Bruits de couloirs à Nollywood week

J’ai pris mon pied à aller voir ces films montés, produits au Nigéria. Chaque soir, au cinéma l'Arlequin, la crème des réalisateurs nigérians étaient présents avec leurs tenues aux couleurs vives et chatoyantes, bonnets yoruba pour certains. Ces artistes, producteurs, réalisateurs prenaient un plaisir fou à discuter entre eux. Ce genre de rencontres permettent souvent le temps d’un week-end, loin des bases du pays, d’échanger autour de nouveaux projets, de repenser le pays sinon le continent.

Il y avait entre eux et moi, la barrière de la langue. Ma maîtrise de l’anglais se réduisant à la simple lecture, je n’allais pas livrer ma nudité à ces anglophones arrogants qui peinent à faire le moindre effort pour dire un simple mot en français. J’ai contourné la situation en discutant avec des spectateurs. Il faut le dire, à chaque séance, la salle a rarement été pleine. Mais il y a tout de même eu du monde si on considère que la principale salle du cinéma L’Arlequin a une capacité d’au moins quatre cent personnes. Les personnes présentes, souvent des femmes d’ailleurs avaient des profils différents. Avant la projection du film Octobre 1 de Kunlé Afolayan, j’ai pu discuter avec une chef de projet informatique Nigériane, très sympathique, accompagnée par un brésilien, du moins je pense. Elle a souligné le fait d’avoir été agréablement surprise par la qualité des films présentés. Mais entre nous, est-elle objective ?

De manière générale, me dit-elle, l’élite Nigériane se tient à distance de Nollywood. Le succès de cette industrie repose avant tout sur sa réception par la base populaire nigériane. Il y a une forme de snobisme pour ces productions qui, il est vrai, ne sont pas toujours de très bonne qualité sur le plan technique. Son père, par exemple, cadre supérieur, abhorre les productions nigérianes. La mère de mon tinterlocutrice ne va pas rejeter un programme Nollywood s’il passe à la télévision, mais elle n’investira pas un écu dedans. Ce rapport quelque peu méprisant de l'intelligentsia nigeriane me fait sourire, même si on peut y voir une critique de l'esthétique et de l'improvisation qui caractérisent ces projets qui relèvent souvent de l'artisanat.

Un peu plus tard dans la soirée, assistant aux mondanités africaines et m’apprêtant à voir le dernier film du festival, à savoir Dry de Stéphanie Okéréké, deux jeunes nigérianes sont venues s’asseoir à mes côtés. Plus jeunes que ma précédente interlocutrice, elles ont un profil différent et elles sont de vrais fans des petites productions populaires de Nollywood. Ayant eu vent du festival, elles sont venues par curiosité au cinéma l’Arlequin. D’ailleurs, pour « immortaliser le moment », l’une d’entre elles ne se gêne pas  de sortir son smartphone pour filmer le film. Piraterie en direct sachant qu’il s’agissait de la première de Dry en France et qu’il n’est pas sorti au Nigeria. Courtois, je n’ai pas eu l’énergie pour faire des remontrances. Le saint des producteurs existe puisque la batterie du smartphone est tombée en rade en plein milieu du film. Cocasse. J’avais là une illustration en live de l’énorme problème que rencontre cette industrie : un téléphone portable puissant et Internet pour diffuser, tout cela étant fait avec une profonde naïveté et dans un souci de partage que pour des enjeux mercantiles. Un film n’est pas un logiciel open source.

J’ai naturellement saisi l’occasion d’échanger avec un vrai francophone, à savoir Jimmy Jean-Louis. Si je vous parle de la série américaine à succès Heroes et en particulier du personnage nommé l’Haïtien, vous verrez tout de suite qui est le comédien haïtien. Il est le parrain de cette 4ème édition de Nollywood week à Paris. L’homme est avenant et d’une extrême franchise à l’image du documentaire Jimmy goes to Nollywood.

Sur la qualité des films présentés, Jimmy Jean-Louis indique que sur ce qu’il a pu voir, les films ne sont pas encore au point. Techniquement parlant, il y a des aspects à retravailler. Disons qu’on passe un bon moment, on rigole bien, mais les standards sont loin d’être respectés.

A propos de la question de l’esthétique qui est un point souvent relevé, n’y a-t-il pas là un risque de rupture avec le public populaire qui a porté les productions de Nollywood ? Tant que les thématiques originales qui sont au cœur de Nollywood sont traitées avec qualité, la question ne se pose pas.

