Mali : Pourparlers d’Alger, l’éternel recommencement ?

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Eu égard aux nombreux accords de paix peu fructueux, précédemment conclus entre les mouvements armés touaregs et l'État malien, on est en droit de se demander si les négociations qui se déroulent actuellement à Alger ne sont pas rien d’autre que la suite d’une longue série de désillusions.

Les discussions ont été planifiées en trois phases : après l’adoption en juillet d’une feuille de route sur le déroulement des négociations, les deux parties discutent actuellement sur les questions de fond en vue d’un  pré-accord, supposé déboucher sur la signature d’un accord final. Entamées dès la mi-juillet, à ce jour, les négociations n’ont produit aucun accord définitif. On pourrait cependant estimer qu’elles semblent être parties pour durer, dans la mesure où il existe une profonde dissension entre  les groupes touaregs présents à Alger.

Le 4 juillet 2006, des accords de paix avaient déjà été conclus entre l’État malien, et l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC, un groupe armé touareg). Ces accords faisaient suite au soulèvement armé du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka. L'histoire nous enseigne que sceller des accords sur des bases fragiles n’est guère la garantie d’une paix durable.

Les circonstances des pourparlers de 2014 diffèrent largement de celles de 2006 sur plusieurs points. Dans la démarche, on s’aperçoit que les représentants des populations de l’ensemble du Nord-Mali, et pas seulement touarègues sont associés aux discussions en cours. La question est de savoir si elles seront entendues. Pendant ce temps, des populations de Gao et Tombouctou continuent de manifester pour exiger leur attachement à la République du Mali.  Le Collectif des ressortissants du Nord (COREN), présent à Bamako, enchaine également les manifestations pour s’opposer à ce que les groupes armés négocient au nom de toutes les composantes du Nord-Mali. 

En 2006, l'État malien était en position de force face aux interlocuteurs touareg. Pendant les discussions, il continuait d’assoir son autorité sur la zone disputée. En 2014, la région de Kidal (principal fief touareg) est dépourvue de toute présence de l’Etat du Mali. L’autorité des groupes armés touaregs s’affirme d’autant plus que l’armée malienne a essuyé une défaite cuisante lors de sa tentative d’accaparement de Kidal. Cela peut laisser croire que Kidal, quelle que soit l’issue des pourparlers d’Alger, restera aux mains des rebelles  touareg. En mai, le Premier ministre malien Moussa Mara avait été sommé par les rebelles touaregs de renoncer à sa visite à Kidal. N’ayant pas été dissuadé par cette mise en garde, sa visite forcée a donné lieu à un violent affrontement qui a causé la mort de plusieurs personnes dans le camp gouvernemental.

Dans le processus du dialogue, le président malien Ibrahim Boubacar Kéita se trouve dans une situation très inconfortable. On se souvient qu’il a dû recourir à la Cour constitutionnelle du Mali pour s’opposer aux accords d’Alger de 2006. En effet, son parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), les avait simplement rejetés, estimant qu’ils étaient trop onéreux au profit des groupes touaregs et dommageables pour l’Etat malien. Au vu de ses propos antérieurs et aux agissements qui en ont découlé,  il est contraint de faire montre d’une attitude de fermeté à l’égard des revendications touareg. Les négociations pourraient donc en pâtir.

La première défaite du président malien porte sur le lieu des discussions. Il avait exigé qu’elles se tiennent au Mali et nulle part ailleurs, du fait de leur caractère inter-malien. Les protagonistes touaregs, s’y étant opposés, ont fini par obtenir qu’elles aient lieu à Alger.

La situation demeure plus que jamais complexe car d’une part, les mouvements touaregs sont scindés en plusieurs groupes (le MNLA, le MAA et le HCUA), avec des revendications parfois divergentes. D’autre part, les décisions communes approuvées par certains représentants politiques présents à Alger sont rejetées par leurs bases militaires à Kidal. C’est le cas du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) dont le coordinateur militaire présent à Targuent (près de Gao) disait que « ceux qui ont signé le pré-accord avec le gouvernement malien, ne représentent pas le MAA, et ne sont que des imposteurs qui ont quitté le mouvement pour rejoindre le MNLA ».

A ce sujet, lors de sa rencontre du 6 octobre 2014 avec les diplomates accrédités au Mali, le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, de retour d’Alger, confiait ainsi que certains groupes armés touareg ont refusé de s’asseoir à la même table de négociations que d’autres groupes, accusés d’être proches des autorités maliennes.

Les différences sont marquantes et les positions semblent figées. L’État  malien estime non-négociable le projet de fédéralisme exprimé par les groupes touareg. Étant donné la position de force des groupes armés touareg, l’attachement d’une grande partie de la population septentrionale à la République du Mali et  la marge de manœuvre relativement étroite du gouvernement du Mali, on peut estimer qu’à défaut d’une indépendance ou d’un fédéralisme, on s’achemine timidement vers l’attribution d’un statut particulier au nord du Mali, qui accorderait plus d’autonomie à cette partie du pays. Cela devrait nécessairement donner lieu à une réorganisation administrative du Mali.

L’avantage à tirer des échecs antérieurs est de situer clairement les dysfonctionnements qui ont causé les résurgences incessantes des rebellions touarègues, et d’y remédier afin de bâtir une paix réellement durable.

Parallèlement à l’aspect politique, il est important que justice soit rendue aux victimes d’exactions, car il serait contre-productif d’envisager une réconciliation en ignorant l’étape de la justice.

Il est extrêmement important pour l’État malien que les groupes touareg parlent d’une seule voix. Lors des précédentes rebellions, les accords conclus n’ont jamais été acceptés à l’unanimité par les différents mouvements. Il n’est donc guère étonnant de voir les réfractaires aux accords de paix reprendre les armes. Si leur efficacité est prouvée sur le terrain militaire, les groupes touareg sont caractérisés par le flou et l’incohérence politique. Concernant leurs rapports, ils sont fragmentés et n’ont su présenter aucunes revendications communes. Quant à leurs exigences, on ignore jusque-là ce que recouvrent véritablement les notions d’indépendance, de fédéralisme ou encore d’autodétermination parfois revendiquées.

Dans la formulation des propositions, l’Etat malien devrait d’une part s’abstenir de toute concession au-delà du raisonnable. Dans le cadre de l’exécution des accords d'Alger  pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, signés en 2006, des combattants touareg intègrent l’armée nationale malienne, et sont autorisés à rester dans leur zone. Leur défection de l’armée, et leur ralliement au MNLA, pendant les dernières hostilités en 2012, a été un important facteur dans la chute du Nord-Mali.

D’autre part le gouvernement malien ne devrait formuler aucun engagement qui serait difficilement applicable. Antérieurement, la non-exécution des accords de paix a aussi servi d’alibi aux groupes touareg dans l’enclenchement des hostilités les opposant à l’État du Mali.

