Au Gabon, une élection pour rénover le logiciel politique du pays

Ali BongoLes près de 600 000 électeurs gabonais iront aux urnes le 27 août prochain pour choisir leur président de la République. Face au sortant, Ali Bongo Ondimba, candidat du Parti Démocratique Gabonais (PDG), ils étaient 13 opposants au départ avant que Casimir Oyé Mba et Guy Nzouba Ndama ne se retirent au profit de la candidature de Jean Ping.

Ce scrutin présidentiel est une échéance importante pour la jeune démocratie gabonaise. Sept ans après la mort du patriarche Omar bongo succédé par le fils « Ali », il faut saluer le respect du calendrier électoral et l’ouverture de la compétition à toutes les sensibilités politiques du pays.

Le Gabon est dans une dynamique qui rompt avec l’immobilisme qu’a caractérisé pendant trois décennies le régime d’Omar Bongo qui a adossé le modèle économique du pays sur la rente liée à l’extraction des ressources naturelles abondantes avec notamment le pétrole, les mines et le bois. Outre cette position de vulnérabilité du pays aux fluctuations des cours mondiaux de matières premières, le Gabon était miné par les inégalités sociales et la persistance de privilèges pour une élite corrompue qui s’enrichissait en toute impunité.

Une nette amélioration dans la gestion du pays a été constatée durant le premier mandat d’Ali Bongo à travers la mise en œuvre du Plan Stratégie Gabon Emergent piloté par le cabinet sénégalais Performance Group.

En sept années de gouvernance, les indicateurs macroéconomiques du pays se sont largement améliorés avec une croissance moyenne proche de 6%. Pour rappel, entre 2004 et 2008, celle-ci était en moyenne de 1,3% par an plaçant le pays à la 50ème place sur les 53 du continent.

La diversification de l’économie est aussi en chantier afin de sortir de la dépendance du pétrole avec des investissements public massifs à hauteur de 4579 milliards de FCFA entre 2010 et 2015 réalisés, contre 4326 milliards de FCFA entre 1980 et 2009. En termes d’emplois, le pays, depuis 2009, a créé 60 000 emplois (24 000 dans le secteur privé et 36 000 pour le secteur public).

Au regard de ces données, il est indéniable que le pays est sur une trajectoire positive contrairement aux décennies précédentes. Cela dit, les chantiers en matière d’inégalité sociale demeurent. La lutte contre la corruption doit être accentuée au même titre que l’accès aux services sociaux de base pour une grande frange de la population gabonaise.

La bonne santé économique affichée par le pays doit également être un moteur pour le renforcement de sa démocratie. L’échéance du 27 août revêt donc une importance particulière pour le Gabon. Au delà du duel annoncé entre Ali Bongo et Jean Ping, c’est le logiciel politique du pays qui doit être rénové.

Le Gabon est une drôle de démocratie comme il y en a souvent en Afrique. L’opposition existe et peut participer à toutes les compétitions électorales mais sa capacité à peser dans un espace public est annihilée par le PDG, qui domine entièrement l’espace. En outre, elle subit un discrédit lié aux vieilles figures qui la représentent et qui refusent toute alternance générationnelle à la tête des appareils. Ainsi, devant un Ali Bongo qui fait campagne sur le bilan de 7 années de mise en œuvre du PSGE, les leaders de l’opposition ont d’abord joué la carte identitaire en fustigeant sa nationalité gabonaise. Ensuite, devant l’échec de cette stratégie, ils font campagne avec une légèreté et une impréparation assez surréalistes pour un scrutin aussi sérieux pour le futur du Gabon.

Le Gabon est malade de ses élites dont la majorité a joué un rôle dans le pillage pendant plusieurs décennies du pays. Parmi elles, certaines ont rejoint le camp de l’opposition dans laquelle elles incarnent un passé rédhibitoire à la jeunesse gabonaise.

Une autre partie de cette élite est encore dans les rangs du parti au pouvoir, aux cotés d’Ali Bongo, rendant ainsi sceptique l’effectivité de la transformation sociale en profondeur du pays qui devrait être marquée par la fin des privilèges et le culte du mérite.

A Port Gentil, Ali Bongo a, dans un discours offensif, appelé à une « révolution politique », une « révolution sociale » qui promeuvent « l’égalité des chances, le travail et le mérite ». Même si des actes ont été posés dans ce sens lors de son premier mandat, des efforts demeurent à faire afin de construire une société juste, égalitaire dans laquelle le partage des ressources sera équitable.

