Le système éducatif Africain : un héritage colonial ?

La colonisation de l’Afrique : une histoire douloureuse et de profondes mutations. Le système éducatif africain a subi les conséquences  de ces grands bouleversements historiques qui ont modifié la trajectoire du continent. Cet article se propose de revenir sur plus d’un siècle de colonisation, pour comprendre son impact  sur le système éducatif actuel en Afrique.


imagesBien avant les premières conquêtes et  la période coloniale, l’éducation traditionnelle était l’institution en charge de l’enseignement. Il s’agit d’une forme d’éducation collective, où l’apprentissage se fait par voie orale et par l’observation. L’enfant apprend par l’expérience de ses pairs. C’est en s’imprégnant du milieu dans lequel il vit qu’il devient un être accompli. Cette vision initiale de l’enseignement a été modifiée par la colonisation. Les deux principales puissances colonisatrices, dont la France et la Grande Bretagne, se sont attelées à imposer leurs visions de l’éducation. Quel héritage ont-elles transmis à l’Afrique ?

Des choix territoriaux distincts.

L’Education est le résultat d’une offre et d’une  demande qui varient selon les territoires.  Or, dès le début, les choix territoriaux faits par la France et la Grande Bretagne n’étaient pas équivalents de ce point de vue. La Grande Bretagne a adopté une stratégie commerciale, en s’intéressant à des pays africains économiquement stables et forts. La France, elle, cherchait à satisfaire son désir de conquête militaire, s’accaparant des terres plus pauvres. Les colonies anglaises, plus influentes que les françaises, étaient donc, au départ, beaucoup plus réceptives vis-à-vis de l’enseignement.  La demande de ces populations était forte car la formation d’une main d’œuvre opérationnelle relevait de la nécessité.

Après distribution des terres africaines, les puissances colonisatrices ont développé des politiques éducatives divergentes. Divergences qui s’expriment majoritairement à travers les positions prises vis-à-vis de l’Etat et de l’Eglise.

Gouvernance indirecte ou Assimilation ?

Le système anglais de la gouvernance indirecte « indirect rule » préconisait un système éducatif décentralisé et flexible. L’administration coloniale ne modifie pas les structures traditionnelles. Au contraire, elle s’appuie sur les écoles de missionnaires, déjà bien implantées,  pour diffuser les bases de l’enseignement aux populations. Cela lui a permis de réduire les coûts liés au fonctionnement du système. Après la première guerre mondiale, une reprise partielle du contrôle par l’Etat va être opérée. Celui-ci supervise les établissements scolaires à travers un système de subventions chargé de récompenser les écoles les plus conformes aux normes étatiques. 

Au niveau du contenu éducatif, les colonisateurs autorisent l’utilisation de la langue locale et  cherchent à dispenser un niveau d’enseignement basique. Les programmes scolaires ainsi que les examens sont calqués sur ceux dispensés dans la métropole. 

Du côté français, la politique soutenue était celle de l’assimilation. Les colonisés africains devaient devenir des citoyens français. L’école inculque les valeurs françaises sous le contrôle de l’Etat. Les écoles missionnaires, sans le soutien de l’Etat français,  disparaissent en grand nombre.  Contrairement à la politique anglaise, les chefs locaux sont désinvestis de leurs fonctions,  pour être remplacés par une nouvelle élite formée sur les bancs de l’école française. Un système très élitiste et sélectif est mis en place où la récompense de l’éducation est l’accès à des postes dans l’administration. Les cours sont dispensés intégralement en français et suivent un curriculum imposé par l’Etat. C’est un système éducatif peu accessible aux masses qui se développe.

L’Education par le biais des missionnaires. 

La Grande Bretagne a choisi de faire des écoles missionnaires sa force. L’Etat a préféré s’occuper de maintenir l’ordre et de laisser aux missions déjà en place le rôle éducatif.

