S’approprier le discours sur l’Afrique : Enjeux historiques et intellectuels

Le dimanche 18 mai 1879, à l'occasion d'une commémoration de l'abolition de l'esclavage, Victor Hugo prononçait un discours sur l'Afrique. Il y appelait l'Europe à "refaire une Afrique nouvelle" et à "rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation", ce fût le début de la colonisation. Près de deux siècles plus tard, l'Afrique fait toujours l'objet de discours sur son avenir, souvent exogènes, mais de plus en plus endogènes.

Deux siècles de discours sur l'Afrique

La colonisation est passée par là, avec ses apports et ses peines, mais c'est à l'orée des indépendances que l'on commence véritablement à penser l'Afrique de l’intérieur, encore souvent de l’extérieur. C'est ainsi que dès 1962, l'agronome René Dumont déclarait dans son ouvrage de référence que l’Afrique noire est mal partie. Son constat était factuel et sa recommandation simple : les cultures de rentes contribuent à la survenue des famines, les jeunes nations indépendantes devraient développer davantage les cultures vivrières afin d'éradiquer la faim. Cinquante années plus tard, les pays producteurs de coton et de cacao sont restés les mêmes et pire, se livrent à une compétition sur le volume de production. Les grands pays producteurs de pétrole sont restés les mêmes, accroissent leur production, alors que les explorations se poursuivent dans les pays non-producteurs. La course à l'accaparement des rentes issues de ces ressources a généré ce que Stephen Smith en 2003 appelait la Négrologie, ou l'Afrique qui meurt. La Une de l’hebdomadaire The Economist en 2000, l'ouvrage de Robert Guest en 2005 et le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007 sont aussi passés par là. On se croirait écouter "Making Plans for Nigel" de XTC.

Dix années plus tard, la même chanson continue, mais cette fois-ci sous une nouvelle partition : l'Afrique serait devenue un continent d’avenir. De Jean-Michel Severino et Olivier Ray qui évoquent Le temps de l’Afrique à Sylvie Brunel qui se demande Si l'Afrique était si bien partie en passant par les Unes du Time et de The Economist, les productions intellectuelles affluent pour présenter une Afrique dynamique, prospère et pleine d'avenir. Mais dans ce brouhaha s'élève une nouvelle voix, celle de l'Afrique.

La voix africaine et le débat d’idées

Elle n'est pas récente car depuis Things Fall Appart de Chinua Achebe (1958) à Something Torn and New: An African Renaissance de Ngugi Wa Thiong’o (2009) une voix intérieure à l’Afrique s’est toujours levée pour faire écho à ses réalités historiques, à ses profondeurs culturelles et à ses perspectives. Déjà en 1958, l’ouvrage de Chinua Achebe suggérait l’importance de penser le présent et l’avenir de l’Afrique, car si seulement Okonkwo était conscient du basculement en cours il n’aurait pas mis sa témérité au service de la sauvegarde d’un monde qui s’effondrait. Wa Thiong’o n’en dit pas moins lorsqu’il fait appel à une renaissance culturelle de l’Afrique. Mais c’est plus récemment que cet appel s’est cristallisé dans l’invitation à Sortir de la grande de nuit de Achille Mbémbé en 2010 et dans le bégaiement d’une nouvelle Afrique naissante traduit dans le concept d’Afrotopia de Felwine Sarr en 2016.

Cette voix qui s’élève est salutaire, car elle n’est pas que l’expression d’une littérature romancée, mais surtout d’une réflexion philosophique à partir de laquelle peuvent émerger des courants économiques, politiques et culturels nouveaux. Mais hélas, son interprétation n’est réservée qu’aux initiés. Son vrombissement dissimule des messages qui n’éveillent que des sensibilités trop particulières. Il faudra donc la reformuler, la traduire et la rendre plus accessible au plus grand nombre. C’est en cet exercice que consiste la réappropriation du discours sur l’Afrique.

Cependant, cet exercice ne peut être mené que dans un cadre bien approprié. Il faudra des espaces de confrontation des idées, sources perpétuelles de construction de nouveaux discours et de nouveaux paradigmes sur les sociétés africaines. Penser le présent et l’avenir des sociétés africaines n’est pas un exercice de court terme. Il faudra du temps, du temps long, et c’est dans ce temps que s’inscrit L’Afrique des Idées.