Les Gabonais voteront le 27 août, dans un scrutin à un seul tour et devront choisir entre Ali Bongo, favori compte tenu de la prime au sortant et de la machine du PDG, et son principal challenger Jean Ping qui a réussi à rallier des poids lourds autour de sa personne dont les deux anciens candidats Oyé Mba et Zouba Ndama ainsi que l’importante figure de l’opposition qu’est Zacharie Myboto.

En tous les cas, les acteurs politiques gabonais doivent préserver la paix dans le pays. Le vainqueur devra s’atteler à abréger les souffrances des Gabonais laissés en rade par les progrès économiques importants du pays sous Ali Bongo. Ce scrutin devra aussi mettre fin à un cycle entamé depuis la conférence nationale en 1991 et faire sauter le pays dans le wagon des démocraties modèles en Afrique.

Hamidou Anne

 

 

Quel rôle l’Union Africaine peut-elle jouer dans la gestion des crises humanitaires en Afrique ?

union_africaine« Là où sévissent de graves manquements au respect des droits humains, l’Union africaine (UA) doit être la première à condamner et à réagir rapidement conformément à la lettre et à l’esprit de l’Acte constitutif de l’Union et tous les autres instruments pertinents » dont elle est signataire.[1] Cette déclaration de Jean Ping, alors Président de l’Union Africaine, est révélatrice de la nécessité pour l’organisation de s’affirmer en matière d’intervention humanitaire. Forte de l’encrage de la notion de Responsabilité de protéger dans ses différents actes et protocoles, contrairement à l’ONU, l’Union africaine semble techniquement prête à répondre des violations graves des droits de l’Homme perpétrées par ses Etats membres. Mais pour que cela se concrétise, l’UA devra veiller à ne pas confondre indépendance et autonomie, à l’heure où la coopération se révèle être un élément incontournable. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.


[1]    La Lettre du Président – Numéro 1, Novembre 2011 La Lettre du Président. Disponible sur : http://www.au.int/fr/dp/cpauc/content/lettre-du-président-numéro-1-novembre-2011-l’union-africaine-et-la-crise-libyenne-remettre-l

Une heure dans la vie de Jean Ping***

Jean Ping me reçoit dans cette suite du Pullman qui est son quartier général parisien. Pourquoi pas la résidence de l’ambassadeur ? Léger sourire en coin : « plus maintenant. » Comprendre « Ce serait déplacé, après mon passage à l’Union Africaine » Je doute que l’ancien cacique du Boulevard du Bord de Mer, à Libreville, ait jamais préféré les auspices de l’ambassade aux hôtels parisiens. Je laisse passer. Trop tôt pour engager les hostilités. Grâce au réseau des anciens de Sciences Po, j’ai pu décrocher une heure avec l’ancien président de la Commission de l'Union Africaine. Il faudrait être fou pour la gaspiller en salamalecs. Allons au cœur du problème.
 
Quel bilan dresse-t-il de son action à la tête de l’UA. Il botte en touche. Ce sera aux autres de faire le bilan de son action. Ce qu’il sait « en tout cas », c’est que grâce à lui, la légitimité de la Commission est fermement établie – ce qui n’était « pas gagné d’avance et n’est pas le cas d’autres institutions de l’Union ». Je lui rappelle que ces « institutions en panne », comme il dit, étaient censées consolider les pouvoirs juridiques de l’Union. Autre sourire. Jean a appris, jusqu’à l’usure les codes des communicants américains. Devant une question ou un interlocuteur difficile, souriez et répondez à votre guise. Qu’importe, il a l’air moins tendu qu’avant. Je me souviens du visage fermé, sévère de l’ancien diplomate (il réprimandera à plusieurs reprises mon utilisation de ce terme : « pas ancien diplomate ! Non, alors pas du tout ! Je suis encore en fonction » Auprès de qui ? Il ne le dira jamais. N’est-il pas davantage « en représentation plutôt qu’en fonction» ? Aucun sourire…) durant la crise postélectorale en Côte d’Ivoire ; et cette artère palpitante qui ne quittait pas son front, au plus fort de la bataille contre Dhlamini-Zuma. Pense-t-il qu’elle fera un bon leader ? Il me renvoie au discours de « concession » rédigé après l'élection. A-t-il pardonné l’affreuse pique de Jacob Zuma plaidant pour un candidat ayant « d’avantage d’envergure » à la tête de l’UA. Pas un mot de plus. Loyal. Il se contente de me rappeler qu’elle non plus, ne souhaite pas l’extradition d’El-Béchir. Certaines choses ne changent pas à Addis-Abeba.
 