La France a adopté une position différente. Depuis la loi de 1905, L’Eglise et l’Etat sont séparés et le principe séculier s’applique au domaine éducatif. Le système qui se met en place dans les colonies d’Afrique est donc dual. Les écoles gérées par l’Etat cohabitent avec des écoles missionnaires précoloniales encadrées par l’Etat. Celles qui ne coopèrent pas disparaissent, ainsi plus de deux tiers de ces écoles ferment (*).  Cette position française vis-à-vis des écoles missionnaires, s’explique aussi par le fait que la France, compte parmi ses colonies, beaucoup de pays musulmans. L’Etat a préféré interdire les missions dans ces pays par crainte de nourrir l’hostilité envers le colonisateur. 

Les conséquences des politiques coloniales.

Le système éducatif colonial s’est poursuivi, après la décolonisation. C’est pourquoi, il est juste d’affirmer qu’il existe une relation entre les résultats des politiques éducatives actuelles et leurs fondements coloniaux.

Chaque colonisateur, qu’il soit anglais ou français a eu un impact  sur ses anciennes colonies. En guise d’exemple, le cas du Sénégal et de l’Ouganda :

Au Sénégal, ancienne colonie française, l’élitisme est resté très ancré. L’accès à l’éducation pour les enfants des campagnes reste restreint. Si l’éducation a permis le développement des secteurs formels et informels, l’impact économique du capital humain est resté limité du fait de la sélectivité des cursus scolaires.

En Ouganda, ancienne colonie anglaise,  il existe une forte corrélation entre l’éducation coloniale et les niveaux de performances économiques actuelles. L’éducation de masse a permis d’améliorer la productivité agricole et a encouragé la hausse des salaires. D’après Appleton et Balihuta (**), l’acquisition des bases scolaires a permis aux fermiers d’implanter des procédés qui améliorent la productivité, tels que l’utilisation d’engrais et de pesticides. Ainsi, un fermier, qui a suivi pendant quatre ans un cursus scolaire,  développe  des résultats 7% supérieur à ceux qui l’auraient eu s’ils n’avaient pas été à l’école. 

Les résultats économiques des anciennes colonies françaises sont moins fulgurants notamment car elles restent en retard sur leurs consœurs anglaises, en matière d’éducation. Intéressons-nous à des pays comme le Ghana et le Togo. En effet, réunis au départ sous la colonisation germanique, ils ont été divisés entre l’Angleterre et la France après la Seconde Guerre Mondiale. Partis d’une base similaire au niveau éducatif, ils n’ont pas connu les mêmes évolutions.

Le Ghana, ancienne colonie anglaise avait un Taux Brut de Scolarisation, pour l’école primaire, équivalent à 70% en 2000  alors que celui du Togo, ancienne colonie française était de 55%. (*)

De plus, le graphique ci-dessous, compare pour le sud du Ghana et du Togo,  le taux d’achèvement du cycle primaire (à gauche) et le taux d’alphabétisation (à droite) en 1998.  Dans les deux cas, on constate un avantage pour le Ghana avec des courbes aux tendances beaucoup plus élevées que celles du Togo. 

graph

Figure 1: Différences de taux d’achèvement du cycle primaire et d'alphabétisation à la frontière entre le Ghana et le Togo du Sud en 1998 (*)

Cela s’explique par le fait que les anciennes colonies anglaises ont toujours eu un nombre d’établissements scolaires beaucoup plus important que les anciennes colonies françaises. Or il est moins coûteux d’investir dans un système déjà bien en place. De plus, les colonisateurs anglais ont toujours défendu un modèle flexible qui pouvait s’adapter aux populations locales. Pour ces raisons, la propagation de l’éducation est beaucoup plus rapide du côté anglais.

C’est à l’ombre du passé que l’on comprend le présent. A travers son passé coloniale, l’éducation africaine s’est construite. Malgré les divergences entre modèle anglophone et francophone, la relation positive qu’il existe entre performance économique et éducation coloniale ne peut être niée. Il ne faudrait pas pourtant s’arrêter à cette première assertion. Si la colonisation a été un enrichissement pour le système éducatif africain, on peut regretter qu’elle ait aussi tant détruit sur le plan culturel.

