Madagascar : État des lieux du système financier post-crise et pistes de réforme

En 2017, Madagascar se trouve à la croisée des chemins. Après une période de transition politique prolongée (2009-2013) ayant ralenti la dynamique économique, le pays cherche à asseoir une croissance plus inclusive et résiliente. Le redressement observé ces dernières années — avec une croissance du PIB réel estimée à 4,1 % — masque toutefois la persistance de fragilités structurelles, notamment au sein de son système financier, encore peu profond, faiblement diversifié et peu accessible à la majorité de la population.

Une reprise économique entravée par une faible mobilisation des ressources et une pression budgétaire persistante

Actuellement, Madagascar affiche une croissance économique soutenue autour de 4 % du PIB, après une décennie de stagnation alimentée par l’instabilité politique. Ce redressement, encore fragile, repose sur quelques moteurs limités : les industries extractives, l’agriculture vivrière, les investissements publics — notamment via l’aide internationale — et une reprise timide du tourisme. Toutefois, cette dynamique reste insuffisante pour absorber la croissance démographique annuelle de 2,8 %, ni pour réduire significativement la pauvreté, qui touche plus de 70 % de la population.

La faible mobilisation des ressources domestiques demeure un obstacle majeur : avec un ratio impôts/PIB de 10,5 %, Madagascar se situe bien en dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (environ 18 % en 2017). Cette contrainte fiscale limite drastiquement la capacité de l’État à financer des politiques de développement, à investir dans l’infrastructure et à soutenir la transition vers une économie verte.

Un environnement institutionnel sous tension

Le retour progressif à la stabilité institutionnelle ne suffit pas à compenser les faiblesses structurelles de l’administration publique et du système de gouvernance économique.  Cette année la Banque centrale (Banque centrale de Madagascar – BCM) continue de jouer un rôle prudentiel limité, malgré la mise en place récente d’une division de stabilité financière. La coordination entre politiques monétaires et budgétaires reste lacunaire, et la régulation financière manque de moyens humains et techniques.

En matière de politique de développement durable, Madagascar s’est engagé sur la voie des ODD, mais les instruments de planification et de suivi restent embryonnaires. Aucun mécanisme intégré ne permet, à ce stade, d’évaluer l’impact budgétaire et financier des priorités liées à l’environnement, à la santé ou à l’éducation — freinant l’alignement du système financier avec les objectifs globaux de durabilité.

Vulnérabilités externes

Le pays reste vulnérable aux chocs externes. La volatilité des investissements miniers, combinée à une dépendance forte aux importations de produits pétroliers et alimentaires, expose Madagascar aux fluctuations des marchés mondiaux. Le taux de change du franc malgache (MGA) subit de fortes pressions : bien que flottant officiellement, il est sujet à des interventions de la Banque centrale, avec un effet répercuté sur l’inflation importée, estimé à -0,35 sur les prix intérieurs à son pic.

Un secteur bancaire stable mais peu inclusif face aux besoins de diversification économique

Un secteur bancaire stable mais peu profond

Le système bancaire malgache, dominé par onze établissements, présente en 2017 une stabilité globale. Les quatre principales banques détiennent à elles seules plus de 85 % des actifs du secteur, témoignant d’une concentration élevée. Les indicateurs prudentiels sont conformes aux exigences de Bâle II : le ratio de solvabilité moyen s’élève à 14 %, largement supérieur au minimum réglementaire de 8 %, et la liquidité globale reste satisfaisante.

Cependant, cette stabilité masque une profondeur financière très limitée. Le crédit au secteur privé représente environ 14 % du PIB, un niveau inférieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne (25 %). La majorité des crédits est orientée vers les secteurs tertiaires (commerce et services), tandis que les secteurs productifs — agriculture, énergie, industries manufacturières — peinent à accéder à des financements adaptés.

Des vulnérabilités structurelles persistantes

Concentration des risques :
La forte exposition au secteur informel, aux grandes entreprises commerciales, et aux obligations d’État introduit un biais systémique. En 2017, 22 % des crédits sont destinés au commerce, et 15 % des actifs bancaires sont constitués de titres de dette publique. Une réallocation sectorielle serait nécessaire pour réduire les risques de concentration et soutenir la diversification économique.

