Le défi de la gouvernance multilatérale de la sécurité en Afrique

Mahamadou N’fa SIMPARA, doctorant en Relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat, auteur chez l’Harmattan-Paris.

Les crises sécuritaires que connaissent de nombreux pays africains ont suscité des interrogations sur la capacité des structures chargées de les résoudre. En effet, les instances continentales, régionales et sous-régionales africaines sont, à différents niveaux, mises au défi de prouver leur capacité à répondre aux défis africains. Et à cet effet, compte tenu de la situation sécuritaire tendue dans plusieurs régions du continent, nombreuses organisations régionales ou plateformes de coopération sécuritaire ont endossé l’ambition de venir à bout de la crise sécuritaire en Afrique.

Les décisions de la 62e session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) témoigne de cette ambition de l’organisation à travers le courageux projet de mise en place d’une force régionale anti-terroriste, notamment concentré sur le Sahel[1], et anti-coup d’État et dans le même sens de contribuer d’urgence à hauteur d’un 1 milliard de dollars au fonds régional de lutte contre le terrorisme, dans le cadre de la mise en œuvre de son plan d’action prioritaire 2020-2024 pour l’éradication du terrorisme.

Dans un cas similaire, la communauté de l’Afrique de l’Est qui a vu l’adhésion de la RDC en début d’année 2022 se trouve dans l’urgence d’apporter une réponse rapide et efficace à la crise sécuritaire impliquant les deux voisins rwandais et congolais autour du dossier chaud du M23.

Au côté des organisations sous-régionales relevant de la communauté économique africaine, les plateformes de coopération militaire à l’image de la Force multinationale mixte sous la houlette de la commission du bassin du lac Tchad ou encore plus récemment le G5 Sahel, apportent une approche nouvelle défaite des lourdeurs bureaucratiques et diplomatiques, en termes de gouvernance sécuritaire en Afrique.

Toutefois, cette volonté incarnée des groupements sous-régionaux et du modèle proposé par les plateformes de coopération militaire, à prendre le relais dans leurs régions respectives soulèvent autant de questions logistiques, juridiques et financières qu’elle n’apportent de réponses.

Entre autres, se sont posées des questions telles que les implications directes et/ou indirectes d’un tel positionnement des Communautés Économiques Régionales (CER) et des plateformes de coopération sur le projet continental de l’architecture africaine de paix et de sécurité, les atouts et limites des trois niveaux continentaux de gestion de la crise sécuritaire (UA, CER, Plateformes de coopération), le risque élevé de chevauchement d’initiatives similaires au but commun…

L’ouvrage[2] de l’OUA au G5 Sahel : une brève histoire de la gouvernance sécuritaire en Afrique paru aux Éditions de l’Harmattan-Paris en décembre 2022 tente de répondre à quelques-unes de ces questions avec un regard « institutionnaliste » du traitement des questions sécuritaires et un détour historique notamment au sein de l’UA, de la CEDEAO et du G5 Sahel.

Multiples outils et très peu de coordination

S’il y a une chose dont on est sûr en matière de lutte contre l’insécurité en Afrique, c’est que les organisations régionales africaines n’ont pas manqué d’instruments juridiques et de mécanismes d’action dans ce domaine. En effet, plusieurs initiatives ont été prises à différents niveaux. Pour la seule organisation continentale, l’UA, en plus de la panoplie d’instruments juridiques adoptés depuis la Déclaration de Kampala de 1991 sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique, a mis en place, à travers le protocole sur la création du Conseil de paix et de sécurité (CPS), l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Une initiative qui, avec ses forces et ses faiblesses, est devenue l’instrument par excellence de la lutte contre le terrorisme sur le continent.

Les organisations sous-régionales, telles que la CEDEAO, la SADC, etc., suivent également la même dynamique, d’abord par le biais des forces régionales en attente, puis par l’adoption de nouveaux instruments juridiques ou de plans d’action, élargissant ainsi leurs domaines d’action aux questions politiques et de sécurité.

Cependant, ces différents mécanismes, qu’ils soient continentaux ou régionaux, souffrent de graves lacunes, notamment en termes de coordination. L’absence d’un document des organisations sur la gouvernance partagée des questions de sécurité entre l’UA et les CER entraîne des problèmes de chevauchement entre les différents acteurs impliqués dans les processus de résolution des conflits. Au mieux, c’est le cas ; au pire, l’organisation continentale ne partage tout simplement pas le même agenda que son avatar régional.

Dépasser l’impasse

L’approche des organisations africaines sur les questions de sécurité, notamment celle relative à la lutte contre le terrorisme, se heurte à plusieurs impasses. Les plus urgentes peuvent se résumer en deux : d’abord, reconnaître le caractère hétérogène et très diversifié des régions, des conflits et de leurs enjeux afin d’établir une approche originale qui ne se limiterait pas au seul modèle générique de  » maintien de la paix  » et de  » consolidation de la paix  » comme on le constate habituellement.

La deuxième urgence est d’établir un cadre étroit de collaboration entre l’organisation continentale et ses avatars régionaux. En effet, en raison du manque de synergie entre les organisations régionales ayant une connaissance approfondie de leurs régions respectives et l’organisation panafricaine dans son rôle de leader dans la conduite des politiques continentales, il naît à chaque occasion des plateformes de coopération dont la finalité est identique à celle poursuivie par les organisations du même périmètre d’intervention.

