Algérie: le statu quo plutôt que l’alternance

bouteflikaMalgré un état de santé chancelant, le Président algérien, très affaibli, n’a pas hésité à se porter candidat à sa propre succession. L’élection présidentielle du 17 avril 2014, dépourvue de  tout suspense, paraissait comme une simple formalité car le candidat Abdelaziz Bouteflika était assuré de l’emporter.

Après la vague de printemps arabe dans le Maghreb, les législatives du 10 mai 2012 donnaient déjà un aperçu de la présidentielle d’avril 2014. Elles ont été remportées par le front de libération national (FLN), le parti présidentiel, qui garda le contrôle de l’assemblée nationale. Ce dernier, allié au rassemblement national démocratique (RND), a remporté 288 sièges sur 462, dont 220 pour le FLN.

Une importante part de la population algérienne, bien qu’indignée, est pourtant restée indifférente face à un mandat de plus pour M. Bouteflika. Les rassemblements et collectifs formés exclusivement pour dénoncer ce quatrième mandat ne mobilisèrent point le peuple algérien.

Il est important de signaler que ce qui était exigé par les opposants à la candidature du Président sortant, c’est l’alternance. Pourtant, le principal adversaire de M. Bouteflika, parmi les cinq autres, Ali Benflis, n’incarne pas la rupture avec le système, lui-même ayant été Premier Ministre du Président Bouteflika. Elire M. Benflis aurait été un changement de personne à la tête du pouvoir, mais certainement pas un changement de système.

La situation ayant poussé les populations tunisiennes et égyptiennes à se soulever contre leurs régimes est assez semblable à celle que vivent les Algériens : absence d’importantes réformes de la part de l’Etat, la montée du chômage des jeunes, l’accentuation de la pauvreté…Mais eu égard à ce qu’a connu le pays durant les années 1990, « les années de braise » selon Hamit Bozarslan, les algériens tiennent à la stabilité, d’où leur adhésion au régime de M. Bouteflika.

Nombreux parmi eux, bien qu’aspirant à une transition démocratique,  préfèrent Bouteflika au pouvoir, plutôt que de risquer voir leur pays s’embraser sous des manifestations qui pourraient se muer en émeutes. Face aux troubles sévissant dans les pays voisins en quête d’une transition politique,  les Algériens ont donc  préféré l’idée d’une stabilité à l’alternance.

Comme le dit Jacques Hubert-Rodier, « Une révolution est une émeute réussie. Une émeute est une révolution qui a échoué ». La frontière entre ces deux notions est facilement franchissable. L’Algérie estime avoir déjà eu son printemps arabe avec l’éviction du président Chadli Benjedid, par les généraux « janviéristes », à la suite des émeutes d’octobre 1988.

La passiveté des Algériens face à la vague de contestations dans le Maghreb (Egypte, Lybie, Tunisie), entamée en décembre 2010, les aurait ainsi contraints de se plier à la décision du président Bouteflika de se porter candidat pour un quatrième mandat.

La première raison de cette relative retenue tient évidemment au traumatisme de la guerre civile dans les années 1990, qui coûta la vie à plus de 100 000 personnes. Cette résignation pourrait s’expliquer par d’autres causes, plus profondes. Selon Abdallah Djaballah, ancien candidat à la présidentielle (1999 et 2004) et président du Front pour la justice et le développement (FJD), l’Algérie n’a pas connu le printemps arabe car elle « n’a pas fini de panser les blessures de son passé ». Les révolutions dans les pays voisins ont certes donné lieu à une transition politique, mais ont entrainé le désordre, une explosion de l’insécurité et des situations parfois moins meilleures que sous les régimes " autoritaires ".

 

Boubacar Haidara

Pourquoi nous gouverner par des « cadavres » ?

bouteflikaAu plus de fort son règne, l’ancien président béninois Mathieu Kérékou disait à ses concitoyens que le « Bénin étonnera le monde ». Une prophétie restée encore indélébile dans la mémoire collective de millions de béninois. Mais le vieux « caméléon », comme on l’aime si bien l’appeler au Bénin, ignorait encore tout de la portée de son assertion.  L’étonnement du monde n’est plus l’apanage des Béninois. Certes, le Bénin de ces dix dernières années se mue en une chimère étonnante pour le monde mais d’autres réalités du continent positionnent l’Afrique au cœur d’un océan d’indignation.

