De la nébuleuse islamiste algérienne à la régionalisation d’AQMI : le Sahara aux prises avec le jihadisme des grands bandits (2007-2015)

L'Afrique des Idées consacre une série de deux articles à la compréhension de l'émergence de l'islamisme militant en Algérie, qui a donné le jour en 2007 à la création d'al-Qaïda au Maghreb Islamique  (AQMI) aujourd'hui agent éminent de déstabilisation régionale dans le Sahara. Dans ce deuxième article, Sofia Meister revient sur l'expansion d'AQMI dans le Sahara et son inflitration dans le conflit malien. 

JPG_AQMI 130116Un millier d'hommes. C'est l'ensemble des effectifs dont dispose al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), qui représente pourtant un facteur majeur de déstabilisation de l'espace saharien, et depuis 2012, un acteur incontournable du conflit au Nord-Mali. Comment AQMI se retrouve-t-elle à peser de tout son poids dans l'équation malienne alors qu'il s'agit d'une organisation djihadiste par essence algérienne ?

Née des décombres du Groupe pour la Prédication et le Combat  (GSPC) algérien, lui-même résultant d’un schisme avec le Groupe Islamique Armé (GIA), organisation islamiste phare des années 1990, al-Qaïda au Maghreb Islamique est une organisation fondamentalement duplice, traversée par des courants et des ambitions contradictoires. AQMI est fondée en décembre 2007 par Abdelmalek Droukdel l'ex-leader du GSPC, qui prête allégeance à Ben Laden ; les islamistes algériens, usés par la traque du gouvernement algérien, rencontrent un renouveau inespéré grâce à l'appropriation du label Al-Qaïda, depuis peu étendard de la menace terroriste mondiale. Si certains au sein d'AQMI veulent continuer le djihad contre l'État « apostat » algérien, d'autres veulent œuvrer à l'extension d'une zone d'influence, un véritable « émirat de guerre » au Sahara. L'objectif alors déclaré est d'instaurer la Shar'ia dans la zone qui correspond au « Grand Sahara », du sud-ouest algérien au nord du Tchad en passant par la Mauritanie.

AQMI naît ainsi au sein de ce foyer de tensions entre pan-islamistes et islamo-nationalistes. Droukdel négociera tant bien que mal l'affiliation de l'ex-GSPC à Al-Qaïda en promettant de continuer la lutte contre le régime algérien et ses institutions, tout en consacrant l'internationalisation des ambitions du groupe. Les lignes de fractures qui traversent AQMI lui sont consubstantielles – certains commentateurs parlent de trois sphères autonomes qui cohabitent sous la même appellation : AQMI des vétérans du GSPC et de la guerre civile algérienne, AQMI du Sahara, qui tente d'étendre la contagion islamiste au Sud, et AQMI en Europe, s'exprimant principalement à travers la djihadosphère, mais aujourd'hui souvent éclipsée par la propagande de l'État Islamique. Ainsi, AQMI est moins une structure digne de ce nom qu'un ensemble disparate d'îlots djihadistes, relativement indépendants, et impliqués dans une vaste étendue de trafics mafieux.

Les préoccupations d'AQMI s'orientent vers l'Irak dans un premier temps, avec la formation de candidats au djihad pour appuyer la résistance de leurs frères d'armes. Avec le retrait des troupes américaines d'Irak, les printemps arabes qui portent certains partis islamistes au pouvoir, le regard des djihadistes se tourne vers la frontière Sud de l'Algérie.

Espace traditionnel de transit de la moitié nord de l'Afrique, zone d'échanges pluriséculaire, le Sahara est une région-frontière au sein de laquelle se développent de nombreuses dynamiques centrifuges, informelles comme les réseaux d'immigration clandestine, et parfois criminelles comme le commerce de drogue et d'armes. Cœur géopolitique de la question touareg, peuple qui revendique périodiquement leur indépendance, les rouages territoriaux et géo-climatiques de cette zone sont plus propices à une culture de la clandestinité et de la mobilité et du flux qui deviendra de fait un pilier de la stratégie d'AQMI. Les islamistes tirent notamment parti de la sous-administration du Sahara et de l'immensité de son territoire. La fragilité des États qui le composent, Mauritanie, Mali, Niger, et les caractéristiques même de l'espace saharien vont permettre à AQMI de développer une véritable « mafia du sable ». La zone saharo-sahélienne, en ce qu'elle se prête plus particulièrement à la détention d'otages, finit par revêtir une importance capitale dans la stratégie d'extension du djihad. Le « Grand Sahara » est devenu, par pure stratégie, la zone de déploiement privilégiée de l'organisation terroriste.

Le mode opératoire d'AQMI s'est ainsi adapté à son nouveau milieu. Les alliances entre trafiquants et organisations terroristes sont légion. AQMI fait aujourd'hui partie intégrante des réseaux criminels qui sillonnent le Sahara et qui se structurent autour de trois grands trafics illicites : la drogue (cocaïne et cannabis), les armes légères et lourdes et l'immigration clandestine. Spécialiste de la question, Bernard Monnet parle à cet égard de « gangterrorisme ».

La zone IX, telle qu'elle est désignée par l'appareil exécutif d'AQMI a été dans un premier temps placée sous la responsabilité du célèbre Mokhtar Belmokhtar et correspond au « Grand Sahara ». Les séismes politiques qui traversent le Maghreb à la faveur des printemps arabes, avec notamment l'accession des islamistes au pouvoir, entraîne AQMI à délaisser le Maghreb pour pénétrer l'espace saharo-sahélien. A la faveur de la rébellion touareg du MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad) qui secoue le Mali en 2012, AQMI s'infiltre parmi les groupes terroristes qui tentent d'imposer leur domination dans le nord du pays.

Pourtant, les maigres effectifs d'AQMI restent essentiellement algériens : AQMI n'a pas encore pu se départir de son algérianité profonde, ni éviter les schismes que cette identité de facto laissait présager. Cela peut être un frein conséquent aux stratégies expansionnistes du groupe à terme, d'autant plus que certains groupes islamistes plus locaux montent en puissance. Néanmoins, face à la nécessité d'investir les principales villes du Nord Mali (Kidal, Gao, Tombouctou), les alliances d'AQMI avec Al-Mourabitoun – issue de scission-fusion avec l'organisation-mère – ou encore la coopération ponctuelle avec Ansar Dine – émanation islamiste du MNLA – montrent les leçons apprises des échecs des années noires algériennes, et la volonté de s'inscrire dans la durée dans ce conflit malien.

Alors, comment lutter contre AQMI et ses héritiers ? La position de l'État algérien face à la question est complexe ; si son engagement dans la lutte régionale contre le terrorisme est bien pourtant bien visible, certains observateurs soulignent de possibles collusions entre l'appareil étatique et l'organisation terroriste. L'avantage que représente AQMI pour l'État algérien est de déplacer la menace terroriste au-delà des frontières du pays et de légitimer un appareil étatique fort. Cela engendre une accalmie prolongée en termes de sécurité dans le pays, mais également une vie politique algérienne exsangue. En outre, dans la perspective d'une menace terroriste internationalisée, l'État algérien apparaît comme le gendarme de la région aux yeux des États-Unis et de la France, sans pour autant faire preuve de volontarisme sur le terrain. La prise d'otages d'In Amenas, en 2013, dénote pour beaucoup un laxisme sécuritaire quasi volontaire.

AQMI continuera d'être un facteur de déstabilisation majeure au Sahara et au Nord Mali tant que la région échappera à tout contrôle étatique en fonctionnant sur de multiples féodalités, entretenues par une économie de trafic considérable. Seul le règlement de la question touareg au Sahara, à commencer par le statut de l'Azawad au Nord Mali pourra constituer un instrument de lutte efficace contre AQMI.

Sofia Meister

La flambée islamiste dans l’Algérie post-coloniale (1ère partie)

JPG_AlgérieFISL'Afrique des Idées consacre une série de deux articles à la compréhension de l'émergence de l'islamisme militant en Algérie, qui a donné le jour en 2007 à la création d'al-Qaïda au Maghreb Islamique  (AQMI) aujourd'hui agent éminent de déstabilisation régionale dans le Sahara. Dans ce premier article, Sofia Meister propose un survol des conditions historiques du bourgeonnement de l'Islam politique et militant en Algérie. Dans un second article, elle abordera l'évolution géostratégique et idéologique d'AQMI et l'influence du groupe sur la vie politique algérienne, ainsi que son infiltration dans le conflit au Mali. 

Retour historique sur les origines et les conditions de l'Islam politique

Souvent  désignée  comme  la  grande  muette  du  Printemps  arabe,  l'Algérie  a  pourtant  elle aussi connu les heurts du processus de démocratisation, à la fin des années 1980, initiée à l'issue de vagues d'agitation populaire. À la suite des réformes menées par le gouvernement de Chadli Bendjedid (1979-1992), l'Algérie avait  été  le  premier  pays  en  Afrique  du  Nord  et  au  Moyen-Orient  à  réussir  une  transition démocratique et à s'ouvrir au multipartisme. Néanmoins, ces avancées décisives vont rapidement mettre  en  exergue  la  sclérose  du  parti  au  pouvoir depuis l’indépendance en 1962,  le  Front de libération nationale (FLN), et même,  paradoxalement, devenir l'allié institutionnel objectif du Front islamique du Salut (FIS), créé en 1989.  Celui-ci remporte, démocratiquement, les élections nationales du 26 décembre 1991, ce qui entraîne un coup d'État orchestré par les chefs d'état-major de l'armée algérienne.

La  victoire  d'un  parti  politique  dont  le  programme  visait  à  mettre  fin  au  processus  de sécularisation  dans  lequel  s'était  engagé  la  société  algérienne  a  suscité  de  nombreuses interrogations. Ouvrant à un conflit que certains ont pu qualifier de « guerre civile », et dont le total des victimes s'élève entre 100 000 et 200 000 personnes, cette flambée de l'islamisme a obscurci  le  futur  politique  de  l'Algérie. La  lutte contre « l’hérétisme » de  l'Algérie  post-coloniale s'est  faite  en  plusieurs  temps.  En  premier  lieu,  les  groupes  islamistes  armés  s'attaquèrent  aux principaux organes de l'État ; les attentats et les assassinats se concentrèrent ensuite sur les civils, et plus particulièrement l'intelligentsia algérienne : écrivains, artistes, universitaires représentaient ce qui rattachait encore l'Algérie indépendante à son passé colonial et à l'influence française.  

Encore aujourd'hui, on a dû mal à éclairer avec précision les motivations des accès de violence qui ont saisi la société algérienne des années 1990. Pourquoi cet embrasement s'est-il produit, dans un pays qui semblait  une  figure  de  proue,  depuis  l'Indépendance,  d'un  modèle  de  société  décolonisée  aux orientations politiques progressistes?

La présence d'un Islam politique pré-colonial

En  réalité,  l'Islam  politique  est  une  vieille  histoire  algérienne.  Cet  Islam  politique  des origines,  loin de pouvoir  être  assimilé de facto à la forme salafiste qu'il prendra progressivement après l'Indépendance, s'enracinait déjà dans les confréries soufies de la période anté-coloniale. Dès la  fin  du  XVIIIe  siècle,  les  mouvements  de  rébellion,  inspirés  par  les  principes  islamiques, s'opposaient  à  l'inégalité  du  système  socio-légal  ottoman, opposant la  dimension  égalitaire  de  la métaphysique  islamique  à  la  discrimination  socio-ethnique  de  l'Empire,  qui apparaissait profondément inique. La confrérie soufie de la Qadiriyya, la plus importante d'entre toutes et la plus militante, appelait déjà à cette époque à l'instauration de la Shar'ia.

C'est tout particulièrement le combat d'Abd El Kader contre les forces coloniales françaises qui  va  faire  de  l'Islam  une  bannière  théologique  de  résistance  contre  l'envahisseur.  La réappropriation  symbolique  d'Abd  El  Kader  après  l'Indépendance  algérienne  a  eu  tendance  à gommer  la  dimension  islamique  de  sa  campagne.  Pourtant,  par  son  programme  militaire  et l'administration  de  la  Shar'ia  dans  les  zones  libérées,  Abd  El  Kader  a  réussi  à  associer temporairement, mais concrètement les principes de justice sociale et de jihad. Jusqu'à sa capitulation, en 1847.

