Retour d’Abdoulaye Wade au Sénégal: essoufflement ou second souffle?

wadeSous-couvert de patriotisme et de la volonté de sauver son parti, Abdoulaye Wade est rentré au Sénégal. Après avoir disparu de la scène politique pendant 2 ans, il a fait un retour remarqué au Sénégal le vendredi 25 avril 2014. L’ancien Président sénégalais avait quitté son pays pour la France après avoir perdu l’élection présidentielle du 25 mars 2012 face à son ancien Premier Ministre Macky Sall. Son retour a été marqué par quelques péripéties lors de son escale à Casablanca, puisque son arrivée à Dakar a été reportée à plusieurs reprises sans fondement à l’en croire, et pour défaut d’autorisations selon les autorités sénégalaises. Quoi qu’il en soit, le Pape du Sopi a encore accompli, à 88 ans, une démonstration de sa capacité de mobilisation, et surtout de sa position centrale au Parti Démocratique Sénégalais (PDS).

Volontairement ou involontairement, il a revêtu le manteau de la victime lors de son escale de 48 heures à Casablanca, en faisant croire à l’opinion publique que les autorités sénégalaises ont tenté d’empêcher son retour. Ces dernières ont pour leur part évoqué des questions de procédures pour expliquer le report de son vol. Il aurait ainsi modifié le personnel qui avait été initialement annoncé et changé d’appareil entre autres manœuvres, entraînant alors des vérifications supplémentaires pour l’autoriser à atterrir à Dakar.  L’opinion la mieux partagée sur cet épisode est que quelqu’un, du côté de Wade ou du pouvoir, a délibérément provoqué ce retard. Tout étant bien qui finit bien, Wade a été accueilli par une importante foule de partisans et de sympathisants dans la capitale sénégalaise. Dans un élan d’enthousiasme, il a déclaré que le régime actuel était incapable de satisfaire les aspirations des Sénégalais et que son fils, Karim Wade, en détention préventive dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, en est le seul capable. Mais au-delà de ces aspects épisodiques, deux grands enseignements peuvent être tirés de son come-back :

1)      Le Parti démocratique sénégalais est en essoufflement

Selon ses propres termes, Abdoulaye Wade est revenu pour sauver le PDS, qu’il a fondé il y a 40 ans. Le PDS connaît en effet une importante saignée depuis deux ans car beaucoup de ténors du parti l’ont quitté : Pape Diop, qui fut Maire de Dakar, Président de l’Assemblée Nationale ainsi que Président du Sénat sous sa bannière, a quitté le navire pour créer la Convergence démocratique Bokk Gis Gis ; Abdoulaye Baldé, Maire de Ziguinchor (Sud) et plusieurs fois Ministre sous Wade a fait de même en créant l’Union des Centristes du Sénégal (UCS) ;  Aida Mbodj, Maire de Bambey (Centre) et plusieurs fois Ministre sous Wade a créé un courant politique et a brillé par son absence à l’accueil de l’ancien Président ; tandis que d’autres anciens responsables du parti ont simplement rejoint le pouvoir actuel, comme Kalidou Diallo, Awa Ndiaye, Ousmane Seye, etc.

Tous ces départs témoignent d’une grande désaffection à l’égard du PDS et, in fine, de sa perte de vitalité depuis la défaite de 2012. Cela est probablement dû au fait qu’Abdoulaye Wade, comme les membres du PDS le disent souvent, est la seule constante dans ce parti.  En d’autres termes, il y décide de tout et le parti ne peut pas fonctionner sans lui, du fait du centralisme qui y a prévalu depuis toujours. Ainsi, il semble que personne d’autre n’est apte à diriger le parti à part lui, puisque son leadership est le seul qui y prévaut. La volonté de Wade de sauver le PDS, à deux mois des élections locales prévues en juin 2014, est consécutive à un essoufflement de son parti qui s’est émietté.

