La crise au Cameroun anglophone : un mal profond aux racines lointaines

L’euphorie qui a suivi la victoire des Lions Indomptables lors de la CAN 2017 ne devrait pas faire oublier la crise anglophone et ses plaies encore purulentes et qui ne demandent qu’à être cicatrisées. Depuis fin 2016, les régions anglophones du sud-ouest et du nord-ouest du Cameroun sont vent debout pour protester contre ce qu’elles estiment être un traitement inégal en leur défaveur, de la part du gouvernement camerounais. Les manifestants soutiennent que le pouvoir est déconnecté de leurs réalités et ne semble opposer à leurs revendications, sinon des mesures répressives, un désintéressement ou un silence assourdissant. Pourtant, les protestataires font remarquer qu’ils expriment ces revendications via des canaux reconnus par la Constitution et les textes légaux en vigueur. Notons que la minorité anglophone représente environ 20% des 22.5 millions de Camerounais.

Bref rappel historique

Il est important de faire un bref rappel historique pour mieux appréhender les revendications actuelles.

Initialement, le Cameroun était une colonie allemande. Après la première guerre mondiale, le Cameroun fut placé sous la tutelle de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU), et confié à la double administration française et britannique. Le territoire sous domination française acquit son indépendance en 1960. Peu de temps après, le territoire sous administration britannique s’émancipa lui aussi de sa subordination vis-à-vis de la Couronne. Dans ce contexte, anglophones et francophones avaient convenu en 1961 de constituer une fédération à deux États. Le Cameroun Occidental (anglophone) et la République du Cameroun (francophone) décidaient en ce moment-là de constituer la République fédérale du Cameroun et donc de se réunifier. Amadou Ahidjo de la République du Cameroun devint président de la République fédérale du Cameroun et John Ngu Foncha du Cameroun Occidental son vice-président. Toutefois, la fédération ne fit pas long feu, en ceci que le Cameroun retrouva le statut d’État unitaire, suite au référendum organisé par le président Ahidjo en 1972. Ce retour à l’unitarisme étatique, sur fond de marginalisation de la minorité anglophone fut le déclencheur d’un vent fluctuant, ondoyant mais solide d’animosités et de protestations des anglophones vis-à-vis du pouvoir central.  

En 1964 – donc avant même le Référendum de 1972 qui a consacré l’unitarisme-, dans un article intitulé « Construire ou détruire » paru dans la revue culturelle Abbia qu’il a fondée, un ancien ministre et universitaire issu de la province du nord-ouest, Bernard Fonlon, par ailleurs fervent défenseur du bilinguisme, faisait déjà remarquer: « Après la réunification, on conduit sa voiture maintenant à droite, le franc a remplacé la livre comme monnaie, l'année scolaire a été alignée sur celle des francophones, le système métrique a remplacé les mesures britanniques, mais en vain ai-je cherché une seule institution ramenée du Cameroun anglophone. L'influence culturelle des Anglophones reste pratiquement nulle ». Ce diagnostic poignant et incisif traduisait le malaise ressenti par de nombreux ressortissants des régions anglophones à propos de cette supposée volonté des autorités du pays de gommer de vastes pans de l’héritage culturel de la minorité anglophone pour assurer la prépondérance des régions francophones majoritaires.

Avec la fin du fédéralisme et l’instauration d’un État Unitaire en 1972, la méfiance vis-à-vis du pouvoir central qui commençait à sourdre après la réunification de 1961 et ses corollaires jugés défavorables aux régions anglophones n’a fait que se renforcer. Les velléités centrifuges et sécessionnistes apparaissent en ce moment-là.   

