Les confréries religieuses en politique au Sénégal (1) : de la colonisation à la construction étatique

Le IXème siècle est communément retenu par les historiens comme période de l’avènement de l’Islam au Sénégal. A l’époque, il y eut un contact entre la religion musulmane et le Sénégal par la conversion du roi du Tekrour War Diaby. Jusqu’au XVIIème siècle, « l’Islam de cour », confiné dans les affaires royales, restait une affaire d’élites. A partir du XVIIIème siècle, l’islam va devenir une religion des masses sous l’action des chefs religieux : un islam des confréries[1]. Celles-ci sont des communautés de fidèles regroupés autour de chefs religieux charismatiques. La confrérie va ainsi devenir le cadre privilégié des musulmans du Sénégal ; elle va aussi imprégner toutes les sphères de la vie des fidèles du fait notamment d’un mode d’organisation spécifique.

En effet, chaque maître soufi rassemble et anime une communauté de disciples. Entre le marabout et ses disciples existe une relation de dépendance qui peut entrer dans le cadre de ce que Abdellah Hammoudi nomme « la dialectique maître/disciple »[2]. Ce lien transparait notamment dans la soumission totale du talibé (disciple en wolof, inspiré de l'arabe) à son marabout. Cette soumission, qui ne se limite pas seulement au domaine spirituel mais qui concerne également le domaine séculier, confère aux marabouts des différentes confrériques un pouvoir considérable. 

Cette naissance des confréries et le développement de leur mode d’organisation au Sénégal sont contemporains de la colonisation à laquelle les populations locales trouvent différentes formes de résistance. L’Islam confrérique en sera notamment une et cette étape marque l’entrée des confréries religieuses dans la sphère politique. Les marabouts de la Tiddianiyya mènent alors une farouche guérilla contre le colonisateur français. Quant à Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme, il est vite accusé par l’administration coloniale de préparer une guerre sainte. Aussi, est-il contraint à l’exil en 1885 au Gabon.

Cependant, l’action de l’administration coloniale va être guidée par le pragmatisme qui l’amène à établir une collaboration avec les marabouts dont elle a pris la mesure de l’emprise sur les populations locales. Si l’administration coloniale avait établi un pouvoir effectif en milieu urbain, elle avait toutefois besoin du soutien des chefs religieux en milieu rural aussi bien pour mieux tenter de légitimer son pouvoir que pour bénéficier de relais locaux. En contrepartie, les marabouts ont bénéficié de la reconnaissance du pouvoir politique et d’avantages économiques considérables. Ceux ci concernaient notamment les retombées de la culture de l’arachide[3] pour laquelle le pouvoir colonial mettait à la disposition des marabouts des milliers d’hectares de terres arables. Christian COULON résume cette collaboration en ces termes : « Les marabouts avaient la haute autorité sur une grande partie de la population et jouissaient  partout d’un grand prestige moral et social. Les autorités coloniales, quant à elles, dominaient l’appareil d’Etat.  Les uns contrôlaient donc le centre, les autres la périphérie »[4].

Si l’indépendance du Sénégal en 1960 constitue un tournant politique majeur, fondamentalement, elle n’en constitue pas un pour les rapports entre les confréries religieuses et le pouvoir public. Lorsque se met en place le nouvel Etat du Sénégal et bien que la constitution stipule en son article premier que « La République du Sénégal est laïque », les nouveaux gouvernants savent qu’ils doivent s’appuyer sur les marabouts. Et comme au temps des colonies, ceux-ci sont appelés à assurer deux fonctions substantielles dans le système politique, celle de légitimation et celle d’intermédiation avec les populations locales. 

