Fatou Diome : Celles qui attendent

Il existe des textes comme cela où vous vous demandez si l’auteur va tenir le rythme, la cadence, la qualité qu’il a distillé au début de son roman. Si la pertinence de son analyse, l’exploration profonde de l’âme humaine à laquelle il s’est engagé ne va pas être remise par un scénario incohérent. Alors vous continuez votre lecture, de surprise en surprise, pris par le style relevé, la langue célébrée, dans un univers qui vous échappe complètement même quand vous pensez en connaître un bout. C’est dans cet huis clos passionnant dans sa forme, douloureux sur le fond que je me suis enfermé avec Fatou Diome. Dans ce long roman où la voix, non, les voix de celles qui attendent quelque part en Afrique un homme, un mari, un fils parti à l’aventure pour l’Europe s’exprime. Ici, ce sont des jeunes sénégalais d’une île sérère qui bravent l’Atlantique pour rejoindre l’Espagne, pour sombrer ensuite dans la clandestinité.

Fatou Diome pose deux personnages centraux. Deux femmes. Bougna et Arame. Elles sont amies, avec des tempéraments différents et elles évoluent dans des contextes matrimoniaux très spécifiques. Bougna est une co-épouse dans un foyer polygame où elle tente de s’imposer par tous les moyens. Inconsciemment, elle n’a sûrement jamais intégrée les valeurs de partage de ce système. Elle est égoïste, centrée sur ses propres hantises, concernée par son désir d’être reconnue face à une première épouse peu disserte mais dont la réussite de la progéniture par pour elle et renforce jalousie et rancœur dans l’âme de Bougna. Arame, elle, a été mariée de force à un rescapé des guerres coloniales, grognon, irascible, stérile. Cet homme ne déverse que bile amer et insultes sur son entourage, enfermé dans l’enfer de sa déchéance physique et de secrets enfouis. Le fils aîné d’Arame est mort en haute mer dans le cadre de la pêche. Et son fils cadet, Lamine, le seul qui lui reste, est au chômage sans aucune perspective d'avenir.

Alors que chaque jour est un challenge pour nourrir la ribambelle de gamins aimants que sont ses petites-filles et petits-fils ainsi que son mari grabataire, sa comparse animée par des intentions retorses, lui propose un deal délicat en lui vantant les possibilités d’une réussite possible pour leurs garçons par le biais d’une traversée vers l’Espagne… Ce qu’il advient de nos clandestins, on ne le sait que très tard dans le déroulé du roman. C’est l’attente de ces femmes, de ces mères qui ont réussi à marier leurs fistons. C’est aussi l’attente de ces épouses modelées dans ce système qui vivent l’absence mythique de cet homme émigré censé faire fortune et apporter espoir à sa famille. Sauf que les chimères ne se concrétisent pas, les appels se font rares et les mandats sporadiques…

De toutes ces attentes, qui diffèrent pour chacune de ses femmes, celle de Coumba, épouse de Issa, le fils de Bougna est la plus pathétique. Épouse aimante et fidèle, mère dévouée, sa voix est celle qui porte le mieux la détresse de ces femmes car elle est la seule dont la démarche est complètement désintéressée. La charge de son discours est l'une des plus belles réussites de ce roman. C'est aussi le personnage sur lequel s'acharne le destin avec une cruelle efficacité. Enfin le destin, suivez mon regard…

Les coups de fil s'étaient largement espacés. Les femmes accusèrent le coup. Mais on finit toujours par s'inventer une manière de faire face à l'absence. Au début, on compte les jours puis les semaines, enfin les mois. Advient inévitablement le moment où l'on se résout à admettre que le décompte se fera en années; alors on commence à ne plus compter du tout. Si l'oubli ne guérit pas la plaie, il permet au moins de ne pas la gratter en permanence. N'en déplaise aux voyageurs, ceux qui restent sont obligés de les tuer, symboliquement, pour survivre à l'abandon. Partir c'est mourir au présent de ceux qui demeurent.

Page 195, éditions Flammarion

Par ce roman, je découvre un texte magnifique de Fatou Diome. Un propos critique mais complet sur une petite communauté sénégalaise, sur les rapports complexes entre le nord et le sud, l'illusion de l'eldorado européen, sur la vanité du paraître, sur l'amour, sur les femmes, sur l'attente de celles qu'on ne voit pas, le tout porté par une très belle plume. Celle de Fatou Diome.

Débat mené par Joss Doszen avec Lareus Gangoueus sur "Celles qui attendent" dans le cadre du cycle "Palabres autour des arts" :


Palabres autour des arts – 26 Juillet -… par Culture_video

 

Lareus Gangoueus

Kangni Alem : « Esclaves »

Il est rare d’être confronté à un buzz sur un événement quelconque suscité par la blogosphère africaine. C’est pourtant ce qui s’est passé sur le blog de l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti, lorsqu’il a produit un article à l’occasion de la sortie d’« Esclaves » le dernier roman du togolais Kangni Alem. Un ouvrage qui lance une polémique sur la question de l’esclavage sur la côte du Golfe de Guinée et le retour de ceux qui se sont désignés par le terme d’Afro-brésiliens, esclaves ayant participé à des révoltes et ayant été banni du Brésil.

