Un homme heureux

Ce sourire qu’ont les hommes

Lorsqu’au cœur du défi

Ils se tuent sans vergogne

Comme on dirait la vie, Gérard Lenorman

Dites-moi que sous le soleil blanc d’El Obeïd, en avril, une file de jeunes enfants frêles au regard vide avance lentement vers la lame exciseuse, la lame mouillée, la lame rouillée. La chair est triste, hélas ! et je suis un homme heureux.

Dites-moi qu’il y avait, à Gbarnga comme à Lungi, des tailleurs d’homme comme on fait des tailleurs de pierre et de diamant – des mains d’homme s’amoncellent comme des pelletées de latérite – et je suis un homme heureux. « Que de sang dans ma mémoire » et je suis un homme heureux.

Montrez-moi, allez ! vite ! Maintenant ! MONTREZ-MOI Hans Scholl qu’on traîne, j’entends les pas des soldats, la corde qui s’en balance, Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé. Je vais mourir ! Et je suis un homme heureux !

C’est un animal étrange que celui-là, qui se traîne et que surveille le vautour. Qu’importe la mort de Carter. C’est un contraste magnifique – mendiante et orgueilleux. Et Je suis homme heureux.

Un cri s’élève. C’est l'après-midi. À l’ombre reposante des flamboyants, des chiens sont endormis. Mais un cri d’homme s’est élevé. Les animaux n’ont pas bougé. L’habitude, cette garce. La place centrale est bondée. C’est un sacrifice ! Nos dieux ne se désaltèrent plus de sang de volaille. Un cri s’est abattu sur la foule qui le porte en elle maintenant. C’est un homme qui s’est évanoui, qu’on éveille qu’on égorge. Il était gendarme. Il était Ivoirien. Ses « compatriotes » sont venus observer la messe païenne. Il y a des rires dans la foule. Quelques regards qui se détournent. La mort comme le soleil ne se laissent pas regarder facilement. Les vidéos se vendent aux coins des rues d’Abidjan. Et je suis un homme heureux.

Voici que meure l’Afrique des ans pires ! C’est un village ordinaire tellement triste et calme que la nuit on y entendait les chats bâiller. Ils l’ont incendié, une nuit. Comme ça. Et personne n’est intervenu. Ni dieu, ni idole, ni casque bleu, ni béret vert. C’était la terre maternelle. Je suis un homme heureux.

Il y a quelque chose de pourri en terre d’Éburnie. Pourtant ce pays est le mien. Malgré tout. Malgré moi. Je le porte comme on porte la marque de Caïn, un viatique, une onction. Il me suit et m’obsède. Dans mes insomnies, mes colères, à la plage, rue St-g. Il me suit « tel le flic le voyou », comme on traîne avec soi la peur du vide, la peur du noir, la peur du Blanc. Il m’agace. C’est le mien. Il me tue.

La dernière fois que j’ai été « jeune », j’avais douze ans, mon pays entrait en guerre. Depuis, je réserve mes larmes à ceux que j’exècre. Et j’essaie d’être un homme. Heureux.

Joël Té-Léssia

On veut des légendes !

“My greatest hero is Nelson Mandela……incarcerated for 25 years, he was released in 1990, he’s been out about 18 years now……and he hasn’t reoffended. Prison works!”
Ricky Gervais


J’ai horreur des sanctifications comme des exécutions publiques. Gandhi fut tour à tour, un anglophile monomaniaque, obsédé par la Couronne, qui méprisait les Noirs et souhaitait s’engager dans les armées de Sa Majesté, puis un « Sage » admiré par tous, en même temps qu’un lâche effroyable qui laissa sa femme mourir sans soins et enfin, un vieillard impuissant et libidineux qui s’endormait entouré de fillettes de treize ans. Martin Luther King trompait sa femme, allait au boxon, plagia des pans entiers de sa thèse de doctorat et de longs morceaux de son « I Have a Dream ». Jésus habitait chez ses parents, aima une pute et éprouvait des sentiments ambigus envers un de ses disciples. Le Général de Gaulle se prenait pour La France et sortait des phrases comme « Les Arabes, ce n’est rien. Jamais on n’a vu des Arabes construire des routes, des barrages, des usines» ou « Ce sont d’habiles politiques. Ils sont habiles comme des mendiants » ou encore « Je n’aime pas les youpins. » Mahomet épousa une fille de six ans puis coucha avec quand elle en eut neuf – autant surveiller la marchandise, soi-même, « dans ces pays-là ».

Ces travers personnels n’enlèvent pas toute leur puissance aux bouleversements plus ou moins positifs, que ces figures ont occasionnés dans l’histoire des hommes, mais suffisent, amplement, à ce qu’on nous épargne les « comme disait Gandhi » et autres prêts-à-penser du même genre.

La nouvelle idole qu’on essaie de nous imposer est : Nelson Mandela !

