Pour un « new deal » entre l’Afrique et le monde : Croissance(s) partagée(s)

JPG_AfriqueCroissanceComment et pourquoi un continent longtemps réduit à être à la fois l’arrière-cour politique et le relais de croissance économique des puissances du monde devient graduellement l’épicentre de toutes les attentions commerciales et intentions de développement international ?

Plus de cinq décennies après des indépendances qu’il n’est point exagéré de qualifier d’autonomies circonstanciées et de forme, l’Afrique suscite aujourd’hui un intérêt gourmand voire avide en termes d’investissements internationaux et d’attractivité pour le business mondial.  Aujourd’hui, la capacité pour les pays africains, dans leur spécificité et globalité, réside dans l’émergence d’une génération décomplexée, habituée aux dynamiques de confrontation internationale en matière de gouvernance politique et économique. Ces Africains nouvelle tendance est suffisamment renseignée sur les circuits de décision internationaux et travaille à une intégration outillée du continent dans l’arène mondiale pour faire face aux enjeux de compétitivité internationale.

A l’ère de la mondialisation débridée, soumise à de multiples crises économiques, bouleversements politiques et réorientation du système et des valeurs de coopération entre les Etats, l’Afrique apparaît comme l’Eldorado de la croissance mondiale et le biotope des nouvelles énergies du monde à l’horizon 2050.

Cette nouvelle donne économique et géopolitique s’exercera t-elle au détriment du continent ?

Faire mentir l’histoire

Pour envisager sereinement l’avenir, convoquer le passé n’est pas une attitude de régression mais de compréhension des piliers qui ont permis d’implanter durablement des schémas politiques, économiques, sociaux et culturels en Afrique. La Conférence de Berlin de 1885 initiée par les conquérants coloniaux sous la houlette du Chancelier Bismarck consacrait le partage de l’Afrique et la mainmise impérialiste sur ces ressources considérées à l’époque comme démesurément illimitées. Cet acte fondateur de la ruée vers l’Afrique, prélude à la colonisation, donnait le signal d’un « gâteau africain » découpé en territoires physiques et géographiques mais aussi en viviers économiques et de rentes pour les puissances occidentales. La suite ne fut qu’une succession de « prises d’intérêt économique et de ressources vitales » à sens unique, asséchant le continent africain, souvent avec la complicité d’acteurs locaux habilités à jouer les auxiliaires de liaison entre le Nord et le Sud.

130 ans plus tard, l’Afrique est toujours au centre de toutes les attentions vues du Nord et même de l’Orient. La Chine complète le tableau des puissances classiques en quête de vitalité économique. Se joue depuis deux décennies au moins en Afrique une guerre économique avec des outils de concurrence féroce entre globalement la France, les Etats-Unis, les Anglais d’un côté et les Chinois qui, forts de leurs longs compagnonnages tiers-mondistes avec l’Afrique, souhaitent durablement s’installer en maîtres dans les secteurs stratégiques sur le continent. Ils ne sont pas les seuls mais restent sur les lignes de front les acteurs prédominants sur l’espace économique et politique africain.

Après la Conférence de Berlin, la colonisation, les indépendances, la guerre froide, et la néo-colonisation et maintenant le cycle nouveau des régimes « post- Chute du Mur de Berlin », que propose l’Afrique pour les Africains et au monde ?

A cet effet, la nouvelle génération d’Africains aguerrie aux mutations géopolitiques dispose d’un avantage imparable : une grande capacité d’adaptation aux transformations et changements culturels du monde d’une part et d’autre part la position ambitieuse d’acteurs et « influenceurs » de nouveaux modèles qu’ils soient économiques et politiques. Le changement de paradigme tient en un axiome : l’Africain des années 2000 fait précéder la vision pragmatique d’un continent émergent, avançant avec ses failles et ses attributs de satisfaction, avant la réalité hypothétique d’une Afrique forte à l’essor économique insolent et à la stabilité politique incontournable.

De quoi l’Afrique est-elle le nom ?

