Pour l’abolition des armées nationales africaines

La crémonie du 14 juillet, fête nationale française s’est déroulée cette année en présence du président malien par intérim, Dioncounda Traoré[1] et des ministres de la défense de 13 pays africains qui ont participé aux opérations militaires au Mali. Le défilé militaire a été ouvert par un détachement de soldats maliens (victorieux contre le terrorisme, comme chacun sait, ou ne sait pas…) et des forces de la Minusma. C’est à rendre le plus solide des intellectuels africains schizophrène.

Hormis les formidables troupes tchadiennes, il est impossible de repêcher un des voisins du Mali, dans la catastrophe que ce pays a connu au cours des dernières années. Tous ont plus ou moins traîné les pieds, du Sénégal au Nigéria, tout le monde avait son excuse bien en main : pas d’argent, pas d’avions, pas de légitimité, pas de stabilité, pas de troupes, on peut bien détacher 50 soldats à gauche, 120 ici ! Qui dit mieux ! Je me couche. Tu t’allonges ? Etc. Pendant des mois et des mois. Aujourd’hui, le club des 13 a délégué ses ministres à Paris. La couardise, ça se célèbre!

A quoi servent les armées africaines?

Il faudrait bien que quelqu’un pose la question suivante : de façon générale, à quoi servent les armées africaines ? A quoi exactement ?

restitution bases françaises

De mutineries en rébellions, de coups d’état en menaces de sécession, la plupart des troubles connus par les pays Africains au cours de cinquante dernières années sont venus de leurs hommes en armes. Les principales menaces armées auxquels les pays africains sont confrontés aujourd’hui ne peuvent être résolues par les armées classiques. Lorsqu’elle intervient, la toute puissante armée Nigériane est plus efficace à tuer des civils qu’à combattre Boko Haram. L’extrêmement disciplinée armée Sénégalaise a consacré les deux dernières décennies – et gageons les deux prochaines – à jouer à cache-cache en Casamance avec la rébellion. Face à la LRA, l’essentiel de l’armée ougandaise ne sert strictement à rien, ce sont des unités spécialisées, formées pour et à ce type de menaces qui sont le plus utile. Pour lutter contre la piraterie en haute mer, les attaques de champs pétroliers et la pêche illégale, les bâtiments de guerre accumulés par les pays du Maghreb ne sont strictement d’aucune utilité.

Le fait est que les pays africains constituent leurs armées et continuent de les entretenir, de leur consacrer des parts aberrantes et indécentes des ressources nationales, sous le prétexte qu’elles sont nécessaires en cas de conflits avec leurs voisins. Conflits qui la plupart du temps ne se réalisent pas. Et lorsque de tels guerres interétatiques ont lieu, c’est le plus souvent soit par procuration (Tchad contre Soudan, Rwanda et Congo), soit parce que l’armée a de fait pris le contrôle de l’Etat (l’Erythrée est l’incarnation africaine du vieil adage de von Schrötter « non pas un pays avec une armée, mais une armée avec un pays).

J’ai tourné autour de ce point à plusieurs reprises au cours des deux dernières années, c’est peut-être le moment de le formaliser : il est temps d’abolir les armées nationales en Afrique subsaharienne – les pays du Maghreb ont assez de raisons de les maintenir, entre les vieilles rancunes nationales et Israël, il n’y a qu’à choisir…

En abolissant ces armées, comme le fit le Costa Rica il y a plus de cinquante ans, cela dégagerait une partie des ressources financières gaspillées actuellement à entretenir une classe exceptionnellement dangereuse et meurtrière de ballerines pour jours de parade, mais cela aussi ôterait des systèmes démocratiques africains l’épée de Damoclès représentée par ces capricieux et virevoltants chiens de garde.

Imaginez le camp Gallieni… Fermé!

