Baromètre Mondial de l’Innovation: quels enseignements sur les pays Africains ?

Le Baromètre Mondial de l’Innovation, dont l’édition 2016 a été publiée en avril, est un sondage international des dirigeants d’entreprises sur leur perception des processus d’innovation et de créativité. Parmi les pays concernés dans cette étude (commandée par GE) figurent trois pays Africains qui représentent les premières économies du continent : Afrique du Sud, Algérie et Nigéria.

L’analyse des réponses permet d’identifier les moteurs et les freins en matière d'innovation, et ce dans une double approche comparative : d’abord entre les pays africains et d’autres régions du monde, ensuite entre les pays africains eux-mêmes, et plus globalement entre les grands pôles qu’elles représentent  (Afrique de l’Ouest, Afrique du Nord et Afrique Australe)

Les réponses des centaines de cadres dirigeants interrogés dans ces pays donnent ainsi un très bon aperçu de l’évolution de l’environnement économique, ainsi que les processus de prise de décisions et de gestion de la stratégie d’innovation dans les entreprises.

En dépit des obstacles auxquels font face les acteurs économiques et du manque de ressources auxquels ils peuvent être confrontés, la créativité et l’innovation semblent représenter de puissants leviers de développement pour les économies africaines. Quelles leçons peut-on tirer de ce baromètre ?

UN OPTIMISME ELEVE SUR LES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES FUTURES

Le Baromètre Mondial de l’Innovation s’est penché sur la perception des évolutions annoncées dans l’environnement économique, en particulier sur la perspective d’une « quatrième révolution industrielle » (basée sur les objets connectés et les potentialités que cela offre). La tendance mondiale est à l’optimisme, puisque plus des deux tiers (68%) des dirigeants interrogés expriment leur confiance dans ces changements annoncés. Les pays africains étudiés sont encore plus optimistes et sont même parmi les plus optimistes !

Les pays africains sont parmi les plus optimistes au monde sur la perspective d'une nouvelle révolution industrielle.

Le Nigeria est à la troisième position mondiale, avec 86% d’optimistes par rapport à la quatrième révolution industrielle, suivi par la Turquie et l’Algérie (84%). L’Afrique du Sud est juste au-dessus de la moyenne mondiale, avec 70% de réponses positives.

Cette confiance dans l’avenir peut conforter la perception de l’innovation comme opportunité, à l’inverse de certains pays anciennement industrialisés qui peuvent la percevoir comme menace. Au Japon, seuls 33% des dirigeants se déclarent optimistes, alors même que le Japon est considéré par les autres comme un champion mondial de l’innovation, juste après les Etats Unis. Même sentiment en Allemagne (39%), et dans en moindre mesure, en Corée du Sud (50%).

L’impact de l’innovation sur l’emploi, sujet anxiogène de longue date avec la peur d’être « remplacé par des machines », n’est pas perçu négativement dans cette enquête : plus des deux tiers (75%) des intéressés considèrent que le changement aura un impact positif ou neutre sur l’emploi.

LES TECHNOLOGIES DE RUPTURE: MENACE OU OPPORTUNITÉ ?

Le baromètre de l’innovation dresse un constat intéressé sur les technologies de rupture, c’est-à-dire sur une innovation technologique qui ne fait pas qu’améliorer un produit ou un service existant, mais modifie fondamentalement le marché en détrônant la technologie dominante. Le lecteur MP3 a ainsi constitué une technologie de rupture sur le marché par rapport aux cassettes et CD, de même que la photographie numérique a constitué une rupture par rapport à la photographie argentique (auquel des entreprises leaders depuis des décennies, comme Kodak, n’ont pas su faire face).

Les dirigeants interrogés ont ainsi été amenés à se positionner sur le concept de « darwinisme digital », à savoir sur la possibilité de devenir « obsolète » (et éventuellement de disparaitre) en devenant inadapté à un environnement qui a subi des changements très rapides. Dans l’ensemble du panel, 81% des acteurs partage cette crainte. Les pays Africains sont globalement en ligne avec cette tendance, même si cette crainte semble plus ressentie en Afrique du Sud et au Nigeria (respectivement 86% et 85%) qu’en Algérie (75%).