Ré-islamisation de l'identité et résistance anti-coloniale

À la suite d'Abd El Kader, l'Islam deviendra la carte à jouer politique et identitaire de ceux qui rejettent le joug colonial. Dès le début du XXe siècle par ailleurs, l'Islam en Algérie participe de ce  vaste  mouvement  de régénération  théologique  qui  secoue  le  monde  musulman. La visite  d'un intellectuel égyptien de taille comme Mohammed 'Abduh en 1903, contribue à la diffusion dans le pays  des  courants  islamistes  moyen-orientaux.

Le  mouvement  de  l'Islah,  qui  précède  les  partis politiques  islamistes,  débute  dans  les  années  1920.  Représenté  par  l'Association  des  Oulémas Musulmans Algériens, la doctrine islahiste prône la revivification spirituelle des mœurs par une ré-islamisation de la société, notamment à travers l'éducation en langue arabe dans les madrasas. Bien que déclaré apolitique dans un premier temps, le courant de l'Islah participera très tôt à la prise de conscience  d'un  imaginaire  national  écrasé  par  l'entreprise  coloniale.  Un  imaginaire  national  qui ouvrira  la  voie  à  l'indépendance.  Le  FLN,  quant  à  lui,  ralliera  un  grand  nombre  de  partisans  en exaltant l'identité musulmane de la population colonisée.

Le malaise social algérien

Après  l'indépendance,  l'Algérie  devient  rapidement un  terreau  fertile  pour  la  contestation  islamiste. Fragilisée par une baisse brutal du prix du pétrole et par une hausse de la valeur du dollar, la société algérienne  des  années  1980  se  trouve  en  proie  à  un  chômage  massif  et  à  une  crise  du  logement alarmante.  Les  promesses  avortées  du  socialisme  algérien  laissent  de  nombreux  laissés-pour-compte,  qui  voient  dans  le  modèle  libéral  défendu  par  le  FIS  une  alternative  désirable.

Tout bourgeonnement idéologique majeur est toujours indissociable du contexte socio-économique dans lequel  il  se  produit.  Ainsi,  les  années  1980  sont  marquées  par  une  puissante  vague  d'agitation politique et de soulèvements populaires, souvent réprimés dans le sang par le pouvoir en place. Peu à peu, la présence des factions islamistes dans les mouvements, les cortèges et les manifestations de contestation est l'astuce qui permet à l'islamisme de se constituer un véritable capital de visibilité et de légitimité politiques.

L'Algérie post-coloniale est ainsi secouée par de puissants et profonds antagonismes sociaux et économiques profonds. La « dépersonnalisation » féroce engendrée par l'édifice colonial laisse les Algériens désorientés sur leur(s) propre(s) identité(s). La fracture linguistique entre Francophones, Arabophones, et Berbérophones produit des groupes sociaux relativement distincts ; la remise en cause  de  la  position  « traditionnelle »  de  la  femme  algérienne,  dont  la  mobilité  sociale  s'accroit, entraîne un flou identitaire majeur sur lequel les Islamistes s'appuient. Selon la sociologue Séverine Labat, le malaise social, capitalisé par les Islamistes, devient le terme d'une équation qui se joue sur le plan culturel.

Qualifiée par certains de schizophrénie culturelle, l'identité nationale algérienne semble alors une  source  de  problèmes.  Alors  que  le  FLN  au  pouvoir  soutient  en  théorie  le  socialisme révolutionnaire, la langue  arabe  et  l'Islam  comme  piliers de  l'identité nationale,  la  langue et à  la culture  française  délimitent  des  groupes  socialement  privilégiés.  L'identité  nationale  algérienne vacillait entre l'héritage républicain inspiré de l'ancienne puissance coloniale et les principes de la société islamique. En tous les cas, l'échec politique de fusion de ces deux héritages, sans doute lié à la  force  et  l'acuité  des  traumatismes  passés,  a  entrouvert  la  porte  aux  Islamistes  qui  s'y  sont précipités. Par la voie des urnes dans un premier temps, puis par l'action terroriste dans un second, la nébuleuse islamiste s'est puissamment implantée dans le paysage politique algérien contemporain et elle est devenue un facteur majeur de déstabilisation géopolitique au Sahara.

Sofia Meister

Algérie: le statu quo plutôt que l’alternance

bouteflikaMalgré un état de santé chancelant, le Président algérien, très affaibli, n’a pas hésité à se porter candidat à sa propre succession. L’élection présidentielle du 17 avril 2014, dépourvue de  tout suspense, paraissait comme une simple formalité car le candidat Abdelaziz Bouteflika était assuré de l’emporter.

Après la vague de printemps arabe dans le Maghreb, les législatives du 10 mai 2012 donnaient déjà un aperçu de la présidentielle d’avril 2014. Elles ont été remportées par le front de libération national (FLN), le parti présidentiel, qui garda le contrôle de l’assemblée nationale. Ce dernier, allié au rassemblement national démocratique (RND), a remporté 288 sièges sur 462, dont 220 pour le FLN.

Une importante part de la population algérienne, bien qu’indignée, est pourtant restée indifférente face à un mandat de plus pour M. Bouteflika. Les rassemblements et collectifs formés exclusivement pour dénoncer ce quatrième mandat ne mobilisèrent point le peuple algérien.

Il est important de signaler que ce qui était exigé par les opposants à la candidature du Président sortant, c’est l’alternance. Pourtant, le principal adversaire de M. Bouteflika, parmi les cinq autres, Ali Benflis, n’incarne pas la rupture avec le système, lui-même ayant été Premier Ministre du Président Bouteflika. Elire M. Benflis aurait été un changement de personne à la tête du pouvoir, mais certainement pas un changement de système.

La situation ayant poussé les populations tunisiennes et égyptiennes à se soulever contre leurs régimes est assez semblable à celle que vivent les Algériens : absence d’importantes réformes de la part de l’Etat, la montée du chômage des jeunes, l’accentuation de la pauvreté…Mais eu égard à ce qu’a connu le pays durant les années 1990, « les années de braise » selon Hamit Bozarslan, les algériens tiennent à la stabilité, d’où leur adhésion au régime de M. Bouteflika.

Nombreux parmi eux, bien qu’aspirant à une transition démocratique,  préfèrent Bouteflika au pouvoir, plutôt que de risquer voir leur pays s’embraser sous des manifestations qui pourraient se muer en émeutes. Face aux troubles sévissant dans les pays voisins en quête d’une transition politique,  les Algériens ont donc  préféré l’idée d’une stabilité à l’alternance.

Comme le dit Jacques Hubert-Rodier, « Une révolution est une émeute réussie. Une émeute est une révolution qui a échoué ». La frontière entre ces deux notions est facilement franchissable. L’Algérie estime avoir déjà eu son printemps arabe avec l’éviction du président Chadli Benjedid, par les généraux « janviéristes », à la suite des émeutes d’octobre 1988.

La passiveté des Algériens face à la vague de contestations dans le Maghreb (Egypte, Lybie, Tunisie), entamée en décembre 2010, les aurait ainsi contraints de se plier à la décision du président Bouteflika de se porter candidat pour un quatrième mandat.

La première raison de cette relative retenue tient évidemment au traumatisme de la guerre civile dans les années 1990, qui coûta la vie à plus de 100 000 personnes. Cette résignation pourrait s’expliquer par d’autres causes, plus profondes. Selon Abdallah Djaballah, ancien candidat à la présidentielle (1999 et 2004) et président du Front pour la justice et le développement (FJD), l’Algérie n’a pas connu le printemps arabe car elle « n’a pas fini de panser les blessures de son passé ». Les révolutions dans les pays voisins ont certes donné lieu à une transition politique, mais ont entrainé le désordre, une explosion de l’insécurité et des situations parfois moins meilleures que sous les régimes " autoritaires ".

 

Boubacar Haidara

Pourquoi nous gouverner par des « cadavres » ?

bouteflikaAu plus de fort son règne, l’ancien président béninois Mathieu Kérékou disait à ses concitoyens que le « Bénin étonnera le monde ». Une prophétie restée encore indélébile dans la mémoire collective de millions de béninois. Mais le vieux « caméléon », comme on l’aime si bien l’appeler au Bénin, ignorait encore tout de la portée de son assertion.  L’étonnement du monde n’est plus l’apanage des Béninois. Certes, le Bénin de ces dix dernières années se mue en une chimère étonnante pour le monde mais d’autres réalités du continent positionnent l’Afrique au cœur d’un océan d’indignation.

Connaissiez-vous la gouvernance par procuration ? Connaissiez-vous la gouvernance par délégation de pouvoir ? Sans aucunement injurier l’intelligence des millions d’africains, je pense que c’est bien maintenant que ces « maux » s’installent dans le dictionnaire de la politique sur le continent. Du moins, c’est le moment plus que jamais qu’ils deviennent la règle établie sur le continent.

Un simple regard sur la fantomatique élection présidentielle en Algérie est largement suffisant pour détecter le mal du mépris de millions d’africains. L’Afrique est-elle devenue le continent où seuls des « cadavres » ont la sagesse de gouverner ?

Dans cette partie du globe, les plus forts et intelligents sont les plus vieux. Ici ou là-bas (cela dépend bien de votre position sur la planète), le pouvoir n’aime pas les jeunes. Que dis-je, les jeunes n’ont pas le pouvoir. Tout se lie et se délie par un conglomérat de maladifs qui surfent sur une confiscation du fauteuil présidentiel pour gouverner.

Une situation bien rocambolesque que ni les urnes, les protestations, les révolutions, la rébellion ou la lutte armée dans le pire des cas n’ont vaincue. Chez nous, les « cadavres » ont encore la côte. Ils sont encore et pour longtemps encore les maîtres à penser d’un continent longtemps en quête d’un nouveau souffle. En tout cas, c’est ce que dit l’oracle.

Peu importe combien coûtent au budget national leurs soins de santé pour les tenir encore loin des cercueils, sans eux, pas de présidents, pas de démocratie. Même l’abracadabra du plus illustre des magiciens du monde ne leur fera trembler.

Et le cauchemar continue de plus beau. Abdelaziz Bouteflika, symbole mémorable de cette Afrique spoliée par quelques « véreux » peut tout de même se frotter les mains. Lui, élu président, malade depuis un fauteuil roulant n’a rien à envier à certains dinosaures accrochés au pouvoir depuis des lustres, vieillissants pour certains et mourants pour d’autres.  Inutile de faire la liste de ces présidents pépés qui font de l’Afrique un « géant jardin » d’enfants.

On ne se lassera au jamais de chanter le requiem d’une pratique avilissante pour un continent d’espoir. De mon intime conviction, l’indignation appelle à l’action. Et l’action appelle à la jeunesse. Mais hélas ! Que peut une jeunesse en manque de repère soumis aux désidératas d’un « cadavre » de président dans une Afrique gouvernée par quelques sbires du chef par procuration.

De-Rocher Chembessi

Kamel Daoud entre Camus et Meursault

Mise en page 1Meursault, contre-enquête1 est un roman de l’Algérien Kamel Daoud sorti en octobre 2013. Roman qui vient rappeler la formule de Robbe-Grillet selon laquelle « l’œuvre d’art, comme le monde, est une forme vivante ». Forme vivante, donc informe, mutante, insaisissable et inclassable. Cela va à juste titre au narrateur de ce roman : Haroun

Etrange personnage ! Assis dans un bar, lieu où se déploie son récit comme celui de Verre cassé d’Alain Mabanckou, Haroun se raconte à un jeune universitaire. Il dit son monde de marginal dans une Algérie des années 60 où l’Histoire s’écrivait entre maquis, conscience nationale et légitime défense d’une terre longtemps séquestrée par les roumis, les étrangers. On peut bien les imaginer !

Mais plus encore, le récit de Haroun se veut un contre-enquête de l’œuvre de Camus, singulièrement L’étranger. Le narrateur se présente, en effet, comme le frère de « l’Arabe » tué par Meursault, et a pour ambition de relater sa version de l’histoire sous l’angle, non plus du meurtrier, mais de celui de la victime. Une logique de contre-pieds des faits et de l’écriture de Camus :

C’est simple : cette histoire devrait donc être réécrite, dans la même langue, mais en commençant par le corps encore vivant, les ruelles qui l’ont mené à sa fin, le prénom de l’Arabe, jusqu’à sa rencontre avec la balle.

p. 19

Si L’étranger de Camus étonne par sa simplicité à tous points de vue, le roman de Kamel Daoud charme par sa déconstruction narrative : son personnage va dans tous les sens, se fait maître de longues digressions qui, par endroits, amoindrissent le charme du discours. Mais qui peut demander à un paumé alcoolique d’être charmant ?