En ce sens, si l’initiative des cinq États sahéliens (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) pour vaincre le terrorisme à travers la création en 2014 du G5 Sahel n’était pas la preuve de l’échec cuisant des mécanismes régionaux et continentaux de maintien de la paix et de la sécurité sur le continent, elle a été la vitrine du manque de coordination entre l’organisation sous-régionale (CEDEAO) et l’organisation continentale (UA) pour mettre en place une politique commune de lutte contre l’insécurité dans la région. Pour aller plus loin, le rôle de leader joué par certains partenaires internationaux comme la France à travers son opération Barkhane a une fois de plus affaibli le rôle crucial des acteurs africains. Ce rôle gagnerait à être coordonné par un Memorendum of Understanding (MoU) entre la CEDEAO et l’UA, impliquant l’ONU à l’échelle mondiale.

Conclusion

Les organisations africaines sont mises au défi de concevoir un modèle d’intégration sécuritaire dans lequel les diverses initiatives entreprises, plutôt que de s’exclure mutuellement, deviennent complémentaires. Cela permettra d’éviter la création d’alliances à la première occasion, dont la viabilité est temporaire et soumise à la politique des parties impliquées. Le Sahel, et au-delà, offre aux décideurs africains un laboratoire pour la gouvernance multilatérale de la sécurité en raison des innombrables institutions (internationales et africaines) et États impliqués dans le processus de pacification de la région.


[1] L’espace géographique regroupant principalement la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina et le Tchad. Il représente à lui seul 40 % de l’espace géographique de l’organisation.

[2] Simpara Mahamadou N’fa, De l’OUA au G5 Sahel : une brève histoire de la gouvernance sécuritaire, Harmattan-Paris, Collection Études africaines, 2022.

Guerre en Ukraine et crise alimentaire en Afrique: Etat des lieux et perspectives pour le continent africain

Par Dominique Nkoyok, analyste à l’Afrique des Idées

« Que les gens aient faim en Afrique au 21ème siècle n’est ni inévitable ni moralement acceptable », écrivait en 2006 l’organisation internationale Oxfam dans son document d’information sur les causes de la faim en Afrique[1].

Mais force est de constater la récurrence des crises alimentaires qui continuent de frapper le continent Africain depuis les années 1970. En 2021, plus de 278 millions d’Africains étaient en situation d’insécurité alimentaire[2]. De nombreux observateurs et organisations internationales et régionales[3] ont alerté sur le risque d’aggravation de la famine en Afrique en raison de la crise ukrainienne qui a débuté en février 2022.

L’Afrique des Idées a souhaité porter le débat sur l’impact de la guerre en Ukraine sur la crise alimentaire en Afrique, et sur les causes identifiées et les réponses envisagées pour combattre ce fléau qui frappe le continent africain depuis plusieurs décennies.

Etat des lieux : l’Afrique en proie à des crises alimentaires récurrentes

L’Afrique a connu plusieurs crises alimentaires depuis les années 1970. Après les crises alimentaires de 1972[4] et 1984 qui ont touché l’Afrique subsaharienne, la famine et la malnutrition ont touché l’Afrique australe en 2006. En 2008, le continent a connu une nouvelle crise suite à l’augmentation des prix des denrées alimentaires, qui a donné lieu aux émeutes dites « de la faim » en Afrique subsaharienne. En 2011, c’était au tour de l’Afrique de l’Est de traverser une crise alimentaire, avant que les populations d’Afrique de l’Ouest ne soient de nouveau confrontées à l’insécurité alimentaire en 2012. En 2017, la famine a touché plusieurs pays de la corne de l’Afrique, dont la Somalie, le Kenya et le Soudan du Sud.

Depuis, la situation alimentaire ne s’est pas améliorée. Selon la Banque mondiale, 14,4 millions de personnes a<vaient besoin d’une aide alimentaire en 2020 en Afrique sahélienne. Ce chiffre est passé à 23,7 millions en 2021[5]. La Corne de l’Afrique pourrait quant à elle connaître sa plus longue période de sécheresse depuis 40 ans selon le centre climatique régional de l’Organisation Mondiale Météorologique pour l’Afrique de l’Est, ce qui aurait des conséquences graves sur la région déjà touchée par la famine et la malnutrition.

L’impact de la guerre en Ukraine sur la famine en Afrique

Comme le rappelle l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans son rapport de mai 2022[6], la Russie et l’Ukraine occupent une place centrale dans l’agriculture mondiale en tant que principaux pays exportateurs de produits agricoles et de denrées alimentaires sur les marchés mondiaux. La Russie est le premier exportateur mondial de blé avec 18% des exportations mondiales en 2021. L’Ukraine se classe au 6e rang des exportateurs de blé la même année, avec 10% des exportations mondiales.

Les deux pays réalisent également à eux deux, près de 80% des exportations de maïs, d’orge, de colza et d’huile de tournesol sur les marchés mondiaux depuis 2018. Par ailleurs, la Russie est l’un des plus grand/important exportateurs d’engrais à l’azote, au potassium et d’engrais au phosphore.

Selon l’Agence Française de Développement, 33 pays africains importent 90 % ou plus de leur consommation de blé. Les plus grands importateurs étant les pays d’Afrique du Nord, et notamment l’Égypte qui importerait plus de 60 % de sa consommation de blé, l’Algérie 75 %, la Tunisie 62 % et le Maroc 38 %. Les céréales provenant de la région de la mer Noire représenteraient notamment 100% des importations de l’Érythrée, plus de 90% pour la Somalie et entre 70 et 80% pour la République Démocratique du Congo, selon le rapport 2022 d’iPES Food[7] et le rapport FAO 2022. En Afrique de l’Est, 84 % du blé serait importé en grande partie d’Ukraine et de Russie.

Le tableau ci-dessous, issu du rapport FAO 2022[8] présente les pays qui dépendent fortement des importations de blé en provenance de la Russie et de l’Ukraine en 2021.