Cette crainte par rapport aux technologies de rupture peut influencer une volonté de protéger son « cœur de marché », à savoir les produits et les services qui font le succès actuel de l’entreprise et dont il faut préserver les revenus et la rentabilité le plus possible, éventuellement pour les investir dans l’innovation ensuite.

Ce comportement est nettement plus présent dans les pays Africains qu’ailleurs. L’Afrique du Sud est ainsi le pays dans lequel la proportion observée est la plus élevée au monde : 77% des dirigeants interrogés considèrent que la protection du cœur de marché est une priorité. Elle est suivie de près par le Nigeria (4éme rang mondial), puis de l’Algérie, qui se situe dans la moyenne mondiale avec 64% de réponse positive.

QUELLES STRATÉGIES D'INNOVATION ?

La perception des stratégies d’innovation au sein des entreprises est moins évidente dans les pays Africains… Les trois pays concernés se situent nettement en dessous de la moyenne mondiale dans la réponse à la question : « Votre entreprise a-t-elle une stratégie d’innovation claire ? ». Alors que 68% de l’ensemble des dirigeants interrogés répondent par l’affirmative (un « oui » qui culmine en France avec 88%), seuls la moitié des dirigeants africains pensent que c’est le cas (56% en Afrique du Sud et au Nigeria, 49% en Algérie). Fait étonnant, le Japon se situe encore plus loin, à 38%…

Enfin, une dernière indication sur la perception du temps de retour sur investissement : les entreprises africaines acceptent moins l’idée d’un retour sur investissement éloigné dans le temps que dans d’autres régions du Monde. Alors que 40% des entreprises en Allemagne et 37% aux États-Unis se disent prêtes à accepter d’investir sur une technologie dont ils récolteraient les fruits sur le long terme, seuls 9% des entreprises algériennes seront prêtes à l’accepter (17% en Afrique du Sud, 16% au Nigeria). Des positions en dessous de la moyenne mondiale (21%), mais proches de celles du Japon (4%) et de la Corée du Sud (14%).

L'AVENIR DE L'INNOVATION EN AFRIQUE

Le principal enseignement du Baromètre Mondial de l’Innovation en 2016 sur la perception des dirigeants Africains peut être résumé en un triple constat prometteur: nous observons tout d’abord un optimisme affiché sur le futur et ses potentialités (supérieur à la moyenne mondiale), une insatisfaction manifeste sur la performance actuelle (indiquant volonté de faire plus et mieux), et une lucidité sur les menaces qui peuvent se poser, notamment avec les technologies de rupture (en ligne avec la moyenne mondiale).

Un triple constat prometteur: optimisme sur le futur, insatisfaction sur la performance actuelle, et  lucidité sur les menaces.

C’est donc avec un état d’esprit équilibré, à même de saisir les rapides changements à l’œuvre et de parer les risques qu’ils comportent, que les cadres d’entreprises Africains peuvent être en mesure d’anticiper, d’orienter et de maitriser des processus d’innovation pour en faire une source de développement économique et d’amélioration de la qualité de vie de leurs concitoyens.

Nacim KAID SLIMANE

 

L’Open Innovation: une nouvelle voie entrepreneuriale en Afrique ?

Le concept d’open innovation date de plus de 10 ans. Il a été vulgarisé par Henry Chesbrough dans son ouvrage fondateur paru en 2003 “Open Innovation”. Mais la mayonnaise a mis du temps à prendre et à traverser l’Atlantique: les premiers à s’être lancés sont les sociétés de logiciels qui avaient une forte culture de plateforme (Sun, Oracle, Microsoft, Google, Apple, Facebook, mais aussi Intel et IBM).

C'est un mode d'innovation fondé sur le partage, la coopération entre entreprises, à la fois compatible avec une économie de marché (via les brevets et licences), ou d'Intelligence économique, mais cette approche permet aussi des démarches fondées sur des alternatives éthiques ou solidaires (économie solidaire) de partage libre des savoirs et savoir-faire modernes ou traditionnels, avec notamment l'utilisation de licences libres dans un esprit dit ODOSOS (qui signifie : Open Data, Open Source, Open Standards).

L'augmentation de la disponibilité et la mobilité des ressources humaines hautement qualifiées dans des endroits différents est l'un des avantages de l'adoption d'un processus de recherche et développement (R & D) sur la base de l'innovation ouverte. Il est aussi le chemin le plus rapide et le plus efficace de trouver le bon modèle d'affaires pour les produits et services de l'entreprise.