Connaissiez-vous la gouvernance par procuration ? Connaissiez-vous la gouvernance par délégation de pouvoir ? Sans aucunement injurier l’intelligence des millions d’africains, je pense que c’est bien maintenant que ces « maux » s’installent dans le dictionnaire de la politique sur le continent. Du moins, c’est le moment plus que jamais qu’ils deviennent la règle établie sur le continent.

Un simple regard sur la fantomatique élection présidentielle en Algérie est largement suffisant pour détecter le mal du mépris de millions d’africains. L’Afrique est-elle devenue le continent où seuls des « cadavres » ont la sagesse de gouverner ?

Dans cette partie du globe, les plus forts et intelligents sont les plus vieux. Ici ou là-bas (cela dépend bien de votre position sur la planète), le pouvoir n’aime pas les jeunes. Que dis-je, les jeunes n’ont pas le pouvoir. Tout se lie et se délie par un conglomérat de maladifs qui surfent sur une confiscation du fauteuil présidentiel pour gouverner.

Une situation bien rocambolesque que ni les urnes, les protestations, les révolutions, la rébellion ou la lutte armée dans le pire des cas n’ont vaincue. Chez nous, les « cadavres » ont encore la côte. Ils sont encore et pour longtemps encore les maîtres à penser d’un continent longtemps en quête d’un nouveau souffle. En tout cas, c’est ce que dit l’oracle.

Peu importe combien coûtent au budget national leurs soins de santé pour les tenir encore loin des cercueils, sans eux, pas de présidents, pas de démocratie. Même l’abracadabra du plus illustre des magiciens du monde ne leur fera trembler.

Et le cauchemar continue de plus beau. Abdelaziz Bouteflika, symbole mémorable de cette Afrique spoliée par quelques « véreux » peut tout de même se frotter les mains. Lui, élu président, malade depuis un fauteuil roulant n’a rien à envier à certains dinosaures accrochés au pouvoir depuis des lustres, vieillissants pour certains et mourants pour d’autres.  Inutile de faire la liste de ces présidents pépés qui font de l’Afrique un « géant jardin » d’enfants.

On ne se lassera au jamais de chanter le requiem d’une pratique avilissante pour un continent d’espoir. De mon intime conviction, l’indignation appelle à l’action. Et l’action appelle à la jeunesse. Mais hélas ! Que peut une jeunesse en manque de repère soumis aux désidératas d’un « cadavre » de président dans une Afrique gouvernée par quelques sbires du chef par procuration.

De-Rocher Chembessi

Présidentielle algérienne: le duel Bouteflika – Benfils aura-t-il lieu?

bouteflika-malade-930_scalewidth_630« Poussé par le devoir national sacré (…) J’ai décidé de me présenter à la présidentielle ». Ce sont les mots d’Ali Benfils. De quel devoir national sacré s’agit-il ? Celui de servir de « béquille »  à  Abdelaziz Bouteflika en légitimant un scrutin qui selon certains n’en est pas un ? Ou celui devoir d’apporter une alternative, un renouveau au sein de l’appareil étatique  algérien à travers une alternance démocratique ?

Les  positions sont partagées au sein de la  société et de la classe politique algérienne. Sans ambages, Ali Benfils serait le candidat le plus dangereux pour affronter le Président sortant. C’est pour cette raison que certains pensent que sa participation  à ce qu’ils appellent une mascarade électorale aura pour effet non pas de modifier l’échiquier politique algérien, mais plutôt de légitimer ce qu’on peut appeler « une élection, présélection ».

En Afrique, la problématique de  la participation ou du boycott  d’un scrutin électoral taxé de « non transparent » ne date pas d’aujourd’hui. La question s’est déjà posée par le passé concernant d’autres pays. La seule chose sur laquelle on pourrait être d’accord, c’est que le choix pour l’une ou l’autre des stratégies ne change généralement pas la donne finale. C’est encore le cas en Algérie, où dès l’annonce de la candidature du président sortant, tout porte à croire que les jeux sont déjà faits. Dès lors, quel peut être le véritable enjeu de cette élection pour Ali Benfils ?

Empêcher Bouteflika de faire la course en solo pour s'octroyer un plébiscite?