Cadre réglementaire incomplet :
Malgré des efforts de modernisation, le cadre réglementaire reste partiellement appliqué. La Commission de Supervision Bancaire et Financière (CSBF) manque de ressources humaines et technologiques pour mener une supervision efficace et proactive. La supervision basée sur les risques est encore embryonnaire, et les stress tests systémiques peu utilisés.

Asymétrie d’information :
L’absence d’un bureau de crédit pleinement opérationnel limite les capacités d’analyse des risques des établissements financiers. Cela entraîne un rationnement du crédit, notamment pour les PME et les porteurs de projets agricoles ou innovants, qui ne disposent pas d’un historique bancaire structuré.

Le secteur de la microfinance : inclusion et fragilité

Le secteur des institutions de microfinance (IMF), bien que dynamique, montre des signes de vulnérabilité croissante. En 2016, environ 750 000 personnes étaient clientes des IMF. Toutefois, la fermeture brutale d’une institution majeure en 2017 a révélé les failles de gouvernance et le manque de mécanismes de contrôle interne. La gouvernance, la qualité des portefeuilles et la formation des gestionnaires restent des défis majeurs.

Le rôle de ces institutions est crucial pour la bancarisation des populations rurales, encore majoritairement exclues du système financier formel. Or, l’impact réel sur le développement reste à mesurer, tant les prêts restent limités en taille et en durée, avec peu de mécanismes d’évaluation d’impact.

Absence de marchés de capitaux

Madagascar ne dispose pas encore, en 2017, d’un marché boursier local. Le financement par émission d’obligations est essentiellement réservé à l’État via le Trésor public. Cette situation limite les capacités de mobilisation de ressources à long terme pour les entreprises privées, en particulier les PME.

Le développement de marchés de capitaux, même rudimentaires (fonds d’investissement, obligations vertes locales, véhicules de financement mixte), pourrait représenter un levier stratégique pour financer la transition énergétique ou des projets d’infrastructure durable.

Faiblesses structurelles et vulnérabilités du système financier

Malgré une relative stabilité des grands agrégats bancaires, le système financier malgache reste caractérisé par de nombreuses fragilités qui freinent sa capacité à jouer pleinement son rôle de levier pour le développement économique.

Concentration excessive des actifs et crédits non productifs

La structure oligopolistique du secteur bancaire — avec quatre institutions contrôlant plus de 85 % des actifs — pose un risque systémique en cas de défaillance. À cela s’ajoute une allocation inefficiente des crédits : en 2017, environ 22 % des prêts bancaires étaient orientés vers le commerce et la consommation, tandis que des secteurs stratégiques comme l’énergie ou l’agro-industrie recevaient moins de 5 %. Ce déséquilibre limite l’impact des financements sur la transformation structurelle de l’économie.

Une microfinance sous tension

Le secteur des institutions de microfinance (IMF), bien que central pour l’inclusion financière, reste fragile. En 2016, la Banque centrale recensait plus de 30 IMF, mais une part importante opérait en dehors de toute supervision rigoureuse. La fermeture d’une IMF d’envergure nationale en 2017 a révélé d’importantes lacunes en matière de gouvernance, de transparence financière et de protection des clients. Le taux de pénétration des services financiers dans les zones rurales demeure faible, en particulier pour les femmes et les agriculteurs.

Absence de marchés financiers dynamiques

Madagascar ne disposait, en 2017, ni d’une bourse locale active, ni d’un marché secondaire développé. Les émissions obligataires étaient quasi exclusivement utilisées par l’État pour refinancer sa dette intérieure. Cette situation limite l’émergence d’un financement de long terme pour les entreprises, en particulier les PME, freinant ainsi leur croissance et leur formalisation.

Déficit de données et asymétrie d’information

L’absence de registre de crédit opérationnel, combinée à une couverture limitée du système d’information centralisé, accroît les coûts de financement pour les emprunteurs et limite la concurrence entre établissements. Cette carence accentue également les risques de surendettement et d’exclusion pour les acteurs les plus vulnérables.