Comment selon lui est perçu Nollywood à Hollywood ? Pour l’instant, la perception qu’en ont les américains, c’est un épiphénomène. 

Doit-on voir une corrélation entre la place grandissante à Hollywood des comédiens d’origine nigériane comme Chiwetel Ejiofor, David Oyelowo et l’émergence progressive de Nollywood ? Non, il n’y a aucune connexion entre ces deux faits.

Entretien avec OC Ukeje, acteur nigérian

gonetoofar11La différence de production est importante entre Gone Too Far, film de petit budget produit au Royaume-Uni et les autres productions du festival.

Interrogé sur la différence de ses expériences anglaises et nigerianes, OC Ukeje, l’une des figures de cette édition 2015, confirme avec humour

 

« Il y a définitivement une différence de professionnalisme, en terme de sécurité, en terme de timing, en terme de logistique, c’était beaucoup plus standardisé à Londres. Il reste encore beaucoup de choses à accomplir au Nigeria».

Pour lui, ce manque de standards et d’exigence explique en partie l’attirance des acteurs et actrices nigérianes pour l’Occident

« Si certaines personnes se contentent de se faire un nom au Nigeria, il est important pour d’autres d’aller plus loin et de se confronter à une industrie plus compétitive».

Hollywood un Eldorado pour les acteurs nigérians ? «C’est possible» selon OC Ukeje qui avoue lui même être attiré à l’idée. Il n’en demeure pas moins parfaitement conscient du pouvoir de Nollywood sur la société nigériane. Pour lui, il reste crucial que Nollywood continue à produire des films abordants des sujets sociétaux ordinairement tabous et ce, avec un ton progressiste.

Si Before 30 a choisi de le faire par la comédie, Dazzling Mirage, de Tunde Kelani, prend un ton plus sérieux. Le film lauréat de l’édition 2015 de la Nollywood Week est saisissant en ce qu’il présente une double problématique en mettant en scène l’histoire d’une femme atteinte de la drépanocytose. Ce drame romantique, adapté du roman d’Oyinka Egbokhare montre la capacité de Nollywood à devenir une vitrine de la culture et de la littérature nigériane.

award_winners_2015                                                                                                    

Dazzling Mirage a des chances de conquérir un public autre que le public nigérian, car Nollywood s’exporte de mieux en mieux. La preuve, c’est le film Gone Too Far qui a fait de Destiny Ekaragha la première réalisatrice noire dont le film a été distribué en cinéma au Royaume-Uni.

        Un article écrit à quatre mains de Lareus Gangoueus et Ndeye Diarra

Interview de Robert Sebbag, Vice-président de Sanofi-Aventis

SEBBAG-Robert-M. Sebbag, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs et revenir sur votre parcours, ainsi que votre rôle actuel au sein de Sanofi/Aventis ?

Je suis Docteur en médecine, spécialisé sur les maladies infectieuses comme le paludisme et attaché aux hôpitaux de Paris. Actuellement, je suis Vice-président chargé de problématiques liées à l’accès aux médicaments dans les pays du Sud. Je travaille avec le continent africain, notamment compte-tenu de l’importance des problèmes dont la zone est victime dans ce domaine.

Comment se définissent les actions de Sanofi/Aventis dans la région ?

L’Afrique, comme on le sait tous, fait toujours face à des difficultés quant à l’accès aux médicaments. C’est pourquoi Sanofi, disposant d’une expérience de près de quarante ans, a pris la décision de développer un département dédié intégralement à ce problème afin de participer à la prévention face aux maladies les plus récurrentes tels que le paludisme, la maladie du sommeil ou l’ulcère de buruli.

En dehors des géants de l’industrie pharmaceutique, quels sont les autres acteurs internationaux présents en Afrique ? Leur rôle demeure-t-il majeur par rapport à celui des acteurs locaux ?

La clé vers le sixième objectif du millénaire pour le développement (qui a pour principe de faire reculer des fléaux tels que le VIH/SIDA ou le paludisme ndlr) demeure le partenariat autour duquel différents acteurs du public et du privé se regroupent. Le partenariat fonctionne notamment sur une base de la complémentarité. Nous apportons les ressources nécessaires aux acteurs locaux et eux, en échange, nous apportent le savoir et les connaissances du terrain dont nous avons besoin pour nos diverses actions. C’est un partenariat d’équilibre.

