L’impossible indépendance des médias africains ? Le cas du Congo-Brazzaville

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Le Congo-Brazzaville est un pays emblématique de la fragilité des médias en Afrique Centrale. Depuis les années 1990 et le passage du pays au pluralisme politique après sa conférence souveraine, les médias sont eux aussi officiellement pluriels. Mais les difficultés structurelles qu’ils connaissent empêchent en pratique une réelle diversité et révèlent les limites de l’indépendance des journalistes vis-à-vis des responsables politiques dans un pays où les pouvoirs sont concentrés entre les mains de quelques-uns.

Un seul quotidien

Dans la presse écrite, les difficultés rencontrées quotidiennement par les journaux se démontrent par l’absurde. Il n’existe qu’un et unique quotidien au Congo, et il est entièrement acquis à la cause du président Denis Sassou Nguesso. Il s’agît des Dépêches de Brazzaville, nées en 1998 d’abord sous forme d’un mensuel en quadrichromie, puis transformées en hebdomadaire en 2004 puis quotidien en 2007. Le journal a été créé par Jean-Paul Pigasse, conseiller en communication du président congolais. Il est l’un des seuls à disposer d’une rédaction informatisée, pleinement organisée et d‘une imprimerie. Subventionné, lui seul peut offrir un contenu relativement accessible (200 FCFA) quand les autres journaux coûtent au minimum le double et ne reçoivent aucune aide de l’État.

Pour les autres titres, à l’instar d’autres journaux en Afrique et ailleurs, leur faiblesse originelle provient avant tout de leur extrême vulnérabilité économique. Dans la presse écrite, les intrants sont chers, particulièrement le papier, acheté en République démocratique du Congo, le pays voisin, et les coûts d’imprimerie élevés. À l’exception de deux journaux installés, les Dépêches de Brazzaville et le bi-hebdomadaire La Semaine Africaine, les autres (La Rue meurt, Tam-Tam d’Afrique…) paraissent extrêmement irrégulièrement, en fonction des aléas de leur situation économique tourmentée. Les journalistes y sont peu voire pas payés. Certes il existe officiellement une convention collective qui fixe un salaire minimum à 90 000 FCFA (137 euros) mais celle-ci est très rarement respectée.

Cette vulnérabilité économique a une influence directe sur les contenus. Elle explique en partie la confusion qui règne dans bien des titres entre articles de presse et publi-reportages qui figurent dans de nombreux médias sans être présentés en tant que tels. Les journaux étant trop fragiles, la publicité insuffisante et les ventes faibles (les tirages dépassent rarement 2 000 exemplaires), les journalistes sous-payés acceptent les pratiques appelées “camorra”, (coupage chez le voisin de RDC) : la retranscription d’un communiqué et d’un simple compte-rendu moyennant financement. La prime revient alors à celui qui a les moyens.

Les liaisons dangereuses entre politique et médias

De cette vulnérabilité économique découlent les autres difficultés, et notamment les liaisons dangereuses entre journalisme et politique. “Au Congo, la majorité des médias d’information sont les instruments de stratégies individuelles de conquête ou de conservation du pouvoir”, écrit la chercheuse Marie-Soleil Frère. Tandis que les médias publics relaient la parole officielle, les médias privés sont souvent la propriété de personnalités qui jouent un rôle direct dans le jeu politique congolais. Ainsi la chaîne de télévision DRTV appartient à un haut gradé congolais et proche du pouvoir, le général Nobert Dabira, MN TV à Maurice Nguesso le frère aîné du président, Top Tv à Claudia sa fille, et les journaux indépendants sont souvent de près ou de loin rattachés à tels ou tels partis ou responsables politiques… “De la même manière que le secteur devient plus dynamique, le volume de la propagande pro-gouvernementale augmente aussi dans les colonnes des journaux et sur les ondes. Une sorte de culte de la personnalité a trouvé racines partout dans les médias, affectant la crédibilité et le respect du public”, pouvait-on lire il y a quelques mois dans le baromètre des médias congolais, réalisé par la Fondation Friedrich Ebert en concertation avec des professionnels du pays.