Elle peut concerner tous les domaines de la recherche et du développement. De la perspective d'une entreprise pratiquant l'Open Innovation on peut distinguer deux modalités : la modalité outside-in (ou inbound) et la modalité inside-out (ou outbound). Lorsqu'elle pratique l'Open Innovation outside-in, une entreprise cherche à trouver des connaissances, méthodes ou technologies à l'extérieur de l'entreprise pour enrichir ses propres processus d'innovation. Lorsqu'elle pratique l'Open Innovation inside-out, elle cherche à mieux valoriser sa propriété intellectuelle à l'extérieur, la plupart du temps sous forme de licences.

C’est dans cette optique que de nombreuses initiatives favorisent déjà l'Open Innovation dans l'Hexagone occidentale et américaine, mettant en relation les compétences et les idées entre grandes entreprises, laboratoires de R&D, PME et start-up. Les principales start-ups évoluant dans ce domaine sont IdexlabClub Open Innovation , Challenges, Innovation Partagee, Openinnovation-Engie. Ces initiatives, aujourd’hui constituent une banque de données inestimable pour les entreprises conscientes des bénéfices de l’open innovation. Certaines entreprises éveillées développement leur propre start-up d’open innovation en collaboration avec d’autres start-ups de domaine d’activités très diverses. 

Dans un environnement globalisé, compétitif et évoluant à une grande vitesse, « réinventer » l’innovation constitue un levier de performance et un gage de pérennité pour l’Afrique. Inspirés des réussites d’initiatives entrepreneuriales dans le domaine d’open innovation, des projets dans ce sens commencent à jaillir en Afrique. Nous en avons distingué principalement deux à savoir le projet de :

Convaincu qu’une démarche collaborative bénéficiera aux clients, Orange pratique une démarche d’innovation ouverte (« l’open innovation »). Il s‘agit de permettre l’émergence rapide de solutions inédites, pour obtenir des innovations toujours plus simples et intuitives, centrées sur les usages des clients. 
Comment l’open innovation s’incarne-t-elle pour Orange ? Elle se concrétise par le soutien apporté à de nombreux projets issus d’horizons différents. 
L’accélérateur de startups Orange Fab, créé il y a deux ans aux États-Unis est aujourd’hui présent en Côte d’Ivoire. En l’intégrant, les  jeunes entrepreneurs bénéficient de soutien dans les domaines du marketing, de l’élaboration d’un business modèle, du design et de la technologie. Dans certains cas, les start-upers disposent aussi d’espaces de travail partagé ou même d’un soutien financier.

C’est la première Start-Up évoluant dans le domaine de l’open innovation en Afrique. Conscients des enjeux et de l’importance de l’innovation dans les entreprises africaines,  A.O.I est un projet  piloté par 9 jeunes africains venant du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de l’Algérie et du Cameroun. C’est un projet dont la vision est de faire de l’innovation une ressource capitale pour la croissance des entreprises africaines. Il consiste  en la mise en place d’une plate-forme virtuelle ; lieu de rencontre des entreprises et des experts dans l’objectif de résoudre des problématiques dans tous les domaines d’activités d’une entreprises. La Start-up démarrera ses activités au premier trimestre 2016

L'open innovation, c’est l’humilité de reconnaître qu’on n’est plus capable en interne de produire toute l’innovation nécessaire au développement de l’entreprise. Un nouveau champ d’opportunités entrepreneuriales s’ouvre aujourd’hui en Afrique. Il devrait conduire les entreprises africaines à nouer des partenariats en amont de leurs processus d’innovation. A entrer dans des modèles de collaboration et d’intégration bénéfiques. A considérer aussi la perspective d’une empreinte internationale et globale toujours plus tôt dans leurs efforts de développement et de commercialisation.

Innover toujours PLUS, toujours PLUS vite, voilà le vrai challenge que doivent vivre au quotidien les entreprises africaines.

Mactar SY

La croissance africaine devrait-elle venir de l’innovation ?

