L’Etat de droit a-t-il régressé en 2016 ?

L’Afrique a connu une année 2016 mouvementée sur le plan politique. Entre l’organisation de plusieurs scrutins électoraux et la lutte contre le terrorisme, la solidité des institutions des pays concernés a été testée. L’état de droit a-t-il été impacté par ces différents évènements ? En fonction des situations prévalant dans chaque pays, le sort réservé aux droits humains et au respect de la constitution n’a pas été le même. Le rapport annuel de Human Right Watch (HRW) nous donne des éléments intéressants à analyser.

Le Burundi et l’enlisement de la crise.

Au Burundi, la crise politique, qui a débuté en 2015 suite au refus du président sortant Pierre Nkurunziza de ne pas briguer un nouveau mandat, s’est poursuivie en 2016. A la suite de sa réélection, des affrontements meurtriers se sont déroulés entre les partisans de l’opposition et les forces de sécurité soutenues par des regroupements de jeunes proches du pouvoir en place.

Le régime en place n’a pas hésité à instrumentaliser les voies de droit afin d’arrêter le maximum de partisans de l’opposition. Plusieurs procédures judiciaires ont été enclenchées sur la base d’éléments peu fiables. D’autres procédures ouvertes contre les forces de l’ordre ou les agents de renseignement proches du pouvoir, ont été bafouées ou biaisées afin de disculper les éventuels responsables.

Selon le rapport annuel de HRW, plus de 325000 burundais ont fui le pays vers les pays voisins depuis le début de la crise.

La situation dans ce pays de l’Afrique de l’est est de plus en plus inquiétante. Ces dernières semaines, des propos flirtant avec des intentions génocidaires, émanant d’éminentes personnalités du pouvoir ont ramené le pays à la tragique nostalgie des heures les plus sombres qu’a connues cette région en 1994.

Le Nigéria, entre justice et lutte contre le terrorisme

Le Nigéria est loué par l’ONG HRW pour sa société civile et ses médias puissants et influents, qui jouent un rôle majeur dans la responsabilisation de la fonction publique du pays face au cancer qu’est la corruption. Cependant, HRW dénonce la rédaction de certains projets de loi qui pourraient porter un frein à l’activité des organismes de la société civile ; ces dernières constituant une menace pour le gouvernement. C’est le cas par exemple du projet de loi (. Bill to Prohibit Frivolous Petitions and Other Matters Connected Therewith .) introduit au Sénat en décembre 2015  et qui vise spécifiquement les utilisateurs des réseaux sociaux et médias électroniques.

Sur le plan sécuritaire, un rapport des autorités dénonce la recrudescence des exécutions arbitraires commises par les forces de sécurité. Une commission publique instituée par le gouvernement a, par exemple, demandé que les soldats responsables du meurtre de plus de 300 membres du mouvement islamique du Nigéria dans l’Etat de Kaduna soient déférés devant la justice. La lutte contre le terrorisme islamiste incarnée par la secte Boko Haram est la principale raison de l’utilisation de plus en plus importante de moyens illégaux par les forces de sécurité. Le gouvernement pourrait-il dans ce contexte enclencher un combat judiciaire à l’encontre de ces hommes et femmes en uniforme, censés affaiblir Boko Haram ? Avoir de l’optimisme pour la poursuite objective de ces enquêtes, relèverait d’une relative naïveté.

La RDC et son président « sortant par intérim »

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à terme le 16 décembre 2016 sans que son remplaçant ne soit connu, faute d’organisation d’élections présidentielles. Le président sortant s’est donc maintenu au pouvoir malgré l’opposition de la majeure partie de la classe politique. Des affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et de jeunes congolais demandant le départ du président Kabila. Mais pouvait-il réellement partir ?

L’opposant historique Etienne Tshisekedi avait appelé les populations à une « résistance pacifique » sans pour autant expliquer ce qu’il voulait dire en ces termes. Un accord a finalement été conclu après d’âpres négociations entre le pouvoir et l’opposition sous la supervision du clergé catholique. Les acteurs se sont mis d’accord sur un certain nombre de points clés. D’autres points, bien que faisant partie de l’accord, posent toujours problème. C’est le cas de la date des échéances électorales que l’opposition voudrait organiser au plus tôt. Au niveau de la mouvance présidentielle, on persiste à dire que des élections libres et transparentes ne peuvent être organisées avant 2018. Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouveaux rebondissements.

Le clergé catholique a quand même le mérite d’avoir pu réunir la classe politique autour de la table avec, à la clé, une solution à l’impasse juridique et constitutionnelle causée par la non tenue des élections. Malgré ses lacunes, l’accord trouvé sous l’égide des hommes de Dieu a permis une certaine décrispation de la situation dans le pays.

La Cote d’Ivoire et le Ghana, des exemples d’avancées démocratiques

D’après le rapport de l’ONG américaine, l’impressionnant redressement économique de la Cote d’Ivoire – qui a connu plus de dix ans de conflit armé –  a favorisé « une amélioration progressive de l’état de droit et de la réalisation des droits économiques et sociaux ».