Son staff lui a fait une note sur Terangaweb… «Pas terrible!» La note ou le Think-tank ? Conciliant « la note ! Evidemment » sourire. L’entretien sera constamment interrompu par divers personnages, plus ou moins jeunes et pressés : un jeune homme, plutôt mince, lunettes à rayure, oreillette Bluetooth vissée à l’oreille droite, des airs de conspirateur  en manque d’ennemis, "Jean-Pierre, mon neveu" ; une femme, trente-trente-cinq, veston beige, Jupe bleu nuit, rouge à lèvres léger, yeux très clairs, pénétrants – « Michèle » me dira-t-il suivant mon regard, « ma chargée de communication. C’est elle que vous avez eu au téléphone ! ». Je baisse les yeux. Reprenons.
 
Cet homme, installé depuis trente ans au cœur de la diplomatie africaine, reste difficile à cerner. Aimait-il vraiment son bienfaiteur, son beau-père de facto (il a eu deux enfants avec Pascaline Bongo, fille de Vous-Savez-Qui) ? Quelles relations entretient-il avec Ali Ben ? Les rumeurs persistantes sur une guerre de succession, entre ces deux hommes ambitieux, alors que la dépouille du Patriarche était encore tiède ? Ragots ! Rien que des ragots. Il a toujours été loyal au Président ! Lequel ? Autre rictus.
 
Revenons en eaux moins troubles. Se considère-t-il comme libéral ? L’auteur d’une thèse de doctorat intitulée « quelques facteurs externes du freinage de la croissance et du blocage du développement : le cas du Gabon » et du très plat « Mondialisation, paix, démocratie et développement en Afrique : l'expérience gabonaise », est aussi l’homme qui ouvrit le plus l’économie gabonaise au commerce international. La solution du développement se trouverait-elle dans l’échange ? « Absolument ! » Et il se lance dans une longue diatribe sur les freins au commerce régional en Afrique. Les 153 frontières à franchir. Le manque d’infrastructures routières. Ce sujet semble le passionner. S’imagine-t-il jouer un rôle au sein des exécutifs régionaux d’Afrique centrale ? « Quelle régression ! » souffle-t-il. Au sein de la BAD, alors ? Moue dédaigneuse. La voix rocailleuse se fait soudain plus sèche : l’Afrique centrale a eu son tour. La référence à Donald Kaberuka, le rwandais à la tête de la BAD est acide. Ping y avait vu un autre coup de la diplomatie-canon de Kagamé. Ces deux-là se haïssent.
 
La trajectoire de ce métis était-elle tracée d’avance ? Fils de l’Ogooué et du Wenzhou, villes-régions portuaires, bons augures, Jean voyagera, beaucoup. A Wenzhou, la région d’origine de son père, il retrouvera même sa tante de 90 ans, incrédule, à moitié sourde. Et il sera fêté comme un héros. Quel souvenir en garde-t-il ? Cet homme sévère s’attendrit, hésite un instant puis lâche : « poignant ».  C’est l’adjectif le plus chaud que l’ancien diplomate aura utilisé durant notre entretien. Il abandonne, je peux garder « ancien diplomate » si j’y tiens. Un dernier mot ? « Pourquoi ‘l’Afrique des Idées’ ?» Parce que le discours général sur l’Afrique manque d’idées. De bonnes en tout cas ! N'est-ce pas prétentieux… ? Si même Jean Ping vous trouve « prétentieux ». Je promets de transmettre le message à Simel et Leroueil.
 
*** Interview fictive évidemment.

Le procès à La Haye des Six d’Ocampo

Ligne du haut puis ligne du bas, de gauche à droite : Joshua Arap Sang, Mohammed Hussein Ali, William Ruto, Henry Kosgey, Francis Kirimi Muthaura et Uhuru Kenyatta.

