OMC: à l’heure de la dé-mondialisation, l’Afrique peut-elle rester spectatrice ?

Par Joël Té-Léssia Assoko, journaliste, éditeur associé à l’Afrique des Idées

Alors que l’ordre commercial international est en plein chamboulement, les voix africaines se font inaudibles. A quel prix?

Les intrus sont dans Babylone. Et ses défenseurs hésitent. La décadente citadelle peut-elle encore être défendue ? Mieux: est-elle moralement défendable ? “Pour la première fois en cinquante ans, il n’y a pas d’accord mondial sur le commerce”, affirmait à la mi-septembre, à Genève, l’ex-Premier ministre britannique Gordon Brown, invité vedette du Forum public de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Plus diplomate, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’institution multilatérale, s’alarmait d’une “tendance” pouvant mener “à la fragmentation de l’économie mondiale”.

À la coalition hétéroclite – nationalistes, populistes et altermondialistes – s’est joint une toute aussi disparate mais autrement plus puissante confédération de “réformateurs”. Tous insatisfaits de “l’ordre économique mondial” bâti depuis 75 ans “sur l’idée que l’interdépendance parmi les nations à travers l’accroissement du commerce et des liens économiques promouvrait la paix et la prospérité partagée”, comme s’en est émue Ngozi Okonjo-Iweala. Pour l’ancienne ministre nigériane des Finances, “cette vision est aujourd’hui menacée”. Avec elle, le futur d’une économie mondiale “ouverte et aux règles prévisibles”.

Une approche punitive du commerce

Le fait est que, longtemps confinés aux marges de l’économiquement correct, les “sales petits secrets” de la mondialisation sont désormais au cœur de l’agenda des élites. “Des idées qui avaient été discréditées après les ‘erreurs’ des années 1930 reviennent aujourd’hui à la mode”, alerte le dernier “Rapport sur le commerce international”. Selon les économistes de l’OMC, le processus de “démondialisation” aujourd’hui entamé “rendrait l’économie mondiale plus pauvre, moins efficace, moins innovante et plus limitée en ressources, réduisant ainsi les capacité à faire avancer les priorités sociales, environnementales ou sécuritaires”.

Peut-être bien. Quoi qu’il en soit, les mesures protectionnistes (“distortionnaires” dans le franglais de l’OMC) autrefois camouflées via divers subterfuges sont aujourd’hui assumées. Ainsi, le durcissement des règles commerciales vis-à-vis de la Chine décidées par l’administration de Donald Trump n’ont guère été supprimées. Loin s’en faut. Alors que la Chine domine le marché des “minerais critiques” essentiels à la fabrication des batteries électriques, les exemptions fiscales pour l’acquisition de véhicules électriques prévues par la Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act – IRA) promulguée par Joe Biden en août 2022, ne sont réservées qu’aux voitures dont au moins 50% des intrants proviennent d’Amérique du Nord, en 2030 ce taux sera de 100%, rappelle Xolelwa Mlumbi-Peter, ambassadrice de l’Afrique du Sud auprès de l’OMC. “Qu’adviendra-t-il si ce n’est un espace commercial mondial fragmenté ?”, s’alarme la diplomate sud-africaine.

L’Union européenne défend son Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mechanism – CBAM). Un ensemble de taxes appliquées à diverses importations (acier, ciment, engrais, aluminium, hydrogène, véhicules) dont la phase transitoire commence en octobre 2023. Bien sûr, ce n’est que pure coïncidence si ces mesures épousent la géographie exacte des points faibles de l’industrie européenne. Il s’agit uniquement de mettre en œuvre “une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits”. Et ce principalement afin de “lutter contre les fuites de carbone [transfert des activités polluantes vers des juridictions moins réglementées, ndlr], dans un contexte de renforcement de l’ambition climatique au niveau européen”. Pour le président français Emmanuel Macron, il s’agit pour l’Europe de retrouver son “autonomie stratégique”. 

“Il est nécessaire de trouver les solutions de décarbonisation les moins restrictives pour le commerce. Le CBAM, par exemple, perturbera considérablement les échanges internationaux, mais ne permettra de réduire que très marginalement les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela revient à utiliser un bazooka pour tuer une mouche”, répond Xolelwa Mlumbi-Peter.

Équité et dynamique de pouvoir

Le “Sud global” n’est pas en reste. La Chine, deuxième puissance économique mondiale, s’agrippe à son statut de “pays en développement”, arguant de ses concessions passées. ”Lors de son adhésion à l’OMC, la Chine a accepté des conditions et un traitement très stricts. Par exemple, alors que la limite des subventions a été fixée à 5 % de la valeur de la production agricole pour les pays développés et à 10 % pour les pays en développement, cette limite est de 7,5 % pour la Chine”, explique un haut dirigeant des instances commerciales internationales. 

Il est à noter que le statut de “pays en développement”, est autoproclamé lors de l’adhésion à l’OMC – ce qui requiert l’unanimité des pays membres – et ne peut être abandonné que volontairement. “Le Brésil, Singapour et la Corée du Sud ont individuellement renoncé à bénéficier du “traitement spécial et différencié” réservé dans le cadre de l’OMC aux pays en développement mais n’ont pas formellement renoncé à leur statut de pays en développement”, nous a rappelé ce diplomate, familier des positions du “Sud” dans ces négociations.

Au sein même de l’OMC, “Nord” et “Sud” sont engagés dans une guérilla multipolaire. Avec l’Inde en chef de file, nombre de pays émergents et en développement (d’environ 40 à 90 États selon les sources), exigent la sanctuarisation de la “Détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire”, tandis que d’aucuns, parmi les pays riches surtout, se plaignent que ces achats provisionnels de bien alimentaires “faussent” les échanges “lorsqu’ils impliquent des achats auprès d’agriculteurs à des prix fixés par les pouvoirs publics, dénommés prix ‘administrés’”. Autrement dit : des subventions cachées à l’agriculture locale.

L’ironie étant denrée rare sur les rives du lac Léman, les pays développés s’opposent à toutes réductions de leurs propres subventions agricoles, tant qu’un accord ne sera pas trouvé au sujet des stocks alimentaires. Les solutions intermédiaires avancées par le Costa Rica, l’Inde et la Chine sur des réductions “asymétriques” ou étalées dans le temps des subventions agricoles ne font toujours pas l’unanimité. 

Or, commente un diplomate européen, environ la moitié des 800 milliards de dollars de subventions agricoles annuelles à travers le monde sont considérées comme “ayant un effet de distorsion” sur le commerce. “En comparaison, l’engagement pris lors de la COP21 à décaisser 100 milliards de dollars en faveur de l’agriculture verte n’a toujours pas été atteint”, a-t-il regretté. En plus des subventions, les mesures relatives au contenu local “sont mises en œuvre au mépris total des règles de l’OMC”, ajoute Xolelwa Mlumbi-Peter, qui avoue sa crainte que “l’ordre commercial mondial progresse désormais sur la base d’une dynamique de puissance et non selon l’équité”.

Pour ne rien arranger, note le rapport de l’OMC, le nombre de mesures d’exception liées à la “sécurité nationale” invoquées pour restreindre les échanges commerciaux a radicalement augmenté. Entre 2016 et 2022, elles ont été invoquées pas moins de 43 fois au sein des comités de l’OMC, contre 35 fois durant les treize premières années de l’OMC. Entre-temps, aucun accord n’a été trouvé pour redémarrer la cour d’appel de l’instance de règlement des différends commerciaux de l’OMC, bloquée par le véto des États-Unis qui, encouragés par d’autres pays développés, estiment que cette dernière a outrepassé ses compétences.

Qu’en est-il de l’Afrique ?

Entre clauses discriminatoires et mesures de distorsions, subventions iniques de plus en plus assumées et sabotages explicites de l’OMC – sous-staffée et dont le budget annuel est bloqué à 197 millions de francs suisses depuis dix ans malgré l’inflation -, “il y a peu de raisons d’être optimistes”, a reconnu un délégué de la Banque mondiale. “Lors de la dernière conférence ministérielle sur le commerce, en juin 2022, les États-Unis, la Chine et l’UE ont esquivé les questions sur les distorsions créées par leurs subventions. Elles n’ont pas été mentionnées dans le communiqué final. Tous les coupables sont dans la salle, en toute impunité vu la paralysie du mécanisme de règlement des différends de l’OMC”, a regretté ce haut fonctionnaire international. 

Plus optimiste, Henry Gao, professeur de droit à Singapore Management University, plaide : “Parce qu’ils sont tous des coupables, il est possible de parvenir à un grand accord sur les subventions si le coût de ces dernières devient trop élevé dans un contexte de durcissement des conditions des marchés financiers”. Cela est possible. Mais venons en au fait : tous les coupables sont peut-être dans la salle, mais toutes les parties prenantes y sont-elles ? 

Qu’en est-il de l’Afrique dans ce maëlstrom d’iniquités, dans cette économie mondiale en voie de “démondialisation” ? Il serait injuste de répondre “nulle part”. 

D’un, le système un pays-une voix qui freine parfois l’adoption des décisions accorde de fait un poids colossal à la quarantaine de pays africains membres de l’OMC, comme le prouve leur soutirn à l’Inde au sujet des stocks alimentaires. 

De deux, comme s’évertue à le rappeler Ngozi-Okonjo-Iweala, “aujourd’hui, 75 % du commerce mondial se fait dans le cadre de la ‘Clause de la nation la plus favorisée’”, pilier de l’ordre économique bâti par et autour de l’institution multilatérale. 

Enfin, “lorsqu’il s’agit des questions de politique [policy issues] et des priorités africaines (l’Agenda 2063 tout comme la zone de libre-échange continentale africaine – Zlecaf), l’unité africaine ne fait aucun doute. Nous nous sommes mis d’accord sur les propositions que nous avons présentées”, se félicite Xolelwa Mlumbi-Peter. 

Pour autant, la représentante de Pretoria admet que “le groupe Afrique est confronté à des contraintes de capacités institutionnelles”. L’Afrique du Sud et le Nigeria, uniquement, disposent d’ambassadeurs et d’équipes spécifiquement dédiées à l’OMC, regrette-elle : “Les autres représentations africaines en Suisse sont surchargées”, entre obligations consulaires à Berne et autres missions auprès des instances helvétiques de l’ONU.

Bizarrerie géopolitique

Avec moins de 5% des échanges internationaux de marchandises, le continent ne porte aucune responsabilité dans la dislocation en cours de l’ordre commercial mondial. 

Pour une fois, les pays africains ne figurent pas parmi les “suspects habituels” d’une bizarrerie géopolitique des temps modernes. Ni protagonistes, passablement “victimes”, certainement pas coupables. Mais, s’agit-il vraiment d’un progrès ?

Dans le grand théâtre du monde, l’innocence semble une vertu, mais elle n’a aucune valeur.

Diplômé en économie (Paris Dauphine PSL) et en affaires internationales (SciencesPo Paris), Joël Té-Léssia Assoko est éditeur associé de l’Afrique des Idées. Journaliste économique depuis dix ans, il a dirigé le pôle économie et finance du média panafricain Jeune Afrique entre 2020 et 2022.

Coup d’Étatisme et Etatisme du coup en Afrique : entrée ou sortie de la démocratie ?

Par Thierry AMOUGOU, économiste, Professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié: Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.

L’Afrique connaît ces derniers temps une cascade de coups d’Etat que la communauté internationale analyse plutôt négativement. Ce texte s’attèle à soutenir une lecture positive du coup d’Etat à l’aune des problèmes concrets du continent africain en montrant que les derniers coups de force qui ont eu lieu en Afrique s’apparentent à des révolutions populaires et que cela les différencie de l’Etatisme du coup contre lequel sont en lutte les peuples africains. Nous cherchons à débusquer les mouvements de fond intra-africains et internationaux qui expliquent la conjoncture politique africaine du moment et militent pour une non-condamnation systématique de l’usage de la crédibilité des armes pour prendre le pouvoir d’Etat.

  1. Coup d’Etatisme

Deng Xiaoping peut être considéré comme le père de l’hyperpuissance capitaliste actuelle qu’est la Chine. Il en est le père-fondateur via un coup d’Etat idéologique sur le parti communiste chinois qui, avec lui, et contrairement à Mao Tsé-toung, devint un parti promoteur d’une économie capitaliste en lieu et place d’une économie communiste. Ce changement idéologico-pratique opérationnalisé en s’accaparant de l’appareil dirigeant central chinois est analogue à ce que fit Thomas Sankara au Burkina Faso pour instaurer ce qu’il appela le « pays des hommes intègres » en contradiction avec la Haute-Volta au service, d’après lui, des intérêts de la domination étrangère et du néo-colonialisme. L’officier Jerry Rawlings installa le Ghana sur la route de la démocratie et de la bonne gouvernance après un putsch en 1979. Dans le cas de la France, la banque de France, le Franc, l’architecture administrative de base du pays, le Code civil et la légion d’honneur encore d’usage aujourd’hui sont des créations du général Napoléon Bonaparte suite à sa prise de pouvoir par coup d’Etat sur le régime issu de la révolution de 1789. Ces quelques exemples historiques parmi des centaines d’autres prouvent que le coup d’Etat peut avoir une valeur politique positive dans l’histoire politique du monde. Aussi, comme le stipule la suffixation[1] en –isme des noms de discours, nous pouvons valoriser la base coup d’Etat par sa modalisation positive et nominale coup d’Etatisme concevable comme l’omniprésence heureuse du coup d’Etat dans l’histoire politique mondiale et dans certaines conjonctures de cette histoire politique. Celle que vit actuellement l’Afrique en fait partie. Le coup d’Étatisme est donc une modalité idéologique et pratique d’organisation du pouvoir politique et de la transition de celui-ci vers une autre forme jugée meilleure via le coup d’Etat au sens d’instrument de prise de pouvoir et d’articulation temporaire du champ politique dans l’histoire longue des sociétés vers des régimes politiques que les auteurs du coup d’Etat pensent non seulement plus libres et plus justes, mais aussi plus productives et impossibles à atteindre sans au préalable une mise en ordre des hommes et des choses dans le sens des conditions de possibilités de cette justice, de cette liberté et de cette efficacité.

Dès lors, un coup d’Etat est parfois un coup heureux au sens de stratégie dans un jeu politique à plusieurs coups et à plusieurs acteurs. C’est un coup d’avance et de désaxement d’une dynamique politique en place au profit d’une autre via l’introduction d’un nouvel axe organisateur du pouvoir exécutif.

C’est une prise de responsabilité par l’entremise d’un moyen non constitutionnel mais objectif qu’est l’autorité et la force que l’Etat donne à une partie de l’Etat pour servir l’Etat et la société. Au sein de l’Afrique actuelle, une minorité numérique (au sein des armées) rencontre, via le coup d’Etat qu’elle orchestre, une majorité populaire sur le plan idéologique et des besoins politiques. Les sociétés africaines prennent donc désormais leurs politiques en main à travers le coup d’Etatisme. Que cela débouche sur des résultats positifs ou non dans les années à venir est moins important que cette maîtrise de leur réel qu’elles entament.

Dès lors, les gardes présidentielles africaines deviennent des « chiens de garde » des peuples et leurs caisses de résonnance en traduisant en action politique les rêves caressés et les désirs profonds des populations africaines réléguées à de simples statistiques par la démocratie libérale. C’est là où le coup d’Etat négatif, très souvent démographiquement minoritaire, se différencie du coup d’Etatisme et rejoint la révolution dans le cas de l’Afrique où les coups d’Etat rencontrent un soutien populaire.

Primo, ces coups d’Etat militaires sont applaudis par les populations africaines qui ne défendent en retour aucun régime déchu dit démocratiquement élu. Deuxio, les populations africaines contestent les troisièmes mandats mais ne contestent aucun des derniers coups d’Etat militaires dans leur continent. Tertio, les troisièmes mandats tuent plus que les coups d’Etat militaires. La preuve, la contestation liée au troisième mandat du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara a tué plus de personnes en Afrique que les quatre derniers coup d’Etat en Guinée, au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Le constat est clair et sans bavures : d’un côté, les sociétés africaines accueillent favorablement les coups d’Etat militaires et, de l’autre, les conflits pré et postélectoraux liés aux troisièmes mandats sont, dorénavant, plus thanatologiques en Afrique que les coups d’Etat militaires. La question de savoir comment et pourquoi le coup d’Etat militaire redevient le modèle politique gagnant en Afrique est donc cruciale dans un continent engagé dans un processus démocratique depuis les années 1980. Ces coups d’Etat sont-ils la sortie de l’Afrique de la poursuite de l’idéal démocratique ? Sont-ce son entrée dans la barbarie politique ? Pourquoi, alors que les coups d’Etat sont très souvent des moments de terreur houspillés par les peuples, ceux qui se font en Afrique ces derniers temps, sont plutôt encensés par les peuples africains ? N’est-il pas un signe positif de liberté des peuples africains que les coups d’Etat qui y étaient majoritairement commandités et pilotés par les anciennes puissances coloniales s’y fassent dorénavant à partir des Africains eux-mêmes ?

  • Entrée dans la barbarie politique et sortie de la démocratie ?

Les récents coups d’Etat africains sont-ils le retour de la barbarie politique, c’est-à-dire d’une grossièreté politique propre aux peuples barbares qui montreraient ainsi qu’ils ne sont encore entrés dans le temps démocratique signe d’une civilisation moderne des mœurs politiques ? Sont-ils des preuves que les peuples africains manquent d’esthétique et de goût politiques tant en applaudissant les modes non-démocratiques d’accès au pouvoir qu’en célébrant l’avènement à la tête de leurs Etats d’hommes en treillis qui désertent les casernes et montrent ainsi que les armées africaines manquent cruellement de professionnalisme ? Sont-ce une démonstration d’une Afrique non encore convaincue de Winston Churchill suivant lequel la démocratie est un mauvais système mais le moins mauvais de tous les systèmes ?

Force est de constater que la barbarie politique a commencé en Afrique avec les puissances coloniales qui ont détruit les systèmes politiques africains pendant l’Etat colonial et ont parachevé cette œuvre lors des indépendances en 1960 par la liquidation du leadership nationaliste et panafricaniste du continent. Des figures comme Ruben Um Nyobè au Cameroun, Patrice Lumumba en RDC, Sylvanus Olympio au Togo, Louis Rwagasore au Burundi, pour ne citer qu’elles, ont été liquidées par ce premier épisode de barbarie politique faisant lui-même suite à la barbarie multi-centenaire du commerce triangulaire. La première vague de coups d’Etat en Afrique est donc constituée de ceux des anciennes puissances coloniales sous formes d’élimination physique et/ou d’éviction du pouvoir des leaders africains nationalistes et panafricanistes au profit des collabos locaux.

La deuxième vague de coups d’Etat (1960-1980) survient dans une Afrique postcoloniale. Elle est surtout causée par les balbutiements institutionnels d’Etats africains encore très fragiles car à peine sortis du système colonial proprement dit et tout de suite soumis aux affres du néocolonialisme et de la guerre froide. C’est ainsi que le président gabonais Léon Mba déposé par l’armée gabonaise en 1964 fut réinstallé sur son fauteuil présidentiel par le général de Gaulle suite à une intervention directe de l’armée française au Gabon alors que d’autres militaires comme Mobutu ou Eyadema se maintinrent au pouvoir grâce à la rente géopolitique de la guerre froide. Dans la mesure où le processus démocratique engagé en Afrique avec les ajustements structurels en 1980 se clôture de nos jours par une troisième vagues de coups d’Etat militaire, il semble indiqué de considérer que celle-ci, lorsqu’on prend en compte les processus sociétaux réels, essaie de sortir l’Afrique d’un processus démocratique devenue lui-même une nouvelle barbarie politique des temps modernes. Comment le processus démocratique est-il devenu une barbarie politique en Afrique ? Les lignes qui suivent s’attèlent à l’éclairer.

  • Etatisme du coup

Le coup d’Etatisme africain fait aussi du coup d’Etat une action politique positive en Afrique parce qu’il est en lutte contre l’Etatisme du coup en vigueur dans ce continent depuis la période coloniale. L’Etatisme du coup est une main basse, un délit, une mauvaise action sur les sociétés africaines. Il agit via plusieurs modalités interdépendantes (Etats occidentaux, Etats africains, institutions internationales, idéologies dominantes…) qui s’opérationnalisent toutes par le biais de la systématisation d’une intervention étatique qui, depuis l’Etat-colonial, a porté un mauvais coup à l’Afrique dans le sens d’un mouvement par lequel un corps politique (l’Etat colonial) vient à heurter un autre corps politique (la société africaine précoloniale) qui se retrouve désorganisée dans ses fondements dans tous les domaines.

L’Etatisme du coup s’est ensuite manifesté en Afrique postcoloniale, notamment francophone, par la Françafrique, réseau mafieux qui orchestra, après les indépendances, de nombreux coups d’Etat en passant par les Etats africains postcoloniaux. Il prit la forme du coup de main (aides et appuis divers) de l’Etat français au régime postcoloniaux en place, des coups de feux à travers l’armées française (cas du Gabon en 1964), des coups tordus (introduction de la fausse monnaie en Guinée Conakry par la France en 1958), des coups de force du mercenaire français Bob Denard via le renversement de plusieurs régimes africains de 1980 à 1995 et du coup de folie lors du soutient total de l’Etat français à l’Etat centrafricain pour le sacre de Jean-Bedel Bokassa comme empereur.

Depuis les programmes d’ajustements structurels l’Etatisme du coup a pris une dimension économique et idéologique dominé par le libéralisme autoritaire[2]. Il prend la forme du choc économique ou d’une thérapie de choc qui renvoie aux mesures impératives de libéralisation économique imposées aux Etats africains par les puissances occidentales et les instances financières internationales. Les Etats africains ont ainsi été sommés d’appliquer à leurs propres sociétés des mesures d’austérité et de libéralisme sans passer ni par un débat avec les instances internationales ni par une discussion avec leurs sociétés via les assemblées nationales comme cela fut le cas en Europe à travers le parlement européen lors de la crise de la dette souveraine faisant suite la crise des crédits hypothécaires. Les conséquences de l’application de cette thérapie de choc aux sociétés africaines par ce libéralisme autoritaire ont été désastreuses étant donné qu’il en a résulté une redistribution du pouvoir politico-économique en faveur des Africains déjà fortunés, un recul de l’action publique, une favorisation des conditions économiques des multinationales occidentales et une hausse de la pauvreté, des inégalités et de l’exclusion sociale. D’où un renforcement de l’Etatisme du coup électoral car c’est l’Etat africain qui fut chargé d’implémenter toutes ces réformes de libéralisation dont la démocratisation. Celle-ci, maîtrisée par les Etats africains structurés de façon néo- patrimoniale[3], a vu se renforcer leur capacité de contrôler les processus électoraux, de fabriquer des résultats aux profit des régimes en place et de faire usage d’une inflation de la réforme constitutionnelle au service des acteurs dominants historiques. C’est la sortie de tous ces aspects de l’Etatisme du coup que cherchent les coups d’Etat qui s’enchaînent ces derniers temps en Afrique.

  • L’Afrique fait un coup d’Etat à la démocratie en mode kit

Dans « L’esprit du capitalisme ultime »[4], un de nos ouvrages publié en 2018, nous comparions les démocraties africaines à un meuble IKEA. C’est-à-dire à un produit fini qu’on achète sans connaître son concepteur, l’origine du bois, les conditions de travail de ceux qui le fabrique et encore moins son processus de production et les chaînes de valeurs qui le structurent. Tout ce qui importe à l’acheter d’un tel mobilier est d’avoir avec lui le kit de montage afin qu’il le monte chez lui en jouisse des bienfaits. La démocratie africaine est semblable à un meuble IKEA en ce sens qu’imposée de et par l’Occident comme un produit politique fini de consommation, les Etats africains la reçoivent comme un kit à monter dont les principales pièces sont le multipartisme, des élections, des observateurs, une assemblée multipartiste, une commission électorale, une constitution démocratique et une société civile.

Cette démocratie africaine est donc moins le résultat d’une histoire des luttes politiques et sociales intra-africaines et entre l’Afrique et l’Occident qu’un produit fini de l’histoire des autres que l’Afrique doit juste consommer : C’est la démocratie en mode kit. Une démocratie qui méprise le réel des autres, ne prend pas en compte leur histoire et s’impose à eux comme volonté de l’Occident et des instances internationales à un moment donné de l’évolution du système-monde dont il a le contrôle et oriente la forme.

En conséquence, au lieu que la démocratie africaine soit le résultat politique de la recherche d’une réponse endogène aux problèmes concrets du continent, elle est devenue une réponse toute faite par d’autres à l’usage de l’Afrique dont on ne respecte ni les temporalités sociopolitiques et économiques, ni les problèmes concrets des populations. De là l’aboutissement à des démocraties désincarnées étant donné que le montage du kit démocratique dépend moins de sa capacité à répondre aux questions africaines concrètes qu’à signaler son alignement aux exigences de la communauté dite internationale. Une telle pensée participe non seulement de ce que Vico appelle la barbarie intellectuelle étant donné l’histoire sinueuse de la démocratie en Occident, mais aussi de la barbarie économique qui, à travers les programmes d’ajustements structurels, décapita les Etats africains tout en leur imposant une démocratie de marché. Qu’on aboutisse aujourd’hui à des peuples africains qui encensent des putschistes, ne défendent aucun régime dit démocratiquement élu, rêvent d’union africaine via des figures militaires et vomissent les troisièmes mandats, est tout à fait plausible et compréhensible.

L’explication est que cette forme de démocratie n’a amélioré aucun aspect de leur vie, a aggravé la pauvreté et les inégalités via le néolibéralisme, a orchestré l’affaiblissement de leurs Etats, et a entériné le règne sans partage des dictatures déjà en place depuis des décennies. Les peuples africains ne défendent pas une telle démocratie parce qu’elle n’a aucune légitimité ; et elle n’a aucune légitimité parce qu’elle ne résout aucun de leurs problèmes concrets de développement. Dans un environnement où le kit démocratique n’a aucun ancrage sociologique et culturel réel, un régime africain dit démocratique n’a aucun avantage comparatif politique par rapport à un régime militaire africain.

  • Les peuples africains refusent les dynasties au pouvoir et les troisièmes mandats

Les démocraties en mode kit sont fondamentalement procédurales au sens où elles pensent que la démocratie se limite au vote alors que le vote n’est qu’un mécanisme, un outil de choix qui vient sanctionner toute une évolution sociale, politique et structurelle des institutions politiques, économiques, sociales et spirituelles dans un contexte donné. Une telle approche de la démocratie aboutit depuis plusieurs années à un électoralisme maîtrisé par les Etats africains et ceux qui les dirigent étant donné que c’est le régime au pouvoir et l’appareil institutionnel sous sa domination qui mettent en scène le vote, le calendrier électoral, sa supervision, son effectuation, ses acteurs pertinents et la production des résultats officiels qui seuls font le président élu. Le cratos (le pouvoir) qui s’exprime en Afrique est donc moins celui du demos (le peuple) que celui de l’appareil étatique contrôlé par les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir au Congo Brazzaville, au Togo, au Gabon, au Cameroun, au Tchad, en Guinée Equatoriale…

Résultats des courses, de 1980 à nos jours, aucun vote n’a pu évincer les familles africaines détentrices du pouvoir exécutif. Seul un coup d’Etat militaire à évincé Mubutu au Zaïre et c’est aussi un Coup d’Etat militaire qui vient d’évincer la famille Bongo au Gabon. Il en découle qu’une démocratie sans assises sociologiques et culturelles endogènes n’a nullement empêché la reproduction durable des familles régnantes et des club élitaires au pouvoir. Elle a été soit inapte à contrecarrer leurs malversations électorales pour garder le pouvoir, soit incapable d’endiguer la domination totale que ces familles et les clubs élitaires au pouvoir ont sur les sociétés politiques africaines grâce à leurs immenses fortunes accumulées depuis les années 1960. Qui plus est, les constitutions africaines qui auraient pu limiter le nombre de mandats au pouvoir en organisant institutionnellement l’alternance font l’objet de modifications pour les mettre au diapason du rêve démiurgique du pouvoir à vie. Le coups d’Etat militaire devient donc un moyen de sortir de la barbarie politique tant parce qu’il est le seul instrument capable de limiter le nombre de mandats au pouvoir des dictatures qui se veulent éternelles que parce qu’il met fin au troisième mandat et au mandat à vie qui ont pignon sur rue en Afrique. Là où la Constitution et le vote ne peuvent arrêter les troisièmes mandats et le pouvoir à vie, le coup d’Etat militaire le peut. Il devient ainsi paradoxalement plus crédible et plus légitime que la démocratie en mode kit.

Les populations africaines, sans être viscéralement favorables aux coups d’Etat militaires, ont compris qu’avec l’électoralisme les plus puissants au pouvoir depuis toujours le resteront et garderont le pouvoir par tricherie ou par domination totale des sociétés grâce à leurs capacités financières de redistribution des rôles à leur profit. Ainsi, même lorsqu’ils gagnent les élections sans tricher, les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir depuis les indépendances dans les pays africains sont vécues comme une injustice majeure par les populations africaines. La démocratie en mode kit ne peut corriger une telle injustice si elle les maintient au pouvoir. C’est là une autre preuve de l’échec de l’approche de la démocratie comme du café instantané. Echec aussi du processus commencé avec les ajustements structurels, continué à la Baule et poursuivi avec la chute du Mur de Berlin. La grande présence et influence de l’international dans les changements politiques en Afrique depuis les années 1980 semble faiblir devant la revanche desdites sociétés qui, à travers leurs processus réels, font que les coups d’Etats en Afrique intéressent de plus en plus le monde mais le monde a de moins en moins d’influence sur eux. Ce mouvement militaire de prise de pouvoir peut donner un ancrage populaire et souverainiste aux démocraties africaines réelles si les transitions politiques et de régimes sont bien négociées. Il peut poser les bases d’une démocratie africaine incarnée.