Le continent est aujourd’hui celui des progrès divers et variés sur l’éducation, la santé, l’agriculture, les technologies. A l’horizon 2050, sa démographie sera la plus importante au monde. Actuellement forte d’un peu plus du milliard d’habitants, elle sera la terre d’un habitant sur quatre dans le monde dans trente ans. De fait, c’est le territoire de toutes les consommations et donc des besoins et opportunités. Corrélativement, le continent est celui des ressources : une jeunesse de plus en plus qualifiée en quête de destin collectif, un patrimoine naturel riche en forêts, mers et terres arables et des atteintes climatiques amoindries par un environnement encore vert et préservé. Pour exemple, le deuxième poumon vert du monde après l’Amazonie est au cœur de l’Afrique.

Ces différentes implications placent l’Afrique, pour les puissances internationales et multinationales, comme la terre de tous les attraits car un accès à plus d’un milliard de consommateurs est à la fois source de croissance économique, d’impact culturel et rayonnement international et d’influence politique et géopolitique.

Ainsi, ce continent devenu fortement compétitif apparait de fait comme le champ de bataille économique et politique du monde. Il y a lieu de s’interroger sur les retours de croissance pour l’Afrique elle-même. Le postulat d’une Afrique imprégnée dans la guerre économique et les luttes d’influence, loin d’être démontré, est suffisamment intéressant à analyser comme un nouveau facteur du bouillonnement des relations internationales. Le développement du continent, encore inégalement réparti, déséquilibré du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, malgré des ressources enviées, souffre aujourd’hui de la démonstration objective d’une conscience politique et continentale affirmée.

Au-delà du romantisme sur l’afro-optimisme, l’émergence en action

Il n’est pas un jour où des professeurs de foi, débordants d’enthousiasme invitent à croire en l’Afrique-Lumière, celle sortie miraculeusement de ses ténèbres séculaires par la seule magie du vœu. Le progrès économique, le salut social, la stabilité politique ne peuvent être réduits à des incantations bienheureuses. Aujourd’hui, les référentiels sur les lendemains qui chantent de l’Afrique ne sont pas différents de ceux qui ont été à l’origine de l’émergence de la Chine, du Brésil, de la Turquie, de la Corée du Sud, de la Malaisie, et que savons-nous encore ?

Concrètement, l’Afrique ne peut s’analyser comme un bloc émergent, sujet aux aléas d’une éventuelle récession économique, d’une crise politique, d’un conflit géopolitique. Il existe plusieurs Afrique(s). Le Rwanda, le Maroc, dans une moindre mesure le Nigéria ou l’Afrique du Sud représentent aujourd’hui des points de satisfaction avec la précaution admise mais non souhaitée d’une rechute.

Ainsi pour garder le cap et demeurer compétitif sur les marchés internationaux, les pays africains pris spécifiquement ou dans leur globalité doivent répondre à un ensemble structurant de critères non-exhaustifs mais qui permettant d’établir un climat de confiance pour le monde des affaires. L’existence d’infrastructures routières et maritimes (autoroutes, lignes ferroviaires et fluviales) et de circulation des biens et personnes (aéroports, ports), des conditions politiques stables et la sécurité, une main d’œuvre qualifiée et des cadres techniques de haut-niveau, la réduction de la corruption, des systèmes de santé et académiques adéquats, des capacités d’accueil et d’hébergement aux standards internationaux sont quelques préoccupations pour tous ceux qui souhaitent investir et travailler en Afrique. Un pays doté de structures bancaires et d’assurances sécurisées, de circuits administratifs et institutionnels fluides et dynamiques est rassurant. Le Maroc est l’exemple le plus abouti qui cumule tous ces points ; ce qui en fait aujourd’hui un leader en Afrique et une porte d’entrée vers l’Afrique subsaharienne.

De fait, il est très important que les pays africains soient accompagnés, dans le cadre de l’élaboration de leurs politiques publiques et  économiques, de concepteurs d’outils méthodologiques et adaptés au contexte administratif et culturel sur le développement de stratégie internationale et de promotion d’investissements extérieurs. L’urgence de cellules d’expertise géopolitique, de veille et d’intelligence économique dans les administrations publiques et chambres de commerce, les ministères des finances, du commerce, du tourisme, des affaires étrangères, dans les ambassades demeure un impératif.