Kamel Daoud est un auteur qui prend du plaisir à voir son personnage lui échapper, à le voir aller vers son destin de paumé solitaire qui promène sa liberté comme une provocation (p.188). Avec l’artifice littéraire sur sa probable parenté avec un personnage d’un autre livre, le personnage de Kamel Daoud s’octroie le droit de fondre dans le même moule la vie et la fiction de l’auteur de La Peste.

Dans un style qui emprunte à l’aparté sa liberté, son narrateur verbalise tout le monde : lui-même, les autres, la société, sa mère et Meursault en tête de liste. Un intertexte avec Camus, qui joue à flouer les frontières entre le réel et la fiction. Tout un style! Une sorte de palimpseste sur l’absurde et la solitude de l’humaine condition.

Anas Atakora

Cet article est également consultable sur le blog Bienvenue sur Mes Monts

[1] Kamel Daoud, Meursault contre-enquête, édition Barzakh (Algérie), 1ère parution en Octobre 2013

Présidentielle algérienne: le duel Bouteflika – Benfils aura-t-il lieu?

bouteflika-malade-930_scalewidth_630« Poussé par le devoir national sacré (…) J’ai décidé de me présenter à la présidentielle ». Ce sont les mots d’Ali Benfils. De quel devoir national sacré s’agit-il ? Celui de servir de « béquille »  à  Abdelaziz Bouteflika en légitimant un scrutin qui selon certains n’en est pas un ? Ou celui devoir d’apporter une alternative, un renouveau au sein de l’appareil étatique  algérien à travers une alternance démocratique ?

Les  positions sont partagées au sein de la  société et de la classe politique algérienne. Sans ambages, Ali Benfils serait le candidat le plus dangereux pour affronter le Président sortant. C’est pour cette raison que certains pensent que sa participation  à ce qu’ils appellent une mascarade électorale aura pour effet non pas de modifier l’échiquier politique algérien, mais plutôt de légitimer ce qu’on peut appeler « une élection, présélection ».

En Afrique, la problématique de  la participation ou du boycott  d’un scrutin électoral taxé de « non transparent » ne date pas d’aujourd’hui. La question s’est déjà posée par le passé concernant d’autres pays. La seule chose sur laquelle on pourrait être d’accord, c’est que le choix pour l’une ou l’autre des stratégies ne change généralement pas la donne finale. C’est encore le cas en Algérie, où dès l’annonce de la candidature du président sortant, tout porte à croire que les jeux sont déjà faits. Dès lors, quel peut être le véritable enjeu de cette élection pour Ali Benfils ?

Empêcher Bouteflika de faire la course en solo pour s'octroyer un plébiscite?

Ne pas  se présenter aux élections c’est laisser la voie libre au régime en place d’organiser avec le concours des partis politiques «  satellites » un scrutin « théâtral » où toutes les normes attestant d’une élection transparente seront bafouées. Ce qui en fait une élection presque  jouée d’avance. Bouteflika sera compétiteur et arbitre  à la fois.

La participation d’Ali Benfils  pourrait empêcher cela. Loin de pouvoir faire éclater la vérité des urnes, sa participation pourrait au moins limiter l’ampleur des fraudes électorales qui s’y dérouleront.

La vigilance et la détermination de son équipe électorale pourraient permettre une meilleure observation du scrutin, et empêcher des fraudes délibérées et exagérées de la part du régime.

D’ailleurs sur ce point bien précis, l’équipe électorale du candidat assure que tout est mis en œuvre pour que le soir des élections, les résultats proclamés soient le reflet des aspirations électorales des Algériens.

Seul bémol à cette analyse, les résultats obtenus par Ali Benfils  lors de l’élection présidentielle de 2004. Il avait certes fini derrière le président sortant mais  avec seulement 6,42 % des suffrages. Notons que cette déconvenue l’avait obligé à se retirer de la vie politique jusqu’à son grand retour pour les élections d’avril. Pourra-t-il cette fois ci prendre sa revanche ?

Revendiquer le statut de chef de file de l'opposition ?

A défaut d’être élu Président de la République, le statut de chef de file de l’opposition est très prisé en Afrique. Ali Benfils  pourrait être encore plus intéressé en se référant   à l’état de santé fragile du président-candidat qui inquiète plus d’un Algérien. La question se poserait alors en ces termes : Bouttlefika, même réélu, pourra-t-il finir son mandat  à la tête de l’Algérie ?

Dans le cas d’une élection anticipée pour vacances au sommet de l’Etat, l’ancien Premier Ministre pourrait alors tenter de surfer sur cette vague d’adhésion populaire qui pourrait  lui bénéficier au cours de ce scrutin. Le président Bouteflika, dans cette hypothèse, ne serait pas candidat. La logique voudrait qu’Ali Ali Benfils  soit le favori pour incarner l’alternance. Cette dernière hypothèse  est peut-être le véritable enjeu de cette confrontation.

Giani Gnassounou

Pour le pouvoir algérien, la société ne doit pas conquérir la sphère publique

une_algerieOccuper l’espace public en Algérie ? Cette idée demeure inconcevable pour le régime algérien. Depuis la signature par l’ex-chef du gouvernement, Ali Benflis, le 18 juin 2001, d’un arrêté interdisant les marches à Alger, l’appareil répressif est déployé  en vue de mater toute activité organisée dans la rue. Les organisations qui tentent de manifester ou qui essayent d’observer des rassemblements dans la capitale, voient leurs militants arrêtés, embarqués à bord de fourgons de police et incarcérés dans les cellules de commissariats. Le scénario se perpétue depuis une décennie avec son lot multiforme de violations des libertés.

Mais pourquoi le pouvoir algérien empêche-t-il toute expression dans l’espace public ? Pourquoi ne veut-il pas concrétiser ce droit, pourtant garanti par la Constitution ? La réponse peut paraître subjective, mais elle est toute trouvée pour le régime, sous prétexte d’impératifs sécuritaires. Laisser les militants et citoyens s’exprimer dans la sphère publique, porte pour le régime l’inacceptable risque d’éveil de la société. Le travail de conscience n’est en aucun cas tolérable pour le pouvoir. Car si la presse algérienne jouit d’une certaine liberté de ton et que les journalistes arrivent à publier des écrits que leur envient leurs confrères des pays arabes, l’espace public demeure une chasse gardée pour le régime. Cette phobie, cette peur constante, loin de répondre à des considérations sécuritaires, guide l’action des pouvoirs publics. Il est indéniable que les libertés gagneraient du terrain si les Algériens arrivaient à s’exprimer et se rassembler en dehors du cadre privé dans lequel ils sont confinés.

Pour mieux comprendre cette aliénation, assister à un rassemblement de X association permet de mesurer la capacité de violation des libertés qu’exerce le pouvoir algérien.  En réalité, c’est l’effet de contagion qu’il craint, et notamment lorsqu’une action est organisée dans un quartier populaire d’Alger, entendre par là les quartiers comme Mohamed Belouezdad, Bab el Oued, la basse Casbah ou la place des Martyrs.

En laissant les organisations libres de tout mouvement, et en les laissant exprimer leurs revendications sans contrainte, le régime jouerait sa survie, ceci pour étayer le fond de la pensée des détenteurs du pouvoir de décision. L’aspect sécuritaire n’est pas fondé. En effet, que coûterait un sit-in deux trois heures, dûment organisé et encadré? Non, le régime algérien ne veut pas d’une expression libre de la société. Il l’infantilise, la brutalise, l’abrutit, la culpabilise pour ne pas à se retrouver face à des contre-pouvoirs citoyens.

Mais en cette conjoncture et au regard de la situation politique précaire en Algérie, avec des partis politiques qui ne jouent pas, pour la plupart, leur rôle d’intermédiaires avec la société, il est fort possible d’imaginer la chute du système si un minimum de 20 000 personnes se rassemblaient sur la place du 1er mai (Alger). Pour éviter ce scénario, le régime met en branle tout un arsenal afin de faire avorter dans les esprits la faisabilité d’une telle thèse.

Pour rester dans un schéma simple, imaginons le déferlement de plusieurs milliers d’Algériens, soulevant une seule revendication : la fin du régime actuel. Les agents de l’ordre ne pourraient pas contenir un tel afflux de jeunes. Utiliser les armes pour les stopper ne serait pas la meilleure solution pour le régime algérien, compte tenu des tristes résultats enregistrés en Tunisie et en Égypte, qui ont chacune comptabilisé la mort de plus de 500 personnes, menant au départ des présidents déchus Ben Ali et Moubarak.

De la place du 1er mai, les centres de décision du pays ne se trouvent pas très loin. La Présidence, le Ministère de la Défense, le Palais du gouvernement qui abrite le Premier Ministère et le Ministère de l’Intérieur, autant dire que des rassemblements parallèles et instantanés pourraient être tenus simultanément en heure et en espace. Le régime, dans une logique de pérennisation de son fonctionnement actuel lui permettant de continuer à profiter de la rente des hydrocarbures, est dans la reproduction d’une perpétuelle tactique qui consiste à utiliser tous les moyens de répression possibles sans effusion de sang.

Si des marches et rassemblements sont tolérés en dehors d’Alger, c’est uniquement parce que le régime ne peut plus contenir le volume de la protestation qui ronge toute les franges de la société. Ce genre de manifestations pacifiques est à encourager si elles inscrivent dans le cadre de la promotion de la citoyenneté et de la consécration d’un Etat de droit. Mais, force est de constater que les enjeux sont à Alger. La capitale, forte et fragile à la fois, ne doit pas, pour le régime, devenir le théâtre de la contestation populaire et civique, radicale et citoyenne.

 

Un article de Mehdi Bsikri initialement paru sur Arabthink

Algérie : l’impasse d’un système verrouillé

L'incertitude politique créée par l'hospitalisation du président algérien Abdelaziz Bouteflika, plus que la maladie d'un homme est un symptôme de la dérive entière du système politique : absence d'institutions fortes et indépendantes, guerre de clans et d'intérêts, personnalisation du pouvoir. Il n'est pas certain que cela soit amené à changer.


Depuis quelques jours, les commentateurs de la politique algérienne ont pu observer le remarquable changement dans la stratégie de bouteflika-malade-930_scalewidth_630communication du gouvernement. Pendant la longue absence d’Abdelaziz Bouteflika (hospitalisé à Paris depuis le 27 avril), la rétention de l’information a été totale, contrastant avec la transparence des autorités sud-africaines sur l’hospitalisation de Nelson Mandela. Ce changement a sans doute été motivé par les rumeurs les plus alarmantes, autant dans la rue que dans la presse, annonçant « la fin de Bouteflika »[1].

A travers la maladie du président, l’état d’incertitude politique qui règne à Alger témoigne de la dérive permanente de tout un système, incapable de faire émerger de véritables institutions et toujours empêtré dans des guerres de clans, de groupes d’intérêt et de personnes.

Le président Bouteflika est malade, c’est un fait. Au-delà du constat, la stratégie de communication officielle révèle à nouveau le mépris permanent du gouvernement pour son peuple. Si l’on omet le caractère baroque d’un président qui se fait soigner à Paris alors que des malades essayent, à Alger, d’attirer l’attention des autorités sur le manque d’infrastructures hospitalières, les modifications intervenues dans  les déclarations des officiels sont tout aussi évocatrices. Ce qui était au départ un « mini-AVC » est devenu un AVC à proprement parler, et la « convalescence » s’est transformée en « rééducation fonctionnelle ». Le premier ministre, Abdelmalek Sellal, s’étonnait, dans un récent séminaire sur la communication institutionnelle, que l’on s’intéresse autant à l’état de santé du président. Fausse bêtise ou vraie mauvaise foi, peut-être faudrait-il rappeler à M. Sellal que dans un régime politique hyper-présidentiel où les actions sont directement impulsées par le chef de l’Etat, la capacité du président de la République à gouverner est un sujet d’intérêt pour l’ensemble de la population.

Ainsi, des figures de la société civile, des responsables politiques et des personnalités historiques ont appelé à l’application de l’article 88 de la Constitution qui dispose : « lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ». Le quotidien El Watan rapporte que le Conseil constitutionnel a envisagé de se saisir du dossier, une initiative légale et responsable qui s’est malheureusement heurtée au refus de Tayeb Bélaïz, président du Conseil, ex-ministre de la Justice et proche du clan présidentiel. Ce blocage, absolument scandaleux, mais dont personne ne semble s’émouvoir outre mesure, n’a rien d’anormal dans un pays qui vit sous le joug de l’autoritarisme depuis son indépendance.