L’événement symbolique de cette avancée reste sans ambages l’adoption d’une nouvelle constitution et le passage à la 3ème République. Cette nouvelle constitution, bien que critiquée par l’ONG pour sa vocation « hyper présidentielle », a supprimé la fameuse disposition relative à la nationalité. Disposition de la discorde qui a porté les germes des dix années de conflits ayant secoué ce pays.

Cependant, ces derniers jours, des mutineries d’une partie des corps habillés ont mis sur la scène publique l’une des faiblesses institutionnelles du pays. Il s’agit de la place réservée au pouvoir militaire dans la structure institutionnelle. Cette mutinerie pose un problème plus général en Afrique qui est celui du pouvoir effectif des forces armées dans nos institutions ; sujet traité par l’Afrique Des Idées au cours de l’année écoulée.

Enfin, la dernière élection présidentielle au Ghana a abouti à une alternance. Le président sortant John Mahama a été battu par l’historique opposant au NDC[1] ( National democratic congress), le chef du New Patriotic Party( NPP), Nana Akufo Addo. Ces élections, qui se sont déroulées dans la plus grande transparence, ont démontré encore une fois la solidité institutionnelle de ce pays. Le Ghana se hisse de plus en plus dans la lignée des grandes nations africaines réussissant l’épreuve de la sempiternelle équation de l’alternance pacifique en Afrique.

                                                                                                                                   Giani GNASSOUNOU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le parti du président sortant John Mahama qui avait lui-même succédé à John Attah Mills après son décès.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les attentes des Maliens de France envers leur futur président

Mali-large-avance-du-candidat-Keita-a-la-presidentielle_referenceLe premier tour des élections présidentielles au Mali s'est déroulé le 28 juillet dernier. Lors du second tour, prévu pour le 11 aout prochain, s'affronteront Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK arrivé en tête du premier tour avec 39.2% des voix et l'ancien Président de la Comission de l'UEMOA, Soumaïla Cissé, candidat de l'Union pour la république et la démocratie, qui a recolté 19,44% des suffrages.

Les ralliements des autres candidats du premier tour se succèdent et les tractations sont en cours pour le second tour de ce scrutin tant attendu, et qui devrait mettre un terme aux deux ans d'instabilité qu'a connu le Mali. Mais au-delà du rétablissement de l'ordre constitutionnel, le nouveau Président de la République du Mali devra faire face à une économie durement touchée par la crise, une société civile et un corps politique divisé par l'insurrection touareg et le coup d'état conduit par le capitaine Sanogo, en mars 2012.

Dans l'attente de ce second tour, l’Unité Mixte de Recherche 225 DIAL (Développement, Institutions et Mondialisation) a realisé une enquête statistique inédite de très grande ampleur avec près de 100 enquêteurs répartis dans trois pays (Mali, Côte d’Ivoire et France). Nous présentons ici les premiers résultats de cette enquête menée auprès de plus de 200 votants maliens en France (Ambassade du Mali à Paris, Consulat du Mali à Bagnolet, villes d’Evry, de Montreuil et de Saint-Denis). Ils permettent de dresser plusieurs constats.

Des espoirs et des attentes pour l’avenir de la République du Mali

Un fort mécontentement quant à l’organisation du scrutin

Alors que la presse ou les réseaux sociaux se sont fait l’écho de nombreuses difficultés techniques posées au bon déroulement du scrutin dans la plupart des pays de résidence des migrants, et dans une moindre mesure au Mali, il ressort qu’en France plus des trois quarts des votants interrogés ne sont pas du tout satisfaits ou moyennement satisfaits de l’organisation des élections. Leur insatisfaction est principalement liée aux problèmes d’inscription sur les listes électorales en raison d’un recensement passé défectueux, à des retards dans la délivrance des cartes biométriques d’électeur NINA, à un manque d’information quant aux lieux de vote et à un non-respect du règlement électoral (urnes non cadenassées, bureaux de vote non ouverts ou avec retard, …). La date des élections qui avait été jugée trop précoce par de nombreux observateurs et certaines organisations non gouvernementales, est donc loin d’être la première raison invoquée.

Un large déficit de confiance dans la démocratie malienne

Alors que plus de 87% des votants maliens ont plutôt ou tout à fait confiance dans la démocratie française, ils portent a contrario un jugement extrêmement sévère sur le fonctionnement de la démocratie de leur pays d’origine. Un tiers d’entre eux considère même qu’avant le coup d’Etat il ne s’agissait pas d’une démocratie, 26% qu’il s’agissait d’une démocratie avec des problèmes majeurs. 31% seulement d’une pleine démocratie ou d’une démocratie avec des problèmes mineurs. Les principales raisons évoquées pour expliquer la crise traversée par leur pays sont : l’incompétence de la classe politique, la corruption généralisée et la faiblesse de l’Etat. La question du terrorisme étranger ne vient qu’après. L’intervention de l’armée militaire française agissant dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies a été jugée tout à fait justifiée par 79% des votants. Des espoirs et des attentes pour l’avenir de la République du Mali Si les trois quarts des votants interrogés affirment n’avoir eu plutôt pas, voire pas du tout confiance dans la classe politique malienne avant le coup d’Etat, ils sont paradoxalement plus de la moitié aujourd’hui à faire confiance à la classe politique malienne quand bien même n’a-t-elle été renouvelée qu’à la marge comme le montre la liste des candidats à l’élection présidentielle. Interrogés sur les plus grands défis qu’aura à relever le nouveau président, les électeurs citent, par ordre d’importance, le maintien de la sécurité du territoire face aux menaces islamistes ou terroristes, le renforcement de l’intégrité du territoire face aux revendications séparatistes et loin derrière ces deux premiers défis, la relance de l’activité économique et la réduction de la pauvreté.

