A quoi ressemble l’opposition au Burkina ?

Réputé comme étant l’un des pays au monde regroupant le plus de partis politiques, le Burkina Faso peine à trouver ses marques dans ce domaine. Avec près de 200 partis, bien que l’univers politique semble saturé, de nouveaux partis sont pourtant créés et l’animation politique nationale est pauvre, car l’œuvre de seulement quelques partis.

On distingue ainsi plusieurs types d’opposants au Burkina et les changements de bord ou même de parti sont fréquents, surtout en période électorale. Il y a d’abord les partis qui participent aux élections présidentielles, ceux qui ne concourent qu’aux législatives, les spécialistes des municipales et ceux qui envoient des candidats à toutes les élections. D’autres partis ne font parler d’eux qu’au moment de former des coalitions ou parce qu’ils viennent en soutient à d’autres partis, surtout pour celui qui est au pouvoir, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès). Enfin, la dernière catégorie est formée de ceux qui n’apparaissent que dans les archives du Ministère de l’Administration Territorial, de la Décentralisation et de la Sécurité(MATDS). Tous, pourtant, prétendent « lutter pour les intérêts et l’épanouissement du pays et des citoyens ».

Il est vrai qu’un adage populaire burkinabé stipule « si ta tante change de mari, il faut changer de beau-père». Certains opposants semblent l’avoir repris à leur compte et en politique, il devient : « si l’économie change de mains, il faut changer de partenaires ». A voir les comportements au début, leur évolution jusqu’à l’état actuel de la majorité des hommes politiques du « pays des hommes intègres », il nous revient en mémoire cette phrase célèbre du Pr Joseph Ky-Zerbo : « en Afrique on ne développe pas, on se développe ».

L’opposition Burkinabé se présente comme la plus virulente en critique, mais est peu riche en propositions. Le manque d’entente entre opposants, de stabilité idéologique, les scissions, souvent orchestrées par le pouvoir, compliquent bien souvent son travail. En témoignent : le « nomadisme politique » de Herman Yameogo, l’affaire du Dr Emile Paré et du Pr Laurent Bado, du P.A.I dont les querelles de paternité entre Philippe Ouedraogo et Soumane Touré ont tourné à l’avantage du premier ; et Soumane Touré viens d’alourdir encore le nombre de partis politiques en créant récemment le P.I.T (parti de l’Indépendance et du Travail). Chacun préfère donc être président d’un parti limité au bureau politique plutôt que d’être vice-président d’un parti assez représentatif sur le plan national.

Les élections présidentielles de 2005 ont été particulièrement marquantes. Le chef de file de l’opposition de l’époque, à savoir Julbert.N.Ouedraogo, président de l’ADF/RDA (l’Alliance pour la Démocratie et la Fédération / Rassemblement Démocratique Africain) a fait un virage historique en soutenant la candidature du président Compaoré aux élections présidentielles, soutient qu’il a réaffirmé en 2010 et qui va sûrement continuer tant qu’il conservera son fauteuil de ministre des Transports, de la Poste et de l’Économie Numérique dans le gouvernement de Blaise Compaoré. Un terme nouveau est apparu dans l’univers politique burkinabé : les partis d’oppositions dans la mouvance présidentielle.

Actuellement, l’opposition a à sa tête Maitre Bénéwendé Stanislas Sankara, qui malgré le regroupement autour de lui à travers l’UNIR/PS, dont il est le président, a fini 3eme aux élections présidentielles de novembre 2010 avec un score de 6,34%. Hama Arba Diallo, pour sa première participation à une élection présidentielle a formé une coalition et fini 2eme avec 8,21%. Le président Compaoré, dont la victoire a été hautement contestée et bien que la requête de l’opposition fut validé par le Tribunal Administratif qui a reconnu la non-conformité de la carte d’électeur, a préservé son fauteuil avec 80,15%. Notons que le nombre d’inscrit à cette élection était de 3.234.246, avec 1.772.404 votants et 78.939 bulletins nuls, sur une population estimée à près de 14.000.000 d’habitants. Tous ces résultats sont ceux, définitifs, proclamés par le Conseil Constitutionnel le mardi 07 décembre 2010 à Ouagadougou.

