Interview de Tonjé Bakang, fondateur de la plateforme streaming du cinéma afro


Tonjé Bakang afrostream cinema afroBlue jean, baskets blanches et sourire naturel, Tonjé Backang, fondateur de la plateforme de streaming Afrostream, nous accueille chaleureusement à l'entrée des cinémas publicis, avenue des Champs Elysées, pour l'avant-première du film « Un homme parfait ». Salle comble pour cet événement VIP réservé aux abonnés de la plateforme de cinéma afro. Derrière ce succès naissant, la start-up, composée d'une dizaine de personnes met tout en œuvre pour répondre aux besoins de ses quelques 35 000 abonnés. L'objectif ? Proposer le meilleur des séries et films afro-américains et africains en illimité, en Europe et en Afrique Sub-saharienne. Un défi de taille pour cet homme de 34 ans, passionné par tous les cinémas et bien décidé à faire bouger les lignes.
 

Par Marine  Durand

Afrique des Idées : Une centaine de films et séries sont aujourd'hui disponibles sur Afrostream.tv.com, comment arrivez-vous à proposer tous ces contenus ? Entrez-vous directement en contact avec les producteurs ?

 

T.B : Nous proposons aujourd’hui plus d’une centaine de contenus afro de qualité sur Afrostream et chaque mois des nouveautés sont mises en ligne. La plupart du temps, nous entrons directement en contact avec les producteurs et nous négocions un prix fixe pour assurer la diffusion des films et séries. Néanmoins la difficulté reste de sourcer tous ces contenus et d’obtenir leurs droits. Pour ce faire, nous devons enquêter, naviguer pour trouver les bons interlocuteurs et cela prend énormément de temps.

 

Les films pouvant coûter des centaines de milliers d’euros, et Afrostream  étant encore une petite entreprise, nous rappelons souvent à nos abonnés qu’en nous aidant à avoir plus d’abonnés, ils nous permettront d’obtenir plus de films. A notre étonnement, nous nous sommes  rendus compte que certaines personnes pensaient qu'Afrostream était une grande multinationale. C'est flatteur mais nous n'en sommes pas encore là ! En revanche, mon équipe a réussi à signer avec un studio, là où d'autres mettent des années à le faire. J'en suis très heureux !

 

Dernièrement vous avez posté une vidéo pour présenter votre équipe et les bureaux d'Afrostream sur la page Facebook de la start-up. Une façon de rappeler que votre « tech company » est loin d’être une multinationale…Pouvez-vous nous parler de votre fonctionnement interne ?

T.B: Nous avons une petite équipe d'une dizaine de personnes et nous sommes implantés à Paris, Nantes ainsi qu'aux Etats-Unis dans la Silicon Valley. Ludovic Bostral, mon associé, est le co-fondateur d'Afrostream. C'est aussi le directeur technique. Il coordonne le travail de tous nos développeurs, ce qui représente un travail énorme !

 

Vous savez, le streaming est une technologie compliquée à mettre en place. Les utilisateurs ont tous des configurations différentes, des navigateurs différents, des mise à jours différentes et il faut que la plateforme fonctionne pour tout le monde. Notre équipe d'ingénieurs est installée à Nantes. Les États Unis nous aident plutôt pour l'écosystème Média et Startup.

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Où voyez-vous Afrostream dans 5 ans?

Je vois Afrostream à l’international bien sûr mais aussi sur smartphones et box (mais je ne peux pas tout vous dévoiler pour le moment !). Nous visons 50 000 abonnés à la fin 2016 et ciblons, pour vous donner une idée, 15 millions de personnes afro descendantes en Europe et 936 millions Africains d’ici les prochaines années. J'aimerais également qu’Afrostream puisse produire elle-même son propre contenu. Nous apprenons beaucoup des envies de nos abonnés et cela nous encourage à mieux les servir avec des contenus inédits, presque sur-mesure.

 

Vous proposez du contenu américain, français, nigérian, kenyan, ghanéen, caribéen…
Pourquoi vous semble-t-il important que les Afriques se racontent? Pensez-vous que tous les films "afro" racontent bien l'Afrique?