Soleil sur l'AfriqueL'année 2015 sera déterminante pour l'Afrique pour deux raisons. D'une part, c'est en cette année que seront renouvelés les engagements internationaux sur la réduction de la pauvreté à travers les OMD post-2015. Comme le reflètent les objectifs de développement durable (ODD) qui remplacent les OMD, ce n'est plus les solutions pour réduire significativement la pauvreté qui manquent. Prenant exemple sur des pays comme la Chine ou l'Inde, nous savons aujourd'hui que la pauvreté peut être réduite significativement grâce à la croissance économique. Il suffit donc que les instruments de redistribution de la richesse soient effectivement mis en œuvre pour que les populations pauvres puissent graduellement sortir de leur situation de pauvreté. Ces instruments peuvent être de l'investissement dans les infrastructures économiques (routes, énergie, communication, eau et assainissement) et sociales (éducation et santé), de transferts d'argent conditionnels ou non à l'endroit des plus pauvres ou encore de politiques de protection sociale suffisamment flexibles pour ne pas décourager les investissements privés.

D'autre part, il est aujourd'hui une évidence que les pays africains s'engagent définitivement sur la voie du développement économique grâce à la consolidation d'institutions politiques démocratiques et à l'émergence d'une classe moyenne. L'engouement des grands groupes internationaux pour l'Afrique témoigne de la création de ce nouveau segment de marché dont la taille s'agrandit de même que les revenus de ses consommateurs. Il en est de même pour les soulèvements populaires, comme ce fût récemment le cas au Burkina Faso, qui même s'ils n’ont pas redistribué le pouvoir politique, ont certainement envoyé un signal ; que la gestion des affaires publiques se doit désormais d'être plus inclusive. Ces deux réalités viennent renforcer le processus de croissance économique qui devrait s'inscrire dans la durée. Cependant, pourquoi s'intéresse-t-on si tant à la croissance économique ? Pour équiper les ménages africains des commodités de la modernité ? Ou pour leur apporter de la dignité dans un monde où la portée de la voix d'une nation ne se mesure plus par la gabarie physique, encore moins par la multitude de la population, mais plutôt des richesses économiques que cette dernière est en mesure de créer ?

Pour paraphraser le professeur Augustin Cournot (1863) p.6, "la richesse doit être considérée, pour les individus et surtout pour les peuples, bien moins comme un moyen de jouissance que comme un instrument de puissance et d'action". Mettons le standard plus bas en considérant "la puissance" et "l'action" comme des dérivés de la "représentativité", c’est-à-dire de la capacité d’une nation à défendre sa position et d'être audible sur la scène internationale. C'est à l'aune de cette observation que nous avons besoin de reconsidérer les perspectives économiques de la plupart des pays africains. Quoiqu'elles suscitent de l'espoir, la tâche qui incombe aux gouvernements africains est celle de lui donner une définition, une définition de l'espoir africain.

Il sera plus aisé d'illustrer nos propos à partir des deux graphiques 1 et 2 ci-dessous. Le premier présente l'évolution du rapport des niveaux de vie mesuré par le PIB par habitant de certains pays ou régions du Monde de 1990 à 2013. Quant au second, il montre l'évolution du poids économique mesurée par la part du PIB mondial dans les mêmes pays/régions sur la même période. L'idée sous-jacente étant que la "représentativité" d'une nation se mesure quelque part entre le niveau de vie de ces citoyens relativement aux citoyens des autres nations et le poids de leur production collective par rapport aux autres nations. La distinction entre ces deux facteurs s'illustre bien avec la Corée du Sud et la Chine. En 2013, un Sud-Coréen moyen avait un niveau de vie trois plus élevé que la moyenne mondiale, comparable au niveau de vie de l'Européen moyen, alors que son pays ne représentait qu'environ 2% de la production mondiale. A cette même date, la Chine représentait déjà 16% de l'économie mondiale, comparable au poids des USA, alors que le niveau de vie d'un Chinois moyen ne dépasse pas la moitié de la moyenne mondiale.

Quant à l'Afrique[1], elle est à peine visible sur ces deux graphiques, synonyme d'un poids économique et d'un niveau de vie insignifiant. Mais il ne s'agit pas de l'observation la plus importante qui se dégage de ces deux graphiques. C'est plutôt ce qu'ils nous enseignent sur la fortune des pays/régions selon leurs stratégies de développement.