Ne pas  se présenter aux élections c’est laisser la voie libre au régime en place d’organiser avec le concours des partis politiques «  satellites » un scrutin « théâtral » où toutes les normes attestant d’une élection transparente seront bafouées. Ce qui en fait une élection presque  jouée d’avance. Bouteflika sera compétiteur et arbitre  à la fois.

La participation d’Ali Benfils  pourrait empêcher cela. Loin de pouvoir faire éclater la vérité des urnes, sa participation pourrait au moins limiter l’ampleur des fraudes électorales qui s’y dérouleront.

La vigilance et la détermination de son équipe électorale pourraient permettre une meilleure observation du scrutin, et empêcher des fraudes délibérées et exagérées de la part du régime.

D’ailleurs sur ce point bien précis, l’équipe électorale du candidat assure que tout est mis en œuvre pour que le soir des élections, les résultats proclamés soient le reflet des aspirations électorales des Algériens.

Seul bémol à cette analyse, les résultats obtenus par Ali Benfils  lors de l’élection présidentielle de 2004. Il avait certes fini derrière le président sortant mais  avec seulement 6,42 % des suffrages. Notons que cette déconvenue l’avait obligé à se retirer de la vie politique jusqu’à son grand retour pour les élections d’avril. Pourra-t-il cette fois ci prendre sa revanche ?

Revendiquer le statut de chef de file de l'opposition ?

A défaut d’être élu Président de la République, le statut de chef de file de l’opposition est très prisé en Afrique. Ali Benfils  pourrait être encore plus intéressé en se référant   à l’état de santé fragile du président-candidat qui inquiète plus d’un Algérien. La question se poserait alors en ces termes : Bouttlefika, même réélu, pourra-t-il finir son mandat  à la tête de l’Algérie ?

Dans le cas d’une élection anticipée pour vacances au sommet de l’Etat, l’ancien Premier Ministre pourrait alors tenter de surfer sur cette vague d’adhésion populaire qui pourrait  lui bénéficier au cours de ce scrutin. Le président Bouteflika, dans cette hypothèse, ne serait pas candidat. La logique voudrait qu’Ali Ali Benfils  soit le favori pour incarner l’alternance. Cette dernière hypothèse  est peut-être le véritable enjeu de cette confrontation.

Giani Gnassounou

Algérie : l’impasse d’un système verrouillé

L'incertitude politique créée par l'hospitalisation du président algérien Abdelaziz Bouteflika, plus que la maladie d'un homme est un symptôme de la dérive entière du système politique : absence d'institutions fortes et indépendantes, guerre de clans et d'intérêts, personnalisation du pouvoir. Il n'est pas certain que cela soit amené à changer.


Depuis quelques jours, les commentateurs de la politique algérienne ont pu observer le remarquable changement dans la stratégie de bouteflika-malade-930_scalewidth_630communication du gouvernement. Pendant la longue absence d’Abdelaziz Bouteflika (hospitalisé à Paris depuis le 27 avril), la rétention de l’information a été totale, contrastant avec la transparence des autorités sud-africaines sur l’hospitalisation de Nelson Mandela. Ce changement a sans doute été motivé par les rumeurs les plus alarmantes, autant dans la rue que dans la presse, annonçant « la fin de Bouteflika »[1].

A travers la maladie du président, l’état d’incertitude politique qui règne à Alger témoigne de la dérive permanente de tout un système, incapable de faire émerger de véritables institutions et toujours empêtré dans des guerres de clans, de groupes d’intérêt et de personnes.

Le président Bouteflika est malade, c’est un fait. Au-delà du constat, la stratégie de communication officielle révèle à nouveau le mépris permanent du gouvernement pour son peuple. Si l’on omet le caractère baroque d’un président qui se fait soigner à Paris alors que des malades essayent, à Alger, d’attirer l’attention des autorités sur le manque d’infrastructures hospitalières, les modifications intervenues dans  les déclarations des officiels sont tout aussi évocatrices. Ce qui était au départ un « mini-AVC » est devenu un AVC à proprement parler, et la « convalescence » s’est transformée en « rééducation fonctionnelle ». Le premier ministre, Abdelmalek Sellal, s’étonnait, dans un récent séminaire sur la communication institutionnelle, que l’on s’intéresse autant à l’état de santé du président. Fausse bêtise ou vraie mauvaise foi, peut-être faudrait-il rappeler à M. Sellal que dans un régime politique hyper-présidentiel où les actions sont directement impulsées par le chef de l’Etat, la capacité du président de la République à gouverner est un sujet d’intérêt pour l’ensemble de la population.

