Economie verte, de quoi parle-t-on?

Développement durable, économie sociale et solidaire, et enfin, économie verte. Autant de termes rentrés dans notre vocabulaire, employés lors des conférences internationales mais parmi lesquels il est parfois difficile de se retrouver. Cet article propose une approche pragmatique pour délimiter plus clairement les contours de l’économie verte. Il se base sur quinze entretiens réalisés au Congo Brazzaville, auprès d’entrepreneurs locaux, actifs ou non dans le secteur vert[i].

Nouvelle imageUne enquête de terrain démarre toujours par une intuition, ici celle que l’économie verte au Nord et au Sud ne pouvaient pas être observées avec la même grille de lecture. La définition de l’économie verte donnée par le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) apparaît suffisamment vague pour satisfaire les intérêts d’une communauté internationale hétérogène mais bien trop imprécise pour donner à voir une quelconque réalité. Pour le PNUE, « l’économie verte est une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l'équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources. Sous sa forme la plus simple, elle se caractérise par un faible taux d'émission de carbone, l'utilisation rationnelle des ressources et l'inclusion sociale». Qu’en retenir ? Simplement que cette économie engage à replacer l’homme et l’environnement au cœur des activités.

Au Nord, dans les pays industrialisés, l’économie verte est souvent liée à une importante transition énergétique, technologiquement ou structurellement encore hors de portée des pays du Sud. On  parle en France d’éoliens, de désalinisation de l’eau de mer, d’agriculture biologique, de normes ISO ou encore d’incitations fiscales. On parle bien d’ailleurs plus de croissance verte que d’économie verte, limitant dès lors la possibilité de changer de paradigme économique. Finalement, l’économie verte au Nord serait une version édulcorée de la manière de produire et de concevoir les échanges économiques qui montre des signes d’épuisement. De fait, plusieurs personnes spécialisées sur la question en France envisageaient mal la déclinaison de l’économie verte sur le continent africain. Si l’économie verte est une économie qui inscrit au cœur de ses activités des préoccupations sociales et environnementales, jusque-là conditionnées à la réussite économique, alors pourquoi l’Afrique ne pourrait pas s’engager dans cette voie ? Intervient à ce moment de l’enquête ce qui relève plus d’une conviction : le développement économique ne saurait être un pré-requis au développement de l’économie verte.

Changer de grille d’analyse pour démontrer la réalité de l’économie verte au Sud nécessite d’adapter les critères au terrain. Pour cette raison, revenir sur le contexte sous-régional puis aller à la rencontre des entrepreneurs congolais a été à la fois une nécessité et le fondement même de ma compréhension de l’économie verte au Congo.

Les pays d’Afrique Centrale, parce qu’ils abritent sur leur territoire la forêt du Bassin du Congo, se positionnent clairement depuis 1999 en faveur du développement durable sur la scène internationale[ii]. La Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) a même adopté à Brazzaville, le 16 juin 2012, sa position commune sur l’économie verte pour la Conférence Internationale de Rio+20. Les outils de financement de l’appui au développement de l’économie verte, comme le Fonds vert, tardent à voir le jour et finalement, les entrepreneurs congolais se disent peu influencés par ce qui se déroule sur la scène politique.

Au fil des discussions, deux critères se sont imposés pour différencier les entrepreneurs faisant partie de l’économie verte : la volonté d’avoir une activité d’intérêt général et un réel impact local.

Les entrepreneurs rencontrés ont fait des études, ils ont acquis une compétence qu’ils ont souhaité mettre à profit pour sortir leur pays du sous-développement. Ils ont aussi choisi de partager leurs connaissances pour améliorer, avec leurs produits ou leur service, les conditions de vie des populations. Ces entrepreneurs actifs dans le domaine des déchets, de la transformation agro-alimentaire, de l’eau, de la santé, passent une bonne partie de leur temps à former leurs salariés et à expliquer à leurs potentiels clients la valeur-ajoutée d’un produit local naturel. La consommation made in Congo est loin d’être une évidence, et une certaine méfiance habite les consommateurs congolais vis-à-vis de ces produits. L’un des entrepreneurs rencontrés fabrique par exemple des briques en argile, bien plus adaptées au climat équatorial que le ciment, mais délaissées par les Congolais. Il utilise un savoir-faire oublié au Congo, et se retrouve obligé de former non seulement ses salariés mais également les maçons employés par ses clients.

Les entrepreneurs « verts » cherchent à mettre en avant des circuits courts de commercialisation et des modes de production plus intégrés. Bien plus que le cœur de métier, le désir de l’entrepreneur de valoriser les savoir-faire ou les produits locaux apparaît alors déterminant pour faire entrer un entrepreneur dans l’économie verte.

Enfin, leur impact local est réel. Ils créent des emplois durables, qualifiés. Ils favorisent également l’émergence d’un tissu entrepreneurial durable autour de leur activité, sensible au respect de l’environnement et des cultures locales. Le cas du secteur agroalimentaire est particulièrement éclairant : pour sécuriser leur approvisionnement en matière première, les entrepreneurs actifs dans la transformation doivent structurer en amont la filière de production. Ils ont permis la création de coopératives agricoles et créent ainsi de nombreux emplois indirects tout en revalorisant les cultures locales perçues comme peu rentables.

Pour entreprendre, ils font face aux mêmes difficultés que la plupart des dirigeants d’entreprises au Congo, en particulier pour accéder au financement. Les entrepreneurs de l’économie verte gagnent des prix, des bourses, des reconnaissances internationales mais manquent cruellement de visibilité au niveau local.

Parler d’économie verte au Congo, c’est avant tout parler d’une motivation à entreprendre qui dépasse les bénéfices économiques potentiels pour se focaliser sur l’impact positif sur les populations et l’environnement. L’entrepreneuriat social devient alors une sorte de cousin germain de l’économie verte, qui mettrait plus l’accent sur l’impact social et dont l’impact environnemental serait un bonus. A mon sens, l’économie verte est l’application concrète, pratique et viable du volet économique du développement durable. Elle possède au Congo, et peut être plus généralement dans la sous-région, un potentiel qui ne demande qu’à être exploité pour favoriser un développement plus respectueux de l’environnement local.

 

Véra Kempf

 


[i] Les interviews ont eu lieu de mars à juin 2013, dans le cadre de mon mémoire de fin d’études (SciencesPo – PSIA 2014).

 

 

[ii] Déclaration de Yaoundé de 1999, qui crée notamment la COMIFAC, la Commission des Forêts d’Afrique Centrale.

 

 

Le génie végétal : un espoir pour des espaces miniers plus durables

L’Afrique, terre de ressources naturelles inexploitées

L’Afrique regorge de matériaux précieux pour confectionner puces électroniques et téléphones portables ou encore pour faire rouler automobiles et avions. De nouveaux gisements sont régulièrement découverts sur le continent ou au large de ses côtes. La fameuse « malédiction des ressources » exprime bien que celles-ci peuvent se transformer en véritables moteurs économiques tout comme elles peuvent devenir des éléments aliénants et de paupérisation. Au-delà des aspects social et sociétal des économies basées sur l’exportation de matières premières non renouvelables, leur extraction est génératrice de multiples bouleversements environnementaux. Comment atténuer ces effets et valoriser les espaces miniers ?

Une pratique inspirante

Il n’y a pas de recette miracle, mettons-nous d’accord là-dessus. Une carrière restera un gros trou dans le paysage, et l’écosystème après une extraction, a peu de chance de recouvrer sa diversité initiale. Il est cependant possible de limiter un tant soit peu les dégâts, notamment l’érosion des sols, la pollution des nappes souterraines et la disparition de la végétation.