Je pense que l'Afrique est une source d’histoires encore peu exploitée. A l'heure de l'uniformisation des contenus il est nécessaire d'avoir des points de vue différents sur le monde. Tous les films Afro n'ont pas pour vocation de bien raconter l'Afrique. Ils ont pour vocation de partager la vision d'un auteur et d'un réalisateur, ce qui est différent. Nous pensons simplement qu'il y a de la place pour tous les cinémas et nous défendons les productions afro, d'où qu'elles viennent.

 

Afrostream n'est pas un media de service public. Nous serons quelquefois conservateurs, d'autres fois irrévérencieux. Notre vocation n'est pas de faire pas dans l'ethnologie. Ce n'est pas un musée, c'est un site de streaming. Nous proposons des contenus très différents (drame, comédie, documentaires, thriller, concerts, dessins animés pour enfants…) pour satisfaire au maximum nos abonnés. Nous accordons, bien sûr, de l'importance à la qualité des contenus proposés et restons vigilants sur ce point.

 

Que diriez-vous à ceux qui doutent encore de la qualité des contenus d'Afrostream?

Je ne peux pas leur dire grand-chose à part leur proposer d’essayer. Nous continuerons à faire de notre mieux !

 

Marine Durand

Quel est l’impact des médias sur le développement ?

171998902-2Nous avons coutume de dire que la presse est le quatrième pouvoir dans une démocratie. Au-delà de ce rôle, somme toute symbolique, intéressons-nous précisément à l’impact des médias sur la vie politique et économique des nations. C’est à cette question que répondent des chercheurs dans deux études académiques récentes. L’une analyse l’impact à long terme des médias sur la lecture des journaux et l’implication citoyenne en Afrique sub-saharienne, et l’autre examine l’impact des médias sur la croissance économique en Europe.

La première étude, menée par Cagé et Rueda en 2013, nous apprend que le développement des médias permet d’augmenter l’implication citoyenne des populations dans la vie politique de leur pays. En effet, pour garantir l’exactitude de cet effet, les deux auteures ont croisés les données issues de l’enquête Afrobaromètre sur l’implication citoyenne avec des données géo-localisées sur les régions où ce sont implantées les premières industries d’imprimerie en Afrique sub-saharienne.[1] Elles constatent que ces régions ont connu un développement plus rapide et durable de la presse privée. En plus, les populations qui vivent aujourd’hui dans ces régions lisent davantage les journaux et participent plus aux discussions et actions politiques comme les débats publics et les marches de protestation. Il s’agit de régions situées dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, l’Ouganda ou la Tanzanie.

Quant à la deuxième étude, publiée par Dittmar en 2011, elle montre que le développement des médias a un impact positif sur la croissance économique. Plus spécifiquement, cette étude utilise la même méthodologie que celle de Cagé et Rueda ; mais adopte plutôt une approche globale en regardant l’impact des médias sur la croissance économique. Elle démontre que les villes européennes dans lesquelles se sont implantées les premières industries d’imprimerie dans les années 1400 ont connu au cours du siècle suivant une croissance économique 1,6 fois supérieure à celle de villes similaires.

Même si ces études ne donnent pas les détails précis sur les mécanismes qui expliquent ces effets, elles apportent néanmoins la preuve formelle que le développement des médias a un impact significatif sur la vie économique et politique d’une nation.[2] Une implication générale qui résulte de leurs résultats est que tout ce qui entrave l’expansion des médias est mauvais pour le développement. Cependant les ramifications de ces résultats vont au-delà de cette conclusion. Ils montrent aussi que le retard dans l’adoption et l’expansion des médias à des impacts qui persistent dans le long terme. Comme la montre l’étude de Cagé et Rueda sur l’Afrique, l’introduction tardive de la presse écrite au début du 20ème siècle dans certaines régions d’Afrique sub-saharienne a entraîné aujourd’hui une faible lecture de la presse et une faible implication dans les activités politiques de la part des populations. C’est notamment le cas des pays francophones. Par exemple, selon cette même étude, le premier journal africain édité par des africains a été publié en janvier 1876 en Afrique du Sud, soixante ans plus tôt que le premier journal publié dans l’espace francophone à Abidjan en 1935.