Signalons également que l’opposition ne jouit pas d’une grande crédibilité au sein de la population burkinabé, situation confirmée durant la récente crise civile et militaire qu’a connue le pays. Peinant d’abord à organiser un meeting (puisque l’idée n’a pas fait l’unanimité au sein même de l’opposition) afin d’exiger le départ du président Compaoré le 30 avril dernier, Maitre Bénéwendé.S.Sankara et ses camarades se sont retrouvés à la place de la Nation avec moins de 500 participants, qui avaient comme slogan phare « Blaise Dégage ». L’opposition n’a donc pas su profiter de cette crise et a encore démontré ses incapacités à mobiliser largement.

A l’Assemblée Nationale, constituée de 111 députés de quatre groupes parlementaires dont le plus important est celui du parti au pouvoir CDP (71 députés), l’opposition peine également à trouver sa place. Le premier groupe parlementaire d’opposition, à savoir l’ADF/RDA qui comptabilise 15 députés, s’est engagé à accompagner le programme du président du Faso. Donc, il ne reste de fait qu’à peine 25 députés qui puissent se présenter comme « membres de l’opposition » à l’Assemblée, et ce chiffre pourrait être encore réduit, si l’on tenait compte de certaines habitudes de vote… Le CDP n’aurait donc pas de mal à faire passer une loi contraire aux valeurs démocratiques à l’Assemblée, si le peuple doit uniquement compter sur cette opposition.

Le Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques (CCRP), qui a vu le jour comme solution à long terme de la crise, a encore divisé l’opposition et même la société civile. Etait-ce là un des objectifs du tout nouveau ministère de Bognéssa Arsène Bognéssa Yé? Ce qui est sûr, c’est que la loi sur l’article 37 de la constitution, qui interdit toute possibilité au président Compaoré de se représenter pour un nouveau mandat, n’a pas fait l’unanimité au sein de ce conseil tant décrié. Le président Compaoré nourrit-il le secret espoir de se représenter en 2015 ? Ses conseillers au CCRP ont déjà laissé apparaître cette ambition. Une partie de la société civile préconise donc un référendum. N’est ce pas précipité ou ont-ils déjà oublié l’exemple de notre voisin Nigérien Mamadou Tandja ? Mais pourquoi un référendum si l’article 37 est clair, sur l’impossibilité du Président de se représenter aux élections? La population burkinabé doit donc redoubler de vigilance et être prête à se mobiliser, surtout en ces périodes de réformes, pour ne pas se laisser surprendre par ce jeu politique auquel ceux qui prétendent parler en son nom semblent déjà sur la défensive.

 

Ismael Compaoré

Il était une fin… le Front Populaire Ivoirien ?

« Ce que je veux savoir avant tout, ce n’est pas si vous avez échoué, mais si vous avez su accepter votre échec ».

Abraham Lincoln

 

Le relativisme qui caractérise nos sociétés modernes affirme que « toute croyance est fragile et que toute interprétation du monde est bonne à être déconstruite ». Dès lors, il induit la multiplication des rapports de forces et des batailles : aucun repère n’est davantage valable qu’un autre, aucun objectif clair ne se dégage, les mots eux-mêmes perdent de leur substance.

En Cote d’Ivoire les mots deviennent de plus en plus vides de sens. L’opposition politique cherche à se réorganiser sur les restes du pouvoir déchu de la Refondation. Les positions tranchées entre les Refondateurs, restés fidèles aux idéaux de la Refondation, et les Refondus, qui se sont laissés enivrés par l’argent et le pouvoir, suscite chez l’observateur un certain nombre de réflexions qu’il convient d’exposer. Le but de la démarche n’est pas tant de prendre position pour un camp contre l’autre, mais plutôt de faire en sorte que les opinions laissent place aux arguments. Le but final de tous étant le même : donner au pouvoir en place une opposition crédible et digne d’elle.

En Côte d’Ivoire la notion d'opposition semble aujourd’hui illusoire pour un FPI qui n’a jamais voulu envisager l’hypothèse d’une défaite électorale et ce même après la décision du panel de l’Union Afrique pourtant réclamé par Gbagbo lui-même. Comment définir alors l’opposition ivoirienne nouvelle ? Quels sont ses caractères ? La réponse du point de vue structurel est simple : elle sera soit réformée et crédible, soit elle sera nostalgique et moribonde. Tout sera fonction de la ligne politique adoptée.