Des armées régionales seraient constituées, sous l’égide des exécutifs régionaux, déployables sous mandat conjoint du conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine et d’un organisme de coopération régionale dédié. Elles pourraient être organisées de façon à réagir contre les menaces nouvelles auxquelles l’Afrique est confrontée : trafic de drogue et de personnes, insurrections terroristes, piraterie. Ces soldats seraient le bras armé de la démocratie en Afrique, constitué par l’Afrique, pour l’Afrique. Plus besoin de recourir aux forces des anciens empires coloniaux. Les forces de police et de gendarmerie seraient certainement maintenues, mais sans plus. Plus de maréchaux, ni de généralissimes. Plus de chars autour des hotels des opposants. Il faudra se présenter tout propre devant une cour à Addis Abeba et expliquer en anglais pourquoi on veut bien faire un coup d’état.

S’il n’y a pas de soldats pour menacer le parlement ou les électeurs, qui pourra se maintenir au pouvoir par la force ? S’il n’y a pas d’armée nationale, qui pourra se mutiner contre un gouvernement démocratique ? Et s’il n’y a plus de garde républicaine hyper-loyale à l’hyper-président, qui décidera de tirer sur les opposants.

Je sais que rien de cela ne se réalisera bientôt. Pour mille raisons, le crépitement des tambours majors, le bruit des bottes sur le pavé, les têtes rasées, tempes et nuques dégagées, « présentez armes ! », tout cela a ses partisans.

Mais pour combien de temps encore ?

Imaginez le camp Gallieni. Fermé.

C’est si facile quand on essaie…

 


[1] Il faudra qu’un jour je me renseigne sur sa manie de l’écharpe blanche, à Dioncounda Traoré : en a-t-il une collection ? Des équipes de blanchisseurs sont-elles chargées de nettoyer nuitamment l’artefact  vestimentaire préféré de son excellence ? Qui la lui a offerte ? Et pourquoi blanche au fait, avec la poussière de Bamako ?

 

 

 

 

 

Haro sur le dysfonctionnement chronique des armées africaines

 

 

 

 

armées africaines

Inefficaces, incompétentes, peu organisées, mal équipées, mal aimées… Les maux qui gangrènent les armées africaines sont légion depuis plusieurs décennies.  Rares sont celles qui sont parvenues à bâtir une bonne réputation à travers leur comportement dans des missions de maintien de la paix et autres théâtres d’opération : le Tchad, le Ghana, le Nigéria, l’Afrique du Sud, et le Sénégal parmi peu d’autres. Mais la plupart des armées africaines souffrent d’une profonde maladie relative à leur opérationnalité et à leur efficacité. Si bien qu’elles se font surprendre naïvement par des groupes rebelles sous le regard impuissant des autorités politiques qui les gouvernent.

Au Mali, en Guinée Bissau, en Centrafrique, en République Démocratique du Congo, pour ne citer que ces pays, elles se sont révélées incapables d’assurer le rôle traditionnel qui leur est dévolu : la défense et la sécurité nationales. Pis, elles sont redoutées par les pouvoirs publics et craintes par les populations qu’elles sont censées défendre. Il faut donc absolument chercher, trouver, et guérir le mal qui empêche les armées africaines de remplir leurs missions.

Communément admises comme les grandes muettes, les armées sont confinées à un rôle de sécurisation des territoires dans le strict respect de la hiérarchie interne et des autorités politiques.  Ces dernières conservent un droit de commandement indiscutable sur elles et, inversement, les militaires sont emmurés dans un devoir de réserve et de neutralité par rapport à la chose politique. Il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence de tels principes. Le bon soldat, toujours prêt à exécuter les ordres de ses supérieurs, sans hésitation ni murmure, n’a aucun droit de cité dans la gestion des affaires publiques. A peine lui reconnaît-on parfois un droit de vote distillé au compte-goutte et il le rend bien : il reste poliment chez lui lors des consultations électorales.