  • Récusation d’une démocratie appauvrissante et incapacitante…

La démocratie libérale n’est pas en très bonne santé en Occident. Les populations européennes ne sont plus certaines que leurs enfants vivront mieux qu’elles dans des sociétés où les richesses privées augmentent plus rapidement que la richesse nationale qu’est la croissance économique[5]. Le renforcement de la place des institutions technocratiques comme la banque centrale européenne et la commission européenne sans être porteuses d’un mandat électif fait que les experts prennent le pouvoir au détriment des peuples européens qui se voient dicter un libéralisme non démocratique alors que lesdits peuples ne sont pas d’accord avec toutes les mesures libérales prises. Dynamique qui donne lieu à des formes de démocraties antilibérales (Hongrie, Italie, USA de Trump…) où de libéralismes antidémocratiques[6] (commission européenne, BCE…). Un mouvement social comme celui des Gilets Jaunes en France est une preuve que la démocratie libérale n’arrive plus à réduire la pauvreté et les inégalités dans ce pays alors que l’envahissement du Capitole par les partisans de Donald Trump suite à un scrutin contesté témoigne d’une démocratie libérale incapable d’endiguer la violence dans les sociétés occidentales. Le lien tant exalté entre libéralisme économique, démocratie et développement des sociétés est donc de plus en plus mis en mal par des évolutions contradictoires qui montrent que le capitalisme globalisé détruit les Etats, appauvri les sociétés et abîme les bases de la démocratie réelle. À ces difficultés s’ajoutent l’essor des fake news, de la post-vérité et des discours de haine suite aux innovations communicationnelles induites par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

L’Afrique, consommatrice en mode kit de cette démocratie libérale, est aussi face aux désillusions de son rôle prétendument positif sur son développement. C’est que la marchandise vendue à l’Afrique était frelatée de gros mensonges historiques. La démocratie n’a jamais été au début du développement des sociétés. L’Occident par exemple a construit l’Etat, le droit, l’économie et ses spiritualités en passant par cinq siècles de monarchie absolue sans aucune démocratie. Celle-ci est arrivée alors que toutes ces institutions étaient déjà en place. La Chine se développe de nos jours sans aucune démocratie mais avec un parti unique de nature communiste qui régente tout. Les exemples de développement qui nous viennent de l’Afrique ces derniers temps sont, entre autres, ceux du Rwanda et de Guinée Equatoriale dirigés par des dictatures militaires arrivées au pouvoir par coup d’Etat. Cela veut dire que la légitimité des pouvoirs dans des contextes africains en carence de développement est de nos jours supérieure et préférée à la légalité des pouvoirs. C’est-à-dire que les populations africaines préfèrent un régime dictatorial qui donne un accès à l’eau potable, à la santé, au travail, aux logements et à l’électricité à une régime démocratique incapable de fournir ces commodités essentielles et de base. Le moment semble être propice à l’ordre, au travail et à la production par tous et pour tous pour que la vie s’améliore de façon à ce que la démocratie soit d’abord celle de l’accès de tous au bien-être élémentaire et à ses attributs.

Un autre mensonge historique qui participe du processus démocratique africain a été d’assener aux populations africaines l’idée d’une linéarité du processus démocratique et d’une démocratie qui causerait le développement économique. Les deux sont fausses. D’un côté le processus démocratique n’a jamais été linéaire nulle part. Si nous prenons le cas de l’Afrique, des coups d’Etat ont joué un rôle majeur dans l’évolution démocratique du Bénin, du Ghana, du Nigéria et de bien d’autres pays africains de telle sorte qu’on peut parler de putschs démocratiques. D’autre part, les travaux scientifiques ne montrent pas une causalité univoque entre démocratie et développement économique[7]. Tous les pays se sont construits étant des dictatures et la démocratie a permis de mieux réaliser la justice et l’Etat de droit dans de nombreux domaines sans être la cause principale de la prospérité des sociétés. En d’autres termes, si les régimes militaires africains peuvent et veulent construire leurs pays et le continent, ils peuvent y arriver comme le firent les généraux en Corée du Sud aujourd’hui un pays parmi les leaders mondiaux des nouvelles technologies.

  • Le cas du Sahel : Un souverainisme en quête d’une vraie démocratie

Le coup d’Etatisme contre l’Etatisme du coup, du mauvais coup, dirions-nous, est aussi en marche dans le Sahel. Le mauvais coup ici est que ce ne sont pas des dictatures africaines qui sont responsables de ce qui se passe au Sahel mais les démocraties occidentales. Cinq chefs d’Etat africains dans un avion en direction de Tripoli pour négocier une solution pacifique et panafricaine à la crise libyenne ont été obligés de rebrousser chemin suite à la menace de l’OTAN d’abattre leur avion dans le cas contraire[8]. Ce sont donc deux démocraties occidentales (la France de Nicolas Sarkozy et les USA de Barack Obama notamement) qui ont détruit la Libye via des bombes dites à fragmentations démocratiques mais dont le résultat, aujourd’hui, sont d’avoir fait de la Libye un Far West dont les désordres structurels instabilisent et insécurisent le Sahel où les mêmes démocraties occidentales viennent désormais jouer aux pompiers pyromanes. La démocratie à coups de bombes a fait régresser la Libye d’un pays avec un niveau de vie envié par de nombreux pays africains à un pays où les factions islamistes et tribales se disputent le maillot jaune du plus violent des violents. Les rapports entre de nombreux pays du Nord dits démocratiques et les pays africains ne sont donc jamais démocratiques. Ils prennent le plus souvent la forme d’un étatisme du mauvais coup dont les modalités sont soit des conditionnalités pour accéder à l’aide au développement, soit des bombes censées apporter la démocratie, soit le capitalisme autoritaire via des réformes impératives de libéralisation[9].

En conséquence, les opérations Serval, Barkhane et Takouba se sont révélés être plus des stratégies géopolitiques de la France et de l’Europe au Sahel qu’une vraie coopération pour trouver des solutions durables aux problèmes du Sahel. Et pourtant, comprendre le Sahel pour lui-même et non de façon instrumentale pour les objectifs hégémoniques des autres, revient à le considérer à nouveau comme un territoire réel au-delà d’un simple point saillant de la carte du terrorisme en Afrique et dans le monde. C’est-à-dire qu’il faut prendre le Sahel comme un milieu de vie, un espace maîtrisé par des acteurs en conflits multiples dont les dynamiques ne sont pas seulement des marqueurs de violence, mais aussi des preuves d’une sociabilité et d’une vitalité politiques qui le caractérisent. Il s’agit de restituer l’historicité du Sahel. Celle-ci montre que ce que la communauté internationale connait et désigne aujourd’hui par Sahel est au cœur des constructions impériales les plus riches d’Afrique. L’empire du Ghana, l’empire du Mali, l’empire Songhaï, l’empire Ashanti, l’empire Oyo, l’empire Samori et l’émirat de Sokoto, constituent la mémoire spatiale, politique, sociologiques et environnementale d’une grande partie du Sahel actuel. Or, qui qui dit empires, dit constructions de grands ensembles territoriaux, politico-économiques et sociaux gouvernés de façon différenciés par des pouvoirs centraux hégémoniques. Il en découle que la dynamique historique de ce qu’on peut appeler le Sahel ancien a pour force motrice des rivalités et des conflits entre classes sociales au sein d’empires et entre les empires voulant se vassaliser les uns les autres. Frédéric Cooper, spécialiste internationalement reconnu de l’Afrique note que « l’Ashanti, un royaume situé à l’intérieur des terres, étendit son territoire au XVIIe et XVIIIe siècles en conquérant et en incorporant un large éventail de société de son voisinage […] Des routes commerciales reliaient ce royaume et la côte et, via le Sahel et le Sahara, à l’Afrique du Nord […]. Durant le XIXe siècle, les empires islamiques du Sahel occidental furent bâtis non seulement sur les réseaux transsahariens d’élites religieuses de commerçants et de pasteurs, mais aussi sur un projet réformiste : construire un État véritablement islamique en ajoutant de la rigueur aux mélanges d’éléments religieux et culturels qui caractérisent les royaumes sahéliens » [10]. Il en découle que le Sahel ancien est marqué par des constructions politiques impériales, des conflits entre empires concurrents, entre des populations aux statuts asymétriques (esclaves/hommes libres ; aristocratie pastorale/aristocratie religieuse…), une intense activité commerciale reliant l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne à travers les routes transsahariennes, une religion dominante (l’islam) et un projet de construction d’un État islamique. Il va sans dire que cette mémoire historique doit être connue et prise en compte dans les politiques sécuritaires car elle se retrouve dans la crise sécuritaire et humanitaire contemporaine du Sahel.

Le Sahel ancien devint, avec la Conférence de Berlin de 1884, le lieu de deux colonisations concurrentes. D’une part, la colonisation des autochtones animistes du Sahel préislamique par les islamisés et des religions animistes par l’islam, puis la colonisation des islamisés par les puissances coloniales occidentales à travers la construction des empires coloniaux[11]. L’approche instrumentale du Sahel est donc très ancienne de la part des acteurs hégémoniques islamiques et occidentaux qui vont travailler en interactions déjà pendant la période coloniale.

En effet, la colonisation du Sahel islamisé par les Occidentaux va reconduire les hiérarchies sociales et communautaires déjà existantes. C’est-à-dire que pour asseoir le règne des États coloniaux, les Occidentaux vont s’appuyer sur les chefs et les communautés islamiques déjà dominantes. D’où une nouvelle stratification du pouvoir où les Occidentaux commandent les islamisés qui commandent les autochtones non islamisés mais libres qui, à leur tour, commandent les esclaves. Un tel état des choses n’a pas complètement disparu aujourd’hui des pays comme le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et même le Nord du Cameroun qu’on peut intégrer au Sahel au sens large, et où l’esclavage perdure autant que des tensions entre descendants d’esclaves et « nobles » très souvent dans une recomposition postcoloniale de leurs alliances hégémoniques avec les pouvoirs modernes en place[12]. L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé le 14 mai 2015 sonne comme une sorte de reproduction postcoloniale des alliances coloniales entre acteurs hégémoniques occidentaux (la France) et locaux du mouvement de libération national de l’Azawad (MNLA) lorsqu’on se rend compte qu’il consacre l’Azawad comme territoire alors qu’il n’y a aucune trace dans l’histoire du Mali d’un royaume, d’un village ou d’une communauté qui y renvoie[13]

Dans ces conditions, le coup d’Etatisme qui prévaut au Sahel et dont les figures marquantes sont le colonel Assimi Goita du Mali, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le général Tiani du Niger a pour objectif de fond de reconquérir la souveraineté/l’autonomie de leurs pays seule condition de possibilité d’une vraie démocratie. En fait aucune réelle démocratie n’est possible si un Etat n’a pas le monopole de la violence légitime via lequel il maîtrise son territoire, contrôle ses populations, gère ses ressources naturelles et calibre ses relations avec l’extérieur. Il devient donc compréhensible que les populations africaines dont le rêve panafricaniste reste vivace utilisent ces nouvelles figures révolutionnaires comme des chevaux de Troie du début de sa matérialisation à travers des relents d’une nouvelle indépendance après celles factices de 1960. Au Sahel comme partout en Afrique, ce sont les besoins réels des populations qui l’emportent sur les normes démocratiques et/ou institutionnelles consacrées. Ce sont ces besoins réels des populations qui inspirent les expériences politiques africaines du moment dans des sociétés qui font le constat amer que les normes démocratiques imposées par la communauté internationale sont conservatrices et ne peuvent, contrairement à leur transgression qu’entraîne le coup d’Etatisme, créer de nouvelles normes moins méprisantes du réel des sociétés africaines et capables de leurs émancipation.

Les peuples africains ne sont pas dupes. Ils savent bien que l’Afrique des militaires a déjà existé avant les années 1980 et que celle-ci s’est soldée par des transitions interminables sans aucun gain de bien-être individuel et sociétal. Le comportement favorable que ces peuples affichent face aux coups d’Etat du Sahel est qu’ils perçoivent, compte tenu de la crise d’épilepsie politique que leurs leaders donnent à la France, que ce sont des prises de pouvoir de rupture par rapport à la domination de cette ancienne puissance coloniale en Afrique. Le faible enthousiasme desdits peuples après le coup d’Etat au Gabon témoigne au contraire de leur conviction qu’il s’agit là non d’un coup d’Etat de rupture par rapport à la Françafrique, mais d’une stratégie d’endiguement d’un vrai coup d’Etat de rupture pouvant contrarier la Françafrique en Afrique centrale. Nos regards sont donc désormais tournés vers le Cameroun où, d’Après Achille Mbembe, « Réussir la succession de Paul Biya est un objectif politique stratégique du quinquennat d’Emmanuel Macron. »[14].

Thierry AMOUGOU, économiste, Pr. Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié. Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.


[1] G. AGBALIAN, 2019, « Isme : suffixe modal pour la formation de noms de discours », Travaux de Linguistique, n°79, pp.43-78.

[2] Concernant d’autres variantes du libéralisme autoritaire on peut consulter H. HELLER & C. SCHMITT, Du Libéralisme autoritaire, Paris, la Découverte, 2020.

[3] J-F. MEDARD, « L’Etat patrimonialisé », Politique africaine, n°39, pp. 25-36, 1990.

[4] T. AMOUGOU, L’esprit du capitalisme ultime. Développement, démocrate et marché, Louvain-la-Neuve, PUL, 2018.

[5] T. PICKETTY, Le capital au XXIè siècle, Paris, Seuil, 2013.

[6] Y. MOUNK, 2019, Les peuples contre la démocratie, Paris, LGF.

[7] T. AMOUGOU, Qu’est-ce que la raison développementaliste ? Louvain-la-Neuve, Academia, 2020.

[8] Cet épisode est relaté dans des vidéos par deux présidents africains encre en exercice que sont Téodoro Obiang Nguema de Guinée Equatoriale et Yoweri Museveni de Mozambique. Voir la vidéo sur  (20+) Facebook

[9] T. AMOUGOU, 2018, op.cit.

[10] F. COOPER, L’Afrique dans le monde. Capitalisme, Empire, Etat-nation, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2022, pages 88 et 89.

[11] T. AMOUGOU, 2016, op.cit.

[12] R. ATIMNIRAYE NYELADE & A. BINDOWO, Lamidalisme, colonisalisme, esclavage et génocide des autochtones au Nord du Cameroun : Aux confins de l’expérience cachée des Fali, Canadian Scientific Publishing, 2021.

[13] A. BOURGEOT, « Accord pour la paix au Mali :  bilan et perspectives », Recherches internationales, 2021, pp.101-1016.

[14] A. MBEMBE, « Cameroun-France : Tout se joue aujourd’hui », Jeune Afrique, mis en ligne 4 Août 2022 et consulté le 4 septembre 2023. https://www.jeuneafrique.com/1366751/politique/cameroun-france-tout-se-joue-aujourdhui-par-achille-mbembe/

Effet de la qualité de la démocratie sur le niveau de satisfaction des citoyens en matière de services de santé et d’éducation au Sénégal

Par Boubou Junior COLY, Doctorant en Sciences économiques, Laboratoire de Recherche en Economie de Saint-Louis (LARES), UGB – Sénégal

Résumé 

L’objectif de ce travail est d’étudier l’effet de la démocratie sur la qualité de l’offre de services publics d’éducation et de santé au Sénégal en adoptant une approche microéconomique. Nous utilisons les données de l’enquête Afrobaromètre collectées auprès de 1200 citoyens adultes. Les résultats de l’analyse économétrique, effectuée à l’aide du modèle probit, montrent que la qualité de la démocratie a un effet positif et significatif sur la performance du gouvernement en matière de santé et d’éducation. La qualité de la démocratie est donc profitable aux citoyens sénégalais du point de vue de la fourniture de services de santé de base et d’éducation de qualité. Ces résultats invitent ainsi le gouvernement à améliorer le niveau de la démocratie dans le pays pour permettre aux citoyens de bénéficier des services d’éducation et de santé de qualité.  

Diplômé d’un Master en Analyse Economique et Quantitative (AEQ) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal, Boubou Junior COLY est actuellement doctorant en économie au Laboratoire de Recherche en Economie de Saint-Louis (LARES). Ses travaux de recherche portent essentiellement sur l’évaluation des politiques publiques, la gouvernance, la démocratie, la fourniture de services publics dans les pays en développement. Par ailleurs, il a récemment obtenu une attestation de formation en Economie de l’environnement et gestion des ressources naturelles, délivrée par l’Université Senghor d’Alexandrie.  

Solutions pour la lutte contre la corruption au Sénégal

Par Souleymane Gueye, Professeur d’Économie, College of San Francisco

* Cet article est la traduction en français de la version anglaise publiée sur notre site le 12 avril 2023

« Nous sommes dans un pays où la responsabilité et la transparence sont un problème », Birahim Seck, coordinateur du Forum civil de Dakar, Sénégal, et représentant de Transparency International au Sénégal.

Cette deuxième partie de l’article « Corruption, mauvaise gouvernance et performance économique : le cas du Sénégal » examine l’utilisation des outils de gouvernance pour lutter contre la corruption au Sénégal. Il montre qu’une meilleure gouvernance peut accroître la transparence des processus décisionnels du gouvernement, responsabiliser les prestataires de services, dissuader efficacement la corruption et atténuer les effets de la corruption sur la société sénégalaise. La corruption au Sénégal est omniprésente et les effets nets de cette corruption comprennent de mauvaises performances économiques et des perspectives économiques floues à moyen et long terme. Par conséquent, des mesures simples pour améliorer la gouvernance institutionnelle, politique et économique et renforcer le contrôle de la corruption peuvent avoir un effet positif sur l’économie du Sénégal.

Introduction

Dans la perspective des élections de 2024, de nombreux politiciens et candidats à la présidence proposent des politiques et des stratégies pour améliorer l’économie sénégalaise. Cependant, quelle que soit l’ampleur de ces politiques et stratégies, aucun changement significatif ou percutant ne peut en découler à moins que nous ne nous attaquions aux problèmes qui sont au cœur du gouvernement sénégalais, en particulier la mauvaise gouvernance et la corruption. Le Sénégal ne peut pas gagner la lutte contre la pauvreté sans gagner la guerre contre la corruption due à la mauvaise gouvernance.

Nous avons démontré dans la première partie de cet article que la corruption n’est pas seulement toxique pour la croissance économique au Sénégal, mais détruit également l’incitation à jouer franc jeu, conduisant finalement à une rupture de la foi et de la confiance que les citoyens ont envers le système. L’impact de toute activité productive est amoindri dans l’environnement corrompu du Sénégal, dans lequel les gens qui réussissent sont ceux qui trichent, se livrent à la fraude, et détournent. Cette corruption généralisée et cette indemnisation des fraudes sont dangereuses pour la société et l’économie sénégalaises.

En outre, le cadre juridique et les instruments nécessaires à la bonne gouvernance, tels que l’IGE (Inspection Générale d’État), la Cour des Comptes, le Contrôle Financier, l’ARMP (Agence de Régulation des Marchés Publics), l’ARTP (Agence de Régulation des télécommunications et de la poste) ont connu des dysfonctionnements, alors même que leur travail est censé fournir des informations sur la gestion alarmante et méprisable des affaires publiques (C. Gueye 2023). Les différents rapports, par exemple celui de la Cour des Comptes sur le Fonds Covid-19, ont fait état de nombreuses mauvaises pratiques de mauvaise gestion et de détournements de fonds publics. Ces différents rapports montrent une pratique de mauvaise gouvernance profondément enracinée à tous les niveaux du processus décisionnel au Sénégal.

En raison de la tendance croissante de la pauvreté, de l’augmentation des inégalités de revenus, de l’accaparement des terres fertiles par les étrangers, de la croissance économique extravertie, de la fuite des capitaux, la pertinence de la gouvernance pour atténuer les effets négatifs de la corruption sur les résultats macroéconomiques du Sénégal est évidente.

La bonne gouvernance au Sénégal – gouvernance institutionnelle, gouvernance politique et gouvernance économique – devrait être liée aux processus et résultats politiques, socioéconomiques et institutionnels nécessaires pour atteindre les objectifs économiques déclarés de création d’emplois et de réduction de la pauvreté.

L’objectif de la lutte contre la corruption devrait alors être d’accroître la transparence autour de la gestion gouvernementale des finances publiques. Il devrait également viser à faire d’une meilleure gestion des deniers publics la norme, en renforçant la gouvernance liée à tous les processus, institutions et pratiques gouvernementales de prise de décision et de réglementation des questions d’intérêt commun au Sénégal. (1)

Pour lutter contre la mauvaise gouvernance qui permet à la corruption de prospérer dans tous les secteurs de l’économie sénégalaise, je propose des solutions basées sur les différents outils de gouvernance qui mettent l’accent sur la responsabilité de ses actes et la capacité de répondre aux besoins des citoyens sénégalais.

Bonne gouvernance et réduction de la corruption

Les différents piliers sur lesquels repose la gouvernance peuvent être analysés en trois grandes catégories : la gouvernance institutionnelle, la gouvernance politique et la gouvernance économique. (2)

Gouvernance institutionnelle : État de droit et contrôle de la corruption

  • État de droit et indépendance du pouvoir judiciaire

Les citoyens sénégalais devraient exiger du gouvernement qu’il respecte la séparation des pouvoirs en rééquilibrant le pouvoir de l’exécutif et en rendant le pouvoir judiciaire plus indépendant. Cela permettra au pouvoir judiciaire d’appliquer les lois et de protéger les citoyens d’une prise de décision aveugle. Par exemple, le président ne devrait pas être le seul à nommer le procureur de la République – il devrait être nommé par un comité choisi parmi la société civile, le barreau, l’association des magistrats et un représentant du pouvoir exécutif après un appel à candidatures.

Des garde-fous devraient être mis en place pour faire respecter le principe « d’inamovibilité » des magistrats, quelle que soit la volonté du président. Comme l’affirmait l’actuel président du Sénégal en 2012 sur les besoins de réformes institutionnelles : « Placé sous la tutelle du pouvoir exécutif, instrumentalisé par ce dernier et insuffisamment doté de moyens humains et matériels, le pouvoir judiciaire n’est pas toujours en mesure d’exercer pleinement ses missions avec impartialité et indépendance. Mettre fin à cette situation passe par le renforcement de l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature à travers sa composition, son organisation et son fonctionnement ». (3).

La déclaration ci-dessus illustre la nécessité et l’urgence de réformer le système judiciaire au Sénégal. Premièrement, il est important de mettre en œuvre une gestion intègre basée sur des règles claires. Cela passe par une réforme du CSM (Conseil Supérieur de la magistrature). L’objectif de cette réforme serait de limiter l’ingérence du pouvoir politique dans l’exercice du pouvoir judiciaire en garantissant la transparence dans la gestion des carrières des magistrats. Pour cela, le peuple sénégalais devrait être représenté au sein du CSM par des personnes choisies parmi les députés, un avocat, un professeur de droit, un membre choisi par la société civile, un membre de l’UMS (Union des Magistrats du Sénégal) (4) afin qu’ils puissent exercer un contrôle permanent du CSM. Sinon, une surveillance est nécessaire pour limiter le contrôle de l’exécutif sur le judiciaire. Le système judiciaire doit être renforcé pour gagner en autonomie et en indépendance. Une façon d’atteindre cette gestion intègre est de créer un comité de gestion de carrière indépendant de la branche exécutive.

Deuxièmement, une limitation du pouvoir du président est obligatoire. Cette limitation devrait être accompagnée par une possibilité de le destituer dans des circonstances bien définies et par une création de mécanismes pouvant être utilisés pour poursuivre les ministres au niveau pénal (parquet financier). Ce parquet financier autonome devrait également lutter contre les problèmes économiques et financiers en gérant les dossiers d’accusations de détournement de fonds publics (Niane 2023).

Enfin, le « compte discrétionnaire » connu sous le nom de « caisse noire » à la disposition du président devrait être supprimé. À tout le moins, des mécanismes d’audit devraient être mis en place concernant le décaissement et l’utilisation des fonds, chaque année avant le début de l’exercice budgétaire,

  • Contrôle de la corruption

Outre ces réformes institutionnelles, que peut faire le peuple sénégalais face à l’environnement hautement corrompu du Sénégal ?

Réduire la corruption au Sénégal nécessite de changer les normes de comportement à travers des activités anti-corruption efficaces impliquant des groupes de personnes opérant en public. Des stratégies visant à modifier les comportements doivent être mises en œuvre à tous les niveaux de la société. Ce changement de comportement social peut être encadré à l’aide d’un modèle socioéconomique qui considérerait non seulement l’individu mais sa relation avec sa communauté et sa société. En effet, les Sénégalais peuvent entreprendre les actions suivantes recommandées par Transparency International (5) :

  • Suivi des dépenses publiques
    • Vérification des prestations et des services gouvernementaux
    • Rédaction des bulletins citoyens
    • Crowdsourcing d’information
    • Demande d’engagement aux candidats ou aux électeurs de respecter les promesses électorales
    • Protestation et lancement de pétition des entités étatiques et locales

L’application de ces idées simples nécessite d’attirer l’attention du public sur les stratégies de mise en œuvre de ces actions à travers une action collective. Pour que cela soit efficace, une stratégie de communication doit être conçue en utilisant les plateformes de médias sociaux pour créer des connaissances communes et coordonner les efforts de lutte contre la corruption de bas en haut.

Outre l’implication des citoyens dans la lutte contre la corruption, d’autres actions doivent être entreprises pour compléter ce contrôle de la corruption. Par exemple, l’augmentation des salaires des fonctionnaires peut réduire la corruption si elle s’accompagne d’une application plus stricte ou d’efforts visant à modifier les normes permissives à tous les niveaux du processus décisionnel (6).

Une presse libre est aussi essentielle pour dénoncer la corruption et catalyser le soutien aux réformes. Les médias ne doivent pas être contrôlés par le gouvernement ni appartenir à des personnes simplement mues par leurs propres intérêts. En ce sens, l’Assemblée nationale devrait adopter un projet de loi sur l’accès à l’information visant à « renforcer la gouvernance et la transparence tout en garantissant à tous les citoyens l’accès aux informations détenues par les entités publiques » comme promis par l’actuel président.

Une surveillance et une application plus strictes par des autorités anti-corruption dédiées et autonomes peuvent être efficaces dans la lutte contre la corruption au Sénégal. Un leadership efficace est très important pour conduire le changement dans les normes de corruption du haut vers le bas, et pour coordonner les efforts ultérieurs des citoyens ordinaires.

Les actions suggérées que les citoyens sénégalais devraient entreprendre pour lutter contre la corruption peuvent restaurer la confiance dans les institutions nationales à court, moyen et long terme. Cela créera un climat dans lequel l’état de droit est respecté et de meilleures normes de comptabilité de l’information promues pour dissuader les comportements corrompus et éviter la destruction des activités génératrices de revenus et créatrices de richesse dans le pays. Les réformes doivent se produire au niveau individuel, au niveau communautaire et au niveau des politiques publiques pour qu’elles soient efficaces.

Gouvernance politique : Commission indépendante pour contrôler toutes les élections au Sénégal

La gouvernance politique peut être définie comme la tenue d’élections et le remplacement des dirigeants politiques lors d’élections libres, transparentes, afin de créer un environnement politique stable et de palier aux problèmes associés à la corruption. Ces problèmes comprennent l’étouffement de la croissance économique, la pauvreté, l’inégalité des revenus et l’incapacité d’attirer les investissements étrangers directs. En conséquence, en présence d’instabilité politique et de violence, il est très probable que les investisseurs n’investissent pas dans le pays ou essaient de transférer leur capital vers un environnement économique avec un niveau d’investissement et des risques politiques plus faibles. Le Sénégal est connu depuis longtemps comme un environnement à faible risque dans la région de l’Afrique de l’Ouest et sa stabilité politique est un atout important qui doit être protégé.

De plus, les institutions politiques telles que les élections compétitives et la responsabilité de l’exécutif au Sénégal sont perçues comme absolutistes par nature, en raison d’un système exécutif fort doté d’un pouvoir énorme, illimité et étroitement réparti. Par conséquent, cette distribution du pouvoir a créé un environnement défavorable à la performance économique et conduit à un contexte économique dans lequel les détenteurs du pouvoir ont pu mettre en place des institutions économiques (7) pour s’enrichir et accroître leur pouvoir aux dépens de l’ensemble de la société sénégalaise. Ceci est très préjudiciable à l’économie sénégalaise car il a contribué à un transfert des investissements des investisseurs vers d’autres pays comme ceux des pays d’Asie de l’Est, où les institutions politiques sont plus stables et crédibles (8).

Par conséquent, le pays devrait renforcer les institutions politiques capables de répartir largement le pouvoir politique de manière pluraliste, d’établir la loi et l’ordre afin de minimiser la corruption et de punir les mauvais comportements contre-productifs. Cela jetterait les bases de droits de propriété sûrs et d’une économie de marché inclusive favorable aux investissements à long terme et à une croissance économique inclusive.

Les investisseurs réagissent naturellement négativement aux événements politiques défavorables à leur rendement en réduisant leurs investissements. Malheureusement, le Sénégal connaît cette situation à cause de l’instabilité et de l’incertitude créées par le refus de l’actuel président de respecter la Constitution du Sénégal qui l’empêche de briguer un troisième mandat (9).

Étant donné que l’instabilité politique et la responsabilité influencent directement le niveau de corruption, le montant des entrées de capitaux et la croissance économique dans un pays, il est important de renforcer les institutions politiques inclusives en mettant en œuvre les recommandations de la CNRI (Commission Nationale de Réforme des Institutions) (10) et en adoptant la « charte de la gouvernance démocratique » issue des « Assises nationales ». Par conséquent, le Sénégal peut atténuer les effets négatifs de la corruption et retrouver la stabilité politique pour une croissance économique inclusive soutenue, avec des effets positifs durables sur la réduction de la pauvreté. C’est la raison pour laquelle nous ne devrions pas permettre au gouvernement actuel de créer un environnement d’instabilité politique et de violence en faisant fi de la volonté du peuple sénégalais.

Dès lors, il est urgent de créer une Commission Indépendante chargée de l’élection, une Haute Autorité Pour la Transparence de la Vie Publique (HAPTV) et de rétablir le « Code électoral consensuel » (11) qui a contribué à l’élection pacifique de deux présidents depuis 2000.

