Le Mozambique, entre croissance et pauvreté

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Le Mozambique affiche un taux de croissance moyen impressionnant de 7.2 % sur les dix dernières années. La tendance devrait se maintenir en 2012 et 2013, à respectivement 7.5 et 7.9 %. Le coup de fouet donné à la production de charbon par les premiers mégaprojets mis en exploitation en 2011, couplé à la solide performance des services financiers, des transports, de la communication et du bâtiment, a contribué à porter la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel à 7.2 % en 2011. L'économie reste dopée par le niveau élevé des investissements directs étrangers (IDE), destinés en priorité aux industries extractives, mais aussi par la bonne tenue de la production agricole et la poursuite des investissements d’infrastructure.

La mise en œuvre des mesures en faveur des pauvres élaborées en 2011 et l’ambitieux programme d’investissement dans les infrastructures devraient creuser le déficit budgétaire, de -3.3 % en 2011 à respectivement -6.8 et -7.4 % en 2012 et 2013. À moyen terme, le principal défi structurel consistera à élargir l’assiette fiscale du pays. Les apports d’aide devraient poursuivre leur décrue, de 51.4 % du budget en 2010 à 39.6 % en 2012. La diversification de la base du revenu, à travers notamment une fiscalité plus efficace dans le secteur des industries extractives, sera vitale pour soutenir et promouvoir une croissance inclusive.

La forte expansion économique a favorisé les investissements dans les infrastructures du pays, encore embryonnaires, le long des trois principaux couloirs logistiques (Maputo, Beira et Nacala) pour faciliter les exportations de charbon et désenclaver les pays voisins privés d’accès à la mer. Les transports et les communications sont le deuxième moteur de la croissance du PIB.

En 2011, les investissements du secteur privé ont dépassé 1.9 milliard USD, dopés par les IDE dans les mégaprojets houillers. Au total, 30 000 emplois ont été créés pour 285 nouveaux projets, dont 13 dans la Zone économique spéciale (Zes) de Nacala, représentant un investissement de 400 millions USD par les entreprises exportatrices. Le secteur des services et des industries manufacturières arrivent en tête. D’importants investissements dans l’industrie du ciment devraient permettre de tripler la production d’ici 2013. Quatre groupes chinois (Africa Great Wall Cement Manufacturer, China International Fund, GS Cimento et Bill Wood) ainsi que le groupe sud-africain Pretoria Portland Cement investissent le marché avec un apport global de 450 millions USD. Un nouvel opérateur de téléphonie mobile, Movicel, a commencé ses activités en 2012. Il s’agit d’une co-entreprise de 400 millions USD entre Viettel, une firme de télécommunications appartenant au ministère de la Défense du Viet Nam, et SPI (Gestão e Investimentos), la société holding du parti au pouvoir au Mozambique, le Front de libération du Mozambique (Frente de Libertação de Moçambique – Frelimo).

Flag_of_Mozambique.svgMalgré le dynamisme global de l’économie, l’événement le plus important pour l’année 2011 tient à la découverte d’abondantes réserves de gaz naturel au large des côtes. En septembre, Anadarko Petroleum annonçait avoir trouvé environ 623 000 milliards de mètres cubes de gaz dans le bloc de la zone 1. En octobre, un consortium emmené par le groupe pétrolier italien ENI a découvert à quelque 40 km au large de Cabo Delgado pratiquement 424 000 milliards de mètres cubes de réserves de gaz naturel. Si ces découvertes sont confirmées, le cumul des réserves devrait classer le Mozambique en 4e position mondiale, derrière les trois géants que sont la Russie, l’Iran et le Qatar. L’ampleur de ces réserves justifie la construction d’une grande usine de gaz naturel liquéfié (GNL) dans le pays. La manne potentielle pourrait totalement remodeler la trajectoire de développement économique et humain du Mozambique à moyen terme.

