« Dans le ventre d’une hyène » de Nega Mezlekia

Dans le ventre d'une hyèneC’est un vieil homme qui vous parle. Mais peut être mes cinquante-cinq ans ne sont pas la raison première de ma vieillesse. Un homme vieillit à la vitesse des évènements structurants qu’il subit et qui le transforment. En ce sens, peut-être qu’en 1983, à 25 ans, quand je quittai l’Ethiopie, j’étais déjà un vieillard.

Depuis, mon vieillissement s’est décéléré. Certains me rappelleront sûrement que l’obtention du prix du gouverneur général (le plus prestigieux des prix littéraires du Canada) pour mon livre Dans le ventre d’une hyène en 2000 a été structurant, et peut être plus encore les allégations de mon éditrice, qui se proclama la véritable auteure de l’ouvrage.

 

Oui, probablement, ces épisodes m’ont réconforté et blessé profondément. Mais comparés aux temps bénis et maudits de mon enfance, peu de choses peuvent prétendre m’avoir autant formé et déformé. En un sens, c’est peut-être l’écriture qui m’a sauvé. Une enfance à revivre et à me raconter à moi-même après que les plaies ont (en partie) cicatrisé. Une enfance à vous raconter aussi. Comme si l’acide de l’oubli était le pire qui puisse arriver aux témoins de temps troublés.

Je veux poser, et reposer enfin ceux qui ont été. Je veux dire ma mère, cette femme qui s’est battue jusqu’au bout pour protéger ses enfants, qui nous a chéri et qui s’est fait descendre par une salve de mitraillette, une nuit bien sombre sur la route de Jijiga. Je veux dire mon père, ce fonctionnaire austère et droit qui a été assassiné avec l’Empire. Je veux parler d’Henok, d’Almaz et de Meselu. Vous conter Hussain, le djiboutien à la dent d’or, Yetaferu, la sotte dévote, ou encore Yeneta, le prêtre intransigeant. Je veux faire revivre les ombres de mes amis et de mes tortionnaires, de mes maitres et de mes compagnons. Repeindre la fresque déchirée de la tragicomédie humaine.

Je veux vous emmener sur les chemins de mon enfance, du côté de Jijiga, la ville de poussière et d’encens qui m’a vu grandir. Harar la millénaire et les chemins ensablés de l’Ogaden vous attendent aussi. Avec bien sûr le capharnaüm d’Addis Abeba, les ruelles de Dire Dawa et la rude douceur du village de Kuni. Ces lieux sont des vases pleins de souvenirs. Je me rappelle avoir injecté de l’acide dans les fesses de la vache de l’instituteur, je me souviens de ma course effrénée, poursuivi par les hyènes. Je me rappelle les manifestations étudiantes et les groupes de réflexion marxistes.

Je me souviens de l’odeur qu’a la prison quand on y entre pour la première fois à quatorze ans. Cela réapparait, et tout le reste : les journées de commandos avec les maquisards somalis, les séances chez le sorcier pour me faire rentrer dans le droit chemin, la torture dans les geôles de Mengitsu, et les rafales d’obus qui rythmaient la fuite de notre colonne de civils vers Harar.

Par je ne sais quel miracle je suis toujours là, comme si les forces du hasard avaient décidé que je serai l’exception à leur règle
aveugle ou plutôt la confirmation qu’elles n’en ont pas. Il y a des jours où « je m’éveillais avec la triste certitude d’être de retour dans un lieu où les humains régnaient sur les chèvres ». Si j’ai bien appris quelque chose durant toutes ces années, c’est bien que « l’animal humain est la seule bête à craindre dans la nature ». Avec l’hyène de la politique peut être. Il ne faut pas croire qu’elle est loin. Ce n’est souvent qu’un mirage. En réalité elle reste toujours proche, même si parfois bien cachée.

C’est la politique qui décide de faire vivre ou mourir les hommes. Ma jeunesse ayant été celle d’un désenchantement viscéral vis-à-vis du pouvoir, je me sens la responsabilité de comprendre et d’expliquer les entrelacements complexes des politiques dans la corne de l’Afrique. Je ne reviendrais ni sur le rôle de la guerre froide, ni sur les effets des famines, ni sur les concurrences des révolutionnaires ou les irrédentismes voisins puisque je parle de tout cela dans mon livre. Mais que dire d’un régime ou les familles «devaient verser 25 birrs pour les balles avancées par la junte pour l’exécution de leurs proche, après quoi on les autorisait à récupérer les restes » ? Si j’ai vu la masse des injustices et des inégalités de l’Empire, si j’ai compris l’étendue de la superstition et l’ampleur de l’intransigeance des Eglises, si j’ai senti à quel point un Etat archaïque reposait pour subsister sur l’oppression et la violence, rien ne me préparait à l’arbitraire absolu et au déchainement paranoïaque de la faucheuse qui caractérisa le régime du Derg (junte militaire qui gouverna l’Ethiopie de 1974 à 1991).