Gouvernance économique : efficacité du gouvernement et qualité de la réglementation

La gouvernance économique fait référence au système d’institutions économiques créées pour atteindre les objectifs économiques déclarés du gouvernement sénégalais, à savoir la croissance économique, la réduction de la pauvreté et l’amélioration du niveau de vie des citoyens sénégalais. Ces objectifs peuvent facilement être atteints avec une bonne gouvernance. Malheureusement, la mauvaise gouvernance au Sénégal a produit des dommages économiques considérables – chômage massif, perte substantielle de revenus, taux de pauvreté élevé, dommages irréversibles au capital humain de la population, insécurité alimentaire, faim, et faible espérance de vie – qui inquiètent les investisseurs quant à la stabilité de l’environnement macroéconomique et affectent leur confiance par rapport aux perspectives économiques du Sénégal. Cette mauvaise gouvernance économique s’est traduite par des perspectives économiques incertaines à moyen et long terme, décourageant ainsi les investisseurs de placer leurs actifs dans l’économie et les incitant à préférer un environnement économique plus sûr associé à moins de corruption. De ce point de vue, le Sénégal prend le risque de voir des actifs et de l’argent quitter le pays à cause d’une mauvaise gouvernance économique qui peut réduire les performances macroéconomiques et décourager les flux de capitaux. Cela est très apparent au Sénégal, car les politiques conçues pour fournir des biens et services publics, construire des infrastructures, créer des emplois, et augmenter le revenu disponible, sont conçues par les décideurs et les fonctionnaires de telle sorte qu’ils détournent et déposent des fonds volés dans des banques étrangères (ce montant est estimé à 250 milliards de francs CFA par an). Au Sénégal, beaucoup de gens perçoivent la mauvaise gouvernance comme un fléau social qui entrave grandement la performance économique du pays.

Il découle des arguments ci-dessus qu’une bonne gouvernance économique peut étouffer la corruption, faire croître l’économie, augmenter le taux d’épargne de l’économie et attirer des investissements directs étrangers qui peuvent être utilisés pour démarrer le processus de transformation du secteur primaire (agriculture, pêche, foresterie, gisements miniers) pour poser les bases d’une stratégie planifiée d’industrialisation au Sénégal. Par conséquent, je propose la réforme suivante concernant les agences économiques de régulation au Sénégal :

  • Modifier le processus de nomination des membres de l’ARMP (membres choisis par le président, le congrès et la société civile parmi un groupe de personnes qualifiées approuvées par leurs pairs) ;
  • Créer une agence pour l’exploitation du pétrole et du gaz (Commission de régulation de l’énergie composée de cinq membres choisis par le président, l’Assemblée nationale, les travailleurs des industries et des universitaires aux références irréprochables dans le domaine concerné) ;
  • Créer un bureau de gestion budgétaire doté d’un statut indépendant chargé d’évaluer les dépenses de l’État, de suivre les recettes fiscales et autres ressources financières. Ce bureau devrait être géré par une personne indépendante ayant une expertise dans la procédure budgétaire et des titres universitaires.
  • Mettre en place des mécanismes pour suivre la vente et l’acquisition de biens publics. Cela peut se faire par la publication d’un rapport annuel établissant les revenus/dépenses et décrivant le processus par lequel les actifs publics ont été vendus ;
  • Suivre les flux d’argent en vérifiant les dépenses par rapport à un budget complet ;
  • Faire contrôler le Compte Unique du Trésor par un comité indépendant ;

Conclusion

Nous avons discuté des canaux par lesquels la corruption génère une misère économique et sociale. L’implication politique est claire et simple : pour avoir une croissance économique inclusive et réduire la pauvreté, le Sénégal devrait redoubler d’efforts pour améliorer la bonne gouvernance afin d’atténuer les effets néfastes de la corruption sur l’économie. Les actions visant à promouvoir la bonne gouvernance devraient inverser les moteurs du comportement non productif des agents économiques et des fonctionnaires. Ces actions devraient s’articuler autour de trois piliers que sont la gouvernance politique, la gouvernance institutionnelle et la gouvernance économique. D’abord, la gouvernance politique peut stabiliser l’environnement résultant de l’instabilité politique créée par la volonté du président de briguer un troisième mandat et d’empêcher le principal chef de l’opposition de participer à la prochaine élection présidentielle et l’absence de responsabilité. Deuxièmement, la gouvernance économique peut réduire le taux de chômage des jeunes et le niveau de pauvreté résultant de la corruption, de l’instabilité économique, de l’inefficacité du gouvernement et de la mauvaise qualité de la réglementation. Troisièmement, la gouvernance institutionnelle peut atténuer la pauvreté, la misère et l’inégalité des revenus résultant de la corruption et du non-respect de l’État de droit. Notre recommandation est donc d’améliorer la bonne gouvernance pour atténuer les effets généralisés de la corruption et créer les conditions pour créer des emplois, fournir de bons services publics, et construire des infrastructures appropriées.

  • Plaidoyer pour réformer l’État et moderniser l’administration sénégalaise de Souleymane Niane (2023)
  • Asongu, 2016 « Déterminants de la croissance dans les pays en développement rapide : Preuves des institutions de regroupement et de dégroupage », Politique et politique (« Déterminants de la croissance dans les pays en développement rapide : Preuve de …) »
  • Déclaration de Macky Sall, (2012) président du Sénégal
  • Le Conseil Supérieur de la Magistrature : L’indispensable reforme par Ibrahima Dème Wathinote 29 janvier 2018.
  • Transparence International dispose d’un kit anti-corruption disponible surhttps://www.transparency.org/whatwedo/tools/anti_coruption_kit
  • Corruption : ce que tout le monde doit savoir par Ray Fisman et Miriam A. Golden Oxford University Press (« (PDF) Corruption : Ce que tout le monde doit savoir®, par Ray Fisman et … »)
  • Les origines du pouvoir, de la prospérité et de la pauvreté : pourquoi les nations échouent par Daron Acemoglu et James Robinson (“2023 – Les origines du pouvoir, de la prospérité et de la pauvreté par …”)
  • Sénégal Foreign Direct Investment 1973 0 2023 Indicateurs de développement de la Banque mondiale et Afrique de l’Ouest et Asie du Sud-Est : Une analyse comparative des performances économiques par Souleymane Gueye (rapport après congé sabbatique, Bibliothèque CCSF 2019).
  • Article 27 de la Constitution sénégalaise « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » (« Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » (,) La virgule …) (“ « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » (,) La virgule …”)
  • Commission Nationale de Réforme des Institutions
  • Code électoral consensuel « Assises nationales » 2001
  • Andres et ses alliés (2015) Lutte contre le piratage de logiciels : quels outils de gouvernance sont importants en Afrique Journal of Business Ethics
  • (4) Kelsey & Le roux, 2017, 2018 Ambiguïté stratégique et prise de décision « Theory and Decision

« A la recherche de Glitter Faraday » : Il était une fois les Black Panthers et l’Algérie révolutionnaire !

C’est un roman à lire sur les sons du jazz, Archie Shepp ou Charles Mingus de préférence, une contrebasse qui vous transperce la peau nappée d’un langoureux saxophone empreint de nostalgie ; les joies et les peines d’un peuple qui a traversé l’esclavage et l’oppression. « Jazz is a black Power ! ».

A la recherche de Glitter Faraday, dernier roman de Kébir Ammi, nous plonge dans l’histoire des Black Panthers, ce célèbre groupe d’auto-défense américain qui avait fait un détour par Alger entre les années 60 et 70 lorsque celle-ci était « la Mecque des révolutionnaires ». C’est Amilcar Cabral, héros de la lutte bissau-guinéenne, qui avait baptisée la ville blanche ainsi lorsqu’il avait dit lors d’une conférence en 1968 que « les musulmans vont en pèlerinage à La Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération nationale à Alger ».

Jamais une ville africaine n’avait réuni autant de résistants, d’exilés et de militants anticolonialistes. « Alger n’était pas n’importe quelle ville. Alger était le sanctuaire de tous ceux qui voulaient vivre debout. Alger était le seuil de toutes les promesses ». Miriam Makeba y avait chanté en arabe « Ana horra fi El Djazaïr » (je suis libre en Algérie), Archie Shepp faisait valser son saxo avec les Touaregs du désert, Nelson Mandela déclamait la lutte des peuples et Franz Fanon la condition noire… Le séjour des Black Panthers à Alger restera gravé dans l’histoire de cette ville même si on n’en garde que d’infimes traces dont ce roman dévoile l’existence.

Il en reste ainsi un bar mythique, « les exilés », tombé en décrépitude, honni par les gardiens de la bonne morale, « une route qui monte » au milieu de la Médina et où un crime abject avait été commis il y a bien longtemps, des pensions au charme ottoman où avaient séjourné des résistants noirs et puis surtout un manuscrit, écrit de « sang et de larmes », et qui fera le voyage jusqu’aux confins de l’Amérique. Du Montana au Nouveau Mexique, en passant par Detroit, la Nouvelle Orléans, le Nebraska…le fameux manuscrit, déjà trempé dans le sang de la lutte des peuples, s’est mêlé au sang de la violence raciale américaine. Car malgré les combats menés par le célèbre pasteur qui avait fait un rêve, malgré la fin officielle de la ségrégation aux Etats-Unis, dûment édictée par une loi en 1964, les noirs n’avaient toujours pas les mêmes droits que les blancs. Et il n’est pas interdit de penser que cela perdure jusqu’à aujourd’hui…  

Tout commence et tout s’achève à Alger

Au moment de succomber aux coups de la police algérienne dans la sinistre rue en dédale de la Médina, un poète contestataire, Sellam, confie un mystérieux manuscrit à son ami Black Panther, Glitter Faraday, qui l’embarque avec lui aux Etats-Unis. Ce dernier, accusé d’avoir séjourné dans le pays des ennemis communistes, finira défiguré par les blancs et à moitié fou. Mais son document passera de main en main, comme une parole biblique sacrée, jusqu’à arriver chez un jeune réalisateur qui en fera un film décrivant le périple de ces noirs américains brisés chez eux et rêvant d’atteindre la terre promise algérienne.

L’histoire nous est raconté par un écrivain algérien- dont on découvrira le lien avec les autres acteurs bien plus tard- qui part à la quête de ce fameux manuscrit aux Etats-Unis. Il suit d’abord les traces de Glitter Faraday, ensuite tous ceux qui l’avaient connu de près ou de loin, tous militants de la cause noire et autochtone, tous ayant expérimenté leur combat dans leur chair. Nous plongeons dans l’Amérique des suprémacistes blancs où les Noirs sont chassés comme des chiens, pendus aux arbres, condamnés à fuir et à se cacher dans des motels coupe-gorge au milieu des déchets et des crachats. Les regards les guettent avec méfiance. La plume de l’auteur prend tout son temps pour décrire les expressions des visages, les silences comme les demi-mots. Ambiance western. Et puis, au milieu de la fumée glauque, des barmaids maquillées comme un camion volé balancent un nom. Et c’est reparti pour un tour ! Notre narrateur explorateur tient une nouvelle piste à la quête du manuscrit. Hit the road Jack !

Les terres des grandes promesses non advenues

Si le roman décrit des tranches de vie qui s’emboitent les unes dans les autres dans cette Amérique profonde sonnée par la chaleur et les courses-poursuites, au fond, ni le personnage de Glitter Faraday ni ses compagnons de lutte, ni même ce trésor convoité qu’est le manuscrit, ne sont des buts en soi. Kébir Ammi décrit en réalité une trajectoire initiatique à la recherche de soi et de la fraternité qui lie les humains. Il livre une longue complainte, très jazzy, d’une Amérique et d’une Algérie qui s’offrent en miroir malgré la distance qui les sépare. Toutes les deux ont mal tourné après les discours des leaders d’antant. Toutes les deux n’arrivent pas à offrir un avenir meilleur et équitable à leurs enfants. Ce sont des terres de grandes promesses non encore advenues : « Je continuais à fredonner le poème de Ted Joans, sur la route qui longe l’océan et je me souvenais de Sellam qu’on n’arrêtait pas de coffrer pour rien, parce qu’il dénonçait un régime militaire forcené et brutal, qui n’avait rien à envier à celui qui avait prévalu pendant plus de cent ans. La révolution a été un vrai gâchis : elle a été détournée de ses fins. L’Algérie méritait mieux qu’une bande de trouffions, ivres de leur force, des soudards galonnés, qui avaient confisqué le pouvoir et qui ne reculaient devant rien pour préserver leur prébende ».

Or, lorsque les portes de l’espoir demeurent fermées, que reste-t-il ? « L’humanité est notre seul bien, l’unique rempart, le seul destin de tous les peuples », dira Sellam le poète algérien.  

Note sur l’auteur

Fils d’un père algérien et d’une mère marocaine, Kébir M. Ammi est un écrivain dont l’œuvre s’inspire des questions identitaires, de l’exclusion et des appartenances culturelles. Il vit en France et a longuement résidé aux Etats-Unis où il a fait connaissance avec le parcours des Black Panthers. Auteur prolifique, il confronte l’Histoire avec les problématiques des sociétés actuelles à travers les portraits de personnages qui ont marqué leurs temps comme l’Emir Abdelkader, Saint Augustin, Ben Aicha ou El Hallaj, Il est notamment l’auteur des « Vertus immorales », « La Fille du vent », « Mardochée » et « Un génial imposteur».

Kébir M. Ammi, « A la recherche de Glitter Faraday », Editions Project’iles, 2023, 17 euros

Les médias en Afrique subsaharienne : Enjeux et perspectives démocratiques

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon)

Résumé

Cet article étudie le rôle indéniable et inéluctable des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. En effet, les médias dans leur vocation première, celle d’informer, de divulguer la vérité et de dénoncer, à notre humble avis, participent à l’effectivité d’une organisation politique démocratique adéquate dans les États dits ouverts et consensuels. En principe, ils sont supposés être considérés comme la matrice de la plénitude démocratique. Malheureusement, l’obstacle de l’émergence médiatique en Afrique aurait donc un fondement politique, à savoir : de multiples tentatives despotiques de la volonté des pouvoirs politiques de contrôler la presse et les médias. Mais, notons-le, cet obstacle ne serait pas spécifiquement africain. En raisonnant ainsi, il s’agit donc de comprendre qu’il est incommode de vouloir mettre en exergue une organisation démocratique des médias libres et transparents en Afrique. Face à ce dilemme, il convient maintenant aux journalistes africains soit de rester fidèles à leur mission si noble afin de faire éclore la démocratie dont l’expression est la critique et la liberté au risque et péril de leur vie, soit ils renoncent au titre de grands gardiens de la démocratie et de grands prêtres de la liberté, en acceptant d’être amadoués et asservis pour des raisons hypothético-politiques.    

Abstract

This article studies the undeniable and ineluctable role of the media in the process of democratization in sub-Saharan Africa. Indeed, the media in their primary vocation, that of informing, divulging the truth and denouncing, in our humble opinion, contribute to the effectiveness of an adequate democratic political organization in the so-called open and consensual States. In principle, they are supposed to be seen as the matrix of democratic fullness. Unfortunately, the obstacle of media emergence in Africa would therefore have a political basis, namely: multiple despotic attempts by the will of political powers to control the press and the media. But, let us note, this obstacle would not be specifically African. By reasoning in this way, it is therefore a question of understanding that it is inconvenient to want to highlight a democratic organization of free and transparent media in Africa. Faced with this dilemma, it is now appropriate for African journalists either to remain faithful to their noble mission in order to bring about democracy, the expression of which is criticism and freedom at the risk and peril of their lives, or they renounce the title of great guardians of democracy and high priests of freedom, by agreeing to be cajoled and enslaved for hypothetico-political reasons

Introduction

          Parler des médias dans le processus ou effectivité de démocratisation, à notre humble avis, revient à évoquer une autre forme du pouvoir de surveillance. Justement, une forme du pouvoir de surveillance qui est censé informer, conscientiser et dénoncer les dérives du pouvoir politique ou peindre les actions de ce dernier. Laissons Pierre Rosanvallon entendre dire : « Les médias, pourrait-on dire, constituent la forme routinière et fonctionnelle d’une démocratie de surveillance dont les organisations militantes de la société civile incarnent en quelque sorte le pole activiste. Ils sont pour cela fonctionnellement complémentaires »[1]. D’où effectivement, dit-il, «  ce qui donne sa consistance au célèbre mot d’ordre : Ne détestez pas les médias, devenez les médias »[2]. En effet, il est fort probable d’estimer que cette observation nous permet logiquement de comprendre que les médias occupent une place primordiale dans le nouvel espace des pouvoirs de surveillance. A cet effet, ils sont le substrat d’une organisation de la vie démocratique adéquate dont les effets concours à la prise en compte de la volonté du peuple.

          A partir de là, il convient manifestement d’affirmer, qu’au-delà d’autres formes du pouvoir de surveillance, il y a bel et bien une contribution inestimable et avérée des médias dans la structuration démocratique pays africains subsahariens. Dans cette perspective, nous voulons montrer que dans son processus de démocratisation, l’Afrique subsaharienne doit rationnellement prendre en compte le rôle principal et substantiel des médias. Dans ces conditions, les Africains ont intérêt de promouvoir une politique de visibilité, de lisibilité et de transparence des médias dans la délibération politique en Afrique. Par ailleurs, il s’agit de noter que cet idéal médiatique, voire le rôle prépondérant des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, souffre d’une invisibilité aiguë. Pour ainsi dire, à notre sens, l’émergence des médias en Afrique subsaharienne est, malgré tout, sujette à un certain nombre de blocages liés aux libertés d’expression et à l’effectivité structurelle provenant de la politique arbitraire des dirigeants africains. Emmanuel-Thierry Koumba n’en pense pas moins lorsqu’il affirme en substance que « nonobstant la volonté de porter certaines modifications positives dans l’organisation de la presse, au Gabon et dans d’autres pays africains, il existe de multiples  manœuvres totalitaires du contrôle de la presse et des médias par les pouvoirs politiques[3] ». Il est donc fort possible de croire que les médias en Afrique subsaharienne fonctionnent de façon arbitraire, tout comme la démocratie avance à pas de caméléon, pour emprunter l’expression de Richard Banégas[4]. De ce fait, la dynamique et la transparence des médias sont à l’image d’une démocratie authentique, et donc d’une structuration politique optimale prenant en compte les aspirations et la volonté du peuple. C’est pourquoi, bien évidemment, dans cet article, nous voulons analyser et démontrer le rôle que doivent jouer normalement les médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, au-delà de toute opposition totalitaire des pouvoirs politiques et la manifestation des aléas de la censure dont ils font face. Tout compte fait, il s’agira donc ici, nous semble-t-il, d’analyser concomitamment et corrélativement les médias écrits et audiovisuels dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, puis nous évoquerons Internet comme nouveau média à considérer dans la délibération politique sous la lumière de Pierre Rosanvallon[5] et enfin nous ferons un détour en ce concerne la publicité dans l’espace public par le canal de la lumière de Jürgen Habermas[6].         

La démocratie et la césure des médias en Afrique subsaharienne

    Les médias représentent-ils un atout ou un danger pour la démocratie en Afrique subsaharienne ? Dans cet article, il s’agit de montrer comment les médias sont censurés, aliénés et corrompus dans les États d’Afrique subsaharienne. Toutefois, nous analyserons en dernier ressort, bien entendu, la nécessité des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. Bref, nous le savons, les médias sont un atout pour la démocratie, où que nous soyons et quel que soit l’État qu’il s’agisse, développés ou sous-développés. En effet, les médias, en l’occurrence la presse écrite, la télévision, la radio, ou encore Internet, sont l’image d’une réelle liberté d’expression, et donc de l’effectivité de la démocratie dans sa plénitude, malgré qu’elle soit toujours un processus politique en construction, voire en puissance. Partant de là, nous comprenons sans doute que les médias jouent un rôle crucial dans la vie démocratique. Ils sont relativement constitutifs et participatifs au bon fonctionnement de la démocratie. Pour ce faire, ils véhiculent auprès des populations l’action de la politique des gouvernants et dénoncent, quand il le faut, les revers et dérives du pouvoir en place. De même, ils permettent effectivement à l’opposition de rendre manifeste leurs actions politiques. C’est-à-dire, ils couvrent également la direction politique et la critique de l’opposition à l’égard des gouvernants.

          A l’évidence, ils travaillent pour la lisibilité de l’action politique des dirigeants et de l’opposition auprès des populations. C’est donc une mission caractérisée par l’information, la prise de conscience et la critique, pour tout journaliste qui se veut professionnel. Edouard Balladur note avec pertinence que « les journalistes, s’ils sont fidèles à leur mission, et même s’ils se trompent, remplissent une fonction indispensable. Grâce à eux et par eux, la critique s’exprime tous les jours.»[7]. Ainsi, ils contribuent à la constitution et au fonctionnement de l’espace public ouvert à la discussion, à la controverse et à la délibération. Toutefois, dans ce monde médiatisé où règnent abus et corruption du pouvoir, nous semble-t-il, il est difficile de s’exprimer, de transmettre et de comprendre l’information dans les États de l’Afrique subsaharienne. Dans ce cas de figure, la censure bat son plein dans la vie politique africaine. Tout compte fait, il faut dire que ces dernières années, en Afrique subsaharienne, la censure politique exercée sur les médias est devenue la nature de tout régime de la sous-région. C’est ce qui traduit logiquement l’éternelle problématique de la bonne gouvernance. Sachant bien que la presse et les médias constituent le quatrième pouvoir après le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Pour dire les choses autrement, l’expression quatrième pouvoir désigne la presse et les médias. Par extension, le quatrième pouvoir regroupe tous les moyens de communication qui peuvent servir de contre-pouvoir face aux trois pouvoirs incarnant l’État (pouvoir exécutif, législatif et judiciaire), en recourant au principe de protection des sources d’information des journalistes.

Mais malheureusement, le problème est que ce quatrième pouvoir ne fonctionne pas comme l’aurait voulu l’idéal démocratique. Il devient à cet effet, de par sa critique, son sens d’informer les populations et sa dénonciation des revers du pouvoir, une menace pour les gouvernants. Dans ce contexte, il faut impérativement essayer de le faire taire par tous les moyens possibles, à savoir : censure, emprisonnement, corruption des journalistes. Les médias deviennent ainsi le cauchemar et la contrainte des hommes politiques, comme le pense Edouard Balladur. D’après lui, « Cauchemar du politique, qui les redoute tellement qu’il voudrait les amadouer, quand ce n’est pas les asservir »[8]. Pour ainsi dire, la critique des journalistes constitue une sorte d’opposition pour les gouvernants. Alors que nous savons que les journalistes sont là pour informer les populations des réalités de l’action gouvernementale, et dénoncer, si possible, les dérives autoritaires des pouvoirs politiques.

          Cela dit, les médias veillent au bon fonctionnement de la démocratie et donc ils sont considérés comme les garants de la liberté : « Les journalistes sont résolus à tout savoir, tout juger, convaincus d’être les gardiens de la démocratie, les grands prêtres de la liberté. C’est leur raison d’être »[9]. Il s’agit donc d’affirmer que les populations et les gouvernants trouvent le salut dans la presse, ils vivent de leurs écrits et paroles. C’est une aberration démocratique, pour les dirigeants africains, de vouloir corrompre ou stigmatiser le droit des journalistes de parler, d’informer, de juger et de dénoncer quand la nécessité se fait. En principe, personne ne peut échapper à la vérité des médias. Dans l’exacte mesure où ils sont à la recherche accrue de l’information pour rendre la vérité évidente. C’est pourquoi, d’ailleurs, Edouard Balladur estime que « le Politique est percé à jour, défini, jaugé, catalogué, et, quoi qu’il fasse, il lui sera difficile d’échapper à ce qui a été dit de lui »[10]. Ainsi, le politique ne peut être invincible ou impliciter sa politique démagogique face à la force des médias, il est soumis à leur critique, contrôle et jugement. Dans cette perspective, ils remplissent ainsi leur mission indispensable et humaniste : « Grâce à eux et par eux, la critique s’exprime tous les jours, alors que le peuple vote rarement ; ainsi la délégation de pouvoir qu’il consent à ceux qu’il élit n’exclut-elle pas un contrôle quotidien. Qui pourrait l’assurer, sinon les journalistes ? »[11]. C’est là même la signification de la liberté d’expression, et donc la survie de la démocratie. D’où effectivement, notons-le, « le Politique ne se sente jamais à l’abri, qu’il soit appelé à se justifier publiquement aussi souvent que l’opinion le réclame ; c’est l’une de ses servitudes les plus lourdes, mais la plus nécessaire »[12]. A ces propos, il faut noter au passage que la justification publique de l’action gouvernementale face au peuple se fait par le moyen des médias. Mais l’objectif des gouvernants africains est de chercher à faire taire ou amadouer les journalistes dans l’optique de les contrôler et de les corrompe. Heureusement, force est de constater que c’est dans le peuple et le souci de dire la vérité que les journalistes trouvent leur courage et leur secours de rester fidèle à leur mission, faute de quoi, à notre sens, ils seront prisonniers du pouvoir politique en exercice.

          C’est dans ce sens, justement, que les journalistes doivent être adeptes de la critique plutôt que la louange des gouvernants. Pour Edouard Balladur, « La presse préfère la critique à la louange. Elle demeure un contre-pouvoir, elle le restera ; le Politique ne tentera pas de l’en empêcher, ce serait peine perdue. A trop chercher à lui plaire, il témoignerait de sa faiblesse, elle réclamerait sans cesse davantage »[13]. De même, au niveau des réseaux sociaux ou d’Internet, les dirigeants africains tentent, lors des échéances électorales, de censurer les médias avec la dernière énergie. C’est dans l’optique d’étouffer la vérité des urnes et donc de promouvoir la fraude et de pérenniser le pouvoir. D’après Mai Truong, « En Afrique subsaharienne, nous constatons que les autorités dirigent souvent les fournisseurs de services internet, les FAI, pour bloquer une liste noire d’URL »[14]. Pour Mai Truong, les différents cas de censure d’Internet sont souvent dus à la mainmise de l’État sur les fournisseurs d’accès Internet qui ont, ou du moins, des liens étroits d’avec le gouvernement. Plusieurs États de l’Afrique subsaharienne, explique-t-elle, ont plus souvent eu recours à une forme de censure d’Internet. Par exemple, la suppression de contenus déjà publiés. Ils peuvent aussi procéder par la pression juridique ou militaire pour obliger les opérateurs de certains sites web à supprimer tous les textes et commentaires susceptibles de nuire au pouvoir politique en place. Partant de là, il faut comprendre que les autorités africaines sont prêtes à tout pour entretenir et conserver le pouvoir.

Il est d’autant plus raisonnable de dire que c’est ce qui sous-entend, de près ou de loin, que les médias sont d’emblée leurs premiers obstacles pour enraciner le peuple dans la corruption du pouvoir et toutes les dérives qui s’en suivent dans la gouvernance de la Cité. Pour illustrer de cas pratiques à la censure des médias en Afrique subsaharienne, Marie-Soleil Frère[15] évoque trois incidents dans la « Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires » :

D’abord, au Burundi, en septembre 2011, un groupe armé non identifié attaque un bar dans une localité, Gatumba, située à 15 km de Bujumbura, faisant plus de 40 morts. Trois jours plus tard, le ministère de l’information interdit aux médias burundais de publier, commenter ou analyser toute information liée au massacre. Plus encore, toutes les émissions en direct à caractère politique sont suspendues durant un mois. Le prétexte invoqué est celui de la nécessité de ne pas entraver l’enquête, un argument relevant de la sécurité nationale[16].

Ensuite, quelques mois plus tard, en République démocratique du Congo (RDC), en décembre 2011, suite au déroulement du second tour de l’élection présidentielle, le ministère de l’intérieur et de la sécurité ordonne la suspension du service SMS de tous les réseaux de téléphonie mobile. Raisons avancées : la préservation de l’ordre public et un aboutissement heureux du processus électoral en RDC[17].« Les SMS étaient en effet largement utilisés pour mobiliser l’opposition politique qui dénonçait la manipulation des résultats »[18].

Enfin, plus récemment, le 23 mars 2013, au Tchad, le blogueur et activiste Jean Étienne Laokolé, qui contribuait sous pseudonyme au blog d’un Tchadien de la diaspora, est arrêté par les forces de sécurité, après que son identité eut été révélée sur un autre blog. Après avoir passé cinq mois en détention, il est condamné à trois ans de prison avec sursis pour diffamation et complot d’atteinte à l’ordre public[19] n’ayant pas abouti[20].

Ces différentes formes de censure montrent qu’il s’agit d’une pratique qui intègre la nature de la politique des États de l’Afrique subsaharienne. C’est ce qui implique manifestement l’oppression et la privation des libertés d’expression, de conscience et d’agir. Cela sous-entend que « Les droits de l’homme associés aux démocraties libérales et républicaines n’offrent plus les garanties, ni ne constituent plus les systèmes de défenses imparables des individus qu’ils prétendaient être »[21]. Alors que nous sommes à l’ère de la gouvernance démocratique, où la liberté d’expression se doit d’être matérialisée, concrétisée. En réalité, c’est pourquoi, finalement, il faut affirmer que cette censure des médias traduit consensuellement le déficit de l’objectivité du droit dans les États d’Afrique subsaharienne.         

Quelle est la place pour des médias écrits et audiovisuels dans le processus de démocratisation ?

         On ne peut sans doute parler de la démocratie sans le concours médiatique dans les pays dits démocratiques en général et dans les pays d’Afrique subsahariens, en particulier. Dans l’exacte mesure où ils sont la voix du peuple sans voix et le substrat du fonctionnement de l’espace public, voire de la vie démocratique. Revenons aux médias écrits et audiovisuels dans le processus démocratisation. En effet, les médias ont toujours accompagné la démocratie dans son processus. C’est pourquoi, expliquons-le, dans leur participation au fonctionnement optimal de la démocratie, ils ont une fonction première : celle de dire la vérité, d’informer et de dénoncer lorsque le besoin se fait sentir. D’abord, dire la vérité fait partie de l’un des principes de l’éthique de la communication, dans la mesure où les médias constituent évidemment un espace public et critique face au fonctionnement du pouvoir politique en Afrique subsaharienne. C’est-à-dire, ils se font donc critique à l’égard de la politique autoritaire des gouvernants, à la corruption et donc aux dérives de la démocratie. Pour ce faire, les médias en disant la vérité des faits basés sur les sources fiables, non seulement participent ou contribuent à la fiabilité de la démocratie en Afrique, mais également ils remplissent pleinement leur tâche, celle d’être la voix du peuple sans voix. Car : « La communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle est plutôt la condition de fonctionnement »[22]. Ensuite, les médias écrits ou audiovisuels doivent informer les populations africaines sur les différents domaines de la société, voire sur les faits sociétaux. Comme par exemple, nous pouvons le dire, dans le domaine économique, politique, éducatif, culturel, etc. ils doivent être à la quête de l’information avérée et tangible par le canal de sources sûres, afin d’édifier les populations. Bien sûr, un peuple qui n’est pas informé est un peuple ignorant et donne une nation faible. Si c’est le cas, les médias seraient alors en marge de l’éthique de la communication et mettraient en faute leur tâche, d’être la voix du peuple. Enfin, la dénonciation constitue un facteur primordial pour la presse parce qu’elle permet à la presse écrite ou audiovisuelle de mettre en lumière les abus, l’aliénation et la corruption du pouvoir politique en Afrique.

