L’inflation sous-jacente en Suisse. » ; Bulletin trimestriel n° 4 de la  Banque Nationale de Suisse.
  • Mishkin F. C., 2000, « Inflation targeting in emerging market countries. »; American Economic Review Papers and Proceedings.
  • Quah D. et  Vahey S. P., 1995, « Measuring core inflation. »; Economic Journal n°105.
  • Symphorien E. M., 2003, « La cible d’inflation en zone CEMAC. » ; Revue d’Economie & Gestion vol. 4 n°1.
  • Roger S., 2009, « Inflation Targeting at 20: Achievements and Challenges»; IMF Working Papers.
  • Roger S. et Stone R., 2005, « On Target? The International Experience with Achieving Inflation Targets»; IMF Working Papers.

[1] La Nouvelle Zélande est le pays pionnier qui s’engageait officiellement dans l’objectif de ciblage de l’inflation à partir du février 1990.

Coût du crédit en UEMOA : une explication par la transmission monétaire

1000179_blogspot-quels-futurs-pour-la-politique-monetaire-et-la-croissance-economique-94771-1Les entreprises des pays membres de l’UEMOA sont majoritairement des PME, PMI ayant très peu accès aux marchés financiers pour le financement de leurs activités économiques[1]. De ce fait, une alternative de financement pour ces entreprises est le recours au crédit bancaire. Pourtant on constate une importance structurelle des conditions d’accès au crédit et notamment des taux d’intérêts élevés. Le taux d'intérêt directeur de la BCEAO qui représente le taux auquel les banques se refinancent auprès de la banque centrale est passé de 4,5% en 2005 à 3,5% en 2013, tandis que le taux d'intérêt débiteur moyen des banques de l'UEMOA qui est le loyer du crédit bancaire pour les ménages et les entreprises est lui passé de 7,5% à 7,56% sur la même période. Globalement, les baisses du taux directeur n'ifluencerait pas les taux débiteur au sein de l'UEMOA. A la suite de Ouattara (29 mai 2015), cet article explique les raisons de l’importance du coût du crédit bancaire en zone UEMOA. Pour ce faire, la transmission monétaire c’est-à-dire les mécanismes par lesquels les décisions de politique monétaire agissent sur le niveau de l’activité économique et les prix et ses obstacles sont particulièrement explorés. Quelques  propositions sont effectuées en vue d'une amélioration de la situation.

L’analyse des évolutions des deux taux d’intérêts procure des résultats surprenants. Une bonne transmission monétaire suppose que les deux taux doivent évoluer dans le même sens. Si le taux auquel les banques se refinancent baisse, on devrait observer aussi une baisse du taux auquel elles prêtent aux agents économiques. Ce dernier taux de prêt appelé taux débiteur est fixé sur la base du taux de refinancement, des anticipations d’inflation de la banque et de sa marge bénéficiaire attendue. Pourtant, entre 2006 et 2007, alors que le taux directeur est passé de 4.5% à 4.75% ; le taux débiteur s'est accru de 7.8% à 7.62% sur la même période. De même entre 2008 et 2009, une baisse du taux directeur de 6.75% à 6.25% était suivie du taux débiteur 7.87% à 8.27%. Les années 2007-2008 ont été marquées par une crise amorcée aux Etats-Unis. Tous les pays du monde, y compris ceux de la zone UEMOA ont été touchés par cette crise. L’élément déclencheur de la crise était les pertes en capital des banques dues au défaut de leurs emprunteurs. La conséquence immédiate a été la rareté du crédit et la hausse du taux débiteur. Toutefois, en réponse à cette crise les banques centrales ont toutes adoptées des politiques visant à injecter massivement de la liquidité dans l’économie via les banques. C’est, entre autres, la raison pour laquelle l’on peut constater une baisse du taux directeur de la BCEAO à partir de 2009. En dépit de cette baisse tendancielle du taux de refinancement, l’on observe tout de même une évolution curieuse du taux débiteur entre 2009 et 2011. En réalité, en marge des effets de cette crise mondiale, la transmission monétaire a des spécificités en zone UEMOA que nous abordons à présent à travers les principaux canaux de la transmission monétaire.