Ce soutien des chefs religieux, le Président Léopold Sédar Senghor en a bénéficié en temps de paix comme en temps de guerre, notamment lors de la crise de 1962 qui l’opposa à Mamadou DIA, alors Président du Conseil. Si DIA représentait une certaine rigueur socialiste, SENGHOR, passait pour être plus modéré et plus respectueux des féodalités politiques, religieuses et économiques. Et si lors de cette crise, les deux protagonistes sillonnent le pays pour rencontrer les marabouts des différentes confréries, ceux-ci ont choisi leur camp. A propos des marabouts, Christian COULON écrit : « Ils craignent qu’en cas de victoire, M. DIA et ses partisans n’accélèrent les transformations entreprises et ne portent par là préjudices à leurs prérogatives. Aussi lorsque le 17 décembre, dans des circonstances particulièrement troubles, quarante députés votent une motion de censure contre M. DIA, lorsque le lendemain ce dernier et ses principaux lieutenants sont arrêtés, il n’y aura aucun marabout pour élever la voix en sa faveur. Abdoul Aziz SY se retranchera dans le silence ; El Hadj Ibrahima NIASS, El Hadj Seydou Nourou TALL, Falilou MBACKE, manifesteront publiquement leur soutien à L.S. SENGHOR ».

Cette crise de 1962 est très intéressante à deux égards. D’abord parce que le recours que font DIA et SENGHOR aux marabouts prouvent à quel point ces derniers pèsent dans l’échiquier politique et la manière dont les gouvernants ont intériorisé cette donnée. Ensuite parce que cette crise révèle que les chefs religieux tiennent à leurs avantages économiques. C’est ainsi par exemple qu’en dépit de la loi sur le domaine national de 1964, dont le but était de mettre un terme aux féodalités terriennes, l’Etat a continué d’accorder aux marabouts d’énormes concessions de terres.

Le rôle important des chefs confrériques dans la vie politique sénégalaise va s’accentuer. Plus tard en effet, l’instauration du multipartisme lors de la réforme constitutionnelle de 1981 va davantage contribuer à placer les grands marabouts  dans la position d’arbitres constamment sollicités. A travers leurs « ndiggeul », ces fameuses consignes de vote, on leur prête un pouvoir redouté. Certains marabouts ont cependant su garder un certain devoir de réserve tandis que d’autres préféraient troquer leurs habits religieux pour les apparats de la politique. Et depuis l’arrivée du Président Abdoulaye Wade au pouvoir en 2000, certains sont devenus, au grand dam de la démocratie sénégalaise, de véritables marabouts politiques.

Nicolas Simel

A suivre

Les confréries religieuses en politique au Sénégal, 2ème partie : L’ère des marabouts politiques



[1] La confrérie Qadriyya, la plus ancienne des confréries du Sénégal, a été originellement fondée par le mystique soufi Abd al Qadir al-Jilani et atteint le Sénégal au cours du XVIIIème siècle. Aujourd’hui le Sénégal compte quatre principales confréries, la Qadiriyya, la Tidianiyya, la confrérie des mourides et celle des Layènes.

[2] Abellah Hammoudi, Maîtres et disciples, Editions Toubkal

[3] Jean Copans insiste notamment sur cette réalité dans son ouvrage Les marabouts de l’arachide, Paris, Le Sycomore, 1980

[4] Christian Coulon, Le Marabout et le Prince

Une affaire d’indépendances

 

Durant mes années au Sénégal, tous les 7 décembre, au matin, le drapeau ivoirien était hissé aux côtés des couleurs sénégalaises. L’armée sénégalaise célébrait l’indépendance d’un « pays frère » – à ceci près que la Côte d’Ivoire acquit son indépendance le 7… août 1960. C’est un des secrets les mieux gardés de l’histoire du Prytanée Militaire de Saint-Louis. La raison en est que la fête nationale signifiait pour les nationaux du pays célébré, dîner organisé par la princesse avec tout le gratin militaire, professoral et étudiant de l’école, jus de fruit à volonté et double ration de poulet-frites. L’amour que nous portions à notre pays était beaucoup moins chatouilleux qu’aujourd’hui – il supportait ce genre de coups de butoir. C’est seulement vers la fin qu’on comprit l’origine de la méprise : le 7 décembre était la date anniversaire de la mort d’Houphouët-Boigny. Un troufion à l’État Major avait dû intervertir les fiches. Personne n’avait vérifié les dates depuis 1993 …

Le souvenir de ce running-gag tellement militaire m’est revenu lundi dernier tandis que le Sénégal célébrait les cinquante-et-un ans de son indépendance. L’indépendance du Sénégal, un autre running gag. Les Sénégalais eux-mêmes font semblant d’y croire ; comme ils font semblant en tout d’ailleurs : de croire que le « modèle démocratique » sénégalais existe encore ; d’adhérer à la pantalonnade de « l’excellence éducative » sénégalaise, etc.

