J’ai pris mon pied à aller voir ces films montés, produits au Nigéria. Chaque soir, au cinéma l'Arlequin, la crème des réalisateurs nigérians étaient présents avec leurs tenues aux couleurs vives et chatoyantes, bonnets yoruba pour certains. Ces artistes, producteurs, réalisateurs prenaient un plaisir fou à discuter entre eux. Ce genre de rencontres permettent souvent le temps d’un week-end, loin des bases du pays, d’échanger autour de nouveaux projets, de repenser le pays sinon le continent.
Il y avait entre eux et moi, la barrière de la langue. Ma maîtrise de l’anglais se réduisant à la simple lecture, je n’allais pas livrer ma nudité à ces anglophones arrogants qui peinent à faire le moindre effort pour dire un simple mot en français. J’ai contourné la situation en discutant avec des spectateurs. Il faut le dire, à chaque séance, la salle a rarement été pleine. Mais il y a tout de même eu du monde si on considère que la principale salle du cinéma L’Arlequin a une capacité d’au moins quatre cent personnes. Les personnes présentes, souvent des femmes d’ailleurs avaient des profils différents. Avant la projection du film Octobre 1 de Kunlé Afolayan, j’ai pu discuter avec une chef de projet informatique Nigériane, très sympathique, accompagnée par un brésilien, du moins je pense. Elle a souligné le fait d’avoir été agréablement surprise par la qualité des films présentés. Mais entre nous, est-elle objective ?
De manière générale, me dit-elle, l’élite Nigériane se tient à distance de Nollywood. Le succès de cette industrie repose avant tout sur sa réception par la base populaire nigériane. Il y a une forme de snobisme pour ces productions qui, il est vrai, ne sont pas toujours de très bonne qualité sur le plan technique. Son père, par exemple, cadre supérieur, abhorre les productions nigérianes. La mère de mon tinterlocutrice ne va pas rejeter un programme Nollywood s’il passe à la télévision, mais elle n’investira pas un écu dedans. Ce rapport quelque peu méprisant de l'intelligentsia nigeriane me fait sourire, même si on peut y voir une critique de l'esthétique et de l'improvisation qui caractérisent ces projets qui relèvent souvent de l'artisanat.
Un peu plus tard dans la soirée, assistant aux mondanités africaines et m’apprêtant à voir le dernier film du festival, à savoir Dry de Stéphanie Okéréké, deux jeunes nigérianes sont venues s’asseoir à mes côtés. Plus jeunes que ma précédente interlocutrice, elles ont un profil différent et elles sont de vrais fans des petites productions populaires de Nollywood. Ayant eu vent du festival, elles sont venues par curiosité au cinéma l’Arlequin. D’ailleurs, pour « immortaliser le moment », l’une d’entre elles ne se gêne pas de sortir son smartphone pour filmer le film. Piraterie en direct sachant qu’il s’agissait de la première de Dry en France et qu’il n’est pas sorti au Nigeria. Courtois, je n’ai pas eu l’énergie pour faire des remontrances. Le saint des producteurs existe puisque la batterie du smartphone est tombée en rade en plein milieu du film. Cocasse. J’avais là une illustration en live de l’énorme problème que rencontre cette industrie : un téléphone portable puissant et Internet pour diffuser, tout cela étant fait avec une profonde naïveté et dans un souci de partage que pour des enjeux mercantiles. Un film n’est pas un logiciel open source.
J’ai naturellement saisi l’occasion d’échanger avec un vrai francophone, à savoir Jimmy Jean-Louis. Si je vous parle de la série américaine à succès Heroes et en particulier du personnage nommé l’Haïtien, vous verrez tout de suite qui est le comédien haïtien. Il est le parrain de cette 4ème édition de Nollywood week à Paris. L’homme est avenant et d’une extrême franchise à l’image du documentaire Jimmy goes to Nollywood.
Sur la qualité des films présentés, Jimmy Jean-Louis indique que sur ce qu’il a pu voir, les films ne sont pas encore au point. Techniquement parlant, il y a des aspects à retravailler. Disons qu’on passe un bon moment, on rigole bien, mais les standards sont loin d’être respectés.
A propos de la question de l’esthétique qui est un point souvent relevé, n’y a-t-il pas là un risque de rupture avec le public populaire qui a porté les productions de Nollywood ? Tant que les thématiques originales qui sont au cœur de Nollywood sont traitées avec qualité, la question ne se pose pas.
Comment selon lui est perçu Nollywood à Hollywood ? Pour l’instant, la perception qu’en ont les américains, c’est un épiphénomène.
Doit-on voir une corrélation entre la place grandissante à Hollywood des comédiens d’origine nigériane comme Chiwetel Ejiofor, David Oyelowo et l’émergence progressive de Nollywood ? Non, il n’y a aucune connexion entre ces deux faits.
Entretien avec OC Ukeje, acteur nigérian
La différence de production est importante entre Gone Too Far, film de petit budget produit au Royaume-Uni et les autres productions du festival.
Interrogé sur la différence de ses expériences anglaises et nigerianes, OC Ukeje, l’une des figures de cette édition 2015, confirme avec humour
« Il y a définitivement une différence de professionnalisme, en terme de sécurité, en terme de timing, en terme de logistique, c’était beaucoup plus standardisé à Londres. Il reste encore beaucoup de choses à accomplir au Nigeria».
Pour lui, ce manque de standards et d’exigence explique en partie l’attirance des acteurs et actrices nigérianes pour l’Occident
« Si certaines personnes se contentent de se faire un nom au Nigeria, il est important pour d’autres d’aller plus loin et de se confronter à une industrie plus compétitive».
Hollywood un Eldorado pour les acteurs nigérians ? «C’est possible» selon OC Ukeje qui avoue lui même être attiré à l’idée. Il n’en demeure pas moins parfaitement conscient du pouvoir de Nollywood sur la société nigériane. Pour lui, il reste crucial que Nollywood continue à produire des films abordants des sujets sociétaux ordinairement tabous et ce, avec un ton progressiste.
Si Before 30 a choisi de le faire par la comédie, Dazzling Mirage, de Tunde Kelani, prend un ton plus sérieux. Le film lauréat de l’édition 2015 de la Nollywood Week est saisissant en ce qu’il présente une double problématique en mettant en scène l’histoire d’une femme atteinte de la drépanocytose. Ce drame romantique, adapté du roman d’Oyinka Egbokhare montre la capacité de Nollywood à devenir une vitrine de la culture et de la littérature nigériane.
Dazzling Mirage a des chances de conquérir un public autre que le public nigérian, car Nollywood s’exporte de mieux en mieux. La preuve, c’est le film Gone Too Far qui a fait de Destiny Ekaragha la première réalisatrice noire dont le film a été distribué en cinéma au Royaume-Uni.
Un article écrit à quatre mains de Lareus Gangoueus et Ndeye Diarra