Une politique monétaire expansionniste, soit l’ensemble des mesures prises par les autorités monétaires (injection de liquidité, baisse des taux d’intérêt, effets d’annonce, …) a pour objectif de relancer l'activité économique, en facilitant l’accès au capital. Ceci peut intervenir à travers plusieurs mécanismes :

  • le canal du taux d’intérêt : ces mesures peuvent entrainer une baisse des taux d’intérêts réels, et par voie de conséquence favoriser l’investissement et donc la production. Ce canal connaît des dysfonctionnements en sein de l’UEMOA du fait de la structure de financement des économies de cette zone.  En effet, selon des rapports de la Commission de l’UEMOA et de la Banque de France, le financement marchand et l’apport extérieur constituent les sources majoritaires des principales activités économiques que sont le commerce et l’agriculture du fait de l’importance du secteur. Le rôle primordial que devrait jouer le financement intermédié n’est donc pas assuré. C’est l’une des raisons pour lesquelles ces économies sont très vulnérables aux chocs exogènes qui contribuent à réduire le volume de financement principal (marchand et extérieur). En effet, une crise financière internationale peut entraîner la réduction du financement extérieur. De même, une mauvaise pluviométrie, par exemple, réduira le volume de financement marchand dans le secteur agricole. 

  • le canal du crédit bancaire : la politique monétaire expansionniste permet d’une part aux banques commerciales d’avoir accès à la liquidité plus facilement. D’autre part, les banques commerciales améliorent les conditions de rémunération des dépôts afin de pouvoir faire face à la croissance des demandes de prêt. Toutes choses conduisant à une hausse de l’offre de liquidité des banques, facilitant ainsi le financement des prêts et par ricochet la hausse de l’investissement et celle de la production. Ce canal prouve que la politique monétaire influence principalement les PME PMI qui dépendent davantage des prêts bancaires. L’importance du secteur informel conduit à une hausse des asymétries d’informations entre les banques commerciales et les détenteurs de projets. Cette situation entraîne une rigidité inouïe des conditions de crédit, en particulier, en matière d’exigence de collatéraux.

  • le canal du bilan : la politique monétaire expansionniste conduit à une hausse des cours des actions du fait de la hausse de la demande car les agents disposent plus facilement de crédit d’investissement. La rationalité de ces agents les conduira à acheter les actions des entreprises les plus performantes, toutes choses conduisant à la réduction des asymétries d’information entre les banques et les entreprises et par suite à la hausse des prêts, des investissements et de la production. Cela renforce la situation nette des entreprises. L’augmentation de la trésorerie des entreprises à la suite d’une politique monétaire expansionniste peut être freinée du fait même de la composition du portefeuille de titres financiers de celles-ci (à prédominance d’actifs étrangers). Le rendement de ces actifs est donc ancré sur des économies étrangères. Ainsi même si les activités des entreprises domestiques sont rentables et qu’à la suite d’une crise financière l’on assiste à une dépréciation de la devise de financement de ces entreprises domestiques, cela entraînera une baisse du niveau de la trésorerie et des investissements ceteris paribus. Une politique monétaire expansionniste aura une influence marginale sur l’activité économique dans la mesure où les titres détenus en monnaie nationale par les entreprises domestiques restent faibles.

Au sein de l’UEMOA, la situation est telle que les actions de la Banque centrale ne pourrait lever les contraintes d’accès au financement bancaire pour les PME/PMI. En marge des efforts effectués par les autorités monétaires, d’autres actions sont à mener afin de permettre aux PME et PMI de la région d’avoir accès à leur principale source de financement. Ceci nécessitera une implication de chaque acteur :

  • Les Etats : pour réduire l’asymétrie d’information entre les banques et autres établissements de crédit et les détenteurs de projet, il faut promouvoir le développement des agences d’information sur le crédit. Pour réduire les risques, il faut améliorer le climat des affaires et le cadre juridique pour faciliter la réalisation des garanties bancaires. La création ou le renforcement des fonds de garantie pour alléger le coût du crédit, avec des conditions particulièrement favorables pour les agents économiques vulnérables (PME, PMI, entreprises individuelles, …) est aussi primordial. En outre, il faudra mettre en place des structures d’encadrement et d’accompagnement des PME, PMI.
  • Les banques : elles doivent indexer l’évolution de leur taux débiteur sur les taux du marché monétaire. Pour renforcer leur crédibilité et attirer plus de clients, elles doivent œuvrer à améliorer la transparence de leurs activités, en particulier en ce qui les conditions de crédit mais aussi promouvoir l’accroissement de l’épargne en créant des comptes d’investissement ciblés par activité pour les agents qui veulent participer à des opérations de financement par le biais de la banque.
  • Les opérateurs économiques : ils doivent développer des projets innovants avec des perspectives de remboursement clairement définies et œuvrer à une gestion efficiente des crédits reçues et à la transparence de leurs activités.

L’importance du coût du crédit bancaire a conduit plusieurs entreprises (PME, PMI, entreprises individuelles) à se détourner des sources de financement traditionnel (bancaire, marchés). Cela contribue fortement à réduire l’efficacité de la politique monétaire. Cette situation mérite l’attention particulière de tous les acteurs (BCEAO, gouvernements, banques, agents économiques) pour une meilleure coordination des politiques économiques. En effet, l’inefficacité d’une politique monétaire centralisée est source de plusieurs difficultés, notamment la hausse de la tentation de free-riding via les politiques budgétaires nationales dont les conséquences peuvent conduire à l’éclatement de l’union monétaire.