Il existe un Sénégal fantasmé dans l’imaginaire collectif sénégalais – on me dira qu’il existe également une France fantasmée, un Nigeria Fantasmé, un Burkina Faso fant… Non, soyons honnêtes, les hommes intègres sont assez lucides pour ne rien fantasmer de la réalité de leur pays – dans ce Sénégal, la philosophie et la culture sénégalaises font l’envie du MONDE ENTIER – littéralement – ; il n’y a que l’Egypte et l’Afrique du Sud qui en Afrique rivalisent, à peine, avec ce Sénégal ; dans ce Sénégal, Wade a tout fait avant tout le monde et tout compris ; il n’y a plus de poésie possible après Senghor, il n’y a pas de guerre en Casamance ; Gorée est le seul port négrier d’Afrique, les Sénégalais descendent des pharaons, la gastronomie sénégalaise est grasse juste ce qu’il faut, il n’y a pas de risques de crise alimentaire et… tout le monde jalouse le Sénégal.

Les Sénégalais se paient de mots. Ils les adorent (« les mots du français rayonnent de mille feux, comme des diamants » LSS) et en assomment tout le monde. Ils les aiment grands et plein de sens. Peut-être parce que la réalité du pays est rabougrie et monotone ? Lundi 4 Avril, le Sénégal célébrait ses cinquante-et-un ans d’autonomie territoriale. Comme dans l’histoire du 7 décembre, j’ai l’impression que personne n’ose lui dire qu’il lui manque encore l’autonomie administrative, politique, culturelle, militaire et financière. J’ai adoré vivre au Sénégal et j’aime ce pays, alors, si je peux être la voix amie qui rend les mauvaises nouvelles supportables

(Quand on est malheureux, on doit être méchant.) 

Joël Té Léssia

L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (2ème partie)

 

Souvent présentée comme une simple querelle de leadership, l’accusation de tentative de coup d’Etat, qui conduit à la séparation entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia en 1962, semble plutôt tirer ses germes dans la constitution sénégalaise du 26 aout 1960. La nature du régime parlementaire et la dualité que celle-ci instaurait de fait à la tête de l’Etat laissaient déjà entrevoir une crise institutionnelle inévitable consacrant ainsi l’échec du régime parlementaire en Afrique. Cet article qu'on pourrait intituler "Constitution de 1960 : la consolidation du régime parlementaire ou l’annonce d’une crise institutionnelle inévitable?" est la deuxième partie de "L'éxécutif sénégalais à l'épreuve du régime parlementaire".

« Des grecs, jadis, demandaient au sage Solon, quelle est la meilleure constitution ? Il répondait, dites-moi d’abord, pour quel peuple et pour quelle période. »[1]

Eut égard à la décolonisation d’une part, et à son retrait de la Fédération du Mali d’autre part[2], le Sénégal avait besoin d’une Constitution qui intégrait les exigences de l’indépendance, mais surtout, qui allait s’évertuer à réaménager l’environnement institutionnel, notamment l’exécutif, où allaient se frotter deux fortes personnalités : Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. C’est par la loi constitutionnelle du 26 Août 1960 que le Sénégal se dotera d’une nouvelle Constitution. Sur le plan idéologique, elle emboîte le pas à la Constitution de 1959. Mais sur le plan institutionnel, une nouveauté sera l’instauration de la fonction du Président de la République. D’où un chamboulement de l’organisation des pouvoirs au sein de l’exécutif autrefois monocéphale et devenu bicéphale. Ce qui d’emblée devait poser la question d’une dyarchie au sommet, c'est-à-dire d’une compétition entre les deux têtes de l’exécutif ; tel sera le cas lors de la crise de Décembre 1962.