         Pour ce faire, c’est à travers la dénonciation ou des articles à caractère satirique que le journaliste prend la pleine mesure d’assumer son rôle d’éveiller les consciences des populations africaines. Comme pour dire, si le journaliste ne dénonce pas les dysfonctionnements de l’organisation d’un État, alors les populations africaines demeureraient dans un sommeil dogmatique, et qu’il faillirait à sa mission première. C’est pourquoi, bien entendu, dans les sociétés démocratiques ou encore dans les pays développés, l’éveil ou la conscientisation des populations passe par l’information et la dénonciation médiatiques. Le journaliste britannique, John Wilkes, dans son The North Briton incarne bien l’image de cette dénonciation. En effet, dans son journal, il aurait mis une mouvance satirique pour attaquer et se moquer du roi George et de Lord Bute. Il ne s’est pas arrêté avec eux, mais a ciblé aussi des politiciens. Cependant, quel rôle peut jouer Internet dans la vie politique ou démocratique aujourd’hui ?

Internet comme nouveau média : Pour quelle implication démocratique, selon Pierre Rosanvallon ?

          Aujourd’hui, bien sûr, Internet occupe une place importante dans la vie politique et sociale en démocratie en général et dans l’organisation politique africaine, en particulier. Pour dire les choses autrement, selon Pierre Rosanvallon, « La Toile est aussi devenue une forme sociale à part entière, en même temps qu’une véritable forme politique »[23]. Nonobstant les dérives d’Internet et ses aléas, nous mettons en exergue ici son rôle et sa nécessité dans le processus démocratique. Il apparaît dans ce cas de figure, finalement, comme un nouveau média participatif à la vie sociale et politique. Pierre Rosanvallon pense que nous devons « appréhender l’internet sous les espèces d’un nouveau média »[24]. Celui-ci permet effectivement, explique-t-il, la circulation des opinions, des informations et les analyses. A cet égard, affirme Pierre Rosanvallon, nous comprenons manifestement que l’Internet est donc bien un média spécifique en termes de coûts d’accès, de mode de production, de processus de diffusion, et régulation. Justement, à travers l’Internet nous avons une nouvelle vision de la sphère organisationnelle étatique promettant une politique africaine de visibilité et de lisibilité. Dans l’exacte mesure où, nous pouvons l’affirmer, qu’il est devenu à part entière une forme sociale et une forme politique que la vie politique africaine doit s’approprier. Ce qui nous permet de l’analyser sous deux angles : social et politique.

          D’abord Internet comme forme sociale. Lisons Pierre Rosanvallon pour l’entendre dire : « C’est une forme sociale originale en premier lieu, parce qu’elle concourt sur des modes inédits à la constitution des communautés »[25]. Il s’agit de comprendre, selon Pierre Rosanvallon, qu’Internet crée un univers social planétaire en mettant en évidence dynamiquement la circulation, l’interaction libre, succession de rendez-vous ponctuels, la possibilité ouverte de branchements arborescents[26]. Du point de vue de l’auteur, Internet est une forme sociale parce qu’il exprime de manière instantanée l’opinion publique. Dans cette perspective, Internet apparaît alors comme une somme d’intelligences et de toutes les volontés pour dire les tourments du monde social, où jeunes et adultes africains et du monde entier expriment leurs opinions. A cet effet, rappelons que les grands médias, radio, presse et télévision, ont toujours accompagné les mouvements culturels et sociaux. Toutefois, avec l’arrivée d’Internet et du multimédia, nous sommes dans un nouveau paradigme ou paysage médiatique contemporain. Ainsi, il sied de retenir, pour notre part, qu’Internet et les nouvelles technologies de la communication sont aujourd’hui considérés logiquement comme des éléments constitutifs et participatifs des pratiques culturelles et sociales.  

           Ensuite, Internet comme une forme politique. D’après Pierre Rosanvallon, « Dans les années 1980, l’idée dominante était que les nouvelles technologies de la communication allaient bouleverser les pratiques démocratiques en permettant une intervention plus directe des citoyens »[27]. Il faut dire que la forme politique d’Internet peut être comprise comme étant une révolution dans le domaine du pouvoir de la politique africaine. Bien entendu, c’est un changement de paradigme qui rend manifeste « une modification de l’architecture du droit dont la structure pyramidale ou hiérarchique cède du terrain au jeu horizontal des réseaux »[28]. Pourquoi ? Parce qu’Internet serait alors, à notre humble avis, le canal par lequel on diffuse de manière virale, rapide et transfrontalière l’émancipation de l’homme, certaines connaissances et surtout les opinions politiques et la transparence démocratique en Afrique. Autrement dit, c’est le symbole de la liberté d’expression, d’émancipation[29] et de contestation[30] citoyenne. Celui-ci aurait apporté de moult mutations dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, en posant de nouveaux rapports entre les citoyens africains et leurs gouvernants. Dans ce cas de figure, il est donc possible d’affirmer qu’Internet s’impose également comme un média qui met en évidence l’effectivité de la médiation de l’expression politique africaine, de par la quantité d’information qu’il propose. En quelques mots, il est un outil complexe à appréhender et peut revêtir de nombreux rôles dans la vie politique que sociale en Afrique subsaharienne. Mais le rôle d’Internet qui cadre dans notre analyse ici bien entendu, est celui de rendre visible la transparence de la vie démocratique que les institutions publiques africaines se doivent de rendre manifeste. Ainsi, cette politique de lisibilité[31] d’Internet permet aux citoyens africains d’exprimer leurs opinions politiques dans un espace à vocation publique.

           En outre, Internet en démocratie, démocratie électronique, d’e-gouvernement, de cyberdémocratie sont d’autant de nouvelles formes des médias de la participation démocratique de la politique du XXIe siècle[32]. Il apparaît bien, dans cette optique, contrairement à la radio et à la télévision, qu’Internet met en situation d’égalité l’émetteur et le récepteur en ce qui concerne l’information. Dans ce cas, c’est donc un outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen africain pourrait sans doute intervenir dans un débat politique. En fait, Internet permet à toutes les catégories sociales de prendre la parole et de discuter de la chose publique. Ce nouveau monde électronique de la délibération démocratique favorise la multiplicité des opinions politiques. Bien évidemment, les réseaux sociaux sont maintenant considérés comme de « nouveaux espaces »[33] ou de nouvelles sphères ouvrant ainsi les perspectives au peuple. Par conséquent, Internet pourrait ainsi être le nouveau mode d’engagement du citoyen africain dans la chose politique. En d’autres termes, comme un nouvel espace de contestation et de reconstruction de la politique africaine. En réalité, le monde d’Internet suscite « chez l’individu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action (…) et que les sujets soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs »[34].  Dit autrement, en matérialisant la visibilité des individus, Internet a permis à ces derniers de devenir manifestement porteurs de leur propre pouvoir. Il apparaît donc comme un outil de la réalisation de la citoyenneté, de l’expression de la liberté et de la délibération politique en Afrique.    

          De fait, il faut comprendre, en substance, qu’Internet peut en quelque sorte nous donner la dimension électorale-représentative de la vie ou de la délibération publique en Afrique subsaharienne dans le but de discuter du progrès démocratique. Toutefois, Pierre Rosanvallon pense, par extension, que le rôle effectif majeur d’Internet « réside plutôt dans son adaptation spontanée aux fonctions de vigilance, de dénonciation et de notation »[35]. Du point de vue de l’auteur, Internet est l’expression même de la réalisation de ces différentes formes du pouvoir de surveillance susmentionnées. Disons-le, dans la perspective rosanvallienne, nternet, dans la nature politique, doit être considéré comme un espace globalisé et universalisé de surveillance et d’évaluation du monde, le monde de l’organisation politique africaine. Justement, Internet « est la fonction même de la surveillance »[36]. C’est donc sans doute une forme politique, l’acte de l’activité des pouvoirs publics. Nous sommes ici, on peut le dire, dans une sorte d’agora électronique. Effectivement, notons au passage que le journaliste Howard Rheingold considère cette vision politique d’Internet comme un moyen capable de redynamiser la vie démocratique. En même temps, semble-t-il, il préconise un rapprochement entre Internet et la sphère publique chez Habermas.

          En effet, le projet habermassien réside dans le souci d’apporter ou de proposer une théorie contemporaine de la démocratie, afin de résoudre de multiples problèmes qui minent les sociétés démocratiques actuelles, en général et donc africaines, en particulier. C’est pourquoi, naturellement, il se propose de fonder le concept des sociétés dans une approche historico-structuraliste, en vue de montrer les différentes mutations qui se sont faites de façon formelle et intrinsèque au cours des différentes transformations des sociétés comme procédurale d’intégration sociale[37]. La particularité d’Habermas réside dans la prise en compte de l’agir communicationnel[38] comme principe fondamental susceptible de donner une explication rationnelle des sociétés contemporaines, comme sphère publique à l’intérieur duquel l’éthique de la discussion[39] est la matrice du fonctionnement de l’espace publique. Pour comprendre l’enjeu de cet espace public chez Habermas, on revient à aborder la notion de publicité en Afrique subsaharienne.         

La publicité dans l’espace public : Lecture habermassienne

         La notion de publicité, selon Habermas, est au fondement de l’espace public ou la sphère publique. Elle peut se comprendre comme étant une sorte de large diffusion des informations, des délibérations et des sujets de débats politiques africains ou du monde via les médias. Celle-ci est considérée comme un élément substantiel de la théorie habermassienne, elle doit être comprise comme une dimension constitutive de l’espace public et comme principe de contrôle du pouvoir politique africain. Habermas considère ici, à notre sens, la publicité comme un espace public médiatique et critique face au pouvoir en place, c’est-à-dire le principe de publicité (les médias) se fait donc critique face à la domination du pouvoir politique.

          Partant de là, pour Habermas, l’influence des médias dans la vie démocratique est incontournable et inévitable, dans la mesure où la démocratie d’un pays est à l’image de ses médias et que l’espace public s’est médiatisé et diversifié à cet effet. Pour ainsi dire, la publicité constitue un facteur primordial parmi tant d’autres pour l’effectivité de la démocratie. Même si, en Afrique, d’aucuns y voient une influence néfaste. Dominique Walton[40] n’en pense pas moins : « la communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle en est plutôt la condition de fonctionnement »[41]. Il s’agit de comprendre que les médias de communication fournissent le principal lieu, l’espace public, commun de représentation et de débats des sociétés développées et démocratiques actuelles. Que ces débats, en Afrique, soient contradictoires, critiques ou confus, cela ne fait que souligner l’importance fondamentale de l’espace public médiatique. D’où logiquement le principe de publicité (Öffentlichkeit), pour Habermas, qui est l’exigence revendiquée d’un usage critique et public de la raison. Ce principe s’inscrit dans le cadre plus large de la démocratie délibérative que les Africains devraient politiquement considérée. En principe, pour Habermas, une décision n’est légitime que si la discussion qui y mène l’est également.

           Ceci dit, le débat public qui doit constituer l’effectivité démocratique en Afrique est donc un principe de légitimité relayé par l’espace public, en lequel Kant voyait un nouveau principe normatif[42]. De fait, la publicité devient alors une source de légitimation allant à l’encontre du despotisme, selon Kant. Il y a lieu d’estimer que le principe de publicité donne à l’espace public un véritable pouvoir critique, un pouvoir d’assiègement permanent, selon Habermas. Ainsi donc, l’espace public permet sans doute une revitalisation de l’État de droit par la délibération constante et publique des individus, voire de la vie politique africaine. En somme, l’un des mérites d’Habermas a notamment été de démontrer avec pertinence l’importance de la publicité (en tant qu’opinion privée dévoilée dans l’espace public) dans un débat politique. Certes, à l’origine la publicité garantirait l’usage public de la raison aussi bien avec les fondements législatifs qu’avec un contrôle critique de son exercice. En revanche, l’évolution de cette publicité vers les intérêts privés marque, selon Habermas, le déclin de la dimension critique de l’espace public. Pour lui, après son essor au XVIIIe siècle, l’espace public « gouverné par la raison » est en déclin. Pourquoi ? Parce que la publicité critique laisse progressivement la place à une publicité de manipulation, de commercialisation et de corruption, au service d’intérêts privés, affirme-t-il pertinemment.

          In fine, il convient donc d’affirmer que l’espace public doit être considéré comme un principe de la démocratie en Afrique subsaharienne. Puisqu’il est régie et structuré logiquement par le principe de la discussion. Comme tel, nous comprenons que c’est dans le Droit et démocratie[43] qu’Habermas redéfinit le principe de la discussion et lui confère une plus grande profondeur que celle d’un principe exclusivement moral. En raisonnant ainsi, le principe de la discussion se décline désormais en principe moral et en principe démocratique que les Africains subsahariens se doivent de prendre en compte, afin d’impliquer exhaustivement tous les membres du contrat social tant peint par Jean-Jacques Rousseau[44], dans son texte Du contrat Social. C’est-à-dire, en principe de règlement discursif des questions de validité dans le cadre d’interactions simple d’un côté, en principe de formation discursive et autonome de la volonté commune de l’autre. Car, explique-il, le principe moral de la discussion demeure inéluctablement inapplicable sans un principe démocratique de la participation paritaire à la formation discursive de la volonté générale. Voilà, pourquoi, en quoi le principe de la discussion ne fonde plus seulement une éthique de la discussion, mais plus généralement une théorie de la discussion qui peut prendre entre autres la forme d’une théorie morale ou d’une théorie du droit. Dans ce cas de figure, nous pensons que l’on peut estimer que le droit est plus profond que la morale. Parce que celui-ci s’efforce effectivement de sauvegarder l’existence adéquate d’un accord d’espace public, qui est soumis à l’équité de la parole et de formation d’un accord rationnel. A cet égard, un espace public où une sphère publique de la discussion est protégée tout à la fois contre les tentatives des systèmes impersonnels de l’agent et du pouvoir sur la liberté présumée des participants.

          En principe, affirmons-le, la théorie du droit, ou plus précisément de l’État de droit démocratique, est une théorie normative, elle articule normalement encore une fois l’historique et le transcendantal. C’est-à-dire qu’elle s’appuie démocratiquement sur la réalité de nos institutions démocratiques modernes pour y ressaisir à travers un effort d’autoréflexion les possibilités émancipatrices qu’elle peut raisonnablement nous permettre de réaliser. Justement, notons que le droit dont parle Habermas est donc d’abord le droit positif qui régit les États démocratiques modernes, mais seulement pour autant que ce droit positif prétende porter à travers un projet démocratique une promesse d’émancipation et incarner aussi un droit naturel que tous les hommes auraient en partage, au-delà de leurs disparités spécifiques à chaque Constitution africaine.

          Au regard de ce qui précède, à notre humble avis, le sens d’Habermas n’est pas d’aller chercher derrière le droit positif des États démocratiques la vérité originelle d’un droit prétendument naturel, équivalent de la raison pure pratique ou de la morale universelle. En effet, il s’agit d’abord de penser, plus précisément, un médium institutionnel qui puisse réellement filtrer l’intersubjectivité de la discussion qui libère pour les discussions pratiques l’espace public de la solidarité et de la reconnaissance. Dans la préface à l’édition de 1990 de l’Espace public[45], Habermas écrit que l’espace public politique constitue le concept fondamental d’une théorie de la démocratie. En tant que sphère de la discussion productrice d’une opinion publique, l’espace public constitue maintenant la base nécessaire de la société démocratique africaine. Idéalement parlant, nous comprenons que l’opinion publique africaine doit se constituer en juge du pouvoir politique en place et comme vecteur des demandes sociales de la société civile, c’est la naissance proprement parlé de l’espace public plébéienne : Droit et démocratie (1997). C’est pourquoi, naturellement, nous pensons qu’Habermas définit ainsi l’espace public comme le socle mouvant dont les frontières ne sont pas clairement définies par lequel doivent se dégager les problématiques discutées dans les différentes couches de la société. Logiquement, il doit s’entendre comme une caisse de résonance apte à répercuter les problèmes qui ne trouvent de solutions nulle part ailleurs.

Conclusion : Implication et considération des médias comme une forme de la démocratie contemporaine optimale

          Au terme de notre analyse, il sied de retenir que le rôle prépondérant des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne doit être pris en compte par les membres du corps politique. Ce qui revient à dire qu’il faut aménager un espace médiatique transparent de délibération dans l’organisation politique en Afrique subsaharienne, afin de promouvoir une démocratie authentique prônant les valeurs de la dignité humaine centrées sur les principes démocratiques. Comme pour dire, bien sûr, les acteurs politiques africains se doivent de mettre en place une structure démocratique des médias libres et dynamiques dans leur fonctionnement. A cet égard, cela impliquerait la profondeur et la délicatesse de la conscience des Africains à s’ouvrir à la culture politique de critique, de remise en cause et de l’essence de la liberté. Il faut le dire, la presse est censurée en Afrique subsaharienne parce qu’il y a le refus de l’altérité, de la critique, de concéder la liberté d’expression aux individus, au déficit à la transparence dans la gestion de la chose publique, et donc réfractaire à l’affirmation de la démocratie. Tout ce qui compte pour nous, les Africains, c’est l’acceptabilité et la conversion aux politiques caricaturales et démagogiques. C’est pourquoi, d’ailleurs, les médias sont devenus le cauchemar des hommes politiques, qui veulent à tout prix les asservir. Dans le cas contraire, en cas de refus de toute forme d’aliénation de la presse, la censure devient alors le mode opératoire pour intimider la force médiatique.

          Dès lors, on peut donc affirmer que l’idée d’une démocratie plausible tant prisée en Afrique subsaharienne ne serait effective que lorsque la presse prendra les règnes de sa mission première et salvatrice, celle de défende la voix du peuple, valoriser la critique et la liberté. Mais il faudra que celle-ci sorte aussi des carcans politiques et du joug des considérations partisanes, pour incarner la voix du peuple sans voix. En un mot, la presse doit avoir un espace public de délibération dans l’optique d’analyser, de discuter et d’informer la Cité sur les questions de gouvernance et d’État de droit en Afrique. Parce que, nous le savons, l’espace public véritable en Afrique ne saurait se comprendre, ni se réaliser sans le concours d’une presse dynamique, transparente et impartiale lorsqu’il s’agisse de discuter de la chose publique rationnellement et démocratiquement. Effectivement, l’espace public africain doit être un milieu qui permet non seulement de confirmer un pouvoir politique rationnel et efficace qui prend en considération la volonté des peuples africains, mais également capable de dénoncer les politiques totalitaires et népotistes. Ainsi, en Afrique, libération de la presse serait donc une manière de favoriser une organisation politique prenant en compte l’éthique de la discussion dans la gestion étatique. Oui, c’est l’affirmation même de la presse comme un pouvoir de contrôle de la gouvernance africaine voulant se convertir en despotisme.    

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com
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[1] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006,  p. 72.

[2] Ibid., p. 72. 

[3] Lire à ce sujet, Emmanuel -Thierry Koumba, Presse écrite et engagement politique au Gabon, Thèse 3è cycle, Bordeaux 3, 1997.

[4] Lire à ce sujet, Richard Banégas, Démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éditions Karthala, 2003.

[5] Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France, né dans une commune française appelée Bois en 1948 (Il a 75 ans actuellement). Il est historien, philosophe, sociologue, politologue français. Voir la thèse en cours de Christian Dior Mouloungui, La crise de la démocratie représentative en Afrique subsaharienne à la lumière de pierre Rosanvallon. Pertinence et respectives, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES PHILOSOPHIQUES (CERP) FORMATION DOCTORALE PHILOSOPHIE, SCIENCE ET SOCIETÉ (PSS), Université Omar Bongo, Libreville (Gabon).

[6] Jürgen Habermas, né le 18 juin 1929 à Düsseldorf, est un théoricien allemand en philosophie et en sciences sociales. Il est avec Axel Honneth l’un des représentants de la deuxième génération de l’École de Francfort, et développe une pensée qui combine le matérialisme historique de Marx avec le pragmatisme américain, la théorie du développement de Piaget et Kohlberg, et la psychanalyse de Freud. Il a pris part à de nombreux débats théoriques en Allemagne, et s’est prononcé sur divers événements sociopolitiques et historiques.

[7] Edouard Balladur, Machiavel en démocratie. Mécanique du pouvoir, Op. cit., p. 43.

[8] Ibid., p. 39.

[9] Ibid.

[10] Ibid., p. 40.

[11] Ibid., p. 43

[12] Ibid.

[13] Ibid., p. 92.

[14] Mai Truong est une experte du réseau de l’organisation non-gouvernementale américaine Freedom House. C’est une organisation non-gouvernementale (ONG) financée par le gouvernement américain et basée à Washington 1, qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde. Cette organisation a été fondée en 1941, bénéficiant de Wendell Willkie et Eleanor Roosevelt en tant que premiers présidents honoraires. Voir freedomouse.org

[15] Maître de recherche en sciences de l’information et de la communication, Fonds national de la recherche scientifique/Université libre de Bruxelles.

[16] Marie-Soleil Frère, « Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires », Presses universitaires de Rennes, 2016.

[17] Journaliste en danger (JED), Rapport 2011. La liberté de la presse pendant les élections, Kinshasa (…)

[18] Marie-Soleil Frère, Op. cit.,

[19] Voir sur le site de Reporters sans frontières, [http://fr.rsf.org/tchad-le-contributeur-d-un-blog (…)

[20] Marie-Soleil Frère, Op. cit.,

[21] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 13.

[22] Wolton Dominique, Penser de la démocratie, Paris, Éditions Flammarion, 1997, p. 143.

[23] Pierre Rosanvallon, Op. cit., p. 72.

[24] Ibid., p. 72.

[25] Ibid., p. 72-73.

[26] Ibid., p. 73.

[27] Ibid., p. 73-74.

[28] Pauline Türk, « La souveraineté des États à l’épreuve d’Internet », RDP, 1er novembre 2013, n°6, p. 1489.

[29] Paola Seda, « L’internet contestataire. Comme pratique d’émancipation. Des médias alternatifs à la mobilisation numérique », Les cahiers du numérique, 2015, Vol. 11, p. 25-52.

[30] Thiery Barboni et Eric Treille, « L’engagement 2.0. Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste », Revue française de science politique, 2010/6, Vol. 60, p. 1137-1157.

[31] Nous reviendrons plus amplement sur la politique de la lisibilité au chapitre VI de notre travail intitulé : Le Bon Gouvernement comme expression démocratique. En effet, la politique de la lisibilité apparaît donc comme la justification de l’exercice du pouvoir politique et la vérification de comptes publics. C’est pourquoi, nous semble-t-il, la communication et la transparence deviennent comme des moyens de la lisibilité de la chose publique susceptible de restituer la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Car, rapport gouvernés-gouvernants semble tombé dans l’oubli de la politique démocratique des États actuels.

[32] Les États-Unis  en sont l’illustration parfaite de ces nouvelles formes des médias de la participation démocratique, en tant que la première et la grande puissance de la démocratie dans le monde.

[33] Lilian Mathieu, « L’espace des mouvements sociaux », Politix, 2007/1, p. 131.

[34] Lire à ce sujet, Jeremy Bentham, cité par Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Éditions Gallimard, 1975.

[35] Pierre Rosanvallon, Op. cit., p. 75.

[36] Ibid.

[37] Lire à ce sujet, Pierre Ndong Meyé, Cours de philosophie de la communication, licence 3, parcours philo-lettre, Dispensé à l’Université Omar Bongo (Libreville/Gabon), 2013-2014.

[38] Lire à ce sujet, Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, tome 1 : Rationalité de l’action et rationalisation de la société, Paris, Éditions Fayard, 1987.

[39] Jürgen Habermas est l’un des penseurs de l’éthique de la discussion avec Karl-Otto Apel, éthique qui s’inscrit dans la même veine que l’éthique kantienne, tout en y apportant un certain remodelage, décentrage peut-on dire, en rapport avec l’impératif catégorique. Habermas développe en effet l’idée d’un principe de discussion capable de remplacer l’Impératif catégorique. Chez Kant, c’est au sein de l’individu qu’est déterminée la validité morale. En clair, Kant pense qu’il est possible de se mettre d’accord rationnellement sur ce qui est juste et injuste, mais que l’évaluation des normes se fait dans le for intérieur de chacun. Habermas considère que ce monologisme doit être dépassé par une compréhension dialogique de la morale, qui s’appuie sur les acquis de la pragmatique formelle et la théorie des « énoncés performatifs » (Voir Austin). Nous déterminons si une règle de conduite et d’action ou un comportement sont moraux par une discussion qui doit ressembler autant que possible à une situation de liberté de parole absolue et de renoncement aux comportements stratégiques. (Voir Jörgen Habermas, De l’éthique de la discussion, Paris, Éditions Champs essais, 2013).

[40] Dominique Wolton, né le 26 avril 1947 à Douala (Cameroun), est un sociologue français. Directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication, il est spécialiste des médias, de l’espace public, de la communication politique, et des rapports entre sciences, techniques et société. Ses recherches contribuent à valoriser une conception de la communication qui privilégie l’homme et la démocratie plutôt que la technique et l’économie. Cf. « Les sciences de la communication », Journal du CNRS, n° 231,  avril 2009.

[41] Dominique Walton, penser la communication, Op.cit., p.143.

[42] En 1962, en Allemagne un ouvrage intitulé, L’espace public, du nom du concept qu’aborde Jürgen Habermas. Ce dernier s’est sans doute inspiré de la notion d’espace public forgée par le philosophe des lumières Emmanuel Kant, dans ses textes parus en 1784 notamment, Idée du point de vue cosmopolitique ainsi que dans Qu’est-ce que les lumières ? Pour qui, établir une « constitution civile parfaitement juste », l’homme doit être libre de raisonner publiquement avec ses semblables. Cette conception kantienne de l’espace public récupérée par Habermas, qui a su l’amplifier et l’adapter au contexte socio-politique des temps modernes.

[43] Lire à ce sujet, Jürgen Habermas, Droit et démocratie, Paris, Éditions Gallimard, 1997. Dans cet ouvrage, affirmons-le, Jürgen Habermas procède à une reconstruction du système des droits et de la citoyenneté modernes. Il tente de démontrer la co-originarité de l’autonomie privée et de l’autonomie publique et de résorber la tension entre droits de l’homme et souveraineté populaire, libéralisme et républicanisme. Le présent ouvrage, issu d’un travail de doctorat, se propose de restituer les différents moments de ce paradigme procédural tout en montrant qu’il ne peut fonctionner sans le secours d’une éthique de la responsabilité. Cet ouvrage se présente comme une synthèse critique de la théorie habermassienne de la citoyenneté et tente de mettre en perspective cette théorie dans l’économie générale de l’œuvre de Habermas. Les positions les plus récentes du philosophe (par exemple en matière de clonage ou de religion) sont également discutées.

[44] Lire à ce sujet, Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social, Paris, Éditions Bookking International, 1996.

[45] L’ouvrage, L’Espace public, constitue un jalon fondateur dans l’œuvre du philosophe allemand. Après avoir obtenu une thèse de doctorat (Dissertation) en 1954 consacrée à L’Absolu et L’Histoire. Du dualisme dans la pensée de Schelling, il est devenu l’assistant d’Adorno à Francfort, dans les années de la refondation de l’Institut de recherches sociales. Entre 1959 et 1961, en pleine « querelle du positivisme » au cours de laquelle il a défendu la place de la philosophie dans les sciences sociales, il a soutenu sa thèse d’habilitation – L’espace public – sous la direction de Wolfgang Abendroth, après le refus de M. Horkheimer de la diriger. « Publié en 1962, L’espace public constitue donc un important travail de jeunesse. Dans ce texte, Jürgen Habermas tente de rendre compte de l’évolution du débat rationnel concernant la chose publique au sein de la société occidentale, en analysant ses structures sociales et ses principes fondamentaux. La problématique précise de l’ouvrage pourrait être la suivante : comment le principe du débat critique dans l’espace public classique a-t-il été profondément remis en cause au cours des XIXe et XXe siècle ? » Cf. https://hemispheregauche.fr/author/adrien-madec.

Mali’s pursuit of change: When the urge for change conceals the conditions it entails

By SIMPARA Mahamadou, Specialist in governance, peace and security issues in Africa, author and essayist in International Relations.

On Sunday, June 18, 2023, Mali witnessed a momentous political event that unfolded with great significance. Over 8 million Malian citizens were summoned to the 13,240 voting centers dispersed throughout the nation to determine the configuration and fundamental principles of the « Mali Kura » (New Mali). This event followed a series of unsuccessful attempts at constitutional revision, impeded or suppressed by popular uprisings. Nonetheless, the transitional authorities seem now achieved the audacious feat of securing the adoption of a new constitution. While the question of the authorities’ legitimacy to initiate this process remains a legitimate query, the crux of the matter resides in the far-reaching implications ensuing from the adoption of this Project of new constitution.

Amidst the binary narrative of the « YES » and « NO » factions prevailing throughout the pre-referendum campaign, it is of utmost importance to apprehend the momentous significance and enduring repercussions of this milestone. The significance of this referendum extends beyond the authorities’ mere endeavor to uphold their commitments to the international community or assess their popularity. Rather, it compels us to delve into the intricacies at stake.

From our vantage point, the core issues revolve around an array of questions that demand thorough analysis. Firstly, what are the ramifications arising from the amplification of presidential powers? The consolidation of authority in the hands of the presidency can have profound implications for the balance of power within the Malian political system. Secondly, what are the consequential implications associated with the establishment of a Senate? The creation of a Senate introduces a new dimension to the legislative framework and raises questions about its powers and potential impact on the political decision-making process.

Furthermore, it is crucial to examine how the Project of new constitution framework addresses the secular nature of the Republic. The religious and cultural diversity in Mali necessitates a careful consideration of how the text protects the rights and freedoms of all citizens while maintaining the secular character of the state. Additionally, the implementation of the Algiers Agreement, which holds significant importance for achieving stability and peace in Mali, requires an assessment of how the text will effectively realize the commitments made in this agreement.

Lastly, we must inquire into the parameters pertaining to the eligibility of the transitional president for future electoral candidacies. This issue holds implications for the democratic process and the potential consolidation or distribution of power in future elections.