Les négociations entre l’Etat malien et les mouvements sécessionnistes touareg, sur quelles bases ?

Mali_KidalPendant que les rapports islamistes-populations étaient très tendus dans les autres régions du Nord-Mali, Kidal (fief des Touaregs) continuait d’entretenir un climat de dialogue avec les groupes islamistes. Tout au long du processus de négociation en cours (fin 2013), la situation parait aussi délicate que floue, quand on sait que djihadistes et sécessionnistes touaregs ont pu nouer des liens de circonstances, souvent concrétisés par des alliances familiales. Et confuse quand on sait que pour continuer d’exister sereinement, des djihadistes peuvent simplement hisser le drapeau du MNLA sur leurs véhicules.

Derrière leur unité de façade, les groupes touaregs MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad), HCUA (Haut conseil pour l'unité de l'Azawad) et MAA (Mouvement arabe de l'Azawad), semblent cacher de sérieuses divergences (revendications divergentes et ambitions personnelles des différents leaders). La stratégie des autorités maliennes, constituant à s’appuyer sur les fractures existantes entre ces groupes afin de les fragiliser et de rester en position de force dans le cadre des négociations, est inopportune compte tenu de la conjoncture. En amont des pourparlers, le gouvernement malien devrait au contraire s’assurer d’une union solide des groupes touaregs, et de leur légitimité à représenter le peuple touareg. Car sceller un accord avec des groupes fractionnés, c’est courir le risque d’une résurgence du problème en question, comme cela s’est produit lors des précédentes rebellions touarègues.

Les contraintes de l’aboutissement des négociations.

Pour mieux comprendre la rudesse de la tâche du gouvernement malien, il convient de se reporter aux véritables sources du problème touareg, qui remontent à l’époque coloniale. La France imposa sa main mise sur le Sahara central en 1906. La force coloniale concède toutefois aux touaregs, une relative autonomie qui devait les laisser libre de leur mouvements, la liberté étant au cœur de la culture touarègue. L’avènement des indépendances en Afrique occidentale française et le découpage territorial, éparpillèrent le peuple touareg désormais repartis entre plusieurs pays. Mais bien avant l’indépendance, l’accession en 1957 des anciennes colonies françaises à un régime semi-autonome, en vertu de la loi cadre (loi Defferre du 23 juin 1956), poussa le peuple nomade à caresser dès cette période le rêve d’un Etat touareg. Les chefs traditionnels touareg de l’époque, avec à leur tête Mohamed Ali Ag Attaher[1], s’accordaient pour rejeter une fusion avec les "Noirs" au sein d’un même Etat. La notion de nation se fonde sur le désir de vivre ensemble. Pourtant, il apparait clairement que l’irrédentisme touareg s’est manifesté en amont de la création de l’Etat malien, c’est-à-dire bien avant l’indépendance du pays en 1960. «L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours» (Ernest Renan, 1882). Ce plébiscite du peuple touareg, dans l’Etat du Mali, dont le parcours postcolonial fut jonché de contestations à caractère sécessionniste,  ne s’est manifesté que de façon intermittente.

En réaction à l’indépendance du Mali, Mohamed Ali Ag Attaher disait : « Il faut que la France, qui a tailladé notre nation et notre pays, sache que ni l'argent ni le feu ne nous feront jamais accepter d'être dirigés par ses nouveaux serviteurs ». Sa détermination pour la création d’un Etat touareg est à l’origine de la première rébellion touarègue en 1959. Face à la résolution irrédentiste du peuple nomade, le président malien Modibo Kéita (1960-1968) n’envisage guère de solution politique. La minimisation du problème va même conduire les autorités maliennes à qualifier les leaders de la contestation de bandits armés. Et la réponse de l’Etat malien à la fronde touarègue ne fut autre que l’usage disproportionné de la force. Les Touareg sont, dès lors, sujets d’une surveillance accrue à travers une forte militarisation de leur zone. Deux ans après l’indépendance du Mali, la période  1962-1964 était marquée par la première rébellion touareg du Mali indépendant. La suivante déclenchée le 27 juin 1990, concomitamment au Mali et au Niger, fut définitivement résolue par les accords d’Ouagadougou du 15 avril 1995. Et le 27 mars 1996 a lieu la cérémonie de la Flamme de la paix à Tombouctou au cours de laquelle, environ 3600 armes d’anciens rebelles sont publiquement détruites. Les mouvements touareg, après avoir proclamé leur dissolution, ont bénéfice d’une amnistie générale. La résurgence de la contestation touareg suivit son cours, et le 23 mai 2006 éclata une nouvelle rébellion. Dès juillet 2006, des accords de paix censés mettre fin aux hostilités étaient signés à Alger. Pourtant en 2007 et 2008, les affrontements reprirent avant la signature des accords du 7 octobre 2009 entre le gouvernement et les groupes rebelles.

Certaines des solutions proposées par le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, figurent dans le Pacte national d’avril 1992, signé entre le gouvernement malien de transition présidé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et les représentants des mouvements et front unifiés de l’Azawad. Le pacte prévoyait d’accorder aux trois régions du nord, un statut particulier. Un projet de décentralisation proposé  par Edgar Pisani y était inclut. Il prévoyait un nouveau découpage administratif du Nord-Mali, fondé sur des assemblées locales, régionales et interrégionales. Le pacte national fut un échec car des dissensions continuaient  d’exister entre les différents mouvements touaregs. L’ensemble des populations civiles, ni les milliers de réfugiés ne furent pas associés à son élaboration. Les bailleurs de fonds internationaux, censés soutenir la paix en finançant les projets de développement, n’honorèrent pas leurs promesses.

La sècheresse des années 1970

La sédentarisation des Touareg, due à la grande sècheresse des années 1970, posa un gros problème aux populations nomades qui étaient accueillis dans des camps de réfugiés. Ils sont donc forcés à une sédentarisation, due, à la fois, à un évènement climatique mais aussi à des logiques d’Etat défavorables au nomadisme. Au regard de la conjoncture, un nombre important de  jeunes touaregs décident d’émigrer vers des pays du Moyen-Orient et du Maghreb. Nombreux parmi eux sont accueillis en Libye où Kadhafi leur accorde la nationalité libyenne, avant de les insérer dans l’armée. En mars 2011, la France lançait en Libye, sous le commandement de l’OTAN, l’opération militaire Harmattan, visant à soutenir la branche armée du Conseil National de Transition libyen. Elle n’envisagea guère les conséquences collatérales d’une telle intervention en termes de déstabilisation de la région. Après la mort du guide libyen, ces Touareg qui étaient admis dans l’armée libyenne en tant que membres supplétifs investissent le Nord-Mali lourdement armés. C’est ainsi que débutait la dernière rébellion touareg, les prémices d’une succession de crises de différentes natures.