L’entêtement que mettent le Gouvernement et le corps politique kenyans à repousser après les élections présidentielles de 2012, voire empêcher la procédure judiciaire ouverte par la Cour Pénale Internationale contre les « Six d’Ocampo » est symptomatique d’une défiance chronique à l’égard de la justice internationale et, plus grave, d’une indifférence coupable vis-à-vis des tensions politico-ethniques latentes au Kenya. Un sabotage de ce procès, à un an des élections présidentielles, pourrait transformer ces tensions en folie meurtrière.

« Les Six d’Ocampo » est le surnom donné au groupe formé par Mohammed Hussein Ali, William Ruto, Uhuru Kenyatta, Henry Kosgey, Francis Kirimi Muthaura et Joshua Arap Sang, personnalités publiques kenyanes désignées comme étant les instigateurs des affrontements post-électoraux de 2007/2008 qui provoquèrent la mort de 1300 Kenyans et le déplacement interne de 350,000 personnes. Cette liste a été composée par une Commission d’enquête créée au lendemain de ces violences.

Devant la lenteur de la justice kenyane et l’échec des tentatives d’établissement d’un tribunal national chargé de juger les responsables de ces violences, Koffi Annan, président du « panel d’éminentes personnalités africaines » chargé de faciliter la sortie de crise, établi en janvier 2008, remit cette liste tenue secrète jusqu’alors (et dont la composition nourrit bien des spéculations) au procureur de la Cour Pénale Internationale, Luis Moreno Ocampo, qui ne la dévoila qu’en décembre 2010.

Parmi les « Six d’Ocampo », on compte trois proches du Premier ministre Raila Odinga :

• William Ruto (ancien ministre de l’enseignement supérieur, suspendu en octobre 2010 pour corruption et candidat déclaré aux présidentielles de 2012), accusé d’avoir organisé les violences à caractères ethniques dans sa circonscription électorale, où des centaines de Kikuyus, perçus comme sympathisants du Président Kibaki ont été pourchassés et expulsés par des bandes de jeunes Kalenjins (groupe ethnique de Ruto, Kosgey et Sang).

• Henry Kosgey (Président de l’Orange Democratic Mouvement, ODM, Parti du Premier ministre Odinga, ancien ministre de l’industrialisation, démissionnaire en Janvier 2011 suite à des accusations de corruption), « organisateur et planificateur principal des violences commises contre les sympathisants du PNU (Party of National Unity du Président Kibaki) » selon les accusations de la CPI.

• Joshua Arap Sang, ancien animateur de radio, accusé d’avoir incité les jeunes Kalenjins à la haine et à des actes de violences contre les Kikuyus.

Et trois fidèles du Président Mwai Kibaki :

• Mohammed Hussein Ali (ancien chef de la police kenyane), responsable présumé des brutalités policières perpétrées principalement contre les sympathisants d’Odinga.

• Uhuru Kenyatta (fils aîné de Jomo Kenyatta, actuel Vice Premier ministre, et candidat déclaré aux présidentielles de 2012) soupçonné d’avoir  mobilisé le gang politico-religieuse Kikuyu « les Mungiki », responsable de terribles atrocités durant la crise post-électorale.

• et Francis Kirimi Muthaura (directeur de la fonction publique et directeur du conseil de sécurité Nationale) accusé d’avoir dirigé la répression gouvernementale durant la crise.

En mars 2010, la Cour autorisait son procureur à déclencher (de son propre chef, ce qui est une première) une enquête contre ces six personnalités pour les crimes contre l’humanité suivants: déportation et déplacement forcé de population, meurtre, autres actes inhumains, persécution pour motifs d’ordre politique, viols et autres violences à caractère sexuel. En septembre 2010, les « Six » étaient assignés à comparaître devant la CIP.

Les réactions politiques à ces accusations ne se sont pas fait attendre. D’abord, une motion parlementaire fut votée – une seule voix contre – demandant au gouvernement de se retirer du Statut de Rome (instituant la CPI). Ensuite, dès Janvier 2011, le gouvernement décida d’allouer 60 millions de dollars à la défense des accusés, avant de ramener cette aide à 6 millions.