Et pourtant, il ne faut pas assimiler un pays tout entier au régime qui le domine
. Si je ne peux m’empêcher d’être un chroniqueur amer de l’histoire de l’Ethiopie dans les années 70 et 80, j’en profite aussi pour vous en apprendre un peu plus sur les peuples et les coutumes de ce grand pays qui n’a eu de cesse d’émerveiller les hommes. Ne m’en voulez pas si je glisse au fil des pages quelques contes Amhariques ou légendes Oromos : c’est dans les entrailles de la fiction que les hommes sages ont déposé les plus grands trésors de l’esprit. Et puis il faut bien quelques histoires amusantes ou anecdotes croustillantes pour faire oublier l’aridité du désert et la folie des hommes, non ?

Nega Mezlekia

Mes amis, je suis Nega Mezlekia, celui dont le nom veut dire « celui qui va jusqu’au bout ». J’ai vécu la junte militaire, la guerre, l’exil et même l’empire. Pire, j’ai vécu la terreur rouge, la terreur blanche et la terre battue. J’ai été battu, torturé sans relâche et relâché sans zèle. J’ai vu les ailes des vautours qui tournoyaient autour des carcasses de mes amis et j’ai mis des jours à pleurer la multitude de mes ennuis. Mes amis, je suis Nega Mezlekia, celui dont le nom veut dire « celui qui va jusqu’au bout », et j’ai aussi écrit un livre. J’y raconte mon enfance, ma famille, et l’Ethiopie. J’y explique les germes de la dictature dans l’empire finissant et les germes de la famine dans l’absence de germes. J’y aie planté mes souvenirs, mes connaissances, et mon âme. A vous de lire et de juger. Voilà ce que je vous aurai sûrement dit si j’avais été celui que je prétends être. Mais je ne le suis pas. Ce qui ne m’empêche pas de vous inviter à essayer de comprendre, et, à vous aussi plonger, avec la confortable distance du lecteur, dans le ventre d’une hyène.

 

Dans le ventre d'une hyène

Nega Mezlekia

346 pages, octobre 2001, éditions Léméac-Actes Sud

Disponible à la vente ici et

Design en Afrique : s’asseoir, se coucher et rêver

Vendredi dernier je me suis rendue au Musée Dapper et j’ai pu bénéficier d’une visite guidée par Bonny Gadin, l’attaché culturel de ce musée parisien dédié à l’art noir africain, des caraïbes et de la diaspora. Quel plaisir !   Lorsque nous nous promenions parmi les chaises, les masques et tabourets de l’exposition Design en Afrique « S’asseoir, se coucher et rêver »  Bonny Gabin m’en a confié (presque) tous les secrets. Ce fut également un moment privilégié d’échange sur un art qui est encore trop méconnu par le grand public africain.

Voici quelques extraits de notre conversation.

S_asseoir_se_coucher_reverPouvez-vous expliquer aux lecteurs de Terangaweb, l’origine et les motivations de cette exposition sur le design en Afrique au Musée Dapper ?  

Christiane Falgayrettes-Leveau, directrice du musée Dapper est très intéressée par le design et elle possède une collection personnelle d’œuvres d’artistes africains. Durant ses nombreux voyages sur le continent elle a rencontré les designers séparément et leur a soumis son projet d’exposition au musée Dapper à  Paris. Les artistes y ont été réceptifs et enthousiastes et peu à peu le projet a pris forme.  

Quels sont les particularités et les atouts des designers Africains ?  

Le designer Africain comme tous les autres intègre plusieurs influences dans ses œuvres. Il admet, et l’histoire du design l’a toujours montré, une très grande porosité entre la culture occidentale et la sienne.  Sans doute, ce qui ferait sa différence est cette tendance qu’on retrouve chez un grand nombre de designers Africains à intégrer des artisans locaux dans leurs réalisations. Ces artisans, qu’ils soient forgerons ou tailleurs de quartiers populaires participent eux aussi à la matérialisation de la pensée du designer. En intégrant ces métiers, ce dernier réalise ainsi en plus de son art un véritable acte social. 