Ah, ils auront tout essayé : timbre-poste, statue ; bio-auto-bio-bio-romancée-essai-biographique-recueil-de-citations-recueil-de-citations-authentifiées ; t-shirt, pin’s, casquettes, chemises ; décorations, prix Nobel-et-non-Nobel, Doctorat Honoris Causa, pièces-de-théâtre-films-documentaires-BD ;  écoles-musées-aéroports-baptisés en son nom,. Tout ! J’avais proposé les préservatifs Mandela « pour garder le goût de la liberté ». Personne n’en a voulu !

 Il y a aujourd’hui une véritable industrie Mandela, qui supervise l’utilisation de la marque, porte plainte, récupère des dommages et intérêts, interdit à Charlize Théron de vendre un baiser pour la Fondation, qui négocie les apparitions de la diva, signe les contrats d’édition, relit les scenarii. Mandela lui-même pourrait mourir demain, que ça ne changerait plus grand-chose – ça pourrait même booster la marque !

On nous vend un Mandela sans aspérités. Il n’a jamais rien fait de mal. On travestit son histoire personnelle au point d’omettre qu’avant d’être le vieillard souriant, au pardon œcuménique qu’on nous présente, il a aidé à la formation de la branche armée de l’ANC. Qu’il a pris les armes et que c’est justement pour ça que sa vie est passionnante. On veut nous faire aimer Mandela pour les mauvaises raisons. On a fait de ce politicien doué, calculateur et tenace, une espèce de momie fade, mal fagotée, un distributeur de sagesse ancestrale. Un sage, en un mot – c'est-à-dire un vieux con. Le plus étrange,  c’est que je crois qu’il en joue et qu’il n’est pas dupe. Le monde a besoin de légendes. Il se prête au jeu. Que faire d’autre ?  

Ce qui fait la vie d’un homme ? C’est à peine une façon de dire « non ». Les refus de Mandela ont eu une dureté, une force, une beauté, hors du commun ! C’est en homme apaisé qu’il est sorti de prison, comme on dit d’un volcan qu’il est endormi mais pas éteint! Sa capacité d’indignation était intacte, formidable, en veille. Qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui ? Un Christ Bantou…

Demain, le monde célébrera les 93 ans de « Madiba ». Tout bien compris, mieux vaut ça que les 86 ans de la publication de Mein Kampf…

Joël Té-Léssia

 

Autopsie d’asticots

Se pare qui voudra des noms de ses aïeux :
Moi, je ne veux porter que moi-même en tous lieux ;
Je ne veux rien devoir à ceux qui m'ont fait naître,
(…)
Ma valeur est ma race, et mon bras est mon père
Pierre Corneille, Don Sanche d’Aragon, Acte I, Scène III

Il y a une obsession des racines comme il y en a une de la pureté, qui est une maladie infantile, la seule peut-être que je n’aurai jamais eu. J’ai déclenché, une fois, un mini-cataclysme sur Facebook en contestant ironiquement, me basant sur Desproges, le fait que les Nantais fussent Bretons. Je n’avais rien contre Nantes, ni contre les Bretons, mais je trouvais simplement risible et lamentable cette espèce de quête, de fièvre identitaire ambiante. Tout le monde veut être Breton ou Corse ou Alsacien, Tout le monde veut retrouver son patronyme Juif abandonné durant l’occupation par des grands-parents plus soucieux de leur survie que de s’appeler Lévy ou Blumenthal. Tout le monde veut être quelqu’un d’autre, rattaché à quelque chose qui le dépasse et sublime l’identité qu’il pense avoir déficitaire.

Personne n’a envie d’assumer seul ses soixante-dix kilos d’eau et d’os. On a besoin d’un grand-père qui a fait ou fui la guerre, on a besoin de faire partie d’une minorité, coûte que coûte. Alors on cherche par tous les moyens de trouver ce qui peut nous rattacher à un autre groupe, supérieur à soi-même mais suffisamment restreint pour ne pas que l’identité acquise se dilue. Et ce n’est pas là le constat de quelqu’un qui « renie » son arbre généalogique. Je suis simplement indifférent à tout ce folklore. Je me fiche de savoir si mon sang vient de Tolède ou de Tombouctou. Que mes ancêtres aient lâchement abandonné le champ de bataille ou se soient fait attachés à leur monture pour ne le quitter que mort ou victorieux m’indiffère au plus haut point. Que mon trisaïeul ait vendu des esclaves ou vu son frère emporté vers l’Amérique ne m’intéresse pas.

Que d’aucuns perdent leur temps à ces gamineries qui constituent, en elles-mêmes, un aveu de faiblesse, me sidère. On est toujours le fils d’un lâche, c'est-à-dire d’un homme qui refusa qu’avec sa mort sa race ne s’éteigne. Toute recherche généalogique est autopsie d’asticots.

 

Joël Té Lessia
 

Qui sauvera le Ghana de son pétrole?

La découverte en 2007 de riches nappes pétrolières au large des côtes ghanéennes a fait naître simultanément une formidable vague d’espoir dans ce pays et de profondes inquiétudes quant à l’impact que ces ressources pourraient avoir sur le tissu social et politique national et sous régional. Le fait est que dans cette démocratie fortement polarisée et dominée par l’exécutif, le spectre des coups d’états militaires passés n’est pas loin. Les expériences calamiteuses du Nigéria, du Tchad ou de la Sierra Leone sont là qui font craindre une nouvelle malédiction de l’abondance en ressources naturelles. La question est posée : le Ghana sera-t-il un autre Nigéria ou le Botswana de l’Afrique Occidentale ?
 