Intégration africaine, paix et croissance durable

La nouvelle génération d’Africains est consciente que ces enjeux de développement doivent prédominer tout débat d’émergence et créer les conditions d’un partenariat entre le monde et l’Afrique où la croissance est partagée de façon équitable. La seule obsession qui vaille le déploiement de toutes les énergies de Rabat à Pretoria ou encore de Brazzaville à Harare n’est pas de rattraper un quelconque retard économique sur d’autres blocs de la planète, mais de dessiner les passerelles qui mènent à une intégration économique inclusive. Cela implique aussi pour les 54 Etats l’urgence d’aboutir en définitive à une véritable Union Africaine qui disposera de moyens et ressources politiques afin de s’imposer dans cette insaisissable compétition internationale. Modernisation des procédures administratives et nationales, professionnalisation des formations et mobilisation des ressources humaines vers le même objectif à la fois défensif et offensif, diversification des partenariats et coopération sud-sud, réelle intégration africaine économique et politique permettront d’accéder à une légitime prétention, celle de faire face aux défis de ce monde virevoltant en assurant durablement la croissance économique et la paix.

Il y va de l’équilibre du continent et du monde.

Régis HOUNKPE

Enjeux climatiques et environnementaux et COP 21, l’Afrique à la croisée de ses responsabilités

solar energy panels and wind turbineDu  30  novembre  au  11  décembre  2015,  la  France  accueille  à  Paris  le  monde  et  la communauté  internationale  pour  réfléchir,  débattre  et  proposer  des  modes  d’actions durables pour lutter contre les bouleversements climatiques. Cet événement planétaire à vocation  diplomatique  est  la  21ème  Conférence    des  Parties  à  la  Convention-cadre  des Nations unies  sur  les  changements  climatiques, intitulée  « COP  21 ».  Cette  conférence diplomatique  a  pour  objectif  de  conclure  un  accord  international  sur  le  climat, contraignant pour tous les pays afin de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C.

Au moment où plusieurs pays en Europe et en Amérique se mobilisent pour faire de la COP 21  une  manifestation  porteuse  de  solutions  sur  la  réduction  des  gaz  à  effet  de  serre  et proposer des modes d’actions en faveur de l’atténuation et de l’adaptation climatique, le continent africain ne démontre pas encore, à la hauteur des enjeux,  une volonté unifiée de répondre aux urgences climatiques et environnementales. Quelles  sont  les  stratégies  efficaces  susceptibles  de  répondre  aux  attentes  à  la  fois environnementales,  économiques  et  politiques  d’un  continent  réputé  pour  être  moins pollueur mais qui subit plus qu’autre partie du monde les bouleversements climatiques ?

Au  final,  repenser  la  question  environnementale  et  climatique  au-delà  de  la  COP  21, reviendrait à faire de ces enjeux des normes intégrées dans la culture sociale et politique des Africains et les préparer non à subir les bouleversements mais à agir.

Des préoccupations environnementales inégalement traitées en Afrique…

Il serait inéquitable de consacrer définitivement l’inaction ou le manque de voix forte du continent sur la COP 21 et l’urgence climatique comme la marque dominante en Afrique. À cet effet, il importe de relever des initiatives prises par certains pays tels que le Maroc, le Gabon, et l’Éthiopie qui ont choisi de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Ils sont depuis rejoints par quatre autres nations : le Kenya, le Bénin, la République démocratique du Congo et Djibouti.

Pollution  atmosphérique,  éboulements  sismiques,  inondations  et  sécheresses  répétées, désertifications  exponentielles  constituent  tant  de  problèmes  cruciaux  dont  les  conséquences desservent  un  continent  déjà  en  proie  à  des  instabilités  politiques  et  des  régressions  socio- économiques.  La  perspective  qui  résiste  à  toute  tentation  de  retour  en  arrière,  est  d’en analyser froidement  les  causes  et  effets,  de  tirer  les  conclusions  et  de  repenser  l’ordre  environnemental africain comme partie intégrante du renouveau économique et politique. 