By scrutinizing these multifaceted dimensions, we can unravel the profound ramifications of this constitutional referendum and gain a comprehensive understanding of the broader implications for the Malian political landscape. The adoption of a new critical in Mali marks a critical juncture in the nation’s political trajectory, and a meticulous analysis of its provisions and implications is essential to grasp the implications for governance, power dynamics, and the overall democratic development in the country.

The main changes introduced by the new text

The new constitution, if adopted in Mali, brings significant changes to the politico-institutional functioning of the country. One of the most notable changes concerns the political regime itself. Indeed, the semi-presidential system, in which the President of the Republic had to work with the parliament regarding the responsibility of the Prime Minister, is replaced by a presidential regime, in which the head of government is only accountable to the President of the Republic (Article 77).

In the practice of the 1992 Constitution, Article 54 established that « the Government is accountable to the National Assembly under the conditions and procedures provided for in Articles 78 and 79. » This constitutional amendment, therefore, entails a considerable expansion of presidential powers. Similarly, while Article 53 of the 1992 constitution stipulated that « the Government determines and implements the policies of the Nation and has control over the Administration and the Armed Forces, » the new project grants this prerogative exclusively to the President of the Republic, as stated in Article 44.

These constitutional revisions aim to consolidate and strengthen the role of the President as the central figure of the executive power. By shifting the responsibility of the Prime Minister from the parliament to the President, the presidential regime grants the latter increased political authority and a greater capacity to lead and shape national policy. This concentration of executive power in the hands of the President of the Republic can have significant implications for governance and decision-making in the country.

One major evolution of the institutional architecture lies in the establishment of a chamber of the High Council of the Nation, comparable to the Senate, which adds to the National Assembly composed of directly elected deputies. These two entities together form the Congress. According to the provisions of Article 97, the High Council of the Nation is composed of three-quarters of members elected through indirect universal suffrage, representing territorial communities, and one-quarter of designated members representing traditional authorities, Malians residing abroad, as well as individuals who have rendered remarkable services to the Nation. This new body thus promotes increased participation of local communities and adequately addresses some of the provisions necessary for the implementation of the Algiers Agreement.

Still, in terms of governance, transparency, and accountability, the new text provides for the establishment of a Court of Auditors. With effective operational power, the Court of Auditors assists the Government and the Parliament in controlling the execution of budget laws and evaluating public policies. Its role mainly consists of verifying the conformity of financial transactions, sanctioning management errors, as well as identifying and clarifying non-regulatory management acts. This measure undoubtedly constitutes a strong barrier in the fight against corruption, provided that this instrument can truly act effectively and efficiently without suffering from undesirable political influences.

Finally, another notable change deserving particular attention is the reconsideration of the role of traditional authorities. By attributing to them the title of « guardians of societal values, » they contribute to strengthening social cohesion and conflict management. This institutional recognition allows for better integration of sociocultural dynamics and traditional conflict resolution mechanisms within the broader framework of national governance.

Managing this double-edged reform as a springboard towards the achievement of « Mali-Kura »

This vote, described as « historic » by Prime Minister Choguel Kokalla Maiga after leaving the polling station, holds significant importance on multiple levels. Beyond the current political and security context prevailing in the country, as previously emphasized, this election brings about a significant change to Mali’s political and institutional framework. However, it is important to analyze whether this reform, beyond concerns regarding the legitimacy of authorities, contains detrimental elements that could compromise the much-desired restructuring sought by the Malian people.

The answer to this question hinges entirely on the actions that future leaders undertake regarding these reforms. The risks of a president with increased powers veering off course are inherent to their personality, just as the potential for a senate to ensure faithful representation depends on the existing political class. Thus, we return to the thorny question of the necessity to rebuild state institutions without a prior refoundation of Malian society itself.

It is crucial to highlight that the reconstruction of political institutions cannot be pursued in isolation; it must be accompanied by a profound transformation of Malian society as a whole. Political structures are a reflection of social dynamics and values that animate a country. Hence, without a refoundation of the Malian people, which involves a process of national reconciliation, strengthening the rule of law and democracy, as well as promoting citizen participation, political reforms risk being insufficient to achieve the set objectives.

In this regard, it is crucial for future Malian leaders to adopt a holistic approach to political refoundation. This entails not only reforming institutions and governance mechanisms but also promoting a political culture based on accountability, transparency, and citizen participation. Furthermore, it is paramount to establish checks and balances between different branches of power to prevent any excessive concentration of authority and potential abuses.

In short, although this vote is deemed « historic, » it is essential to bear in mind that political reforms are merely tools in service of a country’s refoundation. The true challenge lies in how these reforms will be implemented and integrated into an overarching process of social and political transformation. Only a comprehensive and balanced approach, grounded in solid foundations such as justice, equity, and citizen participation, will allow for the construction of a new political and institutional architecture that truly serves the Malian people.

Conclusion

In conclusion, Mali’s adoption of a new constitution through a momentous referendum signifies a critical juncture in the country’s political trajectory. This Project of new constitution provisions introduce significant changes to the politico-institutional functioning of Mali. The shift from a semi-presidential system to a presidential regime expands presidential powers, consolidating the authority of the President of the Republic. Additionally, the establishment of a Senate-like chamber, the High Council of the Nation, promotes increased participation of local communities and addresses provisions necessary for implementing the Algiers Agreement. The new text also emphasizes the importance of governance, transparency, and accountability through the creation of a Court of Auditors. Moreover, the recognition of traditional authorities as guardians of societal values contributes to social cohesion and conflict management.

However, while the constitutional reforms hold promise, their success ultimately depends on the actions of future leaders. It is crucial for Malian leaders to approach these reforms holistically, recognizing that the reconstruction of political institutions must be accompanied by a profound transformation of Malian society. This involves national reconciliation, strengthening the rule of law and democracy, and promoting citizen participation. Political reforms alone are insufficient without a prior refoundation of the Malian people. Future leaders should strive for a comprehensive and balanced approach that incorporates justice, equity, and citizen participation, while establishing checks and balances to prevent abuses of power. Ultimately, the true achievement of « Mali-Kura » lies in the effective implementation and integration of these reforms within a broader process of social and political transformation that serves the best interests of the Malian people.

Mahamadou Simpara, specialist in governance, peace and security issues in Africa, author and essayist in International Relations, mh.simpara@gmail.com

L’éducation : Quel rôle dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne ?

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com

Résumé

Cet article soutient l’idée que l’éducation, telle que nous l’analysons ici, est un vecteur non seulement de la formation et la transformation de l’homme, mais également essentiel pour l’appréhension des valeurs cléricales susceptibles de promouvoir le développement politique, économique et social des États africains subsahariens. Si l’éducation est inéluctablement un moyen substantiel pour le progrès de l’humanité, il convient donc de dire que l’homme n’est rien que ce que l’éducation fait de lui. A cet égard, le but final de l’éducation est d’amener les hommes à être sensés, raisonnables et instruits.  Une éducation qui, en substance, est corrélativement liée aux  valeurs qui fondent l’humanité et la liberté, donc synonyme du  respect de la vie humaine. Au final, nous voulons montrer  que l’éducation peut aider l’Afrique subsaharienne dans son processus de démocratisation à comprendre que l’acquisition de la vertu peut rendre meilleurs les membres du corps politique. Dans ce cas, l’éducation apparaît alors comme une prise de conscience des Africains à instaurer des institutions démocratiques. Elle doit développer toutes les dispositions naturelles du bien en chaque homme politique africain. Bien sûr,  de telle sorte qu’il agisse selon les valeurs de la morale, du bien, de justice, de liberté et penser, finalement, le bien commun de la société africaine subsaharienne tout entière.

Abstract

This article supports the idea that education, as we analyze it here, is a vector not only for the formation and transformation of man, but also essential for the understanding of clerical values likely to promote the political, economic and social development of sub-Saharan African states. If education is inevitably a substantial means for the progress of humanity, it must be said that man is nothing but what education makes of him. In this respect, the ultimate goal of education is to bring men to be sensible, reasonable and educated.  An education which, in essence, is correlatively linked to the values on which humanity and freedom are founded, thus synonymous with respect for human life. Ultimately, we want to show that education can help sub-Saharan Africa in its democratization process to understand that the acquisition of virtue can make members of the body politic better. In this case, education then appears as an awareness of Africans to establish democratic institutions. It must develop all the natural dispositions of the good in every African politician. Of course, in such a way that it acts according to the values of morality, goodness, justice, freedom and think, ultimately, the common good of sub-Saharan African society as a whole.

Introduction

L’éducation désigne l’ensemble d’activités de socialisation et d’apprentissage ayant pour finalité l’acquisition des savoirs, des savoir-faire, des connaissances, des normes et des valeurs nécessaires au développement intellectuel et moral du sujet. Lisons Jacqueline Russ pour l’entendre dire que l’éducation, étymologiquement, vient du latin « education, instruction, formation de l’esprit »[1].  L’éducation constitue donc un moyen efficace pour porter et établir les valeurs universelles. Dans Émile ou de l’éducation, Rousseau suppose qu’elle est un levier indispensable pour construire un nouvel homme. Pour ainsi dire, dit-il, l’homme ne peut être transformé que par l’éducation dans l’exacte mesure où « on façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation »[2]. Si l’homme naît inachevé, esquissé, alors c’est l’éducation qui le parachève, le complète : « Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation »[3], affirme Rousseau. Donc, ce n’est que par l’éducation que l’homme peut redresser ses erreurs. Ce redressement signifie la réconciliation de la nature et de l’histoire, c’est-à-dire de la société ; il s’agit de vivre en animal raisonnable et social sans trahir la bonté naturelle. Dans Propos de pédagogie, Kant, lui, dira que« l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation a fait de lui »[4]. Pour lui, dans Réflexions sur l’éducation, « l’homme est la seule créature qui doive être éduqué. Par éducation, « on entend […] les besoins (alimentation, l’entretien), discipline et l’instruction avec la formation. Sous ce triple rapport l’homme est nourrisson, – élève, – et écolier »[5].

 Partant de là, chez Kant, l’éducation est donc inéluctablement primordiale dans la survie et le développement de l’humanité. En effet, elle constitue un élément fondamental pour la transformation de l’homme en allant du stade d’animalité au stade d’humanité, et donc l’éducation humanise l’homme. Comme quoi, bien évidemment, l’éducation apparaît alors comme un élément constitutif et participatif de la condition humaine tout entière. En réalité, le terme ainsi décliné, notons-le, renvoie à la formation de l’individu en tant que sujet capable de se prendre en charge grâce à sa capacité à raisonner et à ses aptitudes à répondre aux défis de l’existence. Dans ce cas, l’éducation aiderait donc l’Africain à se construire lui-même, à la prise de conscience de soi et à pérenniser la reproduction d’une société démocratique africaine, et donc au développement du continent noir. Que cela ne tienne, semble-t-il, Kant voudrait d’abord que cette prise de conscience et construction  de soi de l’Africain doit tendre vers les dispositions au bien, à la vertu et à la survie de l’humanité. C’est vrai que l’homme doit se cultiver, s’améliorer, et s’il est mauvais, développer en lui-même la moralité : « l’espèce humaine doit peu à peu, par son propre effort, tirer d’elle-même toutes les qualités naturelles de l’humanité »[6]. Mais, à y regarder de près, c’est un chemin difficile. C’est ce qui sous-entend, bien entendu, que l’éduction est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. Lisons Emmanuel Kant pour l’entendre dire :

L’éducation est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. En effet, les lumières dépendent de l’éducation et à son tour l’éducation dépend des lumières. Aussi bien l’éducation ne peut-elle progresser que pas à pas et un concept exact de la structure de l’éducation ne peut être établi que parce qu’une génération lègue ses expériences et ses connaissances à la suivante et que celle-ci y ajoute à son tour quelque chose et les lègue ainsi augmentées à celle qui lui succède. […] Puisque le développement des dispositions naturelles en l’homme ne s’effectue pas spontanément, toute éducation est un art[7].

Une éducation, comme un art, qui pose les fondements d’une gestion économique fluide et une organisation politique africaine de réflexibilité, de lisibilité, d’impartialité, de proximité et donc démocratique. Dans ces conditions, René Dumont ne peut rester indifférent :

La priorité à l’éducation a une valeur économique, car on ne modernise pas un pays sans un minimum généralisé d’éducation et de connaissances. C’est aussi une priorité politique, car toute démocratie vraie requiert une masse éduquée plus intelligemment que jusqu’ici[8].

 A ces propos, nous comprenons logiquement la double valeur que l’éducation doit promouvoir dans la société africaine, c’est-à-dire elle doit d’abord être considérée comme un levier économique et puis comme un substrat pour une organisation politique tendant dans la perspective d’un État de droit. N’est-ce pas là une forme de substantialisation de l’éducation dans le développement de l’Afrique subsaharienne ? L’Afrique subsaharienne, à notre humble avis, ne devrait-elle pas éduquer et former les hommes compétents susceptibles de conduire le continent dans la voie du développement ? En quoi l’éducation nous aiderait-elle dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne aujourd’hui ? Quelles solutions peut-on trouver au moyen de l’éducation afin que le continent africain sorte de son statu quo politique ? 

L’éducation, un facteur pour amorcer la démocratie africaine ?

La démocratie rime avec l’éducation. Elle promeut que le corps politique tout entier doit accéder à l’éducation afin de comprendre non seulement la nature de ses principes, mais également ses enjeux dans l’organisation politique optimale. Donc, il ne s’agit pas d’une éducation comme privilège d’une certaine classe, mais une éducation de tous et majoritaire. Pourquoi ? C’est pour éviter la domination d’une classe sur une autre. Car, l’ignorance conduit nécessairement et inéluctablement au chemin de la domination et à la fracture de la société. René Dumont l’affirme ainsi :

En démocratie, il n’est plus permis que l’éducation reste comme elle l’est encore dans la majorité de l’Afrique, un privilège de classe – la classe de ceux qui ont un large accès au savoir et ceux qui peuvent autant mieux s’en servir pour dominer les autres que ceux-ci restent plus ignorants[9].

 En effet, la forme des esprits n’est concevable que si notre style d’éducation lui-même se réforme, se dynamise et donc devient source de développement. L’éducation constitue, à notre sens, un moyen efficace pour porter et comprendre l’urgence des pays de l’Afrique subsaharienne de promouvoir les valeurs démocratiques telles que liberté, justice et égalité. Elle est ici, semble-t-il, un levier indispensable pour construire un nouvel homme : l’homme africain conscient de sa condition, de ses enjeux relationnels au monde et de son développement. C’est pourquoi, d’ailleurs, nous parlons d’une éducation pour l’Afrique. En principe, c’est une éducation pour le présent africain qui doit se préoccuper de l’avenir et entend susciter et véhiculer les connaissances dont les effets sont des conduites et valeurs vertueuses susceptibles de raviver le sens profond de la vie démocratique en Afrique subsaharienne. Partant de là, à travers l’éducation, l’Afrique subsaharienne pourra viser la transformation, le développement et le bien-être de ses populations. Comme pour dire, l’éducation est un facteur primordial pour comprendre la nécessité de la démocratie dans la structuration de la vie politique. Ce qui garantirait une sorte d’égalité pour tout le corps politique, et donc concourait à l’intérêt général :

La montée en puissance des démocraties a besoin de s’appuyer sur une montée en puissance de l’éducation qui puisse guérir les démocraties libérales et délibératives de leur volonté de puissance logocentrique en forgent une faculté de juger démocratique qui soit à l’œuvre chez tous les partenaires sociaux[10].

 Mais malheureusement, les acteurs politiques africains semblent oublier la nécessité de l’éducation aux valeurs et aux principes de la démocratie dans la gestion étatique. Voilà, ultimement, en quoi le déficit d’éducation est, à notre sens, l’un des blocages du processus de démocratisation, du développement économique et social des sociétés africaines postmodernes. Justement, « est-il possible de réaliser les principes démocratiques dans les formes des peuples et des États tant qu’il existe un défi d’éducation ? Plus simplement, jusqu’où peut aller l’expérimentation démocratique dans la société faiblement éduquée ? »[11]. Au lieu d’accorder des budgets conséquents à l’éducation, les dirigeants africains préfèrent plutôt dépenser dans la militarisation, les voyages, les maisons et les voiture de luxe. René Dumont n’en pense pas moins : « On pourra, on devra accorder à l’éducation une plus large part du budget, aux dépens des crédits militaires, des bâtiments trop couteux, des autoroutes, des 3 V (voiture, villas, voyages) des riches »[12].

  A cet effet, les dirigeants africains ont du mal à trouver les mécanismes idoines pour mettre l’éducation à contribution du processus de démocratisation des États africains. Ils oublient que l’effectivité démocratique a besoin naturellement d’une éducation forte et dynamique. Mais ce qui importe pour eux, c’est d’orienter la démocratie dans le sens de la sphère privée. Comme pour dire, ils mettent en avant une sorte de gouvernance opaque qui accentue les inégalités sociales, suscite les conflits d’intérêts d’ordre individualiste et donc exclut toute forme d’organisation politique professant l’État de droit. D’après Pierre Nzinzi, « En Afrique, il est courant que le jeu démocratique se transforme en machine de guerre dramatique, au point que là où des élections libres et transparentes sont censées promouvoir la cohésion sociale et le respect de l’État de droit, au final, c’est paradoxalement la force des armes qui prend la place de la force du droit »[13]. En réalité, ces États africains ne prennent pas en compte les principes de la démocratie faute d’une éducation aux valeurs de l’État de droit dont laquelle devrait exister les valeurs démocratiques.

 Ceci dit, les pays africains ont adopté le régime démocratique sans au préalable aller à son école. Comment alors comprendre les enjeux des principes démocratiques ?  Même si à première vue, naturellement parlant, les africains sont des hommes politiques de naissance. Mais pour ce qui concerne la bonne gouvernance, ils deviennent plus illusionnistes que réalistes. Pourquoi ?  Parce que la politique est une science et un art et amour du prochain. Justement, il manque à l’organisation politique africaine une bonne éducation aux valeurs et aux principes de la démocratie, et au respect de la vie humaine. Car, l’acquisition de ces valeurs permet, à notre humble avis, aux hommes politiques africains d’avoir une dimension humaniste élevée pour le triomphe de la démocratie dans les États.

 La vertu et le corps politique africain

  C’est dans l’acquisition des connaissances et des valeurs vertueuses nécessaires que les hommes politiques africains pourraient devenir de bons dirigeants, en prenant en compte la volonté tout entière du peuple.  Mais qu’est-ce que la vertu ? « Par vertu, il faut entendre, ici, un attribut de la conduite humaine fondée simultanément sur la propension marginale à viser rationnellement des fins communes et sur la propension marginale à agir efficacement en vue de ces fins »[14]. De cette approche définitionnelle, il convient donc de comprendre que les deux sens de ce vocable sont consubstantiels, dans la mesure où ils tendent à rendre l’homme africain meilleur. C’est-à-dire, le fait d’éduquer notre âme à l’idée du Bien de telle sorte que chaque homme soit effectivement capable de poser un acte selon le bien, d’agir selon les lois morales et de penser le bien commun. C’est pourquoi, naturellement, « est dit vertueux, tout individu qui fait ou s’efforce de faire coïncider son agir avec des fins, personnelles et collectives »[15].

  Tout compte fait, le respect de la vie humaine sans doute est au centre de l’État de droit, et par conséquent, il doit prévaloir « tout agir politique, économique et social, et le règne du droit face à l’irresponsabilité citoyenne »[16]. Toutefois, ces vertus nécessaires sont loin d’être des valeurs des dirigeants africains. Effectivement, c’est la question de la valeur morale des hommes politiques africains qui est soulevée ici. Pour dire les choses autrement, la condition indéniable selon laquelle les autorités politiques à la tête des États africains doivent être vertueuses, afin que la souveraineté du peuple soit inviolable, indivisible et imprescriptible.

 De ce fait, l’exigence démocratique dans les États africains ne peut être pratique ou mieux encore réalisable qu’à ce prix. Par ailleurs, si le Souverain fait piètre de figure du Prince vertueux, alors il se transforme immédiatement en despote et le dialogue dans ces conditions resterait absent entre le peuple et lui. En fait, il faut savoir que la notion de vertu incarne les préceptes d’humilité, de tolérance, de dialogue et de paix. Le souci ici est de comprendre que l’homme politique africain et les citoyens doivent être tous vertueux pour la bonne marche de l’État, et donc le triomphe de la démocratie dans les  pays africains. Rousseau l’a compris lorsqu’il affirme : « sans vertu, les hommes vivent dans l’insécurité soumis à la pression des mœurs, qui président à toute éducation »[17]. Explicitement dit, la vertu doit être au cœur de la vie politique africaine postmoderne afin non seulement de proposer une éducation aux valeurs démocratiques, au respect de la dignité humaine au plus haut niveau de l’État, mais également d’éviter la démagogie, les préjugés, les sophismes politiques.

  En outre, il faut insister du fait que l’autorité politique et les citoyens qui composent les sociétés africaines postmodernes se doivent tous de réaliser dans leur for intérieur la vertu, afin d’établir une souveraineté indéniable. Dès cet instant, il importe pour eux d’exercer une rigueur quant à leur mode de vie en comprenant le sens de la responsabilité que le vivre ensemble implique. A cet égard, l’homme politique raisonnable qui cherche l’établissement d’une société africaine démocratique, nous semble-t-il, doit fuir un état d’insécurité pour chercher perpétuellement le dialogue qui est l’un des éléments constitutifs d’une vie démocratique. Pour ce faire, plus l’Africain, chacun à son niveau, aura à développer l’usage de sa raison dans le sens de l’intérêt général, plus il voudra construire une société dont les membres seraient plus libres dans une société égale et prospère. C’est-à-dire, comme l’aurait souhaité Ebénézer Njoh Mouelle[18], mettre en évidence les valeurs humanistes et déterminantes telles que la liberté et la rationalité. Plus nous serons raisonnables et libres, plus nous avons les chances de savoir ce qui est bon et avantageux pour soi et pour les autres. En effet, l’homme africain raisonnable et libre a la possibilité de faire le choix idéal qu’un homme aliéné, dans l’exacte mesure où la raison suppose la distinction du bien du mal et du vrai du faux. Voilà pourquoi, dans les sociétés africaines, les hommes se doivent de rechercher l’exigence d’une vie démocratique pour le bien commun et la conservation de leur être, en mettant en avant les principes démocratiques et les vertus nécessaires pour le développement économique et social du continent africain. 

 En principe, cet article nous amène à réaliser que chaque Africain pour la promotion d’une société démocratique, a la responsabilité de contribuer, de près ou de loin, au bon fonctionnement étatique. De ce fait, nous invitons l’ensemble de la communauté politique africaine à mettre en pratique l’idée du principe de l’éducation à la vertu, afin que soit établie une dynamique démocratique pour développer l’Afrique subsaharienne. Et celle-ci serait le fondement de toute harmonisation de la vie en société. Alors, dans la pratique de la vertu, chaque Africain à la possibilité de comprendre l’harmonie et la saisie de son être ontologique. De fait, l’existence est une action vertueuse de la liberté appelée à faire des choix décisifs : c’est la condition humaine, sa tâche authentique d’être humain, un humain vertueux et responsable vis-à-vis de lui-même et de ses engagements à l’égard de la société dans laquelle il vit. Nous sommes ici, finalement, dans une dimension ontologico-politique du sujet.  

  Somme toute, cette dimension nouménale du sujet ne se comprend que dans la vertu de la prise de conscience de soi de l’homme africain. En effet, la prise de conscience de soi englobe la possibilité et la capacité d’éveiller et de conscientiser l’Africain. C’est pour qu’il prenne ses responsabilités au niveau politique, économique et socioculturel. Ainsi, le fil d’Ariane et le socle ontologique de l’Africain postmoderne se trouve dans le penser de la vertu, et donc dans l’acte d’éduquer. Au final, la vertu doit être l’apanage de la communauté politique pour une démocratique effective et plausible de l’Afrique subsaharienne.

L’Africain libre, conscient et actif : Résurgence d’un discours panafricain iconoclaste

Il est question ici de montrer comment réveiller la conscience de soi de l’Africain et l’incorporer urgemment un discours iconoclaste pour un renouveau politique. A cet égard, c’est le texte de Gilbert Zuè-Nguéma, Africanités hégéliennes. Alerte à une nouvelle marginalisation de l’Afrique (2006), qui nous servira de support pour développer et structurer notre analyse. Ceci dit, il est temps que les Africains ne pleurnichent plus, ne s’agenouillent plus devant les Occidentaux. En effet, la marginalisation de l’Afrique doit maintenant interpeler les Africains de façon consciencieuse afin qu’ils assument leurs responsabilités. Loin de se faire hanter, comme nous le faisons, par la nostalgie des temps esclavagistes, colonialistes, néocolonialistes et impérialistes, les Africains doivent prendre conscience de la profondeur de leur potentiel, se réveiller dynamiquement et affronter tête haute leurs propres réalités et les défis mondiaux. En principe, personne ne peut penser l’Afrique  subsaharienne que les Africains eux-mêmes, et donc d’aucuns ne peuvent penser à la place des Africains.

  Pour ce faire, les Africains doivent incarner une posture politique droite, responsable et révolutionnaire. Cela passe par la prise de conscience de soi de l’homme africain, donc la nécessité d’une philosophie africaine du sujet garant d’une humanité libre, consciente et active. C’est la tâche même qui doit animer et caractériser aujourd’hui tout Africain libre et rationnel qui veut le changement de paradigme dans l’organisation politique. Lisons Gilbert Zuè-Nguéma pour l’entendre dire : « La principale tâche qui incombe au philosophe africain actuel c’est de penser la modernité de l’Afrique à l’heure de la mondialisation économique et du libéralisme triomphant. Cela revient à penser en priorité l’individu africain en tant que sujet, c’est-à-dire en tant qu’être humain libre et actif »[19]. Pour raison, c’est pour sortir du schéma pessimiste et fataliste que l’homme africain n’ait jamais cessé d’afficher face aux défis mondiaux. Le temps est maintenant pour l’homme africain d’assumer sa condition humainement libre, consciente et active. C’est sa véritable réalité existentielle, qu’il le veuille ou non.  Gilbert Zuè-Nguéma le note avec pertinence que «  c’est le défi qu’il est contraint de relever d’urgence parce que les populations africaines sont acculées au désespoir par la mondialisation économique actuelle »[20].

Ce que l’Africain ignore, nous semble-t-il, c’est que se lamenter sur son passé si dramatique qu’inhumain constitue un labyrinthe au décollage économique et politique alors que ce passé doit être un levier pour booster son développement et celui de son milieu.  Aujourd’hui, il s’agit de comprendre qu’il est possible qu’il se prenne non seulement en charge, mais également de savoir que « les mêmes problèmes qui préoccupent l’Europe, l’Amérique ou l’Asie se posent avec la même acuité en Afrique »[21]. C’est l’entrée de l’homme africain dans une nouvelle ère, celle de la prise de conscience de soi et de sa condition existentielle réelle. Voilà, ultimement, en quoi la restructuration de la formation de l’individu africain apparaît donc salvatrice et énonciatrice du renouveau politique en Afrique subsaharienne. Parce que l’éducation, voire la formation de l’Africain, permet effectivement non seulement de poser de nouvelles bases de la construction de soi, mais aussi de faire face aux défis mondiaux, à la mondialisation et au libéralisme. Pour ainsi dire, la formation de l’individu africain constitue à la fois un défi économique, politique et social.

  A cet égard, pour ostraciser ou occulter l’éternelle problématisation du sous-développement en Afrique subsaharienne, il faut promouvoir une éducation de qualité en tant que « vectrice des valeurs des libertés, du respect de nos différences, promotrice des droits de l’homme et de la vie, de l’égalité pour tous »[22], note pertinemment Léon Matangila. L’Afrique devrait ainsi former son peuple, l’initier à la possibilité et à la capacité de se prendre en charge afin de répondre aux attentes internes et s’affirmer sur la scène internationale. C’est la construction de l’homme africain responsable et compétitif, avec des têtes bien faites et non seulement bien pleines[23]. Il s’agit ici de promouvoir l’Africain qui cultive le goût de l’effort, apte à résoudre les problèmes de la société et à répondre aux problématiques actuelles et  avenir. Mais aussi et surtout, bien évidemment, l’Africain responsable, prompt au jugement et à la critique.

Dans cette perspective, la formation de l’homme africain doit mettre en exergue l’accent sur la prise de conscience de soi et collective, les valeurs démocratiques et les principes recouvrant une gouvernance d’intérêt général des membres du contrat social : « mettre l’accent sur la démocratie, les risques des dérives autoritaires et dictatoriales, l’éveil de la conscience commune et nationale, du sens du bien commun, les principes de la bonne gouvernance »[24]. A l’évidence, il apparaît donc fort probable que la nécessité de la prise de conscience de soi de l’Africain, voire sa formation est une urgence et un impératif pour le développement de la démocratie authentique et efficace en Afrique subsaharienne. Oui, « Il faut penser l’homme africain et le former en conséquence, non en tant que simple individu mais comme sujet, celui qui fonde son action sur sa décision souveraine »[25]. Dans ces conditions, on peut maintenant prévaloir avoir un Africain comme « sujet de droit (propriétaire), sujet moral (conscience), membre d’une famille, d’une corporation professionnelle et d’une classe sociale et enfin … citoyen d’un État rationnellement organisé »[26]. En un mot, c’est l’émergence de l’individu africain actuel et futur que doit viser les États de l’Afrique subsaharienne. Fini l’Africain passif, aliéné et pleurnichant devant la face de la communauté internationale ! Cet homme africain est maintenant capable de dire non aux manipulations politiques et à d’autres formes du nouveau colonialisme occidental. Parce qu’il est dorénavant conscient de sa condition existentielle et du fonctionnement de la sphère politique nationale qu’internationale.

 En outre, la valorisation de la connaissance de soi est donc capitale du renouvellement et de l’effectivité de l’intelligence de l’Africain éveillé. C’est l’incarnation optimale de la maxime socratique « Connais-toi toi-même », qui doit réveiller l’Africain de son sommeil dogmatique. Une connaissance de soi valorisant sa connaissance, son éveil profond et dynamique, et non une simple introspection individuelle et anodine. A cet effet, il revient donc à l’Africain, conscient et formé, de se servir de son entendement pour élargir son champ de vision rationnelle et politique afin de réaliser le développement de l’Afrique subsaharienne. Car : « La connaissance ou seulement l’intuition que les Africains ont d’eux-mêmes peut conduire à une philosophie qui ne se contente pas d’être ou simplement analytique ou simplement descriptive »[27], mais dont l’ambition est  la pensée comme l’être qui se pense soi-même et pense son environnement. Comme pour dire, la valorisation de la connaissance de soi par les Africains eux-mêmes doit viser le rétablissement individuel de l’idéal selon lequel les Africains sont des êtres dotés d’intelligence et de volonté, et donc peuvent construire leur continent. Car : « Par intelligence, ils peuvent discerner le positif et le négatif dans une situation confuse et fonder une action ; par volonté, ils peuvent mettre en œuvre leur sens pratique pour faire valoir leurs choix »[28].