Le génie végétal recoupe un ensemble de pratiques peu connues du grand public. Vous ignorez peut-être leur fonction mais vous les connaissez, ces buissons plantés au bord des autoroutes ou sur les pentes accidentées. Dans le domaine des mines, les technologies du génie végétal sont encore peu utilisées sur le continent africain. De « vieux » pays miniers tels que la Nouvelle-Calédonie ou le Canada en font usage depuis longtemps, et travaillent déjà à stabiliser leurs sols et limiter la diffusion des polluants. Un couvert végétal draine en effet plus efficacement l’eau des pluies et diminue ainsi les risques de mouvements de terrain, d’inondations et de poussières dans l’air.

Prévenir et réparer : deux techniques différentes

Les techniques utilisées dépendent bien évidemment du climat et de la topographie du terrain, mais aussi du moment d’intervention dans l’exploitation minière.

La phyto-remédiation

Il est possible de limiter une pollution, liée à l’accumulation de matériaux toxiques sur un terrain, ou du rejet d’un polluant à un moment donné de l’extraction. Cette situation pourrait être qualifiée « d’urgente », car bien souvent elle fait suite à une mauvaise prise en compte des impacts environnementaux. La technique employée, la phyto-remédiation, consiste alors à planter dans la zone dégradée des végétaux, choisis pour leurs propriétés, afin d'absorber les polluants. Soit les substances polluantes sont dans l’air et elles sont absorbées par les feuilles, soit elles ont pénétré les sols et sont alors extraites par les racines. Selon le type de végétaux, les polluants peuvent être atténués, détruits ou stockés. A la fin du chantier, les plants sont brûlés dans un cadre industriel avec un filtre, pour éviter le rejet des substances toxiques à l'incinération.

Pour comprendre en image

La revégétalisation

Dans une optique de long-terme, la revégétalisation offre une plus grande amplitude pour agir sur les externalités négatives de l’extraction minière sur l’environnement. Comme son nom le fait penser, la revégétalisation consiste en la plantation de végétaux, technique qui vise principalement à lutter contre l’érosion des sols, conséquence majeure d’une extraction.

L’instabilité des sols constitue non seulement un danger pour l’environnement, mais également pour les installations de l’entreprise et les populations environnantes. La revégétalisation est une intervention globale, qui se décline sur toutes les infrastructures du chantier d’extraction (bases-vie, pistes, chantiers…), et qui intervient à toutes les phases du projet : en amont lors des études d’impacts, lors des phases d’exploration (forages), pendant la construction, durant l’exploitation et à la fin de l’exploitation pour réhabiliter le site. Plus l’exploitant démarre ces activités de réhabilitation tôt, plus les résultats seront bons, et plus les coûts pourront être amortis dans la durée.

En matière de revégétalisation minière, différentes techniques sont possibles. Pour les petites surfaces ou techniques, les plantations d’herbacées sur un mode traditionnel sont largement à privilégier. C’est d’ailleurs la solution la plus répandue en Afrique, comme au Congo Brazzaville par Planetic pour le compte du pétrolier italien Eni. Lorsque les surfaces à planter tendent à s’étaler sur plusieurs hectares, le recours à des techniques plus complexes s’impose. L’hydroseeding, principalement utilisé pour les grandes surfaces faciles d’accès, consiste à projeter, à l’aide d’un camion hydroseeder, un mélange d’eau, de graines et fixateurs, pour permettre le développement rapide d’un couvert végétal.  L’hydromulching, destiné à de zones plus vulnérables à l’érosion, procède également par projection mais est suivi d’une protection de ces sols sensibles et des semences par la projection de géotextiles à très petites mailles pour renforcer les chances de pousse.

L’avenir du génie végétal

Les coûts d’une telle opération sont relativement bien amortis dans la durée, et permettent surtout une plus grande stabilité pendant l’extraction. L’image de marque de l’entreprise est bien sûr en jeu : laisser un site pollué et mettre en danger la vie des populations après la période d’extraction ne fait pas bonne presse.

Ces techniques de génie végétal, et notamment la revégétalisation, sont des sources d’emploi et de savoir-faire très intéressantes pour le développement. En Nouvelle-Calédonie, un site minier peut disposer d’un service entier dédié à la revégétalisation, employant huit personnes et faisant travailler trois à quatre sous-traitants (pépinières, récolte de semences, ouvriers et techniciens agricoles, ingénieur agronome, etc.). Un opérateur comme Planetic engage ses ouvriers dans les villages avoisinant le site, sans qualification pré-requise, et les forme à cette technologie toute nouvelle pour eux. L’impact est ainsi local et direct.

Le génie végétal s’impose comme une technologie d’avenir, en adéquation avec les principes du développement durable. D’innovation, il doit devenir pratique courante. Pour ce faire, les pays miniers doivent s’intéresser plus assidûment à l’inscription de la revégétalisation et de la dépollution des sols dans les cahiers des charges des exploitations minières. Aller vers une gestion durable des espaces miniers, nécessite par ailleurs d’instaurer des mesures complémentaires telles que la transparence des comptes (voir l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives), la redistribution des ressources issues de ces industries extractives ou encore la sécurité des sites et les garanties sociales accessibles aux ouvriers. Tous ces critères me semblent la base d’une responsabilité sociétale des entreprises minières. Aujourd’hui, la démarche de fabriquer un téléphone portable équitable, qui garantisse les conditions d’extraction et de production des composants par exemple, reste marginale. Imaginez les retombées si les choix des consommateurs commencent à peser sur le marché du mobile ! C’est aux dirigeants des pays miniers, aux jeunes d’Afrique et d’ailleurs, aux amateurs de haute-technologie et autres, tels que nous, de prendre des décisions pour la planète et le développement.

Véra Kempf

 

Pour en savoir plus (en anglais) :

en image : Dessin

http://www.youtube.com/watch?v=WDGkBpsVjtc

http://www.youtube.com/watch?v=w99mGLfb4_g

 

Un autre article de l’Afrique des idées sur la valorisation de l’écosystème  :

 http://terangaweb.com/quelle-valeur-du-patrimoine-ecologique-africain-cas-virunga/

Les déchets : Une spécialisation pas comme les autres

Véra Kempf poursuit ses analyses sur la gestion des déchets. Cet article est le resultat d'échanges avec un acteur du domaine.

Urbain Anselme Nkounkou a plusieurs casquettes. Vous le croiserez peut-être dans les rues de Clichy où il est adjoint au Directeur des Services de la Ville, dans les couloirs de l'Université du Mans où il enseigne depuis 1998, ou même encore à Pointe-Noire où ce brazzavillois passe quelques semaines par an auprès des étudiants de l'Ecole Supérieure Technique du littoral. Au cœur de toutes ses activités : les déchets, sous toutes leurs formes et tout au long de leur cycle de vie. Voici quelques éléments de discussion avec un homme qui se dit « tombé dans les poubelles très jeune » !

Un parcours terre-à-terre en France

Urbain Nkounkou est chimiste de formation. Commençant par étudier les comportements des sols, il finit par s'intéresser aux déchets comme l'un des composants qui, comme les organismes vivants, modifient l'écosystème. Au-delà des externalités négatives qu'ils génèrent en s'accumulant (pollution des sols, dépôts chimiques, etc), les déchets ont aussi souvent été utilisés en France pour réhabiliter des espaces, par exemple transformer des anciennes carrières en décharges municipales.

Pour sa thèse, Urbain Nkounkou planche sur la « Gestion des déchets en Ile de France : corrélations entre les lieux, l'espace habité et la composition des ordures ménagères ». Sujet dont on pourrait penser qu'il a facilement été traité à partir de statistiques, bien confortablement derrière un bureau. Bien au contraire, et parce qu'il a appris que pour appréhender un problème, il faut le côtoyer, le jeune Urbain s'est livré à une analyse de terrain microscopique des déchets générés par des communes de 5 000, 8 000, 15 000, 22 000, 50 000 et enfin 90 000 habitants. Type d'habitat, catégorie socio-professionnelle, structure du foyer : tout s'explique dans une poubelle. A contrario, « donnez-moi votre poubelle, je vous dirai qui vous êtes » dit-il en souriant !