Pour éviter ces implications à long terme, il importe donc d’éviter toute entrave à l’expansion des médias et surtout en Afrique. Comme le montre les résultats du dernier round de l’Afrobaromètre ci-dessous, très peu d’Africains ont accès aux médias en dehors de la radio. Par exemple, ces résultats nous indiquent qu’environ 20% de la population n’écoute jamais la radio, plus de 40% ne regardent jamais la télé, plus de 55% ne lisent jamais les journaux et plus de 7 personnes sur 10 n’a jamais été informé grâce à l’internet. Quant à la radio, elle est écoutée quotidiennement par environ 40% de la population entre 2011 et 2013. Au regard des précédents résultats, on peut craindre que l’implication citoyenne des populations de même que les effets des médias sur la croissance économique soient très limités. Cette situation n’est pas de nature à favoriser les transformations institutionnelles tant souhaitées pour un véritable décollage de l’Afrique.

Dans ces conditions, l’émergence des nouveaux médias grâce aux NTIC peut être une occasion exceptionnelle pour révolutionner l’accès aux médias et à l’information pour tous et en particulier en Afrique. Par exemple, avec le fort taux de pénétration du téléphone mobile en Afrique, les opérateurs de réseau mobile peuvent fournir des services d’information par SMS. Le développement de l’internet par mobile ne serait que salutaire dans ce sens.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

Annexe: Pourcentage de la population ayant accès aux différents types de médias en Afrique (Source: Afrobaromètre)

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Afrobarometer survey. Selected samples: Algeria 2013, Benin 2012, Botswana 2012, Burkina Faso 2012, Burundi 2012, Cameroon-2013, Cape Verde 2011, Côte d’Ivoire, Ghana 2012, Guinea, Kenya 2011, Lesotho 2012, Liberia 2012, Madagascar-2013, Malawi 2012, Mali 2012, Mauritius 2012, Morocco 2013, Mozambique 2012, Namibia 2012, Niger 2013, Nigeria 2012, Senegal 2013, Sierra Leone 2012, South-Africa 2011, Swazilandia 2013, Tanzania 2012, Togo 2012, Uganda 2012, Zambia 2012, Zimbabwe 2012 (Base=48004; Weighted results)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le fait que ce soit les premiers colons protestants qui aient apporté l’imprimerie en Afrique constitue une variation exogène de l’ampleur des médias. Cependant, on peut évoquer la sélection endogène des colons dans les colonies qui étaient déjà prédisposées à lire et à s’impliquer dans la vie politique. Les résultats résistent à cette éventualité.

 

 

 

[2] Il est vrai que les résultats portent sur le développement de la presse écrite, qui n’est qu’un type particulier de média. Il est vrai aussi que l’impact peut dépendre du type de média, mais nous estimons que l’impact de la presse écrite est que minimal compte tenu de l’étendue de leur public cible.

 

 

 

L’aventure ambiguë de Soro Guillaume

 
 
« Si nous ne devons pas réussir, vienne l’Apocalypse !»
L’aventure ambiguë, Cheikh Ahmidou Kane
 
Avec son sens habituel de la mesure, lorsqu’il s’agit de la Côte d’Ivoire, l’hebdomadaire panafricain « Jeune Afrique » barrait sa Une, il y a quelques semaines, du titre « Le fabuleux destin de Soro Guillaume. » Curieux non-sens. Pour qui s’en souvient, le film de Jean-Pierre Jeunet mettait en scène une jeune fille semi-gaga, semi-idéaliste, outrageusement altruiste qui décide de rendre joie et bonheur à une fournée de proches inconnus dans un Paris désincarné et reconstruit à la mesure de ses lubies.
 
Je défie quiconque de trouver la moindre trace d’altruisme, de sincérité ou d’idéalisme dans le parcours glacé, calculé – et au passage assez sanglant – de l’ancien Président de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire. Pour la rédaction de Jeune Afrique, ce n’est pas très important. Ce qui compte, c’est la finalité, les résultats. Il suffit pour cela de constater la méprisable extase de ces « journalistes » devant le succès du bonhomme ! Saint-Soro n’a pas pris de vacances en cinq ans (c’est lui qui le dit)! Quelle aventure : chef de rébellion à 29 ans, ministre d’état à 30, premier ministre à 34 ans, président de l’Assemblée nationale à 39. Si tout va bien et qu’Alassane Ouattara arrive au bout de ses deux mandats (rien que ça), Guillaume Soro n’aura que 48 ans en 2020.
 