Une situation sociale compliquée

Malgré la croissance économique engendrée par les grands projets et le gain de compétitivité lié au développement des infrastructures, l’impact sur la réduction de la pauvreté a été minime. Le nouveau PARP 2011-14 met particulièrement l’accent sur la relance de la production agricole. Le secteur, qui représentait 30.9 % du PIB en 2011, devrait progresser de 9.9 % en 2012. Mais la production de noix de cajou – la culture de rente traditionnelle du Mozambique – devrait se tasser à 112 800 tonnes, contre 105 000 tonnes en 2010. Un ambitieux plan directeur pour la noix de cajou, visant une augmentation de 80 % dans les dix ans, a été approuvé par le ministère de l’Agriculture. Ses services anticipent aussi une hausse de 23.4 % de la production de canne à sucre. Les gains de production attendus pour le blé et le riz (respectivement +12.5 et +13.8 %) ne suffiront pas à satisfaire la demande intérieure. Malgré un recul de la production halieutique de 5.1 % en 2011, le secteur devrait rebondir de 18.4 % en 2012. Pour autant, conscient du phénomène de surpêche qui touche le secteur de la crevette, le gouvernement a plafonné les prises commerciales à 5 650 tonnes par an.

En réaction aux tensions sociales de 2010, le gouvernement a restructuré son programme de développement autour d’un nouveau Plan d’action pour la réduction de la pauvreté (PARP 2011-14) qui fait la part belle au renforcement de la production agricole, la promotion des emplois à travers le développement des petites et moyennes entreprises (PME) et l’investissement dans le développement humain et social. Les filets de sécurité sociale ont été consolidés avec l’élargissement des mécanismes de transfert monétaire direct aux groupes les plus vulnérables, parallèlement au maintien des subventions aux transports publics urbains et aux programmes de travaux publics productifs, dans une volonté d’atténuer les effets négatifs du renchérissement des prix alimentaires et des carburants sur les pauvres. Les allocations budgétaires aux secteurs prioritaires ont augmenté de 6.8 % en 2012, atteignant 66.7 % du budget.

Le Mozambique connaît une forte croissance démographique (2.8 % par an), avec environ 300 000 nouveaux arrivants sur le marché du travail chaque année. La croissance est tirée par des projets à forte intensité de capital, en particulier dans les industries extractives. Le taux global de chômage s’établit à 27 %. L’économie formelle est essentiellement urbaine et ne représente que 32 % de l’emploi total. Bon nombre de jeunes actifs sont contraints d’accepter des emplois marginaux dans l’économie informelle, en ville comme dans les zones rurales, sans guère de perspectives de décrocher un emploi stable.

Article publié par African Economic Outlook

Le défi des infrastructures en Afrique

Nkosazana Dlamini-Zuma, nouvellement élue à la tête de la Commission de l’UA, a insisté sur le fait que le développement des infrastructures constituera la priorité de son mandat. Ce volontarisme n’est pas nouveau. Déjà en 2005, lors du sommet du G8 de Gleneagles, avait été lancé le Consortium pour les Infrastructures en Afrique (ICA) dont l’objectif est de mobiliser davantage de financement pour la création d’infrastructures durables. Dans ce sillage, un Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) a été élaboré en 2010/2011, à l’initiative de l’Union Africaine. Ce programme constitue le cadre prioritaire pour les investissements en infrastructures dans quatre secteurs jugés fondamentaux : l’énergie, le transport, l’eau et les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication).

Ce volontarisme ne peut cependant se comprendre que si l’on prend la mesure des besoins considérables de l’Afrique en matière d’infrastructures. Si ces besoins s’expliquent par le déficit actuel d’infrastructures, ils sont en outre accentués par les perspectives de croissance de l’Afrique.