Ce contexte de surpolitisation et d’individualisation des médias a plusieurs effets pervers. Il conduit certains journaux indépendants à se transformer en lieu des règlements de compte au sein du cénacle politique, relayant les rumeurs sur tels ou tels ministres, et privilégiant l’anathème à l’analyse à froid. Il empêche aussi une structuration de la profession, et la mise en place d’une solidarité professionnelle, pourtant indispensable dans les périodes les plus sensibles comme à l’approche d’échéances électorales. Cette coordination est d’autant plus importante, que la profession souffre, de l’avis des « anciens », d’un profond déficit de formation, dans un pays où les guerres civiles ont considérablement abimé le système éducatif.

Autre obstacle à l’indépendance de la presse, et il n’est pas anodin, les intimidations, qui interviennent notamment quand la situation politique se tend. C’est le cas ces dernières semaines avec le débat en cours sur la modification de la constitution, qui permettrait au président Sassou de briguer un troisième mandat. Deux journalistes ont récemment été expulsés : Sadio Kanté Morel (journaliste indépendante), le 22 septembre, et le Camerounais Elie Smith (MN TV) le 26 septembre ; ce dernier avait auparavant été agressé physiquement deux jours après avoir couvert un meeting de l’opposition.

En plus de ces violences directes, l’indépendance médiatique est de l’avis de nombreux journalistes limitée avant tout par l’autocensure. Dans un contexte de grande fragilité, pourquoi prendre le risque de se fâcher avec d’éventuels financeurs ou de voir menacer l’existence même de son titre. Même des journaux historiques, fiables et de référence comme La Semaine Africaine, bi-hebdomadaire né en 1954, adossé à l’Eglise catholique et à la conférence épiscopale, négocierait selon un rapport de l’Institut Panos, “une neutralité relative” en soutenant ponctuellement le régime pour éviter les ennuis, et assurer son existence. Mais dans un système politique ultra-pyramidal, comment échapper à cette tentation ?

Des esquisses de solutions ?

Devant un tel paysage, difficile d’entrevoir ne serait-ce qu’une esquisse de solutions. Au moins pourra-t-on citer des initiatives intéressantes qui tentent d’apporter chacune à leur manière une réponse à cette difficile équation.

Le manque de moyen inviterait d’abord à se tourner vers les bailleurs internationaux, ce qui nécessite là encore une coordination des acteurs pour proposer des projets consensuels et utiles, avec une dimension de formation dans la durée. Solliciter les bailleurs, dont les plus à l’écoute seraient sans doute les États-Unis ou l’Union européenne, notamment en période électorale. En RDC voisine, et dans un tout autre contexte, la Radio Okapi, avec les fonds de l’ONU, a prouvé qu’avec un budget conséquent (plusieurs millions de dollars) une antenne pouvait proposer une information indépendante et de qualité. Mais ce type d’aide a ses limites : que se passe-t-il quand le bailleur se retire ? Avec une difficulté supplémentaire pour le Congo-Brazza, pays stable et potentiellement riche : comment accéder à de tels financements, en général prioritairement adressés à des pays “plus en crise” ?

Soulignons aussi l’opportunité que peut représenter le numérique dans un pays où un entrepreneur, Vérone Mankou, revendique la création de la première tablette tactile africaine. Si le numérique est sans doute trop souvent présenté comme un totem qui résoudrait tous les problèmes, il présente au moins les avantages de faire baisser les coûts, très handicapants (mais pas d’augmenter les recettes…), et de favoriser une diffusion potentiellement plus grande. Au Congo, sur les réseaux sociaux, on constate, l’émergence d’une petite minorité brazzavilloise bruyante, qui relaie rapidement les informations, notamment auprès de la diaspora connectée, et pourrait jouer ce rôle de vigie, sans qu’il soit très facile d'évaluer son influence dans un pays où l’accès à Internet et l’utilisation des réseaux sociaux restent cantonnés à une élite.