Politique compassionnelle ou politique rationnelle ?

Après le 11 Avril 2011, l’arrestation de Laurent Gbagbo et sa déportation dans le Nord de la Côte d’Ivoire, le FPI s’est retrouvé « couché à même le sol, gisant inerte dans les ruines encore chaudes de la démocratie qu’elle a instauré en Côte d’Ivoire ». Dans l’émoi et la consternation qui se comprend sur le moment, le FPI s’était alors terré dans la clandestinité, dans la peur. En période de bouleversement organisationnel, la frontière entre le passé et l’avenir du parti apparaît plus ténue que jamais d’autant plus que le FPI faisait également face à une désaffectation et un cynisme croissants. Il aura fallu alors le retour d’un homme, Mamadou Koulibaly, pour que le parti de la Refondation reprenne quelque peu des couleurs. Mais c’était sans compter sur l’entêtement et les rancœurs qui minaient encore le parti. « No Gbagbo, no peace » : voilà ce qui semblait dès lors être la ligne politique du FPI. Mais cette façon réductrice de voir la réalité est vraisemblablement vouée à l’échec.

La libération de Gbagbo est-elle vraiment la priorité ? Non, parce que le FPI n’est pas, en ce moment, en position d’exiger quoique ce soit, notamment la libération de Gbagbo. De quels moyens disposent le FPI pour pouvoir exiger cette libération ? Sur quoi compte t-il ? Le rapport de force a changé. Exiger la libération de Gbagbo comme étant une priorité, un préalable à la suite de l’action politique du FPI est absolument contre-productif, tout simplement parce que Ouattara ne le fera pas. Et que fait-on après ? La logique voudrait dans cette hypothèse qu’on s’asseye, qu’on croise les bras, qu’on boude le fonctionnement de l’Etat, qu’on se mette en marge de la construction de la Côte d’Ivoire, tant que Gbagbo ne sera pas libre.

C’est l’une des meilleures voies vers la disparition du parti. Ce scénario arrange plus Ouattara que le FPI ou Gbagbo lui-même. Mais cela ne veut pas dire que la question de la libération de Gbagbo n’est pas importante, elle l’est pour le processus de réconciliation. Le moment serait venu où cette question l’aurait été. La précipitation et l’émotion ne sont pas l’apanage d’une stratégie politique durable et viable. Malheureusement le FPI, malgré les efforts de Koulibaly, n’a pas voulu s’engager dans la voie du changement signant du coup son propre arrêt de mort, allant même jusqu’à refuser l’idée d’un congrès sans Laurent Gbagbo.

Oui le FPI risque fort de mourir parce qu’il n’a plus aucune substance, plus aucun projet que celui de rester assis et attendre le retour prophétique de Gbagbo. Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre le parti de la Refondation se limite à cela aujourd’hui, naviguant à vue, sans aucune vision. Le 2 Mai 2010, à la clôture de la Fête de la Liberté organisée par le FPI, Laurent Gbagbo n’avait-il pas lui même affirmé que la vision en politique ne servait à rien, car la politique, dans sa compréhension des choses « c’est mettre le pied droit devant le pied gauche, puis le pied gauche devant le pied droit et ainsi de suite » ?

La naissance du LIDER

Heureusement les idées de liberté et de démocratie sont maintenant sauvegarder avec la création de Liberté et Démocratie pour la République (LIDER) par Mamadou Koulibaly, qualifiée par  Miaka Ouretto comme « la pièce maitresse du FPI ». Comme Margaret Mead le dit si bien, « ne doutez jamais du fait qu’un petit nombre de gens réfléchis et engagés peuvent changer le monde. En réalité, c’est toujours ce qui s’est passé ».