Dans l’acception commune, les hommes de troupe doivent rester dans les casernes. Ils n’en sortent que pour faire face à l’ennemi extérieur qui menacerait l’intégrité nationale. Mais il est temps de sortir de ces carcans de pensée ! Pourquoi confiner le militaire à un rôle d’exécution pur et simple, alors qu’on lui demande dans le même temps d’abandonner famille et amis pour servir la Nation ? Risquer sa vie. Tomber au front. Aider les citoyens et se taire. Ne jamais broncher. Veiller nuit et jour sur les autres…

Il est impossible d’énumérer le nombre de dysfonctionnements dont souffrent la majeure partie des hommes en tenue. Malgré le semblant d’hiérarchie et de discipline qui les caractérise, ils subissent dans un silence intenable les rugosités de l’organisation administrative. Les maigres indemnités dont ils doivent bénéficier sont accordées à ceux qui connaissent les bonnes personnes dans l’administration. Les dossiers de demande d’affectation ou de prise de congé par exemple dorment pendant une éternité dans les tiroirs de ces administrations. Il ne faut surtout pas qu’ils lèvent le plus petit doigt ou qu’ils interpellent leurs chefs sur ces dysfonctionnements innombrables. Jusqu’à quand faut-il accepter cet état des choses ? Combien de temps peut-on docilement rester subordonné aux injonctions parfois irrespectueuses des chefs, subir les lenteurs administratives, et veiller scrupuleusement à la sécurité des citoyens ?

Les dysfonctionnements tuent les armées africaines. De Dakar à Abidjan, de Bissau à Bangui, de Lagos à Kinshasa. Elles souffrent d’un manque criard de ressources financières, de matériels d’équipement, d’efficacité organisationnelle. De plus, elles ne doivent jamais s’encombrer de débats publics sur leurs tares.  Elles doivent se maintenir dans les rangs pour mériter la confiance des autorités politiques qui décident de leurs lignes budgétaires et de l’opportunité de leurs interventions au front. La discipline est inscrite au fronton des camps militaires. Leurs conditions de restauration, de logement, de transport et de combat laissent beaucoup à désirer.

Quant à la dichotomie entre les unités de gendarmerie et de police, elle reste incomprise et inutile. Les unes civiles, les autres militaires. Dans cet imbroglio indicible, la plupart des citoyens font mal la part des choses entre les rôles des unes et des autres. L’autre inconnue réside dans le cheminement des dossiers de plainte selon qu’il s’agisse d’un circuit militaire ou policier. La relation avec les autorités judiciaires est difficile à établir. Rien n’empêche les services du procureur de la République ou du juge d’instruction de classer ces dossiers sans suite, surtout lorsqu’une connaissance bien placée ne les accélère pas. Le reste est affaire de copinage. Et de corruption en veux-tu, en voilà !

Les militaires donnent beaucoup et reçoivent peu, lorsqu’ils ne font pas partie du petit nombre bridé par le pouvoir politique. Ils exercent l’un des métiers les plus ingrats au monde, et l’un des plus nécessaires.

Ceux qui sont préposés à la circulation urbaine parviennent rarement à la fluidifier. Ceux qui se trouvent aux frontières, même parmi les officiers, ont peu de prise sur le commandement de leurs propres unités. Il faut toujours un ordre qui vienne d’en haut. A quoi bon les responsabiliser dans ce cas ? Ceux qui se trouvent sur les théâtres d’opération manquent de moyens logistiques qu’ils pourraient mobiliser de manière immédiate face à un danger. Ils servent de chair à canon et doivent prouver en permanence leur bravoure et leur aptitude au combat. Il faut réviser en profondeur le mode de fonctionnement des armées ainsi que leur traitement salarial. Il faut leur doter de moyens financiers et logistiques conséquents. Beaucoup de services de gendarmerie et d’infanterie ne disposent pas des moyens de travail les plus basiques. Et après on s’étonne que les armées soient divisées, inefficaces, et qu’elles déguerpissent à la moindre menace ! Les autorités politiques africaines doivent s’occuper de leurs armées avant que le mal ne s’installe de manière irréversible.

 Mouhamadou Moustapha Mbengue

Sécurité au Sahel : comprendre le « puzzle algérien »

Bouteflika & HollandeA bien des égards, l’Algérie dispose de tous les atouts nécessaires à en faire l’acteur clé de la sécurité en Afrique du Nord et dans le Sahel, notamment dans le cadre de la crise malienne.
 