Mise à part la guerre de leadership qui opposait Léopold Sédar Senghor, Président de  la République, et Mamadou Dia, Président du Conseil, l’aménagement assez ambigu des pouvoirs pouvait laisser présager cette dyarchie au sommet.                                                       

En effet, le Conseil des Ministres autrefois présidé par le Président du Conseil, sera, sous la Constitution du 26 Août 1960, présidé par le Président de la République qui devient aussi le gardien incontestable de la Constitution et le chef suprême des armées. Face à l’ensemble de ces prérogatives, non exhaustive du reste, se pose alors la question de savoir si le Président du Conseil n’est pas un « exécutant subalterne, un soliveau ? »[3] Une telle idée sera hâtivement  battue en brèche à la lecture de l’article 26 de la Constitution de 1960 qui prévoyait que le Président du Conseil détermine et conduit la politique de la nation. Dirigeant l’action du gouvernement, il dispose de l’administration et de la force armée. Des zones potentielles de conflit apparaissent dès lors qu’il est considéré d’une part, que le Président de la République est le Chef Suprême de armées, et qu’il est soutenu d’autre part, que le Président du Conseil est responsable de la défense nationale et qu’il dispose à cet effet de la force armée.

Mieux, le président, en dehors de sa chasse gardée (arbitre, gardien de la Constitution, défense de l’intégrité du territoire et de l’indépendance nationale…), devait soumettre tous ses actes, sous peine d’invalidité, au contreseing du Président du Conseil et le cas échéant, des ministres chargées de leur application. Bien que là règle du contreseing vise à engager la responsabilité du Président du Conseil et de son gouvernement, elle soulève le problème de la soumission du pouvoir de décision du Président de la République à la volonté du Président du Conseil. Nous n’avons plus ici deux pouvoirs qui se soutiennent mais plutôt qui s’étouffent sur le plan institutionnel en plus d’être asphyxiés par une guerre de leadership.

Il convient aussi de souligner que l’absence d’une opposition, c'est-à-dire le fait que tous les deux tenants de l’exécutif soient issus d’un même parti ultra majoritaire à l’assemblée, rendait difficile la résolution des crises au sein de l’exécutif car seule la motion de censure était en mesure d’être utilisée pour renverser le gouvernement. Ce qui n’était pas gagné d’avance vue la popularité de Mamadou Dia et de ses partisans à l’Assemblée. 

La motion de censure fut tout de même votée contre le gouvernement Dia dans des conditions que celui-ci et ses partisans ont toujours déploré. Accusé d'avoir voulu commettre un coup d’Etat qui lui vaudra la prison pendant 12 ans de sa vie, il répondra plus tard qu’il ne pouvait chercher à commettre un coup d’Etat alors que c’est lui-même qui avait tous les pouvoirs. D’où l’ambiguïté manifeste des rapports entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement.

En Décembre 1962, le Sénégal connait la crise institutionnelle la plus importante de son histoire. Mamadou Dia à qui on a prêté des intentions de coup d’état est arrêté. Il est hâtivement voté le jour de son arrestation, la loi Constitutionnelle 62-62 du 18 Décembre 1962 portant révision de la Constitution.[4] Donnant par dérogation au Président Senghor l’initiative de la Constitution, ce dernier fera rédiger par un Comité Consultatif Constitutionnel, la nouvelle Constitution approuvée par référendum et connue sous le nom de la Constitution du 7 Mars 1963. « La cause est entendu : plus jamais de régime parlementaire. »[5] Une nouvelle ère s’ouvre, celle du régime présidentiel, devenu par la suite, comme dans les autres anciennes colonies africaines, présidentialiste.  Le Sénégal n’a pas réussi ce qu’aucun autre pays n’a réussi non plus : un régime parlementaire sans multipartisme, c’est-a-dire dans un régime parlementaire avec un seul parti.

Maleine Amadou Niang


[1] Charles De Gaulle,Discours de Bayeux, 1946

[2] Ismaïla Madior. Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.28

[3] Georges Pompidou s’exprimant sur le rôle prêté au Président français sous la Vème République durant l’ère DE Gaulle.