Une compétence déployée en Afrique

Dans le cadre d'une coopération décentralisée entre la ville de Clichy et la commune de Ouakam au Sénégal, Urbain Nkounkou a eu l’occasion de transposer son savoir-faire au continent africain.

CIMG1003L'objet de sa mission était alors de planifier un système de pré-collecte des déchets, qui soit performant et adapté au terrain. Il a ainsi arpenté toutes les rues et ruelles de la ville afin d’établir une base de données sur le type d'habitat, les voies accessibles en camion ou avec une brouette, la présence de caniveaux ou de décharges sauvages, etc. Pour envisager le type et la quantité de déchets générés, ce sont les élus municipaux qui ont servi de cobayes. Avec son expérience au Sénégal, Urbain Nkounkou confirme l'enquête de la Banque Mondiale[1] : pour des raisons culturelles et d'habitudes alimentaires, la majorité des déchets générés par les ménages africains sont organiques, et par là biodégradables.

Les recommandations tirées de son enquête n'ont malheureusement pu aller bien plus loin. La collecte des déchets ménagers de Ouakam incombe en réalité à l'agglomération de Dakar. Si celle-ci s’est révélée défaillante, Ouakam ne peut changer seule la situation des déchets sur son territoire sans moyens supplémentaires. Des initiatives privées se sont alors organisées pour pallier ce manquement et assurer la salubrité du quartier. Lors de précédents articles, j'ai pu souligner à quel point je suis persuadée que le secteur privé a un rôle essentiel à jouer dans le secteur des déchets en Afrique, et qu'il peut y trouver son compte. Urbain Nkounkou pense pour sa part que sans Etat fort, rien ne sera possible à long-terme. Un cadre règlementaire pour la collecte des déchets existe bien souvent dans les pays africains, mais le principe de « celui qui a l'argent dans la rue décide si le camion poubelle passe» empêche son application.

En attendant, Urbain Nkounkou finit par reconnaître qu’il est possible de faire avancer la cause des déchets à court-terme, par des actions de sensibilisation et d’appui… au secteur privé !

Deux clés pour une gestion efficace des déchets

Conscientiser les populations. Pour ce faire, la ville de Clichy poursuit son action à Ouakam avec un budget de 630 000€ sur trois ans. Au programme, sensibiliser les habitants aux conséquences sanitaires de l'accumulation des déchets (maladies hydriques, moustiques, etc). Urbain Nkounkou a identifié les personnes ressources, les sages et les « écoutés », ceux qui pourront se faire les relais de cette information. Les femmes et les écoles occupent un rôle tout particulièrement important dans cette stratégie.

Valoriser. Un déchet ne pourra être valorisé localement en Afrique que s'il connaît déjà un débouché. Urbain Nkounkou est convaincu que la marche à suivre consiste à professionnaliser et à structurer les filières existantes, autrement dit valoriser le savoir-faire local et s’adapter aux réalités du terrain. En Afrique centrale par exemple, la ferraille, le bois, la sciure sont bien valorisés à petite échelle. Ils pourraient donc être à l’origine de projets de plus grande envergure. Suivant cette logique, il ne nous reste qu'à imaginer un système d'avantages comparatifs dans la revalorisation !

Les déchets ne sont pas seulement un gisement d'opportunités, une source de richesse incroyable, ils sont pour Urbain Nkounkou une véritable mine d'or ! A exploiter au plus vite, avant que  cet or ne  vienne plomber le développement.

 

Véra Kempf

 

 

 

 

 

 


[1]    Daniel Hoornweg and Perinaz Bhada-Tata, March 2012, No. 15, Urban development Series, commenté dans l'article Poubelles d'Afrique, http://terangaweb.com/poubelles-dafrique/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Carnet de voyage : Une mundélé* et une nuit sans courant

Véra Kempf revient sur quatre mois passés à Pointe-Noire (République du Congo). Derrière le ton décalé et l'humour pince sans-rire se dessine une image du quotidien des habitants de cette ville, faite de détails et d'impressions qui ne sont généralement accessibles qu'aux vrais outsiders, sinon à une "mundélé" au Congo : la débrouillardise, la curiosité vis-à-vis des autres, mais aussi la crise économique et énergétique dans ses aspects les plus pratiques. Et les couleurs de la nuit.


J’aime les voyages mais je ne suis pas une intrépide.  Au hasard des rencontres et des mains serrées, j'ai pris l'avion pour quatre mois à Pointe-Noire, Ponton-la-belle où l’or noir coule à flot. Plus d'un million d'habitants contribuent à donner à celle qui fut la capitale du Congo à la veille de la décolonisation, un rôle moteur pour l'économie du pays. Malgré un certain confort de vie citadine, les délestages restent aujourd’hui encore fréquents. Sans groupe électrogène à la maison (chose rare pour une expat), j'ai été confrontée à un manque d'électricité chronique. J'ai appris à vivre dans le noir sans en avoir l’air. J’ai appris à vivre une, deux, trois, six nuits de suite (mon record) sans courant. J'en suis ressortie plus dégourdie, et résolument convaincue du retard que causent les carences énergétiques au potentiel économique du Congo. Récit.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA            Soudaine et sans transition, si régulière pourtant dans ses horaires, la nuit sous l’équateur enveloppe la vie dès 18h. Les yeux presque bandés, il faut se retrouver dans le labyrinthe des ruelles sans réverbères. Sortie du goudron de l’avenue du général De Gaulle, je ne sais plus où je mets les pieds. La roulette congolaise, c’est savoir si ton prochain pas ne te mène dans une crevasse, si ta chaussure sera encore sèche en arrivant chez toi. A tout prendre, jouer c’est mieux que d’avoir la frousse, ça occupe les méninges. De toute façon, tu n’as pas le choix. La lumière ici, c’est un privilège.

            18h30, c’est l’heure où les petits bus, ceux des hippies sous d’autres latitudes, sont pleins à craquer. Dix-neuf personnes, chauffeur et contrôleur compris, font le voyage jusqu’à chez eux en mode collés-serrés, mais sans danser. Chez eux, c’est loin là-bas, dans les quartiers reculés de la « Cité ». L’urbanisation non contrôlée les entraîne toujours un peu plus loin, rallongeant ainsi leurs trajets quotidiens.

            Dans la lumière des phares, on distingue les silhouettes qui guettent les navettes encore libres. A 18h30 c’est la panique, la cohue, la baston pour réussir à monter dans l’omnibus qui suit votre itinéraire. Une fois montés, le vendeur d’œufs ambulant, la ménagère des expatriés, la fonctionnaire de la mairie restent silencieux, le regard droit et les paupières lourdes. Toutes les odeurs se mélangent, il y a du manioc et de la sueur, de la fatigue et de la résignation dans les cent-cent[1] de ces heures. Les têtes endormies bringuebalent à la cadence du bitume. Les coups de klaxons, les accélérations imprévisibles et l’annonce des arrêts s’occupent de l’ambiance.

            Je suis riche, je loge près du centre-ville. Je descends bien avant que les ennuis de tous ces gens commencent. A peine débarquée, je le constate plus que je ne le vois : ce soir sera une nuit sans courant. Le transformateur du quartier alimente l’Hôpital A. Sicé, il y a des chances pour que la panne soit vite réparée. La batterie de mon ordi attendra, mes lectures aussi, le plus important maintenant c’est la patience et l’organisation.