Sous-développement de la finance durable

À ce jour, les politiques publiques ne prévoyaient aucun cadre spécifique à la finance verte ou à l’investissement socialement responsable. Pourtant, dans un contexte de vulnérabilité climatique aiguë, intégrer des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le système bancaire aurait permis de mobiliser des financements innovants et de répondre aux enjeux posés par les Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment l’ODD 8 (travail décent et croissance économique) et l’ODD 17 (partenariats pour le développement).

Recommandations et leviers de réforme

Pour permettre au système financier malgache de jouer un rôle catalyseur dans le développement économique, il est impératif d’engager des réformes structurelles ambitieuses, articulées autour de cinq axes principaux.

Renforcement de la supervision et de la régulation

L’efficience de la supervision repose non seulement sur la qualité du cadre légal, mais également sur les capacités institutionnelles à le faire respecter. Il est essentiel de :

  • Renforcer les ressources humaines et techniques de la Commission de Supervision Bancaire et Financière (CSBF).
  • Mettre en œuvre une supervision fondée sur le risque, axée sur la prévention des défaillances systémiques.
  • Mettre à jour les accords de coopération avec les régulateurs régionaux et internationaux pour renforcer la surveillance transfrontalière.
  • Instaurer un véritable cadre de résolution bancaire, avec des mécanismes d’intervention rapide en cas d’insolvabilité.

Développement de la finance inclusive

Le succès de la Stratégie Nationale d’Inclusion Financière (2018-2022) dépendra de :

  • L’extension de la finance numérique (notamment le mobile money), dont le taux d’utilisation a doublé entre 2012 et 2016.
  • La promotion de produits financiers adaptés aux petits exploitants, femmes et jeunes entrepreneurs.
  • L’encadrement rigoureux des institutions de microfinance, à travers un système de notation et un dispositif de protection des clients.
  • Le développement de l’éducation financière à l’échelle nationale, en ciblant les zones rurales et les groupes vulnérables.

Stimulation des marchés de capitaux

Créer un marché boursier régional ou national offrirait aux entreprises un accès à des capitaux à long terme et réduirait leur dépendance aux prêts bancaires. Des initiatives peuvent inclure :

  • L’instauration d’un cadre juridique incitatif pour les émissions d’obligations d’entreprises.
  • La création d’un guichet unique pour la notation des PME à fort potentiel.
  • L’introduction progressive de produits verts ou éthiques (obligations durables, sukuks verts) alignés sur les principes de la finance durable.

Modernisation des infrastructures financières

La réussite des politiques monétaires et budgétaires dépend de la modernisation du système de paiement. Cela nécessite :

  • La numérisation complète des opérations de la banque centrale et des ministères financiers.
  • L’interopérabilité entre les différents opérateurs de mobile banking.
  • L’élargissement des systèmes de compensation pour intégrer les paiements électroniques des zones rurales.
  • Intégration de la finance durable dans les politiques publiques

Alors que Madagascar reste vulnérable aux chocs climatiques, il est urgent de :

  • Élaborer un cadre national pour la finance verte, en lien avec les ODD et l’Accord de Paris.
  • Mobiliser les partenaires techniques et financiers pour créer des instruments de financement adaptés (fonds de garantie climat, mécanismes de blended finance).
  • Intégrer des critères ESG dans les politiques d’investissement public, notamment dans les secteurs des infrastructures, de l’agriculture et de l’énergie.

Madagascar sort progressivement d’une période de turbulence politique, et amorce aujourd’hui une trajectoire de redressement économique. Pourtant, son système financier reste encore embryonnaire, sous-dimensionné face aux besoins d’un pays en quête de transformation structurelle. Le crédit au secteur productif demeure trop limité, les marchés de capitaux inexistants, et les dispositifs d’inclusion financière peinent à répondre aux enjeux sociaux.

Les autorités mettent en œuvre des réformes ambitieuses — modernisation de la réglementation bancaire, stratégie nationale d’inclusion financière, promotion des paiements électroniques — mais leur impact reste conditionné par leur coordination et leur appropriation effective. Le renforcement des capacités de la supervision bancaire, l’amélioration de la gouvernance des institutions financières et la mise en place d’outils d’analyse des risques systémiques sont aujourd’hui essentiels.