Image 1

Le 3 juin 2022, le président du Sénégal et de l’Union Africaine, Macky Sall, a rencontré en Russie par son homologue Vladimir Poutine pour demander la facilitation de l’exportation des céréales ukrainiennes vers le continent africain. Le 23 juillet 2022, la Russie et l’Ukraine ont conclu à Istanbul, dans le cadre d’une médiation menée par la Turquie et sous l’égide des Nations Unies, un accord pour le déblocage des exportations de céréales et produits agricoles, portant notamment sur 20 à 25 millions de tonnes de grains bloquées en Ukraine[9].

L’accord de juillet 2022 est une avancée importante pour pallier la hausse des prix des céréales et produits agricoles sur les marchés mondiaux et aux conséquences néfastes pour les millions de personnes souffrant de la faim, notamment sur le continent africain.

Néanmoins, plusieurs experts agricoles et économistes, rappellent que l’origine de la crise alimentaire en Afrique n’est pas la guerre en Ukraine, mais la fragilité des systèmes alimentaires sur le continent.

Selon Matthieu le Grix, expert agricole au sein de l’AFD, « la situation est effectivement alarmante, mais (…) l’Afrique subsaharienne en particulier n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour être dans une situation très préoccupante du point de vue de la sécurité alimentaire. En Afrique de l’Ouest, la situation se dégrade depuis trois ans maintenant »

Ces propos font écho à la déclaration du directeur de la Banque africaine de développement, Akinwumi Adesina qui indiquait qu’avant le début de la guerre en Ukraine, « quelque 283 millions de personnes souffraient déjà de la faim » sur le continent africain.

De même, selon le rapport 2020 du Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA)[10], le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire est déjà en nette augmentation depuis ces cinq dernières années.

En 2021, la moitié de la population mondiale confrontée à la faim (768 millions de personnes) se trouve en Asie et un tiers en Afrique.

Situation de la faim dans le monde selon la FAO

Image 2

Source : The state of food security and nutrition in the world 2022, FAO

Remédier aux causes des crises alimentaires

S’il est clair que la crise ukrainienne perturbe de façon majeure les marchés agroalimentaires mondiaux et menace d’exacerber la famine en Afrique, nombres d’experts internationaux tels que l’iPES Food[11] mettent en avant le fait que les faiblesses des systèmes alimentaires mondiaux amplifient les effets du conflit ukrainien sur la sécurité alimentaire. A cet égard, l’Afrique fait face à plusieurs défis nécessitant des actions :

  • La dépendance des pays africains à l’égard des importations alimentaires

De nombreux pays africains sont devenus dépendants des importations alimentaires, au détriment du développement du secteur agricole et de la construction de politiques alimentaires efficaces et résilientes au niveau national. 

Réduire la dépendance vis-à-vis des importations nécessite que les Etats africains s’acheminent vers l’autonomie alimentaire. Pour cela, il est nécessaire de repenser les politiques agricoles sur le continent.

  • Repenser les politiques agricoles pour une souveraineté alimentaire

Selon la Banque africaine de développement, l’Afrique dépense près de 64,5 milliards de dollars par an pour l’importation de denrées alimentaires qui pourraient pourtant être produites par le continent.

Les politiques alimentaires doivent favoriser la sécurisation de la base productive et le développement des infrastructures rurales. Pour ce faire, des politiques publiques efficientes et leur mise en œuvre effective pour faciliter et prioriser l’accès au financement pour les projets agricoles, le soutien et la formation des agriculteurs aux nouvelles techniques de production améliorant les rendements et le développement d’infrastructures rurales sont essentielles.

  • Favoriser l’augmentation de la production par l’usage approprié des engrais

L’augmentation de la production agricole est l’un des leviers de la lutte contre la faim. Accroître l’utilisation des engrais tout en promouvant un usage tourné vers l’écoagriculture est à encourager. Or en 2020, l’application moyenne d’engrais par hectare de terre cultivée en Afrique subsaharienne par exemple avoisinait les 17 kg, contre une moyenne mondiale de 135 kg. Par ailleurs, l’Afrique dépend encore largement importations d’engrais.

Il est nécessaire de soutenir la chaîne de valeur des engrais en favorisant l’accès aux engrais pour les petits exploitants agricoles, la recherche sur les engrais biologiques, la production locale d’engrais à grande échelle, et la circulation des engrais à travers le continent.

  • Favoriser une réponse régionale pour anticiper les crises alimentaires

Le Programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA) porté par l’Union Africaine depuis 2003 dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), qui a notamment pour objectif l’accroissement de l’approvisionnement alimentaire et la réduction de la faim sur le continent africain offre un cadre d’intervention politique et stratégique qui pourrait être davantage exploité à l’échelle régionale.

De même, le développement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en mettant l’accent sur les denrées alimentaires et les produits agricoles favorisera non seulement la consommation des denrées produites sur le continent mais aussi la chaîne d’approvisionnement des engrais.

Enfin, le renforcement des stocks publics nationaux et régionaux comme le fait déjà la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est également à encourager.

  • Le risque lié à la spéculation sur les denrées alimentaires

Les pays africains dépendants des importations de denrées alimentaires et produits agricoles subissent de plein fouet les augmentations de prix sur les marchés mondiaux. Or, les pays exportateurs auront tendance à limiter leurs exportations alimentaires pour garantir les disponibilités sur leur territoire en période de crise, ce qui intensifie les pénuries, faisant davantage monter les prix sur les marchés internationaux au détriment de pays pauvres et moins développés.