2)      Wade cherche un second souffle

Abdoulaye Wade est conscient du désamour que les Sénégalais lui ont exprimé le 25 mars 2012. Il a fait 26 ans d’opposition, dirigé le Sénégal pendant 12 ans, et aura certainement été l’un des personnages les plus marquants de la vie politique sénégalaise. Mais il lui reste un ultime combat : Karim Wade, son fils. En prison depuis près d’un an dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, Karim Wade a été l’une des principales causes de sa défaite, du fait des lourds soupçons sur Abdoulaye Wade de vouloir lui transmettre le pouvoir. L’ancien Président sénégalais ne semble pas pour autant avoir renoncé à l’idée de voir son fils occuper le fauteuil présidentiel, comme il l’a lui-même laissé entendre dans sa déclaration au siège du PDS le soir de son retour. Il souhaite en fait le positionner comme le seul adversaire crédible contre Macky Sall. Et pour ce faire, Abdoulaye Wade cherche un second souffle. Il souhaite remettre sur pied le Parti démocratique sénégalais en faisant revenir les responsables qui l’ont quitté, et surtout en réunifiant la famille libérale. Dans son esprit, Idrissa Seck (Maire de Thiès, Président du Rewmi, et ancien Premier Ministre sous Wade), Pape Diop, Abdoulaye Baldé et… Macky Sall peuvent tous se retrouver pour reconstituer le PDS. Il considère qu’ils proviennent de la même famille libérale qu’il a fondée et doivent pouvoir revenir dans ce parti. Cette réunification servirait bien entendu la cause de son fils biologique, Karim Wade, qu’il rêve de voir diriger le Sénégal. Pour lui, personne d’autre n’en est capable.

Il faut reconnaître à Wade le mérite de vouloir sauver son parti et son fils à un moment aussi difficile. Il faut cependant le faire revenir à la raison : ce rêve est purement utopique. Le PDS a fait sous son règne une gestion calamiteuse des ressources publiques en multipliant les scandales financiers. Ses responsables faisaient preuve d’une grande arrogance vis-à-vis des Sénégalais. Karim Wade a été traité de tous les noms d’oiseaux par les Sénégalais qui lui reprochaient d’avoir été trop associé à la gestion du pouvoir. Il a été à la tête de plusieurs ministères importants et a provoqué beaucoup de frustration dans les rangs du PDS même. Il est de plus soupçonné d’avoir détourné des centaines de milliards de francs CFA par une bonne frange du peuple. Peut-il dès lors prétendre être un martyr du simple fait que la justice de son pays le poursuit ? La réponse est non ! Son père peut-il lui servir tout le PDS sur un plateau ? Même réponse négative ! Karim Wade, à son corps défendant, doit rendre compte de la gestion des deniers publics qu’il a effectuée, et expliquer la provenance de son patrimoine. Cela prendra le temps qu’une bonne administration de la justice nécessite. Pour l’heure, il est utopique de vouloir rassembler la famille libérale : les courants idéologiques ne sont pas déterminants dans la vie politique sénégalaise. Ce qui peut paraître comme un retour en héros du Pape du Sopi, et qu’Abdoulaye Wade regarde avec un zeste d’aveuglement comme une occasion de sauver son parti et son fils, témoigne en réalité d'un essoufflement du PDS.

Mouhamadou Moustapha MBENGUE

Bethio Thioune : Le crépuscule d’une idole

"si le communisme et le fascisme n'avaient séduit que des canailles, ils n'auraient pas survécu si longtemps"

Jean-François Revel, le voleur dans la maison vide

 

Lundi 23 avril dernier, Cheikh Bethio Thioune, l'un des leaders de la confrérie Mouride du Sénégal, a été arrêté par les autorités policières sénégalaises et présenté le jeudi suivant à la justice. Il doit répondre des faits suivants : complicité de meurtre, inhumation de cadavres sans autorisation, détention d’armes et association de malfaiteurs. Il apparaît qu'une bagarre a éclaté, il y a quelques mois entre certains de ses "fidèles" et que deux d'entre eux ont été tués puis inhumés, sans plus de cérémonie, dans une concession appartenant au "Guide".

Voilà ce qui arrive lorsqu'un démagogue, un escroc se drape du manteau de commandeur des croyants. Thioune aura été, à la fois, un idiot utile du Wadisme et l'agitateur le plus conscient des failles et impasses du mouvement de Wade. Qu'Abdoulaye Wade ait décidé de s'acquitter des frais de justice du marabout est une circonstance aggravante. Avec la condamnation de Charles Taylor, que finalement, l'homme qui aura durant tant d'années détruit les esprits, l'intellect et la conscience religieuse de tant de gens aient à répondre à la justice, est l'une des meilleures nouvelles que cette pestiférée Afrique occidentale aie connu depuis dix ans.