Autre enjeu, échapper au champ du politique. Dans un système pyramidal, trouver sa place et son indépendance consiste peut être à quitter le seul domaine de l’information politique d’autant plus limité, que le débat politique congolais a perdu de sa crédibilité. Et de s’intéresser plutôt aux enjeux économiques et sociaux qui traversent la société congolaise.  Parmi les initiatives intéressantes, on peut citer le travail de l’association Syfia (http://syfia.over-blog.com), soutenue par l’Union Européenne, qui avec une équipe de journalistes travaille avec acharnement sur les questions des droits humains au Congo. Syfia joue le rôle d’une mini agence de presse et propose aux médias ses reportages sur les difficultés quotidiennes des citoyens souvent liées à des problématiques essentielles : la relation entre Bantous et populations autochtones (pygmées) par exemple, la place de la femme dans l’économie et la société ou la protection de l’environnement. En sortant à nouveau du champ politique proprement dit, tout récemment, on a vu aussi apparaître sur le net le portail "pureplayer" Ifrikiamag http://www.ifrikiamag.com, qui propose un contenu sociétal et culturel inventif et plein d’humour pour décrypter les clichés ou les travers de la société congolaise, et présenter quelques-uns des acteurs culturels du pays. Même des médias proches du giron présidentiel, quand ils diversifient leurs programmes et mettent l’accent sur des reportages et des sujets de société, se rapprochent des préoccupations et des attentes du public : on pourra citer ici le nouveau bi-mensuel Terrafrica ou la chaîne de télévision privée Equateur Service Télévision.

Certains regretteront peut être que les médias ainsi imaginés s’éloignent du débat politique en tant que tel en privilégiant la société et la culture. Mais ces dernières années, c’est surtout grâce aux artistes et à la vitalité de la scène culturelle congolaise (le dramaturge Dieudonné Niangouna, le danseur DelaVallet Bidiefono, les plasticiens Bill Kouélany et Gastineau Massamba…) qu’auront été disséqués les drames de l’histoire récente du Congo, et bien peu malheureusement grâce aux médias.

Les agences de presse en Afrique: entretien avec le journaliste Ibrahima Bakhoum

sud_Ibrahima-Bakhoum Le défi de la production et du contrôle de l’information sur l’Afrique a très tôt été un enjeu pour les jeunes Etats du Continent. Une vingtaine d’années après la vague des indépendances, ces pays décidaient de mettre sur pied une agence panafricaine de presse pour ne plus seulement consommer l’information venue d’ailleurs. Cependant l’expérience a tourné court.
C’est de cet échec et d’autres aspects historiques dont nous parle le journaliste sénégalais Ibrahima Bakhoum dans cet entretien. Un éclairage bienvenu au vue de l’actualité, la crise au Mali notamment, qui a vu les Africains se contenter, une fois encore, de reprendre la production des médias occidentaux.

L’actuel directeur de publication de Sud Quotidien est un journaliste à l’ancienne. Il parle de son métier avec passion, surtout lorsqu’il aborde ses années d’agence, quinze ans pour être précis, et sa vision des formes que devraient revêtir la pratique journalistique.

Pouvez vous revenir sur les spécificités de l’agence de presse dans le monde de l’information ?

Vous savez, l’agence de presse est en fait la source principale d’information des journalistes quand ils ne sont pas sur le terrain eux-mêmes. C’est pourquoi on avait l’habitude de dire des agenciers que c’étaient les journalistes des journalistes. Non pas qu’ils écrivent mieux que d’autres, non pas qu’ils soient plus professionnels mais c’est la nature de leur organe, leur spécificité. Tout à fait au début, la première agence de presse, Reuters, envoyait ce qu’on appelait de l’information télégraphique. C’était un style très court, très alerte, Pour aller très vite et donner l’essentiel de l’information. On s’abonnait en fil par le téléscripteur. Donc on pouvait venir chercher l’information ; et le journaliste de quotidien, de périodique et de radio se chargeait de développer l’information à partir de ce que l’agence lui apportait. Voilà un peu ce que c’était, c’était vraiment la matière première du journalisme : collecter, traiter rapidement, être précis, honnête dans le traitement, envoyer. C’était ça la fonction de l’agence et c’est toujours la même chose.