J’attendais la sortie de cet ouvrage depuis plus d’un an après avoir pris connaissance du projet de Kangni Alem lors d’une interview de l’auteur accordée à Africultures en compagnie de Patrice Nganang. Ayant eu le plaisir d’échanger et d’écouter cet auteur de référence dans les lettres africaines, persuader de son exigence et de sa capacité à secouer le cocotier de nos contradictions, je m’attendais à une exhumation peu conventionnelle de la question de l’esclavage en Afrique et des formes de collaboration avec les négociants européens. Les attentes, vous le voyez, furent nombreuses, et elles furent largement comblées.

J’aimerais tout de suite dire que j’ai eu le sentiment que Kangni Alem proposait un approfondissement de la thématique du roman de Maryse Condé, j’ai nommé Ségou, dont la lecture est encore toute fraîche dans mon esprit. Il aura fallu 25 ans pour qu’un intellectuel africain reprenne le flambeau de ce sujet. Maryse Condé proposait plusieurs clichés de toute une Afrique de l’Ouest du début du 19ème siècle en pleine mutation, ravagée par les guerres, l’esclavage interne et la traite négrière.

Le propos de Kangni Alem est circonscrit au royaume Danhomé. Et il choisit de concentrer son attention sur le parcours de l’aventurier portugais Don Francisco Felix Da Souza dit « Chacha » qui a fait fortune grâce au commerce des esclaves par l’entremise de la prise de pouvoir du roi Guézo. Le personnage narrateur est un prêtre vodoun compromis dans la destitution du roi éclairé Adandozan orchestrée par Chacha et Gankpan. Il appartient à l’élite de ce royaume. Sa participation forcée au complot va entraîner la déportation de sa famille vers les Amériques puis la sienne. Le prêtre vodoun, sujet dévoué de l’ancien roi, fait une description des intrigues qui règnent dans et autour la cour royale. Il brosse un portrait de l’étonnant personnage Chacha, aventurier portugais solitaire qui va mettre dans sa poche tout un royaume. Puis il témoigne de sa déportation vers le Brésil, vit l’esclavage sur cette terre lointaine.

Kangni Alem publie un roman passionnant où il réalise la prouesse de mouvoir ses personnages dans un contexte historique extrêmement délicat et finalement très peu connu. Il restitue la situation d’élites africaines confrontées à la pression des négriers, mais également conscients de la saignée de la Traite négrière, en jetant ainsi le pavé dans la mare de la collaboration de certaines élites africaines au trafic transatlantique. Ce qui est intéressant, c’est de constater la nuance qu’introduit l’écrivain togolais. Les situations ne sont ni noires ni blanches. Il souligne également l’action de certaines élites lettrées musulmanes sur le sol brésilien et leurs actions dans l’une des plus grandes révoltes d’esclaves sur le continent américain.

Kangni Alem mène une réflexion sur les fêlures du système traditionnel mais également sur l’absence de cohésion du groupe face à l’adversité et le système esclavagiste mais également sur l’absurdité de la condition humaine qui longtemps après avoir été opprimée s’érige en bourreau et reproduit les violences contre lesquelles elle a combattu comme ce fut le cas de certains afro-brésiliens. Rien de nouveau sous le soleil. C’est donc un texte qui laisse des pistes passionnantes à explorer et qui, j’espère va susciter des débats vifs à Porto-Novo, à Ouidah, à Cotonou (et, je l’espère, sur les côtes africaines) où l’écrivain semble être attendu de pieds fermes par certains défenseurs de la mémoire de Chacha.
 

Lareus Gangoueus

Kangni Alem, Esclaves
1ère parution 2009, 250 pages

Voir l'interview accordé au Figaro ainsi que le blog de Kangni Alem
Critiques de Nathalie Philippe, Bibliosurf, Opoto
Voir également la critique de Viceroy of Ouidah de Bruce Chatwin sur le blog de Zarline

 

La route

Wolé Soyinka est un homme de théâtre. C’est un paramètre que je ne maîtrisais pas le jour où je suis tombé sur ce texte, il y a quelques années au détour d’un commerce de livres. Appâté par le format de poche, j’ai sauté sur l’occasion de lire Soyinka. Seulement quand j’ai ouvert mon livre low-cost, le soufflet s’est effondré, réalisant qu’il s’agissait en fait d’une pièce de théâtre…

Si le livre a pris de la poussière depuis, cette pièce de théâtre n’a pas pris une ride, bien qu’elle date des années 60. Le sujet principal est la Route. Une route meurtrière. Une route nigériane qu’emploient chauffeurs de gbaka, foula-foula ou taxi-brousse, les grumiers, les camions citernes, les commerçants en tout genre. La base d’observation de tout ce monde de la route est sorte de tripot où coxeurs, chauffeurs, policiers, businessman se retrouvent. L’action est centrée autour de Kotonou le chauffeur et Samson son rabatteur de clients, le coxeur. Traumatisé par un énième accident auquel il a assisté, Kotonou veut lâcher ce métier extrêmement périlleux au Nigéria.