La dictature, telle que l’a toujours connue l’Algérie, n’est cependant pas la seule responsable de la forfaiture. Cette dernière est aussi le résultat d’une pratique politique mise en œuvre par le président Bouteflika, qui a méprisé la loi, humilié les institutions, et marginalisé le peuple. Les exemples ne manquent pas, des multiples viols constitutionnels à la gestion de la crise du Printemps noir[2]. Cette paralysie est l’aboutissement d’une excessive personnalisation des rapports de pouvoir à tous les niveaux, et des allégeances claniques qui ont vidé les institutions de toute moelle politique, et piétiné les principes fondamentaux qui régissent l’Etat de droit.

Le mélange des genres n’est pas nouveau à Alger. Le déplacement à Paris du général Gaïd Salah, chef d’Etat major de l’armée, et du premier ministre Abdelmalek Sellal pour recevoir les directives du président, illustre bien les rapports de force entre les différents centres de décision. Dans la ligne droite du changement de stratégie dans la communication sur la maladie du Président, la télévision nationale, suivie par d’autres chaînes privées, a retransmis les images d’un président âgé, fatigué et malade, pour tenter d’apaiser les tensions. Loin d’obtenir les effets escomptés, ces images n’ont fait que renforcer le sentiment que l’heure de tourner la page des années Bouteflika a sonné. Seule question en suspens : qui se fera adouber par l’armée pour être « calife à la place du calife » ?

Déjà, les candidatures, ouvertement annoncées ou suggérées par les « milieux autorisés », se multiplient. Parmi les candidats potentiels, les favoris sont d’anciens premiers ministres. Certains y pensent depuis longtemps, comme Mouloud Hamrouche, initiateur des réformes avortées de la fin des années 80. D’autres, comme Ahmed Benbitour, se découvrent des humeurs d’opposant après avoir été éjectés du sérail. D’autres enfin, à l’instar d’Ali Benflis, en hibernation depuis son échec à la présidentielle de 2004, commencent à s’agiter dans les coulisses et préparent leur retour sur le devant de la scène politique.

Mohamed-Chafik Mesbah, ancien colonel des services de renseignement et politologue, est le premier à avoir suggéré, dans la presse algérienne, le possible retour du général Liamine Zéroual, ancien Président de la République de 1995 à 1999, qui serait « le seul candidat consensuel ». Point commun à tous ces candidats potentiels, ils sont tous issus de la nomenklatura et ont occupé de hautes positions dans le gouvernement ou dans l’armée.

Hommes du sérail, hommes du passé, ces candidats témoignent que le changement du système politique n’est pas à l’ordre du jour. Le verrouillage de Bouteflika, qui a favorisé la promotion des courtisans par l’allégeance clanique, a annihilé toute émergence d’élites politiques et intellectuelles autonomes, issues des nouvelles générations. Malgré d’incontestables potentialités humaines, l’Algérie risque de subir cet héritage pour encore longtemps.

Par Aghilès Aït-Larbi 

Article publié initialement par notre partenaire ArabsThink

 


[1] Notamment l’hebdomadaire français  Valeurs actuelles et le quotidien algérien Mon Journal.

[2] Manifestations de Kabylie en 2001, au cours desquelles les gendarmes ont tiré à balles réelles sur les manifestants, faisant 126 morts et des dizaines de blessés.

 

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Sécurité au Sahel : comprendre le « puzzle algérien »

Bouteflika & HollandeA bien des égards, l’Algérie dispose de tous les atouts nécessaires à en faire l’acteur clé de la sécurité en Afrique du Nord et dans le Sahel, notamment dans le cadre de la crise malienne.
 
D’abord par la simple force des chiffres. Avec 8,61 milliards de dollars (2011), le budget du ministère de la défense algérien est le plus élevé d’Afrique, supérieur même à ceux du Maroc et de l’Egypte combinés (3,34 et 4,2 respectivement sur la même période). Les forces armées algériennes disposent également d’une remarquable capacité de projection et de combat : une division d’intervention rapide composée de 4 régiments de parachutistes et d’un régiment des forces spéciales ; 125 avions et 33 hélicoptères de combat, plus d’un millier de chars de combat principaux et un nombre similaire de véhicules de combats d’infanterie.

Ensuite par l’expérience. Alger a dû lutter, presque seule contre la violence du Groupe Islamique Armé, durant la guerre civile de 1991-2000. Durant ce conflit qui fit plus de 100.000 victimes, l’Algérie acquis – douloureusement – une expertise de première-main dans la lutte contre le terrorisme et un statut de presque-paria de la communauté internationale dû aux pratiques de ses services de Sécurité. Le 11 Septembre 2001 a servi à légitimer la « mano dura » des "éradicateurs". Le très redouté Département du Renseignement et de la Sécurité, fort de 16.000 hommes, a été au cœur de l’appareil sécuritaire en Algérie, depuis sa formation en 1962. Et si ses méthodes restent controversées, le DRS est selon, les mots de John Schindler, ancien analyste en chef de la division contre-espionnage de la National Security Agency, « peut-être le service de renseignement le plus efficace au monde, lorsqu’il s’agit de lutter contre Al Qaida
 
Par l’influence aussi. En partie nostalgique, parce que cahin-caha, l’Algérie a conservé un peu de l’aura acquise au temps des "non-alignés". Mais surtout parce que l’Algérie dispose de contacts poussés et constants avec les principaux acteurs de la région. L’Algérie a ainsi été l’intermédiaire et l’hôte de tous les accords négociés entre le Mali et les divers mouvements Touaregs. C’est sur pression d’Alger que le MNLA a – de mauvaise grâce – accepté de libérer des soldats maliens au début de l’insurrection. Et plus que tout, Iyad ag Ghali, leader d’Ansar Dine, a été les des interlocuteurs principaux du gouvernement algérien durant les négociations sur la question Touareg – il est considéré par certains comme un agent du DRS, coutumier de l’infiltration de groupes radicaux.
 
Par le jeu d’alliances, enfin. Le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC) créé en avril 2010 sous l’instigation d’Alger et basé à Tamanrasset, regroupe l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie. Il est censé coordonner les efforts de ces pays dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. L’Algérie fait également partie du Transaharan Counter-Terrorism partnership, programme inter-agences américain regroupant le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Maroc, la Tunisie, le Nigéria et le Sénégal. Succédant en 2005 à l’initiative Pan-Sahel du gouvernement américain, ce programme vise à renforcer les capacités des armées africaines dans la lutte contre Al Qaida et à renforcer la communication et l’interopérabilité entre elles. Il convient également de noter que Ramtane Lamamra, chef de Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine et Saïd Djinnit, responsable du Bureau de l’ONU en Afrique de l’Ouest sont algériens. Autant de preuves du désir d’Alger de jouer un rôle décisif et reconnu dans la région.
 
Autant de raisons qui rendent incompréhensible l’attitude des autorités algériennes depuis le début de la crise malienne, qu’il s’agisse du retrait de ses conseillers militaires au plus fort de la bataille de Tessalit en mars 2012 ou de la reluctance initiale à ouvrir l’espace aérien algérien aux avions français dans les premiers temps de l’opération Serval. La frustration devant la réticence de l’Algérie redonne du grain à moudre à ceux qui, depuis belle lurette, condamnent la « paranoïa » de l’establishment militaire du pays.
 
La réalité est plus complexe et fait apparaître bien des signes de fragilité dans l’édifice politico-militaire algérien.

Au commencement était la rancœur. L’Algérie n’a pas pardonné à l’administration d’Amadou Toumani Touré, les liens qu’elle a entretenus entre 2002 avec AQMI (et son ancêtre le GSPC) entre 2002 et la chute du général-président. En voulant coûte-que-coûte acheter la paix dans le Nord, ATT aurait laissé se développer un système corrompu dans le nord qui bénéficia financièrement et politiquement à Al Qaida au Maghreb Islamique, renforça les griefs des Touaregs, radicalisa le MNLA et sabota l’influence de l’Algérie dans la région. ATT aurait ainsi semé le vent et récolté sa tempête.
 
L’Algérie se méfierait également du rôle de la France et du Maroc dans la question malienne. A la première, en sus des griefs historiques, il est reproché son attitude "cavalière" à la chute de Kadhafi, qui permit la sortie d’importantes quantités d’armes et munitions – utilisées par la suite contre le gouvernement malien. L’empressement à intervenir au Mali fut considéré comme une autre de ces décisions hâtives aux conséquences mal-anticipées. La CEDEAO pour sa part, ne serait qu’un autre « jouet » de Paris, utilisé pour contrecarrer l’influence d’Alger. Les vieux démons des "évènements en Algérie" n'ont pas été gommés par le discours de Tlemcen. Le Maroc est quant à lui accusé de manipuler le MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) et de l’utiliser en vue de déstabiliser le Front Polissario. L’enlèvement de responsables algériens, par ce mouvement, dès la saisie de la ville de Gao en avril 2012 l’exécution du vice-consul algérien Taher Touati en septembre suffirent à valider cette lecture.
 
La peur d’une "Afghanisation" du Nord Mali a elle aussi joué son rôle dans le refus d’Alger de participer à une intervention militaire. L’exemple de la Somalie où l’intervention de l’Ethiopie, en 2006, censée mettre un terme au contrôle exercé par l’Union des Tribunaux Islamiques déboucha sur la radicalisation et le renforcement d’Al-Shabbaab, hante les autorités algériennes. Ce scénario catastrophe est aussi l’une des raisons des hésitations américaines et françaises. Sans la marche vers Mopti d’Ansar Dine, début janvier 2013, la France aurait probablement maintenu son attentisme. La reluctance initiale du Ghana, du Sénégal, de la Mauritanie et du Nigéria à mettre ses soldats à la disposition de la mission d’intervention de la CEDEAO au Mali, n’a pu que renforcer Alger dans un choix, vers lequel sa tradition de "non-intervention" l'orientait de toute façon.

Il se trouve enfin que les autorités algériennes craignent toujours les retombées du « Printemps Arabe ». Les risques de voir un gouvernement islamiste s’emparer du pouvoir en Algérie sont minces. Le souvenir de la guerre civile reste suffisamment fort, aujourd’hui encore, pour ôter toute majorité populaire à quelque mouvement islamiste, aussi « modéré » soit-il. Il reste évident, en revanche, que le scénario d’un intervention « occidentale » au Mali aboutissant à une union et un renforcement des mouvements islamistes de la région est un risque que le gouvernement algérien n’a pas voulu courir. En tout cas pas avec des camps accueillant 30.000 réfugiés du Mali susceptibles d’être infiltrés et radicalisés. Pas avec une gérontocratie militaire redoutant une révolution de caserne « à la portugaise ». Pas avec un Bouteflika vieillissant dont le  départ probable en 2014 augure une transition compliquée et risquée. Et surtout pas avec l’exemple de l’Egypte où le parti "islamiste modéré" défit en 5 mois la mainmise de l’armée sur le pays, là où les "islamistes modérés" turques mirent 30 ans…
 
Sous le « puzzle » algérien devant la crise malienne se cache un mélange de ressentiment, de bon sens paysan, de géopolitique extrêmement pointue et… une lutte pour le pouvoir.
 
Joël Té-Léssia

Sahara occidental : un dossier qui peine à sortir de l’impasse

Le Sahara occidental est un territoire avec une superficie de 266000 km2. Le territoire est frontalier du Maroc, de l’Algérie et de la Mauritanie. Il fut sous le contrôle de l’Espagne de 1884 à 1975.

Le Sahara occidental est l’objet d’intenses tiraillements entre les puissances voisines. Ces derniers demeurent convaincus que l’occupation du territoire présente des enjeux multiples dans les domaines politiques et économiques sans omettre la position de choix dans la course vers l’hégémonie régionale que conférerait le « contrôle » du territoire sahraoui.
Sous l’angle diplomatique, les relations tendues entre le Maroc et l’Algérie sont symptomatiques de la complexité du conflit sahraoui, notamment dans les relations entre les grandes puissances voisines.
Ce conflit larvé sur fond de leadership politique au Maghreb n’est toutefois pas le premier du genre sur le territoire du Sahara Occidental. En effet, les sources historiques renseignent valablement sur les conflits ayant opposé des tribus guerrières aux forces religieuses dans l’optique d’asseoir, chacune, une mainmise sur le Sahara occidental.