A ces propos, nous avons là une sorte de déterminisme et de réalisme d’une philosophie africaine dynamique montrant que les Africains peuvent et sont capables de penser librement, d’agir efficacement, et d’organiser rationnellement leur environnement politique sans s’aliéner à l’impérialisme occidental. Gilbert Zuè-Nguéma le note avec pertinence que « Tel peut être le premier résultat visé par une philosophie africaine du sujet actif : élever l’intuition de soi des Africains à la connaissance de soi comme des esprits libres, c’est-à-dire comme des êtres qui savent penser et qui sont capables d’agir »[29]. Au final, l’Africain libre, conscient et actif doit être capable de penser l’organisation politique de son continent en prenant en compte ses propres réalités et les réalités extérieures. En effet, il faut manifestement comprendre que :

L’esprit libre, dans la Philosophie de l’esprit, est dans l’objectivité sienne en tant que sujet de droit, sujet moral, membre d’une organisation sociale ou politique. Une philosophie africaine du sujet actif doit, se référant à ce schéma, poser et formaliser la question des rapports des Africains au droit, à la morale et à la politique[30].

  Il convient donc ici de chercher à établir fondamentalement le rapport entre l’individu africain et la société africaine actuelle autour de trois problématiques respectives, à savoir : la question juridique, la question éthique et la question politique, estime Gilbert Zuè-Nguéma. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la question juridique est la mise en évidence du « fondement et la valeur de la loi dans l’Afrique d’aujourd’hui »[31], ensuite la question éthique permet de comprendre « le sens actuel de l’éthique chez les Africains : cela met en jeu leurs cultures populaires et leurs traditions et les soumet en même temps à la nécessité de mettre leurs valeurs traditionnelles en compétition avec les valeurs éthiques du monde présent »[32], et enfin la question politique consiste à saisir « le fondement de l’État dans l’Afrique actuelle et sa pratique des institutions : ce qui confronte la vie politique africaine de l’heure à ce qui se fait ailleurs dans le monde au même moment et dans le même domaine »[33].  En somme, l’esprit libre, conscient et actif de l’individu africain doit sous-tendre une vision du développement en s’adaptant aux réalités nouvelles et en comprenant ses propres situations. C’est justement par ce processus que l’Afrique subsaharienne pourrait répondre présente à une communauté soudée, aux défis mondiaux et à une évolution sans précédent au même titre que d’autres continents. En réalité, Gilbert Zuè-Nguéma le note pertinemment :

Il faut donc se convaincre que les sociétés africaines, au même titre que toutes les autres, sont contraintes d’évoluer, certes non pas au même rythme qu’elles mais un peu plus vite que d’habitude. Si cette nécessaire évolution s’amorce, se confirme et s’accélère quelque peu, il faudrait alors à l’homme d’action africain d’assumer conjointement les traditions locales et les exigences mondiales[34].

  C’est pourquoi, manifestement, nous pensons que la formation de l’individu africain libre, conscient et actif s’impose inéluctablement comme une urgence et nécessité de l’action politique africaine contemporaine dynamique.

Conclusion : L’optimisme d’un renouveau politique africain

La dégradation de la démocratie en Afrique subsaharienne n’est pas fataliste, ni une situation éternelle. On a l’optimisme que le nouveau paradigme d’une organisation politique africaine rationnelle et professant l’État de droit pourrait être possible. C’est au moyen de l’éducation, comme on l’a vu, que ce renouveau politique africain trouvera son accomplissement. Dans l’exacte mesure où l’éducation est le substrat de la démocratie. Pourquoi ? Parce que, à notre sens, toute démocratie requiert une éducation fondamentale des membres du corps politique ou du contrat social aux valeurs cléricales, aux principes organisationnels étatiques et aux valeurs morales. Dans ce cas, il faut être allé à l’école de la démocratie pour connaître son fonctionnement, apprendre à connaître réellement et profondément la finalité de la liberté et de la rationalité, et acquérir la vertu pour comprendre la primauté de sacraliser la vie humaine. C’est pourquoi, bien évidemment, nous pensons que ceux qui sont censés diriger l’État en Afrique doivent développer les dispositions naturelles au bien. Parce que la Nature les a mises en eux toutes inachevées, incomplètes, esquissées et donc ce sont des dispositions sans la marque distinctive de la moralité. Or, les dirigeants africains ont ostracisé ces dispositions naturelles et l’éducation en professant l’inclination devant l’injuste devenu maître du monde.

  A l’évidence, pour une organisation politique optimale visant l’État de droit, le dirigeant africain doit d’abord s’améliorer lui-même, se cultiver lui-même, et s’il pense qu’il peut mal diriger ou faire abstraction au bien commun, il doit s’efforcer à développer en lui-même la moralité. Voici, nous semble-t-il, le sacerdoce que doit prévaloir tout leader politique africain. Car, l’éducation un facteur salvateur et transformateur de l’homme. Mais le problème, bien sûr, c’est que ce ne pas chose aisée ni donnée d’emblée. Kant n’en pense pas moins :

L’éducation est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. En effet, les lumières dépendent de l’éducation et à son tour l’éducation dépend des lumières. Aussi bien l’éducation ne peut-elle progresser que pas à pas et un concept exact de la structure de l’éducation ne peut être établi que parce qu’une génération lègue ses expériences et ses connaissances à la suivante et que celle-ci y ajoute à son tour quelque chose et les lègue ainsi augmentées à celle qui lui succède. […] Puisque le développement des dispositions naturelles en l’homme ne s’effectue pas spontanément, toute éducation est un art[35].

  Dès lors, on peut donc manifestement prétendre que l’éducation est un moyen efficace qui empêcherait que les dirigeants africains soient détournés de leur bonne nature en soi, du progrès de l’humanité et de l’affirmation de l’État de droit en Afrique subsaharienne, par la prédominance de leurs passions et de la primauté des intérêts individualistes. In fine, si pour Kant, « C’est d’une bonne éducation que naît tout le bien dans le monde ». Alors, nous le pensons, sans cette bonne éducation aux sphères de la gouvernementalité en Afrique subsaharienne, semble-t-il, la démocratie et le développement tant entendus resteraient une chimère. Ainsi, ce n’est que par l’éducation que chaque Africain comprendra sa véritable nature supposée incarner les capacités d’esprit, d’entendement, et la dimension réelle de la liberté.

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[1] Jacqueline Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Éditions Bordas, 1991, p. 83.

[2] Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation,  Paris, Éditions Garnier-Flammarion, 1996, p. 36.

[3]Ibid., p. 37.

[4] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, traduction Alexis  Philonenko, Éditions Vrin, 1980, p. 73.

[5] Emmanuel Kant, Réflexions sur l’éducation, traduction Alexis Philonenko, Paris, Éditions Vrin, 1967, p. 69.

[6] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, Op. cit., p. 70.

[7] Ibid., p. 77-80.

[8] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 257.

[9] Ibid., p. 257.

[10] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Op. cit., p. 13.

[11] Pierre Nzinzi, « Éducation et démocratie dans les sociétés postmodernes africaines et européennes », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 9.

[12] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Op. cit., p. 257-258.

[13] Pierre Nzinzi, Op. cit., p. 8-9.

[14] Jean-Rodrigue-Elisée Eyené Mba, « L’éducation à l’exercice de la souveraineté et aux valeurs de l’État de droit comme fondement de la nouvelle rationalité économique en Afrique postmoderne », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014,  p. 119. 

[15] Ibid., p. 120.

[16] Ibid., p. 119.

[17] Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., p. 19.

[18] Lire à ce sujet, Ebénézer John Mouelle, De la médiocrité à l’excellence, Yaoundé, Éditions CLE, 1972.

[19] Gilbert Zuè-Nguéma, Africanités hégéliennes. Alerte à une nouvelle marginalisation de l’Afrique, Paris, Éditions L’Harmattan, 2006, p. 222.

[20] Ibid., p. 222.

[21] Ibid., p. 222-223.

[22] [22] Léon Matangila, « L’éducation à l’interculturalité, condition pour l’essor des démocraties en Afrique », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 168.

[23] Ibid., 169.

[24] Ibid., 171.

[25] Gilbert Zuè-Nguéma, Op. cit., p. 223.

[26] Ibid., p. 224.

[27] Ibid., p. 226.

[28] Ibid., p. 226-227.

[29] Ibid., p. 227.

[30] Ibid., p. 227.

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Ibid., p. 232.

[35] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, Op. cit p. 77-80.

L’européanisation des levées de fonds en crowdfunding doit interpeller l’Afrique

Par Jean-Yves Régis Naka, cadre financier basé en Côte d’Ivoire, auteur de l’ouvrage « Le financement participatif : enjeux de développement pour l’Afrique« 2022, l’Harmattan.

Pensant avoir tourné le dos à la crise sanitaire, le continent africain subit à nouveau un ralentissement dans sa marche vers le développement, en raison du conflit russo-ukrainien. En effet, depuis quelques mois, les Africains assistent impuissants à la flambée du coût de la vie. Dans cette tourmente, l’ironie de l’histoire est que ce n’est que maintenant que certains comprennent mieux l’importance de l’autosuffisance alimentaire. Il faut dire que la crise inflationniste qui sévit actuellement en Afrique vient accentuer déjà une situation fragilisée par la crise du COVID-19 et marquée par la hausse de la pauvreté, de la menace terroriste et des impacts liés aux changements climatiques.

Toutefois, si l’on fait l’effort d’examiner la situation ne serait-ce qu’avec un brin d’optimisme, les inquiétudes s’atténuent devant le constat suivant : les crises économiques font partie intégrante des cycles auxquelles nos économies sont confrontées et elles finissent par passer. De plus, chacune d’entre elles ouvre de nouvelles opportunités. A titre d’exemple, c’est la crise financière de 2008 qui a propulsé l’industrie du financement participatif ou crowdfunding (en anglais). Dans un contexte de raréfaction du crédit et d’émergence des réseaux sociaux, a émergé le besoin de repenser la finance et le fruit de ce travail à favoriser la mise en service de plateformes dédiées à des levées de fonds en peer-to-peer, c’est-à-dire des lieux d’échanges en ligne où des internautes peuvent financer directement un projet ou une cause partagée par d’autres internautes.

A l’heure où il est question d’imaginer l’Afrique de demain, il est important d’actualiser la stratégie de déploiement des projets phares de l’Agenda 2063 (Agenda de l’Union Africaine) et d’œuvrer davantage afin que les plateformes de financement participatif du continent puissent pleinement jouer leur rôle en tant qu’outil formalisé de financement du développement.

En Afrique subsaharienne, l’intérêt est de plus en plus croissant pour le financement participatif. Mais, bien que l’évolution des levées de fonds ait connu une hausse spectaculaire de près de 481 % en 3 ans (2018-2020), les fonds collectés au niveau local restent faibles. Sur un marché estimé à 1,2 milliards de dollars en 2020, seulement 3% de ces fonds levés sont effectués sur des plateformes locales.

A ce jour, plusieurs obstacles tels que l’absence de réglementation sont pointés comme étant responsables de cette situation. Le dernier rapport (2022) de McKinsey sur l’état de l’adoption du digital en Afrique relève à ce titre que « naviguer dans un environnement réglementaire incertain » n’est pas favorable au succès des fintechs. Par conséquent, il est impérieux de trouver des solutions à ces blocages visant à accroître la mobilisation de capitaux locaux et l’expérience acquise en la matière sur d’autres marchés qui peuvent servir de boussole.

Cet article vise à présenter les innovations du marché européen du financement participatif et à monter comment l’Afrique pourrait s’en inspirer pour accélérer son développement.

Le marché du financement participatif en Europe

Au fil du temps, l’Europe a réussi à créer le plus grand espace économique du monde sans frontière, avec près de 500 millions de citoyens. Sur ce marché unique, le crowdfunding connaît un succès indéniable. Il faut savoir que le financement participatif consiste à mettre en relation au moyen d’une plateforme technologique, des porteurs de projets cherchant du financement et des investisseurs/contributeurs disposés à apporter des fonds pour leur réalisation.

Aujourd’hui, cette pratique est devenue courante dans plusieurs secteurs, notamment les énergies renouvelables et l’immobilier dans l’ensemble des vingt-sept (27) Etats membres de l’Union européenne (UE) ainsi que trois (3) Etats membres de l’Espace économique européen à savoir, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.

Au cours des dix (10) dernières années, les plateformes de crowdfunding ont connu une croissance significative en Europe. En effet, leur nombre est passé de 200 plateformes en 2012 à près de 800 aujourd’hui[1][2]. Cette évolution spectaculaire se note également en termes de levées de fonds. Selon les statistiques du Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), le volume du marché européen de la finance alternative (y compris le Royaume-Uni) a connu une évolution importante de 2013 à 2020, passant de 1,5 milliard de dollars en 2013 à 22,6 milliards de dollars en 2020[3].

Si le marché progresse bien en Europe, c’est d’abord parce que le grand public y adhère massivement et que d’importantes mesures d’accompagnement aient été prises par les pouvoirs publiques. Il faut aussi dire que dans cette partie du monde, les citoyens éprouvent de plus en plus un besoin de contribuer positivement à l’économie proximité[4]. Les plateformes jouent simplement leur partition et parmi les trois grandes formes de financement participatif proposées qui sont le prêt, le don et le capital (equity), la plus populaire est le prêt (crowdlending) qui représente 85 % du volume total des fonds levés.

L’envolée du crowdfunding en Europe n’est pas prête de s’arrêter de sitôt. Selon des estimations, le marché européen devrait enregistrer un taux de croissance annuel moyen de 6,30 % jusqu’en 2027 grâce aux efforts des opérateurs pour attirer davantage de jeunes ainsi qu’au développement de l’économie de proximité[5].

La règlementation européenne

En raison de la nature des activités, le financement participatif est soumis à la réglementation bancaire et financière. Un encadrement juridique spécifique a donc été nécessaire pour accélérer le développement du marché.

En 2012, les Etats-Unis ont donné le ton avec l’adoption du JOBS Act et les pays européen ont suivi par la suite. Par exemple, en 2014, la France a introduit deux régimes pour réguler les activités en prêts et en capital à savoir, les statuts de conseiller en investissements participatifs (CIP) et d’intermédiaire en financement participatif (IFP).

Toutefois, du fait des différences observées aux niveaux des cadres nationaux, un nouveau défi est apparu rapidement : celui d’étendre dans la commercialisation des opportunités d’investissement aux investisseurs en dehors des pays de résidence.

Il fait état que les États européens dont les marchés de capitaux nationaux sont plus petits (c’est-à-dire les pays baltes, l’Europe de l’Est, les Balkans) sont plus dépendants des flux transfrontaliers que les marchés dont les marchés de capitaux nationaux sont importants (c’est-à-dire la France, l’Allemagne…)[6].

Pour donner ainsi l’opportunité aux opérateurs de plateformes d’exploiter pleinement le potentiel du marché unique, l’UE a mis en application le 10 novembre 2021 son cadre réglementaire dénommé European Crowdfunding Service Provider Regulation (ECSPR) (règlement UE 2020/1053). En établissant un ensemble harmonisé de lignes directrices, le nouveau règlement crée des conditions de concurrence égales pour les plateformes de crowdfunding dans l’UE.

Le dynamisme des associations professionnelles

Au-delà des aspects juridiques et des opportunités de marché, l’industrie européenne du crowdfunding doit également sa percée à la vitalité des associations et réseaux professionnels engagés à ses côtés.

La capacité d’un opérateur à organiser une levée de fonds pour le financement d’une activité en soi ne sert pas l’économie. Cela représente certes une avancée technologique appréciable en termes de modernisation des outils de collecte de l’épargne, mais sans utilisateurs, la plateforme n’a pas de valeur. Ce sont à la fois les porteurs de projets et les soutiens (investisseurs et contributeurs) qui créent de la valeur.

Il est donc essentiel de susciter de l’intérêt pour les plateformes et ceci constitue l’une des missions principales des associations. Elles jouent un rôle important dans la promotion du concept crowdfunding dans sa globalité. Ensuite, en fonction de ses besoins et orientations, le citoyen éclairé se redirigera vers la plateforme qui lui parait la plus appropriée.

Les associations contribuent aussi au développement des compétences des acteurs du secteur à travers l’organisation d’ateliers et de forums pour échanger sur les bonnes pratiques. Quasiment dans chaque pays, des associations dédiées à la finance participative ont vu le jour et constituent ainsi des groupes de pression pour la défense des intérêts des plateformes face aux pouvoirs publics en particulier les régulateurs pour faire progresser la filière. C’est le cas de Bundesverband Crowdfunding eV, en Allemagne, de Spain Crowdfunding en Espagne, de Associazione Italiana Equity Crowdfunding en Italie, etc.

S’il est vrai que les plateformes de financement participatif accompagnent les initiatives publiques et privées d’une manière admirable, il est néanmoins important d’en connaître l’impact pour mieux apprécier leur plus-value. La mesure du poids économique des acteurs est de ce fait une tâche importante que se sont assignées certaines associations.

Prenons le cas de la France avec son association Financement Participatif France (FPF). Il est fait état qu’en 2022 le pays a enregistré un record dans les collectes de fonds en crowdfunding, avec plus de 2,3 milliards d’euros levés pour plus de 120.000 projets financés. Depuis 2015, le financement participatif global dans ce pays a été́ multiplié par 14 pour un total cumulé de 7 milliards d’euros[7]. Si on est bien d’accord que ces chiffres permettent de relever l’importance de l’industrie dans la vie sociale et économique du pays, il ne faut pas ignorer que c’est l’œuvre de l’association française et de son partenaire Mazars. Depuis 2013, Financement Participatif France fournit des données statistiques en rapport avec l’évolution du secteur au niveau local, à travers la publication d’un baromètre.

Au niveau européen, le continent compte un réseau professionnel puissant l’European Crowdfunding Network (ECN) qui est également impliqué dans plusieurs projets financés par l’UE visant à sensibiliser et à développer l’utilisation du crowdfunding. Ceci traduit assurément la profondeur de l’intégration régionale en Europe et le niveau de maturité du marché du financement participatif sur ce continent, où l’ensemble de l’écosystème a compris que le développement de l’intérêt collectif permettra à terme d’accroître les performances individuelles.

L’Afrique compte à ce jour quelques associations régionales dont la plus importante est l’African Crowdfunding Association (ACfA). D’importants efforts sont encore nécessaires pour susciter davantage l’appui politique et l’engagement citoyen.

La révolution digitale en Afrique

Dans Le Digital Au Secours de l’Afrique, l’ingénieur béninois Sophonie Koboude appréhende l’évolution du monde à partir du 18ème siècle, sous l’angle des révolutions industrielles. Cette approche permet de tirer deux enseignements essentiels : « Le premier grand enseignement est que l’émergence d’un nouveau système technique, bien qu’en ne supprimant pas les symboles techniques du système technique précédent, change les genres de vie à travers des transitions radicales dans la façon de produire, de consommer, d’organiser les entreprises et le système productif. Le deuxième enseignement est en effet un corollaire du premier. Le déploiement d’un nouveau système technique modifie l’ordre des puissances économiques ou, a minima, le poids relatif des économies[8]». A présent, nous vivons dans l’ère de la révolution digitale et c’est une aubaine pour le continent à condition, selon l’auteur, d’avoir un cap qui définit clairement l’horizon africain digital et s’inscrit dans le monde que fait émerger l’informatisation.

Il n’est pas difficile de se rendre compte du pouvoir du digital en Afrique. On assiste depuis plusieurs années, avec le concours d’acteurs locaux, à différents sauts numériques « leapfrogs » qui ont transformé le continent dans tous les secteurs.

Dans la finance digitale, le crowdfunding a encore beaucoup de place pour son expansion quand on sait bien que la question de financement demeure un véritable défi pour les microentreprises et les petites et moyennes entreprises (PME). Même dans les économies avancées, le déficit de financement des entreprises est bien plus élevé que l’on pense.

Selon une enquête de la Commission européenne, une PME européenne sur quatre (1/4) rencontre des difficultés pour obtenir un prêt auprès des institutions bancaires[9]. Les plateformes exploitent ainsi cette faiblesse du système financier pour se développer. A cet effet, d’après le CCAF, les plateformes de crowdfunding en Europe, hors Royaume-Uni, ont levé 4,3 milliards de dollars pour les entreprises en 2019 et 5,2 milliards de dollars en 2020. Les volumes de financement axés sur les PME ont augmenté régulièrement au cours des dernières années, le financement des entreprises représentant 35 % du volume total en 2019 et 52 % du volume total en 2020[10].

L’Afrique gagnerait beaucoup à continuer à miser sur le digital en intégrant dans son dispositif les plateformes de crowdfunding pour formaliser la générosité de ses populations, qui le sait-on est légendaire, en vue de soutenir la transformation économique.

L’avènement de la ZLECAF

La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est devenue le maître mot en Afrique aujourd’hui. Pendant que certains acteurs y voient des possibilités d’expansion de leurs activités grâce à cette ouverture sur l’ensemble des pays du continent, d’autres voient un chemin pour exister, tout court.

Cependant, au-delà de l’effet de mode, il y a une réelle volonté des décideurs politiques de transformer l’Afrique en puissance mondiale de l’avenir et cet esprit se retrouve dans la vision panafricaine partagée, à savoir : « Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène mondiale ».

La ZLECAf est une des initiatives clés, identifiées par l’Union Africaine comme essentielle pour accélérer la croissance économique et le développement de l’Afrique, ainsi que pour promouvoir l’identité commune. Sa réalisation sera une grande réussite pour le continent mais également elle va faciliter celle d’autres projets qui englobent, entre autres, les infrastructures, l’éducation, la science, la technologie, les arts et la culture, ainsi que des initiatives visant à garantir la paix en Afrique.

La zone représente aussi une opportunité pour stimuler le marché africain du crowdfunding au regard des expériences observées dans d’autres endroits du monde en terme déploiement de grands projets. En 2019, l’Union européenne a décidé à travers son Pacte vert pour l’Europe d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. L’idée est d’arriver à un équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption du carbone dans l’atmosphère par les puits de carbone. Fait important, pour atteindre cet objectif, le financement participatif a été identifié comme un axe complémentaire pour mobiliser des ressources mais aussi pour susciter la participation du grand public. Selon des acteurs locaux : «si les citoyens sont associés au développement des énergies renouvelables par le biais d’un financement participatif, ils accepteront plus facilement les infrastructures d’énergie renouvelable dans leur région et auront l’impression d’être véritablement partie prenante[11]». Il y a de nombreuses illustrations de la contribution des plateformes au développement des énergie vertes et la centrale solaire de Torreilles située dans le sud de la France en est un exemple. La construction de cette centrale d’une capacité de 9.6MW a nécessité l’apport de 800.000 euros, collectés sous forme de prêt participatif à un taux annuel de 5% pour une durée de trois ans à travers deux plateformes européennes Lumo (France) et Oneplanetcrowd (Pays-Bas). Grâce à l’appui de 480 investisseurs, 5.200 foyers ont eu accès à une source d’énergie renouvelable.

Pourquoi l’Afrique ne pourrait-elle pas elle aussi solliciter le concours de ses plateformes de crowdfunding dans la réalisation de ses grands projets ? Même dans le cas de la ZLECAf, les plateformes pourraient être mises à contribution pour stimuler les échanges commerciaux intra-africains en facilitant l’accès aux start-ups. C’est assurément de ce type d’interventions que le juriste camerounais Beauclair Njoya Nkamga appelle de tous ses vœux quand il fait allusion au renforcement de l’élan de la ZLECAf dans son ouvrage Présentation et procédures en Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Il y souligne, en même temps, l’importance de simplifier le narratif autour de ce concept continental et d’en faire une bonne vulgarisation pour faciliter son appropriation par les populations et acteurs économiques privés, institutionnels et consulaires[12].

Les priorités africaines

L’adoption d’une réglementation européenne pour le crowdfunding va sans conteste dynamiser le marché et accroître la capacité d’impact des plateformes sur l’économie réelle. Les plateformes africaines, elles aussi, bénéficieraient, grandement d’une reforme de cette envergure pour le continent à long terme. Mais pour l’heure, force est d’admettre que les priorités sont ailleurs.

Le premier défi que doivent relever les plateformes africaines est d’attirer plus massivement les citoyens vers elles. Bien vrai qu’il ait une hausse des fonds mobilisés, le financement participatif est encore nouveau sur le continent et les populations sont peu impliquées dans ces levées de fonds. Il n’y a pas que la méfiance qui justifie cette situation mais, aussi le manque de connaissance.

Le développement des plateformes s’accompagne également d’une variété de spécialisations, ce qui peut entraîner plus de confusion à la fois du côté des porteurs de projets que des investisseurs/contributeurs. Il peut arriver dans certains cas que le champ de spécialisation d’une plateforme s’applique à plusieurs catégories. Prenons le cas du crowdfunding immobilier, par exemple. En fonction de la spécialisation de la plateforme, il peut s’agir d’une opération en equity crowdfunding immobilier ou en prêt participatif immobilier. Dans le premier cas, l’investisseur s’engage dans un projet immobilier en échange d’actions et peut récupérer sa mise à la vente du bien. Dans le second cas, l’internaute prête un des fonds pour la réalisation d’un projet et sera remboursé selon un échéancier prévu dès le départ. En effet, tout ceci ne saurait que complexifier la compréhension pour certains.

Le crowdfunding a le potentiel de croître plus rapidement qu’on ne le pense en Afrique. Il est donc important d’accroître la sensibilisation sur les conditions d’utilisation des plateformes pour susciter une plus grande participation des citoyens africains. Pour démarrer une activité, les porteurs de projets ont l’habitude de recourir à des appels aux dons dans leur entourage, cercles familiaux et amicaux. Mais la limite dans ce schéma, c’est que celui ou celle qui n’a pas un bon réseau au départ n’a pas le droit de rêver.

C’est d’ailleurs ce besoin de contribuer à améliorer l’accès au financement en Afrique qui a motivé la publication de mon ouvrage Le financement participatif: Enjeux de développement pour l’Afrique. De plus, dans cette publication, cinq (5) axes de réflexions ont été partagés pour créer des conditions de marché plus favorable au développement de ce mécanisme. Il s’agit entre autres du renforcement d’initiatives de cofinancements, notamment avec les acteurs institutionnels ; l’accélération la réglementation des plateformes de financement participatif ; la création de communautés financières plus grandes ; le développement des labels de qualité́ ; et la mise en place de programmes de renforcement des capacités pour les porteurs de projets.

Jean-Yves Régis Naka est expert financier, essayiste et co-fondateur de Guanxi-Invest – la première plateforme de financement participatif en Afrique Centrale.

Bibliographie

Autorité des marchés financiers. 2015. Union des marchés de capitaux: Financement participatif (crowdfunding). 2015.

Koboude, Sophonie. 2021. Le digital au secours de l’Afrique. Norderstedt : s.n., 2021. 9782380672152.

McKinsey & Company. 2022. Fintech in Africa: The end of the beginning. 2022.

Naka, Jean-Yves R. 2022. Le financement participatif: Enjeux de développement pour l’Afrique. s.l. : Editions L’Harmattan, 2022. 978-2140267666.


[1] European Crowdfunding Network, A Framework for European Crowdfunding, October 2012, P. 21

[2] Max Crowdfund, European Crowdfunding Market Outlook 2023, January 24, 2023

[3] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 70

[4] Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE) français, l’économie de proximité se définit d’abord comme un mode d’organisation de l’économie autour de la relation directe : relation des entreprises avec les consommateurs, relations entre entreprises, ancrage dans la vie locale. Son objectif est d’augmenter le bien-être en valorisant le territoire par les acteurs qui l’habitent et pour eux. Elle se définit ensuite par son rapport au développement local.

[5] Mordor IntelligenceIndustry Reports, EUROPE CROWD LENDING AND CROWD INVESTING MARKET – GROWTH, TRENDS, COVID-19 IMPACT, AND FORECASTS (2023 – 2028)

[6] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 85

[7] Baromètre du crowdfunding en France 2022, Mazars – Financement Participatif France

[8] Koboude, Sophonie. 2021. Le digital au secours de l’Afrique. Norderstedt : s.n., 2021. P.31-32

[9] Mordor IntelligenceIndustry Reports, EUROPE CROWD LENDING AND CROWD INVESTING MARKET – GROWTH, TRENDS, COVID-19 IMPACT, AND FORECASTS (2023 – 2028)

[10] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 79

[11] Projet: CrowdFundRES – Le crowdfunding, la solution idéale pour stimuler les projets d’énergie renouvelable – C’est un des projets financés par les programmes‑cadres de l’UE pour la recherche et l’innovation

[12] Beauclair Njoya Nkamga. 2022. Présentation et procédures en Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). P. 20

Sur la lancinante question de la démocratie en Afrique

L’édition 2022 de l’indice de démocratie du groupe de presse britannique The Economist qui a été publiée en février 2023 fait état d’une stagnation démocratique globale au cours d’une année marquée, d’une part, par la guerre en Ukraine et, d’autre part, l’absence de renouveau démocratique suite aux restrictions de libertés liées au COVID-19. Selon l’indice de démocratie 2022, 8 % de la population mondiale dans 24 pays vivent dans une démocratie complète, 37,3 % dans 48 pays dans une démocratie imparfaite, 17,9 % dans 36 pays dans un régime hybride et 36,9 % dans 59 pays dans un régime autoritaire. Concernant l’Afrique, le classement identifie seulement une seule « démocratie complète » – l’île Maurice – et six « démocraties imparfaites ». Dit autrement, étant donné que ledit indice se base, pour l’Afrique, sur un échantillon de cinquante pays, il y a donc quarante trois pays en Afrique qui sont considérés comme des régimes hybrides ou autoritaires. Voilà le fait majeur! Il est euphémique de dire que le portrait du continent africain en matière de « démocratie » brossé par The Economist est peu reluisant. Toute personne n’écoutant pas l’actualité africaine d’une oreille distraite sait que la « démocratie », si obscure et nébuleuse que soit sa définition, est fragile dans le contexte africain. Qu’on se souvienne du fait selon lequel, depuis 2000, onze chefs d’Etat africains ont changé leur Constitution pour rester au pouvoir. Qu’on se souvienne du fait selon lequel, dans une ambiance de « désillusion décromatique », quatre coups d’État se sont succédé, d’août 2020 à janvier 2022, en Afrique francophone : au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso. Donc, que le groupe de presse The Economist dise, à travers son indice, que la « démocratie » va mal en Afrique, voilà une chose qui ne surprend guère. Et, c’est de là que part la raison d’être de cette tribune.