Dans l’Afrique que nous voulons, Cheikh Bethio Thioune n’a pas de place, ni comme conscience morale, ni comme leader religieux, ni comme influence politique, ni comme entrepreneur privé, ni comme marabout, ni comme magicien. Le seul miracle accompli par cette fraude intellectuelle, par cette régression de la pensée, par ce détourneur de mineurs, par cet apparatchik de bas niveau, c’est d’avoir réussi à échapper à la justice aussi longtemps. Il ne transformait pas l’eau en vin. Il n’a fait que transformer la souffrance et l’ignorance en billets de banque.  

Le crépuscule d'une seule idole n'est pas suffisant. Terangaweb s'est déjà inquiété de la puissance et de la richesse des pasteurs évangélistes de l'Afrique anglophone. Encore un effort, mesdames, messieurs! Encore un effort, et notre pauvre Afrique sera débarrassée de ces fraudes, de ces imbécilités religieuses qui ont contribué, plus violemment que le colonialisme, à réduire la jeunesse d'Afrique à une sorte de réservoir de violences présentes, passées et à venir. 

 

 

Joël Té-Léssia

Abdoulaye Wade est une invention des Sénégalais

 
 
Pour l'observateur non averti, les élections présidentielles sénégalaises s'apparentent étrangement à une transition démocratique. Elles en portent tous les stigmates : l'intransigeance du camp au pouvoir, le sentiment d'urgence qui étreint l'opposition, la pressante mobilisation de la société civile, les stratagèmes mis en place par les partis d'opposition, les larges et difformes coalitions machinées dans l'urgence, le pouvoir parlementaire muet et unicolore, le pouvoir judiciaire contesté – non plus sa simple indépendance –  les trahisons au sein de la majorité au pouvoir, l'alliance des modères de celle-ci avec l'opposition, le va-tout des conservateurs (ici, les imprécations proprement non-démocratiques de Bethio Thioune), l'irruption de candidature « boulangeo- technocratique » de Youssou Ndour. Même l'attitude d’Abdoulaye Wade : la tentation monarchique, le désir de manigancer une réforme électorale d'urgence, le déni de toute légitimité à ses opposants. Tout respire la fin du régime autocratique.
 
À ceci près justement, que la présidentielle 2012 au Sénégal n'est qu'une banale élection dans un pays de tradition démocratique. Au plutôt : elle n'aurait dû être qu'une banale présidentielle dans une démocratie apaisée. Que cela ne soit pas le cas aujourd'hui est d’abord et avant tout, la responsabilité des Sénégalais. Cette génération devra, un jour ou l’autre, expliquer sa trahison.
 
Abdoulaye Wade est une invention des Sénégalais. C’est l’opposition sénégalaise qui tira un Wade déconfit et découragé de son exil parisien en 1999 pour en faire son champion. Ce sont les Sénégalais qui l’ont porté au pouvoir et qui l’ont reconduit dans ses fonctions en 2007. Ce sont eux qui ont placidement accepté ses dérives autoritaires. Ce sont eux qui, docilement, ont laissé se dégrader leur démocratie.
 
Au début des années 2000, le Sénégal avait :
  • l’armée la plus disciplinée, la plus unie, la plus loyale d’Afrique ;
  • une population globalement libre de tensions ethniques ou de ressentiments tribaux majeurs – y compris la question casamançaise – ;
  • un paysage politique diversifié et solide au début du millénaire ;
 
Une décennie à peine plus tard, l’offre politique se résume essentiellement à un tout sauf Wade, les semaines précédant l’élection se sont écoulées dans une ambiance quasi-insurrectionnelle, personne ne sait exactement ce que sera la réponse des militaires sénégalais si des troubles éclatent à l’issue du second tour, la CEDEAO a dû dépêcher Obasanjo comme médiateur – de tous les coups bas, celui-là est le plus abjecte. Et les citoyens sénégalais ont réalisé ce chef-d’œuvre d’irresponsabilité, en toute liberté, sans pressions extérieures, sans baïonnette aux tempes, avant de se réveiller bruyamment et violemment après des années de silence – dira-t-on "de stupeur" par mansuétude?
 
Que l'on ne s'y trompe pas, au moment du diagnostic, la vraie interrogation n'est pas tant de savoir ce que Wade a fait du Sénégal mais ce que les sénégalais ont fait de Wade et de leur pays. Parce que, bon sang, le droit de vote est aussi un devoir de responsabilité.
 