Ainsi, des figures de la société civile, des responsables politiques et des personnalités historiques ont appelé à l’application de l’article 88 de la Constitution qui dispose : « lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ». Le quotidien El Watan rapporte que le Conseil constitutionnel a envisagé de se saisir du dossier, une initiative légale et responsable qui s’est malheureusement heurtée au refus de Tayeb Bélaïz, président du Conseil, ex-ministre de la Justice et proche du clan présidentiel. Ce blocage, absolument scandaleux, mais dont personne ne semble s’émouvoir outre mesure, n’a rien d’anormal dans un pays qui vit sous le joug de l’autoritarisme depuis son indépendance.

La dictature, telle que l’a toujours connue l’Algérie, n’est cependant pas la seule responsable de la forfaiture. Cette dernière est aussi le résultat d’une pratique politique mise en œuvre par le président Bouteflika, qui a méprisé la loi, humilié les institutions, et marginalisé le peuple. Les exemples ne manquent pas, des multiples viols constitutionnels à la gestion de la crise du Printemps noir[2]. Cette paralysie est l’aboutissement d’une excessive personnalisation des rapports de pouvoir à tous les niveaux, et des allégeances claniques qui ont vidé les institutions de toute moelle politique, et piétiné les principes fondamentaux qui régissent l’Etat de droit.

Le mélange des genres n’est pas nouveau à Alger. Le déplacement à Paris du général Gaïd Salah, chef d’Etat major de l’armée, et du premier ministre Abdelmalek Sellal pour recevoir les directives du président, illustre bien les rapports de force entre les différents centres de décision. Dans la ligne droite du changement de stratégie dans la communication sur la maladie du Président, la télévision nationale, suivie par d’autres chaînes privées, a retransmis les images d’un président âgé, fatigué et malade, pour tenter d’apaiser les tensions. Loin d’obtenir les effets escomptés, ces images n’ont fait que renforcer le sentiment que l’heure de tourner la page des années Bouteflika a sonné. Seule question en suspens : qui se fera adouber par l’armée pour être « calife à la place du calife » ?

Déjà, les candidatures, ouvertement annoncées ou suggérées par les « milieux autorisés », se multiplient. Parmi les candidats potentiels, les favoris sont d’anciens premiers ministres. Certains y pensent depuis longtemps, comme Mouloud Hamrouche, initiateur des réformes avortées de la fin des années 80. D’autres, comme Ahmed Benbitour, se découvrent des humeurs d’opposant après avoir été éjectés du sérail. D’autres enfin, à l’instar d’Ali Benflis, en hibernation depuis son échec à la présidentielle de 2004, commencent à s’agiter dans les coulisses et préparent leur retour sur le devant de la scène politique.

Mohamed-Chafik Mesbah, ancien colonel des services de renseignement et politologue, est le premier à avoir suggéré, dans la presse algérienne, le possible retour du général Liamine Zéroual, ancien Président de la République de 1995 à 1999, qui serait « le seul candidat consensuel ». Point commun à tous ces candidats potentiels, ils sont tous issus de la nomenklatura et ont occupé de hautes positions dans le gouvernement ou dans l’armée.

Hommes du sérail, hommes du passé, ces candidats témoignent que le changement du système politique n’est pas à l’ordre du jour. Le verrouillage de Bouteflika, qui a favorisé la promotion des courtisans par l’allégeance clanique, a annihilé toute émergence d’élites politiques et intellectuelles autonomes, issues des nouvelles générations. Malgré d’incontestables potentialités humaines, l’Algérie risque de subir cet héritage pour encore longtemps.

Par Aghilès Aït-Larbi 

Article publié initialement par notre partenaire ArabsThink

 


[1] Notamment l’hebdomadaire français  Valeurs actuelles et le quotidien algérien Mon Journal.

[2] Manifestations de Kabylie en 2001, au cours desquelles les gendarmes ont tiré à balles réelles sur les manifestants, faisant 126 morts et des dizaines de blessés.