Pour  ce  faire,  il  est  impérieux  qu’à  l’échelle  du  continent,  l’Union  africaine  adapte  une  stratégie unifiée basée sur les constats d’échec et le décryptage des solutions. Aujourd’hui, parler d’écologie, c’est  aussi  croiser  les  répercussions  économiques  et  les  conséquences  environnementales  des activités  industrielles  et  humaines.  À  cet  effet,  l’intérêt  (au-delà  de  la  COP  21 !)  réside prioritairement- s’il en est- dans la capacité des organisations régionales africaines à retrouver du champ  et  de  l’utilité  voire  de  la  pertinence  en  s’appropriant  les  enjeux  climatiques  et environnementaux.  C’est  grâce  à  ces  impératifs  que  l’Afrique  pourra  évoluer  vers  un  ordre environnemental.

Ce vœu pieu ne sera justement atteint à condition d’un changement de paradigme : en politisant la question  environnementale,  c’est  en  démocratiser  les  enjeux.  Créer  une  culture  commune  en faveur de la préservation de l’environnement, de la promotion du développement durable et de la protection du climat, c’est faire de chacun un acteur de demain.

Accéder à la transition écologique, c’est aussi changer de changer de culture

L’Afrique  n’est certes  pas le  plus  gros  pollueur  du monde,  contrairement  à  l’Europe,  la  Chine,  les Etats-Unis  mais  paye  le  plus  gros  tribut  en  termes  de  conséquences  sur  la  couche  d’ozone.  Le continent produit à peine 2% de la masse mondiale des CO2. 

Ainsi,  en  2009,  en  prélude  au  précédent  sommet  de  Copenhague  (7-18  décembre)  et  pour  faire pression sur la communauté internationale du Nord, les pays africains à Ouagadougou (Burkina Faso) avaient cru bon de faire payer les pollueurs en exigeant des réparations et des dédommagements. Le « prix à payer » pour compenser la vulnérabilité du continent n’a jamais été clairement défini et les projets  qui  devraient  solliciter  cette  hypothétique  manne  n’ont  pu  faire  l’objet  d’un  consensus éclairé.

Au-delà  de  la  responsabilité  des  pays  industrialisés  et  pollueurs,  il  est  important  que  les  nations africaines,  spécifiquement  et  collectivement,  se  mobilisent  pour  prendre  en  charge  leur  propre destin  et  trouver  des  solutions  pour  le  climat.  La  COP  21  est  certes  un  sommet  international  qui évoquera  la  solidarité  climatique  mais  l’Afrique  a  davantage  besoin  de  justice  climatique.  Celle-ci passe  par  une  reconnaissance  internationale  des  impacts  négatifs  que  subit  le  continent  et  des compensations à hauteur des agressions climatiques.

La régulation climatique africaine est possible

L’organisation  de  sommets  régionaux  ou  nationaux  que  le  « East  Africa  Environment  Risk  and Opportunities » de Djibouti (2-4 mai 2015) ou le « Climate South Initiative du Gabon » (29 août 2015) sont  des  initiatives  intéressantes  qui  pourraient  inspirer  la  communauté  des  54  pays  africains  à définir une position différenciée à la COP 21.

Pour que la COP 21 soit véritablement internationale et rétablisse la justice climatique, elle doit au-delà du Fonds vert permettre que les grandes puissances et les nations émergentes s’en tiennent aux objectifs fixés. Décidé à Copenhague et défendu par le président français François Hollande, le  Fonds  Vert  garantit  100  milliards  d’euros  par  an  pour  des  programmes  de développement pour les pays du Sud. Il ne doit pour autant ne pas apparaître comme un droit à polluer. Les États-Unis, pour rassurer le monde, ont fait des annonces. Ainsi,  le  président  américain  Barack  Obama  a  annoncé  le  3  août  2015  un  plan  à  l’échelle  de  la puissance  économique  du  pays  pour  une  énergie  propre.  L’« America’s  Clean  Power  Plan »  est annoncé  comme  la  révolution  verte  qui  changera  les  règles  et  les  habitudes  des  Américains  en matière de santé et qualité de vie, d’économie et même de sécurité. Ce plan qui vise à limiter les émissions carbones induites par la production d’électricité de 32% en 2030 reste une promesse qui a le  mérite  d’infléchir  la  position  classique  d’un  pays  pollueur,  classiquement  cantonné  au surdéveloppement économique peu regardant sur l’environnement.