Selon le FMI, la production du site pétrolier du « Cape Three Points » (rebaptisé pompeusement « Jubilee ») devrait atteindre très rapidement 100.000 barils par jour et rapporter à l’état ghanéen 20 milliards de dollars sur la période 2012-2030. Ransford Edward Van Gyampo, un universitaire Ghanéen, dans « Saving Ghana from Its Oil: A Critical Assessment of Preparations, so Far Made » paru dans le dernier numéro de la revue « Africa Today » (Juin 2011), expose la façon dont ce pays se prépare à la gestion de sa future manne pétrolière, et les conclusions qu’il en tire sont alarmantes.
Les canaux par lesquels la découverte et l’exploitation de ressources naturelles inespérées peuvent nuire à la stabilité politique d’un pays sont les suivants :
  • ·         Ces ressources peuvent permettre à un pouvoir dominateur ou autoritaire d’ « acheter » le soutien populaire et de faire taire les dissidents
  • ·         L’avantage prodigieux qu’elles accordent au parti au pouvoir (liberté fiscale et budgétaire) peut l’inciter à le conserver par tous les moyens, quitte à marginaliser et réprimer l’opposition
  • ·         L’appât du gain peut générer un conflit armé et mener à la mise en place d’une dictature militaire.
Contrer ces effets négatifs exige l’établissement d’une véritable politique énergétique nationale, qui soit conforme aux normes et bonnes pratiques internationales en matière de gouvernance, de régulation et d’indépendance. Les gouvernements ghanéens depuis 2007 ne semblent pas prêts à le faire.
 
Un forum organisé en Février 2008 censé servir de base à la construction d’une telle politique a été l’occasion d’une marginalisation de l’opposition (alors le New Democratic Party) et des organisations de la société civile par le régime en place (celui du New Patriotic Party de John Kufuor). Plus grave encore, les projets de loi devant instaurer cette politique ont été élaborés, essentiellement, par le cabinet du Président, rendant impossible toute solution de continuité en cas d’alternance. Lorsque celle-ci survint en 2008, le gouvernement de John Atta Mills (NDP) se trouva face à dilemme de l’adoption d’une politique énergétique à la construction de laquelle il n’avait pas été associé ou à la redéfinition totale de celle-ci, à quelques mois à peine du début de l’exploitation pétrolière.
 
Ces projets ne sont toujours pas adoptés. Le nouveau gouvernement a initialement  prévu de reformuler complètement sa politique énergétique (gaz, pétrole, etc.) et d’instaurer un régulateur indépendant chargé de superviser ces entrées nouvelles. Des pressions internes au parti l’ont conduit à repousser, sine die, la création de cet organe. La production du « Jubilee » a débuté en décembre 2010, sans que la politique énergétique ni le cadre légal et réglementaire censés en assurer l’encadrement ne soient mis en place. Un autre projet du gouvernement était de modifier l’objectif global de la politique, qui sous l’ancien gouvernement était celui, assez basique et statique, de faire du Ghana un exportateur net de pétrole. L’idée était d’inclure l’obligation d’autochtonisation des connaissances, du savoir-faire et de l’expertise nécessaires à la production pétrolière. Ce projet est jusqu’à présent en stand-by.
 
Parmi les autres écueils l’auteur identifie la faiblesse du parlement, miné par les oppositions partisanes et le manque de moyens logistiques qui renforce la concentration de la planification et de la prise de décision au sein du pouvoir exécutif. Ce dernier est de plus, le seul à attribuer les licences d’exploitation. La société civile est tenue à distance. Sous le gouvernement précédent, comme sous celui de Mills, seule une poignée d’ONG ont été conviées aux travaux préparatoires. L’opposition n’y étant même pas représentée.
 
L’insistance d’investisseurs chinois à financer l’acquisition par le gouvernement de nouvelles actions au sein du la société d’exploitation du site – qui explique la reluctance de la société Kosmos à les céder – inquiète autant les organismes internationaux (Banque Mondiale, FMI) que la société civile qui – et c’est exceptionnel au Ghana – à applaudit les conditions imposées par la Banque mondiale au prêt accordé en 2009 au gouvernement Mills et dont le versement de la seconde tranche a été bloqué du fait de la lenteur des procédures législatives (adoption de la politique budgétaire).
 
Les atermoiements et revirements du pouvoir exécutif ghanéen, le silence du parlement, l’inexistence du parlement, le manque de transparence et l’opacité dans lesquels la politique énergétique du pays est mise en place font craindre une évolution nigériane de l’exploitation pétrolière au Ghana. Ce qui pourrait porter un coup décisif à ce qui constitue la meilleure expérience démocratique des deux dernières décennies en Afrique occidentale.
 
Joël Té Léssia