Crise actuelle et recommandations

Les autorités camerounaises ont souvent minoré l’importance, pour ne pas dire l’existence d’un « problème anglophone ». Pourtant, il suffit de mettre en veilleuse son positionnement partisan et procéder à un diagnostic objectif et désintéressé pour s’apercevoir du problème. Les évêques Camerounais des régions anglophones ont justement fait ressortir dans leur mémorandum adressé au chef de l’État en décembre dernier quelques-uns des traits ou éléments corroborant l’idée d’une politique deux poids, deux mesures, au détriment des régions anglophones et qui ont poussé les anglophones à manifester. Ces facteurs sont, entre autres[1] :

-La sous-représentation des anglophones dans les jurys des concours d’entrée aux grandes écoles, à la fonction publique, dans le gouvernement et les grandes instances décisionnelles en général;

– la non-utilisation (ou un recours approximatif) de l’anglais (pourtant langue officielle, au même titre que le français) dans les examens d’État et les documents publics;

– l’affectation d’une majorité de magistrats, personnel enseignant ou sanitaire francophones dans les régions anglophones;

– La négligence des infrastructures de l’ouest anglophone.

Les revendications de ces derniers mois ont d’abord été assez apolitiques avant de se muer en une véritable poussée de fièvre politique contre les velléités ou pratiques jugées sectaires et assimilationnistes du pouvoir de Yaoundé. Au départ, il s’agissait d’une série de grèves organisées par les enseignants et avocats anglophones pour dénoncer le peu d’intérêt que les autorités réservent à leurs desiderata. Ensuite, le conflit s’est généralisé et les revendications revêtent désormais un caractère militant et politique. Les ressortissants des régions anglophones qui manifestent ne veulent plus que le régime continue aisément à marcher sur leurs plates-bandes et à favoriser les régions francophones majoritaires. Ils veulent avoir voix au chapitre et jouir d’une certaine autonomie dans la gestion de leurs territoires. Ils estiment en grande partie que le fédéralisme serait une meilleure option que l’unitarisme actuel, même si une relative minorité aux visées sécessionnistes n’hésite pas à sonner le tocsin en brandissant la carte séparatiste. Mais, dans le chef des revendications exprimées, l’option la plus plausible et en tout état de cause la plus défendue par les manifestants reste celle du fédéralisme. En effet, dans un État fédéral, les compétences sont partagées entre le pouvoir fédéral et les entités fédérées. Il y a donc une plus grande autonomie et des pouvoirs plus importants concédés aux entités fédérées, qu’elles soient dénommées régions, provinces ou États.

En effet, il faut bien se rendre compte que malgré la promulgation d’une loi de décentralisation, en pratique, le Cameroun demeure un État fort centralisé. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes dans un pays à multiples sensibilités ethniques et culturelles. Certains auteurs et le parti politique de l’opposition SDF se déclarent pro-fédéralistes et pensent que pour éviter de fragmenter encore plus le pays, le gouvernement gagnerait à organiser une consultation populaire ou référendum sur la question du fédéralisme.[2] D’autres estiment qu’à défaut du fédéralisme, il est impérieux que le gouvernement Camerounais s’emploie à exécuter son plan de décentralisation. De l’autre côté, le gouvernement et les défenseurs de l’État unitaire battent en brèche l’idée de fédéralisme soutenue par certains et insistent que l’unité nationale reste le gage de la paix et de la stabilité nationales et que cette unité nationale n’est mieux entretenue et garantie ailleurs que dans le cadre d’un État unitaire au Cameroun.[3]

Thierry SANTIME


[2] Alain Nkoyock. 2017. « Le fédéralisme est-il porteur d’espoir » Jeune Afrique. http://www.jeuneafrique.com/396895/politique/crise-anglophone-cameroun-federalisme-porteur-despoir/

Célestin Bedzigui. « Le fédéralisme est la solution au Cameroun ». http://www.camer.be/56685/30:27/celestin-bedzigui-le-federalisme-est-la-solution-au-cameroun-cameroon.html

« Cameroun : le SDF se dit favorable au fédéralisme ». BBC Afrique. http://www.bbc.com/afrique/region-39402226