Les Touareg (représentés par les différents mouvements sécessionnistes) apparaissent ainsi comme un peuple distinctement irrédentiste, dont l’aspiration à l’indépendance ne s’est jamais estompée, même au travers des principaux accords de paix précédemment signés avec les gouvernements maliens successifs.     


[1] Mohamed Ali Ag Attaher est devenu chef des Kel Intesar à la mort de son père en 1926. Soupçonné de diriger la révolte touarègue qui en 1963 éclate dans l'Adrar sous une forme violente, il est extradé par les autorités marocaines et remis au gouvernement malien. Sa détention à Bamako durera de 1963 à 1977. Jusqu’à sa mort en juillet 1994 au Maroc, il a toujours refusé tout compromis avec l'Etat malien.

 

 

L’impunité au Mali : Vers une récidive des erreurs précédemment commises ?

dv1915456Depuis que le Mali a rompu avec le régime dictatorial du général Moussa Traoré (1968-1991), suite à la révolution du 21 mars 1991, la démocratie malienne instaurée par Alpha Oumar Konaré et perpétuée par Amadou Toumani Touré, était un exemple, et citée parmi les plus prometteuses d’Afrique. La crise que vit le pays depuis mars 2012, sans doute la plus importante de son histoire, a sérieusement fracturé la société malienne dans son ensemble, bouleversé le dispositif politique, et permis de dévoiler ce mirage démocratique longtemps vanté, qui était pourtant bâti sur des bases fragiles.

L’issue de cette crise devrait donner lieu à une réorganisation en profondeur de la société malienne, à une redéfinition de la politique et un véritable dialogue entre différents antagonistes afin d’aboutir, enfin, à un consensus et une paix réellement durable. Pour cela, il est indispensable d’éviter les solutions expéditives pour ne pas à nouveau commettre les mêmes erreurs que lors des précédentes crises.

L’impunité : solution de la crise malienne ?

Le Mali semble de plus en plus dans une impasse. Les décisions politiques "désespérées" du président Ibrahim Boubacar Kéita (élu en août 2013) pour amener le pays vers la paix paraissent inopportunes, et l’inextricabilité de la situation malienne est de plus en plus prononcée. Des décisions politiques inopportunes, car, dans l’intégralité du processus de résolution (entamé par l’élection présidentielle) de la crise malienne, les principales victimes (en particulier les populations du nord) semblent être totalement ignorées.

L’impunité qui a prévalu dans de précédentes crises au Mali, est l’une des principales causes de celle que traverse le pays aujourd’hui. Pourtant, le 2 octobre 2013, le gouvernement malien a procédé à la libération de 23 membres du MNLA et du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA). Les mêmes actes avaient été posés sous la présidence d’Amadou Toumani Touré, qui mettait en liberté, sans aucune décision de justice, des terroristes arrêtés. Les mêmes éléments relâchés se trouvaient ensuite impliqués dans de nouvelles activités terroristes.

Toute la complication de la crise malienne réside dans les tensions existant entre les différentes communautés. Et c’est pourtant ce qui semble être ignoré par les dirigeants maliens. La réalité est qu’il existe aujourd’hui dans l’ensemble du Mali, et en particulier au nord, une indéniable dichotomie entre populations touarègues et non touarègues. De graves crimes ont sans doute été commis de part et d’autre. L’impunité sous prétexte d’une quelconque réconciliation, ne saurait être une base solide pour la paix, seule la justice permettrait d’y accéder. Le nouveau gouvernement malien aurait certainement dû mettre tout en œuvre, pour poursuivre et juger les auteurs des principales violations des droits humains commises, sans distinction de parties.

« Pour faciliter les négociations et dans le but d’accéder rapidement à la paix » dit-il, le ministre de la Justice malien a annoncé le 21 octobre 2013 la levée des mandats d’arrêt émis début février par le Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako contre des membres du MNLA. Cette décision pourrait davantage aggraver la fracture entre les communautés, en exacerbant la frustration des victimes et le sentiment d’impunité en faveur des présumés auteurs.

La levée des mandats d’arrêt en question ne découle d’aucune décision judiciaire, ce qui fait qu’elle engendre ce sentiment d’impunité. En réponse à la gronde sociale contre la levée desdits mandats d’arrêts et la libération des membres de groupes armés, le président malien a fait clairement savoir lors de l’ouverture des Assises nationales sur le nord le 2 novembre 2013 à Bamako que « c’est le prix à payer pour la réconciliation », car, a-t-il dit : « j’ai été élu pour gérer le réel et non pas pour satisfaire le fantasme des uns et des autres ».

Toujours dans la logique d’une réconciliation nationale, le parti présidentiel (RPM) est allé jusqu’à inscrire sur sa liste aux élections législatives de 2013, un présumé criminel qui aurait une responsabilité dans le meurtre de dizaines de soldats maliens à Aguel Hoc.  Il s’agit du leader du HCUA et candidat du parti présidentiel dans le cercle d’Abeïbara (région de Kidal). La candidature de celui qui, autrefois, était président du groupe parlementaire d'amitié Mali-Algérie, aux élections législatives ne peut qu’attirer l’attention. Lors de la dernière rébellion touarègue, il avait rapidement déserté l’Hémicycle pour rejoindre la contestation touarègue, puis le groupe djihadiste Ansar Ed Dine.

Réconciliation nationale et lutte contre l’impunité

Le prélude d’une situation de stabilité absolue au Mali  est la réconciliation nationale. Pour la grande majorité de la population malienne, le nom « Touareg » est indissociable de la notion de rebelle, d’ennemi de l’État. Il faudrait donc amener l’ensemble des populations maliennes, à comprendre, à travers une véritable campagne de sensibilisation, qu’un Touareg n’est pas forcément un rebelle. Cela passe obligatoirement par une décision de justice, sanctionnant ceux d’entre eux ayant été impliqués dans des crimes contre l’Etat et contre des populations civiles. Les populations victimes de la crise, particulièrement dans les villes auparavant occupées par les groupes armées, ne peuvent qu’être exaspérées de voir libérés des responsables présumés de graves crimes commis : crimes contre l’humanité, crime de guerre, crimes à caractères racial, régionaliste et religieux, assassinats, rébellion, terrorisme…

Pour accéder à une paix durable, aucune solution politique ne devrait être adoptée au détriment des victimes et d’une justice indépendante.

 

Boubacar Haidara

Points de vue croisés: Le Mali en transition

Cet article présente les positions de deux analystes de Terangaweb – L'Afrique des Idées sur le Mali en transition et les évènements qui ont agité le pays, aussi bien au Nord qu'au Sud, depuis l'investiture d'Ibrahim Boubacar Keïta en septembre. Même si l'opération "Saniya" semble marquer une reprise en main des forces armées par l'Etat malien, les défis qui se présentent à IBK restent nombreux, notamment au Nord. 