Qu’il ait pris la tête d’une bande armée qui sema la mort dans la moitié de son pays, n’est que la preuve de sa détermination à « sauver » celui-ci. Qu’il ait abondamment trahi et comploté afin de s’assurer un pouvoir sans partage au sein de cette rébellion (au point où – et Jeune Afrique frétille d’excitation devant le scoop – c’est par son propre vouloir, unique et autoproclamé, que Guillaume Soro, au lendemain de la « bataille d’Abidjan » se refuse à prendre le pouvoir et le laisse à Alassane Ouattara) est signe de son sens politique et de son respect de l’ordre constitutionnel. Qu’il ait Blaise Compaoré comme mentor est le signe qu’il réussira. On croît rêver.
 
Jusqu'au cynisme implacable avec lequel, Guillaume Soro analyse les décisions de la CPI, tout émerveille la rédaction de Jeune Afrique : « La CPI va juger Jean-Pierre Bemba ; elle n'a pas, que je sache, mis en cause Joseph Kabila. » quelques lignes plus loin, le commis d’office qui signa le papier ajoute « Serein peut-être mais aussi préoccupé, l'ancien chef de guerre sait que, dans la pire des hypothèses, Alassane Ouattara ne le lâchera pas. On le sent pourtant désireux d'être au plus vite soulagé de ce qui apparaît comme une sourde menace, histoire qu'elle ne vienne pas s'immiscer en travers de son destin. »  On sent la plume qui frétille quand le gratte-papier cède au lyrisme (au sujet des ambitions présidentielles du nouveau président de l’Assemblée Nationale) : « cette ambition, naturelle chez un homme aussi jeune, aussi brillant et avec un tel parcours, n'a rien d'illégitime » Et c’est écrit sans second degré. Sur son élection au perchoir (236 votes sur 249, vive le pluralisme), le « jeune homme brillant » conclut en toute modestie : « Quant aux treize députés qui se sont abstenus, je les remercie. L'unanimité aurait été embarrassante. » Je n’invente rien, tout est tiré des pages de Jeune Afrique. On est partagé entre le rire et la gêne.
 
Chacun peut penser ce qu’il veut de l’aventure personnelle de Guillaume Soro. Dans les rangs même de TerangaWeb (et c’est une vieille polémique), il en est qui considèrent que c’est le parcours d’une jeune homme ambitieux, courageux et tactique, qui comprit très vite que dans le contexte ivoirien de la fin des années 90, la voie radicale était la plus sûre, pour quiconque nourrissait une ambition politique. En cela, son évolution personnelle n’est pas si éloignée que ça, de celle d’un Blé Goudé, par exemple : « Forces Nouvelles » contre « Jeunes patriotes ». Au passage, tous deux sont issus des rangs de la Fesci. Soit. Mais de là à décrire ce parcours comme l’accomplissement d’un sacerdoce, comme une responsabilité imposée, presque par défaut, à un jeune homme désintéressé dépasse l’entendement. Mais cela ne m’étonne qu’à moitié du journal qui publie les très oubliables chroniques de Fouad Laroui.
 
Je sais par expérience, à quel point il est difficile de trouver un bon titre. C’est tout un art. En général, il faut un rédacteur en chef assez efficace pour faire comprendre au journaliste que « Je hais l’Islam, entre autres » est meilleur que « Quelques considérations sur la question musulmane dans la France contemporaine. » Référence, pour référence et sauf mon respect pour les très honorables scribouillards de la rue Hoche, « L’aventure ambigüe de Soro Guillaume » correspondrait mieux à la réalité que « le fabuleux destin de Soro Guillaume »
 
En attendant, qu’on me pardonne de ne pas me prosterner, ébaubi par la "destinée" fulgurante de Guillaume Soro . A 35 ans, il était ministre d’Etat ? A 35 ans, un de mes oncles fut abattu froidement par les membres des Forces Nouvelles de Guillaume Soro "Chef de Guerre", parce qu’il souhaitait protéger notre résidence ancestrale du pillage.
 
Joël Té-Léssia