Georges Vivien HOUNGBONON

Pour aller plus loin :

Pourquoi faut-il s’approprier le discours sur le développement de l’Afrique ?, L’Afrique des Idées, Juillet 2014. Initialement publié dans la Gazette du Golfe du Bénin 23-27 juin 2014

Discours sur l’Afrique prononcé par Victor Hugo le 18 mai 1879 à l’occasion d’un banquet commémorant l’abolition de l’esclavage

René Dumont, L'Afrique noire est mal partie, 1962 (Le Seuil, Paris, coll. « Esprit », réédition en 2012)

Stephen Smith, Négrologie : pourquoi l'Afrique meurt, Calmann-Lévy, 2003

Robert Guest, The Shackled Continent: Africa's Past, Present and Future, Pan Books, 2005

Jean-Michel Severino et Olivier Ray, Le Temps de l'Afrique, Odile Jacob, 2010

Sylvie Brunel, L’Afrique est-elle si bien partie ?, Sciences Humaines, 2014

The Economist, The Hopeless Continent, 2000

TIME, Africa Rising, 2012

The Economist, Africa Rising, 2011

Chinua Achebe, Things Fall Apart, Peguin group, 1958

Ngugi Wa Thiong’o, Something Torn and New: An African Renaissance, Basic Civitas Group, 2009

Achille Mbembé, Sortir de la Grande Nuit : Essai sur l’Afrique Décolonisée, La Découverte, 2010

Felwine Sarr, Afrotopia, Philippe Rey, 2016

Démocratiser l’accès à une éducation de qualité au Bénin

gvhEn 2016, moins de 2 collégiens sur 10 ont obtenu leur brevet d’études du premier cycle. Les résultats ne sont pas plus reluisants pour les autres examens, et la tendance date de plus d’une décennie.[1] C’est ainsi que se présente la physionomie actuelle de l’éducation au Bénin, autrefois surnommé « quartier latin de l’Afrique ». Les décideurs politiques sont peut-être conscients de cette situation, mais le label d’excellence persiste toujours au sein de la société civile béninoise. Les taux de scolarisation, parmi les plus élevés en Afrique, sont là pour affermir cette impression. Or, cet état d’autosatisfaction, surtout parmi les élites, n’est pas de nature à susciter une demande politique forte pour des réformes en profondeur du système éducatif béninois. Cet article vise à jeter un peu de lumière sur les paradoxes de l’éducation au Bénin en mettant l’accent sur le cycle primaire, base de l’ensemble du système éducatif.

La quantité au détriment de la qualité

Un aspect particulièrement positif du système éducatif béninois est la démocratisation de l’accès à l’éducation. Le nombre d’élèves du primaire dépasse largement la population en âge d’y aller. Le taux brut de scolarisation y est passé de 100% en 2006 à 126% en 2014, positionnant le pays dans le top 10 en matière d’accès à l’éducation en Afrique.[2] Cette progression a été possible grâce aux mesures de gratuité, accompagnées de la construction de nouvelles infrastructures scolaires et d’un accroissement du nombre d’enseignants.

Cependant, le tableau est moins reluisant lorsqu’on considère les connaissances acquises par les élèves, notamment leur niveau en français et en mathématiques. A cet effet, les résultats du PASSEC, un programme d’évaluation des acquis scolaires sur un base comparable dans les pays francophones, contrastent sévèrement avec l’idée qu’on se fait du niveau des élèves béninois. Sur une dizaine de pays évalués en 2014, le Bénin se classe avant-dernier juste devant le Niger, que ce soit en lecture ou en mathématiques.[3] Loin devant se trouve des pays comme le Burundi, le Congo, le Burkina-Faso et le Sénégal. Et pourtant…

Nulle réponse quantitative à un problème qualitatif

Le Bénin ne dépense pas moins que les autres pays dans son système éducatif, au contraire. Prenons l’exemple du Sénégal, comparable au Bénin à plusieurs égards : les dépenses publiques par élève en % du PIB par tête sont similaires, de même que les taux d’accès en 5ème année du primaire, et bien d’autres indicateurs socio-économiques. Alors que le niveau d’acquisition des connaissances se trouve dans la moyenne au Sénégal, celui du Bénin se trouve largement en dessous de la moyenne.[4] Il ne s’agit donc pas d’un problème de moyens financiers, mais plutôt d’une meilleure transformation des inputs du système éducatif.