Ousmane Aly Diallo & Racine Demba


Opération "Saniya": La fin de la transition au Mali

Opération SaniyaLundi 30 septembre 2013 au camp Soundiata Keïta de Kati. Trois militaires maliens s’avancent devant les locaux du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité (CMSRFDS). Ils ouvrent le feu à l’arme lourde et signent par cet acte la fin de la période de transition au Mali.

Fissures au sein de la junte 

Ces évènements mettaient à nu les fissures au sein d’une junte qui s’était jusqu’ici montrée soudée face aux pressions, politique comme militaire. Que ce soit lors de la « cession » du pouvoir au président de l’Assemblée nationale malienne, que ce soit face à la tentative de contre-coup d’état menée par Abidine Guindo et ses bérets rouges, les membres du comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) ont toujours affiché un front uni et ont pu résister à ces différentes épisodes.

La saute d’humeur de Kati, saute d’humeur puisque l’État malien n’était pas visé mais bien le fraichement galonné Amadou Haya Sanogo, montrait à la face du monde les divergences au sein du groupe de sous-officiers qui a  renversé  le gouvernement légitime quoiqu’impopulaire d’ATT. Amadou Haya Sanogo et son second Amadou Konaré, qu’on accuse d’être derrière ces évènements, étaient les éminences grises sous la transition politique et se sont  montrés déterminés à ne pas affronter les barbus d’AQMI et les partisans du MNLA pendant 9 mois. Ils représentent deux tendances distinctes au sein de cette junte, tendances devenues manifestes ce 30 septembre. Si Sanogo s’est vu gracieusement offrir sous l’égide de la CEDEAO un statut d’ancien chef d’État et la promotion au titre de général de corps d’armée, Amadou Konaré, deuxième homme fort et porte-parole de la junte est lui, passé de lieutenant à capitaine.  Une bien maigre consolation me diriez-vous. D’autres promotions ont eu lieu : celles de Sada Samaké et de Moussa Sinko Coulibaly, deux responsables proches de la junte et membres de l’actuel cabinet ministériel du Mali. IBK avait déjà imprimé sa marque dès son investiture, en promouvant les officiers qui s’étaient distingués au front, El  Hadji ag Gamou, Didier Dacko et Abderrahmane Ould Meydou, rétablissant ainsi une certaine justice au sein de l’armée malienne.

Mais la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase a été les dons que Sanogo aurait offerts au chanteur traditionnel Sékoubani Traoré lors d’une soirée dozo. Une Toyota Land Cruiser et des dons en espèces. Des dons de trop. Les mutins tirèrent à l’arme lourde ce 30 septembre sur les locaux du CMSFRDS pour exprimer leur ras-le-bol et leurs revendications, avant de l’occuper et d’attendre IBK de pied ferme.

 « Saniya » ou le retour de Koulouba comme centre du pouvoir

La mutinerie de Kati contre l’autorité de Sanogo a été l’un des premiers troubles sous le magistère du Kankélétigui ("homme qui n'a qu'une seule parole", le surnom d'IBK). Elle constituait en outre un coup d’arrêt, un vrai appel à la réalité, montrant l’impact du putsch du 22 mars 2012 sur les processus de communication interne au sein de l’armée malienne et de la toute-puissance de ce corps sur l’État malien.  Les mutins, principalement des sous-officiers maliens, réclamaient des promotions militaires et une revalorisation de leurs émoluments. Le retrait de la liste des bénéficiaires des promotions annuelles lors de la fête d’indépendance du Mali (22 septembre), de sous-officiers ayant contribué au putsch du 22 mars, retrait supposé ou actuel, a sans doute généré des frustrations au sein de ce corps.

Ibrahim Boubacar Keïta, qui a souvent été qualifié de « candidat de la junte » (on se souvient de la proclamation de la victoire d’IBK lors du premier tour de la présidentielle par le Ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation et membre de la junte, ce qui avait déclenché des vives protestations chez les partisans de Soumaïla Cissé) par ses opposants avait l’occasion de montrer ce qu’il en était de ses assertions. Et il faut admettre que la réponse de l’État malien a été expéditive. De Paris où il se trouvait, le Kankélétigui déclare que « Kati ne ferait plus peur à  Koulouba ». La réaction et les engagements de son gouvernement attestent qu’il a été digne de son surnom.

L’opération « Saniya» marquait, plus que les élections présidentielles, la fin de la période de transition au Mali. La junte toisait toujours l’État malien même si elle n’existait plus « de jure ».  À travers ce déploiement de force, l’État malien a restauré l’ordre et son autorité dans un Kati aux mains de la junte pendant 18 mois, mettant fin à cette excroissance et à tous les amalgames qu’elle causait. En effet, l’arrestation et le désarmement des mutins  et le retour des arsenaux privés de certains sous-officiers et officiers, sous l’autorité de l’Intendance, montraient à souhait la nouvelle réalité qui se profilait. L’éviction de Sanogo hors du camp Soundiata Keïta de Kati; la dissolution du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité qu’il présidait et l’arrestation des anciens hommes forts de la junte tels que le capitaine Amadou Konaré et le colonel Youssouf Traoré (présumés instigateurs du coup de main avorté du 30 septembre) sont autant de signaux forts annonçant le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’armée malienne. Malgré la médiation de la CEDEAO, Dioncounda Traoré a dû composer pendant toute la transition avec l’autorité parallèle illégale mais toute-puissante du CNRDRE.

Avec une junte autant décrédibilisée par son inaction  au nord et par ses rivalités avec les autres structures militaires maliennes (comme les bérets verts de la garde présidentielle d’ATT), l’opération « Saniya » a été la conclusion de ce chapitre de l’histoire politique malienne. La mise en place au mois d’octobre d’un nouveau commandement militaire au camp Soundiata Keita signale bien la fin de la  partie. Mais non des défis pour IBK.

Rétablir la justice et mettre fin à l’impunité

Si l’État malien a apporté une réponse rapide et expéditive à ces troubles pour éviter tout débordement, les défis n’en demeurent pas moins énormes au septentrion. L’opération Serval a permis de disperser les troupes d’AQMI et d’intimider le MNLA sans pour autant détruire toute capacité de nuisance totale de ces organisations.  Déjà les troubles ont repris dans le nord avec les attentats-suicides à Tombouctou et la destruction d’un pont à Gao revendiqués par le MUJAO. Ces évènements signalent assez fort que la situation dans le Nord est loin d’être réglée et que l’armée malienne a aujourd’hui plus que jamais un rôle à jouer dans la stabilité du pays.