Quel a été le contexte et le processus de création des agences de presse en Afrique ?

Il faut dire qu’en Afrique nous sommes tous, dans nos pays, héritiers ou de la Couronne britannique ou de la République française. Quelqu’un avait l’habitude de parler de l’APS (Agence de Presse Sénégalaise) comme de la doyenne des agences de presse en Afrique. Cette agence a été créée en avril 1959. Depuis il y en a eu beaucoup ; au fur et à mesure que les pays arrivaient à l’indépendance, ils en créaient. L’agence était considérée comme la voix du gouvernement et quand c’étaient des partis-Etat, la voix du parti au pouvoir. Tous les autres supports du pays étaient obligés de se brancher sur ce réseau là pour être informés. Si nous prenons le cas du Sénégal, parallèlement à l’agence nationale, il y avait des centres régionaux implantés à l’intérieur du pays, dans les capitales régionales, départementales où le public venait s’informer. Ce qui fait que ce sont les gens qui travaillaient dans ces centres régionaux qui ont été par la suite reconvertis en correspondants de l’agence nationale. Ailleurs en Afrique les gens ont essayé d’imiter la même chose : créer une agence, en faire la voix du gouvernement à côté de la radio. Certains n’avaient pas encore de journal mais au moins il y avait une radio qui était là. La radio a régulièrement été très présente. Par la suite les africains se sont rendus compte qu’avec l’influence des cinq majeurs, à l’époque : Reuters la britannique, AP et United Press International les américaines, TAS la soviétique, AFP la française, on avait voulu jusqu’ici leur donner l’information avec le regard, le commentaire, les préoccupations, les intérêts des autres. L’Afrique avait voulu être plus présente, l’agence panafricaine (PANA) a été lancée par l’OUA en 1979. Dakar a été retenue comme siège parce qu’on avait une technologie qui s’y prêtait et en plus il y avait l’expérience. Son premier directeur était un nigérien du nom de Cheikhou Ousmane Diallo.

Ne pensez vous pas qu’en passant d’une situation où ils recevaient tout des agences étrangères à une autre où ils distillaient l’information selon leurs intérêts, les Etats africains soient allés d’une extrémité à l’autre ?

Progressivement, en effet, la PANA recevait et traitait les informations émanant des agences nationales qui avaient des points de vue différents, devenant donc une sorte d’entonnoir qui déversait sur le grand public ce que les agences nationales disaient en terme de propagande.

Pourquoi un pays comme le Maroc a très vite senti l’avantage d’investir dans ce domaine et pas les autres?

En fait tout le monde a senti tout de suite cet avantage. Parfois il se pose seulement un problème de moyens. Le Maroc avait son Maghreb Arabe Presse mais à côté il y avait la Tunisie Afrique Presse, Algérie Presse Service, L’Agence de Presse Sénégalaise était là, la NAN au Nigéria, le MNA était au Caire. En fait tout le monde avait son agence.

Le Maroc avait estimé que si l’OUA voulait faire du Sahara Occidental un Etat indépendant ayant droit de regard sur tout ce qui concerne les dossiers africains, il n’y trouverait plus son compte. Il est sorti de l’OUA mais en sortant de l’organisation, dans le contexte de l’époque, on quittait aussi tout ce qui était contrôlé par elle y compris la PANA. Alors Rabat a continué avec sa MAP jusque dans les années 2000. A ce moment là, les autorités marocaines se sont rendues compte qu’il y avait peut-être intérêt à chercher à parler à l’Afrique avec sa propre voix, avec sa propre agence panafricaine. La MAP ne faisait pas l’affaire, peut- être en terme d’options. Les Marocains ont mis sur pied l’Agence de Presse Africaine. Il n’y avait que des sénégalais au départ, le siège étant à Dakar. Aujourd’hui, ses bureaux sont presque partout en Afrique et le groupe a des correspondants aux Etats Unis, en France, à Bruxelles…

Peut-on travailler librement dans une agence lorsqu’on sait que ceux qui la financent ont toujours des intérêts à préserver ?