A l’heure actuelle, cette transformation est inhibée par une inégalité profonde en matière de qualité de l’enseignement. Elle se caractérise par de rares écoles privées, souvent créées à l’époque coloniale (e.g. Collège Père Aupiais), donnant une formation de qualité à une minorité, alors que la majorité des élèves se retrouve soit dans des écoles privées douteuses ou dans des écoles publiques dont la priorité ne semble plus être l’acquisition de compétences. A titre d’exemple, de 2008 et 2011, seulement la moitié des heures de cours requises a été effectuée dans les écoles primaires publiques béninoises.[5]

Des solutions à explorer

L’urgence reste donc de réduire les inégalités en matière de qualité de l’éducation, en évitant un nivellement par le bas. La bonne nouvelle est que cet objectif ne nécessite pas de moyens financiers supplémentaires. Trois principaux buts sont à viser :

– Recruter des enseignants de bon niveau académique et pédagogique. La moitié des enseignants actuels ont des statuts précaires, donc recrutés suivant des critères plus souples.[6]

– Respecter le calendrier et les programmes scolaires.

– Améliorer les conditions d’études des élèves, en mettant en place des bus et cantines scolaires et en équipant les écoles d’infrastructures de loisirs.

A long terme, il serait opportun d’envisager une privatisation complète de l’éducation, accompagnée d’une régulation étatique rigoureuse. Le Bénin s’est, depuis quelques années, contenté de former quelques stars en entretenant l’illusion d’une excellence globale. Il est maintenant temps de démocratiser l’accès à une éducation de qualité.

Georges Vivien HOUNGBONON

 

[1] Les taux de réussite en 2016 étaient de 39,26% pour le CEP, 16% pour le BEPC et 30,14% pour le BAC (chiffres communiqués par les directions des examens).

[2] Statistiques de la Banque Mondiale, WDI.

[3] Graphique 2.6 du rapport du PASSEC, 2014.

[4] Tableau 1 du rapport PASSEC, 2012.

[5] Etude Pro-Educ repris par le rapport du Pôle de Dakar de l’UNESCO, 2014.

[6] Tableau 3.6 du rapport du Pôle de Dakar de l’UNESCO, 2014.

The illusion of entrepreneurship in Africa

 In Africa, 60% of the unemployed are under the age of 25[1]. Both policy makers and the youth themselves have embraced entrepreneurship as the panacea against youth unemployment. As a matter of fact, governments all over the continent have implemented numerous projects to support this growing interest of the youths to start their own company. 25% of the projects are geared towards young people[2] and 35% of unemployed people seriously think about becoming entrepreneurs[3]. Is this growing interest in entrepreneurship actually becoming a reality? Could Africa be an exception to this reality? Are there any alternative options for youth employment in Africa?

The truth about entrepreneurship outside Africa

The lack of financial support is definitely one of the major constraints for entrepreneurs in the continent. If we have a look at the situation in other countries where access to funds and bureaucracy are more favourable to entrepreneurs, we see that new businesses have a high failure rate. For instance, in the USA, the past two decades have seen the development of some of the most successful companies (Google, Amazon, Facebook, Apple). However, statistically, new startups only have a 50% chance of becoming successful.

In the figure below, we can see that only 50% of startups have made a profit 6 years after their set up. The successful businesses do not always generate a very high turnover. Less than 1% of businesses have generated more than 5 million dollars in 6 years of existence. Having a successful business can be compared to a lottery. There are very few winners and it is all a question of luck. Even in a country where there are no major obstacles to entrepreneurship, only 1% of businesses will get the chance to expand and become a large company.