Le grand défi de LIDER sera donc d’apporter le changement, un changement des objectifs politiques, un changement des instruments qui permettent de concrétiser et de mettre en mouvement l’action de développement, et un changement des cadres institutionnels qui structurent l’action de l’Etat. Les Ivoiriens qui aspirent à autre chose, qui veulent oser une nouvelle voie, peuvent s’y engager avec détermination, courage et humilité. La détermination fait référence à la présence d’une vision claire et articulée des changements à mettre en œuvre, le courage au fait d’aller de l’avant malgré les intérêts qui sont remis en cause et l’humilité renvoie à une conception du rôle du politique comme étant celui qui doit être au service de ceux dont il a la responsabilité. Il faut donc faire évoluer ensemble des Ivoiriens de toutes origines, aux valeurs diversifiées et démontrant une vision différente de l’union. Les nouvelles générations aspirent à la liberté et au bonheur dans le contexte actuel d’incertitude. D’une approche basée davantage sur le compassionnel, il faut aller vers une approche plus rationnelle de l’autorité. Cette caractéristique manque fortement aux nouveaux tenants du FPI qui s’enferment dans des discours vides de sens. Même si les mots sont élégants, l’érosion de leur combat se drape dans l’utilisation de visions à courte vue, sans prendre conscience des dangers que cette attitude génère sur l’existence même du parti.

« La défaite peut se révéler une délicieuse attente quand on sait comment préparer sa revanche » – Cincinnatus.

 

Mohamed Radwan, article initialement paru sur Pensées Noires

 

Mais où sont passées les oppositions ?

Les sociétés du continent africain sont traversées par une vague de contestation vis-à-vis des autorités qui les dirigent d’une ampleur historique. En Afrique du Nord, des pouvoirs autoritaires, corrompus et sclérosés ont été remis en cause et renversés (Tunisie, Egypte partiellement) par des soulèvements populaires. La Lybie continue à être le théâtre d’une telle contestation et, dans des contextes différents, l’Algérie et le Maroc n’échappent par à la règle. L’onde de choc de ce mouvement populaire de rébellion s’est étendue à l’Afrique subsaharienne, qui connait en cette année 2011 une série d’élections qui auraient dû canaliser cette contestation. Les processus électoraux de la Guinée Conakry ou de la Côte d’Ivoire ont cristallisé des revendications politiques vieilles de plusieurs décennies qui ont enfin trouvé à s’exprimer, mais de manière violente, surtout en Côte d’Ivoire. Au Nigeria, le processus électoral n’a pas permis de réconcilier les élites et la jeunesse urbaine pauvre, le scrutin opposant un cacique du parti au pouvoir incarnant tous les travers de la démocratie nigériane à un ancien putschiste. Conséquence : les élections nigérianes ont de nouveau été entachées de violences et de tueries. D’autres scrutins, moins médiatisés, ont avalisé sans trop de remous la perpétuation du pouvoir en place (Centrafrique, Tchad, Djibouti).

Mais au-delà des résultats de ces différentes élections, le constat s’impose d’un « réveil » de la contestation. Après des décennies de passivité, les peuples d’Afrique semblent vouloir briser les chaînes de leur soumission aux pouvoirs tutélaires qui les dirigent depuis trop longtemps, sans apporter de réponses à leurs problèmes quotidiens et à leurs aspirations les plus légitimes. Cette contestation recouvre aussi une brisure générationnelle entre la majorité de la population, jeune, urbaine ou péri-urbaine, éduquée, pauvre, sans perspective d’avenir, face aux mêmes dirigeants qui, pour certains, étaient déjà au pouvoir au moment de la naissance de plus de la moitié de la population du pays. La figure de l’autorité du chef en pâtit forcément, et c’est parfois tout le lien social intergénérationnel qui semble se déliter, remettant en cause des principes culturels africains multiséculaires.
Les jeunes en ont marre et le font savoir. Ils manifestent, se rebellent, bloquent les routes et caillassent les voitures, s’en prennent aux symboles de l’Etat illégitime. Les mêmes causes structurelles de ce mécontentement se retrouvent dans la quasi-totalité des pays subsahariens. Pourtant, mis à part quelques cas (Burkina Faso, Ouganda, Cameroun et Sénégal de manière sporadique, Madagascar il y a peu), la cocotte bout mais ne siffle pas. Que manque-t-il à l’Afrique pour se débarrasser au plus vite de ses pouvoirs les plus caricaturaux qui l’handicapent dans son développement ? Une étincelle comme à Sidi Bouzid ? Ou des forces d’opposition crédibles qui puisse canaliser la révolte en quelque chose de constructif ?