Par ailleurs, les discussions mondiales sur la finance durable et la mobilisation des ressources pour les Objectifs de Développement Durable (ODD) interpellent aussi Madagascar. Le pays ne peut rester en marge de ces dynamiques : l’intégration progressive des critères ESG, même dans un cadre encore informel, représente une opportunité pour orienter l’investissement vers des secteurs porteurs, inclusifs et résilients.

En 2017, les bases sont posées. L’enjeu est désormais d’accélérer les réformes, tout en assurant leur ancrage local, pour faire du système financier un véritable levier de souveraineté économique et de prospérité partagée.

Par Omar Ibn Abdillah

Vol à vif, le roman à paraître de Johary Ravaloson

ADI_Vol a vifQuand commence la lecture du roman Vol à vif de l’écrivain malgache Johary Ravaloson, le lecteur que je suis a du mal à trouver ses repères. On se retrouve embarqué dans une situation particulièrement exotique : l’univers des voleurs de zébus de l’arrière pays malgache. D’ailleurs, on est pris par ce vol à vif, dans lequel l’écrivain nous narre le détail de l’action tout en nous présentant les différents personnages. Les brigands ourdissent leur plan et le mettent à exécution avec une certaine réussite. Ils arrivent même à semer leurs poursuivants dans un premier temps. Naturellement, et c’est tout l’intérêt du roman, un paramètre difficile à anticiper pour ces voleurs va être celui de l’intervention d’un hélicoptère pour permettre aux forces de l’ordre d’améliorer leur traque des voleurs.

Portraits du jeunesse  désoeuvrée

Johary Ravaloson prend le temps de décrire les membres de cette bande de jeunes désoeuvrés. On découvre des personnages marqués pour les plus charismatiques d'entre eux par une forme de nihilisme. N’hésitant pas, par une action d’éclat, à choisir la mort plutôt que l’enfermement… Tibaar, le plus jeune du groupe assiste impuissant à l’exécution de ses compagnons. Par les hauteurs qui surplombent le lieu de l’affrontement, Tibaar s’extrait miraculeusement des griffes des forces de l’ordre, avec l’aide d’un papangue, sorte de milan malgache. La plume de Ravaloson est si sensible, si maîtrisée, si proche de ces jeunes délinquants qu’on se prend d’empathie pour ces personnages froidement abattus par la police. Il y a dans cette première phase du roman, une poétique sur la violence sourde qui, dans cette campagne reculée de Madagascar, fait étrangement écho au texte du guinéen Hakim Ba, Tachetures (Editions Ganndal). Il y a nihilisme. 

Des voleurs de zébus à l'intrigue de succession

Deux histoires se superposent pourtant. Au forfait des Dahalo (voleurs de zébus), Johary Ravaloson oppose une histoire plus ancienne. Celle du bannissement d’un nouveau né au sein du clan des Baar. Sur fond d’intrigue, d’héritages, de manipulation de Markrik, un des tous premiers cadres formés à la sauce occidentale, successeur naturel du chef traditionnel des Baar et qui nourrit de nombreuses ambitions à cheval entre deux mondes. Le nouveau né étant selon les oracles de ce clan porteur de malédictions mais aussi un prétendant à la succession, Markrik qui est en même temps le père de l’enfant, veut à tout prix la mort de l’enfant.

Quand j’ai dit tout cela, je n’ai rien dit. Car, tout l’art de Johary Ravaloson  est dans la construction de son histoire, dans les rapprochements de ces séquences de narration qui au début de la lecture  peut faire penser à des nouvelles totalement indépendantes. Quel lien peut-il y avoir entre ces jeunes voleurs de zébus et les intrigues de palais de Markrik? Il faut le lire.