A quoi imputez-vous le manque de visibilité auprès du grand public des designers Africains ?  

La question ne se pose pas dans ce sens. En réalité, il existe malheureusement une profonde disparité entre les pays anglophones et francophones dans le domaine du design en Afrique et les anglophones sont devant. A titre d’exemple, tous les ans un salon du design en Afrique est organisé en Afrique du Sud et c’est un rendez-vous incontournables pour les designers africains anglophones. La langue mais aussi la culture constituent des barrières pour les francophones. Finalement, par manque d’opportunités et de moyens dans leurs régions les designers francophones sont très souvent obligés d’aller à l’étranger pour avoir de la visibilité et de l’exposition. On aurait également tort de négliger le manque d’implication des pouvoirs publics  dans de nombreux pays pour la promotion de l’art et du design en particulier. 

Pensez-vous que les plateformes digitales (-pixel Africain, African Digital Art- Design Africa-) sont une façon d’intéresser le public aux designers Africains de manière durable? 

De manière durable, non je ne le pense pas. Selon moi, il faut un lieu physique d’échange et de rencontre pour découvrir véritablement et comprendre le design. Il faut faire attention car ce genre de technologies peut rendre paresseux et faire oublier le contact réel avec les objets… Néanmoins ces plateformes permettent de créer un réseau entre les designers africains et de partager des informations pratiques.   Pourquoi ces objets ne se vendent-ils que très peu auprès des Africains ?   Plus qu’un problème de volonté il y a, à mon sens, un problème de pouvoir d’achat.  L’Africain moyen ne peut se permettre d’acheter des œuvres de designers, cela nécessite un certain niveau de vie et des revenus conséquents. Pour autant les designers ne peuvent pas non plus brader leurs prix car ils constituent leur gagne-pain. On se retrouve donc face à un dilemme qui n’est solvable que par le développement du continent et de meilleures politiques publiques en faveur de l’art et de la culture. 

Design en Afrique « S’asseoir, se coucher et rêver » est une exposition du Musée Dapper qui se tient du 10 octobre au 14 juillet au Musée Dapper. Je la recommande sincèrement.

 

S'asseoir_se_coucher_rever

« Design en Afrique, l’exposition et l’ouvrage ne vise nullement la confrontation de l’ancien et du nouveau mais essaie de montrer que les besoins du quotidien stimulent depuis toujours l’inventivité. L’art du design ouvert à des pratiques – telles que l’assemblage- fréquemment mises en œuvre dans  d’autres formes d’expression plastique, favorise ainsi l’émergence d’esthétiques nouvelles qui entretiennent souvent un dialogue original avec les cultures traditionnelles. » Christiane Falgayrettes-Leveaudans

Design en Afrique « S’asseoir, se coucher et rêver » par Christiane Falgayrettes-Leveau, Viviane Baeke, Christiane Owusu-Sarpong, Rahim Danto Barry, Joëlle Busca, Musée Dapper, 2012 

Site web du Musée Dapper: http://www.dapper.fr/  

Fiche du livre  consacré à l’exposition

La bataille des beaux-fils en pays Kabyè

 

Beau-filsCurieuse manière que de transformer des funérailles en compétition. Ça vous étonne ? Moi aussi j’ai été surprise de découvrir qu’en pays Kabyè, les funérailles de la belle-mère sont une occasion de compétitions entre les beaux-fils.Le manège semble anodin. Regroupé autour de joueurs d’instruments locaux, un groupe de personnes courent vers la maison mortuaire, chantent, dansent et surtout arborent fièrement des présents. A la tête un homme, ou plutôt un beau-fils saupoudré de talc. Il vient ainsi, accompagné des membres de son clan, rendre un dernier hommage à sa belle-mère. Quoi de plus normal, diriez-vous. Mais le spectacle devient intéressant quand la défunte a plusieurs beaux-fils. Alors la maison mortuaire se transforme en un champ de bataille où a lieu une compétition de So, une danse traditionnelle Kabyè.  

 

Les funérailles en pays Kabyè sont une occasion idéale pour rendre hommage à la belle-mère. Pendant ces festivités, qui ont souvent lieu en février, les beaux-fils et belles filles viennent rendre un dernier témoignage à leur belle-mère. Ce, à travers chants et danses. Si les hommes viennent danser dans la belle famille accompagnés de présents, les belles filles quand à elles se livrent à un jeu bien curieux : Imiter la défunte à travers des mimiques. Et c’est souvent la belle-fille préférée (souvent proche de la défunte) qui gagne ce pari.  