 

 

Débora Lésel

(*)Denis Cogneau & Alexander Moradi, Borders that Divide: Education and Religion in Ghana and Togo since Colonial Times, 2011

(**)Education and Agricultural productivity: Evidence from Uganda 

Les bourses conditionnelles sont-elles une solution à la fuite des cerveaux ?

cerveaux_uneInvestir dans la formation, c’est investir dans le capital humain, or le capital humain est un facteur clé du développement économique d’un pays, puisqu’il accroît la productivité des individus. Cependant, beaucoup de pays Africains investissent dans des formations sans pourtant avoir les fruits ou les retombées de ces investissements, car beaucoup de diplômés partent travailler ailleurs ou ne retournent pas travailler dans leur pays d'origine. Ce qu'on appelle communément la "fuite des cerveaux". A partir du modèle économique de Becker (1962), nous analysons les raisons de la fuite des cerveaux et proposons des solutions pour les pays africains afin qu’ils jouissent mieux des retombés de leurs investissements dans l’éducation.

Quelques chiffres sur la fuite des cerveaux

Entre 1990 et 2000, la migration des diplômés de l'enseignement supérieur a augmenté de 123 % en Afrique de l'Ouest contre 53 % pour les non-qualifiés. Abdeslam Marfouk, chercheur à l'université de Louvain estime que plus de dix pays africains ont plus de 40 % de leur main-d'œuvre hautement qualifiée hors de leur pays : 67 % au Cap-Vert, 63 % en Gambie, 53 % en Sierra Leone… Et près d'un chercheur africain sur deux réside en Europe.[1]

Les principaux types de formation et leurs coûts

Becker (1962) distingue deux types de formation : la formation générale et la formation spécifique. Faisant référence à l'entreprise, la formation est dite générale quand elle permet d'augmenter la productivité de toute entreprise, tandis que la formation spécifique n'augmente que la productivité d’une entreprise particulière.

Par ailleurs, selon Lazear[2] (2009), Une approche plus large permet de considérer que toutes les formations sont générales sauf que le poids accordé aux différentes composantes d’une formation diffère d’une entreprise à une autre. Ainsi, dans la suite, nous considérons uniquement la formation générale de Becker (1962).

Les formations exigent non seulement des coûts directs qui sont des frais de formation, d'équipement, de transport, mais aussi des coûts indirects qui sont les fatigues et les stress liés à la formation, ce qu'on aurait gagné si l’on travaillait au lieu de suivre une formation. Ces coûts sont payés soit par l'individu, soit par l'entreprise ou l’État. Les conclusions de Becker (1962) dépendent de qui paiera les coûts de la formation. Elles diffèrent aussi selon que la formation soit générale ou spécifique.

Une explication à la fuite des cerveaux

S'appuyant sur des modèles économiques dans une situation de concurrence parfaite, Becker (1962) conclut que les entreprises ou les gouvernements sont incités à investir seulement dans l’éducation des personnes dont les coûts directs sont plus élevés que les coûts indirects de formation. Or ce sont justement dans les régions en développement, comme l’Afrique que les coûts indirects sont plus faibles. Ainsi, les États ou les entreprises sont incités à investir dans la formation des individus.

Cependant, l’effet positif de la formation sur la productivité des diplômés engendrent une augmentation de leur rémunération post-formation. Ainsi, les régions en développement où les incitations à investir dans la formation des personnes sont élevées ne sont plus attractives pour les diplômés. Les fuites des cerveaux proviennent ainsi des cas où les États paient les formations à l’étranger mais ne sont pas en mesure de supporter l’incrément salarial engendré par l’augmentation de la productivité du diplômé. Toutefois, l’importance du phénomène dépend de la nature de la formation. Les formations générales étant plus affectées que les formations spécifiques.