Des mondes qui s'effondrent encore…

J’aimerais souligner les nombreux points forts de ce roman. La première force de ce roman réside dans la spiritualité qui sous-tend le propos de Johary Ravaloson. Un des personnages au centre de ce roman est un prêtre Baar dont la prise de parole ou la réflexion explique l’empreinte spirituelle de ce roman. Un ancrage dans le culte des Ancêtres, dans l’animisme sous tend le propos de l’auteur malgache. Cet ancrage se traduit aussi par une description minutieuse et profonde des us et coutumes baar avec des points de notre point de vue actuel ne manqueront pas d’interpeler le lecteur. Comme le fait que les enjeux communautaires priment sur la vie d’un nourrisson qu’on est prêt à livrer à des fourmis dévoreuses. Ce qui d’une certaine manière n’est pas sans me rappeler le propos de Chinua Achebe où les igbos pour les mêmes raisons allaient abandonner des bébés jumeaux dans le bois sacré à la merci des bêtes sauvages, pour l’intérêt du clan.

Johary RavalosonJohary Ravaloson fait toucher au lecteur le poids de certains choix communautaires, le prix du bannissement et de l’exclusion mais aussi l’émergence d’une singularité, de l’individualisme. C’est une détermination à malgré tout être en quête de l’amour et du regard favorable des autres. Des interrogations de la fatalité, son sens. La figure de Tibaar va donc très intéressante à suivre. Ce roman est tellement riche. J’aborderais deux autres points :

L’écriture est totalement au service des personnages. Elle est poétique et je l’imagine portant la langue des Baar (si ce groupe ethnique n’est pas une fiction), la philosophie de ce peuple. Elle porte avec la même exigence chaque phase du roman.

Le travail d’orfèvre de Ravaloson s’exprime aussi dans la conclusion du roman et dans les perspectives extrêmement ouvertes qu’il propose à ses personnages avec une interaction entre le mythique et le temporel. 

Que dire d’autres? Beaucoup. Mais je suis sur un blog régi par des règles de publications. Donc, je vous prierai de vous faire une idée et de parler de ce roman autour de vous. Un texte qui sera publié aux éditions réunionaises  Dodo vole.


Johary Ravaloson, Vol à vif
Editions Dodo vole, à paraître en février 2016

Source photo – Vents d'ailleurs

Nouvelles chroniques de Madagascar

Les Editions Sépia ont une nouvelle fois eu la bonne initiative de publier des nouvelles – ici quatre – d’écrivains de la grande île, auteurs qui pour la plupart sont très peu connus du lectorat ; pour certains il s’agit de leur première publication. Quelle excellente manière de pénétrer la multitude des facettes de Madagascar – si tant est que cela soit possible -, et de leur donner corps en accordant voix au chapitre à ses nouvellistes de talent ; car, il s’agit bien d’auteurs de qualité dont il est question ici avec une préférence avouée pour Hery Mahavanora et sa nouvelle, Au Nom du Père, et Johary Ravaloson, Antananarivo, ainsi durant les jours pluvieux. Chroniques de vies ordinaires. Sépia permet à ces auteurs francophones de se faire entendre dans une nation où écrire dans notre langue est l’exception : aucune institution locale favorisant l’expression française n’y est encouragée pour des raisons à la fois culturelle et historique. A noter l’excellente préface de Dominique Ranaivoson, un modèle d’introduction pressant le lecteur à se perdre dans des réalités insulaires certes parfois dramatiques mais toujours d’une grande richesse.

Pour la première nouvelle, celle de Hery Mahavanora, l’introspection douloureuse d’un homme d’âge mur qui par hasard dans les rubriques nécrologiques de son quotidien apprend enfin l’identité de son géniteur ; lui dont la bâtardise et l’ignorance de son père l’a tant fait souffrir dans une société puritaine ; une plaie douloureuse qui l’a amené sans cesse à se surpasser – exigence de la réussite dans les études – et fuir cette île, aller loin, très loin, en France, et y trouver l’anonymat, la paix.