            Je passe faire la razzia de bougies chez le wara, le west Af’ sur la place de la Bourse du travail. Avec son groupe électrogène, il n’a pas encore fermé. Un petit garçon lui tend une pièce de 500 Francs contre son kilo de sucre. Après ma commande, impassible, le vieux mauritanien reprend sa prière à Allah interrompue. Business, religion, adaptation.

            Au bout de ma rue, les fumées des vendeurs de brochettes alourdissent encore un peu plus la chaleur équatoriale. Avec Bengazi, jamais de répit sonore dans le quartier. Les dance floor ouvrent tous les jours à 14 heures, avec Lady Gaga et la rumba, la fête a de quoi durer jusqu'à 3 heures.

            OLYMPUS DIGITAL CAMERALa rue Mampili était connue pour être mal famée, envahie par les filles de joie, contaminée par le Sida et encrassée par les clients venus s’en mettre plein la vue au seul cinéma porno de la ville. L’emplacement de Satan est toujours là, mais aujourd’hui c’est un théâtre éphémère de la vie quotidienne. Un puits d’eau est resté, comme un trésor dans le dédale des ruines en béton armé. La journée, les femmes l’investissent pour y faire la lessive ou préparer le saka-saka[2]. A la tombée du jour, les enfants des parcelles voisines viennent s’y laver, les filles puis les garçons. Quand j’arrive, le scénario est immuable. J’avance en regardant bien droit devant moi, pour ne pas les surprendre dans leur toilette intime, on ne sait jamais. C’est à ce moment qu’ils m’apostrophent pour engager la conversation : « Mundélé, mundélé, mundélé ! ».

            De jour comme de nuit, on me voit de loin. De jour comme de nuit, ils savent et je sais que ma peau blanche me rend différente. En dehors de Mampili, des mains se tendent pour demander 100 Francs. Ici, c’est surtout des bonbons que me réclament les gosses. Mon appareil photo me donne parfois un prétexte en or pour faire durer la réplique. Ils adorent poser en groupe, jouer à l’équipe de foot victorieuse, faire des grimaces. Peut-être ne savent-ils pas qu’une photo n’a pas de son, alors ils crient, ils se déchaînent. Sur les quinze photos que je prends d’eux, trois seulement sont miraculeusement nettes.

            19h, les voisins ne peuvent pas regarder le match du Barca (LE club que tout le monde supporte ici) mais ils peuvent toujours déboucher en riant une Primus ou une Ngok, les bières du cru. Chez moi, j’ai fini par accumuler l’armada du progrès et des vieux remèdes pour chasser les ténèbres : une lampe à pétrole, des dizaines de bougies et une lampe solaire. Pas sûr que ça suffise à chasser mes fantômes. « Si tu jettes un tronc d’arbre dans la rivière, il ne va pas se transformer en caïman » dit le proverbe . Mais avec le temps, il s'imbibe d'eau et ne fait plus qu'un avec la rivière. Tout doucement, je change mes habitudes et l'électricité devient à mes yeux une source de joie et de richesse.

Un petit mot pour conclure

OLYMPUS DIGITAL CAMERAMon expérience urbaine ne relève en rien de l'exploit et n'a été pour moi qu'une introduction à ce que peut être le quotidien de millions de personnes, en Afrique et ailleurs dans le monde. Par la suite, j'ai pu interroger deux entreprises actives dans le solaire au Congo. Il semble que le solaire constitue une solution adaptée aux habitations les plus éloignées, et que les appels d'offre publics, les donations privées à des villages traitent de mieux en mieux la problématique énergétique. Garantir, par l'énergie solaire, eau et électricité en permanence dans des hôpitaux reculés constitue par exemple une bonne manière d'attirer du personnel médical réticent, qui trouvera en brousse d'aussi bonnes, voire meilleures, conditions de vie qu'en ville.

* Mundélé=le blanc en munukutuba


[1] Nom des bus, parce le trajet coûtait 100 Fcfa (150 actuellement)

 

 

[2] Plat à base de feuilles de manioc

 

 

Les déchets : gisement d’opportunités économiques au Congo

Cet article continue la série d'analyses développées par Vera Kempf sur la gestion des déchets et l'environnement en République du Congo. 

 

Le thème des déchets fait rarement la une, à tort. Réinventer du neuf avec du vieux, voilà une expérience innovante. C’est aussi le cœur de l’économie verte, ce nouveau concept dont le Congo Brazzaville a fait son fer de lance en matière de développement.

plastique Congo

Le Congo vise le statut de pays émergent d’ici 2025, et malgré ses 4 millions d’habitants, il observe aujourd’hui une croissance démographique rapide. Par conséquent, un niveau de vie en hausse et des habitudes de consommation plus polluantes sont à prévoir dans les prochaines décennies. A terme, une quantité de déchets plus importante va être générée.

Le gouvernement congolais, par le décret n° 2011 – 485 du 20 juillet 2011 [PDF], a interdit l’usage de sacs plastiques pour des biens de consommation, notamment alimentaires. Difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact de cette loi, ses effets rebonds ou ses corollaires. Elle démontre cependant une prise de conscience des pouvoirs publics pour la question des déchets.

Entreprendre dans les déchets

Le manque de stratégie et de moyens publics en matière de déchets, ainsi que l’importance du travail à réaliser, ouvrent des opportunités réelles pour le secteur privé. Emergent ainsi à Pointe-Noire plusieurs PME bien décidées à s’emparer du marché. Parmi elles, nous avons rencontré SURYA et Healthy Environment. Deux exemples d’une application concrète de l’économie verte au Congo et une mise en avant des éléments qui freinent encore son développement.

Sans être philanthropiques, ces deux entreprises ont été créées avec le but affirmé de participer à l’amélioration des conditions de vie des populations. Elles ont un impact direct et observable sur la création d’emplois et sur la salubrité des quartiers dans lesquels elles opèrent.

Créer des emplois verts décents, voilà une des convictions du Bureau International du Travail (BIT) à propos de l’économie verte[1]. Un emploi stable, un salaire régulier, une profession valorisée, des conditions de travail sécurisées, et dans de nombreux pays africains, cela va de pair avec la sortie de l’informel. Les éboueurs informels sont encore nombreux dans les rues de Pointe-Noire, ils ont disparu des rues de Nkayi où la mairie a externalisé la gestion des déchets pour la confier à SURYA. En revanche, ce sont  190 emplois de créés à Nkayi et 90 à Pointe-Noire, pour ces seules deux entreprises actives sur le marché depuis deux ans et avec une parité hommes-femmes presque atteinte (48% – 52%). Après une période d’essai, les employés sont embauchés en contrat à durée déterminée renouvelable. Les éboueurs portent des tenues de travail adaptées à leur activité et reçoivent un salaire chaque mois, versé par un organisme de micro-finance.

Les difficultés du secteur

Patience et endurance sont nécessaires pour gagner la confiance des ménages qui s’en remettent souvent au secteur informel, pour démarcher des clients et collecter l’argent auprès des particuliers. Chaque entreprise a sa méthode de facturation : à la quantité, à la fréquence de collecte, à la distance… Même largement subventionnée comme à Nkayi, la contribution de 240 Fcfa demandée est parfois difficile à percevoir à la fin du mois. A cela se rajoutent les coûts élevés pour obtenir l’agrément étatique, et ceux de dépôts à la décharge municipale. A Pointe-Noire, pour 3m3 d’ordures les entreprises payent 3 500 Fcfa. Malgré ces difficultés de trésorerie et les coûts annexes, SURYA enregistrait en 2012 une progression de 21% de son chiffre d’affaires par rapport à 2011. Le green business est là, sous nos yeux.

Aller au-delà de la collecte

On ne change pas les mentalités en signant un contrat de service avec un ménage. Les immondices qui jonchent les rues ne rentrent pas dans les compétences des entreprises, elles constituent donc encore un risque important d’insalubrité dans les quartiers. Si l’on en croit cependant l’exemple de Nkayi après deux ans d’activité de SURYA, les décharges à ciel ouvert disparaitront avec le temps et le professionnalisme des entreprises, qui sensibilisent autant qu’elles assainissent.