Le 30 mars 2011, le gouvernement Kenya déposait une requête auprès de la CPI contestant sa compétence et demandant le report du procès, au nom du principe de complémentarité (la CPI ne peut intervenir dans un pays que lorsque les tribunaux locaux ne peuvent ou manifestement ne veulent pas se saisir d’une violation des droits de l’Homme). Cette requête a été rejetée le 30 mai. Le 6 juin, le gouvernement a interjeté appel de cette décision. Cet appel n’a pas encore été examiné par la Cour.

Les « Six d’Ocampo » se sont rendus à la Haye, en avril dernier pour entendre les accusations portées contre eux, accompagnés de 35 députés, du procureur général, du directeur des poursuites publiques, et de l’avocat général du Kenya, ainsi que deux vedettes du barreau anglais Geoffrey Nice et Rodney Dixon engagés par le gouvernement kenyan. Les audiences de confirmation des charges sont prévues en septembre. La classe politique Kenyane est décidée à les empêcher.

Le zèle des autorités kenyanes à contrecarrer les actions de la CPI semble davantage lié à des considérations politiques qu’au respect strict du principe de complémentarité. Il est d’autant plus suspect qu’en février 2009, avant que les noms des six ne soient révélés, le parlement kenyan rejeta un projet de loi visant à établir les tribunaux locaux recommandés par la commission d’enquête, privilégiant la saisine de la CPI, supposément moins sujette aux pressions politiques. Leur volte-face ne tient d’ailleurs nul compte des pressions populaires : la population kenyane soutient à 57% contre 24% l’organisation du procès à la Haye plutôt qu’au Kenya.

Les observateurs politiques kenyans ont remarqué qu’aucun Luo (groupe ethnique du Premier ministre Odinga) ne fait partie des « Six » Ce qui pourrait lui ouvrir un boulevard aux prochaines présidentielles, d’autant plus large que Ruto et Kenyatta seraient empêchés de se présenter. Organiser le procès au Kenya, ferait des juges, les arbitres directs des présidentielles.

A cela s’ajoute le volet ethnique du procès. La dimension ethnico-politique des violences de 2007 et 2008 se reflète clairement dans la répartition ethnique et régionale des accusés : d’un côté, trois Kalenjins, proches du Luo Raila Odinga, de l’autre, deux Kikuyus proches de Kibaki. Quel que soit le verdict d’un procès au Kenya, à considérer même que les magistrats aient la liberté et le courage d’enquêter sérieusement, provoquerait, immanquablement, la reprise de violences qu’exacerberait l’échéance présidentielle de 2012.

C’est dans ce contexte particulier, qu’en février, l’Union Africaine – manifestement et irrémédiablement hostile à toutes les initiatives de la CIP – a malgré tout, sous la présidence de Théodore Obiang, décidé d’appuyer la requête en incompétence formulée par le Kenya ; Jean Ping, président de la Commission de l’UA rejetant, quant à lui, le « deux poids, deux mesures » du procureur Ocampo. Le 3 juillet dernier, l’UA exhortait, de nouveau, le Conseil de Sécurité de l’ONU (seul habilité à le faire : art.16 du Traité de Rome) à repousser le procès, au-delà de 2012. En vain, jusqu’ici.

Le gouvernement Kenyan, en plus des 6 millions alloué à la défense des Six, a dépensé près de 350.000 dollars en lobbying auprès des diplomates africains, pour obtenir le soutien unanime de l’UA. Dans le même temps, 1500 familles ayant fui leur lieu de résidence au plus fort des affrontements, attendent encore d’être indemnisées et relogées. Les réformes administratives et juridiques nécessaires à l’implémentation de la nouvelle Constitution adoptée en Aout 2010, sont déjà en retard de six mois, sur le calendrier prévisionnel. Pendant ce temps, l’élite juridique du pays se démène à faire « rapatrier » le procès des « Six d’Ocampo ».

La décision de l’UA de soutenir une initiative politicienne aussi dangereuse qu’anti-démocratique est signe que ce procès doit, coûte que coûte… avoir lieu à la Haye. On pourrait appeler cela la « jurisprudence Gbagbo » : pour être sûr d’être dans le vrai, il suffit d’écouter les propositions de Jean Ping… et de faire exactement le contraire.

Joël Té-Léssia

Une diplomatie pour l’Union Africaine?