 

[3]  « Cameroun : pas de retour au fédéralisme ». BBC Afrique. http://www.bbc.com/afrique/region-38232646

« Cameroun, Vincent Sosthène Fouda : « Non au fédéralisme et encore moins à la sécession » http://www.camer.be/57477/30:27/cameroun-vincent-sosthene-fouda-34non-au-federalisme-et-encore-moins-a-la-secession34-cameroon.html

« Le fédéralisme au Cameroun : une arme à double tranchant ». http://www.camernews.com/le-federalisme-au-cameroun-une-arme-double-tranchant/

 

Le déficit public égyptien a-t-il atteint un niveau excessif ?

En août 2016, la mission du FMI au Caire a accordé au gouvernement égyptien, un prêt de 12 milliards de dollars sur trois ans en échange de l’adoption d’un ensemble de réformes  (introduction de la TVA, baisse des subventions à la consommation d’énergie, réduction de la masse salariale de la fonction publique…)  visant à réduire le déficit budgétaire du pays. Ce dernier, en augmentation continue depuis 2007,s’élevait à 12,3% du PIB au cours de l’année 2015-2016 et devrait atteindre 11% selon le projet de loi de finances pour l’année 2017 (1). Par ailleurs, en 2015-2016 le remboursement de la dette publique constituait le principal poste de dépense publique soit une part de 30% (2), tandis que le taux d’intérêt s’élevait à 17% et la croissance à 3,8%.(3) Ces statistiques posent la question de la soutenabilité de la dette égyptienne et de l’état des finances publiques du pays.

 

 

  1. Un fastidieux arbitrage entre augmentation du taux d’intérêt et réduction des dépenses

 

  1. La hausse du déficit public égyptien impacte significativement le taux d’intérêt sur la dette publique…

L’augmentation du déficit égyptien est allée de paire depuis 2013 avec une forte hausse de la dette publique (4). En effet, la hausse du déficit a conduit l’Etat égyptien à avoir recours à un plus grand nombre de prêteurs pour assurer son financement. Au niveau national cela  a induit une hausse du taux d’intérêt sur la dette publique interne. L’ampleur de l’accroissement du déficit public a généré un choc de demande sur le marché de l’épargne et la hausse du taux d’intérêt a été un moyen d’inciter les agents à prêter davantage. Par ailleurs le taux d’intérêt a également connu une tendance haussière du fait des risques d’insolvabilité que fait peser le déficit public sur l’Etat égyptien depuis la fin des années 2000. Face à une dette risquée, les prêteurs ont exigé une prime de risque plus importante ce qui a encore amplifié la hausse du taux d’intérêt.

 

  1. … et cela pose le problème de la soutenabilité de la dette et de l’effondrement de l’investissement privé.

Comme tout Etat, l’Egypte a recours au déficit public pour financer ses dépenses de fonctionnement et d’investissement ainsi que ses politiques publiques à caractère contracyclique. Dès lors le niveau de déficit optimal est celui pour lequel la productivité marginale du déficit public est égale au taux d’intérêt. Au-delà, l’Etat exerce des externalités sur l’ensemble de l’économie et nuit à l’investissement des entreprises par effet d’éviction. En effet, l’Etat lourdement déficitaire emprunte et accapare une partie significative  de l’épargne qui, de fait n’est plus disponible pour les entreprises ou atteint un prix prohibitif. A ce titre, conscient des externalités négatives exercées par l’ampleur du déficit public sur la disponibilité de l’épargne  égyptienne, le vice-président de la Banque Mondiale pour la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord déclarait le 17 mars 2017 : «Nous devons observer une importante augmentation de l'investissement privé. Il ne s’agit pas uniquement des grandes entreprises privées. Les reformes doit être axées sur la promotion des PME et aider à développer l’esprit d’entrepreneuriat chez les jeunes.». (5)

 