Dans une agence comme dans toute autre chose, c’est la même chose partout. Celui qui met son argent quelque part a un intérêt à le mettre là pour une raison ou une autre. Les gens ont leurs intérêts, les gouvernements et les bailleurs ont également les leurs. Les journalistes doivent seulement rester professionnels. 

Pensez vous qu’aujourd’hui les agences et plus généralement la presse africaine prennent efficacement en charge les préoccupations du continent, compte tenu de la pression que les Etats exercent généralement sur elles ?

L’Etat ne peut fermer l’information. Elle circule partout, elle circulait avant, aujourd’hui encore plus notamment par les réseaux sociaux. Si un Etat pense qu’il faille fermer le vis à ces médias, les gens vont aller chercher l’information ailleurs. Dans tous les cas aujourd’hui il est devenu extrêmement difficile de fermer un pays. Il y en a qui le font mais en tout cas ça demande tellement de moyens que le mieux pour un gouvernement assez intelligent c’est, je crois, de libéraliser et de laisser les gens travailler. Maintenant il s’agira pour les journalistes d’être responsables et professionnels.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière de journaliste d’agence ?

Mais je ne saurai dire ce qui m’a marqué car il y a plein de choses qui vous marquent dans tout ça. J’ai l’expérience de l’Agence de presse sénégalaise puis celle de la période de collaboration avec la PANA. Il y a tellement de choses qui vous marquent dans une carrière comme ça. En tout cas professionnellement ça m’a appris à être concis, à aller très vite à l’information, à déceler une information dans une masse de choses. C’est un énorme avantage d’avoir été agencier.
 

Entretien réalisé pour Terangaweb – L’Afrique des Idées par Racine Demba. 

L’aventure ambiguë de Soro Guillaume

 
 
« Si nous ne devons pas réussir, vienne l’Apocalypse !»
L’aventure ambiguë, Cheikh Ahmidou Kane
 
Avec son sens habituel de la mesure, lorsqu’il s’agit de la Côte d’Ivoire, l’hebdomadaire panafricain « Jeune Afrique » barrait sa Une, il y a quelques semaines, du titre « Le fabuleux destin de Soro Guillaume. » Curieux non-sens. Pour qui s’en souvient, le film de Jean-Pierre Jeunet mettait en scène une jeune fille semi-gaga, semi-idéaliste, outrageusement altruiste qui décide de rendre joie et bonheur à une fournée de proches inconnus dans un Paris désincarné et reconstruit à la mesure de ses lubies.
 
Je défie quiconque de trouver la moindre trace d’altruisme, de sincérité ou d’idéalisme dans le parcours glacé, calculé – et au passage assez sanglant – de l’ancien Président de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire. Pour la rédaction de Jeune Afrique, ce n’est pas très important. Ce qui compte, c’est la finalité, les résultats. Il suffit pour cela de constater la méprisable extase de ces « journalistes » devant le succès du bonhomme ! Saint-Soro n’a pas pris de vacances en cinq ans (c’est lui qui le dit)! Quelle aventure : chef de rébellion à 29 ans, ministre d’état à 30, premier ministre à 34 ans, président de l’Assemblée nationale à 39. Si tout va bien et qu’Alassane Ouattara arrive au bout de ses deux mandats (rien que ça), Guillaume Soro n’aura que 48 ans en 2020.
 