« Mais la véritable libération est venue avec ma rencontre de Krouri, plusieurs années plus tard, quand toutes ces humiliations et ces états d’âme n’étaient plus que de mauvais souvenirs, et que ma rage de réussir m’avait permis d’accéder à une position sociale enviable. Sacré Krouri ! Bâtard comme moi, mais fier de l’être et transcendant son état comme un don du ciel. Je le revois me dire que les bâtards étaient meilleurs que les autres car confrontés aux difficultés qu’ils devaient surmonter. (…) Merci à Krouri ! Je lui dois ma sérénité et ma fierté retrouvées. Gloire aux bâtards ! Ceux qui ont souffert le martyr pour remplir des fiches de renseignements dans leur enfance et qui ont essuyés les sarcasmes et humiliation de la part de leurs compagnons de jeu à cause de cette anomalie. Ceux qui ont cherché en vain un réconfort paternel dans les moments difficiles. Ceux qui ont sombré, à court d’arguments et de ressources morales, et n’ont pas résisté. Ceux qui ont transcendé cette humiliation, transmutation à la manière de la pierre philosophale. Gloire à vous… mes frères et sœurs dans l’adversité. Je mesure aujourd’hui seulement le chemin parcouru. », pp. 18 et 19.

Dans la seconde nouvelle – excellente ! -, Antananarivo, ainsi durant les jours pluvieux (…), l’auteur déroule le fil narratif à partir d’un taxi de la capitale et va de client en client (putes, vahazas et autres) pris dans les méandres de leurs réflexions et de leur solitude ; il en va ainsi du conducteur, faim au ventre, se devant absolument de rentrer avec quelques monnaies pour payer la location du taxi et attendant nuitamment sur une des collines cerclant la ville avec le vague à l’âme dans sa contemplation.

« Une nuit d’avance. Je me réveillai tenaillé par la faim. Les étoiles d’Antananarivo luisaient dans la pleine endormie. Je cherchais à deviner ses aspérités qui la caractérisaient en me repérant aux artères de lumières. Elle s’étendait maintenant sur des kilomètres et, si on confondait par temps clair ses lumières avec celles des astres à l’horizon, on discernait aussi des trous noirs qui pouvaient tout aussi bien correspondre à des terrains boisés, marécageux ou ésidus de rizières échappant encore aux tentacules de la construction qu’à des uartiers cachés par une butte ou tout simplement subissant un délestage de la JIRAMA, la compagnie nationale d’électricité. », p. 41.

La nouvelle de Désiré RazaFinjato, Tahiry, De Madagascar au Djebel algérien, nous emmène loin : un autre continent, une autre époque, la guerre d’Algérie. Appelé sous le drapeau français à combattre le FLN, Tahiry le malgache, personnage torturé, a en mémoire les événements révolutionnaires malgaches de 1947 – environ 80 000 des siens sont tués sur ordre de l’Etat Français. Impossible de déshonorer les morts ; unique chemin de recours, jouer double jeu, guerroyer de facto pour l’indépendance de l’Algérie. Mais à son retour, comment faire comprendre à sa famille honteuse d’avoir un fils venant de l’armée impérialiste qu’il était bien au contraire un résistant, un combattant des indépendances ! Impossible… le départ solitaire et infortuné du village vers la ville.

La solitude est un des fils conducteurs des trois précédents récits, triste fatalité que rompt la dernière nouvelle, Doublement un, de Cyprienne Toazara. A la tonalité résolument optimiste de ce conte naît l’union maritale d’un Malgache, le colonisé, revenant de France après la guerre à une vazaha (Blanche) française : surprise de la famille et des villageois d’autant plus que le
couple a décidé de s’installer au village. Une seule ombre au tableau, mais de taille, aucun enfant après des mois d’union. Dès lors, aux arts religieux et autres pratiques magiques pour réparer ce tort qui ne peut venir que de la femme (!) ; le fruit de la réconciliation des peuples, la naissance de l’enfant métisse, ne semble cependant rien devoir aux ancêtres bien aimés….
Vous avez dit conte ?!

Ce recueil de nouvelles ne tombe pas dans les clichés miséreux que pourrait colporter une certaine littérature de compassion : la tristesse, la solitude et le sentiment de fatalité n’empêchent pas l’ensemble des acteurs à se battre et vivre dignement. Autre point à souligner, la permanence du jugement familial – voire du village : toute action individuelle est pesée et soupesée à la lumière des intérêts et de la réputation de la famille, entité indivisible ; une autorité communautaire à laquelle il n’est possible d’échapper qu’en partant pour la ville, Antanarivo, la Babylone malgache, ou pour les plus « chanceux » à l’étranger. Que dire de plus pour encourager le lecteur à s’embarquer pour la grande île de l’océan Indien si ce n’est de se munir de chacun des recueils de cette collection qui a le grand mérite d’embrasser au plus près de son corps Madagascar. Et tant pis si quelques maladresses d’écriture s’y glissent.