D’abord par la simple force des chiffres. Avec 8,61 milliards de dollars (2011), le budget du ministère de la défense algérien est le plus élevé d’Afrique, supérieur même à ceux du Maroc et de l’Egypte combinés (3,34 et 4,2 respectivement sur la même période). Les forces armées algériennes disposent également d’une remarquable capacité de projection et de combat : une division d’intervention rapide composée de 4 régiments de parachutistes et d’un régiment des forces spéciales ; 125 avions et 33 hélicoptères de combat, plus d’un millier de chars de combat principaux et un nombre similaire de véhicules de combats d’infanterie.

Ensuite par l’expérience. Alger a dû lutter, presque seule contre la violence du Groupe Islamique Armé, durant la guerre civile de 1991-2000. Durant ce conflit qui fit plus de 100.000 victimes, l’Algérie acquis – douloureusement – une expertise de première-main dans la lutte contre le terrorisme et un statut de presque-paria de la communauté internationale dû aux pratiques de ses services de Sécurité. Le 11 Septembre 2001 a servi à légitimer la « mano dura » des "éradicateurs". Le très redouté Département du Renseignement et de la Sécurité, fort de 16.000 hommes, a été au cœur de l’appareil sécuritaire en Algérie, depuis sa formation en 1962. Et si ses méthodes restent controversées, le DRS est selon, les mots de John Schindler, ancien analyste en chef de la division contre-espionnage de la National Security Agency, « peut-être le service de renseignement le plus efficace au monde, lorsqu’il s’agit de lutter contre Al Qaida
 
Par l’influence aussi. En partie nostalgique, parce que cahin-caha, l’Algérie a conservé un peu de l’aura acquise au temps des "non-alignés". Mais surtout parce que l’Algérie dispose de contacts poussés et constants avec les principaux acteurs de la région. L’Algérie a ainsi été l’intermédiaire et l’hôte de tous les accords négociés entre le Mali et les divers mouvements Touaregs. C’est sur pression d’Alger que le MNLA a – de mauvaise grâce – accepté de libérer des soldats maliens au début de l’insurrection. Et plus que tout, Iyad ag Ghali, leader d’Ansar Dine, a été les des interlocuteurs principaux du gouvernement algérien durant les négociations sur la question Touareg – il est considéré par certains comme un agent du DRS, coutumier de l’infiltration de groupes radicaux.
 
Par le jeu d’alliances, enfin. Le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC) créé en avril 2010 sous l’instigation d’Alger et basé à Tamanrasset, regroupe l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie. Il est censé coordonner les efforts de ces pays dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. L’Algérie fait également partie du Transaharan Counter-Terrorism partnership, programme inter-agences américain regroupant le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Maroc, la Tunisie, le Nigéria et le Sénégal. Succédant en 2005 à l’initiative Pan-Sahel du gouvernement américain, ce programme vise à renforcer les capacités des armées africaines dans la lutte contre Al Qaida et à renforcer la communication et l’interopérabilité entre elles. Il convient également de noter que Ramtane Lamamra, chef de Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine et Saïd Djinnit, responsable du Bureau de l’ONU en Afrique de l’Ouest sont algériens. Autant de preuves du désir d’Alger de jouer un rôle décisif et reconnu dans la région.
 
Autant de raisons qui rendent incompréhensible l’attitude des autorités algériennes depuis le début de la crise malienne, qu’il s’agisse du retrait de ses conseillers militaires au plus fort de la bataille de Tessalit en mars 2012 ou de la reluctance initiale à ouvrir l’espace aérien algérien aux avions français dans les premiers temps de l’opération Serval. La frustration devant la réticence de l’Algérie redonne du grain à moudre à ceux qui, depuis belle lurette, condamnent la « paranoïa » de l’establishment militaire du pays.
 
La réalité est plus complexe et fait apparaître bien des signes de fragilité dans l’édifice politico-militaire algérien.