Ces chocs de prix étant manifestement exacerbés par la spéculation des investisseurs financiers, la lutte contre la spéculation sur les denrées alimentaires est un sujet central dans la lutte contre la faim sur le continent africain.

  • L’impact de la pauvreté, de conflits politiques et armés, et du changement climatique sur l’insécurité alimentaire

Malgré une diminution de la pauvreté en Afrique depuis 2000, une part importante de la population africaine vit toujours en dessous du seuil de pauvreté. La pauvreté est considérée comme l’une des principales causes de la faim. La pauvreté et l’insécurité alimentaire se renforçant mutuellement, la lutte contre la pauvreté est l’un des premiers piliers dans la lutte contre la faim[12]. Il en va de même pour l’’instabilité politique et les conflits qui ont un impact significatif sur la sécurité alimentaire en Afrique.

Sur le plan environnemental, l’adoption de solutions durables et résilientes pour lutter contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement est essentielle dans la lutte contre la faim, afin de préserver le secteur agricole des perturbations qui entravent la croissance des cultures et les récoltes.


[1]  Les Causes de la Faim : examen des crises alimentaires qui secouent l’Afrique, Document d’information Oxfam, juillet 2006.

[2]  FAO, IFAD, UNICEF, WFP and WHO. 2022. The State of Food Security and Nutrition in the World 2022. Repurposing food and agricultural policies to make healthy diets more affordable. Rome, FAO.

[3]  Dont entre autres, l’Union Africaine, l’Agence Française de Développement, le Bureau régional pour l’Afrique de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme Alimentaire Mondial , l’International Panel of Experts on Sustainable Food Systems, ou encore Aronu Chaudhuri, économiste au sein de la société d’assurance COFACE, Pierre Jacquemot économiste, Maître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Paris, Sciences-Po Paris.

[4]  Retour sur la famine au Sahel du début des années 1970 : la construction d’un savoir de crise, Vincent Bonnecase, Politique africaine 2010/3 (N° 119).

[5]  Banque mondiale, Répondre à la crise alimentaire au Sahel en s’attaquant aux urgences et aux déficiences structurelles du système alimentaire ouest-africain, 10 mai 2022, accessible sur  https://www.banquemondiale.org/fr/results/2022/05/15/afw-responding-to-the-food-crisis-in-the-sahel.

[6] Impact du conflit russo-ukrainien sur la sécurité alimentaire mondiale et questions connexes relevant du mandat de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Mai 2022.

[7]  Comment l’incapacité à réformer les systèmes alimentaires a permis à la guerre en Ukraine de déclencher une troisième crise mondiale des prix alimentaires en 15 ans, et comment éviter la prochaine, Rapport spécial d’IPES-Food, mai 2022.

[8]  Impact du conflit russo-ukrainien sur la sécurité alimentaire mondiale et questions connexes relevant du mandat de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Mai 2022.

[9]  Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), le premier navire humanitaire affrété par les Nations Unies pour transporter des céréales ukrainiennes a quitté le port de Pivdenny en Ukraine le 16 août 2022, en direction de la Corne de l’Afrique.

[10]  CSAO/OCDE (2020), Crise alimentaire et nutritionnelle 2020, analyses & réponses, Maps & Facts, no3, novembre 2020.

[11] International Panel of Experts on Sustainable Food Systems.

[12] Pierre Janin. Les politiques alimentaires en Afrique de l’Ouest : réponse au risque ou facteur d’insécurité ? Emmanuel Grégoire, Jean-François Kobiane, Marie-France Lange. L’Etat réhabilité en Afrique : Réinventer les politiques publiques à l’ère néolibérale, Karthala, pp.165-188, 2018.ird01525293.


Retrait de la force Barkhane du Mali : Des lendemains difficiles

Le 17 février, l’Elysée publie une déclaration conjointe sur la lutte contre la menace terroriste et le soutien à la paix et à la sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest : « En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les Etats Européens opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la Task Force Takuba estiment que les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations».

Désormais, c’est acté. La force Barkhane lève le camp et la France cesse ses opérations militaires au Mali. Après de longs mois de divergences sur fond de tension politique et géopolitique et de crispation des relations diplomatiques, le divorce est consommé entre Bamako et Paris. Le mariage aura tenu neuf ans (2013-2022) avant de connaître une évolution sinusoïdale avec de très fortes amplitudes ces derniers mois pour aboutir au non-retour.

Rappelons les circonstances. Janvier 2013, sous le joug de la menace djihadiste grandissante caractérisée par la progression rapide des groupes armés terroristes vers le centre du Mali après la conquête du Nord et de certaines villes (Tombouctou, Gao, Kidal et Tessalite), le président Dioncounda Traoré a sollicité une intervention militaire immédiate de la République française via son président d’alors, François Hollande, afin d’endiguer le mal de l’insécurité. Ce fut le début de l’opération Serval. Entre janvier 2013 et août 2014, environ 4500 hommes sont déployés par la France au Mali pour appuyer et organiser l’armée malienne dans la défense du territoire et recouvrer progressivement son intégrité territoriale. Serval permettra, un tant soit peu, une désintégration du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Cependant, fin 2014, ce dernier se renforcera grâce à une union avec d’autres groupes Touaregs afin de poursuivre ses activités de conquête des territoires. Une nouvelle opération française, Barkhane, supposée mieux performer, prendra alors le relais de Serval avec environ 5000 hommes déployés sur les territoires malien, tchadien, nigérien et burkinabè, suscitant l’effervescence sociale.