Le portrait que brosse Wolé Soyinka à la fois de la route et de ses pratiquants est celui d’une hydre se nourrissant d’un gibier disponible à satiété. Les cadavres comme les véhicules accidentés sont dépouillés par des charognards. C’est l’occasion de plonger dans un univers de chargements extrêmes des hommes et des marchandises, une corruption comme norme absolue, un espace où la frontière entre flics et voyous n’existe plus. Les personnages sont malicieux, se battant contre la fatalité et cette route carnassière à coup de gris-gris.
C’est l’occasion de faire un rapprochement avec une autre route, celle de Cormac McCarthy. Si la route tue, détruit, dévore chez Soyinka, il est intéressant de constater que chez McCarthy, malgré l’univers décharné dans lequel évolue ses personnages, elle reste le seulement élément fiable et sur de son roman. A un point tel qu’il ne faut point s’en éloigner, de peur de sombrer dans l’horreur absolue.

Celle de Soyinka est imprévisible. Elle se charge elle-même de démembrer l’individu. Alors qu’elle semble constituer un repère pour McCarthy, elle déboussole et fragilise l’individu chez Soyinka. A un point tel que malgré la noirceur de l’univers de l’américain, le lecteur ressort beaucoup plus pacifié de son texte qu’au travers des élucubrations des personnages soyinkiens traumatisés par la route.

Une dernière remarque. Sur le traitement des langues. Entre le yoruba, le pidgin nigérian et le français, il y a quelques subtilités que je n’ai pas saisies. Comme en particulier, ces personnages qui, s’exprimant dans un français (anglais) soutenu passe au pidgin sans crier gare ! C’est un artifice dont je n’ai pas réussi à saisir la raison. De plus, bien que je l’imagine complexe à réaliser, la traduction du pidgin laisse à désirer. Pour le reste, on a envie de voir cette pièce jouée tant son sujet semble intemporel.

 

Lareus Gangoueus

Wolé Soyinka, La route
Edition Hatier, Monde Noir, Collection Poche
Titre original, The road – 1ère parution en 1965
Traduit de l'anglais par Christiane Fioupou et Samule Millogo (1988), 160 pages

 

Mohamed Choukri : « Le pain nu »

Le hasard d'une vague qui porte le grand surfeur du WEB 2.0 que je suis, peut me conduire à des rencontres surprenantes. L'une d'elles m'a conduite sur bladi.net, un portail du Maroc sur la Toile. Mes centres d'intérêt m'ont tout de suite poussé à fureter dans la chronique désormais classique "Que lisez vous en ce moment?" du forum dédié à la culture. Le pain nu de Mohamed Choukri était régulièrement cité. Sûrement, me suis-je dit, une bonne introduction à la littérature marocaine.

Je viens donc de finir la lecture de ce récit autobiographique de Mohamed Choukri. L'écrivain marocain dont l'itinéraire est si singulier et qui n'a connu les joies de la lecture et de l'écriture qu'à l'âge de 20 ans, évoque sa jeunesse – dans les années 40 – très mouvementée au sein d'une famille berbère, la famine dans les montagnes du Rif, l'exode vers Tanger, la violence aveugle d'un père tyrannique, le meurtre de son frère par ce dernier, la protection de sa mère, les fugues, la vie d'un enfant de la rue faite de vols, de rixes, de fouilles des poubelles, de nuits à la belle étoile dans un cimetière -seul endroit où il avait peu de chance d'être agressé pendant son sommeil -, son éducation sexuelle dans les bordels de la ville.
Comme le dit si bien Tahar Ben Jelloun auteur de la traduction de l'arabe en français, le texte est nu, les mots sont crus, chargés de leur violence, de leur passion, de la haine, du désir de survivre. Fioriture et modération ne font pas partie du vocabulaire de Mohamed Choukri.

Le lecteur est happé par la haine de ce fils à l'endroit de son père, par la construction de la personnalité de Mohamed sur des fondements branlants, gêné par la crudité de certaines descriptions, spectateur de ses beuveries. L'histoire de Choukri est tout sauf un conte de fée, comme c'est le cas de beaucoup d'enfants des rues africaines dormant dans les cimetières la nuit pour ne point subir ni viols, ni autres infamies. Il faut croire que la grande littérature se nourrit de ces tristes misères de l'humanité.