Joël Té-Léssia

CAN 2012 : pour qui roule la Fédération Sénégalaise?

Je me suis bien réjouis hier, de la défaite du Sénégal, contre la Zambie, lors de la 1ère journée de la Coupe d’Afrique des Nations 2012, organisée conjointement, cette année par le Gabon et la Guinée équatoriale (j’ai écrit cette phrase exprès, pour me moquer du nouveau genre pseudo-journalistique, dont on abuse sur TW, moi le premier : montrer qu’on a bossé, qu’on a tout lu, qu’on a toutes les infos, le faire savoir).

Je la sens bien moi, cette CAN, d’abord et avant tout parce que ni le Cameroun, ni le Nigéria, ni l’Egypte n’y participent. Si avec ça, les Éléphants ne l’a remportent pas, je serais partisan d’une exécution sommaire, télévisée, dès l’atterrissage. Mais je la sens bien aussi parce que le Sénégal ne la remportera pas. (J’ai reçu l’autorisation, la fois passée de reparler du Sénégal, j’en profite avant qu’on ne change d’avis)

Ce que j’ai détesté les « Gaïndés » durant mes études secondaires! Surtout en 2002 : La Côite d’Ivoire finit dernière de son groupe (derrière… le Togo – Ah, ils nous auront tout fait! – et après une défaite contre la RDC, « découragement n‘est pas ivoirien » , mais quand même!) et le Sénégal arrive en finale. Et puis c’est la Coupe du Monde 2002. Toute ma vie, je me souviendrai du match d’ouverture, de l’hystérie collective qui prit le camp entier, du dernier troufion au colonel, et par delà Bango, le pays tout entier, après la victoire contre la France.

Plus que cette joie hautement communicative contre laquelle, de toute mes forces je luttai, c’est une espèce de haine qui surnage quand j’y repense. La Coupe du Monde se déroulait en Asie : monstrueux décalage horaire. Le jour du match, une bande d’imbéciles avait débarqué dans nos chambres, au milieu de la nuit, s’époumonant, criant à tue-tête : « Debout les gniaks, debout! Aïtcha! Debout waay! Le Sénégal joue aujourd’hui! Debout! » Si nous n’étions pas déjà braqués contre cette équipe qui allait de victoire en victoire et dont les succès nous rappelaient douloureusement l’état lamentable de nos équipes nationales respectives (CI, Mali, Niger, Gabon, Centrafrique – oui, il y a une équipe nationale de foot en RCA – Burkina, Guinée), même si nous avions aimé l’équipe du Sénégal, ce réveil brutal et sardoniquement destructeur aurait suffi à nous la faire haïr.

J’avoue, à ma grande honte, avoir été plus heureux, le jour de l’élimination du Sénégal en 2002, par la Turquie, que lorsque la Côte d’Ivoire se qualifia pour la Coupe du Monde 2006. Donc, la seule équipe que je détestais plus que celle du Sénégal était le Cameroun. Je suis Ivoirien, par atavisme, je suis naturellement amené à détester l’équipe du Cameroun. Or voilà que les lions indomptables sont bloqués à Yaoundé. Il ne me reste que le Sénégal, comme souffre-douleur et objet de ressenti. Il se trouve pourtant qu’avec l’âge, ces moments de cordiale détestation prennent une teinte sépia, douce-amère, presque joyeuse. Les moqueries, les injures et les fanfaronnades des camarades de Saint-Louis faisaient partie d’une comédie intime, personnelle, d’un jeu de rôles parfaitement rôdé où chacun jouait sa partition avec entrain et bonheur : eux l’arrogance, nous le martyr, nous la haine, eux le mépris. Nous nous aimions, comme le Vieux Salamano et  son chien : on se détestait sans pouvoir nous résoudre à la rupture.

Mais je reste incroyablement content de la défaite du Sénégal : parce que personne ne souhaite plus une victoire des Lions de Teranga à cette CAN qu’Abdoulaye Wade. C’est le coup de pouce qu’il attend, il ne viendra pas. Et j’en ai le pressentiment, en choisissant un entraîneur aussi mauvais, la Fédération Sénégalaise a fait un choix politique : elle s’est ralliée à l’opposition!
 

 

Joël Té-Léssia