Au regard des différentes prises de positions pour permettre que le sommet climatique de décembre 2015 ne soit pas un échec retentissant comme le fut celui de Copenhague, le continent africain dans sa diversité a tout intérêt à puiser dans ses ressources pour accéder à la transition écologique et sociale. Une transition adaptée à sa réalité, à ses spécificités, avec ses limites et ses opportunités ! Quelques engagements sont possibles.

Avant  toute  mise  en  place  de  politiques  publiques,  il  est  urgent  de  repenser  l’éducation  des générations  futures  et  d’intégrer  dans  les  modules  de  formation  des  outils  de  base  sur  la préservation  de  l’environnement.  Les  usages  en  matière  de  salubrité  publique,  le  respect  des patrimoines naturels et de la biodiversité, l’intérêt pour une agriculture saine et les forêts sont des pistes simples à explorer. 

Les pays africains doivent également pouvoir compter sur les territoires, acteurs de proximité avec les  populations,  pour  sensibiliser  aux  pratiques  nuisibles  aux  forêts,  mers,  océans,  aires  marines.

L’urgence climatique marque aussi l’agriculture et donc l’alimentation : des mesures pour assainir les cultures et préserver les terres arables doivent être prises. Il est judicieux, en matière d’intégration africaine,  de  favoriser  la  coopération  sud-sud  entre  pays  africains  pour  valoriser  les  expériences locales  de  référence  qui  peuvent  générer  des  échanges  de  processus  innovants  et  d’outils méthodologiques pour lutter contre les bouleversements du climat.

Le développement de centres de ressources sur  le climat et l’énergie afin d’anticiper et d’analyser les  conséquences  de  la  vulnérabilité  climatique  telles  que  canicules,  inondations,  déforestation, biodiversité  menacée,  sècheresse,  compensation  carbone,  l’urbanisme,  bâtiments  et  construction, etc.…) est impérieux. À l’échelle des grandes régions, il est important que ces centres permettent de mieux cartographier les incidences climatiques et d’y répondre.

Au final, la croissance verte ne serait possible que si les outils comme les technologies vertes et les énergies renouvelables (solaire, éolienne, biomasse, hydraulique, géothermie) ne sont accessibles au plus grand nombre.

Du sursaut et de la responsabilisation dépend l’avenir

Face aux défis du développement économique et de la lutte contre la pauvreté, la préoccupation concernant le climat ne doit pas souffrir de manque de considération. Prioriser celle-ci propose une adaptation  des  mentalités  au  principe  suivant :  nous  sommes  individuellement  et  collectivement responsables de la terre qui nous porte ! Il ne peut avoir de divergence entre stratégie économique et exigence environnementale. 

La  question  climatique  et  environnementale  est  autant  essentielle  que  l’essor  économique,  la promotion  de  la  bonne  gouvernance,  l’avancée  des  droits  de  l’homme  ou  encore  l’ancrage  de  la démocratie.  Elle  est  même  urgente  au  regard  des  bouleversements  climatiques  qui  agressent  la biodiversité et le quotidien des Africains qu’ils soient au nord du continent, à l’est, à l’ouest et au sud. 

Aujourd’hui,  les  conséquences  des  bouleversements  climatiques  engendrent  des  déplacés environnementaux et des réfugiés climatiques. Les conflits frontaliers sur le continent naissent aussi de  l’appropriation  litigieuse  des  ressources  naturelles.  Il  n’est  pas  exagéré  de  penser  que  chaque courant  maritime  ou  bassin  d’eau  est  « crisogène »,  que  chaque  forêt  est  source  d’instabilités  ou qu’un  séisme,  une  inondation  pourraient  provoquer  des  remous  à  l’intérieur  d’un  pays  ou  à  ses frontières. 

Au-delà de la COP 21, l’Afrique doit se projeter vers une nouvelle conscience de son destin, celle qui responsabilise – et non culpabilise et victimise – à agir pour une planète saine, durable et verte. Les défis  du  prochain  siècle  pour  la  génération  d’Africains  qui  lutte  à  la  fois  pour  redonner  espoir  et dignité, mais aussi engouement économique sont à cette échelle : participer pleinement au sort du monde et tenir sa place dans le concert des nations et des puissances mondiales.