Au commencement était la rancœur. L’Algérie n’a pas pardonné à l’administration d’Amadou Toumani Touré, les liens qu’elle a entretenus entre 2002 avec AQMI (et son ancêtre le GSPC) entre 2002 et la chute du général-président. En voulant coûte-que-coûte acheter la paix dans le Nord, ATT aurait laissé se développer un système corrompu dans le nord qui bénéficia financièrement et politiquement à Al Qaida au Maghreb Islamique, renforça les griefs des Touaregs, radicalisa le MNLA et sabota l’influence de l’Algérie dans la région. ATT aurait ainsi semé le vent et récolté sa tempête.
 
L’Algérie se méfierait également du rôle de la France et du Maroc dans la question malienne. A la première, en sus des griefs historiques, il est reproché son attitude "cavalière" à la chute de Kadhafi, qui permit la sortie d’importantes quantités d’armes et munitions – utilisées par la suite contre le gouvernement malien. L’empressement à intervenir au Mali fut considéré comme une autre de ces décisions hâtives aux conséquences mal-anticipées. La CEDEAO pour sa part, ne serait qu’un autre « jouet » de Paris, utilisé pour contrecarrer l’influence d’Alger. Les vieux démons des "évènements en Algérie" n'ont pas été gommés par le discours de Tlemcen. Le Maroc est quant à lui accusé de manipuler le MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) et de l’utiliser en vue de déstabiliser le Front Polissario. L’enlèvement de responsables algériens, par ce mouvement, dès la saisie de la ville de Gao en avril 2012 l’exécution du vice-consul algérien Taher Touati en septembre suffirent à valider cette lecture.
 
La peur d’une "Afghanisation" du Nord Mali a elle aussi joué son rôle dans le refus d’Alger de participer à une intervention militaire. L’exemple de la Somalie où l’intervention de l’Ethiopie, en 2006, censée mettre un terme au contrôle exercé par l’Union des Tribunaux Islamiques déboucha sur la radicalisation et le renforcement d’Al-Shabbaab, hante les autorités algériennes. Ce scénario catastrophe est aussi l’une des raisons des hésitations américaines et françaises. Sans la marche vers Mopti d’Ansar Dine, début janvier 2013, la France aurait probablement maintenu son attentisme. La reluctance initiale du Ghana, du Sénégal, de la Mauritanie et du Nigéria à mettre ses soldats à la disposition de la mission d’intervention de la CEDEAO au Mali, n’a pu que renforcer Alger dans un choix, vers lequel sa tradition de "non-intervention" l'orientait de toute façon.

Il se trouve enfin que les autorités algériennes craignent toujours les retombées du « Printemps Arabe ». Les risques de voir un gouvernement islamiste s’emparer du pouvoir en Algérie sont minces. Le souvenir de la guerre civile reste suffisamment fort, aujourd’hui encore, pour ôter toute majorité populaire à quelque mouvement islamiste, aussi « modéré » soit-il. Il reste évident, en revanche, que le scénario d’un intervention « occidentale » au Mali aboutissant à une union et un renforcement des mouvements islamistes de la région est un risque que le gouvernement algérien n’a pas voulu courir. En tout cas pas avec des camps accueillant 30.000 réfugiés du Mali susceptibles d’être infiltrés et radicalisés. Pas avec une gérontocratie militaire redoutant une révolution de caserne « à la portugaise ». Pas avec un Bouteflika vieillissant dont le  départ probable en 2014 augure une transition compliquée et risquée. Et surtout pas avec l’exemple de l’Egypte où le parti "islamiste modéré" défit en 5 mois la mainmise de l’armée sur le pays, là où les "islamistes modérés" turques mirent 30 ans…
 
Sous le « puzzle » algérien devant la crise malienne se cache un mélange de ressentiment, de bon sens paysan, de géopolitique extrêmement pointue et… une lutte pour le pouvoir.
 
Joël Té-Léssia

Pour que les Grandes Muettes africaines se taisent!