Nouvelles Chroniques de Madagascar, Sélectionnées et présentées par
Dominique Ranaivoson
, Editions Sepia, 2009, 146 p.

Hervé Ferrand, article initialement paru sur son blog

Histoire de la langue malagasy

Mon intention est de donner un minimum de ce qu’il faut savoir de la langue malagasy actuelle à l’intention du plus grand nombre plutôt que des spécialistes. Force est de constater que la plupart des locuteurs de cette belle langue ignorent son histoire, c’est-à-dire sa formation et son évolution.

Le terme malagasy
Au départ, l’adjectif dérivé du nom de pays Madagascar était madécasse. Ce terme, utilisé pour la première fois par les tribus du Sud de la Grande l’Ile s’est transformé en malagasy, parce que dans cette partie du pays, souvent le son ‘de’ se transforme en ‘le’ ou ‘la’. Les Français arrivés à la fin du XIXe siècle comme colonisateurs ont francisé le mot malagasy, devenu ainsi malgache ! Entre l’adjectif madécasse-malagasy et la francisation «malgache», le rapport (linguistique) n’est pas évident. D’aucuns pensent que «malgache» a été forgé à dessein, peut-être pour donner une connotation péjorative au mot ; «malagasse» conviendrait mieux et serait moins suspect.

Langue et dialectes
Il y a 18 dialectes à Madagascar, un chiffre correspondant au nombre des tribus malagasy. Evidemment, je fais une simplification. Il y a peut-être plus de dialectes que de tribus car dans certaines régions, plusieurs clans font partie d’une même tribu et parlent leurs dialectes. Et toutes les tribus forment une seule ethnie, au sens premier du terme, l’ethnie malagasy. Ces dialectes ont, par définition, un substrat commun mais aussi des traits caractéristiques les distinguant les uns des autres. En termes plus simples, les dialectes malagasy sont des variantes d’une même langue. Elles varient dans l’espace et aussi dans le temps.
Le substrat vient du Pacifique, et fait partie des langues austronésiennes parlées aussi en Asie du Sud-Est. Il a été enrichi, entre autres, par des mots bantus et swahili, mais aussi plus tard des mots anglais et français. Par ailleurs, je suis tenté de trouver des traces sémitiques dans la langue malagasy. Car la structure des mots, par exemple les substantifs par leurs suffixes qui souvent désignent le possessif, fait penser aux substantifs dans la langue hébraïque.

La langue malagasy actuelle
Il y a deux thèses populaires qu’il faut considérer avec prudence. La première développe l’idée de l’existence de plusieurs langues, plutôt que des dialectes, à Madagascar. Or nous savons qu’un Malagasy de l’extrême sud de l’Ile qui va à l’extrême nord, c’est-à-dire à 1600 km de chez lui, parlera correctement le dialecte du nord en quelques semaines. Les difficultés qu’il rencontrera se situent essentiellement au niveau du vocabulaire et de la prononciation. Un exemple peut appuyer cette idée : un texte traduit par les missionnaires lazaristes au XVIIe siècle dans le dialecte Mahafaly, une tribu du sud, aux environs de Tolagnaro actuel, est intelligible aujourd’hui aux autres tribus de l’Ile. Il avait la substance de la langue malagasy commune. La deuxième thèse affirme que le dialecte merina, de l’une des tribus du centre, est devenu la langue officielle de Madagascar. Cette thèse ressemble à une simplification de la formation d’une langue officielle. Certains l’adoptent sans doute par manque d’information.