 

Sur le même sujet

La restructuration de l’autoritarisme algérien

Les dirigeants algériens concoctent une nouvelle étape de « réformisme » dans les discours et « d’illusion démocratique. » La Haute Instance sur les réformes politiques lancée en mai 2011 a récemment clôturé son travail. Chargée de consulter des partis politiques, personnalités nationales, et représentants de la société civile, et boycottée par l’opposition; cette commission – une utopique démocratie directe ou participative – n’était aucunement indépendante du pouvoir[1]. En posture de chef d’Etat menacé par l’ébullition sociopolitique et toujours forcé de composer avec le commandement militaire, Bouteflika scrute l’évolution des autres pays arabes. Dans un contexte de remous lourds de conséquences pour les leaders de la région, il promet à nouveau des réformes dans l’espoir de tenir jusqu’aux échéances de 2014. Sa position est claire : pas de dissolution du Parlement, pas d’assemblée constituante pour la révision de la constitution[2].

Le bricolage d’une nouvelle stratégie autoritaire : Bouteflika inspiré par Mohammed VI

Les dirigeants occidentaux – en tête de liste la France et les Etats Unis – ont chaleureusement félicité le Roi du Maroc Mohammed VI pour l’approbation massive de son « projet de Constitution » par voie référendaire (à plus de 97% des votes exprimés). Pourtant cette révision constitutionnelle n’est qu’un vernis de changement, une couche pâteuse de réformes insignifiantes au regard des attentes suscitées par l’initiative. De l’autre côté de la frontière toujours barricadée entre le Maroc et l’Algérie, son homologue et voisin le président Abdelaziz Bouteflika semble désormais séduit par un scénario similaire. Dans un communiqué Bouteflika l’a réitéré «en ultime étape, le peuple souverain aura à se prononcer sur la consolidation de l’Etat de droit et de la démocratie dont il est la source et en a été l’artisan depuis la libération du pays au fil des différentes étapes de notre histoire contemporaine». Cette stratégie permet de flatter la communauté internationale penchée sur les bouleversements du monde arabe à coup de « réformes » dans un système pourri, un système qui ne veut pas changer. Alors que la société algérienne toujours en ébullition montre des symptômes évidents de ras-le-bol –contestation pacifique toujours verrouillée ; émeutes contre les pannes d’électricité ; violences dans les villages- les responsables politiques tentent la « pseudo-révolution » par le haut après des décennies d’illusions successives de changement. Il s’agit bien plus d’une logique de « forme » – démocratisation artificielle – qu’une étape marquant une progression de « fond ». Comme bon nombre de régimes arabes, l’Algérie a intégré les cadres de pensée, les principes et valeurs démocratiques revendiqués par les pays occidentaux dans ses discours officiels pour se voir attribuer une image rassurante et volontariste.

Quand Bouteflika s’inspire du référendum marocain et de la « révision » du texte suprême pour marquer le « changement », il oublie plusieurs éléments essentiels. Premièrement, il ne jouit pas de la légitimité historique du roi du Maroc appuyé sur un régime de plus de quatre siècles et le symbolisme de la monarchie chérifienne. En substitut à l’absence de légitimité historique, on pourrait penser au nationalisme/patriotisme algérien subtilement utilisé sous les termes d’« indépendance », « libération » etc., un vocable dépassé presque cinquante ans après la guerre d’Algérie et la fin de la colonisation française. Quant à l’idéologie socialiste-arabe restée lettre morte, elle ne lui accorde aucune légitimité particulière prenant note de l’échec du « socialisme spécifique » algérien. Sans idéologie structurante, il ne reste que les ajustements réalisés en termes de communication officielle et de promesses pour maintenir le statu quo autoritaire. Mais Bouteflika et l’appareil sécuritaire négligent un obstacle de taille : la nature court-termiste de leur modèle. Dans le domaine économique (l’Algérie après le pétrole ? le faible développement du privé) tout comme au niveau politique et institutionnel, cette version militaire de l’autoritarisme régulièrement rebricolé n’a pas une vocation de long-terme.