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Source: Shane (2009). Donnees US Census Bureau

Some might say that it is too early to assess the success of a company after only 6 years. It is actually not true. In a survey covering over 22 000 businesses in the USA from 1987 to 2008, it is clear that 75% of companies do not have any stock-market value many years after their creation. Again, less than 1% of the businesses reach a stock-market value of more than 500 million US dollars. Whether we wait 6 years or more, it is a reality that barely 1% of small businesses become large companies. Our perception of entrepreneurship is altered by the way it is presented to the public. We only see the success stories and don’t know about the vast majority of businesses that don’t make it, just like in a lottery.

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Source: Hall and Woodward (2010). Donnees Stand Hills Econometrics

Playing the lottery of entrepreneurship is not a bad thing. The problem is that hundreds of job seeking people are under the illusion that their future lies in entrepreneurship. Moreover, as far as income is concerned, an employee is on average wealthier than an entrepreneur [4]. Multimillionaire entrepreneurs do exist but they are much rarer. As an employee, you are guaranteed to have a higher income than the average entrepreneur. How can we make entrepreneurship a solution for youth unemployment in Africa?

Is Africa an exception ?

In Africa, the extensive margin of entrepreneurship (traditional economic activities) is actually as significant as the intensive margin (innovations) because the middle class is growing progessively and consumes more goods and services. In industrialised countries, the technologies to produce these goods and services have already been developed in the food and agriculture, IT, transportation, financial sectors. Hence, it is very difficult for a local entrepreneur to succeed in these developing industries without any state protectionism.

As a consequence, in most African economies, the supermarkets are not the results of the merger of local shops. The market is dominated by multinational companies. It is the same situation in the fields of transportation, energy and digital technology. Multinational companies that invest in traditional sectors do contribute to create employment. However, all the jobs that were lost cannot be replaced because these companies have very efficient production technologies that require less labour force for the same production levels.

As a matter of fact, young entrepreneurs do not invest in these traditional sectors. They prefer investing in the intensive margin, especially in projects involving digital technology and renewable energies. This margin is the focus of the studies presented above on business performance in developed countries. It is by definition very uncertain because it is based on innovation. There is a high failure rate in this field, especially in the United States because there is not much opportunity for digital services and access to energy. Before the emergence of Facebook, many similar social networking sites and other innovative services tried their luck but were not successful.

In Africa, we do not have enough hindsight to assess the impact of the business incubators for entrepreneurs who try their luck in this lottery. Africa does not offer better opportunities for success in business than other developed countries. It is quite the opposite. African entrepreneurs are limited in their endeavours by difficulties in accessing finance and by the bureaucracy. What are the solutions for youth employment in Africa ?

A sketch of the alternative solutions to tackle youth unemployment in Africa

There is no miracle solution. However, African states can implement systems that worked in other developed countries such as France or the United States. In France, most major industrial groups (Renault, Peugeot, Airbus, SNCF, etc) employ thousands of people and work with many sub-contractors. The construction of a single ship is enough to guarantee employment to thousands of people for a decade. Four contracts will guarantee life employment for thousands of people. Industrialisation is one of the first solutions for youth employment.

It is a given that industrialisation is the way to go for Africa. But how should it be developed ? We suggest that industrialisation should be integrated into the new global value chains.[5] These global value chains have still got to be identified and integrated. This solution is not ideal because it is difficult to coordinate the activities of local agents and agents that are outside of the continent. This is why the integration in the global value chains is not declared. In fact, it accomplishes itself in the framework of an economy that entails comparative advantages in the production of certain intermediate goods and services. This is not the case in most African countries. As a matter of fact, a report from the Center of Global Development states that the labour cost is higher in Africa than in other comparable economies.[6]

The solutions for employment in Africa lies in the development of a local market creating competition between local industries. This strategy consists in awarding public contracts to local companies after an effective competitive procedure. With this procedure, the companies are encouraged to get the latest technologies in order to be more competitive. This procedure is very common in the United States, China, and in Europe to a certain extent. Another solution consists in merging companies in the informal sector in exchange for subsidised access to private funding. This is a good solution to protect young unemployed people in Africa from the wave of multinational companies that is spreading across the continent. These companies are attracted by an emerging middle class and seek new sources of growth. These solutions will not solve the issue of unemployment of millions of young African people. However, they will contribute to fight against a situation threatening social peace in African nations.