                                                                                                                       Daniel Ouedraogo


[1] Banque de France. 2009.

 

 

 

 

 

Du Franc CFA à l’Eco ?

Cet article soutient que la lutte pour l’indépendance monétaire des pays de la zone franc devrait encourager la création de nouvelles zones monétaires plus larges et qui par construction ne peuvent plus être liées à une ex-puissance coloniale.

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© Pius Utomi Ekpei/AFP
Beaucoup d’encres ont coulé pour critiquer ou pour louer le fonctionnement de la zone franc. Pour les uns, la gestion du franc CFA doit être intégralement confiée aux Etats africains et le compte des opérations à la Banque de France doit être fermé. Pour les autres, tout cela est neutre par rapport à l’impact de la politique monétaire sur la performance économique de la zone franc. Dans tous les cas, le constat partagé par tous est que les pays membres de la zone franc n’ont pas une indépendance monétaire vis-à-vis de la France. En tant que l’un des piliers centraux de la souveraineté nationale, l’indépendance monétaire suffit à justifier le point de vue de ceux qui demande la fin du régime du Franc CFA.

Cependant, la stratégie de dénonciation utilisée par ces derniers depuis des décennies ne donne aucun résultat tangible. Pour preuve, la question n’a jamais été officiellement débattue dans les banques centrales de la zone franc. De plus, nous n’apercevons aucune indication de la fin du régime du Franc CFA. Tant de conférences ont été organisées, tant de livres ont été écrits ; mais rien ne bouge. On se demande bien à quoi devrait penser le Professeur Agbohou, fin défenseur de l’indépendance monétaire des pays de la zone franc.

Il serait illusoire de penser que des preuves scientifiques suffiraient à fléchir les positions des banques centrales sur la question. Les évaluations d’impact de l’appréciation du taux de change sur la productivité et la compétitivité des entreprises de la zone ne suffisent pas pour convaincre. De plus, on ne saurait pas dire exactement comment l’inflation qui accompagnerait la fin du régime actuel du franc CFA affectera l’épargne des plus riches et la consommation des plus pauvres.

Si les gouvernants ne réagissent ni aux dénonciations ni aux preuves scientifiques, c’est peut-être parce qu’ils ont été convaincu par les preuves théoriques et empiriques qui indiquent que le franc CFA aurait permis la stabilité des prix. C’est aussi parce qu’ils en savent très peu sur les coûts que cela impliquent. A cet égard, les seuls travaux des économistes ne permettront pas de faire le bilan global des coûts engendrés par le maintien d’un système qui fixe le taux de change sur une longue période et qui confie la gestion des devises issues des exportations des pays de la zone à une banque étrangère. Il faut aussi évaluer les implications d’un tel système sur le fonctionnement des institutions politiques. Pour toutes ces raisons, la fin du régime actuel du franc CFA intéressera très peu de dirigeants politiques. Et pourtant cette fin est nécessaire.

Faudrait-il attendre un soulèvement populaire contre le CFA ? Les connaissances techniques requises pour comprendre ses implications et susciter un tel soulèvement sont hors de la portée de la majorité des populations. Par conséquent, l’une des options, la plus prometteuse à notre avis, est la promotion de nouvelles zones d’intégration monétaire plus larges recouvrant à la fois les pays de la zone franc et d’autres pays non-francophones. Cette option a le double avantage d’augmenter les bénéfices liés à l’intégration et de garantir l’indépendance monétaire de la zone compte tenu de l’hétérogénéité de l’histoire coloniale des pays membres. En plus, en terme de stratégie, il n’est point besoin de dénoncer le système actuel du franc CFA puisque dans tous les cas, il sera voué à disparaître.

Par ailleurs, cette option est plus favorable aux preuves scientifiques. Il suffira tout simplement de prouver que les facteurs qui ont conduit à la stabilité des prix dans la zone franc sont ou peuvent être présents dans la nouvelle zone monétaire. Actuellement, la mise en circulation de l’Eco, monnaie unique de la CEDEAO, est l’exemple type d’une telle stratégie. Cependant, elle a déjà été repoussée à plusieurs reprises pour des raisons moins claires les unes que les autres. Ici, les défenseurs de l’indépendance monétaire ont un rôle à jouer en apportant les preuves qu’il faut y aller maintenant ou jamais. Vivement que l’exemple de la CEDEAO soit suivi par les pays de la CEMAC en partenariat avec la RDC et l’Angola !!

 

Georges Vivien HOUNGBONON