Une politique mal orientée

Contre toute attente, le nouvel espoir du peuple malien n’en sera rien. Barkhane au Mali, faut-il le reconnaître, n’a pas fléchit au combat. C’est la politique africaine de la France au Sahel qui a été mal orientée. En effet, cette mission d’aide à la défense a servi de passerelle à la France pour protéger des zones stratégiques où elle a des concitoyens et des multinationales d’envergure. Effectivement, il est difficilement concevable de croire que la France consacrerait un budget annuel conséquent (par exemple Serval aurait coûté 646 millions d’euros au contribuable français en 17 mois d’intervention) au Sahel simplement pour la seule lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, dans de nombreuses communications, les autorités françaises ont subtilement rappelé que Barkhane ne mène pas directement de guerre au Sahel et qu’elle soutient plutôt la FAMA et le G5 Sahel avec des renseignements. La menace terroriste a gagné du terrain au Sahel renforçant la fragilisation du pouvoir et des institutions étatiques au Mali. La conséquence est une désillusion et la naissance d’un sentiment de dépossession de l’économie nationale chez les acteurs privés et une partie de la jeunesse toujours plus pauvre face à une offensive des entreprises françaises dans l’espace CEDEAO durant la décennie 2010 (Auchan dans la grande distribution, Orange dans la téléphonie, Total dans la distribution de produits pétroliers, Bolloré dans la logistique, etc.).

Le début des temps difficiles

Les tensions sociales qui ont émergé au Mali courant 2020, et qui ont conduit à la saisie du pouvoir par les militaires en 2021, marquent le début d’une crise sans précédent au Mali. Alors que les autorités françaises et les institutions régionales s’interrogent sur la légitimé du nouveau pouvoir de Bamako, la junte insiste et persiste pour assumer pleinement les pouvoirs décisionnels à Bamako. La cristallisation des relations politique et diplomatique qui s’en est suivi entre le Mali et la CEDEAO, d’une part et la France d’autre part, a induit une demande de cessation imminente des opérations de la force Barkhane par le gouvernement de Bamako. Aujourd’hui, ce retrait est acté. Les autorités maliennes font ainsi preuve d’une résilience et d’une détermination vis-à-vis de la France, que plusieurs analystes et observateurs apprécieront. Mais faut-il réellement se réjouir ? Ce retrait des troupes françaises du Mali suscite plusieurs interrogations dont les réponses à ce stade restent à préciser.

Le moins que l’on puisse dire à ce stade c’est que, dorénavant, le Mali, plus généralement l’Afrique de l’Ouest, doit faire face à son destin et relever le défi de la sécurité et de la protection de sa souveraineté territoriale.

Est-elle prête ? Sans doute pas, eu égard à son potentiel militaire actuel. Le Mali est classé 99ème sur 140 pays en termes de puissance militaire, avec 18.000 militaires actifs et un budget de défense qui s’établit à moins de 600 000 USD en 2022 (Global FirePower Annuel Ranking). En sus, la situation socio-politique nationale ne prédispose pas à une cohésion au sommet de l’État afin de se concentrer sur la gestion de la crise sécuritaire.

Wagner avance

Le groupe Wagner tant plébiscitée constitue-t-il une solution viable ? Difficile d’avancer une réponse sans brume. Le groupe Wagner n’est officiellement connu qu’en qualité de société militaire privée russe ayant recours au mercenariat. Il n’y a donc pas de coopération directe entre le Mali et la Russie. Le recours à cette société pourrait coûter près de 10 millions de dollars (soit 16 fois le budget annuel de l’armée malienne), selon le chef du commandement américain pour l’Afrique, le général Stephen Townsend. Qu’elle en serait l’efficacité ? Pour rappel, le recours à une telle structure laisse peu de manœuvre pour de la négociation. Ce serait soit le combat ou le silence. La question sécuritaire pourrait se déplacer ainsi d’une zone à une autre ou laisser le Sahel avec une cellule dormante qui pourrait se structurer davantage et émerger comme ce fut le cas de l’État Islamique.

Au-delà de l’euphorie, peut-être mal placée, que suscite le départ de Barkhane sous la pression politique malienne (qui au passage prouve que les Etats africains sont bien indépendants), il convient de se prémunir contre un chauvinisme mortifère. Les autorités maliennes auraient dû définir une vraie et bonne stratégie. Bien que l’efficacité de Barkhane soit discutable, sa présence était néanmoins dissuasive et permettait de maintenir un dialogue avec les groupes armés.  Repenser la présence française et de ses alliés aurait été peut-être plus opportune, qu’un retrait de leurs troupes. Tout comme sur la question du franc CFA, la France doit repenser sa stratégie avec les Africains, et les Africains eux-mêmes devraient prendre conscience de leur faiblesse et de leur force. Comme le disait H.J. Temple : un pays « n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents ; elle n’a que des intérêts permanents ». Les autorités africaines devraient pondérer davantage sur cette assertion, car ce n’est pas toujours une question de « nous contre eux » (Sir Alex Ferguson, ancien coach de Manchester United), mais c’est, pour les pays, une question de jeux à somme non nulle.[1]

Dans tous les cas, il urge de renforcer la coopération militaire entre pays africains car, l’insécurité au Sahel n’est pas qu’une affaire propre au Mali ou au Niger ou au Burkina Faso. Le risque de contagion est très élevé, d’autant plus que plane sur la zone l’intervention d’un groupe armée dont l’intérêt est purement et simplement économique. Comme dixit le proverbe « lorsque tu observes la maison de ton voisin brûlée sous un regard silencieux, la tienne sera, peut-être, la prochaine ». Par ailleurs, c’est peut-être le moment pour que la CEDEAO, élargie au Maroc, se refasse une santé. Le départ de forces occidentales suscite en conséquence des interrogations de fond quant à la suite à donner à la lutte contre les djihadistes au Nord Mali.