Selon vous, quels facteurs expliquent que l’accès aux médicaments sur le continent africain demeure aujourd’hui un enjeu non encore résolu ?

Le problème de l’accès aux soins sur le continent africain est multifocal. Il existe de nombreux problèmes tels que ceux du prix, des infrastructures, de la formation et des ressources humaines.

Pensez-vous qu’il serait possible de concilier certains aspects de votre intervention avec la médecine traditionnelle ?

Dans un continent tel que l’Afrique il est impossible de faire l’impasse sur la médecine traditionnelle. Elle fait en quelque sorte parti du code génétique des populations africaines, et c’est pour cela qu’il est nécessaire d’établir le contact avec les acteurs de ce type de soins, afin de voir dans quelle mesure on peut concilier la médecine traditionnelle à la médecine occidentale plus sophistiquée.

Au-delà des maladies que l’on connait mieux comme le VIH ou la malaria qui agrègent les taux les plus élevés au monde, il semblerait que l’on assiste à une recrudescence de maladies non-transmissibles. Pourriez-vous nous en dire plus sur le nouvel enjeuque représentent « les maladies invisibles » pour la transition sanitaire en Afrique ?

Pendant longtemps, le travail effectué sur le continent africain a mis en priorité les maladies transmissibles, qui comme on le sait représente le taux le plus important du continent. Néanmoins il s’avère qu’aujourd’hui on tend à se concentrer également sur d’autres maladies chroniques, non transmissibles telles que le diabète, le cancer, les maladies cardiovasculaires ou neurologiques. On essaie d’aborder la santé d’une manière plus globale et d’apporter une réponse plus générale.

Même la santé mentale n’est pas laissée en rade. Vis-à-vis d’elle, il y a une certaine stigmatisation, une réaction d’exclusion face à ce phénomène qui fait peur, paraît irrationnel, voir surnaturel en ce qu’il est lié à l’esprit. Le problème est qu’il existe très peu de spécialistes. Dans certains pays on ne trouve simplement pas de psychiatre, ni de neurologue capable d’apporter des solutions rationnelles. Il faut former des gens afin d’expliquer et de créer une prise de conscience face à ce qui n’est en rien surnaturel mais réellement une maladie.

Lors de votre intervention aux journées du Havre organisées par le Nouvel Observateur, vous avez évoqué un problème de formation des médecins sur l’ensemble du continent…

Il ne s’agit pas simplement d’une crise des médecins mais une crise du corps médical et des agents sanitaires en général. Il faut former des médecins en fonction des besoins du pays, assurer qu’il y ait des débouchés…Tout cela dépend plus largement du budget qui existe au niveau des ministères en charge de la santé. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de plaquer des systèmes telles que les systèmes français ou américains, au contraire une prise en compte de la réalité du pays est nécessaire.

L’Afrique, dans certains domaines, se présente comme un continent à deux vitesses. Ce commentaire s’applique-t-il aussi au domaine de la santé et du médical ? Existe-t-il un ou plusieurs pays qui se distinguent par leurs prouesses dans le domaine ?

Il est vrai que dans le domaine de la santé et du médical l’on a l’intention première de considérer l’ensemble comme un tout qui va mal. Cependant globalement, l’Afrique présente aujourd’hui un très fort potentiel, avec, je dois dire, une certaine avancée de l’Afrique anglophone par rapport à l’Afrique francophone. Je suis notamment optimiste face à des cas tels que le Ghana, l’Angola et le Sénégal. Souvent il s’agit d’une question de ressources et de la situation politique du pays. La Côte d’Ivoire, par exemple, semblait bien lancée avant d’être déchirée par un conflit interne.

Pensez vous que le progrès dans le domaine médical en Afrique puisse s’accomplir à une échelle continentale, c'est-à-dire au travers d’une coopération entre les Etats Africains ? Faudrait-il créer une institution supranationale qui se consacre au domaine de la santé ?

Je ne pense pas qu’on ait besoin d’une organisation supranationale de plus, compte-tenu du bon nombre qui sont déjà présentes. Il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle machine avec de nouveaux fonctionnaires, cela mettra trop de temps à se mettre en place. Ce qu’il faut, c’est un regard pays par pays afin de se rendre compte de ce qui existe déjà et s’en servir pour faire avancer les choses.