Quelques extraits :

Départ pour Tétouan
 
Un jour avant notre départ j'ai revu la jeune fille qui m'avait libéré de la prison et donné une galette. Je lui annonçai notre départ pour Tétouan. Elle me prit par la main et m'emmena chez elle. Elle mangeai du pain complet trempé dans du beurre et du miel, puis elle m'offrit une belle pomme rouge et une poignée d'amandes. Mieux, elle me lava le visage et les membres. Etais-je son petit frère ou son jeune fils? Elle me peigna les cheveux. Je sentais ses mains douces sur mon front et mon visage. Elle me parfuma et me mit en face d'un miroir. J'y ai beaucoup plus regardé son visage que je ne m'y suis vu. Elle prit ma tête entre ses mains avec délicatesse, comme moi
quand je prends un moineau entre mes doigts. Ne pas faire mal. Elle m'embrassa sur la joue puis sur la bouche. J'ai pensé à elle comme à une soeur qui ne sera jamais la fille de ma mère.
Le jour de notre départ j'ai pensé à tombe de mon frère. Une tombe qui restera quelconque, anonyme, sans sépulture. Une tombe qui sera effacé par le temps petite chose perdue parmi un amas de grandes choses…

Le pain nu, page 27

 
 
Mon père, ma mère, pourquoi?
 

De temps en temps, mon père s'absentait un jour ou deux. Quand il revenait, il se disputait avec ma mère et souvent il la battait. Cependant la nuit je les entendais rire. Ils devaient s'amuser durant leurs ébats. Enfin, je compris ce qu'ils faisaient. ils dormaient nus et s'enlaçaient. C'était donc ça qui les unissait : le désir et la jouissance des corps. Moi aussi quand je serai grand, j'aurai une femme. Le jour je la battrai. La nuit je la couvrirai de baisers et de tendresse. C'est un jeu et un passe-temps amusant entre l'homme et la femme.

Le pain nu, page 28
Pour information complémentaire, ce livre a été interdit au Maroc pendant plus d'une quinzaine d'années. Pour clore la boucle, un article très court de bladi.net sur Mohamed Choukri.
Un roman à lire.
 
Lareus Gangoueus

 

Mohamed Choukri, Le pain nu

1ère édition François Maspero 1980, 160 pages

 

 

 

Interview de Sami Tchak sur son roman « Al Capone le Malien »

Sami Tchak, de son vrai nom Sadamba Tchakoura, est un écrivain togolais lauréat en 2004 du Grand prix littéraire d'Afrique noire. A la suite de la critique de son 7ème roman, Al Capone Le Malien, Sami Tchak répond aux quesitions de Lareus Gangoueus. En gras, les questions de Gangoueus, en clair les réponses du romancier.

Vous avez habitué vos lecteurs à des excursions en Amérique latine dans vos dernières parutions (Hermina, La fête des masques, Paradis des chiots ou Filles de Mexico). Qu’est-ce qui a déterminé, voir dicté ce retour en Afrique ? Est-ce que pour l’auteur que vous êtes, il y a eu des difficultés à écrire dans cet univers ?

Sami Tchak : Je pars de l’idée que chaque créateur s’inspire de tout ce qui, à un moment, l’interroge avec une sorte d’urgence. Parfois, c’est la nouveauté (la découverte) qui le stimule. Je n’ai jamais pensé qu’en tant qu’auteur togolais, il y ait un terrain ou un territoire qui s’impose à moi d’emblée, même si, contrairement à certains commentaires sur moi, je n’ai jamais laissé entendre que mon pays, ou le continent africain, était exclu de mes sources d’inspiration. Pour chaque livre, un événement, un prétexte, une situation, une expérience. L’Amérique latine m’en avait fourni et m’en fournira sans doute encore. Mais le dernier roman est né, lui, d’un moment précis dans ma vie : lorsque je me suis retrouvé à Niagassola (Guinée), dans le compte du magazine Géo, pour un reportage sur le balafon mythique de Soumaoro Kanté, classé par l’UNESCO comme patrimoine mondial immatériel de l’Humanité. D’autres éléments, puisés surtout dans l’histoire récente du Cameroun se sont par la suite introduits dans mes expériences à partir de mes voyages. Le roman est né de là. Et d’autres viendront, si la vie m’en laisse le temps et les moyens, sur ces mêmes sujets dont je tenterai de rendre davantage la complexité.

On retrouve plusieurs éléments déjà présents dans Filles de Mexico. Le premier auquel je pense est la géographie. Ce roman se déroule successivement en Guinée et au Mali avec un épisode assez long au Cameroun. La France est présente aussi. Est-ce votre côté globe-trotter qui influence cette construction géographique de vos histoires ? Ou plutôt un besoin de ne pas zoomer sur une seule cible ?

Sami Tchak : Ces éléments étaient déjà présents dans tous mes autres romans, depuis Place des Fêtes. Je dirais que pour le moment mes personnages sont des êtres assez mobiles, dont les expériences traversent des frontières. Cela ne renvoie pas à un besoin de ne pas « zoomer une cible », mais au fait assez simple que pour le moment c’est de cette manière que je trouve plus adapté de rendre compte des expériences de mes personnages. Un jour, je pourrais écrire aussi un roman dont les actions se déroulent par exemple dans une piaule ou dans une voiture. L’essentiel étant de tenter de jeter un regard relativement personnel sur le monde dans lequel on vit, sur la condition humaine, les sujets littéraires de tous les temps.