Redéploiement au Niger

Au demeurant, ce départ certes attendu, mais dans une certaine mesure surprise, va-t-il rabattre les cartes de la stratégie politique et militaire dans le sahel ? A priori, Cela ne semble pas être le cas puisque le Président Macron a expressément indiqué le redéploiement des forces françaises au Niger toujours dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste.  Il faut cependant se rappeler, qu’il y a quelques mois, les autorités Maliens avaient esquissé la volonté d’entamer un dialogue avec Al qaida au Maghreb.  Si cette hypothèse a toujours été considérée par Paris comme un point de non-retour, le départ acté de Barkane et Takuba ouvre la voie aux dirigeants maliens.

Il faut rappeler ici que le problème du Nord Mali ne date pas de 2013 ; ni encore de l’effondrement de la Libye qui aurait engendré une profusion d’armes ayant servi dans une certaine mesure à la déstabilisation du Pays. Le problème du Nord Mali date des années d’indépendance. Les populations du Nord notamment de l’Azawad ont toujours été dans une logique de sécession vis à vis de Bamako jusqu’en 2012 où ils ont vertement proclamé leur indépendance avant de rétropédaler quelques mois après. Ceci pour dire qu’avant d’être infiltré par les métastases du djihadisme international orchestré par l’Etat islamique, le conflit malien est avant tout un conflit interne d’un Etat qui, depuis les indépendances cherche la bonne formule pour faire « nation ».

L’hypothèse ainsi soulevée par les autorités de transition de s’asseoir avec les différentes factions rebelles notamment les djihadistes ne devrait plus être analysée comme un cas d’école. Quelle sera, à ce moment, l’attitude des forces occidentales qui ne quittent pas la zone sahélienne ? Quelle sera la position des chefs d’Etat de la CEDAO directement concernés par cette situation si ces négociations s’enclenchaient ?

Loin d’être la fin d’une aventure, le départ des forces occidentales donnent peut-être le ton d’un imbroglio diplomatico-politique qui ne dit pas son nom en Afrique de l’Ouest.


[1] La théorie des jeux, appliquée à la géopolitique, nous apprend qu’un jeu à somme non-nul est atteignable entre nations sur fonds de compromis et négociation.

Auteurs:

Foly Ananou, Economiste et membre du think tank l’Afrique des Idées

Jed Sophonie Koboude, Chargé d’études au sein du think tank l’Afrique des Idées

Giani Gnassounou, Juriste et membre du think tank l’Afrique des Idées

Béringer Gloglo, Fondateur du Cercle des Jeunes Economistes pour l’Afrique

Restitution des biens culturels africains : l’immense défi

Le mercredi 4 novembre 2020, le Sénat français a adopté le projet de loi restituant au Bénin et au Sénégal des biens culturels amenés en France à l’époque coloniale : 26 œuvres réclamées par Cotonou, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les sanglants combats de 1892. Le Sénégal, de son côté, est maintenant propriétaire d’un sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, grande figure religieuse et résistant sénégalais du XIXème siècle. 

Cette restitution, intervenue suite à un engagement du président français Emmanuel Macron lors d’une visite à Ouagadougou en novembre 2017- visite qui a été suivie d’un éminent rapport commandé à Bénédicte Savoy, professeure au Collège de France et historienne de l’art, et à Felwine Sarr, écrivain et économiste sénégalais- reste cependant un premier pas d’un parcours plus long: « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique», avait assuré le président français sous les applaudissements.  

Dans leur rapport de 232 pages, intitulé « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain : Vers une nouvelle éthique relationnelle », Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ont clairement expliqué que le sujet des restitutions soulève des questions plus profondes. Ils évoquent la nécessité d’une révision des paradigmes hérités de la colonisation pour rendre justice à une mémoire africaine profondément blessée.

« Parler d’œuvres d’art et de restitutions du patrimoine africain en Afrique, c’est ouvrir un chapitre, un seul, dans une histoire plus vaste et certainement plus difficile. Derrière le masque de la beauté, la question des restitutions invite en effet à mettre le doigt au cœur d’un système d’appropriation et d’aliénation, le système colonial, dont certains musées européens, à leur corps défendant, sont aujourd’hui les archives publiques », est-il souligné dans le rapport.

Une restitution au cas par cas

Malgré le signal fort qu’il envoie, le projet de loi restituant les œuvres d’art au Bénin et au Sénégal est donc loin d’être à la hauteur des enjeux. Juridiquement parlant, il s’agit d’une dérogation au code du patrimoine français qui impose d’une façon claire et absolue l’inaliénabilité des collections publiques françaises, leur imprescriptibilité et leur insaisissabilité. En clair, les objets d’art français ne peuvent être destitués/ôtés du domaine public et donnés à d’autres. Une des seules manières de les faire circuler passe par des échanges ou des dépôts-prêts. Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ont donc eu raison de souligner que le véritable défi de la restitution des œuvres patrimoniales africaines reste la réforme de ce Code. Ils proposent d’y introduire une procédure ad hoc adaptée pour les besoins de la restitution des objets africains.

Près de 88.000 œuvres d’art d’Afrique subsaharienne sont détenues dans les collections publiques françaises, dont 70.000 au seul Musée du Quai Branly. Dès le lendemain des indépendances, plusieurs acteurs africains n’ont eu cesse de réclamer leur restitution. Ils se sont toujours heurtés au mur de l’inaliénabilité et du silence, tant ces sollicitations exhumaient des sévices coloniaux encore inavoués à l’époque. En 1970, l’Unesco allait cependant briser ce silence en adoptant une convention qui interdit le commerce de biens spoliés pendant la période coloniale. En 1978, dans un discours historique, son directeur, Mahtar Mbow, lançait un appel aux anciennes puissances coloniales « pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable ».