De même, des disparitions forcées et des exécutions sommaires  ont eu lieu durant la mutinerie de Kati  et durant le cadre de l’opération Saniya. Plusieurs sous-officiers coupables d’avoir défié l’autorité de Sanogo ont ainsi disparu durant les jours suivants, au fond des puits ou dans les morgues des hôpitaux environnants. Il ne suffit pas d’arrêter les mutins et d’installer une nouvelle hiérarchie militaire à Kati, répondant directement à Koulouba. La légitimité de l’État malien ne pourrait être établie sans que justice ne soit faite sur ces évènements. La volonté manifestée de tirer au clair les nombreux cas d’exécution est de bonne augure. L’impunité qui a marqué la période de transition ne saurait être cautionnée par déni ou par complaisance. Il faut croire que la récente convocation de Sanogo par la justice malienne constitue une manifestation de la fin de cet état de fait  et la « mort politique » d’un militaire qui s’est hissé au pouvoir en se faisant le porte-voix des frustrations de ces camarades.

Il faudra certainement du temps  pour que la culture républicaine puisse se réimposer à tous les niveaux de l’armée malienne. Le coup d’État du 22 mars 2012 avait créé une autorité parallèle, excroissance indépendante de l’État malien. La reprise en main par l’État malien de la chose militaire et la volonté de justice qui se manifeste ne sont que des préalables à l’établissement de sa souveraineté totale sur l’intégralité de son territoire. Le MNLA se cantonne à Kidal et les militants islamistes annoncent leur vivacité à travers des attentats dans le nord. Ce qui est certain, c’est qu’il faudra plus que des frustrations sur les promotions pour venir à bout de ces défis.

Ousmane Aly Diallo


Mali: L'effet IBK à l'épreuve des faits

MNLA KidalAu lendemain de l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita nous disions (ici) qu’il serait, dans un premier temps, attendu principalement sur trois fronts : Kati, Kidal et le statut du Nord-Mali. Si sur le premier point évoqué, le nouveau président a rapidement imposé son autorité en reprenant la ville-garnison et en isolant le général Sanogo, pour les deux autres la tâche semble plus ardue.

Le président Keita était en visite d’État en France lorsqu’a éclaté, à Kati, une mutinerie. Sous prétexte d’avoir été oubliés lors de décisions ayant notamment abouti à la promotion du capitaine Sanogo au grade de général, des éléments ayant participé au putsch du 22 mars venaient de reprendre les armes. Dans la foulée, ils prenaient en otage un colonel de l’armée venu négocier avec eux. Le spectre d’un nouveau bain de sang et par la même un nouveau coup porté à l’autorité de l’Etat malien planait ainsi sérieusement.

De retour au pays IBK annonce, le 18 septembre dernier, lors d’une adresse solennelle à la nation : le désarmement de tous les éléments de la garnison, la dissolution du comité censé restructurer l’armée malienne que dirigeait le général Sanogo et le retour à l’orthodoxie par le respect stricte de la hiérarchie militaire. Des déclarations suivies d’effets puisque depuis lors l’armée est au garde à vous et les éléments de l’ex-junte ont été soit tués dans ce processus de reprise en main, soit mis aux arrêts, soit menacés de poursuites.

Avec l’assassinat, samedi 2 novembre, des deux journalistes de RFI, Gislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal, cette ville est revenue au-devant de l’actualité. Le jeu trouble de la France dans la gestion du cas de cette localité du nord depuis le début de l’opération Serval avait déjà commencé à alimenter la polémique.

Comme l’a rappelé, pour le déplorer, le ministre malien de la Défense Soumeylou Boubèye Maïga, les  forces maliennes (au nombre de 200, le nombre maximum autorisé par le MNLA) « n’ont pas une marge d’action, qui leur permettrait d’être en permanence présentes sur les différents axes »    De plus le contingent de la Minusma (200 soldats également) est plus ou moins cantonné avec des effectifs insuffisants ainsi que des problèmes logistiques liés à l’immensité du territoire à couvrir.

Le drapeau du MNLA flotte sur le palais du gouverneur de Kidal qui est obligé de squatter une chambre de la mairie et des ministres en visite dans la ville se sont récemment fait chasser par des jets de pierres. Le MNLA a obtenu avec la bienveillance de la France que lui soit confié, dans le cadre des accords d’Ouagadougou signés par les autorités de la transition, la sécurité de la ville au grand dam du président Keita. Ce dernier, depuis son élection, réitère  chaque fois qu’il en a l’occasion, sa conviction que la situation à Kidal est inadmissible. Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française vient d’ailleurs d’annoncer l’arrivée de 150 militaires français sur place pour renforcer la force Serval alors que dans le même temps il n’est nulle part question d’un déploiement des forces maliennes dans la ville. Les éléments de la Minusma se font eux très discrets. Kidal ressemble de plus en plus à une cité-État à l’intérieur de l’Etat malien.

Les négociations de paix avec le MNLA ne semblent, quant à elles, pas très bien parties malgré les récents États généraux de la décentralisation et autres Assises du Nord organisées par le gouvernement. Les dissensions entre gouvernement et groupes rebelles paraissent insurmontables, les deux parties se renvoyant la responsabilité de l’impasse dans les négociations entamées sur la base d’un pré-accord signé en juin. Leurs points de vue divergent aujourd’hui plus qu’hier sur le futur statut du Nord. Les rebelles réclament une autonomie dont IBK ne veut entendre parler. Un analyste local résume la situation ainsi : « au Sud, l'opinion publique est très majoritairement opposée à un statut spécifique pour le Nord et n'accepte qu'une décentralisation poussée. Au Nord, les rebelles pressés eux aussi par leur base, réclament "un minimum d'autonomie", Autant dire qu’on n’est pas loin de l’impasse.

Ibrahim Boubacar Keita laisse le chantier de la relance de l’activité économique à son Premier ministre, le banquier Oumar Tatam Ly, pour se consacrer à ses promesses phares de campagne : le retour de l’autorité de l’Etat et la paix dans le Nord. Toutefois bien qu’ayant réussi un premier pari avec un début de normalisation dans l’armée, il lui faudra plus que la bonne volonté affichée jusqu’ici pour reprendre Kidal au MNLA et à la France et pour obtenir, de l’ensemble des mouvements rebelles du Nord, une paix durable.

Racine Demba

Sécurité au Sahel : comprendre le « puzzle algérien »

Bouteflika & HollandeA bien des égards, l’Algérie dispose de tous les atouts nécessaires à en faire l’acteur clé de la sécurité en Afrique du Nord et dans le Sahel, notamment dans le cadre de la crise malienne.
 
D’abord par la simple force des chiffres. Avec 8,61 milliards de dollars (2011), le budget du ministère de la défense algérien est le plus élevé d’Afrique, supérieur même à ceux du Maroc et de l’Egypte combinés (3,34 et 4,2 respectivement sur la même période). Les forces armées algériennes disposent également d’une remarquable capacité de projection et de combat : une division d’intervention rapide composée de 4 régiments de parachutistes et d’un régiment des forces spéciales ; 125 avions et 33 hélicoptères de combat, plus d’un millier de chars de combat principaux et un nombre similaire de véhicules de combats d’infanterie.