Le 2ème élément est ce personnage narrateur, René Cherin, qui fait beaucoup penser à celui de Djibril Nawo de votre précédent roman. Tous deux sont des personnages un peu pommés, se laissant porter par les situations, permettant la libération de la parole et/ou celle de l’action des personnages qu’ils observent. S’agit-il d’un artifice littéraire uniquement ou d’un discours sur la passivité et la rencontre de l’autre ?

Sami Tchak : Là aussi, il s’agit de traits qu’on retrouve chez le héros de Hermina, chez celui de La fête des masques, chez le narrateur principal du Paradis des chiots. Pas forcément des personnages paumés, mais plus des gens qui se laissent emporter, qui suivent, pour certains par une sorte de résignation, pour d’autres par curiosité ou inconscience, mais dans tous les cas c’est de cette manière qu’ils se retrouvent au cœur des secrets des autres, qu’ils voient et restituent le monde devant eux, dont l’impact sur eux devient peut-être l’élément qui les rend originaux. Leurs manières de réagir les singularisent mais aussi dévoilent, peut-être, ce qui en eux, chez eux, est universel.

Une petite différence entre Djibril Nawo et René Cherin. Djibril a des origines togolaises comme vous, alors que René est blanc et il sort de sa campagne bien française, même s’il a vécu dans une de ces banlieues très mondialisées d’Ile de France. A-t-il été difficile pour vous de vous glisser dans la peau de ce personnage ?

Sami Tchak : Entre Djibril Nawo et René Cherin, la différence va au-delà de ces aspects soulignés. Mais cela n’est peut-être pas le plus important. Prenons en compte juste René. Il n’a pas vécu dans une banlieue, mais dans le vingtième arrondissement de Paris, dans un immeuble où en effet il croise des hommes et des femmes venus, pour la plupart d’entre eux, d’ailleurs. Il ne m’a pas été plus difficile, ni plus facile, de me mettre dans la peau d’un journaliste blanc se retrouvant dans des pays africains qu’il ne l’avait été pour moi lorsque j’écrivais dans les années 1980 mon premier roman en faisant parler une femme. C’est le même travail pour tenter de rendre crédibles les voix des gosses d’un quartier difficile d’une capitale latino-américaine ou la voix d’un jeune Français fils d’immigrés africains. Même pour un roman dit autobiographique, je crois que le travail de l’écrivain consiste, entre autres contraintes, à se mettre sous la peau de ses personnages. La véritable question, à mon avis, c’est s’il le réussit toujours !

Il y a comme une sorte d’inversion des rôles – du rapport dominant/dominé – qu’on a du mal à concevoir parfois dans le contexte africain actuel, notamment ce rapport de fascination qui le lie à tous les personnages qui gravitent autour d’Al Capone ?

Sami Tchak : Je ne sais pas si on peut parler de rapport de dominant/dominé, mais il est, en effet, moins fréquent qu’on mette en scène des Blancs, quels qu’ils soient, qui, dans un pays africain, découvrent des personnages qui les fascinent, qui ne viennent pas vers eux comme des mendiants de situation, mais comme des « maîtres » qui les aspirent dans leur monde. Mais la personnalité de René, mieux que la couleur de sa peau, explique la situation qui s’est créée, le rapport vertical entre Al Capone et lui. Le photographe n’a pas éprouvé la même fascination, on peut même parler, de son côté, d’une sorte de répulsion pour le faux prince et ses mœurs. Il est donc resté totalement à l’écart de cet univers, il n’a éprouvé de l’intérêt que pour les paroles de Namane Kouyaté. Peut-être parce que lui, le photographe, était un habitué du terrain, avait déjà établi des liens avec beaucoup de sociétés africaines qu’il interroge pour comprendre leurs vérités les plus ancrées.

Al Capone le Malien est un feyman, un escroc camerounais d’envergure internationale. Comment avez-vous été conduit à créer ce personnage ténébreux, complexe, charismatique, très moderne ?

Sami Tchak : Je me suis inspiré des histoires de feymen qui ont réellement existé, au premier rang desquels Donatien Koagne, celui qu’Al Capone considère comme son dieu. Comme dans mes autres romans, il me faut du concret, à partir duquel ma liberté d’écrivain a un sens. 

Une autre figure introduit ce roman, celle de cet ancien diplomate guinéen ; Namane Kouyaté. Homme dévoué passionnément à son épouse et à son art de joueur de balafon et de griot mandingue. Enraciné dans l’histoire, dans la tradition orale, il est antithèse d’Al Capone. Avez-vous souhaité reproduire, en confrontant ces deux personnages, le choc de deux mondes tel que Chinua Achebe, version 2010 ? Une collision frontale entre le matérialisme bling-bling d’Al Capone et l’« archaïsme » d’une culture millénaire incarnée par un balafon enfermé dans une vieille case ?