« Du British Museum (69 000 objets d’Afrique) au Weltmuseum de Vienne (37 000), du musée Royal de l’Afrique centrale en Belgique (180 000) au futur Humboldt Forum de Berlin (75 000), des musées du Vatican à celui du quai Branly (70 000) en passant par les nombreux musées missionnaires protestants et catholiques en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Autriche, en Belgique, en Italie, en Espagne : l’histoire des collections africaines est une histoire européenne bien partagée », rappelle le rapport Savoy-Sarr.

Les restes humains, une mémoire douloureuse

Avant l’adoption du projet de loi instituant la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal, les rares restitutions ayant échappé au principe de l’inaliénabilité étaient les restes humains, mais toujours via une loi d’exception dérogeant aux textes applicables en matière de patrimoine et de domanialité publique. En 2002, la France a ainsi restitué la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, appelée la « Vénus hottentote», à l’Afrique du Sud. La même année, elle a envoyé à la Nouvelle Zélande une vingtaine de têtes maories.

En juillet 2020, trois ans après le discours d’Emmanuel Macron à Alger où, battant campagne pour la présidentielle, il avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », Paris a restitué les crânes des 24 résistants ayant été décapités dans une bataille près de la ville de Constantine en 1849. Auparavant entreposés dans le Musée de l’Homme, ces crânes seront dignement inhumés dans leur terre d’origine en Algérie.

Quels critères pour la restitution ?

A chaque fois qu’il est posé, le sujet de la restitution des biens culturels rouvre une plaie mémorielle qui n’a jamais été pansée. Il pose aussi des questions d’applicabilité qui sont loin d’être tranchées.      La recherche d’une plus grande sécurité juridique constitue certes un préalable indispensable pour mener à bon port tout projet de restitution. Mais au-delà d’une réforme du Code du patrimoine français, la difficulté sera, comme le font remarquer plusieurs experts, de retracer l’itinéraire des œuvres pour pouvoir statuer sur des questions sujettes à controverses. A titre d’exemple, ces biens proviennent-ils d’un butin de guerre confirmé comme celui des trésors béninois et sénégalais ? Ont-ils atterri en France via des réseaux de pilleurs ou de marchands peu scrupuleux qui les ont acquis à des prix dérisoires ? Ou est-ce plutôt le résultat de transactions justes et équitables et dans ce cas pourquoi parler de restitution ?

De la même manière, il sera nécessaire d’aller creuser l’origine géographique des biens- l’Afrique des frontières étant une donnée coloniale contemporaine- et veiller à mettre en place des mécanismes pratiques qui permettront de faire rayonner ces biens restitués aussi bien au sein de leurs communautés d’origine que parmi d’autres peuples qui en exprimeraient l’envie (libre circulation).     Ce projet multiforme ne pourrait aboutir que dans le cadre d’un projet commun franco-africain, estiment les experts, où seront définis les critères de restitution et une expertise conjointe qui se penchera sur l’origine (ou les origines) supposées des objets en question pour arriver à un consensus scientifique.

Un nid à polémiques

Une telle conjugaison des efforts entre l’Afrique et la France sera d’autant plus salutaire qu’elle permettra d’aplanir de nombreuses résistances idéologiques soulevées par la restitution des biens culturels. « Les musées ne doivent pas être otages de l’histoire douloureuse du colonialisme », dénonçait M. Stéphane Martin, ancien président du Musée du quai Branly, sur les colonnes du journal Le Monde diplomatique (Août 2020).

Depuis la publication du rapport Savoy-Sarr, l’opinion publique a en effet eu droit à tout type de questions, les plus légitimes comme les plus farfelues : Les gouvernements africains sauront-ils préserver ces trésors ? Ont-ils des infrastructures convenables qui vont les protéger de la déperdition ? Et s’ils se mettaient à les revendre ?

Le débat a donné lieu à certaines polémiques biaisées, mais il a tout de même ouvert quelques pistes qui poussent à réfléchir : les musées africains sont-ils obligés de suivre le modèle de leurs pairs occidentaux en matière d’exposition et de préservation ? S’était exprimée aussi, la plus grande crainte des acteurs culturels français : Va-t-on vider les musées en France ? Comment s’adapter face aux retombées économiques de ces restitutions ? Ces questions sont directes, réelles mais surtout politiques, vu la quantité de trésors dont regorgent les musées hexagonaux. Et il va sans dire que tout alignement en faveur d’une restitution plus importante envers l’Afrique nécessitera un courage politique loin d’être gagné à la veille de l’échéance présidentielle de 2022.

Du côté des marchands d’art et des collectionneurs privés, fief de la part la plus importante des œuvres africaines, souvent intraçables et non recensées, le projet de restitution fait grincer des dents même si le milieu se réserve d’exprimer une franche opposition au principe. Certains galeristes de bonne volonté, comme Robert Vallois, ont même créé un collectif de marchands d’art pour financer le nouveau musée de la Récade au Bénin, où sont exposées des œuvres africaines tirées de leurs collections. « Ça n’a coûté rien à personne, à part à nous », précise-t-il à l’agence AFP. 