Régis HOUNKPE

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Le tropisme africain du Maroc, entre pragmatisme et intégration africaine

JPG_Mohamed VI AfriqueAujourd’hui, l’avenir du Maroc se joue en Afrique au Sud du Sahara. Le tropisme africain du Maroc apparait comme un enjeu des nouvelles formes de diplomaties à l’intérieur des pays du Sud, bâties sur la recherche mutuelle d’intérêts économiques, le sentiment d’appartenance à un même bloc géopolitique et la solidarité entre nations du Sud.

Une place à prendre

Le récent ballet diplomatique du Roi Mohammed VI, en mai 2015, en Afrique règle au moins une question longtemps abordée par les spécialistes de la diplomatie comme une incompréhension géostratégique : l’intégration du Maroc dans l’Union européenne comme Etat-membre. En effet, en 1984, le Maroc du Roi Hassan II avait clairement soumis un projet d’adhésion à la Communauté économique européenne, qui sera rejeté en 1987 pour « non-européanité » du royaume chérifien.

Après les déstabilisations du Maghreb pour cause de « printemps arabes », la perte de vitesse du Nigéria due, entre autres, à l’hydre Boko Haram, l’essoufflement économique et les embarras identitaires de l’Afrique du Sud, l’effacement de l’Algérie en quête de stabilité, le Maroc se découvre un axe diplomatique à défendre : extension de son influence à l’Afrique subsaharienne et organisation de partenariats stratégiques dans une partie du continent à la croissance économique prometteuse.

En réalité, la coopération avec les voisins du Sud n’est pas nouvelle. A la fin du protectorat espagnol au Maroc et à l’avènement des indépendances africaines, le Maroc s’est impliqué dans la diplomatie africaine post-colonisation et  dans la création de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA), qu’il quittera en 1984 à cause de divergences sur la réalité de la République arabe sahraouie démocratique. Aujourd’hui, le Maroc a pour objectif d’être la passerelle entre la Méditerranée et l’Afrique subsaharienne et s’impose comme un acteur des relations internationales au même titre que la France, la Chine, les Etats-Unis, l’Union Européenne sur le continent noir.

Au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Gabon et en Guinée Bissau en mai 2015, le Roi Mohamed VI a réaffirmé à ses interlocuteurs la volonté du royaume : densifier ses partenariats et ériger des coopérations de fond sur les enjeux des sociétés modernes. Maintien de la paix, éducation, solidarité, culture, politique d’investissement sur l’immobilier, eau potable, tous ces secteurs sont à l’agenda des réalisations ou des projets du Maroc.

Ainsi au Sénégal, le Maroc a participé au financement au programme immobilier de la Cité des Fonctionnaires pour loger près de 2 900 ménages. Le Maroc a également fait don, pour la lutte contre le sida, de médicaments et matériel médical. Le Royaume a financé des pèlerinages à la Mecque ou encore proposé son appui technique pour le raccordement électrique de villages sénégalais. En Côte d’Ivoire où le Roi Mohamed VI s’était déjà rendu en 2013 et 2014, le soutien à la reconstruction de ce pays ouest-africain a été l’objet de plusieurs accords signés pour la construction d’infrastructures, mais aussi sur les plans immobilier, bancaire, agricole, touristique et culturel.

Les partenariats proposés reposent sur des projets de développement économique avec l’implication du secteur privé marocain qui cherche à accroitre son développement. En cela, la diplomatie économique du Maroc tient à la fois du pragmatisme et de l’influence politique.

La diplomatie « sud-sud » en action

La contestation des anciennes formes de partenariats entre le Nord et le Sud et la nécessité d’adapter les enjeux dans un monde en mutations géopolitiques jouent en faveur de la diplomatie des pays émergents. Avec l’implantation de la Chine pour ravir les parts de marché, la perte d’influence des grandes puissances et la redéfinition des politiques internationales de développement, plusieurs facteurs confortent le changement de paradigme.