En outre, le taux de croissance de la dette publique égyptienne a été plus important que le taux de croissance du PIB  au cours de la dernière décennie. Or d’après le concept de soutenabilité de la dette, la dette d’un pays peut croître de façon continue et demeurer sans risque  pour les prêteurs si et seulement si la capacité de remboursement de l’Etat croît au moins dans les mêmes proportions. Cela n’ayant pas été le cas de 2013 à 2017 du fait de la faible capacité de l’Etat égyptien à prélever les impôts, il est possible d’affirmer que le pays a atteint un niveau de déficit insoutenable et donc excessif qui se traduit d’ailleurs par des taux d’intérêt punitifs.

 

 

  1. L’Egypte doit parvenir à appliquer le plan d’austérité préconisé par le FMI tout en soutenant l’investissement privé

 

A.  Un plan d’austérité risqué tant sur le plan économique que politique

Face à la menace d’une crise économique et monétaire, l’Egypte du président Sissi a finalement adopté les mesures préconisées par le FMI lors de l’été 2016. En effet, la réduction des dépenses publiques et l’augmentation des recettes fiscales via la création de la TVA sont les deux principaux objectifs de la politique économique égyptienne.  Toutefois ces réformes touchant directement la fiscalité des entreprises risquent soit de porter atteinte à la compétitivité des entreprises égyptiennes, soit d’aggraver la hausse du taux d’inflation –qui s’élevait déjà à 30% en janvier 2017 (6)- si les producteurs décident de répercuter le montant de la TVA sur les prix de vente. Une telle possibilité risquerait de détériorer encore plus le pouvoir d’achat des Egyptiens et de raviver les mouvements sociaux qui avaient conduit au renversement du régime lors du printemps arabe de 2011.

En outre pour endiguer la hausse du taux d’intérêt s’étant élevé au taux  quasi-prohibitif de 17% au cours de l’année 2016, la Banque centrale égyptienne (BCE) a fixé à 14,75% le taux d’intérêt pour l’année 2017.(7)

 

B. Recommandations

Le gouvernement égyptien a tout intérêt à encourager l’investissement privé en simplifiant le cadre réglementaire de la création et du développement des entreprises. En effet, la création d’un guichet unique pour les procédures fiscales permettrait de simplifier les rapports entre le secteur privé et l’administration fiscale.  Cette sécurité fiscale faciliterait la collecte de l’impôt sur les sociétés, inciterait davantage d’entreprises et commerces à quitter le secteur informel pour le secteur formel et conduirait à un accroissement significatif des recettes publiques.

Il convient également de prendre en compte la productivité des dépenses publiques et de ne pas les diaboliser. En effet, si le plan du FMI inclut une réduction drastique des subventions publiques notamment dans le domaine des énergies fossiles, cette réforme peut également donner lieu à une réallocation des ressources vers des secteurs novateurs et à haute valeur ajoutée tels que la recherche ou le développement des énergies renouvelables.

La dette  et le déficit supplémentaires ne sont pas considérés comme excessifs dès lors qu’ils financent de nouveaux investissements publics qui à terme rapporteront davantage de recettes fiscales. En effet l’Egypte pourrait s’inspirer des objectifs du programme Europe 2020 visant non pas à imposer des plans d’austérité dont l’efficacité est discutable mais à favoriser l’essor d’une croissance dite « intelligente, durable et inclusive ». L’Egypte dispose à ce titre d’une importante marge de manœuvre puisque seul 10% des dépenses publiques du budget 2015-2016 ont servi à financer des dépenses d’investissement (8).

 

Sources

  1. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».
  2. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».
  3. http://www.jeuneafrique.com/370978/economie/pression-legypte-devalue-monnaie/
  4. http://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Egypte
  5. http://www.agenceecofin.com/reformes/0903-45561-egypte-les-prochaines-reformes-doivent-prioriser-l-investissement-prive-selon-la-banque-mondiale
  6. http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2017/02/11/97002-20170211FILWWW00048-egypte-l-inflation-s-envole-a-pres-de-30.php
  7. http://www.jeuneafrique.com/370978/economie/pression-legypte-devalue-monnaie/
  8. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».