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur. Les données sur le PIB sont en dollars constant de 2010 avec prise en compte de la parité du pouvoir d'achat.

Pour mieux comprendre les forces économiques à l'œuvre, reprenons les données sur la Corée du Sud et la Chine. L'essor économique du premier est principalement dû à l'innovation notamment dans l'électronique avec Samsung et dans l'automobile avec Hyundai Motor. Ainsi, le pays se trouve en bonne place sur le segment de marché mondial des équipements de télécommunications, d'électroménagers et de l'automobile. Cette position se reflète assez bien dans ses statistiques d'investissements en R&D qui représentaient en 2011 4% du PIB sud-coréen, un ratio supérieur à celui des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

Quant à la Chine, sa stratégie repose essentiellement sur trois piliers, le premier étant l'imitation des technologies déjà existantes, suivi de l'utilisation de sa main d'œuvre abondante et bon marché et enfin de l'innovation. Bien entendu, l'ensemble de ses stratégies ont été mises en œuvre concomitamment. D'abord, l'ouverture vers l'extérieur entamée par l'intégration aux accords de l'OMC a été faite non pas pour consommer mais pour produire des biens et services destinés à l'exportation en s'appuyant sur sa main d'œuvre abondante et plus compétitive. C'était donc une ouverture gagnante à la fois pour l'Etat chinois mais aussi pour les entreprises étrangères. Dans ce contexte, les flux de capitaux étrangers restent étroitement contrôlés par le gouvernement afin de maîtriser la naissance d'entreprises nationales capables de rivaliser sur les marchés mondiaux aux côtés des grandes entreprises européennes et américaines. L'imitation consiste à reproduire les technologies existant ailleurs à travers les contrats qui stipulent clairement le transfert de technologies. Ce fût le cas par exemple du train à grande vitesse ou de l'aéronautique. S'ajoute alors les investissements dans la recherche et le développement comme le montre les statistiques sur l'évolution de la part des dépenses de R&D dans le PIB. Elles sont passées de 1 à 2,5% du PIB chinois en 15 ans, rattrapant ainsi le même niveau que l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur.

Quand on y regarde de près, la stratégie chinoise est semblable à celle employée par les Etats-Unis à l'exception de l'imitation puisque ces derniers étaient à l'avant garde de la révolution industrielle juste derrière les Britanniques. De plus, en tant que terre d'immigration, ils avaient déjà accueilli bon nombre d'éminents scientifiques Européens, dont Einstein reste l'un des plus emblématiques. En matière d'innovation, le pays a accru ses dépenses en R&D passant de 2,5 à 3% du PIB entre 2005 et 2010. Il n'est nul besoin de rappeler ici le nom des grandes entreprises américaines qui apportent chaque année de nouveaux produits et services sur les marchés du monde entier, Apple étant l'exemple emblématique le plus récent. En tant que pays d'innovation, les USA ont une demande extérieure très forte quoique leur balance commerciale reste déficitaire. Par ailleurs, le marché du travail américain regorge aussi d'une main d'œuvre abondante et compétitive, comme en témoigne les chiffres du PewResearchCenter qui estimait à 11.2 millions, soit 3,5% de la population, le nombre d'immigrés illégaux vivant aux Etats-Unis. A cela s'ajoute la flexibilité du marché du travail américain qui rend moins coûteux le travail qu'en Europe. Ainsi, l'innovation combinée à un coût du travail faible permet d'expliquer les performances économiques des USA qui ont pu limiter la baisse de leur poids économique à 16% en 2013, et maintenu le niveau de vie de leur citoyen moyen autour de 6 fois la moyenne mondiale.