Translated by Bushra Kadir


 

[1] 2009 data by the BIT, as referenced in the 2012 African economic prospects http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/thematique/youth_employment/

[2] Results of a survey by experts in the 2012 economic prospects in Africa.

[3] Data of Gallup World Poll (2010).

[4] Data from the Bureau of Statistics in Denmark .

[5] The report on 2014 economic prospects in Africa already mentionned this solution for Africa's industrialisation.

[6] Gelb et al. 2013. « Does poor means cheap ? A comparative look at Africa’s industrial labor costs » Working Paper N° 325, Center of Global Development


 

Libéraliser l’industrie de l’énergie pour favoriser les investissements dans les énergies renouvelables

1024px-Inga04Près de six africains sur dix n’avaient pas accès à l’électricité en 2010 (IRENA, 2014). Parmi ces six africains, cinq vivent en milieu rural. Les énergies renouvelables, compte tenu de leurs coûts de distribution plus faibles, sont des sources alternatives capables de réduire à la fois cette pauvreté et cette fracture énergétique. Cependant, leur développement nécessite des investissements significatifs que seules des politiques publiques sur la fiscalité, le rachat de l’énergie et l’accès aux crédits peuvent soutenir.

Or, outre la formulation des politiques publiques, leur mise en œuvre concrète se heurte souvent à des intérêts particuliers, notamment lorsqu'elles sont susceptibles de réduire la rentabilité d'investissements déjà consentis. Cette question se pose encore avec acuité en cas de "conflit technologique", c’est-à-dire lorsqu'une innovation est susceptible de remplacer, du moins partiellement, une ancienne technologie, comme c'est le cas entre les énergies renouvelables et fossiles.

Cet article montre que ce conflit technologique permet d’expliquer une bonne partie du retard des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique. Il propose ensuite de privatiser les compagnies nationales d’énergie électrique et plus largement de libéraliser l’industrie de l’énergie afin de réduire la pesanteur de ce conflit technologique dans la mise en œuvre des mesures favorables à l’investissement dans les énergies renouvelables.

Le retard des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique 

Les investissements dans les énergies renouvelables ont certes progressé en Afrique au cours des dix dernières années ; mais leur rythme de progression reste faible par rapport à d’autres régions du Monde comme la Chine. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, en 2004, l’Afrique et la Chine avait le même niveau d’investissement. Depuis les investissements chinois ont fortement progréssé par rapport à ceux de l'Afrique, représentant en 2014, près double de ceux de l’Afrique et du Moyen Orient réunis.[1]

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Source : Calculs de l auteur a partir des donnees issues du Rapport UNEP

L’un des facteurs couramment mis en avant pour expliquer ce retard est le coût fixe d’installation et d’entretien particulièrement élevé des énergies renouvelables, que ce soit pour les panneaux solaires, l’éolien ou la biomasse. Cependant, le coût des équipements d’énergies renouvelables est en baisse graduelle sous l’effet du progrès technologique (Voir Rapport UNEP page 19). A titre d'exemple, les panneaux solaires se vendaient, en moyenne, à 3.5 euros le Watt crête (€/Wc) en 1999 contre à 50 €/Wc en 1960. Selon une étude récente du cabinet IHS, ce prix, même pour le meilleur panneau solaire, a atteint 2,8 €/Wc en 2014. Ainsi, le coût des équipements d’énergies renouvelables devient de moins en moins un facteur contraingnant pour le développement des énergies renouvelables.

Même si la propension moyenne à payer de nombreux Africains peut être inférieure aux coûts compte tenu du faible niveau de revenu, il n’en demeure pas moins que les politiques publiques en matière d’investissement dans les énergies renouvelables ne sont pas encore suffisamment effectives. En réalité, ce ne sont pas les politiques publiques qui manquent, mais plutôt leur mise en œuvre qui reste limitée à cause du conflit technologique entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables. Le Document de Politique en matière d’énergie renouvelable de la CEDEAO[2] ou le Livre Blanc de la CEMAC et de la CEEAC[3], par exemple, mettent tous en avant, chiffres à l’appui, des actions concrètes à mener pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables. Cependant, leur mise en œuvre tarde à se matérialiser.