La bonne « intégration » civique des électeurs maliens dans la société française

Contredisant les injonctions à l’intégration et les discours populistes sur les migrants ouest-africains en France, notre enquête montre sans nul doute possible que l’intérêt des personnes interrogées pour la vie politique de leur pays d’origine va de pair avec leur intérêt pour la vie politique de leur pays d’accueil, voire à leur participation réelle à la vie publique française lorsqu’elles sont dotées de la double nationalité. 56% de la population malienne votante déclare être très intéressée par la vie politique malienne, 26% affirmant avoir eu ou avoir la carte d’un politique malien. Vice et versa, 42% des électeurs affirment être très intéressés par la vie politique française. Au sein de cette population, 82% des personnes dotées de la bi-nationalité sont inscrites sur les listes électorales françaises et 77% votent aux scrutins nationaux.

CP – 2013.08. 01 Les Attentes des Maliens de France envers leur futur président, 1ères leçons d'une enquêt…


Retrouvez le communiqué complet en ligne.


Cette enquête a été réalisée dans le cadre du Projet POLECOMI, DIAL-IRD, Iris-EHESS.
DIAL-IRD est un partenaire de l'Afrique des Idées

 

Abdoulaye Wade est une invention des Sénégalais

 
 
Pour l'observateur non averti, les élections présidentielles sénégalaises s'apparentent étrangement à une transition démocratique. Elles en portent tous les stigmates : l'intransigeance du camp au pouvoir, le sentiment d'urgence qui étreint l'opposition, la pressante mobilisation de la société civile, les stratagèmes mis en place par les partis d'opposition, les larges et difformes coalitions machinées dans l'urgence, le pouvoir parlementaire muet et unicolore, le pouvoir judiciaire contesté – non plus sa simple indépendance –  les trahisons au sein de la majorité au pouvoir, l'alliance des modères de celle-ci avec l'opposition, le va-tout des conservateurs (ici, les imprécations proprement non-démocratiques de Bethio Thioune), l'irruption de candidature « boulangeo- technocratique » de Youssou Ndour. Même l'attitude d’Abdoulaye Wade : la tentation monarchique, le désir de manigancer une réforme électorale d'urgence, le déni de toute légitimité à ses opposants. Tout respire la fin du régime autocratique.
 
À ceci près justement, que la présidentielle 2012 au Sénégal n'est qu'une banale élection dans un pays de tradition démocratique. Au plutôt : elle n'aurait dû être qu'une banale présidentielle dans une démocratie apaisée. Que cela ne soit pas le cas aujourd'hui est d’abord et avant tout, la responsabilité des Sénégalais. Cette génération devra, un jour ou l’autre, expliquer sa trahison.
 
Abdoulaye Wade est une invention des Sénégalais. C’est l’opposition sénégalaise qui tira un Wade déconfit et découragé de son exil parisien en 1999 pour en faire son champion. Ce sont les Sénégalais qui l’ont porté au pouvoir et qui l’ont reconduit dans ses fonctions en 2007. Ce sont eux qui ont placidement accepté ses dérives autoritaires. Ce sont eux qui, docilement, ont laissé se dégrader leur démocratie.
 
Au début des années 2000, le Sénégal avait :
  • l’armée la plus disciplinée, la plus unie, la plus loyale d’Afrique ;
  • une population globalement libre de tensions ethniques ou de ressentiments tribaux majeurs – y compris la question casamançaise – ;
  • un paysage politique diversifié et solide au début du millénaire ;
 
Une décennie à peine plus tard, l’offre politique se résume essentiellement à un tout sauf Wade, les semaines précédant l’élection se sont écoulées dans une ambiance quasi-insurrectionnelle, personne ne sait exactement ce que sera la réponse des militaires sénégalais si des troubles éclatent à l’issue du second tour, la CEDEAO a dû dépêcher Obasanjo comme médiateur – de tous les coups bas, celui-là est le plus abjecte. Et les citoyens sénégalais ont réalisé ce chef-d’œuvre d’irresponsabilité, en toute liberté, sans pressions extérieures, sans baïonnette aux tempes, avant de se réveiller bruyamment et violemment après des années de silence – dira-t-on "de stupeur" par mansuétude?
 
Que l'on ne s'y trompe pas, au moment du diagnostic, la vraie interrogation n'est pas tant de savoir ce que Wade a fait du Sénégal mais ce que les sénégalais ont fait de Wade et de leur pays. Parce que, bon sang, le droit de vote est aussi un devoir de responsabilité.
 
Joël Té-Léssia