 

Des besoins considérables d’infrastructures liés au déficit actuel…

 

Le diagnostic des infrastructures nationales en Afrique estime que pour combler le déficit d’infrastructures en Afrique[1], il est nécessaire d’investir 93 milliards de dollars par an avec la ventilation sectorielle suivante : 44% pour l’énergie, 23% pour l’eau et l’assainissement, 20% pour le transport, 10% pour les TIC et 3% pour l’irrigation. De ces cinq secteurs, les trois premiers méritent une attention particulière.

L’Afrique constitue le continent dans lequel l’accès à l’énergie est le plus faible, en raison notamment du déficit d’infrastructures. Selon la BAD, des 1,5 milliard de personnes qui vivent sans électricité dans le monde, 80% résident en Afrique subsaharienne. Une étude[2] de la Banque mondiale publiée en 2010 souligne que « les 48 pays d’Afrique subsaharienne (800 millions d’habitants) génèrent plus ou moins la même quantité d’électricité que l’Espagne (45 millions d’habitants) ». Le déficit d’infrastructures énergétiques constitue d’autant plus un handicap que le faible niveau d’accès à l’énergie, en plus des conséquences considérables sur la compétitivité économique des entreprises locales, est presque toujours à une carence en services de santé et d’éducation pour les populations.

En matière de transports, le déficit d’infrastructures constitue un véritable goulot d’étranglement. Cela est notamment le cas pour les infrastructures portuaires dont la capacité est souvent très en deçà des besoins. Le Port de Bissau par exemple, poumon de l’économie du pays, reçoit aujourd’hui environ 30 000 conteneurs par an alors qu’il a été initialement construit pour en recevoir 5 000. Et on pourrait presque en dire autant du port de San Pedro en Côte d’Ivoire ou de celui de Dakar au Sénégal. D’autre part, le manque de routes et de chemins de fer rend difficile la connexion entre les lieux de production et les marchés de consommation, rendant ainsi difficile le commerce intra africain qui ne représente de fait qu’environ 10% des exportations totales des pays africains comme le déplorait Dambisa Moyo[3].

Quant à l’eau et à l’assainissement, il devient de plus en plus important dans un continent qui doit faire face à un essor démographique qui accentue les difficultés d’accès à l’eau potable et les problèmes de salubrité publique. En milieu urbain notamment, la remise à niveau des systèmes de traitement, d’adduction et de distribution d’eau potable, l’accès des ménages aux ouvrages d’assainissement ainsi que la gestion des déchets constituent des préoccupations importantes pour les populations.

… et accentués par les perspectives de croissance de l’Afrique

 Entre 2001 et 2010, l’Afrique a enregistré un taux de croissance moyen du PIB de 5,2% par an, une tendance qui devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies. A cet égard, une étude[4] de la BAD, qui a déjà fait l’objet d’un article de Tite Yokossi sur Terangaweb, a défini les perspectives de croissance de l’Afrique pour les 50 prochaines années.

Perspectives de croissance du PIB par habitant (en $) en Afrique à l'horizon 2060

Source: Banque Africaine de Développement, septembre 2011

Comme l’indique le PIDA dont les projections sur les besoins en infrastructures de l’Afrique repose sur une hypothèse de croissance du PIB de 6% par an jusqu’en 20140, « cette croissance et cette prospérité durables vont multiplier la demande d’infrastructures dont la pénurie est déjà l’un des plus grands obstacles au développement du continent ».

Dans le secteur de l’énergie par exemple, d’après le PIDA, la demande d’énergie de l’ordre de 590 térawatts-heure (TWh) en 2010 passerait à 3100 TWh en 2040. Cette explosion de la demande, alimentée par l’essor démographique et la croissance économique, nécessiterait une capacité de production de 700 GW alors que la capacité actuelle du continent tourne autour de 125 GW.

Dans le secteur des transports, les volumes transportés devraient être multipliés par 6 ou 8 dans la plupart des pays, faisant ainsi passé le trafic portuaire de 265 millions de tonnes en 2009 à 2 milliards en 2040.

Pour ce qui est de l’eau et de l’assainissement, l’essor démographique du continent dans les prochaines décennies et l’accélération de son urbanisation accentueront les besoins en infrastructures dans les villes africaines.