Sami Tchak : J’ai tenté de montrer la complexité des éléments qui composent nos identités. Bien sûr, il y a une véritable opposition entre les visions du monde de Namane et d’Al Capone, mais ce qui me semble encore plus important, c’est la façon dont ces mondes si antagoniques cohabitent, font la modernité, le dynamisme de nos sociétés. Si on prend le cas de Donatien Koagne, le plus célèbre des feymen, on verra que c’est sur les symboles des sociétés anciennes de son pays qu’il a construit son mythe. Il s’est autoproclamé roi du Cameroun et on le voit habillé comme un roi, avec sa canne, tous les symboles extérieurs qui vont avec, dont l’or. Al Capone, avant qu’on ne sache qui il est, se présente aussi comme un prince venu à Niagassola pour voir un symbole du pouvoir ancien, le balafon. Namane Kouyaté, l’homme toujours en veste et cravate, incarne sans doute une certaine identité, fondée sur ce que le passé a de plus glorieux. Mais c’est aussi un homme de son temps. Les choses sont relativement plus complexes dans la réalité, elles ne peuvent être simples dans les livres qui s’en inspirent.

On pourrait vous reprocher de regarder cet effondrement des valeurs avec une pointe de sarcasme quand vous mettez en scène cette photo avec ces notables de Niagassola qui veulent être immortalisés devant la limousine du feyman… Qu’en pensez-vous ? Y-a-t-il des choses à rattraper ?

Sami Tchak : Pour me reprocher une sorte de sarcasme, il faut me prêter ce sarcasme. C’est ce que je viens de dire : les choses ne sont pas aussi simples, ni dans la réalité, ni dans le livre. Si vous vous référez à un autre moment du livre, vous le remarquerez encore plus aisément : Namane Kouyaté parle d’un féticheur, Moustapha Diallo, assez riche dont l’une des passions consiste à acheter des voitures de luxe. Moustapha Diallo existe réellement, et ce que je dis de lui est authentique. Il vous suffit de chercher sur Internet le féticheur Moustapha Diallo du Mali pour découvrir ce personnage. Ce n’est donc pas parce que les vieux sont bien ancrés dans leurs valeurs qu’ils demeurent insensibles aux symboles actuels de la puissance, de la richesse, du pouvoir. Et il me semble que je regarde l’effondrement de certaines valeurs avec une pointe de tristesse. Je ne sais s’il y a des choses à rattraper, mais il est possible, au moins sur un plan individuel, de ne pas céder facilement à la fascination de tout ce qui brille.

(La suite de l'interview est consultable sur le blog de Gangoueus : http://gangoueus.blogspot.com/2011/02/interview-de-sami-tchak-sur-al-capone.html)

Interview réalisée par Lareus Gangoueus

En attendant les barbares

Nous sommes sur un poste avancé d’un empire. Une petite ville, Les Marches, d’une province éloignée au-delà de laquelle règnent les barbares. Il n’est pas aisé de situer dans le temps cette narration. Mais on peut s’autoriser à penser aux grands empires qui ont dominé la planète, l’Egypte, l’empire romain, l’empire colonial britannique. Peu importe, les questions que met en scène John Maxwell Coetzee dépassent très largement les questions de temps et d’espace (ici une ville aux portes d’un désert). C’est principalement la force de ce roman dense, fort, déroutant, angoissant parfois.

Le magistrat voit arriver dans sa ville un militaire (ou un officier de police) qui a une mission à mener contre les populations barbares qui entourent cette limite de l’empire. Dès le départ, tout oppose ces deux hommes. L’un est un homme de droit, rondouillard, gérant cette cité depuis un grand nombre d’années avec une certaine harmonie avec les barbares. L’autre représente cette force légale devant assurer la sécurité d’un territoire par tous les moyens, même les plus vils pour ne pas dire barbares. Mandaté par le pouvoir central, le colonel Joll capture à l’aveuglette des habitants des zones environnantes et des barbares. La torture la plus efficace n’a pas de secret pour cet homme sans scrupule. Le magistrat va se prendre de sympathie pour une des victimes du tortionnaire de l’empire, une femme barbare dont les pieds ont été brisés…

John Maxwell Coetzee centre son intrigue sur ces trois personnages pour conduire une réflexion très large sur l’empathie, l’arbitraire, l’antagonisme entre les valeurs d’une civilisation et les moyens inhumains pour la défendre, le rapport à l’autre, cet inconnu. Notez ceci, si j’use du terme civilisation, il est important de retenir que le mot n’est jamais mentionné dans ce roman remarquable. Au nom des principes qu’il croit défendre mais surtout d’une empathie qu’il ne sait lui-même définir à l’égard de cette femme, ce magistrat va connaître toutes les étapes de la déchéance. Je ne vous dirai pas comment. C’est dans cette chute, que la densité du propos du romancier sud-africain se révèle. Sachez que Coetzee, lauréat du Prix Nobel de littérature n’est vraiment pas petit, comme on dit en Côte d’Ivoire ou au Cameroun (est-ce qu'un grand est un petit?).
Avec une puissance de narration impressionnante, il nous fait vivre de l’intérieur cette descente aux enfers, il nous soumet aux affres de la torture, à la déstructuration que celle-ci engendre dans l'esprit de l’individu le plus structuré. Alors que le magistrat parle, la question lancinante qui taraude le lecteur est « finalement, qui sont les barbares ? Ceux qui sont attendus ? Ceux qui sont mandatés pour détruire, torturer, laisser libre cours à leur nature sociopathe ? »