Le conflit technologique exacerbé par l’intervention de l'Etat

Ce retard se trouve exacerbé par l'intervention de l'Etat. Dans certains pays développés où les entreprises impliquées dans la production et la distribution des énergies sont sous contrôle d’intérêts privés, ce sont des groupes de lobbies qui incitent les gouvernements à ne pas prendre les mesures susceptibles de rendre plus compétitives les énergies renouvelables. Par contre, lorsque la compagnie de fourniture d’énergie est sous contrôle de l'Etat, comme c’est le cas dans de nombreux pays africains, la tentation est plus forte pour l’Etat de restreindre les mesures favorables à la compétitivité des énergies renouvelables. Cette intervention de l'Etat peut être encore plus dommageable lorsque les institutions économiques sont faibles ou lorsque la gouvernance économique est exempte de transparence. A titre d'exemple, en 2013 au Cameroun, l’importation d’un kit solaire était soumise à un droit de douane de 10% en plus d’une TVA de 19.25% et d’une taxe de transport égale à 5% du prix d’achat.[4] Parallèlement, le même kit solaire est exonéré de droit de douane au Burkina-Faso, en Egypte et en Tunisie entre autres (UNECA, 2014). Cette différence de traitement fiscal peut s’expliquer par la volonté de protéger l’industrie domestique utilisant des ressources fossiles pour la production de l’énergie ; cette industrie étant souvent monopolisée par une compagnie nationale, contrôlée par l'Etat.

Selon le rapport de l’UNECA sur l’Afrique du Nord, il existe un ensemble de mesures publiques favorables à l’investissement dans les énergies renouvelables. Typiquement, l’Etat peut mettre en place un système d’obligation d’achat par les distributeurs de l’énergie photovoltaïque à un prix régulé et transparent. Il peut aussi garantir des parts de marché aux investisseurs dans les énergies renouvelables à travers des concessions ou des certificats d’énergie verte. D’autres mesures, moins coûteuses, consistent à mettre en place des systèmes d’incitations fiscales directes (crédit impôt investissement, réduction d’impôt, paiement de la production d’énergie) ou indirectes (réduction de la TVA sur les équipements verts ou économes en énergie) ou de facilitation de l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises ayant un projet d’investissement dans les énergies renouvelables.

Privatiser et libéraliser l’industrie de l’énergie pour inciter à investir dans les énergies renouvelables

La mise en œuvre effective de ces mesures requiert la limitation de l’interventionnisme de l'Etat dans la promotion des investissements dans l’énergie renouvelable.  Pour cela, nous recommandons de privatiser les compagnies nationales d’énergie électrique. Cette privatisation supprime le conflit d’intérêt de l’Etat dans la mise en œuvre de ses politiques publiques en faveurs des énergies renouvelables. Pour être plus efficace, cette privatisation devrait s’accompagner d’une libéralisation de l'industrie de l'énergie afin de permettre à tout opérateur économique d’entrer sur le marché avec tous les avantages proposés par l’Etat. Enfin, la mise en place d'un régulateur indépendant et autonome devrait servir à cette fin.

Cette recommandation n’est pas nouvelle car le problème de conflit technologique auquel est confronté l’industrie de l’énergie s’était déjà posé dans le secteur des télécommunications au début des années 90, lors du passage de l’analogique au numérique. Dans ce contexte, la privatisation, la libéralisation et la mise en place de régulateurs indépendants et autonomes ont permis de booster les investissements dans les réseaux mobiles et leur adoption par une proportion de plus en plus importante de personnes en Afrique.

Georges Vivien HOUNGBONON

Sources :

IRENA – International Renewable Energy Agency. 2014. « L’Afrique et les Energies Renouvelables : La voie vers la croissance durable »

UNECA – United Nations Economic Commission for Africa. 2014. « Les mécanismes innovants de financement des projets d’énergies renouvelables en Afrique du Nord »

CEDEAO – Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest. 2012. « Politique en matière d'énergie renouvelable de la CEDEAO »

UNEP – United Nations Environment Program. 2015. « Global Trends in Renewable Energy Investment »

IHS Consulting. 2015. “Top Solar Power industry Trends for 2015”.