Les immigrés et la crise

"War has a way of distinguishing between the things that matter and the things that don't"

(La Guerre a une façon bien à elle de distinguer ce qui compte de ce qui ne compte pas)

Matthew Crawley, Downton Abbey, Saison 2, Episode 1

 

Dans Le suicide (1897), Emile Durkheim remarque que les taux de suicide sont paradoxalement moins élevés durant les périodes de guerre et de grande commotion nationale. L'une des explications était, si je me souviens bien, que durant ces périodes, les drames personnels pouvaient être sinon relativisés, du moins relégués au second plan. Et certains archétypes du suicidaire – l'égoïste ou l'anomique – de Durkheim trouvaient d'autres formes d'expression, conséquences de la guerre et de son pouvoir "révélateur" (cf. citation introductrice)

Je ne sais si ce constat tient aussi pour les périodes de crises économiques. Il semblerait qu'à première vue, les taux de suicides aient crû depuis la crise financière de 2007, aux États-Unis, comme en Europe. Mais cela ne semble pas avoir été le cas durant la plupart récessions connues depuis la fin de la seconde guerre mondiale, aux États-Unis du moins.

Je crois avoir pensé au suicide (pas nécessairement au mien) plus souvent que la plupart des gens que je connais. Et je serais bien le dernier à le concevoir exclusivement comme une manifestation d'hystérie ou la traduction ipso facto d'une faiblesse irrémédiable. Le dicton idiot qui veut que les "blacks ne se suicident pas" m'a toujours semblé plus insultant que bien des discours ouvertement racistes.

Flickr_-_europeanpeoplesparty_-_EPP_Summit_October_2010_(105)Pourtant, quiconque a observé la place occupée par "l'Immigration" dans le débat politique européen au cours des cinq dernières années ne peut s'empêcher d'observer une similarité entre le déclin de ce sujet dans l'opinion publique et celui évoqué par Durkheim. Pendant les périodes de relative instabilité, blâmer les étrangers et en faire les boucs-émissaires de toutes les faiblesses de l'Europe était "un bon sport". Même si je n'imaginais pas que le débat descendrait aussi bas qu'il le fit durant les beaux jours du Sarkozysme en France. Personne n'a le droit d'oublier le temps des "mariages gris" (cette horreur inventée par l'ancien socialiste Eric Besson), de l'humour auvergnat de Brice Hortefeux, des débats sur la dénaturalisation, de la circulaire Guéant et des stigmatisations.

La stupide équation qui posait nombre d'immigrés = nombre de chômeurs avait un semblant de logique durant les années de faible croissance. La crise aura mis ce sophisme au repos. A mesure qu'elle se prolonge, le nombre de chômeurs augmente alors même que les flux de migrations ne semblent pas se renforcer, bien au contraire.  Le sujet des "immigrés" est désormais relégué aux brèves de fin de 20H, après les fermetures d'usine, après les récriminations contre l'Allemagne et la BCE. En France, les incessantes jérémiades sur le péril musulman en Europe ont disparu avec la question du mariage gay. Aux USA, la violence de la crise et la ré-élection d'Obama ont ôté toute virulence politique au vieux débat sur l'intégration des immigrés clandestins. En Espagne, autant qu'en Angleterre ou en Italie, dans cette Europe en crise, les punching-balls d'avant la "crise", ont perdu de leur splendeur. De leur utilité. Comme les fantômes s'effacent au lever du jour, les fantasmes ont disparu avec la réalité. Manif pour tous