Dans l’ensemble de ces secteurs clés, il existe donc des besoins considérables en infrastructures. Parce que les enjeux se posent à l’échelle régionale et que les besoins en financement sont immenses, l’approche régionale et la mobilisation de financements innovants constituent les deux principaux leviers pour relever le défi des infrastructures en Afrique. Elles feront l’objet d’un prochain article sur Terangaweb.

Nicolas Simel



[1] Diagnostic des infrastructures nationales en Afrique, 2010, étude commandée par le Consortium pour les Infrastructures en Afrique (ICA)

[2] Infrastructures africaines : une transformation impérative, Banque Mondiale, 2010

[3] Dambisa Moyo, L’aide fatale, Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique, Editions Jean-Claude Lattès pour la traduction française, page 187.

[4] Africa in 50 Years’ Time, The Road Towards Inclusive Growth, African Developement Bank, September 2011

La croissance africaine est-elle condamnée à ne pas générer d’emplois ?

À l’heure où l’économie chinoise ralentit et que les principales puissances économiques peinent à croître durablement, les pays africains se placent en tête de la liste des pays ayant la plus forte croissance économique en 2012. Ainsi, la Zambie, avec une croissance de 7,38%, est le douzième pays de la liste, tandis que la Mozambique occupe la dixième place, l’Éthiopie la huitième, le Liberia la quatrième ; l’Angola, avec 10,5% occupe la troisième place, et le Niger connaît la plus forte croissance économique à l’échelle mondiale, à hauteur de 15,4%.

Un optimisme exagéré ?
Si la croissance économique dans les pays africains est une source indubitable d’espoir, dans la plupart des cas, elle n’implique pas pour autant une réduction significative de la pauvreté. En effet, croissance n’est pas nécessairement synonyme de meilleure distribution de richesses, tandis que la transparence reste de l’ordre du fantasme. De fait, lors du récent Forum Africain pour le Développement qui s’est tenu à l’École d’Études Africaines et Orientales de l’Université de Londres, le Docteur Patricia Daley, professeur de géographie humaine à l’Université d’Oxford, s’est posée la question de savoir qui, réellement, bénéficiait de la croissance économique en Afrique. Bien que cette croissance soit dynamique, les secteurs qui la favorisent demandent, en général, plus de capitaux que de main-d’œuvre ; l’investissement provenant de l’étranger étant directement injecté dans les zones les plus développées. Cette croissance n’impacte donc que très peu les sans-emplois et ceux qui survivent dans la précarité et les emplois informels, sans disposer de protection sociale. Ainsi, selon le Docteur Daley, « en dépit de la croissance, il n’y a pas de transfert des ressources du haut vers le bas. La croissance reste concentrée dans la production et l’extraction de matières premières, ce qui ne permet pas de créer beaucoup d’emplois ».

Une croissance qui ne génère pas d'emplois
Suite aux annonces de hausse du chômage en Afrique, un rapport de l’African Economic Outlook a rappelé que la stabilité politique et sociale du continent noir serait déterminée par la capacité des pays à utiliser leur plus précieuse ressource : la jeunesse de sa population, qui est amenée à doubler vers 2045. De nos jours, 60% des chômeurs africains ont entre 15 et 24 ans. Il est crucial que des politiques soient menées afin de former les jeunes, et qu’ils puissent ainsi intégrer le marché africain du travail, un marché dont l’étendue devrait dépasser celle des marchés de l’Inde et de la Chine à l’horizon 2040.