Sans me lancer dans une benoîte entreprise de critique des systèmes d’évaluation de l’état de la démocratie comme celui de The Economist, je veux faire remarquer que ces indices ne mesurent pas les processus démocratiques en eux-mêmes mais leurs aboutissements (libertés politiques, administrations non corrompues, etc.). Les soixante critères regroupés en cinq catégories sur lesquels est fondé l’indice de démocratie mesurent les démocratisations « par le haut » et ignorent complètement les démocratisations « par le bas » soit les processus endogènes construits par les associations, les lanceurs d’alerte, les web activistes, etc. Pour être clair, The Economist fait une « photo » de l’état de la démocratie ; ce qui est fort utile pour les grandes démocraties occidentales mais peu utile pour le contexte africain en raison de ce que l’Afrique est en démocratisation. Les gens de science comprendront que je fais valoir ici le couple statique/dynamique. Une vision statique est peu informatrice. C’est la dynamique du processus de démocratisation africaine qu’il faut chercher à comprendre. Car, un État parvient à un régime démocratique durable si et seulement si cet état de choses résulte des contradictions internes du corps social. Pour saisir cela, remontons à la naissance de la démocratie dans la Grèce antique.

L’on sait, grâce à Arnold Toynbee, qu’à la fin du VIII siècle av. J.-C, il y a eu un problème de surpopulation (excès de population par rapport aux moyens de subsistance) dans plusieurs cités-États grecques. Face à cette crise, les différents cités-États ont réagi différemment.  Certains comme Chalcis et Corinthe ont employé leur surplus de population à coloniser des terres cultivables au-delà des mers – en Sicile, en Thrace, en Italie du Sud et ailleurs. En revanche, d’autres cités-États ont cherché des solutions qui ont entraîné des changements profonds dans leur « superstructure ». Sparte était à l’origine une cité-État composée d’agriculteurs. Avec l’augmentation de la population, les Spartiates ont eu besoin de plus de terres à cultiver. Pour en obtenir davantage, ils ont envahi leurs voisins, les Messéniens. Après une longue guerre, ils ont finalement conquis les riches terres de Messénie en 715 av. J.-C et ont fait des Messéniens leurs esclaves. Sparte n’a obtenu ses terres supplémentaires qu’au prix de guerres obstinées et répétées avec des peuples voisins. Pour faire face à cette situation, les hommes d’État spartiates furent contraints de militariser la vie spartiate de fond en comble, ce qu’ils firent en revigorant et en adaptant certaines institutions sociales primitives, communes à plusieurs communautés grecques, à un moment où, à Sparte comme ailleurs, ces institutions étaient sur le point de disparaître. 

Athènes a réagi au problème de la surpopulation d’une autre manière. Elle spécialisa sa production agricole pour l’exportation, se lança dans la fabrication de produits “manufacturés” également destinés à l’exportation. Ces innovations économiques ont créé de nouvelles classes sociales. Les hommes d’État athéniens développèrent des institutions politiques de manière à donner une part équitable du pouvoir politique aux nouvelles classes afin d’éviter une révolution sociale : c’est le début de la démocratie. Ils ont incidemment ouvert une nouvelle voie de progrès pour l’ensemble de la société hellénique.

La leçon à retenir est que la démocratie comme toute institution politique naît des contradictions internes d’une société. Les grandes démocraties occidentales puisent leur origine dans des révolutions sociales : la révolution des Pays-Bas, la révolution anglaise, la révolution américaine ou la révolution française. Il n’y a pas de raison que l’Afrique échappe à cette Histoire Universelle.

Par ailleurs, il est prématuré de condamner les efforts de démocratisation des pays africains tant ces derniers sont de jeunes Etats. L’Etat, dans son acception moderne, est une idée neuve en Afrique car les structures proprement politiques africaines historiques étaient à petite échelle. George Peter Murdock, anthropologue américain, a proposé une classification des institutions politiques selon les « niveaux de hiérarchie juridictionnelle » (levels of jurisdictional hierarchy, en anglais) dans son livre Ethnographic Atlas, 1967 qui est une base de données sur 1167 sociétés. Dans sa base de données, il a codé une variable (le second chiffre de la colonne 32 dans le dataset) qui varie de 0 à 4 : 0 pour “société sans autorité politique”, 1 pour « petites chefferies », 2 pour « chefferies plus importantes »? 3 pour « États » et 4 pour “grands Etats”. Quand on combine cette classification de Murdock avec les estimations de la population en Afrique en 1880 du projet HYDE (Historical Database of the Global Environment), nous pouvons calculer la proportion d’Africains qui vivaient dans des états en 1880 (voir cette étude : https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/28603.html) . Il en ressort qu’en 1880, seulement 30% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État si l’on considère comme Etat, les groupes ethniques de la base de données de Murdock qui sont codés comme ayant au moins 3 « niveaux de hiérarchie juridictionnelle ». Dans le cas où l’on adopte la définition plus restrictive de “grand État” de Murdock, seulement 4,4% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État. Quoi qu’il en soit, une très grande majorité d’Africains ne vivaient pas dans des États au cours de la période précoloniale. Le pouvoir était confiné à l’échelle locale. L’on comprend donc que les coups d’Etat en Afrique ne sont que la manifestation de la maturation des Etats africains.

Par ailleurs, examinons le problème de la démocratie en Afrique sous le rapport des trois conditions préalables à l’accomplissement démocratique de Pierre Rosanvallon.

D’abord, la confiance des citoyens dans les institutions. Cette condition n’est vérifiée qu’à moitié en Afrique subsaharienne. Selon Afrobarometer, à travers 36 pays en 2014/2015, les Africains expriment plus de confiance envers les institutions informelles telles que les chefs religieux et traditionnels (72% et 61% respectivement) qu’envers les organismes exécutifs publics (en moyenne 54%). Ensuite, la possession d’un langage commun pour décrire les faits et affronter la vérité pour formuler des accords et des désaccords. Cette condition, si elle est vérifiée dans quelques pays africains, est loin d’être validée dans la majorité des pays où l’on observe l’existence de plusieurs dizaines de langues sur le même territoire en dépit de la langue officielle du pays. Enfin, la capacité à organiser des élections libres. Il est inutile que cette condition est loin d’être vérifiée dans la majorité des cas.

Tout mon propos, dans ce billet, trouve son résumé dans une pensée marxiste : la superstructure (l’ensemble des formes politiques, juridiques et idéologiques) s’élève sur l’infrastructure (l’ensemble de l’organisation économique de la société). Le lent changement de l’infrastructure dans beaucoup de pays africains porte les germes d’une superstructure plus en phase avec le monde contemporain.

Senegal: Solutions And the Way Forward for The Fight Against Corruption (2/2)

By Souleymane Gueye Ph.D, Professor of Economics and Statistics, College of San Francisco

“We are in a country where accountability is a problem and transparency as well”, Birahim Seck, Coordinator of the Civil Forum in Dakar, Senegal, and Representant of Transparency International in Senegal

This second part of the article “Corruption, Bad governance and Development Outcomes: The case of Senegal” examines the use of governance tools to curb corruption in Senegal. It shows that better governance can be an effective deterrent to corruption and can mitigate the effects of corruption on the Senegalese society by increasing transparency of government decision -making processes and holding service providers to account. The pervasive corruption is evident in Senegal and the net effects of the interaction of this entrenched corruption with political instability in Senegal are bad economic performance and a blurry economic outlook in the medium and long term. Therefore, simple measures to improve governance (institutional, political, and economic governance) and corruption -control can have a positive effect on the economic outcomes of Senegal.

Introduction

Looking towards the 2024 election, many politicians and presidential hopefuls are proposing policies and strategies to improve Senegal. However, no matter how great these policies and strategies are, no meaningful or impactful change can come from them unless we address the issues at the core of Senegalese government, specifically bad governance, and corruption. Senegal can’t win the fight against poverty without winning the war against corruption due to bad governance.

 We have demonstrated in the first part of this paper that corruption is not only toxic to economic growth in Senegal, but also destroys the incentive to play fair, and leads to a breakdown in faith and confidence in the system. This productive behavior is impaired in the corrupt environment created in Senegal in which people who cheat, engage in fraud, embezzle are the one who succeed. This pervasive corruption and compensation of fraud is dangerous for Senegalese society and the economy.

Furthermore, the legal framework and instruments such as IGE (Inspection Générale d’ Etat / General State Inspectorate ), Court of Audit, Financial Control, ARMP, (Agence de Régulation des Marches Publics/ Public Procurement Regulatory Agency), ARTP (Agence de Regulation des telecommunications et de la poste /Telecommunication and Postal Regulatory Agency) necessary for good governance have experienced dysfunctions even though their work provides information on the level of management of public affairs, which remain alarming and despicable ( C. Gueye 2023) . The various reports (Court of Audit on the Covid Fund) have reported many bad practices, mismanagement, and embezzlement of public funds. These various reports show a deeply entrenched practice of bad governance across all levels of the decision-making process in Senegal.

Due to the growing trend of poverty, increased income inequality, foreign land grab, extraverted economic growth, growing trend of capital flight, the relevance of governance in dampening the negative effects of corruption on Senegal ‘s macroeconomics outcomes is self-evidence.

Good governance in Senegal – institutional governance, political governance, and economic governance- should be linked to the political, socio economic and institutional processes and outcomes needed to achieve the stated economic objectives (job creation and poverty alleviation).

The goal of fighting corruption should then be to improve the government financial management system and increase its transparency. It should also aim to make better stewardship of the public purse the norm by strengthening governance which is related to all government processes, institutions, and practices for decision- making and regulation concerning matters of common interest in Senegal[1].

To tackle the bad governance that allows corruption to flourish in all the different sectors of the Senegalese economy, I propose the following solutions based on the different tools of governance which is based on accountability for one’s actions, and the ability to meet the needs of the Senegalese citizens.

Good Governance and Corruption Reduction

The different pillars on which governance is based can be analyzed in three broad categories: institutional governance, political governance, and economic governance[2].

1/ Institutional Governance: The Rule of Law and Corruption- control

  • Rule of Law and Independent judiciary

As citizens of Senegal, we should demand the government to respect the separation of powers in Senegal by rebalancing the power of the executive branch and making the judiciary more independent. This will allow the judiciary branch to enforce laws and protect citizens from indiscriminate decision making.

For example, the president should not be the only one to nominate the District Attorney – he should be nominated by a committee chosen from the civil society, the bar, the association of the magistrates, and a representative of the executive branch after a call for applications. 

The principle of “irremovability “of the magistrates should be enforced regardless of the will of the president by putting in place some safeguards. As stated by the current president of Senegal in 2012 on the needs of institutional reforms” put under the tutelage of the executive power, instrumentalized by the latter and insufficiently endowed with human and material resources, the judicial power is not always able to fully carry out its missions with impartiality and independence.

Putting an end to this situation requires strengthening the independence of the Superior Council of the Judiciary through its composition, its organization, and its functioning.”[3]. The above statement demonstrated the need and the urgency to reform the judicial system in Senegal. Firstly, a rule- based integrity of management is important to implement. This requires a reform of the CSM (Conseil Supérieur de la magistrature). The objective of this reform is to limit the interference of political power in the exercise of judicial power by guaranteeing transparency in the management of the careers of magistrates.

For this to happen the Senegalese people should be represented in the CSM by people chosen from   members of the parlement, a lawyer, a professor of law, a member chosen by the civil society, member of the UMS[4] so that they can exert a permanent control of the CSM. Otherwise, oversight is needed to limit the control of the executive branch on the judiciary. The judicial system should be strengthened to gain autonomy and independence – one way to accomplish this is to create a career management committee very independent of the executive branch.

Secondly, a limitation of the power of the president is mandatory and the possibility of removing (impeaching) him in well- defined circumstances as well as create mechanisms that can be used to prosecute the ministers at the criminal level (financial prosecutor’s office). This autonomous financial prosecutor’s office should also fight against economic and financial problems by managing cases of accusations of embezzlement of public funds (Niane 2023).  

Finally, an elimination of the “Discretionary Account” known as “political fund » at the disposal of the president or the creation of mechanisms of auditing the disbursement of the fund every year before beginning of the fiscal year.

  • Corruption- Control

Besides these institutional reforms, what can the Senegalese people do about the highly corrupt Senegal?

Reducing corruption in Senegal requires changing the set of expectations about how to behave by creating new beliefs and modifying common understanding about how to behave, which means that effective anti-corruption activities involve groups of people operating in public, rather than moralism. For these measures to work, behavior change strategies need to be implemented at all levels of society. This social behavior change can be framed using the socioecological model which considers not just the individual but their relationship to their community and society when trying to create positive behavior change.  Indeed, ordinary Senegalese people can undertake the following actions recommended by Transparency International[5]:

  • Monitoring government spending
    • Auditing government benefits and services
    • Writing citizen report cards
    • Crowdsourcing information
    • Asking candidates or voters to commit to election pledges
    • Protesting and petitioning state and local entities

Applying these simple ideas to change social expectations should be the primary objective. This requires attracting public attention to the efforts to implement these actions, to collectively speak out. For this to be effective a communication strategy must be designed using social media platforms; these can be used to create common knowledge and coordinate anti-corruption efforts from the bottom up.

Aside from the implication of individual citizens in the fight against corruption, other actions need to be taken to complement this corruption control.  For example, increasing civil servants’ salaries can reduce corruption if accompanied by stricter enforcement or efforts at changing permissive norms at all levels of the decision-making process[6].

A free press is key to exposing corruption and catalyzing support for reform if the media is not controlled by the government or owned by people looking for their self-interests. In that sense, The National Assembly should pass a bill on access to information aimed at “strengthening governance and transparency while guaranteeing all citizens access to information held by public entities” as promised by the current president.

Stricter monitoring and enforcement by dedicated and autonomous anti-corruption authorities can be effective in fighting corruption in Senegal. Effective leadership is very important for driving change in corruption norms from the top down, serving to coordinate the further efforts of ordinary citizens.

The proposed reform and the suggested actions that Senegalese citizens can undertake to tackle corruption can restore confidence in domestic institutions in the short and long run; hence creating a climate in which the rule of law is upheld as well as better information accounting standards that will undoubtedly deter corrupt behavior that destroys good productive behavior that should be the only mean of generating income and creating wealth in the country. Reform needs to happen at the individual level, community level and public policy level for it to be effective.

2/ Political Governance: Independent Commission to control all elections in Senegal

Political governance can be defined as the election and replacement of political leaders in a free and transparent election conducive to a stable political environment that has a substantial influence on corruption and all the problems associated with it: stifling economic growth, poverty, income inequality and incapacity to attract foreign direct investment. Accordingly, in the presence of political instability and violence, it is very likely that investors will not invest in the country or will try to transfer their capital to an economic environment with lower level of investment risks. Political stability is an important asset for Senegal and needs to be protected.

Moreover, the political institutions (competitive election and executive accountability) in Senegal are perceived as absolutist by nature because of a strong executive branch with enormous power that is narrowly distributed and unconstrained. Consequently, creating not only an environment not favorable for economic performance but also an economic context in which those who wield power have been able to set up economic institutions[7] to enrich themselves, and increase their power at the expense of the entire Senegalese society. 

This is very detrimental to the Senegalese economy because it has contributed to a transfer of investment by investors to other countries (East Asian countries) where political institutions are more stable and credible[8]. Senegal foreign direct investment for 2020 was $1.85, a 73.23% increase from the prior year.

In 2021 it was $2.23 an increase of 20.93% from 2020. Overall, the foreign direct investment has decreased by about 71.4 % between 2020 and 2021 and this trend is likely to continue because of the political instability. Therefore, the country should avoid it by strengthening the political institutions that are able to distribute political power widely in a pluralistic manner and able to achieve political concentration to establish law and order to minimize corruption and punish bad productive behavior which is a key determinant of the foundation of secure property rights and an inclusive market economy favorable to long term investment and inclusive economic growth.

Investors naturally react negatively to political events that are unfavorable to their return: disinvesting. Unfortunately, Senegal is experiencing this situation because of the instability and the uncertainty created by the refusal of the president to respect the political institution (Constitution of Senegal) that prevents him from seeking a third term[9].

And because direct effects of political instability and accountability influence the level of corruption in the country, the amount of inflow of capital, and economic growth it is important to strengthen the inclusive political institutions by implementing the recommendations of CNRI (Commission Nationale de Réforme des Institutions)[10] and adopting the “charter of democratic governance” resulting from the “Assises Nationales”.

Consequently, Senegal can regain political stability and non-violence that will mitigate the negative effects of corruption on transforming the primary sector for a sustained inclusive economic growth with lasting positive effects on poverty alleviation. This is the reason why we should not allow the current government to create an environment of political instability and violence by subverting the will of the people of Senegal.

Therefore, it is urgent to create an Independent Commission in charge of the election, High Authority for the Transparency of Public Life (HAPTV) and reestablish the “Consensual Electoral Code”[11]that has contributed to the peaceful election of two presidents since 2000.

3/ Economic Governance:  Government Effectiveness and Regulation Quality

Economic governance is the formulation of policies that deliver public commodities[12]. Otherwise, it refers to the system of economic institutions created to reach the stated economic objectives of the Senegalese government, namely economic growth, alleviation of poverty, and improvement of the standard of living of the citizens of Senegal.

With good governance these objectives can easily be reached , but unfortunately, the bad governance observed in Senegal has produced substantial economic damages – massive unemployment, substantial loss of income, higher poverty rate , irreversible damage to the human capital of the poor and the rest of the population, food insecurity, hunger, and  low life expectancy- which affect the concern of investors regarding the stability of the macroeconomic environment and confidence in the economic outlook of Senegal.

This bad economic governance has resulted in an economic outlook that is uncertain in the medium and long term. This uncertain economic outlook created by bad governance discourages investors from placing their assets in the economy because they prefer an economic environment that is associated with less corruption and uncertainty. From this perspective Senegal is taking the risk to see assets and money leave the country because of poor economic governance.

Therefore, bad economic governance can reduce macroeconomic performance and discourage capital flows owing to a blurred economic outlook. This is very apparent in Senegal as policies designed to deliver public goods and services, build infrastructure, create employment, increase disposable income are tailored by the policy makers and civil servants such that they siphon and deposit stolen funds in foreign banks (this amount is estimated at 250 billion CFA francs per year).

In Senegal, the perception of many people refers to the fact that bad governance plagues our social environment and greatly hampers the economic performance of the economy and the related economic outcomes. It follows from the above arguments that good economic governance can stifle corruption, grow the economy, increase the saving rate of the economy, and attract foreign direct investment that can be used to start the process of transforming the primary sector (agriculture, fishing, forestry, mining, deposits) to set the foundation of a planned strategy industrialization in Senegal.

Therefore, I propose the following reforms regarding the regulatory economic agencies in Senegal:

  • Modify the nomination process of the members of ARMP (members chosen by the president, congress, and civil society from a pool of qualified people vetted by their peers.)
  • Create an agency for gas and oil exploitation (Energy Regulatory commission composed of five members chosen by the president, parlement, workers in the industries, and academicians with impeccable credentials in the relevant field).
  • Create an OBM (Office of budget management) with an independent status in charge of evaluating government expenditures, track the tax revenue, and other financial resources. This office should be managed by an independent person with expertise in budgetary procedure and academic credentials.
  • Put in place mechanisms to track sale and acquisition of public assets. This can be done through the publication of an annual report setting income/expenditures and outlining which public assets had been sold to whom, at what price and through what process,
  • Tracking flows of money through auditing expenditures against a comprehensive budget
  • Control the Single Treasury Account by an independent committee.

Conclusion

We have investigated the channels through which corruption generates an economic and social misery that is contributing to massive illegal and legal migration of young Senegalese people. We have focused on three key variables: GDP per capita, employment, and poverty.

The other aspect of the study investigated whether good governance has a positive effect on corruption to mitigate the negative effects of corruption on the Senegalese economy. The policy implication is clear and straightforward: to have inclusive economic growth and alleviate poverty, Senegal would have to increase its efforts toward improving good governance to mitigate the adverse effects that corruption has on the economy. Actions aimed at promoting good governance should be tailored towards reversing the drivers of non-productive behavior of the economic agents and civil servants , notably: political governance can stabilize the political and economic environment resulting from political instability created by the desire of the president to seek a third term and to prevent the main opposition leader to participate in the next presidential election and the absence of accountability; economic governance can reduce the unemployment rate of the youth and the level of poverty resulting from corruption, economic instability, government ineffectiveness and poor regulation quality; and institutional governance can mitigate poverty , misery and  income inequality  resulting from corruption and disrespect of the rule of law.

Such governance mechanisms should entail improvement in participation, technical and managerial competence, transparency and open information systems and organizational capacity. It is relevant to also clarify that the recommendation to enhance good governance to mitigate the pervasive effects of corruption and create the conditions for job creation, delivering good public services, build appropriate infrastructure, and good school builds on the fact that governance standards in Senegal are very low relative to other countries.


[1] Plaidoyer pour réformer l’État et moderniser l’administration Sénégalaise by Souleymane Niane (2023)

[2] Asongu, 2016 “Determinants of growth in Fast Developing Countries: Evidence from Bundling and Unbundling Institutions”, Politics and Policy (“Determinants of Growth in Fast Developing Countries: Evidence from …”)

[3] Declaration de Macky Sall, (2012) president of Senegal

[4] Le Conseil Supérieur de la Magistrature : L’indispensable reforme by Ibrahima Dème Wathinote 29 janvier 2018.

[5] Transparency International has an anti- Corruption kit available at https://www.transparency.org/whatwedo/tools/anti_coruption_kit

[6] Corruption: what everyone needs to know by Ray Fisman and Miriam A. Golden Oxford University Press (“(PDF) Corruption: What Everyone Needs to Know®, by Ray Fisman and …”)

  • [7] The Origins of Power, Prosperity, and Poverty: Why Nations Fail by Daron Acemoglo, James Robinson
  • [8] Senegal Foreign Direct Investment 1973 0 2023 world Bank Development Indicators and West Africa and southeast Asia: A comparative analysis of economic performance by Souleymane Gueye (report after sabbatical leave, 2019 CCSF Library).
  • [9] Senegalese Constitution article 27 “ Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » (“ « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » (,) La virgule …”)
  • [10] Commission Nationale de Réforme des Institutions
  • [11] Code électoral consensuel “Assises Nationales” 2001
  • [12] Andres and allies (2015) Fighting software piracy: Which governance tools matter in Africa Journal of Business Ethics

Protection de la haute mer: quels enjeux pour l’Afrique ?

Par Manzi T. Karbou, Conseiller juridique à la Mission permanente du Togo auprès des Nations Unies

Il y a deux semaines, le 4 mars 2023, au terme de près de vingt années de travaux dont quatre de négociation ferme et directe, un traité sur la protection de la haute mer est né, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, à New York.

Qualifié d’historique, cet accord est destiné à contrecarrer les menaces qui pèsent sur des écosystèmes vitaux pour l’humanité. Il faut le dire, les océans sont l’un des principaux réservoirs de la biodiversité dans le monde, ce sont des puits de carbone essentiels à la régulation du climat et donc indispensables dans la lutte contre le dérèglement climatique. Ils constituent plus de 90 % de l’espace habitable sur la planète et abritent quelques 250 000 espèces connues ainsi que de nombreuses espèces encore inconnues.

Quelques mois après l’adoption d’un accord lors de la COP15 biodiversité, ce texte présente le double-avantage de réaffirmer la volonté d’atteindre l’objectif 30×30 (protéger 30 % des océans du monde d’ici à 2030) et d’ouvrir la voie à la création d’aires marines entièrement ou hautement protégées dans tous les océans du monde.

Cet accord est aussi important car il n’existe, pour l’heure, quasiment pas un seul texte qui protège la haute mer contre une exploitation et une destruction effrénée.

Samedi 4 mars donc, tard dans la nuit, les Nations unies se sont accordées sur un traité international de protection de la haute mer qui protège les espèces animales et végétales des régions situées à plus de 200 milles nautiques (370 kilomètres) de la terre ferme. Bref, les océans ne seront plus un espace de non-droit.

« C’est un jour historique pour la conservation et le signe que dans un monde divisé, la protection de la nature et des personnes peut triompher sur la géopolitique », a déclaré Laura Meller, chargée de campagne océans pour Greenpeace Nordic. Cette organisation et de très nombreuses organisations non gouvernementales étaient bien présentes aux négociations, aux côtés des délégués des Etats, afin de jouer le rôle de pression, parfois de catalyseur, nécessaire à l’adoption de ce texte important.

Intervenant le lendemain, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a félicité les délégués et, par l’intermédiaire de son porte-parole, a déclaré que l’accord était « une victoire pour le multilatéralisme et les efforts mondiaux pour contrer les tendances destructrices qui menacent la santé de nos générations futures ».

Que faut-il donc retenir concrètement de cet accord ?

C’est le 24 décembre 2017 que, par sa résolution n°72/249, l’Assemblée générale des Nations Unies a convoqué, une conférence intergouvernementale chargée d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer (en anglais : « conservation and sustainable use of marine biological diversity of areas beyond national jurisdiction – BBNJ »). Ce processus s’inscrit dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite Convention de Montego Bay. Les travaux de la conférence ont débuté avec une première session en septembre 2018, suivie d’une deuxième en mars 2019. La troisième session s’est tenue en août 2019. La quatrième session se tiendra deux ans plus tard en mars 2022, les pays membres ayant refusé d’envisager des discussions en ligne, dans la droite ligne de la nouvelle normalité que nous avaient imposé les conséquences de la covid-19. La cinquième et dernière session s’est déroulée en deux rounds : le 1er en août 2022 et le 2ème en mars 2023.

L’accord en lui-même s’articule autour de quatre piliers principaux, sur lesquels les Etats s’étaient déjà accordé depuis 2011. Véritable épine dorsale de cet instrument juridiques, les quatre piliers se déclinent comme suit :

  • Les ressources génétiques marines, notamment le partage des bénéfices :

Longtemps, les discussions ont été ralenties notamment en raison de désaccords sur le financement de la protection des océans et de la mise en œuvre des accords sur la pêche. Mais le principe du partage des bénéfices des ressources marines génétiques collectées en haute mer demeure un sujet sensible. Il a d’ailleurs cristallisé toutes les attentions lors des négociations. Les pays en développement, ne disposant pas des moyens de financer des expéditions et recherches coûteuses ont lutté pour être pris en compte par un partage équitable des ressources marines génétiques et du partage des bénéfices anticipés issus de la commercialisation de ces ressources.

Ainsi portée au cœur des débats, l’utilisation de ces ressources génétiques marines, demeure d’une importance capitale pour les recherches scientifiques.

« La Terre ne serait pas habitable sans les services rendus par les océans », rappelait Sophie Arnaud-Haond, chercheuse à l’Ifremer en écologie et évolution des organismes marins.

Grouillant de vie et d’espèces de tous genres, la haute mer abrite un nombre insoupçonné d’enzymes et de molécules potentiellement utiles pour les travaux des industries pharmaceutiques, agroalimentaires ou cosmétiques. « Un litre d’eau de mer contient un milliard de virus, des centaines de millions de bactéries, près de 100 000 microalgues et quelques zooplanctons », décrit Romain Troublé, le directeur général de la Fondation Tara Océan. Il ajoute que grâce à leurs expéditions, « nous avons découvert près de 200 millions de nouveaux gènes et surtout notre ignorance. On connaît un peu moins de 5 % des micro-organismes marins. Entre 500 000 et plus de 10 millions d’espèces différentes vivraient dans l’océan, dont seulement 280 000 ont été recensées ».

Dans cet univers, les experts pensent que les micro-organismes des océans sont à l’origine de la vie sur Terre. Ils fournissent des services écosystémiques essentiels à la vie. En particulier, ils génèrent 50 % de l’oxygène que nous respirons et captent le carbone que nous émettons. Des vaccins à ARN messager contre le Covid aux traitements contre le cancer en passant par les thérapies anti-sida, la découverte de ces ressources génétiques marines a permis des avancées scientifiques. « Il y a aussi des molécules phosphorescentes que l’on utilise pour l’imagerie médicale, d’autres encore nous intéressent pour leur capacité à résister à de fortes pressions ou à détoxifier leur environnement, ce qui permettrait de lutter contre les pollutions causées par des hydrocarbures », détaille Sophie Arnaud-Haond.

Les micro-organismes marins sont également utilisés pour comprendre comment le changement climatique affecte la biodiversité marine, qui est déjà affectée par l’acidification des océans et la perte d’oxygène dans certaines régions.

Il est bien connu que l’importance des ressources génétiques marines n’est plus à prouver et la course à leur recherche et à leur développement ne fait que commencer. Alors que la plupart des pays comprennent l’importance de protéger la biodiversité marine, il est tout aussi clair que les pays développés exploitent et bénéficient déjà de cet énorme potentiel qu’offrent nos océans.

C’est pourquoi les négociations ont longtemps butté sur la question de la répartition des bénéfices en haute mer. Même si la haute mer n’appartient à personne, peu de pays ont la capacité de collecter ces ressources génétiques marines, ce qui nécessite la mobilisation de moyens financiers et techniques importants.

C’est donc à juste titre que les pays en voie de développement demandent un pourcentage des bénéfices issus des brevets qui reposent sur ces ressources. 

Le texte propose donc l’instauration de royalties.  Les entreprises qui découvrent des molécules intéressantes en haute mer devraient payer un pourcentage des bénéfices de la commercialisation des brevets basés sur la même molécule. Ces revenus financeront la protection des aires marines protégées (AMP) et pourront financer la recherche dans les pays en développement. Pour donner un exemple très précis, si Pfizer développait un nouveau vaccin basé sur des ressources génétiques de haute mer, il devrait verser une certaine somme au fonds créé à cet effet. L’argent devra également servir à développer des projets internationaux pour le bien commun avec des chercheurs de haut niveau.