L’implication du secteur privé dans les déchets permet une efficacité dans la collecte, premier maillon de la chaîne de gestion des ordures. Perdure la question du traitement et du stockage, que ces petites PME n’ont pas encore les moyens de prendre en charge. Enfouis dans les décharges municipales, ou incinérés, les déchets ne sont ni recyclés ni valorisés en dehors du secteur informel. Les entreprises le savent, et parlent d’avoir leur propre zone de stockage comme d’un objectif à atteindre à moyen terme, quand elles pourront vivre décemment de leur activité de collecte.

Pour rentrer complètement dans l’économie verte, les entreprises du secteur doivent encore relever l’enjeu de la valorisation. Pour cela, les financements demeurent essentiels. Un Fonds pour l’Economie verte en Afrique centrale devrait voir le jour sous peu. Espérons qu’il répondra à leur demande, ou que les mairies sauront inventer des partenariats dynamiques et exigeants pour le développement urbain.

Poubelles d’Afrique

Parler des poubelles est d’une banalité sans nom et sans intérêt en Europe, en tout cas en France. Le bruit du camion à poubelles est pour beaucoup de citadins l’unique dérangement causé par nos ordures. En Afrique, les déchets vous sautent aux yeux dès la première ruelle. Avec le temps, ils finissent par faire partie du décor. Les villes africaines doivent se doter dans les prochaines années d’une véritable stratégie de gestion des déchets, pour amorcer un pas de géant vers l’amélioration des conditions de vie de leurs populations.

Les déchets en Afrique

Je me souviens d’une citation glissée dans les papillotes de Noël qui m’amusait beaucoup: « tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut descendre la poubelle ». Sortir la poubelle. Ce geste, ancré dans le quotidien en Europe, est le préalable d’une longue chaîne de collecte, tri et recyclage. Un maillon primordial pour que nos rues soient propres et nos enfants en bonne santé. Dans des villes comme Paris, le réseau des égouts et le ramassage des ordures ont été mis en place après des épidémies meurtrières de choléra au XIXème siècle. L’Afrique a une croissance prospère, et la possibilité de bénéficier d’expertises du monde entier dans la gestion des déchets. Pour l’Afrique aussi, le développement durable et équitable commence par se pencher sur les poubelles.

A Pointe-Noire, au Congo, accepter de sortir la poubelle est une chose. Trouver l’endroit où la jeter en est une autre. Les tas d’immondices jonchant les rues indiquent où les gens déversent leurs ordures : partout, en dehors de leur parcelle, au gré des opportunités. Des bacs à ordures collectifs, il y en a. Mais cachés, éloignés, et vite saturés. En matière de déchets, le Congo et beaucoup d’autres pays d’Afrique jouent à la politique de l’autruche. Ils se voilent la face et déplacent le problème de la parcelle à la décharge municipale. Après, rien. Les entreprises reprennent le flambeau de ce service public délaissé par les pouvoirs locaux. Elles triment à organiser la récolte et ne sont pas assez structurées pour organiser la valorisation. Un portrait de ces nouveaux business, dans un article à venir.

Dans ce premier article sur les déchets, commençons par le commencement. Parlons concrètement de la composition des poubelles africaines et de la participation de l’Afrique sub-saharienne à la quantité mondiale de production de déchets. Les données en la matière sont bien entendu difficiles à obtenir. Le rapport de la Banque Mondiale, WHAT A WASTE – A Global Review of Solid Waste Management[1], offre une comparaison des situations et des pratiques sur les différents continents. Les chiffres des pays africains datent de plusieurs années, mais les grandes tendances sont présentées. Un maître mot : anticiper. Anticiper la croissance économique, démographique et urbaine, en particulier ses conséquences sur la production de déchets (industriels, ménagers, etc).

La part de l’Afrique dans la production totale de déchets

Cela est dit et répété, le continent africain est celui qui pollue le moins. Il existe une très forte corrélation entre le niveau d’émission de gaz à effet de serre et la quantité de déchets produite. L’Afrique émet encore peu de déchets, en comparaison avec les autres parties du monde.

Le graphique ci-dessous détaille la contribution des différentes parties du monde à la production mondiale de déchets. Avec ses 5%, l’Afrique sub-saharienne a de quoi se réjouir.

waste by region

Source : Banque Mondiale

Les villes contribuant significativement plus à la production nationale de déchets, l’urbanisation croissante des métropoles africaines sera un facteur déterminant dans la génération future de déchets par le continent africain.

Au lieu d’imaginer avec horreur un monticule d’ordures grandissant, voyons les agglomérations africaines comme de fabuleux laboratoires pour expérimenter et innover dans la gestion des déchets.

Qu’y a-t-il dans les poubelles africaines ?

Ce deuxième graphe permet d’identifier rapidement les plus grandes composantes des déchets en Afrique. Les déchets organiques constituent la part la plus importante des déchets émis dans les villes africaines, et dans les pays à faible revenu en général.

type of waste

Source : Banque Mondiale

A courte vue, cela laisse espérer une amélioration aisée et rapide de la chaîne de gestion des ordures. Mieux organisée, la filière pourrait se concentrer rapidement sur ces déchets biodégradables, valorisables sans trop de difficulté. Il s’agit sans conteste d’une nécessité.

N’oublions cependant pas les tendances qui lient la croissance économique et démographique à la production de déchets solides. Comme l’expliquent très bien les auteurs de la publication Banque Mondiale, plus les ménages s’enrichissent, plus les biens consommés sont complexes et utilisent de papier, de métal et de plastique. La part des déchets organiques dans la production totale de déchets des pays de l’OCDE tombe relativement à 27% et celle des déchets papiers augmente à 32%. Les pays africains, compte tenue de la croissance économique en cours ou à venir, doivent donc avoir une approche globale de la gestion des déchets. Réfléchir à la gestion des déchets non-organiques s’impose dans une perspective de pays émergents en devenir.

Investir dans la gestion des déchets = investir dans le développement

Sans conteste, la question des déchets s’inscrit parmi les plus grands défis à relever par les pays africains. Comme dans de nombreux domaines, les technologies actuellement disponibles permettent de déployer rapidement des initiatives innovantes en la matière. Valorisation, recyclage, transformation, les débouchés économiques sont certains. La création de nouveaux emplois et l’amélioration des conditions sanitaires dans les villes permettent d’envisager les déchets comme une nouvelle source de richesse, et un axe central du développement de l’économie verte dans les pays africains.

[1] Daniel Hoornweg and Perinaz Bhada-Tata, March 2012, No. 15, Urban development Series

 

 

Rôle des Chambres de Commerce : Interview avec Sylvestre Didier Mavouenzela

OLYMPUS DIGITAL CAMERALes personnalités qui font tout pour garder les pieds sur terre ne sont pas répandues. Didier Mavouenzela fait partie de ces hommes qui préfèrent faire avancer leur cause plutôt que de s’attarder sous les projecteurs. Président de la Chambre de Commerce, d’Industrie, d’Agriculture et des Métiers (CCIAM) de Pointe-Noire depuis 1999, il revendique avant tout le dialogue pour améliorer le climat des affaires et le dynamisme du secteur privé au Congo. Une rencontre tout en simplicité.

L’Homme

Quel est votre parcours et depuis quand vous intéressez-vous aux entreprises congolaises ?

J’ai fait une License de gestion à l’université de Brazzaville. Nous avions alors un chef de département qui avait à cœur de développer les PME congolaises et nous avons été trois étudiants qu’on avait envoyés en stage auprès de ces PME. Voilà où se situe mon premier contact avec les entreprises. Dès ce moment-là, m’est venue l’envie d’aider les PME congolaises parce que je me suis rendu compte qu’elles avaient des problèmes que ne rencontraient pas les grosses entreprises gérées par des occidentaux.