En 1048, des Berbères Sanhadja formèrent une unité politique en fondant le mouvement almoravide. Ils s’empareront de petits émirats à la suite de la chute de l’empire chérifien des Idrissides. Etendant alors leur hégémonie par le biais de conquêtes, ils parvinrent à occuper la péninsule ibérique et installèrent leur capitale à Marrakech. Plus tard, les Portugais et les Espagnols s’installent sur la Côte, et en 1885, à l’issue de la conférence de Berlin, l’occupation et l’administration du Sahara Occidental revint à l’Espagne. Dès lors, il est intéressant de constater une nouvelle fois qu’un pays européen avait une responsabilité sur un conflit portant sur une question de souveraineté en Afrique.

A l’aune de ces faits, l’on remarque la trajectoire particulière qu’a prise le problème sahraoui. D’abord, un conflit local entre tribus rivales ; ensuite un tiraillement sur fond de conflit colonial et enfin, une crise intra-africaine, notamment entre le Maroc et l’Algérie ; ce dernier soutenant sans relâche le Front Polisario, mouvement de lutte armée pour l’indépendance du Sahara occidental créé en 1973.
Des exemples, pour rappel, confirment la vive tension qui caractérise quasi quotidiennement les relations entre Alger et Rabat qui ont connu une escalade dans les années 70 avec l’expulsion, en 1975, de plusieurs familles marocaines d’Algérie.
Aujourd’hui la frontière algero-marocaine est fermée. Cette vive tension entre les deux pays déteint sur l’organisation qui regroupe les Etats de la sous-région. L’Union du Maghreb Arabe est le modèle type d’intégration africaine qui baigne depuis sa création dans un échec total. (1)

Le drame du Sahara occidental est aussi marqué par une lutte militaire qui peine à trouver une issue favorable. Le grand nombre de populations civiles qui vivent dans des conditions extrêmement difficiles dans les camps de réfugiés est une image saisissante sur la dureté et l’importance du drame sahraoui.

Acteur majeur du conflit sahraoui, le Front Polisario a acquis une reconnaissance internationale de fait comme un acteur incontournable du conflit sahraoui. Les différentes parties prenantes du conflit ont été obligées de considérer comme un interlocuteur valable et de poids dans le processus de règlement pacifique de ce problème. Cela s’est surtout confirmé à la suite du départ du Maroc de l’Union Africaine après l’intégration de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) au sein de la dite institution au Sommet de Tripoli en 1982. Ce retrait qui est intervenu à la suite d’un profond désaccord sur l’admission de la RASD au sein de l’organisation continentale, marque aussi, de fait, une victoire diplomatique considérable du Front Polisario et de son tuteur algérien.
Malgré les multiples tentatives et pressions de certaines institutions internationales comme l’ONU, qui a désigné un représentant spéciale au sujet du conflit sahraoui, l’américain Christopher Ross, ou l’UA vis-à-vis des différents acteurs afin de trouver des solutions crédibles et durables, la paix n’est toujours pas au rendez-vous.

Dans ce cadre, il est nécessaire de jeter un coup d’œil sur les résultats des différentes tentatives de sortie de crise. Le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU est victime d’un désaveu de la part du royaume chérifien qui doute de sa neutralité. Ce à quoi Ban Ki Moon a récemment réagi par une confirmation de sa confiance à l’endroit du diplomate américain.
Néanmoins, la déclaration de cessez-le-feu de 1991 a sans doute constitué un grand bond en avant en vue d’une solution définitive, mais le chemin vers la paix est encore long et sinueux pour ce conflit qui a tout de même duré près de quatre décennies.
Toutes les initiatives pouvant induire une issue heureuse sont les bienvenues. Mais, il est urgent d’agir rapidement et de manière efficace afin de contraindre les parties au dialogue afin qu’elles reviennent enfin autour de la table des négociation et sortent le dossier sahraoui de la situation d’impasse dans laquelle elle se trouve.

La Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un référendum au Sahara Occidental (MINURSO) reste tout de même un grand pas déjà franchi dans la longue route vers la paix même si son mandat lui laisse peu de marge de manœuvre. Les obstacles qui se dressent devant l’atteinte de son mandat qui est de faire respecter le cessez-le-feu et d’organiser un référendum d’autodétermination sont nombreux, surtout dans un contexte où les parties ne parlent toujours pas le même langage et ne s’entendent ainsi pas sur les termes de références de ce referendum qui reste encore très hypothétique.

 

Blaise Guignane Sene

 

1A ce propos, voir le  très bon papier de Jacques Leroueil sur Terangaweb

http://terangaweb.com/limpasse-de-lunion-du-maghreb-arabe/

50 ans d’indépendance en Algérie en perspectives

A l’instar d’autres nations africaines, l’Algérie célèbre le cinquantenaire de son indépendance. Cette date symbolique constitue non seulement une occasion de réfléchir sur l’Histoire du pays au cours des dernières décennies (ce qui a été abondamment commenté par les médias), mais aussi et surtout une opportunité pour préparer le chemin qui reste à parcourir. Le cinquantenaire de l’indépendance doit en effet être autant un regard vers le passé qu’un tournant vers l’avenir.

Les efforts et les sacrifices consentis par le peuple Algérien pour obtenir son indépendance ont été immenses : des millions de morts, blessés, orphelins et de déplacés ; l’usage massif et systématique de la torture, ainsi que le regroupement de 2 millions de personnes (soit un Algérien sur cinq) dans des camps. Huit ans de guerres contre l’une des armées les plus puissantes du monde et qui a mobilisé l’ensemble de ses moyens matériels et humains (plus d’un million et demi de soldats français ont été envoyés en Algérie). Ces souffrances ont été d’autant plus marquantes qu’elles ont été précédées par cent ans de colonisation et de répression policières et armées (depuis la guerre de conquête jusqu’aux massacres du 8 mai 1945) affligées à une population qui ne dépassait pas les dix millions d’habitants en 1954.

Après une indépendance si chèrement acquise, il est d’autant plus normal que les attentes des Algériens pour le développement de leur pays soient tout aussi immenses. Si le parcours réalisé ces cinquante dernières années aurait difficilement pu être à la hauteur de l’espoir et des espérances, il convient de constater une réalité moins visible mais incontestable : malgré les épreuves, l’Algérie a considérablement progressé sur le plan du développement humain et économique. Après le retard des années 1990, elle se développe aujourd’hui à un rythme soutenu et se rapproche davantage de son véritable potentiel et du niveau de vie requis pour sa population. Les revenus acquis grâce aux hydrocarbures y contribuent certainement, mais ne constituent pas une explication unique ni suffisante aux progrès socio-économiques du pays, car beaucoup de pays mieux dotés en ressources naturelles ne bénéficient pas de la même progression.

Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse

Il est important de relever trois constats. D’abord, cette situation favorable n’est pas uniquement liée aux ressources pétrolières, puisqu’au cours des dix dernières années, le taux de croissance annuel hors hydrocarbures a été de 5% en moyenne. De plus, cette croissance a généré des emplois (même si cela reste insuffisant) et le taux de chômage est passé sous la barre des 10% à partir de 2010. Enfin, le niveau d’endettement a progressivement baissé pour devenir quasiment nul, suite à un remboursement anticipé de la dette publique au cours des années 2000. Alors que le niveau d’endettement asphyxiait l’économie algérienne entrainant ainsi de graves conséquences sociales et politiques (comme on le voit actuellement dans certains pays développées ou en développement), l’Algérie s’est libérée du poids de la dette.

Ces performances macroéconomiques saluées par le FMI ou la Banque Africaine de Développement n’ont pu être atteints que grâce à des programmes d’investissements massifs de la part de l’Etat, qui ont permis une mise à niveau des infrastructures et une amélioration du développement humain. Depuis 2010 l’Etat algérien investit près de 300 milliard de dollars sur cinq ans, à travers un plan d’investissements qui s’échelonnera jusqu’en 2014. 

En outre, de grands projets ont été achevés au cours des dernières années, dont les effets se répercutent positivement sur l’économie du pays et sur le niveau de vie de la population. La construction de l’autoroute Est-Ouest, qui relie les frontières algéro-marocaines aux frontières algéro-tunisiennes traverse toutes les grandes villes algériennes sur une distance de plus de 1200 kilomètres, réduisant considérablement les temps de trajets. La construction d’un million de logements est également un projet important du secteur des travaux publics, auquel contribuent activement les entreprises étrangères.

Alors que le manque d’eau potable a longtemps été l’un des problèmes majeurs durant plusieurs années, des projets de construction de barrages et de stations de dessalement d’eau de mer ont permis de sécuriser l’approvisionnement en eau courante dans les grandes villes, et ce alors que le pays est naturellement confronté à une situation de stress hydrique parmi les plus graves au monde .En particulier, le barrage stratégique de Béni Haroun (1 milliard de mètres cubes) permet d’approvisionner une partie importante du centre et de l’Est du pays, alors qu’au Sahara, des canalisations permettent de transférer quotidiennes 50 000 mètres cubes d’eau sur une distance de plus de 700 kilomètres, vers Tamanrasset, dont l’approvisionnement en eau pourra ainsi être sécurisé pour plusieurs dizaines d’années. Ces projets d’infrastructures ne sont que quelques exemples des progrès réalisés par l’Algérie indépendante, et consolident à la création les bases d’un développement durable et créateur d’emplois.

L’autre volet des investissements publics, à savoir celui concernant le développement humain donne également des résultats probants. Alors qu’il n’était que de 0,443 en 1980, l’indice de développement humain est ainsi passé de 0,602 à 0,698 entre 2000 et 2011, faisant de l’Algérie l’un des dix pays ayant le plus progressé dans le monde.

Nacim Kaid Slimane 

A suivre : la situation du développement humain en Algérie cinquante ans après l’indépendance

Sur le même sujet : http://terangaweb.com/lalgerie-une-economie-rentiere-en-danger-1/

                                    http://terangaweb.com/lalgerie-une-economie-rentiere-en-danger-2/

Réformer l’agriculture en Algérie (2)

L’agriculture périurbaine soumise à l’urbanisation ? Le cas de Sétif

La thématique du grappillage urbain au détriment des terres rurales et agricoles est rarement évoquée. Après une chute du taux d’urbanisation des années 1970 aux années 1990, la croissance urbaine a connu une très nette reprise. Cette étude sur l’agriculture périurbaine à Sétif souligne plusieurs problématiques de fond qui méritent d’être soulevées. Les zones agricoles de Sétif sont touchées depuis des années par le phénomène d’extension urbaine à ses périphéries. Cette dynamique s’opère par un gain urbain sur la terre cultivable et comporte de nombreuses contraintes sociales inhérentes au processus. Par exemple, la proximité entre la ville et les productions a notamment stimulé la vandalisation des cultures –notamment des pois chiches – qui requiert la présence prolongée des agriculteurs pour surveiller leurs parcelles et mènent souvent à l’abandon de ce type de production. D’autres difficultés telles que la circulation routière ou le piétinement sont liées à la présence humaine accrue sur ces espaces.

La pression urbaine pose également problème dans la mesure où les zones agricoles périurbaines sont considérées comme des « réserves foncières » de la politique urbaine. En d’autres termes, l’étalement de la ville ampute systématiquement, partiellement voire totalement, des exploitations agricoles. Il existe certes des procédures de ré-affection dans des fermes pilotes ou relocalisations vers d’autres parcelles en ce qui concerne les terres louées à l’Etat et des compensations financières jugées insuffisantes pour les terres privées. Mais ces mesures n’annulent pas la dynamique d’extension urbaine peu contrôlée qui contredit les efforts annoncés en faveur du secteur agraire. L’auteur de cette étude insiste sur l’existence d’un taux de régression agricole (surfaces cultivées) plus élevé que celui de l’urbanisation. L’Algérie n’est plus un grand pays agricole et peinera sérieusement à revigorer son secteur en l’absence de solutions au problème du foncier agricole et d’une maîtrise de la croissance urbaine qui s’opère au détriment des terres cultivables alentours.