La France et une grande partie de l’Europe ont recentré leurs priorités vers des enjeux plus nationaux, du fait de la crise économique qui frappe de plein fouet ces aires. Les expansions de marché économique africain sont toutes tournées vers des marchés à la croissance exceptionnelle, qui oscille entre 5  et 6 % en moyenne par an. Les populations sont jeunes, mieux éduquées, plus au fait des capacités de la révolution numérique. Les techniques administratives se professionnalisent, les pouvoirs politiques mieux soumis au contrôle citoyen, les universités sont plus adaptées aux formations de demain.

Tous ces paramètres font non seulement du continent africain, malgré le retard conséquent sur le plan économique et les freins politiques et sécuritaires par endroits, une terra nova pour le business et la construction d’un avenir commun que les Marocains ont réellement perçu.

Avec ou sans l’Union africaine ?

Depuis le départ de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1984, le Maroc a multiplié les signes de création d’une intégration africaine tout en niant son appartenance à l’appareil censé incarner ce vœu. Evidemment, la question du Sahara n’est pas totalement vidée de sa substance, mais il faut reconnaitre qu’à part l’Algérie, peu de pays africains, aujourd’hui, clament leur reconnaissance d’un Etat aux Saharaouis. Pour preuve, beaucoup sont revenus sur leur reconnaissance comme le Bénin, Madagascar, le Togo ou encore le Tchad. Pour le moment, la coopération avec les voisins du Sud n’aborde pas clairement le sujet épineux du Sahara mais en diplomatie, le temps est une valeur-refuge.

Ceci étant, avec la coopération universitaire, les politiques d’investissement, le maintien de la paix, le Maroc revient en force et cette nouvelle donne poussera les pays subsahariens à travailler à l’intégration d’un partenaire stratégique au sein d’une Union qui se veut forte et décisive dans le concert des nations. La pression est plutôt du côté des pays africains pour voir comment prochainement intégrer le Maroc au sein de l’institution continentale. Pour le Maroc, son influence a rempli sa mission: être incontournable; la boucle serait bouclée.

Régis Hounkpé

Pour une coopération émergente entre Cuba et l’Afrique

Le retour en grâce de Cuba dans le concert des nations s’opère progressivement, avec les offensives  diplomatiques  des  grandes  puissances  telles  que  les  Etats-Unis  ou  encore  la France  mais  aussi  l’Union  Européenne.  Cet  activisme  politique  pour  la  destination  Cuba  pose  plusieurs interrogations  sur  la  nouvelle donne  diplomatique  de Barack  Obama,  ses homologues  occidentaux,  et  sur  les  possibilités  économiques  et  stratégiques  de coopération avec l’île tropicale. 

 A cet effet, quelle est la place de l’Afrique, qui, historiquement, a toujours entretenu des relations avec Cuba dont le positionnement anticolonialiste et anti-impérialiste, avait les faveurs  des  pouvoirs  et  des  élites  du  continent  noir ?  Au-delà  de  l’idéologie,  tous  les signaux pour une coopération réelle de développement économique sont au vert pour que Cuba et l’Afrique réinventent la coopération des nations émergentes.

L’Afrique et Cuba, un pacte au nom de la solidarité tiers-mondiste 

cuba_africa1_leadLes  mêmes  causes  produisant  parfois  les  mêmes  effets,  l’Afrique  noire  des  années  1960 essentiellement, en lutte pour l’obtention de ses indépendances, avait su trouver en Cuba aux  prises  avec  les  Etats-Unis  un  allié  de  poids.  Fidel  Castro  a  toujours  soutenu  les révolutionnaires  africains  tels  qu’Amilcar  Cabral,  Patrice  Lumumba,  Agostinho  Neto  ou encore le héros de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela. La collaboration ne relevait pas du romantisme révolutionnaire mais elle a été concrètement soutenue par l’envoi de forces militaires cubaines en soutien aux combattants de la liberté.