On pense à Rome sur le déclin. Et la barbarie des méthodes utilisées par Joll sonne comme un signe de la fin. Je suis conscient que ce texte peut livrer plusieurs niveaux de lecture. Il appartient à chaque lecteur de définir le sien. Mais le caractère universel du choix de sombrer, de prendre part ou se démarquer, à ses risques et périls, de l’injustice, de la violence, de la haine, de l’ignorance, la dimension universelle que devrait susciter en nous l’indignation nivelle cette lecture. Je pense beaucoup à la Côte d’Ivoire en écrivant ces notes.

Soyons honnêtes, après la lecture de Disgrâce, j’avais l’impression d’avoir été berné par la presse internationale qui faisait de ce texte, un chef-d’œuvre. J’ai plus eu le sentiment d’une volonté de porter le texte d’un grand écrivain sur l’échec de la politique post-raciale sud-africaine du gouvernement de l’ANC. En terminant En attendant les barbares, je mesure la dimension de ce romancier sud-africain. Un très grand auteur. Je n’avais pas commencé par le bon texte.

Morceau choisi :
Personne ne me frappe, personne ne m'affame, personne ne me crache dessus. Comment puis-je me considérer comme la victime de persécutions quand mes souffrances sont insignifiantes? Mais cette insignifiance même les rend d'autant plus dégradantes. Je me rappelle que j'ai souri quand la porte s'est fermée derrière moi la première fois, et que la clé  a tourné  dans la serrure. Cela ne me paraissait pas un châtiment bien lourd de passer  d'une existence quotidiennement solitaire à la solitude d'une cellule où j'apportais avec moi un monde de pensées et de souvenirs. Mais je commence à percevoir à quel point la liberté est rudimentaire. Quelle liberté m'a-t-on laissée? La liberté de manger à sa faim; de garder le silence ou de jacasser pour moi-même, de cogner sur la porte, de hurler. Si j'étais , quand ils m'ont enfermé ici, victime d'une injustice, d'importance d'ailleurs secondaire, je ne suis plus maintenant qu'un tas  de sang, d'os et de chair qui est malheureux.
Page 140, Edition du Seuil, coll. Points
 
Bonne lecture,
 
Titre original : Waiting the barbarians, 1ère parution en 1980
Edition du Seuil, collection Points, traduit de l'anglais par Sophie Mayoux, 249 pages

 

Lareus Gangoueus

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Serge Amisi: Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain

Souvenez-vous de moi, l'enfant de demain est un roman qui raconte l’histoire d’un môme de dix ans embrigadé dans les troupes rwandaises conduites par Laurent Désiré Kabila pour chasser le maréchal Mobutu Sese Seko du pouvoir zaïrois. Arraché trop tôt de l’enfance, Serge découvre très vite les atrocités et barbaries de la guerre, car il doit passer le rituel classique de déshumanisation de l’individu par l’ordre qui lui est donné d’éliminer physiquement son oncle, venu le soustraire à la folie de la guerre.
 

Mon oncle est resté dans ce village de Beni en décidant de ne pas partir jusqu'au jour de me revoir. En restant là, il est allé se renseigné auprès des Rwandais s'ils me connaissaient. Les Rwandais lui ont demandé pourquoi il me cherchait, et l'oncle a manqué la bonne réponse, il a vraiment dit qu'il me cherchait. Les Rwandais ont arrêté mon oncle, menacé, tapé des crosses des armes, on l'a amené jusque-là où nous étions en train de prendre la formation. Et le matin, j'ai eu la nouvelle qu'on a arrêté mon oncle que j'aime. Ils m'ont drogué, ils m'ont obligé de  le tuer, je n'ai pas voulu, mais les Rwandais m'ont dit : vas-y, ce n'est pas lui qui est ton oncle, c'est ton arme qui est ton oncle. Ton père, ta mère et ta famille, c'est l'armée.[…] Et la façon que j'ai eue de tuer mon oncle, je ne savais pas qu'il pouvait mourir, car je ne connaissais pas encore l'arme, mais c'est après quand j'ai vu que c'est vrai qu'il est mort, je me suis dit : Donc l'arme ça tue.