Ndeye Diarra

Au-delà de la « tyrannie des nombres » : Que retenir de la victoire d’Uhuru Kenyatta ?

uhuruL’homme le plus riche du Kenya a remporté les élections en s’appuyant sur une alliance ethnique. Que signifie ce vote pour la politique du pays et ses efforts de construction de paix ?

Alors que la poussière retombe sur les élections kenyanes il est important de se souvenir de Mohammed Abduba Dida, ancien professeur de littérature anglaise et de religion au camp de refugiés de Dabaad au Nord Est du Kenya et l’un des 8 candidats à la présidentielle. Expliquant les raisons l’ayant poussé à se présenter, l’homme de 39 ans avait répondu de façon candide : « J’ai été le témoin d’épisodes difficiles, jusqu’à ce que j’en ai assez. Chaque jour tout devenait plus dur jusqu’à ce que je me donne deux options : quitter le pays ou y rester et devenir un agent du changement. J’ai choisi la deuxième option."

L’histoire de Dida ne pouvait pas se distinguer plus de celle d’Uhuru Kenyatta, le nouveau président du Kenya. Celui-ci, en plus d’être l’homme le plus riche du pays dont la fortune est estimée à 500 Millions de dollars et un demi millions d’acres de terre, est aussi le fils du président et fondateur du pays Jomo Kenyatta, auquel voulait succéder l’ancien président Daniel arap Moi, et le filleul du président sortant Mwai Kibaki. D’une certaine mesure, l’histoire de Dida reflète les ressentis et expériences d’une majorité de Kenyans, tandis que Kenyatta symbolise les intérêts politiques et économiques ayant conduit à l’insatisfaction populaire. La victoire de Kenyatta ne signifie pas pour autant la fin du divisionnisme ethnique tel qu’il pourrait le paraitre , la même combinaison de conflits ethniques et de démagogie politique était présente lors des élections de 2007.

Dans une interview télévisée controversée, le politologue Muthi Ngunyi avait prédit la victoire de Kenyatta en se basant sur les sondages des deux blocs d’électeurs les plus importants du pays. La théorie de Ngunyi a été affublée du surnom provocateur de « Théorie des nombres ». Cette théorie avançait que Kenyata gagnerait en remportant de fortes majorités dans les deux plus grands groupes ethniques du pays : les Kikuyus et les Kalenjins, ainsi que leurs voisins respectifs dans les régions du Mont Kenya et de la vallée du rift. Ngunyi avait également ironisé sur la manière dont l’équipe du principal rival de Kenyatta , Raila Odinga avait "dormi pendant la révolution" en manquant d’inciter les résidents de ses bastions à s’inscrire pendant la campagne d'inscription aux listes électorales de décembre.

Le fait que les Kenyans votent en fonction des différentes lignes ethniques est bien connu. Cependant, les résultats des élections ont révélés bien plus que des chiffres. Voici certaines leçons à retenir de l’élection de 2013 et certains facteurs important à observer au cours de la présidence de Kenyatta.

L'importance stratégique des Kikuyus

Quiconque souhaite devenir le président du Kenya se doit d’être lui-même Kikuyu sinon trouver un moyen d’attirer ou de diviser le bloc d’électeurs que représente cette ethnie. Une coalition de partis est une méthode pour accomplir cet objectif, mais elle n’est pas la seule. L’ancien président Daniel arap Moi, par exemple, a réussi à maintenir le pouvoir notamment après un retour a une démocratie multipartite en veillant à supprimer la capacité des Kikuyus de voter en bloc. Dans cette optique, il a déployé des tactiques variées telles que du clientélisme en leur faveur ou une stratégie où l'Etat ignore ou attise les violences inter-ethniques. 

Musalia Mudavadi, autre challenger à la présidentielle de 2013, a lui aussi reconnu l’importance de gérer la question des Kikuyus et a de ce fait nommé un politicien Kikuyu, Jeremiah Kioni, en candidat à la Vice-Présidence. Les réseaux sociaux kenyans ont toutefois été assaillis de rumeurs avançant que Kioni aurait voté Kenyatta.

OdingaLes Odingas sont nés pour l'opposition

L’histoire politique de Raila Odinga, ainsi que celle de sa famille et par extension celle des autres communautés non Kikuyu semble être gravée dans le roc. Tout comme son père et les autres nationalistes tel que Tom Mboya, le principal rôle d'Odinga dans le pays a été l’opposition qu’il a mené contre un statut quo politico-ethnique.