Toutes ces difficultés sont liées à l’Histoire. Trois ans après l’indépendance, notre pays avait fait le choix du marxisme-léninisme, où la propriété privée n’était pas autorisée et seuls entreprenaient ceux qui n’avaient pas réussi à faire d’études. Il n’y a pas longtemps encore, si on avait fait de belles études, la voix royale c’était la fonction publique. Personne ne parlait d’entrepreneuriat. Les chefs d’entreprises ne savaient pas lire ni écrire, compter sûrement parce qu’il fallait compter les sous. Une bonne partie des chefs congolais se sont donc faits sur le tas.

Ensuite, je suis allé à l’université d’Orléans, où j’ai fait une maîtrise de sciences économiques et un DESS en contrôle de gestion des organisations.

Après mes études, j’ai intégré une PME gérée par un congolais de 1987 à 2004 où j’occupais les fonctions de Directeur Général Adjoint. En 2004, j’ai décidé de voler de mes propres ailes et j’ai créé ma première société, Nord-Sud Conseil et Réalisation, qui fait du contrôle et qui fait des travaux de bâtiments. L’année dernière, nous avons monté avec des partenaires l’entreprise MAYI[1], la première holding verte du Congo pour produire de l’eau minérale et la rendre accessible à tous les congolais. Les premières productions devraient voir le jour d’ici la mi-juillet.

Et comment êtes-vous arrivé à la Chambre de commerce ?

Disons que je suis arrivé à la CCIAM par accident. En 1997, le gouvernement de l’époque avait décidé de réformer les Chambres de commerce qui ne rendaient pas les services qu’on attendait d’elles. Quatre chambres autonomes ont vu le jour : Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie et Ouesso. Pour parachever l’autonomisation, il fallait procéder à des élections, mais comme personne ne savait ce qu’était une Chambre de commerce et que les Chambres n’avaient pas une bonne image, ils ont vraiment cherché les quelques bonnes volontés pour être candidat à l’Assemblée générale. C’est d’ailleurs sous cette fonction que je suis rentré à la Chambre. On a mis en place un Bureau, qui a été rapidement dissous en raison de mésentente entre les membres. Une commission ad hoc a alors été mise en place, où j’ai pris le poste de Trésorier. Deux mois après, j’ai été élu Vice-président. Malgré tout, nous étions un certain nombre à ne pas être satisfait de ce qui se faisait, nous trouvions que ceux qui dirigeaient manquaient de vision. Nous avons commencé à démarcher des Présidents mais malheureusement nous n’en avons pas trouvé.  Puis, ceux qui voulaient changer les choses m’ont dit qu’il fallait que je me présente, ce que je ne voulais pas au départ. Finalement j’ai accepté et c’est comme ça que je suis devenu Président en 1999. Depuis lors, je préside aux destinées de la CCIAM.

En 2002, nous nous sommes engagés avec d’autres structures d’appui et les grandes entreprises locales dans le projet Pointe-Noire Industrielle. Le but, c’est de favoriser l’émergence des PME à Pointe-Noire et dans le département du Kouilou. La méthode a commencé par l’identification des problèmes et la proposition d’actions. Rapidement, nous avons opté pour la création d’une association qui mette en place ces projets. J’ai été élu Président de l’Association Pointe-Noire Industrielle (APNI) en 2003.

En tant que Président, comment concevez-vous votre rôle ?

Mon rôle, c’est d’être au service des entreprises, conformément au mandat de la Chambre. Je conçois mon rôle comme quelqu’un au service de la communauté des affaires. Je ne me suis jamais considéré comme un Président. Je crois que le jour où ça arrivera, ce sera la fin, ça va me couper de la réalité. J’essaye simplement de favoriser l’environnement dans lequel les entreprises évoluent et je sers d’aiguillon pour inciter les entreprises à se mobiliser autour d’un intérêt commun. C’est le sens de nos engagements, notamment en matière d’économie verte et de l’organisation du Forum International sur le Green Business qui va connaître cette année sa quatrième édition[2].

CCIAM

La Chambre de Commerce, d’Industrie, d’Agriculture et des Métiers de Pointe-Noire

Etre enregistré à la Chambre de commerce locale est une obligation légale pour toute entreprise au Congo. Le montant des cotisations à la CCIAM est fixé en fonction du secteur d’activités, un système que Didier Mavouenzela considère comme encore imparfait mais plus pragmatique que le montant du Chiffre d’Affaires – souvent tronqué. La CCIAM gère aujourd’hui un budget variant de 500 à 650 millions de Francs CFA.

Pour revenir à la Chambre de commerce, quelles sont ses missions?

Les Chambres de commerce congolaises sont calquées sur le modèle français, elles ont les mêmes missions : représentation, formation, information, promotion, interface entre le public et le privé, défense des intérêts. C’est à partir de nos missions traditionnelles que nous mettons en œuvre des actions qui nous permettent de répondre aux problèmes des entreprises à Pointe-Noire et dans le Kouilou.

Comment s’organise la CCIAM?

L’organe suprême, c’est l’Assemblée générale qui compte 55 membres, issus des 7 sections (industrie, commerce, eau forêts pêche, agriculture, métiers, travaux publics, services). Tous les membres des sections élisent un représentant qui devient Vice-président. L’AG élit le Trésorier et le Président, ce qui fait un bureau de 9 membres pour mener la politique de la Chambre, laquelle est autonome aussi bien administrativement que financièrement. Pour mettre en œuvre cette politique, un secrétariat général a en charge l’administration qui compte environ trente salariés.

Quelle est votre relation avec les autres Chambres consulaires ?

Au Congo, nous informons chaque Chambre de nos actions.

En Afrique, il y a ces Chambres avec lesquelles nous avons des partenariats : pour accueillir des délégations, pour échanger des informations, pour participer à des actions de promotion. Nous le faisons avec la Chambre du Burkina et du Gabon.

Nous bénéficions souvent aussi de l’appui des Chambres consulaires Européennes, notamment pour la formation. Nos agents effectuent par exemple des stages d’immersion. Le Centre de mécanique dont nous sommes responsables a vu le jour avec le soutien de la CCI de Seine St-Denis et l’Ambassade de France. Nous avons récemment conclu avec la CCI Versailles val d’Oise pour la création de l’Ecole Supérieure de Commerce et d’Industrie de Pointe-Noire qui aura des masters reconnus en Hygiène Qualité Sécurité Environnement (HQSE) et contrôle de gestion.

 Notre réseau de Chambres Consulaires Africaines et Francophones (CPCCAF) permet également d’organiser des projets communs, dans lesquels nous cherchons à être acteur, pas spectateur.

africa-business-7Le secteur privé au Congo

Quelle est votre lecture du climat des affaires au Congo ?

Elle ne va pas être différente du classement Doing business de la Banque Mondiale. Il y a énormément de choses à faire. A notre échelle, nous continuons à discuter avec les autorités. L’amélioration du climat des affaires est un processus dynamique. Il faut du dialogue et de la pédagogie pour faire comprendre aux autorités que ce sont les entreprises qui créent de la richesse et qu’il faut donc mettre en place les conditions de la création de ces richesses.

Quels rapports les PME congolaises entretiennent-elles avec les entreprises étrangères présentes à Pointe-Noire?