 

 

Une fierté populaire 

Ces jeux, quoique insignifiants (pourquoi  insignifiants ?) et relevant du folklore, sont devenus une tradition dans la culture kabyè. Pour les beaux-fils et belles-filles, qui se prêtent au jeu avec fierté, c’est un véritable honneur de se retrouver associés aux funérailles de leur belle-mère. Ainsi, à chaque fois que l’occasion leur est donnée, ils s’y adonnent à cœur joie, chacun mettant du sien pour épater la garnison. Une institution au point où une fille dont le mari n’honore pas la belle-mère est implicitement déshonorée et n’est plus respectée par sa famille.  

 

Rappelons que février est le mois de funérailles en pays Kabyè. C’est la période où activités champêtres et moissons sont finies. Alors, si vous avez épousé ou si vous envisagez épouser une fille Kabyè, préparez-vous. La belle-mère est sera au centre de votre univers…   

* Peuple situé dans la région de la Kara à près de 400 km de la capitale togolaise   –   

Histoire de la langue malagasy

Mon intention est de donner un minimum de ce qu’il faut savoir de la langue malagasy actuelle à l’intention du plus grand nombre plutôt que des spécialistes. Force est de constater que la plupart des locuteurs de cette belle langue ignorent son histoire, c’est-à-dire sa formation et son évolution.

Le terme malagasy
Au départ, l’adjectif dérivé du nom de pays Madagascar était madécasse. Ce terme, utilisé pour la première fois par les tribus du Sud de la Grande l’Ile s’est transformé en malagasy, parce que dans cette partie du pays, souvent le son ‘de’ se transforme en ‘le’ ou ‘la’. Les Français arrivés à la fin du XIXe siècle comme colonisateurs ont francisé le mot malagasy, devenu ainsi malgache ! Entre l’adjectif madécasse-malagasy et la francisation «malgache», le rapport (linguistique) n’est pas évident. D’aucuns pensent que «malgache» a été forgé à dessein, peut-être pour donner une connotation péjorative au mot ; «malagasse» conviendrait mieux et serait moins suspect.

Langue et dialectes
Il y a 18 dialectes à Madagascar, un chiffre correspondant au nombre des tribus malagasy. Evidemment, je fais une simplification. Il y a peut-être plus de dialectes que de tribus car dans certaines régions, plusieurs clans font partie d’une même tribu et parlent leurs dialectes. Et toutes les tribus forment une seule ethnie, au sens premier du terme, l’ethnie malagasy. Ces dialectes ont, par définition, un substrat commun mais aussi des traits caractéristiques les distinguant les uns des autres. En termes plus simples, les dialectes malagasy sont des variantes d’une même langue. Elles varient dans l’espace et aussi dans le temps.
Le substrat vient du Pacifique, et fait partie des langues austronésiennes parlées aussi en Asie du Sud-Est. Il a été enrichi, entre autres, par des mots bantus et swahili, mais aussi plus tard des mots anglais et français. Par ailleurs, je suis tenté de trouver des traces sémitiques dans la langue malagasy. Car la structure des mots, par exemple les substantifs par leurs suffixes qui souvent désignent le possessif, fait penser aux substantifs dans la langue hébraïque.

La langue malagasy actuelle
Il y a deux thèses populaires qu’il faut considérer avec prudence. La première développe l’idée de l’existence de plusieurs langues, plutôt que des dialectes, à Madagascar. Or nous savons qu’un Malagasy de l’extrême sud de l’Ile qui va à l’extrême nord, c’est-à-dire à 1600 km de chez lui, parlera correctement le dialecte du nord en quelques semaines. Les difficultés qu’il rencontrera se situent essentiellement au niveau du vocabulaire et de la prononciation. Un exemple peut appuyer cette idée : un texte traduit par les missionnaires lazaristes au XVIIe siècle dans le dialecte Mahafaly, une tribu du sud, aux environs de Tolagnaro actuel, est intelligible aujourd’hui aux autres tribus de l’Ile. Il avait la substance de la langue malagasy commune. La deuxième thèse affirme que le dialecte merina, de l’une des tribus du centre, est devenu la langue officielle de Madagascar. Cette thèse ressemble à une simplification de la formation d’une langue officielle. Certains l’adoptent sans doute par manque d’information.