Contre vents et marées, Odinga a pu gagner un important soutien à travers le pays, ce qui n’était pas une mince affaire si l’on considère la manière dont le pays était polarisé quelques années auparavant. Il faudra malgré tout demeuré patient avant que le Kenya puisse avoir un dirigeant non-Kikuyu ou non-Kalenjin.

S'unir contre les forces externes

L’unnité nationale contre l’ingérence étrangère demeure encore un slogan politique attractif. Kenyatta a axé sa campagne électorale sur les accusations de la Cour Internationale de Justice (CIJ) à son égard pour des crimes contre l’humanité. Indubitablement, le choix comme candidat à la vice-présidence de William Ruto était une stratégie pour appuyer sur ce point. En se posant en adversaires de la CIJ, symbole de l'impérialisme occidental fréquemment accusé d’un certain penchant contre l’Afrique, Kenyatta et Ruto se sont inscrits dans l'héritage d'un riche passé africain de résistance à l’oppression étrangère.

Il y a peu d’indications d'une autre raison que celle-ci pour expliquer leur alliance, et ce n'est pas du côté des succès politiques – ou de leur absence – de William Ruto qu'il faut chercher. Ces deux accusés, en menant la campagne de coalition Jubilee, ont mené une double stratégie de victimisation et de promotion de la souveraineté du Kenya. Cela leur a aussi permis de stigmatiser Odinga comme la source de tous leurs problèmes. Il est peut être facile de surestimer les raisons du succès de la coalition, mais la maigre marge de victoire ne montre aucune indication d’unité nationale ni d’un futur promettant l’unité entre Kikuyu et Kalenjin. Le résultat de cette élection en particulier, était la somme d’une situation unique, qui pourrait changer de façon aussi rapide et imprévisible que les éléments à son origine.

Le premier problème de Kenyatta, et peut le plus important, sera son vice-président William Ruto. Kenyata trouvera difficilement un rôle utile à Ruto, qui est plus un expert en missiles politiques qu’en administration. A l’échelle locale, la figure de Ruto est relativement entachée. Il a plusieurs affaires en instance, dont l’une ou une victime des violences ayant suivit l’élection 2007/2008 l’a accusé d’avoir réquisitionné une partie de ses terres après qu’elle ait fuit. Il a aussi été accusé de jouer un rôle dans le scandale de corruption qui a eu lieu lorsqu’il était à la tête du ministre de l’agriculture. De la même manière que Ruto s’est brouillé avec Odinga lors des élections précédentes, il y a suffisamment d'éléments qui suggèrent que le président élu désserrera les liens qui l'unissent à Ruto dès qu'ils n'auront plus besoin l'un de l'autre ou à la fin du premier mandat présidentiel.

Il serait trop tôt pour prononcer d’autres leçons de manière définitive. Les résultats seront mis à l’épreuve et des demandes seront remplies. Cependant, il ne fait aucun doute que le Kenya fonctionne mieux avec la nouvelle constitution mise en place il y a deux ans. Au-delà de la nécessité de faire des avancées politiques à court terme, cette constitution a montré un véritable potentiel pour unir le pays. On espère désormais que les hommes d’Etat et l’administration sauront l’appliquer avec justesse afin de donner aux Kenyans l’opportunité de continuer leurs efforts de construction de paix qui ont repris après les derniers épisodes de violences post- électorales. 

Agostine Ndung'u, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press,

traduction pour Terangaweb – l'Afrique des idées par Ndèye Diarra

Affaire Hissène Habré : la justice panafricaine en construction

HISSENE-habreMercredi 16 janvier, la ministre de la Justice sénégalaise, Aminata Touré, annonçait qu’en février se tiendrait à Dakar, l’ouverture du procès de l’ex dictateur tchadien Hissène Habré. Le soulagement qu’a suscité cette annonce a de loin dépassé la sphère des victimes du régime. Cette annonce signe l’épilogue d’un long feuilleton juridico-politique dans lequel sont apparus de nombreux acteurs. On compte parmi les participants à ce feuilleton, les institutions politiques sénégalaises, tchadiennes et belges, d’importantes organisations internationales de droit international et de défense des droits de l’homme (CIJ, UNCAT, HRW). Dernière, mais pas des moindres, l’Union Africaine a aussi contribué à cette saga de deux décennies de désaccords. L’aboutissement vers un procès est d’autant plus applaudi qu’il marque un moment décisif pour la justice africaine. Le procès Habré déterminera sa capacité à poursuivre l’un de ses dirigeants de façon équitable. On nomme déjà le « précédent Habré », une source d’inspiration pour les futures poursuites des dirigeants du Continent.