Il faut savoir qu’il y a quelque temps encore, les PME congolaises n’avaient pratiquement pas de contact avec les entreprises étrangères. Le sens de notre engagement à l’APNI est de mettre en place un cadre de dialogue. Cela revient à la définition que je donne du secteur privé au Congo. Il y a le secteur privé expatrié qui est structuré, le secteur privé émergent qui est généralement constitué par les entreprises congolaises qui essayent de se structurer. Puis il y a le secteur privé informel, avec des entreprises qui essayent de faire leur place. L’APNI a permis aux uns et aux autres de mieux se connaître, et je crois que c’est dans cette direction qu’il faut persévérer. Nous cherchons à ce que les entreprises congolaises connaissent aussi mieux les entreprises étrangères et leurs pré-requis pour travailler avec elles. Nous menons par exemple une action au bénéfice de grappes d’entreprises dans les secteurs de la logistique portuaire et de la sous-traitance pétrolière.

La CCIAM, quelque soit sa volonté ou sa capacité, ne peut pas répondre directement aux difficultés de tous ses membres. C’est pourquoi, nous avons soutenu la mise en place d’associations professionnelles, que nous appuyons du mieux possible.

Au terme de cette rencontre, il ressort que la CCIAM joue un rôle clé dans l'organisation et le développement du secteur privé à Pointe Noire et plus généralement au Congo. Il existe certainement d’autres Chambres de commerce Africaines qui sont à son image. Cependant, beaucoup reste à faire pour que l’entreprenariat soit à la portée de tous en Afrique. Entre autres, l’accès aux crédits bancaires et aux marchés internationaux sont indéniablement des axes d’actions sur lesquels les Chambres de Commerce ont un rôle à jouer pour l’émergence du secteur privé en Afrique.

Véra Kempf

 

 

 

 

 

 

 


[1] L’eau en lingala

 

 

 

 

 

 

[2] Forum International Green Business, les 28, 29 et 30 juin 2013 : greenbusinesscciampnr@yahoo.fr

 

 

 

 

 

 

Lumière sur l’Afrique : le futur de l’énergie solaire

 

 

Soleil sur l'AfriquePour tout novice, utiliser l’énergie du soleil pour couvrir ses besoins en électricité paraît une évidence. L’Afrique, avec 5 à 7 kilowatts d’énergie solaire au mètre carré, semble propice au développement de cette énergie renouvelable.[1] Face au coût des technologies appropriées, quels facteurs pourront contribuer au développement de la filière solaire en Afrique ?

Rappelons tout d’abord certains faits. Les mix énergétiques africains sont globalement plus verts que ceux des pays européens. Par exemple, la composition énergétique des Pays-Bas ou de l’Italie comprend environ 95% d’énergies carbonées (pétrole, gaz, charbon).[2] Les pays d’Afrique subsaharienne quant à eux consomment 73,5% d’énergies fossiles, majoritairement en provenance de l’Afrique du Sud, fortement dotée en charbon. La part conséquente de l’hydraulique qui représente 22,8% de la production énergétique, soit 96,8% de l’énergie renouvelable sur le continent, explique ce bilan.[3] Mais la forte croissance de l’éolien et du solaire (respectivement 66% et 22,8% en 2010 et 2011) invite à prédire un changement rapide dans la structure énergétique africaine.[4]

Entre le Maroc et l’Afrique du Sud, il y a bien sûr tout un continent ! 54 pays, autant de politiques énergétiques. Il y a d’ores et déjà en Afrique de multiples « bonnes pratiques » mutualisables autour de la technologie solaire, et les défis à relever sont souvent de même nature.

De l’énergie solaire, plus d’autonomie

L’exemple du Maroc, dépendant à 97% de l’approvisionnement énergétique extérieur, illustre une forte volonté politique de réduire le déficit commercial creusé par l’importation d’énergies fossiles.[5] Pour atteindre l’objectif de 2.000 MW d’énergie solaire d’ici à 2020, le Maroc s’est lancé dans la construction de la plus grande centrale photovoltaïque à concentration du monde à Ouarzazate. [6]

Tous les pays ne font certes pas le choix du solaire pour verdir leur énergie. Il n’empêche qu’aujourd’hui, la filière photovoltaïque reste privilégiée dans l’électrification rurale, à hauteur de 122 GWh pour le continent en 2011.[7] Si l’électricité ne doit pas rester un luxe, le solaire permet de résorber les inégalités ville-village en la matière.

En Afrique, l’énergie solaire produite est consommée directement sur place, alors que la filière solaire française s’est principalement développée par la revente au réseau électrique. L’autonomie électrique ainsi générée offre d’ailleurs un courant plus stable aux utilisateurs que celui des réseaux nationaux africains, fréquemment coupés en raison de la vétusté du système. L’installation solaire tient également compte des besoins propres à l’activité. Dans le cas d’un bâtiment administratif, cela conduit à n’installer que de petites batteries et à réduire fortement le prix de revient.

Des blocages politiques

Des difficultés subsistent, qui demanderont des politiques énergétiques volontaristes pour être dépassées. Une vision de long-terme s’avère primordiale, tant pour orienter les investissements que pour démocratiser ces nouvelles technologies.

Au Congo par exemple, une seule entreprise nationale est engagée dans le secteur et les marchés publics représentent la majeure partie de son activité.[8] Le milieu politique est alors à un pas, et tous les travers de corruption et de lenteur administrative entravent, de fait, le développement plein et entier du solaire.[9] Il est vrai qu’une usine de production et d’assemblage chinoise va être ouverte au Congo…dans le village du Président de la République.[10] Les investissements congolais en faveur du solaire sont encore trop liés à des intérêts particuliers pour connaître un véritable essor.

Dans un tel contexte, le prix d’achat et d’installation reste très onéreux pour le particulier et les entreprises. La Tanzanie fait figure de précurseur en matière d’incitations fiscales, puisque le gouvernement vient de supprimer les taxes et droits de douanes sur les panneaux solaires importés.[11] Reste à savoir quels marchés vont réellement se créer localement. Malgré l’entrée fulgurante des producteurs chinois en 2007 sur le marché et la réduction drastique des prix qui en a découlé, l’épargne nécessaire pour acheter un kit solaire dépasse bien souvent les ressources des familles en milieu rural.

Des évolutions à suivre

L’entrepreneur congolais témoigne d’un changement des mentalités. Il y a dix ans, arrivant dans un village et installant l’électricité solaire, il était pris pour un magicien dans le meilleur des cas, pour un sorcier bien souvent. Aujourd’hui, l’énergie solaire est mieux comprise, acceptée…et même convoitée si l’on s’en tient aux nombreux actes de vandalisme dont sont victimes les installations. Plus inquiétant cependant, l’absence de contrat de maintenance. Dans un pays où le sable et la poussière sont très présents, cela pose un sérieux problème de durabilité pour les investissements dans le solaire.

Un mot pour conclure

Le développement énergétique durable est aujourd’hui une nécessité sur tous les continents. Plus particulièrement encore en Afrique, puisqu’il engendrera à la fois essor économique, sécurité et indépendance énergétiques. Les dispositions nationales orientent la composition du mix énergétique national, en incitant à investir dans un type d’énergie. A l’instar du projet Dersertec au Maghreb, véritable pari qui va permettre d’approvisionner l’Europe à hauteur de 15% de ses besoins énergétiques, le risque existe également que ces nouvelles ressources africaines soient exportées abusivement et ne profitent pas directement à la population. La bonne répartition et l’usage destiné à l’énergie ainsi produite est, une fois de plus, entre les mains des décideurs politiques

 

Véra Kempf



[1] « L’Afrique parie sur l’énergie verte », Slate Afrique, 06/11/2012, http://www.slateafrique.com/271/electricite-energie-verte-eoliennes-panneaux-solaires, consulté le 20/03/2013 à 18h

[2] « L’énergie solaire après Fukushima : la nouvelle donne », Louis Boisgibault, Editions Medicilline, 2011, p.22

[3] La production d’électricité d’origine renouvelable : détails par région et par pays », Chapitre 3, 14ème inventaire, Observ’ER, Credit Agricole, EDF.