Le processus de la formation de la langue officielle malagasy suit les mêmes règles qu’ailleurs. Deux exemples suffisent pour l’expliquer. Nous savons que la France a plusieurs langues –plutôt que des dialectes. Le breton est une langue celtique que ses locuteurs partagent en partie avec les Gallois et les Ecossais. Nous pouvons également citer le catalan qui a des affinités avec les langues d’origines latines, l’occitan et bien d’autres langues. Il fallait attendre la Renaissance et surtout la Réforme du XVIe siècle pour que le français devienne la langue officielle et ce, grâce en grande partie à la traduction de la Bible dans cette langue. La traduction de la Bible en français est donc un facteur unificateur car à côté de leurs langues maternelles, les Français parlaient la langue officielle. Nous considérons ainsi le XVIe siècle comme le siècle de l’envol de la littérature française avec comme acteurs principaux Rabelais, Du Bellay, Ronsard, Marot (le protestant), Théodore de Bèze (l’assistant du Réformateur Jean Calvin) et bien d’autres. L’Allemagne a connu le même processus bien avant la France. Grâce à la traduction d’abord du Nouveau Testament par le Réformateur Martin Luther et plus tard de toute la Bible, ce grand pays au départ hétérogène a une langue commune, l’allemand. 

Le cheminement de la langue malagasy
Nous partons donc de l’idée qu’il y a plusieurs dialectes à Madagascar. Ils ont les mêmes origines et gardent le même substrat. Ils se sont progressivement enrichis des mots étrangers, mais souvent pas de la même manière, puisque les dialectes varient, comme nous l’avons dit, dans le temps et dans l’espace. Quand les missionnaires de la London Missionary Society sont arrivés sur la côte est, dans la ville de Toamasina actuelle, la plus grande ville de la région Betsimisaraka en août 1818, ils ont décidé d’aller plus à l’intérieur de la Grande Ile pour arriver à Antananarivo, la plus grande ville de la région Merina certainement pour des raisons stratégiques. Antananarivo était en effet la capitale du Royaume de Madagascar –mais certains royaume n’étaient pas encore acquis à l’unification par le roi Radama I. Pour eux, il fallait y commencer l’œuvre missionnaire.

Ces missionnaires ont entrepris la traduction de toute la Bible en malagasy. En juin 1835, les Malagasy avaient la Bible dans leur langue. Il est évident que le malagasy de la Bible est très proche du dialecte merina par le vocabulaire, les phonèmes, la prononciation et les idiomes, les traducteurs côtoyant quotidiennement les Merina au milieu desquels ils vivaient. Ils étaient aussi proches de la famille royale soucieuse de la sauvegarde et du développement des us et coutumes, et surtout de la langue. C’est d’ailleurs à cette époque que l’Etat a adopté l’alphabet latin au détriment du Sorabe, l’écriture arabe ! Nous pouvons bien imaginer que des mots (et leur graphie) et des concepts ont été inventés, comme au temps de Luther qui traduisait le Nouveau Testament et des réformateurs français qui traduisaient toute la Bible. Comme en Allemagne et en France au XVIe siècle, la littérature malagasy dans sa forme moderne est née grâce en grande partie à la traduction de la Bible. Elle s’est développée et s’est enrichie de nouveaux concepts et de nouveaux mots empruntés ou tout simplement forgés. Actuellement elle est capable de dire l’essentiel.

Un autre cheminement
Nous pourrions imaginer un autre scenario quant au développement de la langue malagasy. Les missionnaires de la LMS auraient pu rester à Toamasina –du nom d’un missionnaire Thomas Bevan, en région Betsimisaraka ! Ils auraient alors traduit la Bible dans un malagasy très proche du dialecte Betsimisaraka, notamment en vocabulaire et en prononciation. Les autres tribus pourraient alors comprendre ce malagasy avec un petit effort de leur part. Le malagasy officiel serait légèrement différent de ce qu’il est actuellement.

Le malagasy de l’avenir
Comme toutes les langues, le malagasy se forme et se forge tout au long de l’histoire. Certes, elle est riche dans certains domaines comme dans les relations humaines, mais elle doit se laisser enrichir par l’apport des dialectes qui ont des termes précis, mais aussi des sons, des diphtongues et des idiomes que la malagasy officiel n’a pas. Les locuteurs de la langue malagasy, actuellement au nombre de 19 à 20 millions, et les éducateurs en particuliers, doivent accepter la dialectique entre le malagasy officiel et le dialecte, entre le développement de cette langue qui unit tous les Malagasy, et la sauvegarde des dialectes qui expriment la diversité dans cette unité. 

 

Solomon Andria