  A sa naissance en 1963, L’Organisation de l’Unité Africaine était le résultat d’un compromis entre deux approches panafricaines, celle de Kwame Nkrumah (plus globale et rapide) et celle de Julius Nyerere et Houphouët-Boigny acceptant les frontières des États-Nations héritées de la colonisation. Le résultat fut une réaffirmation des droits des États (souveraine égalité de chaque État-membre et non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État).
 
On en connaît la suite : les guerres civiles au Libéria, en Sierra-Leone, au Congo ; les autoritarismes ivoirien, centrafricain, ougandais et congolais ; les répressions au Biafra et au Tchad, le génocide rwandais et l’apartheid sud-africain, les guerres entre l’Éthiopie et la Somalie en 1977-78 puis entre la même Éthiopie et ce qui deviendra l’Érythrée entre 1998 et 2000, la question des mercenaires au Congo et au Nigeria dans les années 1960; malgré l’adoption en 1981 de la « Charte Africaine des droits de l’homme et des Peuples » et l’établissement en 1998 de la très faiblement dotée et notoirement inactive « Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples » ou l’entrée en vigueur de la « Convention pour l’élimination du mercenarisme » en 1985.  L’Union Africaine, entrée en fonction au sommet inaugural de Durban en 2000, devait, entre autres, mettre un terme à cette incapacité à prévenir les exactions commises contre les populations civiles et fournir un cadre institutionnel autorisant la protection des civils et la prévention des crimes contre l’humanité.
L’UA a le droit d’intervenir dans les affaires internes d’un État, en cas de « crimes de guerres, de crimes contre l’humanité et de génocides » suite à une décision de l’Assemblée (majorité des 2/3) ou dans le cas de « menaces sérieuses à l’ordre légitime ».
 
Pourtant, au-delà des quatre pays (Érythrée, Madagascar, Niger et Côte d’ivoire) suspendus de l’Union Africaine, aujourd’hui, conformément à l’article 4 de sa charte qui interdit les coups d’États et des différentes solutions adoptées par des organismes régionaux (partage du pouvoir au Kenya et au Zimbabwe, soutien aux organismes régionaux de résolution des conflits) ; il reste évident que la capacité de l’Union Africaine et de son Conseil de Paix et de Sécurité à résoudre les conflits en Afrique est encore à démontrer.
Ni les coups d’État nigérien et malgache, ni les manipulations électorales au Zimbabwe ou les conflits postélectoraux kenyan ou ivoirien n’ont été empêchés, résolus ou contenus par l’intermédiaire de la Commission de l’Union Africaine ; elle n’a été capable, à aucun moment d’intervenir ou d’organiser l’intervention d’un « hégémon » local dans un conflit interne, depuis sa naissance. Plus grave encore, il apparaît clairement que les récents développements politiques en Afrique du Nord ont lieu et sont développés sans l’Union Africaine. Elle n’est pas seulement absente des débats et tenues à l’écart des décisions prises, elle n’est pas consultée, personne ne pense à la consulter. Une telle idée paraîtrait saugrenue. Voilà le vrai bilan de près de dix ans de fonctionnement de l’organisme principal de coopération politique, économique et militaire en Afrique.
Et même lorsqu’elle agit, les résultats de la diplomatie de Jean Ping sont négligeables sinon néfastes : le pas-de-deux, les hésitations et accommodations dont elle a fait preuve avec Laurent Gbagbo sont aujourd’hui ridiculisés par son intransigeance.
 
Plus surprenant, il n’existe, à vrai dire, que peu d’Etats en Afrique (hormis l’Afrique du Sud), capable d’intervenir militairement dans aucun autre pays, sans que leur structure politique et économique n’en subissent de contrecoups définitifs et excessifs. Encore plus grave, il n’existe en Afrique de l’Ouest que deux pays, le Mali et le Nigéria dans le top 10 de ces pays militairement et économiquement capables d’assumer un rôle d’hégémon dans la région, et pourtant les contraintes imposées par leurs conflits internes et/ou limites budgétaires rendent cette capacité d’intervention inutilisable.
 
L’idée qu’un hub de pays pourrait décider d’appuyer le suivi systématique de l’Acte Constitutif de l’Union Africaine est elle-même mise à mal par l’espèce d’équilibre précaire entre différents hégémons régionaux aux intérêts divergents ou potentiellement différents. Non seulement la diplomatie militaire de l’Union Africaine est inexistante, mais elle n’est pas amenée à s’améliorer. Voilà le 1er chantier de Jean Ping.