Les politiques gouvernementales devraient s’appliquer à rendre les programmes d’éducation plus pertinents, en accord avec les demandes du marché du travail. À l’heure où beaucoup d’entreprises recherchent des profils techniques, l’Afrique détient le record d’étudiants inscrits en sciences sociales, et beaucoup d’entre eux finissent sans emploi. Traditionnellement, les systèmes éducatifs ont été bâtis pour répondre aux besoins de la fonction publique ; mais les universitaires devraient garder un œil sur le marché africain, faisant ainsi progresser l’initiation des jeunes à des formations techniques et à l’agriculture. Selon une étude de l’African Economic Outlook, mettre en adéquation l’éducation aux besoins du marché du travail sera crucial dans les prochaines années car 54 % des chercheurs d’emploi ont de hautes qualifications, mais qui ne répondent pas aux besoins des entreprises.

Cependant, il sera aussi crucial d’étudier l'offre d’emplois afin de transformer la croissance en développement. La jeunesse africaine a certes été bien instruite grâce à des politiques de développement qui se sont appuyées sur l’éducation, mais elle manque tout de même d’opportunités d’emplois, ce qui conduit à ce que 72% de la jeune population du continent vivant avec moins de 2 dollars par jours. Sur 200 millions de personnes âgées de 15 à 24 ans, seules 21 millions sont considérées comme dotées d’un emploi « salarié » – paramètre permettant de mettre en évidence les emplois « sérieux » – tandis que 53 millions ont des emplois précaires qu’ils sont obligés d’accepter du fait de leur pauvreté. Selon Jan Rielaender, économiste au centre du Développement de l’OCDE, « L’Organisation Internationale du Travail estime qu’entre 2000 et 2007, la population active a vu ses rangs gonfler de 96 millions d’individus, alors que le nombre d’emplois créés était juste de 63 millions. Avec 10 à 12 millions de jeunes intégrant le marché du travail africain chaque année, les jeunes qui ne travaillent ou n’étudient pas constituent un gaspillage des ressources de leur pays ».

Il est aussi nécessaire d’indiquer que cette croissance économique, comme on peut s’en douter, impacte de façon différente les populations en fonction de leur sexe. Les femmes sont particulièrement désavantagées dans l’accès à un travail de bonne qualité, à cause de facteurs tels que l’accès limité à l’éducation. Ce fait pousse beaucoup d’entre elles à s’activer dans des secteurs économiques informels et à basse valeur ajoutée, où elles sont sujettes aux petits salaires, à la précarité, et se rendent vulnérables à l’exploitation. De ce fait, il s’avère très important de faciliter leur accès à des emplois décents afin d’améliorer leur revenus et leur bien-être.

Pour une croissance inclusive

Les gouvernements sont aujourd’hui incapables de créer assez d’emplois chaque année pour réduire le chômage de façon significative, le secteur public ayant des moyens limités dans beaucoup de pays d’Afrique – un héritage des Programmes d’Ajustement Structurel de la Banque Mondiale. Le secteur privé est appelé à combler ce déficit, mais son assiette reste limitée. Les espérances portées sur le secteur privé pour qu'il génère les emplois nécessaires pour répondre à la croissance démographique et intégrer les nouveaux entrants sur le marché du travail semblent démesurément optimistes. Par exemple, 100 000 étudiants diplômés intègrent le marché du travail du Sénégal chaque année, se disputant moins de 30 000 emplois formellement recensés.

Augmenter la productivité et les revenus dans les emplois industriels nécessitant le plus de main d’œuvre dans les petites et moyennes entreprises serait une solution plus viable. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ».
Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains à propos de l’économie informelle doit changer. L’histoire de Mohamed BOUAZIZI, vendeur clandestin de légumes qui s’est immolé par le feu dans les rues de la Tunisie pour protester contre la répression constante qu’il subissait de la part des autorités locales, déclenchant une réaction en chaîne qui mena à la révolution, devrait suffire comme exemple aux gouvernements.

Une option plus crédible consisterait à augmenter la productivité et les revenus dans les secteurs plus intensifs en main d'oeuvre, notamment au niveau des petites et moyennes entreprises et du secteur informel. Le rapport de l’AEO stipule d’ailleurs que « étant donnée la taille immense du secteur informel dans la majorité des pays africains, et le fait qu’il naisse d’une absence d’alternatives, il doit être vu comme une partie de la solution, et non comme le problème ». Pour y parvenir, l’attitude des gouvernements africains vis-à-vis de l’économie informelle doit changer.