Un contexte qui pousse à l’action

En s’engageant solennellement dans la restitution des biens culturels à l’Afrique, la France a posé la première pierre d’un chantier historique. Mais l’approche d’une restitution au cas par cas, fragmentée et jonchée d’obstacles, ne pourra pas tenir longtemps face à la pression exercée par des débats militants liés aux décolonisations ou au rééquilibrage des rapports Nord-Sud. La France pourrait même se faire devancer par certaines anciennes puissances coloniales comme l’Allemagne qui semble avoir saisi le sens de la séquence historique en cours bien avant le discours de Macron à Ouagadougou. Sensibilisée à la question des spoliations juives sous l’ère nazie, Berlin n’a pas eu de mal à aborder la question de la restitution des biens africains et avait entamé plusieurs démarches envers la Namibie, le Togo ou la Tanzanie. A contrario, c’est en Belgique où le débat est le plus enflammé en raison d’une colonisation congolaise particulièrement sanglante. Quant à la Grande-Bretagne, elle semble tâtonner, le British Museum rechignant encore à se prononcer sur la question des restitutions bien qu’il soit saisi de plusieurs demandes venant d’autres pays.

Pour mener à bien ce projet de restitution, il va sans dire qu’un autre tabou doit être levé : celui d’éveiller les consciences politiques africaines, là où les politiques publiques ont échoué malgré une implication de plus en plus forte de la société civile. Dans les musées africains, la valeur originelle des objets est oubliée au détriment de sa valeur esthétique…

Nadia Lamlili, Nadine Mbaïbedje Mogode

Membres du Think Tank « L’Afrique des Idées »

Références

Manuel Valentin, 2019. « Restituer le patrimoine « africain » », Les nouvelles de l’archéologie [En ligne], mis en ligne le 06 septembre 2019, consulté le 21 octobre 2020. http:// journals.openedition.org/nda/5953 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nda.5953

Sarr F. & Savoy B. 2018. Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle : rapport commandé par le Président de la République, rendu le 23 novembre 2018.http://www.icom-musees.fr/ressources/rapport-sur-la-restitution-du-patrimoine-culturel-africain-vers-une-nouvelle-ethique

L’Afrique dans les négociations climatiques : enjeux, stratégies et perspectives

sécheresseDepuis 1990, les différents rapports du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur le Climat apportent non seulement plus de certitudes sur l’origine anthropique du dérèglement climatique observé mais aussi plus de précisions sur ses impacts actuels et futurs. Fruit de la première phase des négociations climatiques et actuellement mis en œuvre, le protocole de Kyoto est l’instrument juridique contraignant duquel ont découlé des mécanismes de régulation dont l’Afrique a très peu bénéficié. Et ce, en dépit du fait que, bien que responsable de seulement 4,5% du total des émissions de gaz à effet de serre, elle reste le continent le plus vulnérable.

Les négociations sur le cadre post-Kyoto (post 2020) ont abouti à un premier accord universel obtenu lors de la 21ème conférence des parties (COP21) en décembre 2015. Profondément conscients de l’enjeu, les Etats africains se sont distingués en  s’engageant sur des objectifs ambitieux en matière de réduction de gaz à effet de serre d’ici 2030, réaffirmant  leur volonté d’atténuer et de s’adapter au changement climatique. Ils doivent cependant continuer à travailler pour la  sécurisation des ressources financières dédiées  et un appui technique conséquent afin que leurs objectifs puissent être atteints sans entraver leur développement. Pour obtenir un accord juste et équitable à la COP21, ces Etats ont réussi le pari de tenir un langage commun. Mais il faudrait qu’ils associent davantage  la société civile et les acteurs économiques africains particulièrement dans la mise en œuvre de ces accords.        

La forte implication de la société civile dans la mobilisation contre le changement climatique et les diverses actions qu’elle a pu engager ont d’ailleurs montré sa capacité à être porteuse d’améliorations positives. Ainsi, en se positionnant comme partie prenante d’une gouvernance responsable, pilier du développement durable, cette dernière offre de réelles opportunités de changement aux Etats africains. Lisez l'intégralité de ce Policy Brief.

Le retour russe en Afrique subsaharienne : enjeux, vecteurs et perspectives

Russie_-_Moscou_-_kremlin_cathedraleDepuis les années 2000 la Russie cherche à reprendre pied en Afrique Subsaharienne. Si l’Union soviétique a été active dans la région, la jeune Russie des années 1990 a en effet dû s’en désengager dans un contexte de manque criant de ressources.

Au plan politique, ce regain d’intérêt a vocation à démontrer la dimension mondiale de la puissance russe, Moscou souhaitant afficher sa capacité à projeter de l’influence dans « l’étranger lointain », bien au-delà de son seul « étranger proche ». Au plan économique, les entreprises russes cherchent quant à elles à étendre leurs positions dans les secteurs des matières premières et de la défense, où elles disposent d’avantages comparatifs, et à tirer profit de la croissance de certains leaders régionaux (Afrique du Sud, Nigéria).

Dans ce contexte, la présente note entend dresser une cartographie des intérêts russes en Afrique subsaharienne. Après avoir brièvement rappelé les contours historiques de la présence russe dans la région, elle y décrypte le réengagement de Moscou en matière politique, sécuritaire et de développement avant de proposer une analyse de la relation économique que la Fédération de Russie entretient avec l’Afrique subsaharienne. En tout état de cause, le renouveau de l’engagement russe conduit sous la bannière du pragmatisme et dénué d’affect, ne semble pas encore avoir permis à Moscou de retrouver l’acquis soviétique ni de rivaliser sérieusement avec ses concurrents directs, au premier rang desquels figurent les autres grands émergents tels que la Chine ou le Brésil. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

N.B. Le manuscrit de la présente note a été achevé au cours de l’été 2015. Ce texte n’engage que son auteur qui en assume la responsabilité exclusive.