Une fois de plus, le continent africain s’est mis à l’honneur en organisant une nouvelle édition de sa compétition favorite : le coup d’État militaire. A Bamako, les hommes en treillis ont une fois de plus mis à genoux une république à l’allure très démocratique. C’est l’occasion de s’interroger sur la rentabilité économico-politique de l’existence d’une armée dans les pays africains…

 La mission première de l’Armée est d’assurer la sécurité de l’État. L’Armée est censée protéger celui-ci des menaces d’envahissement ou d’atteinte à son intégrité par des forces extérieures. Si les conflits armés internationaux diminuent de manière constante dans le monde, la puissance de l’Armée demeure une arme de dissuasion massive et d’affirmation de sa puissance économique.

 Des spécificités dans le rôle de la « grande muette » peuvent néanmoins apparaître en fonction du niveau de développement du pays. Dans les pays développés, au-delà de la dissuasion passive, les armées servent souvent à défendre les intérêts du pays hors de ses frontières. De nombreux ivoiriens, irakiens et libyens ont encore le souvenir du passage des armées française et américaine. En maintenant l’influence des pays développés dans les pays moins avancés, l’armée permet, en toute discrétion, de maintenir la sécurité intérieure par la sécurisation des approvisionnements en matières premières (cas du pétrole de Lybie pour les puissances occidentales).

Dans les pays émergents, la consolidation de la puissance militaire et la maîtrise de la fabrication d’armes (de destruction massive) peut permettre à des économies émergentes d’affirmer leur puissance économique et de mettre en avant le sérieux nécessaire au suivi de plans souvent très longs de construction d’une filière technologique militaire performante.

 Les investissements dans le secteur de la Défense peuvent aussi se révéler hautement productifs, par les progrès scientifiques qu’ils engendrent. Le secteur de la Défense est perçu comme un secteur fortement concurrentiel où le seul moyen de triompher est l’innovation. Il faut avoir la mémoire courte pour oublier qu’Internet a été conçu pour faciliter les échanges entre les chercheurs du Département de la Défense américain. En France, les innovations produites chez Thales, EADS et Dassault dans l’aviation militaire sont très souvent une projection des avancées de l’aviation civile.

 Dans le contexte des pays africains, on peut s’interroger sur la nécessité pour elles de choyer une composante si capricieuse de la population. Dans le contexte mondial actuel (depuis un bon moment d’ailleurs), la puissance d’une nation se mesure à sa puissance économique et non pas à sa puissance militaire (n’en déplaise au trublion Ahmadinedjad). Il n’existe quasiment plus de conflit armé international (dans lequel deux pays s’affrontent) dans le monde, encore moins en Afrique. A quoi servent donc les armées dans les pays africains ?

Malheureusement, la dure loi des statistiques fait que le degré de sensibilisation de la population militaire aux notions de démocratie et d’expression pacifique de ses griefs est exactement le reflet du degré de sensibilisation de la population restante du pays. Si la population dans son ensemble n’a pas été éduquée au concept de démocratie et de respect des institutions, il y a de fortes chances que les militaires ne le soient pas non plus. A la différence des autres corps de la population, l’Armée possède des arguments de choix… Dès lors, l’équation est simple : dès que les militaires ne sont plus contents du sort qui leur est réservé par le pouvoir en place, ils le renversent et entretiennent de fait, même si le pouvoir est remis à des civils, une sorte de terreur sur le pouvoir qui se doit de répondre à ses moindres attentes.

 Finalement, l’Armée sert uniquement au Chef de l’État à se protéger… des mutins de l’Armée !!

 Que faut-il donc faire ? Continuer à entretenir l’armée pour finalement se protéger d’elle-même ? Une idée pourrait être de « sous-investir » dans l’armée afin de lui ôter toute capacité de nuisance interne. Une fois que les populations auront intégré de manière durable les concepts de partage de pouvoir et de démocratie, on pourra recommencer à renforcer l’armée. Celle-ci pourrait alors jouer le rôle qu’elle joue dans les pays émergents et dans les pays développés. Dans l’état actuel des choses, aucun pays africain ou faiblement démocratique ne peut se permettre de négliger les revendications de ses forces armées. Mais qu’on la fasse taire cette « grande muette ».

Ted BOULOU

Crédit photo: essor.ml