[4] Ismaïla Madior Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.49

[5] Ismaïla Madior Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal, Paris, Karthala, 2009, P.52 

L’exécutif sénégalais à l’épreuve du régime parlementaire (1ère partie)

 

Après avoir voté « oui » au référendum de 1958 portant sur la Constitution française de la Vème République, le Sénégal est par la suite devenu membre de la communauté franco-africaine. Cette forme juridique d’Etat n’obéit nullement aux modèles classiques de la Fédération ou de la confédération, c’est un modèle « sui-generis » qui semblerait vouloir cultiver « le lien de solidarité liant la France » à ses anciennes colonies. En 1959, l’Assemblée territoriale donne au gouvernement la possibilité de rédiger un projet de constitution, quand bien même la souveraineté internationale n’était pas acquise. C’est ainsi que l’Assemblée territoriale, érigée en Assemblée Constituante, adopte à la majorité de ses membres la Constitution du 24 Janvier 1959. Socle idéologique et juridique de l’Etat du Sénégal, il pose les principes fondamentaux autour desquels veut se réunir le peuple du Sénégal. C’est notamment la forme républicaine de l’Etat, l’entérinement de la laïcité ou encore la protection des droits et libertés fondamentaux.

Le choix du modèle de la démocratie représentative, teintée d’une onction de la démocratie populaire est évident en ce  que la Constitution parle d’elle-même : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exprime par ses représentants ou par référendum. » Se pose ainsi la question de savoir qui sont ces représentants du peuple ? Quelles sont leurs prérogatives ? Dans quelles mesures leurs actions peuvent-elles compromettre la nature du régime politique ?

Né en Grande-Bretagne au 18ème siècle, le régime parlementaire sous-entend une collaboration des pouvoirs, conception souple de la théorie de la séparation des pouvoirs initiée par John Locke puis reprise par Montesquieu dans De l’Esprit des lois, paru en 1748. Ce type de régime favorise, dans l’idéal, l’échange constant entre les différents pouvoirs, notamment l’exécutif et le législatif, l’autorité judiciaire n’étant pas reconnue comme un pouvoir du fait qu’elle n’émane pas d’une élection.

Au Sénégal, l’exécutif est sous la Constitution de 1959, monocéphale et incarné par le Président du Conseil, chef de l’Etat et Chef du Gouvernement. Loin du modèle classique du régime parlementaire reconnu pour son exécutif bicéphale, on comprendra que le poste de président de la république n’est pas créé car le président de la France demeure président de toute la communauté. Le Sénégal, lors de la mise en place du régime parlementaire avec la Constitution de 1959, connait un président du Conseil qui est le poumon de l’Etat. Investi du pouvoir de nommer et de démettre les ministres, il préside le Conseil des Ministres. Il détermine et conduit la politique de la nation et dispose à cet effet de l’administration et de la force armée, contrairement à la France où ces prérogatives sont dévolues au gouvernement aux termes de l’article 20 de la Constitution française du 4 Octobre 1958. Fort de ses compétences, il exerce le pouvoir réglementaire et veille à l’exécution des lois et des règlements entre autres. Se pose ainsi la question de savoir quelle est la légitimité d’une personne en qui se fondent tous ces pouvoirs mais surtout, quels garde-fous sont prévus pour éviter ses dérives ?                                                            

D’où le rôle du Parlement comme outil de contrôle et de légitimation du Président du Conseil. Installé sous une forme monocamérale[1] notamment avec l’Assemblée Législative, le pouvoir législatif a, constitutionnellement, des moyens de contrôler et de sanctionner le Président du Conseil qu’il a élu à la majorité de ses membres. Ce contrôle se fait soit par le vote de confiance soit en usant de la motion de censure. On parle de vote de confiance lorsque le chef du gouvernement (ici le Président du Conseil) engage solidairement sa responsabilité et celle de son gouvernement sur le vote d’un texte ou sur une question particulière. Si l’Assemblée refuse de voter le texte ou décide d’ajourner les débats, le gouvernement est désavoué et doit se retirer. Cependant, limiter les outils de contrôle au vote de confiance serait une initiative avortée en ce qu’elle ne permettrait un contrôle du gouvernement que dans le cas où le Président du Conseil soumettrait volontairement son équipe au contrôle des députés. D’où l’importance de la motion de censure qui permet aux députés de renverser le Président du Conseil et son gouvernement lorsqu’ils estiment que la politique menée par ces derniers doit être sanctionnée.