Ensuite par l’expérience. Alger a dû lutter, presque seule contre la violence du Groupe Islamique Armé, durant la guerre civile de 1991-2000. Durant ce conflit qui fit plus de 100.000 victimes, l’Algérie acquis – douloureusement – une expertise de première-main dans la lutte contre le terrorisme et un statut de presque-paria de la communauté internationale dû aux pratiques de ses services de Sécurité. Le 11 Septembre 2001 a servi à légitimer la « mano dura » des "éradicateurs". Le très redouté Département du Renseignement et de la Sécurité, fort de 16.000 hommes, a été au cœur de l’appareil sécuritaire en Algérie, depuis sa formation en 1962. Et si ses méthodes restent controversées, le DRS est selon, les mots de John Schindler, ancien analyste en chef de la division contre-espionnage de la National Security Agency, « peut-être le service de renseignement le plus efficace au monde, lorsqu’il s’agit de lutter contre Al Qaida
 
Par l’influence aussi. En partie nostalgique, parce que cahin-caha, l’Algérie a conservé un peu de l’aura acquise au temps des "non-alignés". Mais surtout parce que l’Algérie dispose de contacts poussés et constants avec les principaux acteurs de la région. L’Algérie a ainsi été l’intermédiaire et l’hôte de tous les accords négociés entre le Mali et les divers mouvements Touaregs. C’est sur pression d’Alger que le MNLA a – de mauvaise grâce – accepté de libérer des soldats maliens au début de l’insurrection. Et plus que tout, Iyad ag Ghali, leader d’Ansar Dine, a été les des interlocuteurs principaux du gouvernement algérien durant les négociations sur la question Touareg – il est considéré par certains comme un agent du DRS, coutumier de l’infiltration de groupes radicaux.
 
Par le jeu d’alliances, enfin. Le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC) créé en avril 2010 sous l’instigation d’Alger et basé à Tamanrasset, regroupe l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie. Il est censé coordonner les efforts de ces pays dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. L’Algérie fait également partie du Transaharan Counter-Terrorism partnership, programme inter-agences américain regroupant le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Maroc, la Tunisie, le Nigéria et le Sénégal. Succédant en 2005 à l’initiative Pan-Sahel du gouvernement américain, ce programme vise à renforcer les capacités des armées africaines dans la lutte contre Al Qaida et à renforcer la communication et l’interopérabilité entre elles. Il convient également de noter que Ramtane Lamamra, chef de Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine et Saïd Djinnit, responsable du Bureau de l’ONU en Afrique de l’Ouest sont algériens. Autant de preuves du désir d’Alger de jouer un rôle décisif et reconnu dans la région.
 
Autant de raisons qui rendent incompréhensible l’attitude des autorités algériennes depuis le début de la crise malienne, qu’il s’agisse du retrait de ses conseillers militaires au plus fort de la bataille de Tessalit en mars 2012 ou de la reluctance initiale à ouvrir l’espace aérien algérien aux avions français dans les premiers temps de l’opération Serval. La frustration devant la réticence de l’Algérie redonne du grain à moudre à ceux qui, depuis belle lurette, condamnent la « paranoïa » de l’establishment militaire du pays.
 
La réalité est plus complexe et fait apparaître bien des signes de fragilité dans l’édifice politico-militaire algérien.

Au commencement était la rancœur. L’Algérie n’a pas pardonné à l’administration d’Amadou Toumani Touré, les liens qu’elle a entretenus entre 2002 avec AQMI (et son ancêtre le GSPC) entre 2002 et la chute du général-président. En voulant coûte-que-coûte acheter la paix dans le Nord, ATT aurait laissé se développer un système corrompu dans le nord qui bénéficia financièrement et politiquement à Al Qaida au Maghreb Islamique, renforça les griefs des Touaregs, radicalisa le MNLA et sabota l’influence de l’Algérie dans la région. ATT aurait ainsi semé le vent et récolté sa tempête.
 
L’Algérie se méfierait également du rôle de la France et du Maroc dans la question malienne. A la première, en sus des griefs historiques, il est reproché son attitude "cavalière" à la chute de Kadhafi, qui permit la sortie d’importantes quantités d’armes et munitions – utilisées par la suite contre le gouvernement malien. L’empressement à intervenir au Mali fut considéré comme une autre de ces décisions hâtives aux conséquences mal-anticipées. La CEDEAO pour sa part, ne serait qu’un autre « jouet » de Paris, utilisé pour contrecarrer l’influence d’Alger. Les vieux démons des "évènements en Algérie" n'ont pas été gommés par le discours de Tlemcen. Le Maroc est quant à lui accusé de manipuler le MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) et de l’utiliser en vue de déstabiliser le Front Polissario. L’enlèvement de responsables algériens, par ce mouvement, dès la saisie de la ville de Gao en avril 2012 l’exécution du vice-consul algérien Taher Touati en septembre suffirent à valider cette lecture.
 
La peur d’une "Afghanisation" du Nord Mali a elle aussi joué son rôle dans le refus d’Alger de participer à une intervention militaire. L’exemple de la Somalie où l’intervention de l’Ethiopie, en 2006, censée mettre un terme au contrôle exercé par l’Union des Tribunaux Islamiques déboucha sur la radicalisation et le renforcement d’Al-Shabbaab, hante les autorités algériennes. Ce scénario catastrophe est aussi l’une des raisons des hésitations américaines et françaises. Sans la marche vers Mopti d’Ansar Dine, début janvier 2013, la France aurait probablement maintenu son attentisme. La reluctance initiale du Ghana, du Sénégal, de la Mauritanie et du Nigéria à mettre ses soldats à la disposition de la mission d’intervention de la CEDEAO au Mali, n’a pu que renforcer Alger dans un choix, vers lequel sa tradition de "non-intervention" l'orientait de toute façon.

Il se trouve enfin que les autorités algériennes craignent toujours les retombées du « Printemps Arabe ». Les risques de voir un gouvernement islamiste s’emparer du pouvoir en Algérie sont minces. Le souvenir de la guerre civile reste suffisamment fort, aujourd’hui encore, pour ôter toute majorité populaire à quelque mouvement islamiste, aussi « modéré » soit-il. Il reste évident, en revanche, que le scénario d’un intervention « occidentale » au Mali aboutissant à une union et un renforcement des mouvements islamistes de la région est un risque que le gouvernement algérien n’a pas voulu courir. En tout cas pas avec des camps accueillant 30.000 réfugiés du Mali susceptibles d’être infiltrés et radicalisés. Pas avec une gérontocratie militaire redoutant une révolution de caserne « à la portugaise ». Pas avec un Bouteflika vieillissant dont le  départ probable en 2014 augure une transition compliquée et risquée. Et surtout pas avec l’exemple de l’Egypte où le parti "islamiste modéré" défit en 5 mois la mainmise de l’armée sur le pays, là où les "islamistes modérés" turques mirent 30 ans…
 
Sous le « puzzle » algérien devant la crise malienne se cache un mélange de ressentiment, de bon sens paysan, de géopolitique extrêmement pointue et… une lutte pour le pouvoir.
 