Les exemples de la Chine et de la Corée racontent l'histoire de rattrapages économiques réussis pour des pays qui, il y a moins d'un demi-siècle, étaient au même niveau que l'Afrique. Ce sont aussi des exemples qui mettent en évidence les stratégies qui fonctionnent et les pièges à éviter. Par contre l'exemple de l'Union Européenne va mettre en évidence les instances dans lesquelles le rattrapage peut se transformer en stagnation: C'est le piège à éviter pour les économies africaines. Comme le montre les graphiques 1 et 2 ci-dessous, le poids économique de l'Europe n'a fait que baisser au cours des dernières décennies, passant de 26% en 1990 à 18% en 2013, soit une baisse de 8 points contrairement aux USA qui n'ont perdu que 4 points sur la même période en dépit de l'émergence d'autres pays du Monde tel que la Chine. De plus, quoique le niveau de vie moyen ait augmenté, il a progressé au même rythme, voire moins, que celui des USA. Ces constats vont de pair avec des dépenses en R&D récemment passées à 2% du PIB, soit un point de pourcentage plus faibles qu'aux USA et deux fois moins que celui de la Corée du Sud. Ils vont également de pair avec un marché du travail plus protecteur du salarié et générateur d'un emploi plus coûteux.

C'est aussi se chemin que s'apprête à emprunter certains Etats africains en signant l'accord de partenariat économique avec l'Union Européenne afin de consommer davantage plutôt que de produire, en dépensant seulement 0,6% de leur PIB en R&D,[2] en signant des contrats de construction qui autorisent les entreprises à importer même les travailleurs non qualifiés, et en ayant un coût du travail qualifié qui reste encore plus élevé que dans des pays comparables.[3] Ainsi, ni le canal de l'imitation, ni celui de l'innovation, encore moins celui de l'ouverture sur la base davantage comparatif n'est à l'œuvre en Afrique. Ce n'est certainement pas là une note d'espérance pour l'Afrique. C'est pour cela que l'espoir a besoin d'une définition en Afrique. Pour éviter qu'il ne soit juste un mirage pour l'essentiel de la population, il y a lieu de 1) identifier les secteurs dans lesquels l'Afrique gagnerait à imiter les technologies qui existent déjà, 2) innover dans les autres secteurs, que ce soit de l'éducation, de la santé, des technologies de l'information et de la communication, des transports, de l'énergie et de l'eau, voire même de l'aménagement du territoire et 3) entamer une ouverture commerciale dans le but de produire et non de consommer.

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L'Afrique sub-saharienne plus précisément car ce n'est que pour cette région que nous avons trouvé des données comparables. Cependant le profil reste le même lorsqu'on inclut les pays d'Afrique du Nord.

[2] Ce chiffre de 2007 est surestimé grâce à l'inclusion de l'Afrique du Sud dans les calculs.

[3] Cf. la publication de Gelb et al. (2013) sur le sujet. Il semble que cela soit dû au fait que les salaires soient plus élevés dans les plus grandes entreprises, suggérant qu'il ne s'agit pas d'un effet structurel mais tout simplement le résultat de la rareté de la main d'œuvre qualifiée pour les secteurs à fort intensité capitalistique tels que les télécommunications et les mines. On le voit dans les résultats que les coûts les plus élevés se trouvent en Angola et en Afrique du Sud et au Nigéria.

L’Afrique a des Idées…

logo« Chantons les Africains, Chantons la Belle Afrique, Chantons les beaux paniers, … ». Cette Afrique des beaux paniers existe-elle encore ? Légitime interrogation pour de millions de jeunes africains qui, dans leurs parcours scolaires ont eu la chance d’entonner cette célèbre chanson.

Ma rentrée sur l’Afrique des Idées, je la dédie à cette Belle Afrique. N’en déplaise aux détracteurs, l’Afrique a bien des Idées. Des Idées aussi ingénieuses qu’innovantes, l’Afrique n’en manque pas.

Dans tous les coins et recoins du continent, il y a bien des choses qui se font pour mettre l’Afrique sur le droit chemin. Désolé, pour que l’Afrique se fasse respecter. Trop de ragots sur un continent, qui malgré tout, en attendant d’autres résultats scientifiques, conserve son titre plus qu’honorifique du « berceau de l’Humanité ».

En Afrique, la Conscience Collective s’accorde sur les monstrueuses difficultés politiques, économiques, sociales et depuis culturelles. N’empêche, elle fait bien naître des génies. Des génies qui ne se lasseront pas de faire briller une Afrique au passé tragique. Même l’autre, quand il chante que « l’homme noir n’est pas bien entré dans l’histoire », savait au tréfonds de son âme que l’Afrique a des Idées. Il en donnait déjà la preuve avec sa formule très polémiquée de l’ « immigration choisie ».