Une « révolution par le haut » ou la restructuration du régime autoritaire algérien

Un article très pertinent sur l’avantage du retard politique constatait avec amertume ou espoir qu’il est plus facile de « faire du neuf que de rénover une vieille structure ». Dans le cas de l’Algérie les structures du pouvoir mais aussi les structures économiques (vieilles industries, rente) n’ont fait que s’engouffrer et se perpétuer depuis 1962, un état de fait en apparence compensé par l’existence d’un certain espace public (la presse) et justifié par les exigences sécuritaires. La démocratisation doit en théorie passer par la rénovation des structures archaïques et le dépassement des obstacles internes qui ont laissé pulluler des fléaux étendus à la société tout entière (corruption, inefficacité, désorganisation, perte de confiance). Mais le régime actuel n’a jamais cherché la démocratisation et le nettoyage de fond : du pluralisme de façade des années 1990 -succédant au parti unique FLN- aux pseudo-libertés d’expression et de manifestation, les politiques de libéralisation ont plutôt étés « une restructuration de l’autoritarisme [que la] première étape d’une transition vers la démocratie. »[3]. Cette idée fondamentale peine à être comprise dans les sociétés arabes mais aussi en Occident : on se satisfait facilement des promesses de réformes des dirigeants arabes en ignorant les systèmes vieillissants et rigides sur lesquels ils s’assoient depuis des décennies. L’Algérie et bien d’autres Etats n’ont jamais eu l’intention de remettre en cause leur fonctionnement. Les réformes ont toujours été des « compromis de survie » nécessaires et nullement l’expression d’une « nouvelle ère ».

L’Algérie de Bouteflika et des généraux propose en 2011 de faire du vieux avec du vieux tout en essayant de donner à l’extérieur l’image d’un régime arabe « modéré », d’un autoritarisme « sage » et supportable pour la population. En laissant une presse relativement libre par rapport à ses voisins (Maroc, Tunisie de Ben Ali) et en renonçant au recours généralisé à la torture et aux méthodes répressives radicales (Syrie), elle bénéficie d’une image relativement favorable. De plus, sa lutte contre le terrorisme lui colle une étiquette de bon élève en termes sécuritaires et ses ressources pétrolières et gazières maintiennent la structure rentière.

En Algérie, l’histoire du réformisme illusoire semble s’inscrire dans la stratégie autoritaire depuis l’arrivée au pouvoir de Bouteflika. En 2008, le Président annonçait une révision « partielle et limitée de la constitution » et des amendements sur la base de la « stabilité, de l’efficacité et de la continuité ». Et de fait en 2009 le président algérien révisa la constitution pour contourner la limitation des mandats et se représenter sans contrainte.

Dépolitisation et sécuritarisation de l’espace public ou le risque d’explosion à moyen-terme/long-terme

C’est comme si l’Algérie cherchait en ces temps de printemps arabe, l’équation subtile permettant de consacrer un modèle autoritaire intouchable et insensible à la frustration sociétale. Ni le président, ni la vieille élite, ni les cadres du FLN, ni les généraux ne souhaitent perdre leurs privilèges respectifs. Pourtant le contexte des révoltes/révolutions arabes impose des « initiatives d’apparence démocratiques », un mal nécessaire dont les dirigeants arabes encore au pouvoir, Bouteflika inclus, ne peuvent faire l’économie. En essayant de dépolitiser l’espace public, de renforcer le sécuritaire tout en proposant des réformes de surface dissociées de l’exigence incontournable de changement de fond, le régime algérien risque de se « syrianniser » et de connaître non pas le sort de Mohammed VI adulé par les pays occidentaux et accroché à la stabilité de sa monarchie, mais le destin des pays arabes aux présidents récemment déchus. Bouteflika, en décevant les grandes attentes de changement, favorise l’éclatement d’une crise sociale et une contestation politique beaucoup plus aigues, dans un futur plus ou moins proche. Le temps des infitah (ndlr: libéralisations) illusoires et des « printemps sans lendemain » est bientôt révolu.

 

Mélissa Rahmouni, article initialement paru sur ArabsThink

 


[1] La commission a consulté plus de deux cent cinquante personnalités pressées au portillon du pouvoir et son président Abdelkader Bensalah (président Sénat, FLN) fut assisté par deux conseillers du président Boughazi (islamiste) et Touati (général-major retraité. Rachid Tlemçani analyse cette commission comme une instance reposant sur une « relation triangulaire : légitimité historique [Ben Salah], islam de bazar [Boughazi], armée  [Touati] ».

[2] A cette révision constitutionnelle s’ajouteront des amendements conséquents du code de la wilaya (région), du code de l’information (liberté de la presse, d’expression), de la loi sur les associations, de la loi électorale et de la loi sur les partis.

[3] A. Boutaleb, J.N. Ferrié et B. Rey (coord.), L’autoritarisme dans le monde arabe – autour de Michel Camau et Luis Martinez, Débats, CEDEJ, Juin 2005, p. 5.