Témoignage amer d’un agriculteur de Sétif

Cet agriculteur d’une quarantaine d’années – que je nomme Hassan par volonté d’anonymat – tient absolument à livrer ses inquiétudes et impressions sur le quotidien d’agriculteur sétifien « toutes ces terres que tu vois là à perte de vue ne sont pas du tout exploitées ou que très partiellement. Ici, nous avons un réel problème d’eau tant dans nos maisons puisque nous n’avons toujours pas l’eau courante (il faut se lever tôt le matin remplir des bidons d’eau pour toute la journée) que dans nos champs qu’on peine à irriguer. L’agriculture est abandonnée et délaissée par le ministère chargé de s’en occuper. C’est très difficile surtout avec cette chaleur estivale. »

Hassan vit dans un quartier populaire de Sétif avec ses quatre enfants et sa femme sans emploi ; diplômé d’agronomie il déplore que sa qualification d’ingénieur ne soit nulle part reconnue et valorisée et qu’il soit prisonnier d’une situation financière extrêmement difficile et incertaine. « Ma fille entre à l’université cette année, j’ai une famille à nourrir et malheureusement je suis complètement endetté. A cause des grandes chaleurs et de l’absence d’eau pour irriguer, ma production a été très faible. En l’absence de soutien des autorités et livré à moi-même, j’avais pourtant souscrit à une assurance pour me protéger en cas de contraintes climatiques mais contrairement à ce que l’assureur m’avait affirmé oralement, la clause ne semble pas figurer dans le contrat. Je me demande vraiment comment je vais m’en sortir. » En plein mois de Ramadan alors qu’une atmosphère de vie au ralenti planait sur la ville de Sétif, il se rendait chaque jour pour contempler avec désespoir ses terres non exploitées «qui appartiennent en réalité à l’Etat ». Regrettant d’avoir quitté son précédent emploi et de se retrouver dans une telle précarité, Hassan est déterminé vers un objectif « redresser ma situation financière, acheter un petit local pour que mon fils aîné ouvre une épicerie ou un commerce car il n’a pas d’avenir dans l’agriculture, et je dois lui assurer un avenir. »

Il insiste sur le manque de ressources en eau qui constitue un problème incontournable et bloquant toute perspective de meilleurs rendements et de développement agricole, il poursuit : « l’eau c’est la vie, sans eau on ne peut rien faire. Le problème d’irrigation est primordial et on peut par exemple diviser Sétif en deux zones : la zone nord qui a relativement assez d’eau avec des précipitations convenables et dédiée à l’élevage bovin et la culture du blé ; et la zone sud beaucoup plus pauvre en eau et où l’on trouve cultures céréalières et élevage ovin. Moi je suis dans la zone sud d’où les difficultés que je rencontre. »

Hassan tente d’exposer le dilemme face auquel les agriculteurs sétifiens se trouvent « nous avons déjà creusé jusqu’à 150m de profondeur pour les conduits d’alimentation en eau et nous avons épuisé ces nappes phréatiques. Le ministère nous interdit formellement de creuser davantage mais en parallèle il ne propose aucune solution pour développer notre système d’irrigation et permettre l’approvisionnement en eau. Les paysans ne peuvent pas vivre et cultiver sans eau, alors l’irrigation illégale se développe face à l’inaction des responsables. On développe des forages ci et là sans autorisation et de façon anarchique mais la fraude est inévitable quand les autorités sont absentes et ne répondent pas aux besoins des gens du secteur. »

Les appels de détresse des agriculteurs ont touché diverses régions au cours des dernières années tandis que les autorités ont continué de négliger la nécessité d’une réforme structurelle, entre autre autour de la question foncière, de l’irrigation mais également en termes d’efficacité, gestion, recherche et obsolescence technique/technologique. Enfin, les entreprises de transformation alimentaire locales (produits laitiers etc.) demeurent encore trop rares pour certains produits de consommation courante. Il n’est plus possible de penser l’avenir de l’Algérie et des générations futures sans s’atteler au plus tôt à une véritable révolution agraire, au développement de l’industrie agro-alimentaire locale et à la réduction de sa dépendance alimentaire qui semble être considérée, à tort, comme un sujet non prioritaire. Le développement de l’agriculture s’intègre dans un défi plus large : la diversification de l’économie et la sortie de la “mono-exportation” (hydrocarbures représentent 98% des exportations).

Mélissa Rahmouni, article initialement paru et à lire en version complète sur Arabsthink

melissa.rahmouni@arabsthink.com

Crédit photo : Mélissa Rahmouni

 

Sources

Abdelmalek Boudjenouia, André Fleury et Abdelmalek Tacherift, «L’agriculture périurbaine à Sétif (Algérie) : quel avenir face à la croissance urbaine ?», Biotechnol. Agron. Soc. Environ., volume 12 (2008)  numéro 1 : 23-30. http://popups.ulg.ac.be/Base/document.php?id=2128

M. Messahel, M.S. Benhafid et M. Cherif Ouled Hocine, Efficience des systèmes d’irrigation en Algérie, http://wasamed.iamb.it/doc_h/algeriadoc.pdf

Powerpoint de MOUHOUCHE  B. (Institut National Agronomique– El-Harrach, Alger) et  GUEMRAOUI  M. (AGID – Algérie), Réhabilitation des grands périmètres d’irrigation en Algérie, http://www.wademed.net/Articles/108MouhoucheE.pdf

Hadibi A., Chekired-Bouras F.Z., Mouhouche B., Analyse de la mise en œuvre du plan national de développement agricole dans la première tranche du périmètre de la Mitidja Ouest, Algérie, 2008. http://hal.cirad.fr/docs/00/36/64/83/PDF/18_Hadibi.pdf

Réformer l’agriculture en Algérie (1)

Dépendance aux importations de produits alimentaires, mauvaise gestion et vétusté des systèmes d’irrigation, dégradation des infrastructures, pénuries de produits de large consommation, détresse des agriculteurs, etc. Tels sont les maux qui rongent l’agriculture algérienne, engouffrée dans une sorte de somnolence et pesant pour 11% du PIB. Le pilotage inadapté des politiques publiques n’épargne pas le domaine de l’agriculture dans le pays le plus vaste du monde arabe, d’Afrique et du pourtour méditerranéen ayant fait de son principal atout – la superficie des terres – un véritable fardeau. L’Algérie dispose d’un réel potentiel agricole qui pourrait offrir d’importantes perspectives de développement vers l’autosuffisance alimentaire et être générateur d’emplois pour un segment considérable de la population (actuellement 20% de l’emploi total provient du secteur agraire). Mais le problème du foncier agricole, des ressources en eau, les difficultés de gestion et le manque de volonté politique l’en empêchent durablement.

(In)sécurité alimentaire

L’agence d’études économiques Economist Intelligence Unit vient de publier un rapport classant l’Algérie au 73e rang sur 105 pays en matière de sécurité alimentaire, entre l’Ouzbekistan et le Cameroun. A titre de comparaison avec les pays voisins, le Maroc se situe à la 59e place et la Tunisie à la 50e. Cette étude porte sur plusieurs critères à savoir les efforts de recherche ; le niveau d’approvisionnement alimentaire du pays ; le coût et l’accessibilité financière de la nourriture ; la qualité et la sécurité des aliments consommés ; enfin le revenu par habitant. Selon cette étude, l’Algérie se trouve parmi les trois pays d’Afrique ayant réalisé les moins bonnes performances au cours des deux dernières décennies. La dépendance croissante de l’Algérie vis-à-vis des marchés mondiaux des produits alimentaires -et leurs fluctuations- souligne une dynamique néfaste qui place le pays dans une position de vulnérabilité reportant à demain la résolution d’un véritable problème structurel.

L’agriculture algérienne est très loin d’assurer l’autosuffisance alimentaire tandis que le prix des produits agricoles frais constitue une des principales sources de l’inflation réductrice du pouvoir d’achat. Le Ramadan marqué par une forte hausse des prix des produits agricoles a remis le dossier brûlant sur la table. Et à l’approche des élections locales (novembre 2012), il est prévu de relancer les importations de pommes de terre afin d’éviter l’agitation sociale et ne pas répéter les pénuries d’avril dernier. Abderrahmane Metboul rappelle que, selon la dernière enquête de l’ONS datant de juillet 2012, le processus inflationniste connaît une accélération continue avec un taux d’inflation annuel de 7,3%, qui ne ralentira pas au cours de l’année 2013. C’est essentiellement les produits alimentaires et plus précisément les produits agricoles frais qui contribuent à la hausse vertigineuse des prix. “Une interrogation s’impose : comment un Algérien, qui vit au SNMG, (200 euros par mois, soit 6,6 euros par jour alors que le kilo de viande est de 10 euros) fait-il face aux dépenses incontournables – alimentation, transport, santé, éducation ?” (Abderrahmane Mebtoul dans un article du Jmed).

Le revers de l’aisance financière : l'importation massive des produits alimentaires au détriment d’un programme efficace de revalorisation et de modernisation de l’agriculture

Le développement et la modernisation de l’agriculture algérienne devrait être une priorité nationale. L’Algérie est parmi les premiers consommateurs mondiaux de blé alors que sa production nationale demeure très limitée et insuffisante pour répondre à la demande. Les principales raisons de la faible production alimentaire locale sont les défaillances du réseau de stockage d’eau et la permanence de systèmes d’irrigation obsolètes ne permettant pas d’irriguer l’essentiel de la surface agricole utile (SAU). Compte tenu du déficit pluviométrique, des sécheresses chroniques et des difficultés qu’elles engendrent, les autorités algériennes ont fait le choix de l’importation massive et coûteuse de produits au détriment d’investissements massifs et habilement étudiés et pilotés dans un programme global de modernisation du secteur agro-alimentaire et des systèmes d’irrigation. Bashir Messaitfa considère que « la disponibilité monétaire de l’Algérie la motive à importer davantage » et que les « projets d’investissement dans les industries agroalimentaires pour réduire la facture des importations » doivent être une priorité nationale. Les sommes consenties sont faramineuses, les importations de produits alimentaires s’élevant à près de 2,5 milliards de dollars par an faisant de l’Algérie le plus grand importateur de produits agricoles d’Afrique.

Le secteur agricole, auparavant dominant dans l’économie algérienne, a vu sa production chuter de 30% au cours des trente dernières années malgré les politiques de réforme et les investissements publics. Comme pour d’autres secteurs fragiles, l’agriculture a subi les coups durs des solutions de facilité de court-terme privilégiées par le gouvernement –importations- et propres à l’économie rentière. Mais la crise économique et financière de 2007 a de nouveau alarmé les autorités algériennes sur les risques d’une dépendance trop importante vis-à-vis des marchés mondiaux et la faible capacité de résistance aux chocs financiers. Ainsi, en maintenant cette logique importatrice et peu productive sans repenser le modèle économique algérien pour l’après-hydrocarbure et sans développer ses secteurs hors-hydrocarbures dont le secteur agraire, les autorités contournent dangereusement les dossiers fondamentaux et les nécessités de demain.

Quelles contraintes et quels défis pour revigorer le secteur agricole ?

La terre est dotée d’un sens symbolique puissant dans l’imaginaire algérien. Après 132 ans de colonisation, les terres appartenant aux colons grands propriétaires terriens furent récupérées par l’Etat puis redistribuées à des exploitations agricoles individuelles ou collectives. Par la suite, les terres ont également fait l’objet des politiques dirigistes socialistes de la période des grandes utopies avant que la libéralisation ne favorise les petites exploitations au détriment de la grande exploitation d’Etat.

Le droit foncier anarchique

Le droit foncier est profondément inadapté aux besoins et pose problème. La priorité donnée à l’industrialisation a naturellement contribué au déclin agricole, mais c’est également à cause de l’anarchie du morcellement des terres et de manière générale du manque d’organisation du marché foncier que l’agriculture accuse une sérieuse stagnation. L’entremêlement entre la question agraire et la question foncière explique la complexité de la réforme agraire. Le journaliste Mustapha Hammouche du journal Liberté s’exprimait sur le sujet « Tant qu’on a peur d’envisager la restructuration des domaines agricoles en grandes surfaces “modernisables”, on restera à l’état de sous-développement. On se demande pourquoi les projections de forums refusent de poser la question sous cet angle, à savoir sous son angle politique. Il paraît pourtant essentiel d’admettre qu’il n’y aura pas de révolution “agraire” et “alimentaire” sans révolution foncière. ». Sa remarque faisait écho aux politiques autour de la propriété des terres depuis l’indépendance qui selon lui sont loin d’avoir pris en compte les impératifs économiques et alimentaires, mais également aux dernières mesures permettant à presque n’importe qui de s’improviser agriculteur. La question foncière semble donc la pierre angulaire -ou du moins le dossier incontournable- de toute la problématique agricole.