Il faudrait également noter que si cette crise a tempéré l'ardeur anti-immigrés, elle en a paradoxalement accentué les effets. Ma prédiction d'octobre 2011 selon laquelle le résultat le plus probable de la circulaire Guéant serait que les plus doués de ces diplômés étrangers vilipendés et broyés par l'administration finiraient par s'en aller, n'a pas été démentie. Le climat délétère de la dernière décennie a sapé la volonté de beaucoup de ces étrangers – parmi ceux qui avaient le choix bien sûr – de venir ou de rester en Europe. La crise aidant et bien qu'ils ne soient plus mis à l'index aussi souvent qu'avant, le "retour en Afrique" et l'émigration vers d'autres cieux paraissent plus opportuns que jamais.

En définitive, la crise de 2008 aura eu un avantage, elle a retiré aux citoyens Européens leur joujou favori, l'immigré. Maintenant, ils devront se trouver d'autres bouc-émissaires. Grand bien leur fasse…

La crise de Suez, basculement d’un ordre mondial

La crise du canal de Suez marque un basculement des rapports de forces globaux: elle révèle l'affaiblissement des puissances européennes historiques par rapport aux nouvelles puissances américaine et soviétique. Elle illustre l’émergence des pays anciennement colonisés dans les relations internationales et démontre comment une défaite militaire peut finalement se transformer en succès politique et diplomatique.

 Les causes

La crise de Suez résulte de plusieurs facteurs. Au niveau mondial, elle intervient dans le contexte de la guerre froide et du rapprochement de l’Egypte avec l’Union Soviétique et le bloc de l’Est, ce qui se matérialise notamment par des ventes d’armes en provenance de Tchécoslovaquie.  Au niveau régional, le Proche Orient émerge d’une longue période d’occupation étrangère, et est déstabilisé à partir de la partition de la Palestine en 1947. 

En ce qui concerne l’Egypte, théâtre du conflit, le pays est en plein bouleversement politique et socio-économique entamé quatre années plus tôt avec le renversement de la monarchie, et renforcé par le pouvoir grandissant de Gamal Abdel Nasser. Dans le cadre de la mise en valeur économique du pays, Nasser souhaite construire un barrage sur le Nil, pour répondre aux besoins de l’agriculture et produire de l’électricité. Nasser sollicite en premier lieu l’aide financière et technique des Etats-Unis, mais ceux-ci refusent. Il décide alors de nationaliser la compagnie gestionnaire du canal de Suez, dont les revenus devront permettre de financer la construction du barrage d’Assouan.


Le facteur déclencheur 

«La pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres et ce canal est la propriété de l’Egypte. Le canal a été creusé par 120 000 Egyptiens, qui ont trouvé la mort durant l’exécution des travaux. La société du canal de Suez à Paris ne cache qu’une pure exploitation.(…) Nous irons de l'avant pour détruire une fois pour toutes les traces de l'occupation et de l'exploitation. » Discours de Gamal Abdel Nasser, à Alexandrie, le 26 juillet 1956.

Cette initiative suscite de vives réactions de la part des Français et des Britanniques, qui contrôlaient la Campanie du Canal et maitrisaient depuis prés d’un siècle cette  voie de communication stratégique au  niveau mondial. L’action servira de prétexte à une invasion de l’Egypte et une tentative de renversement de Nasser.Alors qu'Israël souhaite avant tout détruire l’armement acquis par l’Egypte et prendre le contrôle de l’entrée du golfe d’Akaba pour desserrer son isolement, la France et la Grande-Bretagne sont déterminées à reprendre le canal de Suez, pour  maintenir leur influence dans la région et sécuriser le commerce avec l'Extrême-Orient et l’approvisionnement en pétrole en provenance du Golfe. La France intervient également dans le but de faire cesser le soutien apportée par Nasser au FLN Algérien.