Le processus de la formation de la langue officielle malagasy suit les mêmes règles qu’ailleurs. Deux exemples suffisent pour l’expliquer. Nous savons que la France a plusieurs langues –plutôt que des dialectes. Le breton est une langue celtique que ses locuteurs partagent en partie avec les Gallois et les Ecossais. Nous pouvons également citer le catalan qui a des affinités avec les langues d’origines latines, l’occitan et bien d’autres langues. Il fallait attendre la Renaissance et surtout la Réforme du XVIe siècle pour que le français devienne la langue officielle et ce, grâce en grande partie à la traduction de la Bible dans cette langue. La traduction de la Bible en français est donc un facteur unificateur car à côté de leurs langues maternelles, les Français parlaient la langue officielle. Nous considérons ainsi le XVIe siècle comme le siècle de l’envol de la littérature française avec comme acteurs principaux Rabelais, Du Bellay, Ronsard, Marot (le protestant), Théodore de Bèze (l’assistant du Réformateur Jean Calvin) et bien d’autres. L’Allemagne a connu le même processus bien avant la France. Grâce à la traduction d’abord du Nouveau Testament par le Réformateur Martin Luther et plus tard de toute la Bible, ce grand pays au départ hétérogène a une langue commune, l’allemand. 

Le cheminement de la langue malagasy
Nous partons donc de l’idée qu’il y a plusieurs dialectes à Madagascar. Ils ont les mêmes origines et gardent le même substrat. Ils se sont progressivement enrichis des mots étrangers, mais souvent pas de la même manière, puisque les dialectes varient, comme nous l’avons dit, dans le temps et dans l’espace. Quand les missionnaires de la London Missionary Society sont arrivés sur la côte est, dans la ville de Toamasina actuelle, la plus grande ville de la région Betsimisaraka en août 1818, ils ont décidé d’aller plus à l’intérieur de la Grande Ile pour arriver à Antananarivo, la plus grande ville de la région Merina certainement pour des raisons stratégiques. Antananarivo était en effet la capitale du Royaume de Madagascar –mais certains royaume n’étaient pas encore acquis à l’unification par le roi Radama I. Pour eux, il fallait y commencer l’œuvre missionnaire.

Ces missionnaires ont entrepris la traduction de toute la Bible en malagasy. En juin 1835, les Malagasy avaient la Bible dans leur langue. Il est évident que le malagasy de la Bible est très proche du dialecte merina par le vocabulaire, les phonèmes, la prononciation et les idiomes, les traducteurs côtoyant quotidiennement les Merina au milieu desquels ils vivaient. Ils étaient aussi proches de la famille royale soucieuse de la sauvegarde et du développement des us et coutumes, et surtout de la langue. C’est d’ailleurs à cette époque que l’Etat a adopté l’alphabet latin au détriment du Sorabe, l’écriture arabe ! Nous pouvons bien imaginer que des mots (et leur graphie) et des concepts ont été inventés, comme au temps de Luther qui traduisait le Nouveau Testament et des réformateurs français qui traduisaient toute la Bible. Comme en Allemagne et en France au XVIe siècle, la littérature malagasy dans sa forme moderne est née grâce en grande partie à la traduction de la Bible. Elle s’est développée et s’est enrichie de nouveaux concepts et de nouveaux mots empruntés ou tout simplement forgés. Actuellement elle est capable de dire l’essentiel.

Un autre cheminement
Nous pourrions imaginer un autre scenario quant au développement de la langue malagasy. Les missionnaires de la LMS auraient pu rester à Toamasina –du nom d’un missionnaire Thomas Bevan, en région Betsimisaraka ! Ils auraient alors traduit la Bible dans un malagasy très proche du dialecte Betsimisaraka, notamment en vocabulaire et en prononciation. Les autres tribus pourraient alors comprendre ce malagasy avec un petit effort de leur part. Le malagasy officiel serait légèrement différent de ce qu’il est actuellement.

Le malagasy de l’avenir
Comme toutes les langues, le malagasy se forme et se forge tout au long de l’histoire. Certes, elle est riche dans certains domaines comme dans les relations humaines, mais elle doit se laisser enrichir par l’apport des dialectes qui ont des termes précis, mais aussi des sons, des diphtongues et des idiomes que la malagasy officiel n’a pas. Les locuteurs de la langue malagasy, actuellement au nombre de 19 à 20 millions, et les éducateurs en particuliers, doivent accepter la dialectique entre le malagasy officiel et le dialecte, entre le développement de cette langue qui unit tous les Malagasy, et la sauvegarde des dialectes qui expriment la diversité dans cette unité. 

 

Solomon Andria

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