Quelles solutions pour diminuer la fuite des cerveaux ? En laissant chaque individu prendre en charge financièrement l’ensemble de son cursus scolaire, la question de la fuite des cerveaux n’est plus pertinente, puisque chacun choisirait librement de travailler là où il est mieux rémunéré sans faire supporter à son pays d’origine des coûts sociaux. Toutefois, cette solution n'est pas adaptée aux pays d'Afrique Subsaharienne, car elle empêcherait bon nombre d’individus d’avoir accès à l’éducation, puisque selon les données de la Banque Mondiale, en Afrique Subsaharienne, 48,5% de la population vit dans l'extrême pauvreté soit moins de 1,25$ par jour et 69,9% de la population vit avec moins de 2$ par jour en 2010. Ainsi, ce cas deviendrait une discrimination dans la formation en faveur des classes favorisées. Comme corolaire, certains étudiants excellents seront exclus des formations.

Les bourses conditionnelles sont-elles pertinentes ?

L'autre solution, c’est l’octroi de bourses conditionnelles. On accorde des bourses à condition que l'étudiant retourne travailler dans son pays d'origine, sinon celui-ci rembourse tous les frais engagé par l'État pour sa formation. Cette bourse conditionnelle qui doit être effective et accessible à tout le monde. En général, beaucoup d'étudiants signent des engagements pour une bourse, mais après, ni eux, ni les gouvernements ne tiennent à leur engagement. Certains étudiants, après leur formation, partent travailler ailleurs, mais le plus récurrent est que les États ne garantissent pas toujours un emploi après la formation malgré l’attribution d’une bourse conditionnelle. Ainsi, les États doivent non seulement garantir des emplois pour les diplômés, mais aussi créer une situation favorable pour le retour des diplômés. En même temps qu'on investit en capital humain, il faudra investir aussi en capital physique pouvant favoriser l’accueil des diplômés.

Comme le résume Abdoulaye Salifou, directeur délégué à la politique scientifique à l'Agence universitaire de la francophonie (AUF) "Sans laboratoires dignes de ce nom, sans pôle d'excellence et avec des salaires dix, voire vingt fois inférieurs à ceux proposés dans les universités du Nord, on ne peut pas s'étonner de cette saignée des compétences"[3] : investir seulement dans la formation, c'est former pour d'autres.

Yedan Ali

 


[1] http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/09/28/des-pistes-pour-contrer-la-fuite-des-cerveaux-africains_1416988_3244.html

 

 

 

[2] Firm-Specific Human Capital: A Skill-Weights Approach dans Journal of Political Economy, Vol. 117, No. 5 (October 2009), pp. 914-940

 

 

 

[3] Firm-Specific Human Capital: A Skill-Weights Approach dans Journal of Political Economy, Vol. 117, No. 5 (October 2009), pp. 914-940

 

 

 

La situation de l’éducation au Bénin (2)

Dans un précédent article, nous avons dressé l’état des lieux et analysé la situation de l’éducation au Bénin. Si des améliorations ont été constatées, notamment au niveau de l’accès – en termes quantitatifs – à l’éducation, de nombreux problèmes ont également été identifiés, notamment au niveau qualitatif. Ils nous indiquent les priorités d’action qui nous paraissent cruciales pour que l’éducation béninoise remplisse pleinement son rôle.

Rapprocher l'éducation des réalités et des besoins du pays

Pour que l’éducation réponde aux défis qui lui sont posés, l’accent doit être mis sur une formation qui conduise les jeunes à l’emploi ou à la création d’emplois et qui leur permette de s’épanouir et d’être de plein acteurs du développement de leur pays. C’est pourquoi il est important que l’organisation et les contenus de l’éducation se rapprochent des besoins et des réalités économiques du marché du travail. Pour ce faire, il est crucial de mieux orienter les étudiants vers les filières adaptées au marché du travail. C’est primordial si l’on veut lutter contre le chômage des jeunes et de multiples problèmes connexes comme l’insécurité. En effet, au Bénin comme dans plusieurs pays d’Afrique, l’enseignement général est plus valorisé dans les mentalités ; un trop grand nombre d’élèves et d’étudiants s’y accrochent et cela pose des problèmes. D’abord la rétention des élèves lors de leur cursus, en particulier dans l’enseignement secondaire général, est faible, allant jusqu’à un élève sur 6 par endroits, parfois pire. Ces jeunes qui sortent du système en 4ème, 3ème, 1ère se retrouvent en général sans aucune formation professionnalisante et sont désœuvrés. Ils ne veulent pas non plus retourner aux activités champêtres ou artisanales de leurs parents car cela serait perçu comme un échec. Leurs parents, pour beaucoup illettrés ou peu instruits, ont formé en les inscrivant à l’école de grands espoirs de réussite, des espoirs qui se résument souvent d’ailleurs à ce que leur enfant devienne un grand cadre dans l’administration publique.