Systèmes d’irrigation vétustes

L’Algérie se situe dans l’une des régions du monde les plus déficitaires en eau et cette pauvreté en potentialités hydrauliques implique de fait la nécessité de fournir un complément d’irrigation pour cultiver et atteindre des rendements de production satisfaisants. Selon le rapport Efficience des systèmes d’irrigation en Algérie, la superficie irriguée est de l’ordre de 985 200 ha soit environ 10% de la surface agricole utile (SAU), en très grande partie localisée dans le Nord du pays. On y distingue les grands périmètres d’irrigation (GPI) gérés par les offices régionaux ou de la wilaya (OPI) et les irrigations de petite et moyenne hydraulique (PMH) gérées directement par les agriculteurs. Les GPI –moins de 50 000 ha- sont alimentés en eau à partir de barrages et forages profonds investis par l’Etat mais ne représentent qu’une faible surface agricole. Ceci s’explique en grande partie par la vétusté de ces réseaux d’irrigation et des problèmes de maintenance et de gestion. Un bon nombre de ces superficies en théorie équipées n’ont pas été réellement irriguées et les besoins en irrigation sont très loin d’être assurés.

En ce qui concerne les PMH, ce sont les agriculteurs qui puisent eux-mêmes les ressources en eau via « des petits forages, puits, ghotts du Sahara ou épandage de crue ». Elles représentent l’essentiel des productions agricoles irriguées, en dépit des pénuries d’eau. Le Ministère de l’Agriculture avait mis en place un Plan national de Développement Agricole en 2000 comprenant entre autre des mesures de réduction des pertes d’eau et de soutien à la micro-irrigation locale. De manière générale, les investissements devraient se concentrer sur l’amélioration effective des systèmes d’irrigation, et la réhabilitation des réseaux vétustes afin de permettre aux agriculteurs de bénéficier de la ressource vitale – l’eau- indispensable à toute activité agricole.

Un Plan de Développement Agricole en 2000 très incomplet

Le programme de relance du secteur agricole de 2000 était doté d’une organisation institutionnelle très complexe qui regroupait organismes bancaires, assurances, institutions de développement, fonds de régulation etc. et visait à retirer progressivement l’Etat de la production agricole et à lui attribuer un rôle de régulateur. Ce programme devait aussi permettre d’organiser les producteurs via les caisses mutualistes et chambres d’agricultures régionales. Le plan était très ambitieux : 1) développer et intensifier les filières de production ; 2) adapter les systèmes de cultures ; 3) reboiser ; 4) mettre en valeur les terres par la participation des populations locales ; 5) protéger les steppes et lutter contre la désertification, réhabiliter des oasis etc. Près de 4 milliards d’euros ont été investis entre 2000 et 2005 mais pour quels résultats ?

Le plan a eu certes des impacts positifs en termes d’augmentation des superficies plantées, certaines filières comme la production de tomates ont été dynamisées et un certain nombre d’agriculteurs ont bénéficié d’aides substantielles. Cependant, ils considèrent ces aides comme très insuffisantes notamment à cause de la cherté des intrants agricoles. En ce qui concerne l’irrigation locale, malgré les subventions du matériel pour certains bénéficiaires, certaines habitudes de négligence des quantités d’eau utilisées ont persisté en l’absence de sensibilisation à l’usage des ressources, et de nombreux agriculteurs ont abandonné les nouvelles techniques introduites faute d’appui technique et de maîtrise du matériel. Le plan a globalement eu des effets mitigés et est demeuré incomplet à cause du manque de préparation dans son élaboration et son application, de sensibilisation et de soutien technique et stratégique aux agriculteurs. Enfin, l’occultation totale de la question foncière n’a pas permis de résoudre les problèmes structurels/organisationnels du secteur agraire. De fait, l’Algérie peine toujours plus de dix ans plus tard à progresser sur le chemin de l’autosuffisance alimentaire.

Mélissa Rahmouni, article initialement paru et à lire en version complète sur Arabsthink

Crédit photo : Mélissa Rahmouni

Education au Maroc et en Algérie: vers l’émergence d’un débat national?

Les révoltes qui ont traversé le monde arabe ont placé au cœur de l’actualité la jeunesse ayant soif de changement. Au Maroc comme en Algérie, l’atmosphère est plutôt celle du status quo et du maintien bricolé de structures peu démocratiques. Mais la jeunesse, et à travers elle l’exigence d’une éducation de qualité, remet le dossier éducatif sur la table.

Discours du roi du Maroc : une ode à l’éducation

« De l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays » c’est en ces termes que s’exprimait au XIXe siècle le premier ministre britannique Benjamin Disraéli. Partant du même constat et exprimant un intérêt manifeste pour la réforme de l’éducation, le roi du Maroc Mohammed VI s’est adressé lundi à la nation dans un discours insistant sur le secteur éducatif et la jeunesse marocaine à l’occasion du 59e anniversaire de la « Révolution du Roi et du peuple ».

C’est dans sa position confortable de souverain non-responsable devant le peuple -contrairement au gouvernement contre lequel se cristallisent les impatiences et mécontentements-, que Mohammed VI s’est essayé à une reconnaissance lucide des obstacles du système éducatif marocain et de la nécessité d’atteindre au plus vite les objectifs fixés en matière de modernisation de l’éducation nationale.

« […] Il est donc impératif de se pencher avec sérieux et résolution sur ce système que nous plaçons, d’ailleurs, en tête de nos priorités nationales. Car ce système, qui nous interpelle aujourd’hui, se doit non seulement d’assurer l’accès égal et équitable à l’école et à l’université pour tous nos enfants, mais également de leur garantir le droit à un enseignement de qualité, doté d’une forte attractivité et adapté à la vie qui les attend.

Par ailleurs, ce système doit également permettre aux jeunes d’affûter leurs talents, de valoriser leur créativité et de s’épanouir pleinement, pour qu’ils puissent remplir les obligations de citoyenneté qui sont les leurs, dans un climat de dignité et d’égalité des chances, et pour qu’ils apportent leur concours au développement économique, social et culturel du pays. C’est là, du reste, que réside le défi majeur du moment »[1] a-t-il expliqué.http://www.youtube.com/watch?v=pDRnk8yt0y4&feature=player_embedded

Le discours, bien qu’éclairé et soulignant avec pertinence l’urgence des défis en la matière, contraste cependant avec l’état déplorable du système éducatif en termes de qualité de l’enseignement et des résultats bien trop faibles des politiques menées. Quelques bons points sont tout de même à valoriser, notamment la hausse considérable de la production scientifique marocaine au cours des années 1990, avant d’amorcer une phase de déclin puis de légère reprise dans les années 2000.

Le désarroi des enseignants à l’image d’un système éducatif en difficulté

Le désarroi du corps enseignant et l’inquiétude répétée des étudiants –en plein cursus ou chômeurs- témoignent des failles structurelles indéniables de l’éducation nationale marocaine. Les syndicats d’enseignants font d’ailleurs partie des noyaux actifs de la société civile portant, au Maroc comme en Algérie par exemple, les préoccupations des acteurs de l’éducation lors des manifestations et sit-in.

L’entrée en poste du nouveau gouvernement marocain avait certainement suscité de grandes attentes envers le ministre de l’éducation dans la conduite tant espérée d’une réforme effective et planifiée du secteur. Un élan de contestation et d’appel au débat national a de nouveau touché le secteur éducatif au cours des derniers mois avec l’observation d’une grève générale des enseignants le 1er mars 2012 à l’appel de l’union des syndicats autonomes du Maroc (USAM) pour dénoncer l’absence d’une vision claire[2] entreprise par le ministre Mohamed El Ouafa.

L’appel à la prise de conscience et au débat national lancé par les jeunes générations

Au mois de juin 2012, les réseaux sociaux maghrébins déploraient à leur tour l’état de leur éducation nationale : le hashtag des internautes marocains #EducMA ou encore l’opération algérienne sur Twitter #BenbouzidDégage (Ministre de l’éducation algérien). Ces actions sur la toile faisaient écho aux grèves et manifestations organisées par des lycéens et étudiants en Algérie et au Maroc. Le 6 août 2012, l’Union des Étudiants pour le Changement du Système éducatif (UECSE) appelait quant à elle à la mobilisation de l’ensemble des étudiants du royaume chérifien dans le but « d’inciter la société civile marocaine et la scène politique à ouvrir un débat national sur les mesures à prendre pour la réforme du système ». Dans les quatre coins du pays, ces jeunes entendaient protester contre « les seuils exorbitants demandés pour passer les concours des écoles supérieures au Maroc » et les « atteintes au principe de gratuité dans les facultés », et défendre avec ferveur « le principe du droit à l’éducation ». Leur communiqué évoquait la problématique de l’allocation des fonds dédiés à l’éducation tout en revenant sur l’urgence de la réforme et les classements internationaux reléguant le système éducatif marocain en bas du tableau.

Le critère quantitatif au mépris de la qualité de l’enseignement marocain

Le roi Mohammed VI a affirmé à maintes reprises avoir placé l’éducation au sommet des priorités nationales. La commission spéciale de l’éducation et de la formation (Cosef) qui avait pilotée diverses réformes de l’éducation n’avait pas réussi au cours des années 2000 à atteindre les objectifs fixés. La désillusion était patente et les résultats bien en deçà des espérances[3]. Cette même instance se verra confier la mise en œuvre de la fameuse « Charte Nationale d’éducation et de formation » annoncée en 2009 après l’échec partiel des précédentes politiques.

Ce « grand projet de modernisation » se fixait théoriquement trois objectifs ambitieux : 1) la généralisation de l’enseignement et l’amélioration de sa qualité ; 2) la réalisation d’une cohérence structurelle -intégration interne et intégration à l’environnement socioéconomique- et enfin 3) la modernisation des méthodes de gestion et de pilotage du système.

Mais au-delà des effets d’annonce, qu’en est-il concrètement ? Des progrès quantitatifs ont certes permis un certain élargissement de la scolarisation, mais les autorités ont dû se résoudre à la mise en œuvre d’un Programme d’Urgence (2009-2012) face à la persistance et voire la recrudescence des mauvaises performances : taux de redoublement/déperdition à tous les niveaux de scolarité ; inadéquation entre les formations et le marché du travail (chômage des diplômés) ; ou encore très faible niveau des savoirs de base. De même, les sous-effectifs d’enseignants dans le primaire et secondaire touchent également l’université tandis que le déficit financier de l’enseignement supérieur peine à se résorber.


Source : NABNI, www.nabni.org

Le fleurissement de l’enseignement privé y compris dans le supérieur -encouragé de ses vœux par l’Etat- n’a pu remplir sa mission que partiellement, se heurtant aux disparités socio-économiques et géographiques et à l’inégalité des chances et moyens de poursuivre un enseignement de qualité. Ce décalage déconcertant entre les politiques annoncées, et le surplace de l’éducation marocaine a été souligné à de multiples reprises et notamment en 2009 lorsque l’UNESCO avait classé le Maroc parmi les pays se trouvant dans l’impossibilité « d’atteindre les objectifs fixés à horizon 2015 » compte tenu de la faible qualité des services éducatifs ; du taux d’analphabétisme encore important; et du coût élevé de l’éducation. Un autre chantier urgent mais négligé est celui de la mise en place de nouvelles méthodes pédagogiques – et donc d’une autre formation des enseignants-.

Algérie/Maroc – dépenses faramineuses, résultats médiocres : “échec voulu” ou mauvaise gestion?

Un même constat aberrant permet de comparer -en dépit des spécificités propres à chacun- l’Algérie et le Maroc : la courbe inversée entre une hausse exponentielle des dépenses de l’Etat dans le domaine de l’éducation et les minces résultats en termes de performance, modernisation et pilotage stratégique du secteur[4].

Certains s’interrogent : s’agit-il d’un « échec voulu » ou le syndrome de la mauvaise gestion des réformes ? Les citoyens sensibles aux discours ambitieux sont vite désillusionnés par la réalité d’une éducation bien éloignée des paroles printanières annonçant l’instauration imminente de « l’école de demain ». Une internaute marocaine commentait avec amertume sur Facebook le dernier discours du roi « des experts compétents ont réalisé les constats et analyses nécessaires, ont rédigé des rapports proposant des solutions aux problèmes et leur procédure de mise en œuvre. Mais l’éducation n’a jamais été la priorité au Maroc.…je vous laisse deviner pourquoi ».