Sur ce point, le parlement sénégalais avait des prérogatives similaires à celles d’autres parlements, notamment celui de la France. En contrepartie, le Président du Conseil détient lui aussi une arme contre l’Assemblée. C’est notamment son droit de la dissoudre. Ce qui entraînerait des élections anticipées. Mais son droit de dissolution reste très encadré car ne pouvant être utilisé qu’après délibération du Conseil des ministres, sur consultation du Président de l’Assemblée, et à la stricte condition que deux crises ministérielles soient survenues durant une période de 36 mois[2]. Ce qui est bien loin du droit de dissolution tel qu’il a été connu en France avec François Mitterrand qui, à deux reprises, notamment en 1981 et en 1988, a prononcé la dissolution de l’Assemblée pour se constituer une majorité parlementaire à l’issue de nouvelles élections législatives. 

Le Président du Conseil semble alors étouffé mais dans les faits, quelle est la probabilité qu’il ait à faire face à des oppositions farouches des parlementaires étant donné qu’ils viennent du même « hyper-parti », compte tenu du système à parti unique au Sénégal  ? Mieux, cet exécutif à une tête ne peut connaître de crise en son sein car le Président du Conseil étant à la fois chef de l’état et chef du gouvernement, incarne à lui seul l’exécutif. Ce type de régime parlementaire avec un exécutif « monocéphale » durera un peu plus d’une année avant de se muer en un régime parlementaire avec un exécutif bicéphale, dicté par la conjoncture politique de l’époque. La Constitution de 1960 montrera les limites manifestes du régime parlementaire dans le Sénégal des indépendances. (A suivre)

Par Maleine Niang


[1] Parlement à une chambre, d’autres parlements ont deux chambres (ex : Assemblée et Sénat). C’est le cas du Sénégal aujourd’hui. On parle dans ce cas de Parlement bicamérale.

[2] Article 24 de la Constitution

« Alors, tu ne m’embrasses plus Léopold ? » Mamadou Dia et Léopold Sedar Senghor, Interview de Roland Colin

Terangaweb vous propose une interview de Roland Colin réalisée par Thomas Perrot et Etienne Smith pour le compte de la revue Afrique contemporaine, n°233 et éditée par Cairn.Info . L’épisode historique qu’éclaire l’interview de R. Colin sur les différents politiques entre Senghor et Dia reste encore assez méconnu au Sénégal, et Terangaweb a souhaité lui donner plus d’écho. L’éditeur Cairn.Info a bien voulu désactiver l’accès payant à cette interview pour les lecteurs de Terangaweb. Nous le remercions chaleureusement pour cette collaboration. Vous pouvez donc lire l’intégralité de l’entretien en cliquant sur le lien ci-dessous.

“Collaborateur de Dia de 1957 à 1962 et ami de Senghor, devenu ensuite responsable associatif et spécialiste des questions de développement (Iram, Irfed), Roland Colin est un acteur-témoin inclassable de la fin de la période coloniale et du passage à l’Afrique d’aujourd’hui. Grâce à une connaissance intime des hommes et des rapports de force, il livre ici une lecture inédite de la transition historique au Sénégal et rend un hommage appuyé à Mamadou Dia pour sa vision politique et ses options en matière économique. Entretien.” Cairn.Info

http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2010-1-page-111.htm

L’actualité de la Négritude: être et demeurer métis

La Négritude est de nos jours trop vite évacuée quand on ne finit pas de reprocher aux écrivains qui en furent les pionniers d’avoir écrit en français. Pourquoi les poètes de la Négritude ont-ils écrit en français? Fut-ce-t-elle un classique, cette question semble la plus à même de laisser transparaitre en l’occurrence l’actualité de la Négritude dont elle révèle d’ailleurs la quintessence.

Léopold Sédar SENGHOR lui-même répondait à cette question dans la postface d’Ethiopiques[1]

Voici (et on y reviendra) ce qu’en dit le poète de la Négritude et non moins futur membre de la prestigieuse Académie française : « Mais on me posera la question : pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français? – Parce que nous sommes des métis culturels… ». Continue reading « L’actualité de la Négritude: être et demeurer métis »