L’ascension d’un ancien « chouchou » de l’occident

Considéré par ses partisans comme un fervent combattant contre l’impérialisme occidental, Hissène Habré s’empara du pouvoir le 7 juin 1982 à l’aide de ses Forces Armées du Nord. Son régime succéda ainsi à celui de Goukouni Oueddei. 
Dans son ascension, Habré a reçu le soutien non-négligeable des États-Unis et de la France. Les deux puissances occidentales sont à l’époque très intéressées par le personnage qui pourrait leur servir de contrepoids face au déroutant leader libyen, Kadhafi. Notons au passage qu’Hissène Habré est un ancien de la rue St G. à une lointaine époque où Sciences Po formait de futurs dictateurs…

Malheureusement pour ses soutiens américains et français, Habré ne tarda pas à devenir lui-même le modèle du dirigeant qu’il devait aider à combattre. Arrivé au pouvoir, Habré s’attèle à la construction d’un régime autoritaire. Il restreint l’indépendance des institutions politiques, se munit d’une police politique (DDS) et viole les libertés politiques. S’ensuit alors la systématique chasse aux opposants du régime orchestrée avec un usage régulier et massif de la torture et d’autres formes de violations graves des droits de l’homme.

Rendant son rapport en mai 1992, la Commission d’enquête nationale créé par décret d’Idriss Déby a publié une estimation du nombre de victimes de la terreur de Habré qui serait de 40 000 morts, 54 000 prisonniers politiques et 200 000 victimes de la torture. La commission précise que ces chiffres sous-estiment certainement la réalité des choses. 
Des tchadiens, épaulés par des organisations de défense des droits de l’homme, décident de poursuivre l’ancien dictateur pour obtenir des réparations et recouvrer leur dignité. En revanche, lorsque que l’association des victimes est créée, Hissène Habré a déjà été chassé du pouvoir par Idriss Déby et a trouvé refuge au Sénégal.

Comment l’ex-dictateur est-il resté impuni à travers quatre mandats présidentiels sénégalais ?

Vingt deux-ans, c’est le temps qu’ont attendu les présumées victimes du régime avant qu’Habré n’ait à répondre des accusations dont il fait l’objet.

Il aura déjà fallu dix ans à la justice sénégalaise pour se pencher sur le cas Habré, qui aurait trouvé refuge à Dakar avec, dit-on, la modique somme de 16 milliards de francs Cfa. Abdou Diouf se serait laissé convaincre par Mitterrand d’accepter la présence d’un hôte si encombrant. Abdoul Mbaye, actuel premier ministre, à l’époque directeur général de la CBAO, avait alors donné son feu vert pour qu’une partie de cette somme soit déposée dans les caisses de sa banque. Certes, les deux hommes ne sont pas les seuls grands noms qui sortent du chapeau des personnalités citées dans le séjour quasi touristique Hissène Habré. Le soutien de l’ex-dictateur est grand dans les institutions politiques sénégalaises et chez une bonne partie de la hiérarchie maraboutique. L’ex dictateur serait très généreux en effet avec les familles religieuses.

Dix ans après le feu vert d’Abdou Diouf, l’affaire prend une tournure nouvelle lorsque des présumées victimes, appuyées par la Belgique, adressent une plainte contre ce dernier à Dakar. Le volet politique de l’affaire Habré s’approfondit avec l’arrivée d’Abdoulaye Wade au pouvoir. Le nouveau président ne cache pas son manque de volonté sur ce dossier. Bien que Wade ait tenté à plusieurs reprises de se débarrasser du « colis » Habré, son entourage – constitué par des anciens avocats du dictateur – l’en a longuement dissuadé. De nombreuses raisons ont servi à l’administration Wade pour laisser trainer le dossier. 

Les institutions judiciaires sénégalaises annoncent d’abord leur inaptitude à juger le dictateur pour des crimes commis hors du territoire. Cette annonce fait suite à une intervention douteuse du gouvernement sénégalais dans la nomination des magistrats habilités à enquêter. Cette intervention n’échappe pourtant pas aux rapporteurs des Nations Unies, qui rappellent au gouvernement l’importance de respecter l’indépendance de la justice dans cette affaire. 