[1] Les données ne sont pas directement disponibles pour l'Afrique. Dans tous les cas, les investissements réels dans le périmètre Africain seraient plus faibles.

 

[2] CEDEAO, 2012.

 

[3] Livre Blanc de la CEMAC et de la CEEA: Politique régionale pour un accès universel aux services énergétiques modernes et le développement économique et social, version finale provisoire du 8 avril 2014.

 

[4] Agence EcoFin, consulté le 1 avril 2015.

 

Des Talents pour L’Afrique !

L’éducation scolaire est très souvent la conclusion qui émerge à l’issue de l’analyse des causes de la pauvreté. C’est ainsi que dans le cas particulier de l’Afrique, elle a fait au cours de la dernière décennie l’objet de plusieurs rapports, discours et programmes comme le démontre l'évolution de la prépondérance des mots "éducation et école" dans les ouvrages répertoriés sur Google Ngram Viewer. On y apperçoit clairement la montée en puissance de cette thématique de la Révolution Française (1789) jusqu’à la fin de la Belle Epoque (1914) ; suivi d’un regain de prépondérance après les indépendances dans les pays francophones (1960-1990) ; et à nouveau un accroissement fulgurant de la thématique de l’éducation scolaire dans les pays francophones depuis l’entame de leur démocratisation à partir de 1990.

Ainsi, l’éducation scolaire est présentée comme la panacée du développement.  Or, si elle est aussi privilégiée même chez les pires dictateurs, c’est qu’elle est suffisamment flexible pour servir à toute les fins. Ce paradoxe se comprend bien lorsqu’on admet l’éducation scolaire comme un moyen de diffusion des idées ; ces dernières pouvant servir à des fins nobles ou perverses. Même si l’on convient que l’éducation scolaire en Afrique est porteuse d’idées nouvelles, voire favorables au développement, il n’en demeure pas moins qu’elles ne sont pas de nature à apporter des réponses concrètes aux défis auxquels font face les populations les plus pauvres au quotidien.

A mon avis, c’est là que se trouve l’un des principaux obstacles au développement en Afrique. Il faut donc plus que l’éducation scolaire, il faut des talents ; des talents capables d’innover, de rechercher l’exception dans la confusion, de briller là où se trouve l’obscurité, qu’elle soit mentale, spirituelle ou physique. L’éducation scolaire arrive dans un deuxième temps pour diffuser et faire adopter l’innovation des talents à toute la population. C’est dans cet enchaînement des rôles que se trouve la véritable force de l’éducation.

Ainsi dit, le processus par lequel émerge un talent est assez complexe. Il n’admet pas de solution miracle. Car, le talent est à la fois rebelle et fragile. Sa rébellion bouleverse l’ordre préétabli, que ce soit les normes sociales, l’équilibre des pouvoirs politiques ou économiques. Cette rébellion se confronte très souvent à une force sociale entretenue par ceux qui bénéficient de l’ordre préétabli. C’est l’existence de cette force qui explique en grande partie le peu de talents au service du développement des nations africaines. Même en l’absence d’une telle force sociale, le développement du talent requiert la solidarité de la part des autres membres de la société. Il peut s’agir par exemple d’un soutien financier dans la mesure où les talents individuels ne sont pas distribués en fonction du niveau de revenu initial. Pour ces deux raisons, une manière de promouvoir l’émergence des talents et de lever toutes les barrières matérielles, psychologiques et institutionnelles.

Le but n’étant pas de promouvoir l’émergence d’une élite intellectuelle chargée de diriger le reste de la société. Mais au contraire, il est question de libérer le talent qui sommeille en chacun que ce soit dans les domaines de l’art, des sciences ou des lettres. Ce processus peut être déclenché par l’éducation scolaire dans certains cas. Il faut pour cela que le système éducatif ait été conçu pour favoriser cette éventualité. Mon propos ne signifie pas non plus que le continent africain ne dispose pas encore de talents. Mais les quelques un qui y ont émergé ne lui appartiennent pas véritablement puisqu’ils s’épanouissent mieux en dehors du continent. Il est temps que l’Afrique dispose de ses propres talents.

Georges Vivien HOUNGBONON