C’est en effet sans doute la principale caractéristique des révoltes de 2011 : leur absence de leader, leur développement en dehors des structures traditionnelles du politique. Ce ne sont pas les mouvements de l’opposition qui ont amené les jeunes dans la rue, ce sont les jeunes qui ont poussé les opposants aux régimes à venir attraper le train de la révolte en marche. Cela a été le cas en Afrique du Nord. C’est encore plus le cas en Afrique subsaharienne, notamment dans un pays comme le Burkina Faso. Les opposants y sont presque aussi décrédibilisés et éloignés des manifestants que les membres du pouvoir en place. Et ce scénario se répète dans nombre d’autres pays comme le Cameroun, le Gabon, le Bénin, avec des opposants historiques au pouvoir en place qui partagent pour l’essentiel le même logiciel clientéliste d’organisation militante, les mêmes principes de l’exercice du pouvoir, bref, les mêmes travers. Seule la clientèle change.
Ce ne sont pas ces opposants qui réussiront à mobiliser les masses de jeunes et de moins jeunes qui renverseront les pouvoirs qui refusent de quitter la scène. La nature ayant horreur du vide, notre époque commence pourtant déjà à produire cette nouvelle génération d’opposants. Non pas des parrains qui distribuent des prébendes à leur clientèle en vilipendant le parrain au pouvoir, mais des leaders d’opinion qui n’ont pas peur du rapport de force, de prendre des coups, de mobiliser la rue et de gagner le soutien de l'opinion publique sur des revendications concrètes. C’est dans ce sillon que s’engage Kizza Besigye, principal opposant à Museveni en Ouganda qui, après avoir perdu des élections jugées truquées, a maintenu la pression en organisant des marches de protestation, réprimées par le pouvoir. La violence de l’Etat et le courage de l’opposant commencent à sortir les Ougandais de leur torpeur politique, et le mouvement de protestation gagne en ampleur, malgré les risques.
La génération Fesci, du nom de ce syndicat étudiant dont sont issus Guillaume Soro et Charles Blé Goudé en Côte d’Ivoire, est un autre exemple, sur le modèle violent et condamnable, de ce que peut devenir la nouvelle génération d’opposants face à un système sclérosé de barons qui n’intègrent pas les nouveaux venus. Ces derniers, pour se faire une place au soleil, sont amenés à privilégier des stratégies rapides et violentes de contestation du pouvoir aux effets délétères pour l’ensemble de la société. Les sans-grades décident alors de se saisir par la force des biens détournés et des positions de prestige qu’occupent indéfiniment les caciques du pouvoir. C’est un scénario qu’il n’est pas impossible de retrouver bientôt dans beaucoup de pays africains. Un scénario noir puisqu’il privilégie le côté destructeur sur le côté constructeur de la contestation. La fracture générationnelle ne se trouve pas résorbée, une élite de jeunes loups venant juste remplacer une élite de vieux lions, le reste de la population ne voyant pas sa situation changée, ou si peu.

Au-delà des stratégies d’action militante, l’absence des oppositions signe également la défaite de la pensée politique en Afrique. Les grandes idéologies sont pareillement décriées et décrédibilisées. Elles ont peu ou pas d’écho chez les jeunes générations. Aucun autre courant de pensée politique endogène à l'Afrique ne semble rattacher entre eux dans une commune grille de lecture les opposants et leurs militants dans une marche à suivre claire. Il est à ce titre révélateur qu'au Sénégal, par exemple, l'un des mouvements les plus dynamiques auprès des jeunes générations, qui leur offre une grille de lecture du monde et un code d'action, soit un mouvement religieux, branche du mouridisme. Les conversions massives de "born again" dans l'Afrique chrétienne participent de ce même mouvement de dépolitisation des jeunes générations. Le renouveau de la contestation politique devra donc aussi passer par un renouveau de la pensée politique. Tel est le prix à payer pour réenchanter l'Afrique.

Emmanuel Leroueil