Ces guérilleros cubains appelés encore les Internationalistes* ont véritablement combattu aux  côtés  de  leurs  frères  d’armes  africains. Cuba, une odyssée africaine, un  excellent  documentaire  de  Jihan  El  Tahri rappelle la « belle histoire » des indépendantistes unis pour pousser hors des frontières le colon dominateur. Il n’est pas inutile de rappeler que l’ombre de Che Guevara a également plané sur les révolutions africaines, et particulièrement celle du Congo de Laurent Kabila qui s’est toujours « vanté » d’avoir combattu aux côtés de la légende latino-américaine. 

Ainsi, le mythique Che, avec plus ou moins de succès, aurait arpenté dans les années 1960 en  plus  des  deux  Congo,  la  Tanzanie,  l’Égypte,  le  Mali,  le  Ghana,  la  bouillante  Guinée de Sékou Touré, portant le message de la libération des opprimés contre les colonialistes. 

L’embuscade de la France… avant l’entrée en scène des États-Unis

Le récent voyage de François Hollande en mai, à la faveur de sa tournée caribéenne, et sa rencontre  avec  le  « Lider  Máximo »  Fidel  Castro  sont  des  indicateurs  probants  d’un rapprochement avec l’un des plus vieux pays qui professe avec un enthousiasme suranné  son idéologie socialiste, mais qui de fait est ouvert au marché depuis plusieurs décennies. 

À cet effet, la realpolitik de la diplomatie française se veut limpide sur le sujet : Cuba est également  attractive  économiquement.  Stratégiquement,  la  France  est  une  puissance régionale  dans  les  Caraïbes  mais  aussi  elle  ne  souhaite  pas  laisser  aux  Américains  le leadership  du  rebond  commercial  et  économique  que  représenterait  à  court  terme  Cuba dégagé de ses contraintes internationales. En tout cas, officiellement…

Dans  ce  jeu  de poker  géopolitique  et  économique,  l’Afrique  a tout  intérêt  à densifier  ses relations avec Cuba. Elle a l’avantage de l’histoire et la facilité de tisser des liens culturels, commerciaux et économiques.

Cuba et son allié africain, un partenariat émergent pour le développement

Cuba  dispose  de  l’un  des  meilleurs  systèmes  de  santé  au  monde.  Pendant  la  crise épidémique d’Ebola, des médecins cubains se sont rendus, avec du matériel de haute portée technologique,  dans  les  foyers  de  propagation  d’Ebola  en  Afrique  noire.  A  titre  de comparaison,  Cuba  a  fait  dépêcher  de  toute  urgence  près  de  500  médecins  et  personnel médical pendant que la Chine, les Etats-Unis ou la France en envoyaient un peu plus de la moitié.

Il est impérieux de promouvoir des accords de coopération bilatérale entre pays africains et Cuba ou dans le cadre d’un dispositif multilatéral porté par l’Union Africaine, de favoriser la formation  des  médecins  africains  et  le  transfert  de  compétences  pointues  en  matière médicale avec l’île.

D’autres  domaines  sont  également  utiles  à  apprécier;  comme  l’éducation.  A  ce  niveau également, le système éducatif cubain, le meilleur d’Amérique Latine et des Caraïbes, est l’un  des  plus  compétents  voire  compétitifs.  Selon  une  étude  la  Banque  mondiale,  un investissement hors-pair est mis sur la priorité éducative et la formation des professeurs. Ainsi, « aucun corps enseignant de la région – latino-américaine et caribéenne- ne peut être considéré comme étant de haute qualité en comparaison avec les paramètres mondiaux, à la notable exception de Cuba ». Ainsi, un continent globalement carent sur la question de l’éducation  a  tout  à  gagner  en  s’inspirant  de  modèles  de  réussite  que  pourrait  offrir  un programme de partage d’expériences avec Cuba. 

Il faut clairement que l’Afrique se positionne, de façon spécifique par pays, ou par le biais de l’institution continentale, pour la promotion d’une coopération sud-sud dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture, du tourisme, du commerce.

Dans ce monde extrêmement clivé entre le Nord et le Sud, les pays développés et les nations en voie de développement, il est plus que nécessaire de défendre l’idéal d’une coopération avec Cuba ou d’autres pays du Sud ou considérés comme tels, au nom du réalisme politique et de l’émergence de nouveaux modes d’actions.

Régis HOUNKPE,

Analyste géopolitique, Directeur associé d’Interglobe Conseils