Un optimisme mesuré

Si une opinion plus positive de l’Afrique représente une alternative providentielle à l’image classique d’un continent miné par les maladies, les gouvernements véreux et la pauvreté, l’assimilation de la croissance économique à un hypothétique développement mènera inévitablement à de la déception. Une croissance non supportée par des investissements à long terme dans les infrastructures locales et l’éducation ne produira pas les transformations structurelles nécessaires au développement. Pour que l’aide extérieure serve d'instrument effectif sur le chemin du développement économique et la réduction de la pauvreté, il est nécessaire qu’il y ait un équilibre entre la diligence à accueillir des investisseurs étrangers et le respect des droits des populations destinées à intégrer le marché du travail.

Le Docteur Daley soutient que « L’Africa Youth Charter et l’Africa Women Protocol doivent être pris en considération dans le développement de programmes visant à faire bénéficier les femmes et les jeunes de la croissance économique. Au final, orienter des politiques pérennes vers les défis que rencontrent les femmes et les jeunes face au marché du travail est la seule solution pour que la croissance africaine devienne, un jour, plus inclusive. Une telle action permettrait d’avoir un socle plus solide pour l’afro-optimisme ».

 

Kiran Madzimbamuto-Ray, article intialement paru chez notre partenaire Think Africa Press

Traduction de l'anglais au français réalisée par Souleymane LY, pour le compte de TerangaWeb – l'Afrique des idées

 

Pour aller plus loin :

Emploi des jeunes : Que faire ? par Georges-Vivien Houngbonon

Pour une croissance inclusive en Afrique par Nicolas Simel

Quelle politique de l’emploi au Sénégal dans un contexte d’accroissement démographique ? par Khadim Bamba

Algérie : la bataille de l’emploi au pays des méga-contrats chinois par Leïla Morghad

Dépendance au coton et croissance : Exemple du Burkina Faso

La culture du coton demeure une importante source de devises étrangères pour plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne. Son poids dans les exportations est très élevé, notamment au Burkina Faso où sa valeur représentait 85% des exportations totales en 2007 alors qu’elle ne dépassait pas 40% en 1990. Cela faisait du Burkina Faso le premier producteur et exportateur de coton en Afrique en 2007. En termes absolus, la production du coton au Burkina Faso a triplé en 10 ans en passant d’environ 200 mille tonnes en 1997 à plus de 600 mille tonnes en 2007. Ces résultats sont à inscrire à l’actif de la mise en œuvre réussie d’une réforme institutionnelle du secteur durant ladite période. Ce type de succès est unique en Afrique sub-saharienne dans la mesure où la production du coton est restée stable dans les autres pays producteurs qui ont également fait des réformes institutionnelles du secteur. Plusieurs défis restent néanmoins à relever et c’est en substance, ce que révèle une étude récente de la Banque Mondiale intitulée Cotton Dependence in Burkina Faso : Constraints and Opportunities for Balanced Growth.

Cette étude montre que la croissance de la production cotonnière dans l’ex Haute Volta n’est pas liée à une augmentation de la productivité. Elle résulte plutôt d’une augmentation de la superficie cultivée, du nombre de producteurs et de la quantité d’intrants agricoles. Ces résultats sont le fruit d’une meilleure gestion de la filière qui a fait suite à la mise en place d’un cadre institutionnel plus adéquat. Ce dernier va au-delà du cadre conventionnel qui consiste à privatiser sans tenir compte du contexte social et de l’organisation précédente des producteurs. Dans le cas du Burkina Faso, la réforme s’est focalisée sur la mise en place d’une meilleure coordination entre les acheteurs et les producteurs notamment en matière de négociation des contrats. Ainsi, des coopératives de professionnels ont été créées sur la base d’une adhésion volontaire. Cela a permis une plus grande confiance entre les acteurs du secteur et une réduction des coûts opérationnels. Cette initiative semble avoir contribué significativement à une hausse importante de la production du coton dans un pays où la balance commerciale est fortement déficitaire. Par ailleurs, même si la réforme a eu du succès, la dépendance de l’économie Burkinabè vis-à-vis de la production et de l’exportation du coton pose la question de la stabilité de sa croissance dans le court-terme et celle d'une croissance plus forte dans le long-terme pour favoriser le développement.