 L’offensive militaire

La détermination de la France, du Royaume-Uni et d'Israël à agir contre l'Égypte et à récupérer le canal de Suez se concrétise en un accord secret tripartite. Conclu à Sèvres les 22 et 23 octobre 1956, il établit le déroulement précis de l'action militaire contre Nasser et met en place un prétexte pour envahir l’Egypte: Israël doit attaquer l'Égypte le 29 octobre 1956. La France et la Grande-Bretagne lanceront alors un ultimatum aux deux belligérants pour qu'ils se retirent de la zone du canal et enclencheront une riposte le 31 octobre en cas de refus de l'Égypte de respecter l'ultimatum.

Le plan est mis à exécution comme prévu le 29 octobre. Les Britanniques prennent le commandement des opérations, en raison de la proximité de Chypre et de Malte où ils possèdent des bases militaires. Appelé plan Mousquetaire, le plan prévoyait initialement un débarquement des forces britanniques et françaises à Alexandrie, puis la prise du Caire. Cependant, l’objectif initial du plan est modifié et il est décidé que les troupes débarqueront à Port-Saïd, puis se rendront sur la zone du canal de Suez. Le rejet de l'ultimatum par les Égyptiens permet à l'aviation britannique de bombarder les aérodromes égyptiens et de déployer leurs parachutistes sur Port Said.


 

La contre-offensive diplomatique

 

L'opinion internationale est tout de suite indignée de la situation. Eisenhower,  réagit très vivement et obtient la convocation du Conseil de sécurité de l'ONU, meme si le veto de la France et de la Grande-Bretagne empêchent le vote d'une résolution. L'Égypte tente d’empêcher la circulation sur le canal en coulant des bateaux, mais ne parvient pas à résister à l’avancée des troupes terrestres. L’URSS n'hésite pas à menacer la France, la Grande-Bretagne et Israël d'une riposte nucléaire. L'OTAN brandit à son tour la menace nucléaire envers l'URSS si cette dernière utilise ses fusées atomiques.

C'est à ce moment que les États-Unis prennent une position décisive: ils exigent le retrait des forces franco-britanniques pour mettre un terme à la crise. Pour faire fléchir les puissances européennes, ils contribuent à la dévaluation de la livre sterling, menaçant la puissance britannique sur ses bases. Les pressions font plier la Grande-Bretagne, puis la France, qui acceptent un cessez le feu et la fin des opérations à partir du 6 novembre.Pour restaurer la paix en Égypte, l'ONU interpose entre Israël et l'Égypte la Force d'urgence des Nations unies (FNUE) dès le 15 novembre 1956. Cette opération marquera la naissance des Casques bleus de l'ONU.


Le basculement d'un ordre mondial

La crise de Suez marque la fin de l'influence traditionnelle des anciennes puissances coloniales dans la région. Motivée par des intérêts économiques et politiques, leur stratégie a échoué en raison d'un nouvel ordre mondial dominé par les Etats-Unis et l'URSS. Malgré les succès militaires de la coalition tripartite, ce revers humiliant profite à Nasser qui sort finalement victorieux du conflit et devient la nouvelle figure du nationalisme arabe et de la décolonisation. La crise de Suez marque clairement l'ère de la domination des puissances nucléaires américaine et soviétique dans le règlement des conflits internationaux.

Le dénouement de la crise a redoré le prestige de l'URSS, perçu désormais comme le défenseur des petites puissances contre l'impérialisme occidental. Son influence s'affirmera particulièrement en Syrie et subsiste jusqu'à aujourd’hui. Les États-Unis ont eux aussi augmenté leur prestige dans la région en faisant preuve de modération par leur attitude équilibrée. Cette restructuration des rapports de forces dans la région concentre la puissance entre les mains des deux géants nucléaires que sont les États-Unis et l'URSS. Le Proche-Orient devient ainsi un enjeu durable dans la lutte que mènent les principales puissances mondiales pour le contrôle de cette région stratégique et de ses richesses, et ce jusqu'à nos jours.

Nacim KAID-SLIMANE