  • Les outils de protection de la biodiversité marine, en particulier les Aires Marines Protégées (AMP) 

Les services rendus par l’océan et ses écosystèmes constituent un patrimoine naturel extraordinaire. Malheureusement, les pressions anthropiques et les impacts liés au changement climatique affectent le milieu marin, ainsi que les économies nationales et les populations qui en dépendent.

C’est pour réduire ces impacts que les Aires Marines Protégées (AMP) ont été créées par des pays avec pour but d’améliorer la conservation de la biodiversité marine dans les zones qui sont sous leur juridiction. Jusqu’alors, la majeure partie des AMP se trouve dans les eaux territoriales et donc sous juridictions nationales.

Tout le mérite de cet accord est d’instituer des AMP dans des eaux qui n’appartiennent à aucune entité spécifique. Ainsi, dans le cadre de cet accord, les AMP auront pour objectifs, entre autres, de protéger, préserver, restaurer et maintenir la biodiversité et les écosystèmes, notamment en vue d’améliorer leur productivité et leur santé, et renforcer la résilience aux facteurs de stress, y compris ceux liés au changement climatique, à l’acidification des océans et à la pollution marine. Ils visent également à renforcer la coopération et la coordination dans l’utilisation des outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, entre les États, les instruments et cadres juridiques pertinents et les organismes mondiaux, régionaux, sous-régionaux et sectoriels compétents.

Pour ce faire, il est prévu qu’un fonds soutienne les États parties en développement, en particulier les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral, les États géographiquement défavorisés, les petits États insulaires en développement, les États côtiers d’Afrique, les États archipels et les pays en développement à revenu intermédiaire, en tenant compte de la situation particulière des petits États insulaires en développement, par le renforcement des capacités et leur développement ainsi que le transfert de technologies marines dans l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi, la gestion et l’application d’outils de gestion par zone, y compris les zones marines protégées.

Il faut relever tout de même que cet objectif est un enjeu assez complexe dans la mesure où l’application du droit international est de manière générale un peu compliquée. On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque usager de la mer. On devra donc s’orienter à travers des outils technologiques tels que l’imagerie satellitaire qui permet d’avoir une surveillance globale de ces aires. L’enjeu c’est aussi que les plans de gestion de ces futures aires prévoient les moyens nécessaires à la surveillance des activités et l’application des futurs plans de gestion. Pour cela, on peut se reposer sur de plus en plus d’outils développés par des États, et des organisations non gouvernementales pour avoir un suivi régulier des flottes de pêches par exemple.

  • Les évaluations d’impact environnemental des nouvelles activités humaines en haute mer

Obligation est faite aux Etats parties du futur traité de conduire des études d’impact sur l’environnement avant toute activité en haute mer. Le texte prévoit un système commun, rigoureux, intégré, indépendant et fondé sur la science pour évaluer, gérer et surveiller les impacts individuels et cumulés des activités humaines et du changement climatique sur la biodiversité marine en haute mer. Il est important que les activités affectant la biodiversité soient évaluées par rapport à des normes communes et élevées et que les pays développent des évaluations environnementales stratégiques pour former une base de connaissances partagée et prendre les décisions nécessaires pour protéger la biodiversité marine.

Il établit que tout Etat partie ayant juridiction ou contrôle sur une activité planifiée qui doit être menée dans des zones marines relevant de sa juridiction nationale détermine que l’activité peut entraîner une pollution substantielle ou des modifications importantes et nuisibles du milieu marin dans des zones situées au-delà de sa juridiction nationale. Si tel est le cas, qu’il puisse établir les études conformément, soit aux normes prévues au plan international, soit en vertu de son droit national, et dans ce dernier cas, en veillant à respecter des conditions établies par le texte et qui seraient précisées par les prochaines étapes de la mise en œuvre de l’instrument.

  • Le renforcement des capacités et le transfert des technologies marines au profit des États en développement

En adoptant le texte, les États parties, directement ou par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes, encouragent la coopération dans les domaines du renforcement des capacités et du transfert des technologies marines pour aider les pays en développement à atteindre les objectifs du prochain traité.

Il s’agit donc d’un enjeu clé pour la mise en œuvre du futur instrument. Les négociateurs ont élaboré des types et des modalités de renforcement des capacités et de transfert de technologie marine, ainsi que des centres d’échange envisagés à cet effet.

Les documents de négociation énumèrent divers types d’activités de transfert de technologies marines et de renforcement des capacités, telles que les infrastructures, les capacités de recherche scientifique, le partage d’informations et de technologies, la diffusion d’informations ou la création de centres régionaux d’excellence.

En ce qui concerne les modalités de transfert des techniques marines par exemple, le document propose plusieurs options fusionnées qui permettront de créer des « package » dont la mise en œuvre pourrait se décliner de différentes manières. 

En tout état de cause, cette étape est très cruciale pour les pays en développement puisque le renforcement des capacités sera, de toutes les façons, basé sur les besoins des bénéficiaires.   

Que retenir pour l’Afrique ?

L’Afrique a été bien représentée au cours des négociations ayant abouti à l’adoption du BBNJ.  Partie sur la base d’une position commune africaine, l’équipe de négociateurs des pays africains a pu également compter sur le soutien de la Commission de l’Union africaine, notamment à travers le bureau du Conseiller juridique de l’UA, mais aussi d’un engagement salutaire du bureau des affaires juridiques de la Mission permanente d’observation de l’UA auprès des Nations Unies à New York.

Il est important de préciser que c’est grâce à l’engagement (personnel et consciencieux) des négociateurs issus des pays africains et de la mise en œuvre d’un position commune africaine que la voix de l’Afrique a pu être entendue dans le déroulé des négociations de cet instrument. Mais alors que gagne l’Afrique ?

  • Enfin un instrument qui fait face à la sur-exploitation et la sur-pêche dans les eaux internationales

Contrairement à plusieurs autres instruments avant lui, l’accord portant sur le BBNJ est un instrument juridique contraignant, au sens onusien du terme, c’est à dire que les Etats l’ayant ratifié auront l’obligation de mettre en œuvre ses dispositions. L’accord contient également en son sein un système de suivi et de contrôle du respect de ces obligations.

Autre élément, l’océan est l’objet d’une surexploitation massive. Avec la mondialisation du commerce, plus de 90% des marchandises issues du commerce international passent par les océans. Il y a donc de plus en plus de bateaux et de cargos de transport en circulation, entrainant des pollutions chimiques et plastiques de masse ainsi que des nuisances sonores d’un niveau tel qu’elles perturbent tout l’univers sous-marins et les écosystèmes connus et inconnus.  

Mais l’océan est aussi un milieu riche que l’on exploite aussi pour produire de la nourriture.

La surpêche est désormais un problème bien connu : de nombreuses espèces menacées d’extinction éprouvent de plus en plus de difficultés à se reproduire et se renouveler à cause du développement massif de la demande en produits halieutiques et ce à un rythme trop rapide. Des techniques de plus en plus invasives sont utilisées dans le monde entier pour pêcher de plus en plus de poissons de manière toujours plus rapide et moins coûteuse. Le problème est que ces méthodes, telles que le chalutage en eaux profondes ou la pêche électrique, ont des conséquences énormes sur les écosystèmes marins et détruisent une bonne partie de la faune et de la flore.

  • La haute mer devient « patrimoine commun de l’humanité », après un marathon de 15 ans de négociations

Ce point fait partie, sinon, est le dernier de ceux qui ont tenu en haleine les discussions et qui les ont prolongés les dernières heures. Il faut dire que c’est un enjeu majeur pour les pays en développement, plus précisément les pays africains.

Dans l’esprit des textes juridiques qui, depuis 1958, se sont penchés sur l’identité juridique ou l’utilisation et l’exploitation des mers, la haute mer a presque toujours été qualifié de « vaste espace de liberté pour tous ». Et malheureusement, cette définition trop romanesque de la mer a provoqué chez l’homme toutes sortes d’utilisation de cet espace, entrainant pollution et surpêche.

A l’heure où les enjeux climatiques et environnementaux ont plus que jamais besoin d’un océan résilient, où les entreprises privées et leur théorie de maximisation des profits tendent à supplanter l’intérêt collectif au profit des leurs, il est devenu essentiel de protéger ce domaine maritime qui représente 70% de la surface des océans.

L’on peut se réjouir que toutes les régions océaniques aient désormais un statut institué par un nouveau traité pour la protection de la biodiversité en haute mer adopté ce 4 mars 2023.

Corruption, Bad Governance, and Development Outcomes: The Case of Senegal (1/2)

By Souleymane Gueye Ph.D, Professor of Economics and Statistics, College of San Francisco

This first part of our article examines the economic effects of corruption on the Senegalese economy. How corruption and bad governance have generated an endemic misery in Senegal? What is the relationship between corruption and real GDP per capita? How corruption affects the Human Development Index and the Private consumption?  It also illustrates the relationship between corruption, income inequality and poverty. The role of good governance in modulating the effects of corruption on economic growth and poverty in Senegal will be examined in the second portion of the study.

While traveling through Senegal and talking to people from different backgrounds, I could not hide my frustration and sadness as I contemplated the despair, anguish, and sorrow in the eyes of the people I met throughout my journey in Senegal, who are struggling to make ends meet. For example, in the coastal zone of the region of Dakar from Yarah to Toubab Jalow and the small coast (Dayane to Joal), the advance of the sea and the scarcity of fish due to the fishing licenses that the government signed with the EU, China, and Japan have installed an unimaginable misery associated with poverty, poor health, low life expectancy, an unequal distribution of income and wealth that remain endemic. This misery is the outcome of the growing phenomenon of corruption “the abuse of an entrusted power for private gain” (1) in the public sector and the private sector in Senegal and bad governance as well.

Economic and Social misery

The social and economic misery is visible everywhere after a decade of mismanagement of public resources (Flooding fund , Program National des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC), Covid 19 Fund), embezzlement of taxpayers’ money by unaccountable chief executives officers at many state owed enterprises such as ( La Poste, L’IPRESS , CMS, LONASE, COUD , SAPCO, SAR, etc.. ), corrupt politicians , and  crooked businesspeople under a more authoritarian government that is dimming hopes for a whole young generation to build a future in Senegal. 

This misery is also compounded by an attitude of resignation of many Senegalese people because of a tacit coalition between some religious leaders, crooked politicians, and civil servants pursuing their self- interest, and safeguarding French and other foreign business interest (Turks, Chinese, Indian, Moroccans etc.).

The endemic misery has generated an abject poverty conducive to extreme violence and insecurity in many places in Senegal, social fractionalization, and a fertile ground for an exploitation of the masses by corrupt political leaders and executives who are accumulating insane amount of wealth without any rational justification (not based on their productive capacity). Senegal is one of the few countries in which civil servants are the wealthiest.

Under this dire situation, record numbers of Senegalese are leaving the country. The flood of Senegalese emigres spans socio economic classes, with professional, the working class, and the destitute represented among those risking their life in the Mediterranean Sea as Russian’s invasion of Ukraine pushes up the price of different imported staples (wheat, rice,) gas, and oil; hence creating an inflationary pressure which is undermining the purchasing power of almost 95% of Senegalese households. 

Other desperate Senegalese are attempting illegal routes into Europe, South and North America and dying in record numbers according to Geneva- based civil – society group” Global Initiative Against Transnational Organized Crime.”  Senegal is the sixth largest nation of origin for migrants, according to the international migration Organization (IOM). 

This exodus from Senegal constitutes a blow to the legacy of the Democratic principles that generated hopes after the political transition of 2000 when a president from an opposition party was elected and ten years later the election of a young president who promised a “sober and virtuous “management of public resources and equitable justice. 

Unfortunately, under their reign, public money has been transformed into a private kitty in the service of a suspicious generosity, open to all the audacity of capture and predation. This has paved the way for stealing state money, enrich friends and relatives, while impoverishing the country, and consequently put the Senegalese people in misery – the misery index is more than 25% (2).

The consequences are dire:  an underutilized agricultural sector, a growing informal sector, an inflated public sector, a weak private sector unable to create enough employment to absorb the rising supply of labor due to the demographic explosion, poor infrastructure, poor health facilities ( poor women are still dying in childbirth and are transported on carts), poor education, (many school children receive their education in temporary shelters – about 6000 ), weak institutions and last but not least an anemic economy in which corruption prevails at all levels of the decision-making process –  executive, judiciary , territorial administration, public security ( police and gendarmery), health and education sectors. 

In Senegal, bribery (public servant accepting bribes to certify unsafe building in violation of many cities planning code), frequent embezzlement of contract fund so that a promised infrastructure project is delayed and over budget ( Universities of Amadou Mathar Mbow and Ibrahima Niasse , and many schools and hospital projects), as well as the  theft of public fund in a way that inflates public budgets ( recent report of the court of Audit regarding the Covid Fund ), nepotism, influence peddling, conflicts of interests are erected as a mode of management of public resources..

Currently, the “Corruption Perceptions Index” for the public sector is at 57 points slightly higher than the index in 2021, making Senegal one of the most corrupt countries with a rank of 75th

Figure 1. [Corruption Perception Index by Transparency international]

There are a host of causes of this endemic corruption in Senegal: incentives, institutions, and personal ethics. With respect to incentives, we can identify low salaries of the civil servants with a weak purchasing power. As for the institutions, some key variables can be identified such as political structure with a strong executive branch headed by a president who has at his disposal a discretionary budget without accountability to the Senegalese people. The systemic corruption is also due to a lack of ethic, an alarming disappearance of our traditional values of Diom (dignity) Deugou (faith), Dioub (honesty), leguey (travail),

Economic Effects of Corruption on the Senegalese Economy

This ingrained corruption in the public sector undermines different aspects of the Senegalese society since the corruption carries negative social and economic consequences: it harms economic efficiency, increases social inequities, undermines the functioning of democracy, and exacerbates poverty and social exclusion. Furthermore, it reduces the effectiveness of public and industrial policies, making running a business more expensive, and thus encourages business to operate in the informal sector in violation of tax and regulatory laws (3). Senegal is suffering from this endemic corruption with respect to economic growth, human development, food security, and poverty alleviation.

Corruption and GDP per Capita

There is strong evidence of a negative correlation between corruption and the low level of GDP per capita ($1590) in countries like Senegal with high level corruption (140th on a list by Transparency International of 175 countries ranked by how corrupt their public sectors appear to be.). 

The theorical literature does not provide a clear answer on this issue –relationship between corruption and economic growth and poverty alleviation.  One strand of the literature argues that corruption affects positively economic growth by making it easy for investors to avoid red tape (bureaucratic delay) by bribery /kickbacks and by incentivizing low paid civil servants to work faster and harder if they could supplement their income by levying bribes (De Soto, 1989) (Egger and Winner, 2005) (4). This belief is rooted in the impressively rapid economic growth that the East Asian- and Southeast – Asian countries have achieved since the early 70’s despite widespread corruption.

This situation known as the “East – Asian paradox” has justified the view that corruption is not a key barrier to economic growth; hence countries should not waste time designing policies or instrument to deal with corruption. However, what this strand failed to acknowledge is the fact that these Asian countries were autocracies in which the perceived credibility of the commitment of ruling political elites to economic freedom, associated with a massive investment in education and a higher domestic saving rate created a favorable economic environment, hence providing confidence to multinational firms to invest, leading to long term economic growth. It is almost impossible to quantify and attribute to corruption the sustained increased of real GDP per capita of these countries over the last three decades. For example, in Sub Saharan Africa, there are many autocratic regimes (RDC, Republic of Congo, Cameroon, Tchad, Equatorial Guinea, Gabon, Angola, Zimbabwe where high rates of corruption had a deleterious effect on economic growth and poverty reduction (Haber, 2002) (5).

I believe that the negative effect of corruption on real GDP per capita is more common as many examples in Developing countries in general and Senegal demonstrated. In this strand in which I subscribe, corruption has a negative impact on GDP per capita because it reduces investment in physical and human capital in one hand and leads to a misallocation of public expenditures away from growth enhancing sectors such as education and health towards areas that are less productivity enhancing but are more corruption intensive.; namely large and expensive infrastructural projects on the other hand.

For example, Senegal with the current government is a perfect illustration of this choice. The government has chosen to build an arena, a stadium, TER (train express rapid), and BRT (rapid transit) instead of investing in more efficient project such as rebuild the railroad throughout the country, increases the sanitary tray and invest efficiently in the education sector to set the foundation for a skilled labor force with a strong productivity of labor. 

Studies (Fishman and Svenson 2001) have shown that a 1 % increase in corruption leads to a 3 % reduction in firm growth and reduce the growth rate by about 0.72% (6)

In Senegal Real GDP per capita of Senegal increased from 1,092 US dollars in 1972 to 1,437 US dollars in 2021 growing at an average annual rate of 0.62%. while corruption continued to increase substantially (Senegal is the 73 least corrupt nation out of 180 countries in 2021 and previously Senegal was the 67 least corrupt nation. Corruption Index in Senegal averaged 36.63 Points from 1998 until 2021, reaching an all-time high of 45 Points in 2020. The perception corruption index has deteriorated (score continue to drop, 2 points compared to last year and the poverty rate continued to increase.). This is evidence that the negative correlation between corruption and GDP per capita growth is more observable in countries like Senegal than the positive relationship.

World Bank: development indicators

This is explained by the fact that the waste or the diversion of public funds due to corruption leaves Senegalese governments with fewer resources to fulfil its human rights obligations (provide shelter, food, and education), to deliver services and to improve the standard of living of Senegalese people. 

Corruption and Human Development Index

Consequently, the insidious corruption prevailing in Senegal is negatively impacting human development of the country and is increasing social vulnerabilities within the country. In Senegal, an estimated 500 billion CFA francs in public health spending is lost globally to corruption every year, undermining health services and health equipment. Furthermore, 60% of school children do not complete primary school (high rate of illiteracy). This can be linked to a lack of state resources to build schools and maintain a qualified labor force due to bribery, embezzlement, privatization of public schools to enrich well connected people and civil servants.

Fighting corruption in Senegal is thus considered a key element to achieve the sustainable development needed to improve the HDI of Senegal as corruption (racketing by the police officer on the road, frequent embezzlement at the office of Taxes and Domain, and  the Treasury as well , justice splashed every day by corruption scandal, Customs which is perceived as a quick mean to accumulate wealth, a press which traffic in influence and marketing for amoral politicians, military with rumors smuggling overseas missions, etc. ), is at the center of most of the socio-economic problems that Senegal is facing. 

Corruption, Food Security, and Level of Consumption

Corruption is also affecting food security in Senegal since the level of corruption in land and water (land scandal in local communities such as Degleer, Dougaar etc.)  is impacting small scale farmers which constitutes most of the agricultural providers (67% of agricultural product). 

This high level of corruption is also impacting the level of consumption in Senegal as demonstrated in some  economic studies (7) since many households are forced to reduce their expenses on good and services to compensate the money wasted on bribery daily (money given to the police officers on the road, to the civil servants to receive an administrative act, to bribe a person to gain access to people making decision on behalf of Senegalese citizens etc.). 

The recent drama of Sikilo in the department of Kaffrine with its 50 dead and Sakal with its 18 dead highlights the danger of corruption in a country like Senegal. This sector is one of the most corrupt areas in Senegal as the fake has become so embedded in our country and at all levels that it part of the DNA of Senegalese citizens. The overwhelming majority of drivers bought their driving licenses, have fake registration cards, have bought their technical inspection certificate, and drive without insurance. This is possible because of a corrupt administration unable to enforce the law and punish bad behavior.

Overall Impact of Corruption and Bad Governance on the Senegalese Society

This situation can only be blamed on systemic corruption prevalent in the Senegalese society and on bad governance.  Corruption, nepotism, clientelism, impunity have been erected as modes of government in Senegal; this is the root cause of increasing poverty, increasing income inequality, decline of industrialization, incapacity to satisfy the basic needs and build basic infrastructure as well as allowing foreigners to grab land and exploit Senegalese workers. Foreign national are taking advantage of this corrupt environment to gain favor under the pretense of creating enterprises that will create jobs and repatriate easily profit at the expense of local citizens and the Senegalese economy overall hence contributing to an alarming trend of capital flight. This corrupt system has destroyed opportunities for many Senegalese people to generate wealth for themselves and the society. 

These challenges exacerbated by incompetent, corrupt leaders, and obedient population educated, molded, shaped in corruption, easy money and compromise that has created a system of “politique alimentaire” prevent Senegal from moving forward in term of development outcomes (job creation and poverty reduction).  

Addressing the entrenched corruption due to a lack of ethic, abject poverty, ignorance, and low wages that is prevalent in Senegal will open greater opportunities for the youth like entrepreneurship in different sectors (primary, secondary, and tertiary) of the economy that can lead to job creation. 

Conclusion

Unfortunately, the current government of Senegal is not only unable to come up with an effective economic strategy to deal with these socio-economic problems because of a lack of political will, a president who exercises an excessive liberality with the public purse, the politicization of managers with the express request of their possible political involvement by the President, and a population that institutionalized the practice of corruption to gain favor with the possible involvement of the justice and the security forces, but also to deal with this endemic problems: Corruption. Furthermore, this regime is incapable of solving the challenges of bad governance, because of a conscious choice of a clientelist model which is inseparable from corruption by the current regime. 

Reversing these trends and characteristics of the current Senegalese economy should be the primary focus of any credible person aspiring to lead this nation. Hopefully, the current administration will reverse course and start the process of creating a stable political environment in which a productive debate among all the interested parties will take place so that the Senegalese people will get all the relevant information to make an informed choice as to the selection of the person who will lead the country in a new direction for the benefit of all Senegalese citizens. 

Looking towards the 2024 election, many politicians and presidential hopefuls are proposing policies and strategies to improve Senegal. However, no matter how great these policies and strategies are, no meaningful or impactful change can come from them unless we address the deep issues at the core of Senegalese government which are the cracks in the institutions and the constitution that allows for the executive branch to wield unchecked power. This allows them to use the state for personal enrichment, pursuing vendettas and state sanctioned embezzlement. Senegal can’t win the fight against poverty without winning the war against corruption.

Notes

(1) Ray Fisman “corruption: what everyone needs to know”

(2) The misery Index is calculated as the sum of the inflation rate and the unemployment rate.

(3) The evaluation of the tax system of Senegal by Souleymane Gueye

(4) Egger, P and Winner, H (2005) “Evidence on corruption as an incentive for foreign direct investment, European journal of Political Economy

(5) Haber. S (ed) Crony Capitalism and Growth in Latin America: Theory and Evidence, Stanford, CA Hoover Institution Press

(6) Fishman and Svenson (2001) Are corruption and Taxation Harmful to growth? Firm level evidence Manuscript, IIES Stockholm University

(7) Impact of Corruption on the Private consumption in Senegal by Souleymane Gueye. Working paper CCSF 2016

Mythes, technologies, humain et non humain…Achille Mbembé en méditation sur la communauté terrestre

Avec la « Communauté Terrestre » (2023, la Découverte), Achille Mbembé clot sa trilogie sur le devenir du Vivant entamée avec « Politique de l’inimitié » (2016, la Découverte) où il a décortiqué la figure de l’ennemi dans un chaos de guerres et de ségrégations et ensuite « Brutalisme » (2020, la Découverte) qu’il a consacré au devenir artificiel de l’humanité et à son pendant, le devenir-humain des machines. 

Depuis la publication des premiers travaux de ce philosophe, nous suivons une pensée évolutive à la quête d’une harmonie dans « un monde en combustion » et qui, à chaque ouvrage, nous livre un nouveau maillon qui se greffe à la chaîne symbiotique du vivant. A chaque lecture, nous voyons interagir des savoirs humains et non humains, visibles ou invisibles, à priori éloignés, parfois même en guerre (Science vs Mythes) et qui accomplissent sous nos yeux des mouvements d’harmonisation longs et précis- la ressemblance avec le Tai Shi est frappante- pour atterrir sur une matrice fluide qui respire profondément. C’est cette matrice ou cette lecture de différentes combinaisons que nous propose le philosophe pour continuer à habiter la Terre. « Aujourd’hui, la question centrale consiste à s’interroger sur la manière dont les formes complexes de vie pourraient être reproduites, soutenues, rendues durables, préservés et universellement partages à l’ombre d’une catastrophe cosmique potentielle », explique Achille Mbembé dans son nouvel ouvrage. 

Tout au long de son parcours, ce philosophe camerounais a été porteur d’une quête : Il nous a d’abord livré une analyse de la condition noire, du « postcolonialisme » à « la raison Nègre »[i], qui a mis en exergue les blessures traumatiques et transgénérationnelles occasionnées par le capitalisme impérialiste des anciennes puissances. Dans une seconde étape de son cheminement, Mbembé nous a dévoilé les déchirures d’un monde brutalisé, porteur de balafres profondes appelés Frontières, traversé de haine et de rejet de l’autre et, pour finir, transmuté dans l’ère computationnelle des machines et des biotechnologies. Dans cette ère artificielle, on ne sait plus qui de l’homme ou de la machine est le sujet ou l’objet, Les deux s’incorporant tels des avatars et formant un pouvoir mutant[ii]. On serait ainsi tenté de penser ces machines comme la nouvelle religion de l’homme, son joli miroir qui lui sert de support pour admirer son intelligence mais qui, sans conscience, pourrait hélas l’engloutir. 

Puiser des mythes africains 

Dans « la Communautés Terrestre », Achille Mbembé ajoute à son assemblage les mythes ancestraux africains pour démontrer, sur un ton plus poétique que d’ordinaire, à quel point l’homme fait partie d’un Tout et que ce Tout doit être appréhendé d’une façon systémique pour affronter la crise écologique. Cette pensée a de quoi déranger les héritiers du scientisme philosophique occidental. Il y a cinq siècles, Descartes et Bacon avaient raison d’imposer la Science (et donc l’Homme) face à une Nature omnipotente, dominée par des superstitions aussi sinistres que délirantes. Mais de nos jours, alors que la pensée occidentale a réussi à déconnecter l’homme de toute spiritualité pour le soumettre au joug exclusif du mental, est-il toujours opportun de continuer à dénigrer les mythes animistes ? Est-il sensé de priver l’humanité d’une partie de ses archives ancestrales et qui concourent à nous éclairer sur les combinaisons du vivant ? 

Si nous voulons continuer à habiter la Terre, il est peut-être opportun d’aller voir comment les peuples anciens faisaient communauté avec des entités non humaines et de s’en inspirer au même titre que les autres ressources actuellement à notre disposition, conseille le philosophe. L’Afrique laboratoire du devenir humain nous livre à ce titre d’insondables gisements, notamment chez les Dogons[1] et les Bambaras[2], choisis par Mbembé comme corpus d’étude. 

Au fur et à mesure que l’auteur dévoile l’héritage de ces deux cultures, des liaisons insoupçonnées commencent à faire sens. Comme par exemple, la conception de « la force vitale » de l’homme chez les Dogons qui, pour se nourrir ou guérir, a besoin d’entrer en contact avec les végétaux. Il est fascinant aussi de voir comment les Dogons s’imaginaient le cosmos, ses forces vivantes et comment ces dernières entraient en résonnance dans un mouvement de « correspondance biologique » : Chacune des parties de l’univers se projetant dans l’être humain qui est, lui-même, l’une des expressions privilégiées du microcosme. 

La Terre, une entité globale, une utopie

La Terre, dans ce contexte de résonnance, est la condition de notre survie. C’est grâce à elle que nous pouvons exister. Elle est un corps vivant, elle nous génère et se regénère mais elle ne nous appartient pas (Exit tout dogme juridique de la propriété !). Nous n’en sommes que les habitants, les gardiens, les passants. « Par terre, il ne faut pas entendre le sol, la parcelle, mais une vie qui se renouvelle dont la valeur est littéralement incalculable et qui échappe à tout pouvoir absolu de maitrise. Il s’agit d’un corps vivant, animé, dont l’une des propriétés est par ailleurs d’être une matière susceptible de rendre possible la vie ».

Ainsi définie, la Terre est une circulation des flux entre les communautés qui l’habitent et qui ne se limitent pas uniquement à l’humain. Ces communautés terrestres, il faudra distinguer des universalismes pensés par l’homme pour l’homme[iii]. La Terre n’est plus que « universelle », elle porte en elle toutes les manifestations de la vie, par conséquent toutes les traces de l’en-commun : Du « Tout Monde » défendu par les pères de la philosophie africaine, l’auteur nous propose de passer ainsi à un « Tout Planétaire » relié aux formes du cosmos : les fleuves, l’air, les microbes, les virus, les minéraux, les planètes, les montagnes, les énergies souterraines…viennent faire corps avec le « nouvel animisme » qu’incarnent les technologies et les dispositifs artificiels. Ce passage se fera en gardant à l’esprit que s’il y a bien une constante dans cette communauté terrestre interreliée, c’est la finitude des espèces. Nous devons désormais faire la paix avec notre mort.  

« Si nous avons su vivre avec constance et tranquillité, nous saurons mourir de même. Les philosophes se vanteront à ce sujet tant qu’il leur plaira, mais il me semble que la mort est bien le bout, non pas pour autant le but de la vie. C’est sa fin, son extrémité, non pas pour autant son objet ». (Montaigne, Essais, Livre III, Chapitre XII)


[1] Les Dogons sont un peuple du Mali à l’origine animiste et croyant en un seul Dieu créateur : Amma. La légende voulait que Amma se tenait dans un œuf. Il créa la parole avec sa salive et la première graine apparut. Elle contenait tout ce dont le monde avait besoin : la terre, l’eau et le feu. Amma créa alors des couples de jumeaux avec à chaque fois un mâle et sa jumelle.

[2] Les Bambaras sont une éthnie mandinque originaire du Mali mais qui s’est étendue sur l’Afrique sahélienne. A l’origine, l’esprit Yo a engendré Faro, le dieu de la parole et de la pluie bienfaisante, qui, à son tour, créa Mousso Koroni, la mère nourricière. 


[i] Achille Mbembé, De la Postcolonie : Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, 2000, Karthala, Paris et Achille Mbembé, Critique de la raison nègre, 2013, la Découverte, Paris. 

[ii] Pour comprendre la supervision permanente de nos comportements de nos émotions par les différents algorithmes et la big data, lire l’excellent Shoshana Zubbof, l’âge du capitalisme de surveillance, 2020, Zulma, Paris. 

[iii] Voir à ce niveau l’évolution des concepts d’universalisme depuis le siècle des lumières européen jusqu’aux mouvements de décolonialisme (notamment « l’universalisme de surplomb » de Merleau Ponty, le « Tout-Monde » de Aimé Césaire, « l’universalisme pluriel » de Bachir Diagne…).