L’intervention de la Belgique, interpellée par des présumées victimes de nationalité belge, secoue de nouveau l’affaire. Après plusieurs années d’enquête, en 2005, en vertu de la fameuse et critiquée loi de compétence universelle, la Belgique lance contre Habré mandat d’arrêt international, suivi d’une demande d’extradition. Le Sénégal renvoie alors la balle dans le camp de l’Union Africaine qui, à son tour, s’octroie six mois de réflexion sur le cas Habré, retardant ainsi sa mise en accusation. 

habre-manifestationLasses de cette attente, les associations de victimes dénoncent le Sénégal auprès du Comité des Nations Unies contre la Torture. L’instance reconnait qu’en refusant de poursuivre ou d’extrader Habré, le Sénégal ne respecte pas ses engagements relatifs à la Convention contre la torture dont elle est partie. Le Comité demande aux autorités sénégalaises de prendre rapidement une décision. En juillet 2006, l’Union Africaine donne mandat au Sénégal de poursuivre d’ex dictateur « au nom de l’Afrique ». Contraint, Wade accepte, non sans amertume, de juger Habré. Le gouvernement du premier ministre Macky Sall entreprend alors une série de réformes constitutionnelles et législatives pour permettre au a la justice sénégalaise de pouvoir juger l’ex président tchadien. 

Cette avancée sur le plan du droit est toutefois relativisée par une stagnation sur le plan du financement du procès. Alors que l’Assemblée nationale du Sénégal vote une loi permettant la création d’un tribunal apte à juger Habré, il est décidé qu’aucune démarche ne sera entreprise tant que l’aide financière requise ne sera pas reçue.

Le volontarisme des nouvelles autorités sénégalaises

La chronologie de ce « feuilleton juridico-politique » met l’accent sur quelques maux de la justice en Afrique. Elle a une difficulté à conserver son impartialité et son indépendance face à une politique plus qu’intrusive, qui n’hésite pas à aller en l’encontre de la Constitution et des engagements internationaux.

Et dans cette affaire, l’on s’aperçoit que les présumées victimes sont souvent oubliées. C’est à croire que dans ce méli-mélo, l’on a oublié qu’il s’agissait d’accusations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’actes de torture dont les preuves et les témoins ne pouvaient pas se permettre autant de délais. Inutile de préciser que certains accusateurs ne verront jamais les réparations qui leur sont dues le cas échéant. Le procès, dont le caractère juste et impartial a été annoncé pourrait pourtant être influencé par sa dimension temporelle. Pendant les différentes phases de sa préparation interminable, l’on a peut-être laissé à Habré la meilleure chance de s’en sortir : la vieillesse. 

L’affaire Habré dépeint l’avancée à double vitesse de la justice en Afrique subsaharienne. D’un côté, il existe une volonté de respecter les engagements auprès des institutions internationales. L’Union Africaine n’a cessé d’insister sur l’importance de juger Habré en Afrique. De l’autre, il y a ces hommes politiques qui feignent d’avoir saisi l’importance pour l’Afrique d’écrire son propre chapitre dans le droit international, mais continue à protéger ses homologues à n’importe quel prix. Si Wade lui-même semblait s’accorder avec l’UA concernant le fait que le jugement ne pouvait se passer ailleurs que sur le continent, sa négligence sur le dossier a alimenté les soupçons de la confusion entre immunité et impunité.

L’arrivée de Macky Sall a changé la donne. En moins d’un an, le nouveau président sénégalais, appuyé par l’efficacité de sa ministre de la justice, a fait bien plus que son prédécesseur en deux mandats. Coïncidence ? Non. L’affaire Habré sous Macky Sall prend un tournant logique : celui au cours duquel plusieurs leçons semblent enfin avoir été tirées après vingt-deux années d’attentisme et de mauvaise volonté. Entre autres, on saisit enfin l’urgence de clore un dossier qui traine depuis deux décennies. Mieux, les partisans d’Habré encore présents aujourd’hui encore dans l’administration sénégalaise ont perdu leur influence sur les décisions et n’ont pas osé intervenir.

Rien ne sert cependant de crier victoire à l’approche du procès. Nous ne sommes, vingt-deux ans après, qu’au commencement des choses.

Ndeye Diarra