[4] Voir infra.

[5] « Plan solaire : le Maroc à l'avant-garde de l'électricité verte dans la région », Agence Française de Développement, 2012, http://www.afd.fr/home/pays/mediterranee-et-moyen-orient/geo/maroc/projets-maroc/energie-maroc?actuCtnId=88821, consulté le 20/03/2013 à 18h

[6] « Le Maroc s’apprête à devenir “un des phares de la carte solaire mondiale” », Achnoo.com Portail d’informations sur le Maroc, http://achnoo.com/2013/01/31/le-monde-le-maroc-sapprete-a-devenir-un-des-phares-de-la-carte-solaire-mondiale/ consulté le 20/03/2013 à 18h

[7]« La production d’électricité d’origine renouvelable : détails par région et par pays », Chapitre 3, 14ème inventaire, Observ’ER, Credit Agricole, EDF.

[8] Entretien réalisé à Pointe-Noire le 19/03/2013 avec le Directeur général de CAGIDIAX, http://cagidiax.net/

[9] Selon les dires de l’entrepreneur

[10] « Congo : la Chine investit dans le solaire », Mediaterre, 01/12/2011, http://www.mediaterre.org/afrique-centrale/actu,20111201190246.html, consulté le 21/03/2013 à 19h

[11] « Energie renouvelable : L’Afrique bientôt fournisseur énergétique de l’Europe ? », The Independent, Londres , 25 août 2009

 

Lumières de Pointe Noire, d’Alain Mabanckou

couverture MabanckouPour le lecteur fidèle de l'écrivain congolais Alain Mabanckou, Lumières de Pointe-Noire dévoilera un peu plus de l'homme et de la ville où il a grandi. Pour ceux qui souhaiteraient ouvrir là leur premier Mabanckou, préférez un autre ouvrage et revenez plus tard. Lumières de Pointe-Noire n'est pas à proprement parler une fiction, le récit est cependant trop construit pour être répertorié sous la bannière de journal intime. C'est un texte hybride, qui vaut le détour à condition d'être considéré comme le témoignage d'un écrivain expatrié, de retour dans son pays d'origine.

Entre retour au pays et pélerinage

Alain Mabanckou revient dans sa ville natale après vingt-trois ans, après des études en France, après la publication de romans salués par la critique, après une carrière de professeur de littérature francophone aux États-Unis. Bref, il est de retour après s'être accompli personnellement et professionnellement sur d'autres continents. 

Pointe-Noire se révèle à fleur de page, les évolutions de la capitale économique du Congo, ses habitants et leurs habitudes sont décrits avec sympathie par un Mabanckou devenu un observateur apprécié du monde contemporain. L'enfant prodigue, invité dans sa ville par l'Institut français, retourne sur les chemins de son enfance, revoir les quatre murs qui ont été son foyer et des êtres chers qui ne l'ont pas oublié.

Entre fiction et réalité 

Lumières de Pointe-Noire offre un prolongement et la visite des coulisses des romans de l'écrivain. Certains personnages de ses fictions ont bel et bien continué à vivre dans la réalité. Immanquablement, ils ont vieilli, comme Grand Poupy, le cousin expert en drague de Black Bazar qui a épousé celle dont était amoureux le petit Alain. Certains n'ont pas eu autant de chance, comme le grand frère vénéré Yaya Gaston, aujourd'hui alcoolique et vulnérable. Gilbert Moukila est mort, et Tante Hélène n'est elle aussi plus très loin de passer sa marmite à gauche. Mabanckou dresse des portraits touchants de petites gens de Pointe-Noire. Marqués du sceau de la subjectivité, ils esquissent un hommage à celle à qui il aurait aimé pouvoir rendre visite : Pauline Kengué, sa mère décédée, sans qui Pointe-Noire ne sera jamais plus vraiment Pointe-Noire pour lui. 

Entre l'auteur et son lecteur

Les lecteurs de Demain j'aurai vingt ans seront sûrement contents de retrouver ces personnalités attachantes, mais ils n'avaient peut-être pas besoin de cette introspection à retardement pour apprécier l’œuvre d'Alain Mabanckou à sa juste valeur. L'écriture de Lumières de Pointe-Noire répond probablement à un besoin profond de l'auteur de mettre des mots sur ce retour aux sources. Il est clair pourtant que ce carnet de voyage atypique est destiné à la publication au moment même où il est ébauché. Le destinataire premier n'est donc pas l'écrivain lui-même, qui voudrait garder la trace de ce séjour, mais bien le public – principalement occidental – qui le lit depuis plusieurs années.

L'impression laissée par la lecture est celle d'une réponse donnée à tous ceux qui se demandaient pourquoi l'enfant de Pointe-Noire n'était pas encore revenu sur le sol congolais. La voilà livrée avec classe, sur presque 300 pages. Le lecteur n'apprendra pas pour autant les motifs profonds de ce retour tardif et furtif. Que Mabanckou vient-il véritablement chercher, maintenant, à Pointe-Noire ? 

Alors que la démarche laisse espérer un témoignage sans concessions sur l'expérience du retour, Mabanckou ne s'appesantit pas sur ses impressions. On le sent chamboulé, et il fait état de sa difficulté à écrire au milieu de tous ces visages qui le mettent face à l'épreuve du temps. Mais qu'a-t-il ressenti sur les traces de son propre parcours initiatique ? Ce retour au pays est-il nécessaire, suffisant, pour faire le deuil de ses parents qu'il a longtemps caché ? Pour réaliser qu'il a du mal à trouver sa place au Congo, pour admettre qu'il a construit une vie ailleurs qui lui importe plus que ses souvenirs ? Le récit souffre de ces silences, qui font presque passer l'invitation de l'Institut français en une opportunité saisie par l'écrivain pour sortir un nouveau roman. La plume dynamique de Mabanckou et son talent de narrateur opèrent néanmoins sur le lecteur, qui est absorbé, ici par les souvenirs, là par les anecdotes de celui qui s'est fait un nom parmi les écrivains francophones contemporains.

Entre Enfant de Pointe-Noire et écrivain de la diaspora

Mabanckou livre finalement le témoignage autobiographique d'un écrivain expatrié, de retour dans sa ville d'origine et qui expérimente le décalage inévitable entre les souvenirs et la réalité. Beaucoup d'écrivains des diasporas africaines ont écrit sur ce thème. Dans Le ventre de l'Atlantique, Fatou Diome insiste par exemple sur le poids moral et financier des séjours dans son village sénégalais, où elle passe son salaire et son temps à prouver à sa famille qu'elle est restée des leurs. Mabanckou ajoute au portrait du simple expatrié la figure de l'écrivain, qui est lu et reconnu dans la ville où il a grandi en inconnu. Il semble cependant très détaché des obligations que pourraient lui imposer un tel statut social. Il est à moitié invité littéraire dans une ville familière, à moitié touriste devant les totems de son enfance, insignifiants aux yeux des ponténégrins d'aujourd'hui. Il n'ira pas au cimetière sur la tombe de ses parents, et il ne donnera de l'argent qu'à des personnes choisies, principalement aux enfants. Est-ce le statut d'enfant unique, de citadin ou de célébrité, qui lui permet cette liberté face au fardeau social décrit par Fatou Diome ? Là encore, le lecteur doit s'en remettre à ses hypothèses. 

Lumières de Pointe-Noire apparaît comme une dédicace explicite d'Alain Mabanckou à la cité de son enfance. Comme beaucoup d'écrivains de la diaspora, sa terre et son peuple n'auront cessé de remplir les pages de ses futurs romans. Peut-être est-il tout simplement venu chercher à Pointe-Noire, sa « concubine », un nouveau souffle d'inspiration littéraire.

Véra Kempf