Joël Té-Léssia

La CEDEAO au Mali : mensonges et tremblements

Evoquant son métier de critique littéraire, le journaliste et écrivain français Patrick Besson eut cette formule à la fois géniale et scandaleuse : « quand je lis la presse littéraire, j'ai l'impression d'être le curé d'une église dans laquelle un tas d'idiots viendraient manger des chips. » A un degré forcément inférieur, je retrouve, ah… le même agacement, un étonnement de nature semblable : quand je lis des articles traitant de l’Afrique contemporaine, j’ai l’impression d’être le seul mec avec du popcorn dans un cinéma où une bande d'illuminés viendrait prier.
 
Prenez cette affaire malienne, par exemple. Un an qu’on présente cette crise comme une calamité qui se serait abattue sur une démocratie exemplaire, pacifique et désarmée. C’en est devenu presqu’un nouveau catéchisme. Tout est faux, évidemment, dans cette démonstration. Les populations maliennes, au plus dur de la crise, ont purement et simplement abandonné tout instinct démocratique et applaudi l’instauration d’une dictature militaire. L’armée malienne, sous-formée mais plus ou moins bien dotée n’a pas attendu la rébellion pour céder à la trahison et à l’argent. La classe politique malienne, quant à elle, s’avère incapable de soutenir le gouvernement de transition, tout comme elle s’était révélée incapable de soutenir le régime démocratiquement élu d’Amadou Toumani Touré. En cinquante ans, les institutions politiques maliennes ont échoué à apporter le quart d'un début de réponse cohérente aux très anciennes revendications des Touaregs.
 
Et encore, les troupes de la CEDEAO qui doivent intervenir pour (il est interdit de rire) "rétablir la démocratie", seront composées essentiellement de soldats n’ayant jamais obéi à un commandement civil. Si un consensus existe aujourd’hui sur la nécessité d’intervenir, personne n’a aucune idée du moment à partir duquel la mission sera considérée comme « accomplie. » Personne n’arrive à expliquer comment la Mauritanie et le Niger sont arrivés à assurer la sécurité de leur territoire quand les forces armées maliennes n’y songeaient même plus et imploraient les Américains d'installer le siège de l'Africom dans le sahel malien. Personne ne sait exactement à quoi joue Blaise Compaoré qui aura soutenu aussi bien Toumani Touré que les putschistes, autant que l’intervention de la CEDEAO. Personne ne fait confiance au parlement malien, encore moins au gouvernement. Personne ne reconnaît la moindre espèce d’autorité à Cheikh Modibo Diarra, premier ministre fantoche. Personne ne veut penser aux réactions des populations de la CEDEAO lorsque les premiers cercueils reviendront de Gao. Personne ne sait comment réagiront les populations maliennes quand les premières victimes collatérales rempliront les fosses communes. Personne ne sait qui dirige les nombreuses milices qui poussent comme champignon dans le centre du pays.

 De l'autre côté, tout le monde sait que la question Touareg devra être réglée – de préférence sans exterminer tous les Touaregs. Tout le monde sait qu’il faudra négocier, c'est-à-dire accorder une espèce d’autonomie territoriale au MNLA. Le plus probable est un scénario à la Kurde, avec une nouvelle constitution malienne qui reconnaisse la spécificité de l’Azawad et laisse aux Touaregs le contrôle de la sécurité, de l’éducation et de la culture sur plus ou moins un tiers du territoire – avec une administration locale aux couleurs locales et un certain pouvoir administratif. Tout le monde sait que l’armée malienne devra combattre aux côtés du MNLA. Et tout le monde sait que des agents secrets (mettons formateurs militaires pour faire plaisir au souverainistes) des pays de l’OTAN devront être sur le terrain. De la même façon, tout le monde sait qu’il faudra trouver une ambassade au capitaine Sanogo. Ah et tout le monde sait que c’est parti pour cinq ans, au moins – parce que des forces de maintien de l’ordre devront rester sur place.

Dans l’espèce d’impatience et l’excitation qui entourent le premier vote du conseil de sécurité de l’ONU exigeant de la CEDEAO, un plan détaillé d’intervention, on retrouve la même irrationalité qui avait suivi la profanation des monuments funéraires de Tombouctou. Des soldats ghanéens, ivoiriens, burkinabés et sénégalais seront expédiés dans un territoire inconnu et hostile, affronter des combattants qui n’ont aucunement agressé leur propre pays, au sein d’une population pas particulièrement amène ni attachée à la démocratie – dans le cas des Ivoiriens, ils devront coopérer avec l’armée malienne qui il y a dix ans formait ceux qui bientôt allaient mettre la Côte d’Ivoire à feu et à sang. J’insiste sur ce point depuis quelques semaines maintenant, parce que c’est essentiel : toute intervention militaire au Mali se fera moitié par altruisme, moitié parce que quand la barbe de ton voisin brûle… ; ce n’est nullement un renvoi d’ascenseur, quite the contrary.

Qu'on le reconnaisse simplement, il est hors de question que les forces de la CEDEAO interviennent dans le sahel malien pour restaurer l'instable et irresponsable statu-quo de 2011. Il faut bien évidemment bouter Ansar El Dine hors d'Afrique Occidentale. Mais ce n'est là que le début. Il faudra ensuite reconstruire la démocratie malienne. Et cela risque de prendre plus de temps, coûter plus cher, causer plus de pertes civiles et exiger un soutien sans faille des populations et des instances politiques maliennes. Soutien qu'il serait fou d'imaginer gagné d'avance.

Joël Té-Léssia

Sans hésitations, ni murmures

 

 

 

« Voici que je suis devant toi Mère, soldat aux manches nues

Et je suis vêtu de mots étrangers, où tes yeux ne voient qu’un

               Assemblage de bâtons et de haillons

(…)

Mère, je suis un soldat humilié qu’on nourrit de gros mil.

Dis-moi donc l’orgueil de mes pères »

Ndessé, Léopold Sédar Senghor

 

Si les « mémoires de guerre » et les chroniques martiales de qualité abondent, il existe, à ma connaissance, très peu de bons ouvrages sur la vie militaire : quelques chapitres de La Promesse de l’Aube de Romain Gary, Hommage à la Catalogne d'Orwell, Les désarrois de l’élève Torlëss de Musil et la Ville et les Chiens de Vargas-LLosa. Au-delà, il n’y a rien de très lisible[i]. Rien qui dise suffisamment l’enfermement, la saleté, l’injustice, la peur, la violence, la faim et la misère sexuelle, rien non plus qui rende convenablement justice à l’innocence, à l’apprentissage du métier de tuer, à l’esprit de sacrifice inculqué à coup de Pataugas dans les reins et à la solidité des liens qui se tissent dans la vie d’un soldat. C'est l'une des raisons pour lesquels, les "civils" ne comprennent presque jamais les réactions et les motivations des "corps habillés".