Qu’il ait pris la tête d’une bande armée qui sema la mort dans la moitié de son pays, n’est que la preuve de sa détermination à « sauver » celui-ci. Qu’il ait abondamment trahi et comploté afin de s’assurer un pouvoir sans partage au sein de cette rébellion (au point où – et Jeune Afrique frétille d’excitation devant le scoop – c’est par son propre vouloir, unique et autoproclamé, que Guillaume Soro, au lendemain de la « bataille d’Abidjan » se refuse à prendre le pouvoir et le laisse à Alassane Ouattara) est signe de son sens politique et de son respect de l’ordre constitutionnel. Qu’il ait Blaise Compaoré comme mentor est le signe qu’il réussira. On croît rêver.
 
Jusqu'au cynisme implacable avec lequel, Guillaume Soro analyse les décisions de la CPI, tout émerveille la rédaction de Jeune Afrique : « La CPI va juger Jean-Pierre Bemba ; elle n'a pas, que je sache, mis en cause Joseph Kabila. » quelques lignes plus loin, le commis d’office qui signa le papier ajoute « Serein peut-être mais aussi préoccupé, l'ancien chef de guerre sait que, dans la pire des hypothèses, Alassane Ouattara ne le lâchera pas. On le sent pourtant désireux d'être au plus vite soulagé de ce qui apparaît comme une sourde menace, histoire qu'elle ne vienne pas s'immiscer en travers de son destin. »  On sent la plume qui frétille quand le gratte-papier cède au lyrisme (au sujet des ambitions présidentielles du nouveau président de l’Assemblée Nationale) : « cette ambition, naturelle chez un homme aussi jeune, aussi brillant et avec un tel parcours, n'a rien d'illégitime » Et c’est écrit sans second degré. Sur son élection au perchoir (236 votes sur 249, vive le pluralisme), le « jeune homme brillant » conclut en toute modestie : « Quant aux treize députés qui se sont abstenus, je les remercie. L'unanimité aurait été embarrassante. » Je n’invente rien, tout est tiré des pages de Jeune Afrique. On est partagé entre le rire et la gêne.
 
Chacun peut penser ce qu’il veut de l’aventure personnelle de Guillaume Soro. Dans les rangs même de TerangaWeb (et c’est une vieille polémique), il en est qui considèrent que c’est le parcours d’une jeune homme ambitieux, courageux et tactique, qui comprit très vite que dans le contexte ivoirien de la fin des années 90, la voie radicale était la plus sûre, pour quiconque nourrissait une ambition politique. En cela, son évolution personnelle n’est pas si éloignée que ça, de celle d’un Blé Goudé, par exemple : « Forces Nouvelles » contre « Jeunes patriotes ». Au passage, tous deux sont issus des rangs de la Fesci. Soit. Mais de là à décrire ce parcours comme l’accomplissement d’un sacerdoce, comme une responsabilité imposée, presque par défaut, à un jeune homme désintéressé dépasse l’entendement. Mais cela ne m’étonne qu’à moitié du journal qui publie les très oubliables chroniques de Fouad Laroui.
 
Je sais par expérience, à quel point il est difficile de trouver un bon titre. C’est tout un art. En général, il faut un rédacteur en chef assez efficace pour faire comprendre au journaliste que « Je hais l’Islam, entre autres » est meilleur que « Quelques considérations sur la question musulmane dans la France contemporaine. » Référence, pour référence et sauf mon respect pour les très honorables scribouillards de la rue Hoche, « L’aventure ambigüe de Soro Guillaume » correspondrait mieux à la réalité que « le fabuleux destin de Soro Guillaume »
 
En attendant, qu’on me pardonne de ne pas me prosterner, ébaubi par la "destinée" fulgurante de Guillaume Soro . A 35 ans, il était ministre d’Etat ? A 35 ans, un de mes oncles fut abattu froidement par les membres des Forces Nouvelles de Guillaume Soro "Chef de Guerre", parce qu’il souhaitait protéger notre résidence ancestrale du pillage.
 
Joël Té-Léssia