Page 244, Ed. Vents d'ailleurs
 
A partir de là, Serge Amisi raconte ses pérégrinations de kadogo (enfant soldat en swahili) au gré des déplacements des troupes rwandaises puis des troupes congolaises, suite à l’éviction des éléments armés rwandais de Kinshasa, la capitale de la RDC. C’est le regard de l’enfant qui devient par la force homme que porte Serge Amisi. Le roman d’une survie. L’histoire d’un enrôlement qui va faire d’Amisi un tireur d’élite, un guerrier, un chef de peloton, un kadogo aux quatre coins de ce grand pays.
J’ai lu ces dernières années beaucoup de textes inspirés de la tragédie des enfants soldats. Et très honnêtement, je pensais avoir fait le tour de la question, tant sur la forme, sur la manière de conter, plutôt de raconter la bêtise humaine mais également sur le fond, les auteurs utilisant leurs personnages de fiction pour explorer l’intérieur de ces milices qui terrorisent l’Afrique au nom d’intérêts politiques et économiques divers… La spécificité de l’histoire de Serge Amisi est que son action se déroule au sein d’une armée nationale. Celle de la RDC. En reconstruction certes au moment des faits, mais avec des hommes de guerre formés, des instructeurs étrangers venus de Corée du nord. Et des mômes formés à la dure comme n’importe quel adulte, punis et battus comme n’importe quel militaire mûr physiquement. Aussi quand ce que l’on a appelé à Brazzaville les « korokoro » déconnent avec leurs fusils de guerre, la sentence qu’impose la discipline militaire est également ressentie par le lecteur qui imagine les deux cent flagellations infligées au kadogo avec la même violence qu’à un adulte. 
L'extrait suivant relate la suite d'un incident où le narrateur tire dans Kinshasa suite à une altercation avec des civils :

Quand les PM* m'ont fait entrer dans leur voiture, les civils ont applaudi en leur disant qu'ils avaient fait bien de m'arrêter. Ils m'ont amené jusqu'au camp de police militaire, au camp Luanu, vers Kitambo. On est arrivé là-bas, il y avait beaucoup de PM qui sont venus là pour me regarder, ils m'ont fait jeter deux seaux d'eau. Quand j'étais mouillé, ils m'ont fermé les fils aux jambes, pour que je ne puisse pas bouger, ils ont placé deux militaires à côté de moi pour qu'ils puissent me taper 500 coups de fouet et les autres militaires continuaient à me jeter de l'eau. Avec le mal qu'il m'avait fait au marché, ils m'ont tapé dans leur camp, ils m'ont tapé, je pleurais, je pleurais, j'étais fatigué de pleurer, mais ils continuaient toujours de taper, jusqu'à ce qu'ils cessent de me taper, ils m'ont amené au cachot, ils m'ont demandé où je travaillais.

Page 55, Ed. Vents d'ailleurs
 
Serge Amisi parle de sa souffrance, de sa solitude, du pouvoir qu'octroie une arme à celui qui la détient, de la troupe, des kadogo. Mais il parle aussi avec une clairvoyance intéressante de la géopolitique de cette guerre. Entre les soldats angolais, zimbabwéens, ougandais, namibiens, rwandais, les milices cobras du Congo, les rwandais et l'armée de Kabila, on ressent dans la chair de cet enfant toute la complexité du conflit qui déchire la RDC. Et je crois que c'est là que réside le plus de ce texte. La manière avec laquelle de manière consciente ou inconsciente, en relatant des propos des soldats ou des officiers, en détroussant les poches de soldats ougandais, Serge parle de cette guerre et apporte un éclairage au lecteur :

Et là, à l'aérodrome de Dongo, je venais de comprendre que les chars de combat des ougandais, ça se conduisait par des Russes. Les Russes, ils sont des Blancs. Je venais de comprendre  que des soldats ougandais, ils sont appuyés par les Américains. Les Américains ils sont des Blancs. Mais moi, je ne fais pas de politique pour entrer dans le détail  de savoir le problème des Américains, mais je sais que cette guerre est soutenue par les Américains, les ougandais nous disaient que leur armement, c'est l'armement américain. L'argent qu'on leur payait, c'est des dollars américains…

Page 217, Ed. Vents d'ailleurs
 
Pour terminer, je rappellerai un point important qui explique le style singulier de l'écriture de Serge Amisi. Ce jeune homme a été démobilisé en 2001. Et chargé par toutes les horreurs qu'il a vu, il a entrepris d'écrire en lingala (une langue des deux Congo) toute son histoire et celle d'autres kadogo dont il a recueilli les témoignages. Il a traduit le texte original avec le concours de Jean-Christophe Lanquetin. Donc, cela donne une certaine originalité qui pourrait déranger les défenseurs d'une certaine orthodoxie de l'usage de la langue française. Mais, encore une fois, c'est une transposition du lingala sur de nombreuses formules en français. C'est une belle expérience de lecture, au-delà de l'expérience de Serge Amisi.
Alors pour vous souvenir de cet enfant de demain, découvrez et faites découvrir ce récit romancé. Vous serez sûrement bouleversés, mais vous ne serez pas déçus par ce premier roman. A mettre entre les mains de tous les va-t-en guerre de la planète.
 
Carnet d'un enfant de la guerre
Editions Vents d'ailleurs, 250 pages, 1ère parution en 2011
Traduction du lingala par Serge Amisi et Jean-Christophe Lanquetin
Serge Amisi est aujourd'hui artiste, sculpteur, marionnettiste, il participe au spectacle Congo my body qui a été récemment joué à la Villette de Paris.
 
Lareus Gangoueus