 

Je garde, pour ma part, un souvenir assez pénible des années passées au Prytanée Militaire Charles N’tchoréré de Saint-Louis (Sénégal), du décrassage matinal au champ de tir, de la Préparation Militaire Elémentaire au Brevet de parachutisme, de la « Nuit Noire » à la cérémonie de remise des insignes, des violences subies à celles infligées aux autres. Malgré cela, je n’ai jamais cédé à la tentation du mépris.

 

C’est un privilège de « civils » que de mépriser ou d'aduler les militaires. La mutinerie des soldats maliens en Mars 2012 qui mena au renversement d'Amadou Toumani Touré est condamnable parce que irréfléchie, impétueuse et incroyablement dangereuse. Les membres du CNRDR sont une petite bande assez grotesque de sous-Sankara. Soit. Mais cela n'enlève rien au traumatisme qu'a représenté l'avancée des troupes du MNLA au début du mois de mars, ni à la colère que la lenteur du pouvoir politique à prendre la mesure de cette rébellion a provoqué dans les rangs, ni à la peur que le sous-équipement de ces troufions maliens exilés dans le Nord du pays et les images des exécutions commises par Ansar El Dine ont suscité. Voilà de très jeunes hommes mal payés, mal armés, mal dirigés, mal nourris, mal logés, mal aimés, mal du pays, loin de leurs familles. Et on attend d'eux les plus grands sacrifices. Et on hausse les sourcils parce qu'ils regimbent devant la tâche ingrate?

 

Je ne sais pas si les militaires maliens ont eu raison de s'indigner de leur sort. Je sais néanmoins que la consigne : "un ordre est à exécuter sans hésitation, ni murmures. Et celui qui donne l'ordre en est le seul responsable" est d'une logique moyenâgeuse. On peut condamner la désertion de poste des officiers de Kidal. Je ne crois pas qu'on doive mépriser ces soldats. Aussi forte qu'en soit la tentation.


Joël Té-Léssia


[i] Il existe en revanche d’assez braves œuvres cinématographiques sur la vie de soldat : Camp de Thiaroye d’Ousmane Sembène, We were Soldiers de Randall Wallace ou la série Band of Brothers de Steven Spielberg et Tom Hanks.

 

 

 

 

 

 

Les Forces Armées Maliennes ont-elles (déjà) perdu le Nord?

 

 

 

Le moins que l’on puisse dire est que les Forces Armées Maliennes ne semblent pas pressées de reprendre le combat contre les forces rebelles du MNLA et les ismalistes d’Ansar el DIne– à considérer qu’elles l’aient jamais commencé.
 
Des quelques 7000 soldats que comptait l’armée de terre malienne en Janvier 2012, 1000 sont aujourd’hui réfugiés au Niger. Au total, après moins de deux mois d’affrontements, le Mali a perdu 1500 (désertion, rébellion, mort au combat) des 15.000 hommes en armes (infanterie, « Marine », armée de l’air, gendarmerie, police, garde républicaine et milices plus ou moins officielles). Dans le même temps, la 1ère région Militaire et le Régiment interarmes de Gao sont tombés aux mains des rebelles, La 5ème région militaire définie autour de Tombouctou est occupée par la rébellion, le commandement militaire de Kidal a d'abord rejoint les rangs du MNLA avant de s'exiler, armes et munitions en mains au Niger.

 

Le roman du coup d’état monté en mars 2012 par quelques officiers subalternes, sous-officiers et hommes de rang des forces armées maliennes et qui aboutit à la destitution du Président Amadou Toumani Touré est bâti sur l’idée que les hommes en armes se seraient révoltés contre l’incurie, la mollesse et l’incompétence du pouvoir politique, ATT en tête. L’idée étant que les armes, les minutions et le soutien aérien dont les FAM auraient eu besoin pour repousser les avancées du MNLA auraient été bloqués à Bamako, par la faiblesse du gouvernement.

 

Or, les câbles de l'ambassade américaine à Bamako révélés par Wikileaks montrent que dès 2008 désertions, exactions et dénonciations (puis exécutions) de militaires maliens étaient phénomènes déjà connus. L'administration ATT présentée par la Junte militaire malienne comme apathique et désintéressée, s'est démenée – ces mêmes cables l'attestent – pour obtenir l'installation du commandement militaire intégré des forces américaines en Afrique au Mali et a rejoint, dans les premiers moments, la force de lutte contre le terrorisme installée par les Etats-Unis dans la région.

 

Depuis trois semaines qu'elle a pris le pouvoir à Bamako, les réponses proposées par la junte militaire, sont des plus confuses et la théorie censée guider sa stratégie militaire est illisible. Il a d'abord été question de contention : les forces armées maliennes se retiraient, selon la junte, pour constituer des points forts et imprenables. C'était avant la perte de Kidal. Par la suite, le Capitaine Sanogo faisait appel à l'intervention des forces occidentales – si l'OTAN est intervenu en Libye, elle peut bien intervenir au Mali. La fin de non-recevoir opposée par le Quai d'Orsay à cette proposition déclenchait presque aussitôt, les débuts d'une mobilisation de 3000 hommes par la CEDEAO. Deux semaines après cette mobilisation, la junte militaire refuse l'intervention de troupes étrangères. Entre temps, elle a perdu Gao et Tombouctou, deux bases aériennes et le contrôle de la moitié du pays, la république de l'Azawad a été proclamée par le MNLA et le drapeau noir du Djihad est imposé à Tombouctou. Et contrairement aux premières infos reçus, la junte militaire menée par le Capitaine Sanogo n'a pas cherché à "arrêter" Amadou Toumani Touré. Les tirs d'artillerie lourde qui visaient le palais présidentiel et menèrent à la fuite d'ATT n'étaient pas des tirs de sommation… Même quand elle semble préparer sa sortie – avec l'adhésion au plan de sortie de crise proposé par la CEDEAO – la junte militaire au pouvoir en Mali reste indécise : elle se garde le droit d'intervenir à l'issue des 40 jours d'intérim qu'assurera le Président de l'Assemblée Nationale. On en viendrait à croire que rien n'effraie plus les officiers du CNRDR que de devoir retourner au front.

Doit-on rappeler que les "redoutables" forces rebelles qui contrôlent la moitié du Mali ne comptent que 3000 hommes?


Joël Té-Léssia

 

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Pour que le Mali demeure une mauvaise idée de Joël Té-Léssia