Dans le court-terme, la production du coton a besoin d’être davantage soutenue pour exploiter pleinement le potentiel qu’offre le secteur avec ses externalités positives sur la structure de l’économie, voire sur d’autres domaines. En effet, malgré les réformes amorcées, le secteur rencontre encore des difficultés inhérentes à la gestion des risques et à l’adoption et la diffusion des nouvelles technologies. La culture du coton reste soumise aux aléas climatiques, ce qui n’assure pas toujours un niveau de récolte suffisant. Ainsi, des systèmes d’assurances sont nécessaires pour mutualiser les risques.

Par ailleurs, une partie de l’augmentation de la production est due à la mise en culture de nouvelles terres et à l’arrivée de nouveaux producteurs. Cela dit, l'on espère que le secteur verra sa productivité augmenter après l’épuisement des facteurs de production. D’autres obstacles subsistent à l’adoption de nouvelles techniques de culture. Il s’agit notamment du manque d’expérience pour l’utilisation des engrais et de la mentalité des producteurs qui se contentent souvent de l’autosuffisance alimentaire du ménage et de la minimisation des risques. La levée de ces différents obstacles dans le court-terme permettrait d’accroître la production et de mieux contribuer à la croissance voire à la réduction de la pauvreté. D’autre part, le secteur est soumis à des contraintes extérieures qui ne garantissent pas une pleine contribution de la production du coton à la croissance du pays.

Il existe au Burkina une très forte corrélation entre le taux de croissance de la production du coton et le taux de croissance du PIB. Le taux de croissance de la production du coton étant très instable du fait de la volatilité des cours mondiaux du coton et de ses intrants, des alternatives sont nécessaires dans le long terme pour soutenir une croissance économique équilibrée. A ce même horizon, l’étude préconise l’amorce d’une industrialisation du secteur du coton à travers un développement plus accru de l’industrie textile. Elle suggère aussi et il s’agit là d’un point important, une meilleure diversification de l’économie à travers le développement de nouveaux secteurs d’exportation tels que les fruits, les légumes, la volaille et le riz. Il faut cependant reconnaitre que  la défaillance des institutions, le manque d’investissement et la faible implication de l’Etat dans la production des biens publics sont autant de freins à la diversification économique.

Il ressort donc que le Burkina Faso a réussi une réforme du secteur du coton mais que beaucoup de difficultés subsistent encore. Une nuance mérite toutefois d’être faite par rapport au lien entre la mise en œuvre de la réforme et l’augmentation soudaine de la production du coton. La croissance observée pourrait provenir de fuites de la production de coton en provenance de Côte d’Ivoire. En effet, 2002, l’année où la production a amorcé sa croissance exponentielle correspond au début de la crise en Côte d’Ivoire. Or le coton est principalement cultivé dans le Nord de la Côte d’Ivoire qui a échappé au contrôle de l’Etat à partir de cette même année. Qui plus est, on constate que la production de coton en Côte d’Ivoire a chuté de 250 mille tonnes entre 2002 et 2007 alors qu’elle a augmenté d’environ 300 mille tonnes durant la même période au Burkina Faso. Par conséquent, le succès attribué à cette réforme devrait être relativisé. Le défi majeur demeure toutefois le renforcement des réformes et la diversification de l’économie.

                                                                                                                     Georges Vivien Houngbonon