Cette remarque renvoie à la croyance assez répandue qu’il existe une volonté étatique de « non-développement de l’éducation » capable de contenir les germes de l’esprit critique et donc de la contestation de l’ordre établi. Le jeu subtil des régimes algérien et marocain consisterait donc à maintenir une certaine ignorance et des méthodes d’enseignement abrutissantes couplées aux médias officiels manipulateurs et favorisant l’apolitisation de la société. Mais l’objectif d’un réel développement économique et social ne peut se passer d’une réforme éducative, soulignant l’existence d’un dilemme infernal pour les autorités.

L’Algérie et le Maroc ont connu des trajectoires très différentes en matière d’éducation, la première ayant initialement mis en place un modèle de type socialiste de scolarisation massive et gratuite permettant dans un premier temps la réduction drastique du taux d’analphabétisme. Mais aujourd’hui, les deux pays se retrouvent dans une situation comparable –avec des spécificités propres- de stagnation pesante ; des bilans qualitatifs assez médiocres (redoublements/déscolarisation/chômage des diplômés) compte tenu des dépenses pharamineuses. L’Algérie a doublé ses dépenses consacrées à l’éducation entre 2000 et 2006 (passant de 224 milliards de dinars à 439 milliards)[5] tandis que l’effort financier du Maroc dans le secteur éducatif représente 5,4% du PIB en 2009 et 25% du budget de l’Etat. Si l’Algérie n’a pas encore entrepris une évaluation des politiques mises en place, le Maroc semble davantage se soucier du devenir de l’éducation nationale et miser sur la recherche et la formation de l’élite.

Le système éducatif marocain doit se poser le défi urgent de l’accès à l’éducation de base, encore très inéquitable et incomplet, les zones rurales se trouvant dans une situation d’exclusion partielle. Les plus vulnérables restent encore en dehors du cycle primaire, tandis que l’enseignement collégial n’est guère généralisé en milieu rural comme le souligne ce rapport de l’UNESCO. Rappelons aussi que près de 40% des marocains âgés de 10 ans et plus sont toujours analphabètes, ce taux atteignant 60% en milieu rural et près de 75% chez les femmes.

(Source de l’étude : http://www.estime.ird.fr/IMG/pdf/Rossi-Waast-Academie_Hassan2-SP2008.pdf)

Autre fait notable, le taux de scolarisation au niveau universitaire demeure faible au Maroc -seulement 11%- et a connu peu d’évolution au cours des dernières années (à titre de comparaison il était de 37,6% en 2009/2010 en Tunisie). De son côté, l’Algérie affiche de meilleures performances en termes de taux de scolarisation universitaire mais se place loin derrière le Maroc et la Tunisie en termes de production scientifique – deux fois moins importante que celle du Maroc, et 1,5 fois moins que celle de la Tunisie-, la production scientifique étant de fait révélatrice du rayonnement universitaire et scientifique d’un pays et de l’exploitation de son potentiel de recherche et d’innovation.

(Source de l’étude : http://www.estime.ird.fr/IMG/pdf/Rossi-Waast-Academie_Hassan2-SP2008.pdf)

Le Maroc s’est démarqué positivement par sa production scientifique, ayant même été l’un des premiers pays méditerranéens à porter une attention détaillée à ses résultats de recherche comme le souligne cette analyse intéressante. Au cours des années 1990, le Maroc a enregistré une hausse considérable de sa production scientifique le hissant au 3e rang en Afrique, avant de voir cette progression ralentir depuis les années 2000. Parallèlement à ce déclin marocain, l’Algérie et la Tunisie surtout ont connu une phase de progression. A titre de comparaison, on peut noter que la démarche marocaine diffère -au moins dans la forme- significativement de celle de l’Etat algérien : alors que l’Algérie –otage de sa bureaucratie- se maintient dans une posture de déni et de gaspillage des fonds sans se soucier des résultats, le Maroc a souhaité une « évaluation externe de son système de recherche » entre 2001 et 2003. Cette initiative a permis à de grands scientifiques européens de constater le potentiel de chercheurs que concentre le Maroc et la « croisée des chemins » qui caractérisait à ce moment là la recherche marocaine nécessitant de fait une nouvelle dynamique.

L’incohérence linguistique et la formation des élites

La révision constitutionnelle marocaine a reconnu le tamazight (berbère) langue officielle mais sans aborder en profondeur la question linguistique. Lorsque l’on parle de l’éducation au Maghreb -cette « boussole de la vie »- comment ne pas aborder les incohérences entre politiques d’arabisation, élitisme francophone et revendications berbères? C’est un défi de taille qui se pose tant pour le Maroc que pour l’Algérie, des pays dans lesquels il est urgent de repenser le processus d’apprentissage des langues et de développer une cohérence entre la langue des disciplines enseignées et la langue pratiquée dans tel ou tel secteur économique.

Mais cette problématique est intimement liée à la production des élites et à l’enseignement français au Maroc. Charles-André Julien, éminent historien spécialiste du Maghreb et premier doyen de la Faculté des Lettres à Rabat au lendemain de l’indépendance du pays, décrivait dès 1960 dans une lettre les risques que suscitaient les questions de langue et formation de l’élite marocaine:

« J’ai toujours été partisan de l’arabisation, mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années, il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce ä laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. ».

Enfin, notons également que le Maroc et la Tunisie sont dotés de système de bourses d’études à l’étranger –certes dont l’accès est inéquitable- et de grandes écoles stimulant la formation d’une certaine élite économique et intellectuelle, qui au Maroc occupe souvent les principaux postes à responsabilité. L’Algérie a quant à elle a décidé de supprimer son système de bourses d’étude à l’étranger.

Absence de responsabilité politique à l’heure du bilan

La comparaison avec l’Algérie est éclairante sur les défis et blocages qu’ont en commun les deux voisins. L’Algérie est dotée d’un système éducatif à l’image de ses autres secteurs au grand dam des nouvelles générations: mal géré, non-coordonné, martelé à coup de « réformes » cosmétiques sans capacité de pilotage satisfaisante, sans évaluation, et victime d’un gouvernement considérant à tort que la simple injection de dinars produira par miracle excellence, créativité et qualité de l’enseignement.

Les nouvelles générations paient des deux côtés de la frontière toujours fermée le prix fort de la négligence des autorités, et cette destruction irresponsable de potentiels et ressources humaines est un drame maghrébin menaçant un développement économique et social durable mais également la démocratisation des esprits et l’essor intellectuel. Le ministre algérien de l’éducation en poste depuis 20 ans est l’incarnation de ce mal incurable : des responsables politiques qui ne rendent pas compte de leur échec et s’absoudent éternellement –parfois insolemment- de toute responsabilité ; des politiques mal évaluées ; et des générations sacrifiées. En 2012, aucun pays ne peut se « contenter » d’une simple diminution de son taux d’analphabétisme.

L’unique perspective de changement est l’ouverture d’un débat national sur la qualité de l’éducation qui doit être impérativement investi par la société civile pour forcer l’engagement d’une réforme urgente et structurelle du secteur.

Mélissa Rahmouni peut être contactée à melissa.rahmouni@arabsthink.com.

Article initialement publié sur le site de notre partenaire ArabsThink

Algérie : la bataille de l’emploi au pays des méga-contrats chinois

Durant la dernière décennie, les entreprises chinoises ont remporté en Algérie des contrats dont le montant total s’élève à 20 milliards de dollars. Dans un pays où 30% de la jeunesse est au chômage, les investissements chinois ont-il  un impact sur l’emploi local ?

On a souvent parlé de la Chinafrique sur Terangaweb : l’impact environnemental de la politique économique étrangère chinoise sur le continent,  et plus généralement l’intérêt croissant du gouvernement chinois pour les ressources exceptionnelles dont dispose l’Afrique font régulièrement l’actualité. A l’occasion des 50 ans de l’indépendance algérienne, nous avons souhaité nous pencher sur le phénomène que certains n’hésitent pas à qualifier de « chinalgérie », autrement dit la présence croissante de la Chine en Algérie et son étonnante capacité à rafler presque tous les grands contrats publics. A l’heure où le pays vit une situation économique explosive, la présence chinoise en Algérie peut-elle faire émerger de nouvelles opportunités d’emplois que les entreprises locales peinent à créer ?

A Alger, difficile d’ignorer la présence chinoise. Les ouvriers chinois se relaient pour construire à vitesse grand V des logements sociaux dont la population a besoin. Le chantier de la troisième plus grande mosquée du monde située dans le grand Alger, d’une valeur d’un milliard de dollars, a été remporté par une entreprise chinoise  et a démarré en mai dernier. Cette main-d’œuvre immigrée est pourtant mal acceptée  par une partie de la population qui ne comprend pas pourquoi le gouvernement algérien accepte et encourage la présence de milliers d’ouvriers chinois alors qu’une grande partie de la jeunesse algérienne est au chômage.

La Chine s’est d’abord intéressée à l’Algérie en raison de ses ressources naturelles exceptionnelles. Progressivement, le gouvernement chinois prenant conscience des réserves de dollars confortables dont disposait le pays, ses investissements en Algérie se sont diversifiés, avec la signature de grands contrats dans le domaine des infrastructures, puis le développement des investissements dans le secteur secondaire : électronique, automobile et textile principalement. L’Algérie a ainsi accordé aux entreprises chinoises des contrats de construction d’une valeur totale de 20 milliards de dollars, qui concernent la construction de logements sociaux, de chemins de fer et de plusieurs tronçons de l’autoroute est-ouest. Ces méga-projets, pourtant fortement consommateurs de main-d’œuvre, n’ont pas puisé dans le réservoir de demandeurs d’emploi algériens. Au contraire, les promoteurs ont décidé de recourir à de la main-d’œuvre chinoise immigrée. Regroupée dans des logements près des chantiers de construction, cette main-d’œuvre est corvéable à merci, faiblement rémunérée et surtout.. très efficace. Il n’est en effet pas rare qu’un projet soit livré bien avant la date prévue de son achèvement. Les 30 000 immigrés chinois représentent aujourd’hui la première communauté étrangère d’Algérie.

Malgré l’indéniable productivité de ces travailleurs étrangers, on peut s’interroger sur l’efficacité de la politique actuelle de l’emploi menée par le gouvernement algérien, qui maintient à l’écart toute une partie de la population, au chômage malgré des études à l’université, et souvent surqualifiée compte tenu des emplois disponibles. Malgré la volonté affichée par le gouvernement de favoriser l’emploi local grâce à une fiscalité favorable, et d’encourager le transfert de connaissances et la formation professionnelle, les entreprises chinoises n’ont pas vraiment joué le jeu. 

Une étude publiée par la Banque africaine de développement et intitulée Investissements chinois et création d’emploi en Algérie et en Egypte analyse l’impact des investissements chinois sur l’emploi local et montre que ce dernier est faible.  En effet, les énormes contrats remportés par les entreprises chinoises publics ont  rarement créé des emplois locaux, les investisseurs chinois préférant faire appel à de la main-d’œuvre chinoise immigrée. Les travailleurs algériens recrutés sont eux peu qualifiés, et les perspectives de promotion sont quasiment inexistantes. La presse algérienne se fait souvent l’écho de faits divers liés au non-versement des salaires par les entreprises chinoises aux ouvriers algériens, ce qui contribue à alimenter le ressentiment d’une partie de la population.  Quant aux Algériens les plus diplômés, ils se heurtent souvent au plafond de verre les empêchant de rejoindre les équipes de direction, uniquement composées de cadres chinois.

Face à cette situation déséquilibrée, le gouvernement algérien a modifié la législation du travail, afin de favoriser l’embauche de travailleurs algériens au sein des entreprises chinoises, en contraignant ces dernières à s’associer à des partenaires locaux. Ces mesures ont une efficacité limitée, car elles n’impactent pas le niveau de qualification auquel les demandeurs d’emploi sont recrutés. 

Les réticences chinoises à embaucher localement sont donc réelles, mais les investisseurs chinois ne peuvent être tenus responsables de la situation de l’emploi en Algérie : ce chômage est structurel, et touche davantage les travailleurs les plus qualifiés, 50 000 diplomés de l’université se retrouvant chaque année sans emploi. Les investissements chinois pourraient dorénavant être redirigés vers le secteur tertiaire, afin de favoriser l’embauche massive d’ une main-d’œuvre qualifiée locale, et d’encourager le transfert de connaissances entre investisseurs étrangers et équipes algériennes. Reste à savoir si ce type de projets sera aussi attractif que les méga-projets payés comptant en dollars par le gouvernement algérien.

Leïla Morghad