Mais bien heureusement, pas vraiment besoin de serpenter les rues des faubourgs d’Europe et d’Amérique ou encore de l’Asie, pour dénicher ces talents qui donnent du sens à l’Afrique. Tous n’ont pas eu besoin de faire les classes dans ce qu’on appelle très affectueusement les grandes écoles occidentales. D’autres ont même le mérite d’avoir abandonné des conditions « exceptionnelles » de ces pays scientifiquement confirmés pour s’offrir des années de réflexion sur l’Afrique en Afrique. Et que dire de ces génies qui n’ont jamais goûté aux délices d’un vol intercontinental pour certifier tout fièrement que l’Afrique a des Idées.

Je me souviens comme toujours de ce monumental chanteur béninois qui n’hésite point à clamer haut et fort que « les grands de ce monde viennent d’Afrique ». Sagbohan Danialou, puisque c’est de lui qu’il s’agit était-il dans le secret des dieux ? Certainement pas, mais des Africains convaincus d’une Afrique positive, une Afrique qui gagne, Une Afrique pionnière, ils sont bien des millions à travers le monde.

Que les uns, nationalistes de France, manifestent un extrémisme absolu d’une époque révolue; que les autres, flics de leur Etat, déshumanisent des migrants africains, parce qu’ils auraient gagné clandestinement leur pays en proie à des difficultés économiques monstrueuses, qu’ils se souviennent qu’il y a bien une Afrique qui innove. Qu’ils se rappellent qu’il y a bien une Afrique de demain. Une Afrique des Idées dont la lumière embraserait l’Humanité toute entière.

Cette Afrique, c’est celle de grands noms et de grandes icônes. De la Politique à l’Economie, de la Musique au Sport, du Cinéma au Théâtre, ils n’ont qu’un seul dénominateur commun : Prouver que l’Afrique grouille d’idées aussi pharaoniques que merveilleuses. Marcher dans cette Afrique, c’est aller sur la terre de Nelson Mandela, Kofi Anan, Barak Obama, Bertin Nahum, Agélique Kidjo, Djimon Houssou et bien d’autres dont les racines sont ancrées dans l’audace d’un continent super « convoité » depuis des générations.

Qui d’entre vous pourrait sonder la joie qui était la mienne d’apprendre qu’un togolais, médecin de son Etat se met dans l’invention d’une imprimante 3D à base d’objets recyclés. Quel bonheur est le mien de savoir que même dans son Congo natal décimé par des années de conflits que le génie de Vérone Mankou ne tarit point, et que Victor Agbegnegou, compte offrir à l’Afrique en général et à son Togo d’origine en particulier les mêmes conditions de téléphonie mobile que partout dans le monde.

Même Goldbach, depuis sa tombe, aurait ses yeux rivés sur l’Afrique. Pour qui ne le sait pas, Ibrahima Sambégou Diallo, jeune guinéen, serait en train de devenir le premier mathématicien africain à avoir élaboré un théorème. Ce dernier aurait réussi à trouver la solution à la conjecture de Goldbach.

Et point de mots pour reconnaître le mérite de ces petits génies du Liberia, du Nigeria et de plusieurs autres pays du continent qui, à peine instruits, font parler l’immensité de leur génie par des solutions miracles à des problèmes communautaires de longue date. De l’invention d’une station radio ou d’un générateur à base d’objets recyclés ou des débris d’armes de guerre, plus qu’à l’Afrique, c’est au monde qu’il donne des idées. Un regard vers la formidable trouvaille du technicien informatique sud-africain Steve Song permet de s’assurer que l’Afrique de demain se bâtit dans tous les coins du continent. En tout cas, lui pourra fournir de l’accès à internet à des milliers de villageois grâce à une technologie Wi-Fi à partir des boîtes de conserve.

Saviez-vous quelle est et sera mon estime pour cette belle cohorte de jeunes africains bien inspirés qui tirent de l’éclosion des nouvelles technologies des inventions révolutionnaires et futuristes pour l’Afrique ?

Non ! Je ne pense pas un seul instant que vous en saviez quelque chose. En tout cas, pour nous, c’est une première, un marché d’idées à l’africaine qu’on fête et qu’on ne cessera jamais de célébrer.

Mais attention ! Que l’euphorie ne l’emporte point. L’Afrique a des idées…

De-Rocher Chembessi