La réussite par la voix de l’enseignement général et par l’embauche subséquente par l’Etat sont donc hautement présentes dans les esprits et tiennent non seulement à l’histoire récente du pays mais aussi à ses réalités palpables. Outre la période marxiste des années 70 et 80 où l’Etat avait essayé tant bien que mal d’embaucher systématiquement les jeunes étudiants fraîchement diplômés, le Bénin est également le théâtre d’une corruption généralisée qui se manifeste par un niveau de vie très élevé de nombreux agents de l’Etat. Ces facteurs ont entraîné une forte hausse du nombre d’étudiants dans l’enseignement général et par voie de conséquence, une hausse du chômage.

Il est important aujourd’hui de redonner toutes ses lettres de noblesse à l’enseignement technique, un enseignement qui doit être adapté à l’offre de travail du pays. Une meilleure orientation devrait être mise en place dès la fin de la 3ème pour orienter les élèves vers un enseignement de qualité agricole ou technique. Le Bénin a fortement besoin de talents dans l’agriculture pour la moderniser, la rendre plus efficace et plus productive. Les compétences techniques nécessaires à l’émergence d’une vraie industrie manquent cruellement. Au-delà des ingénieurs formés et qui ont des compétences pour dessiner les contours de cette industrie, il faut une main d’œuvre abondante et qualifiée pour faire tourner des usines, monter, assembler des composants et fabriquer des produits finis au lieu de les importer. En lieu et place, nous avons deux grandes universités publiques et plusieurs universités privées surpeuplées de jeunes qui vont en majorité étudier la géographie, la philosophie et les sciences économiques avec à la clé peu ou pas de débouchés.

Cette meilleure orientation des étudiants doit s’accompagner d’une adaptation des contenus des enseignements aux réalités du pays. C’est le plus grand intérêt de la nation que ces contenus ne soient pas dictés par des partenaires aux développements qui apporteraient des fonds. Les fameux « nouveaux programmes » développés avec le soutien de l’USAID ont été une pâle copie de programmes qui existent dans des pays aux réalités différentes et qui font l’éloge d’une certaine interactivité avec un mépris avéré pour des compétences de base pourtant essentielles. Il est important que le gouvernement béninois reprenne la main sur ces contenus et qu’il l’adapte au contexte historique, sociopolitique et économique du pays. Les jeunes étudiants devraient avoir en perspective l’histoire de leur pays, sa place dans le monde, ses succès et ses échecs, ses besoins réels et ses défis.

Améliorer la qualité des enseignements et des équipements éducatifs

Si la mise en application des priorités évoquées ci-dessus nécessite beaucoup plus de volonté politique que de moyens financiers, des efforts financiers sont également nécessaires notamment pour améliorer la qualité des enseignants et de tous les équipements éducatifs : salles de classe, matériel pédagogique, manuels scolaires. Les enseignants sont la pierre angulaire de la transmission du savoir. Il n’est pas possible de réformer les contenus et leur transmission à la génération montante sans mieux former et outiller les enseignants.

Réduire les inégalités d'accès à l'éducation

Il incombe également aux autorités en charge de l’éducation de réduire les disparités géographiques et d’assurer une meilleure parité filles/garçons. Il faut pour cela concentrer les efforts sur les zones défavorisées, inciter les professeurs de qualité à y enseigner et améliorer les conditions dans lesquelles les jeunes des localités concernées sont amenés à s’instruire.

Améliorer l'organisation de l'administration du secteur

Les institutions en charge de l’éducation doivent avoir une organisation et un leadership clairs qui facilitent la prise de décisions et leur mise en œuvre. Actuellement, le dispositif de pilotage du Plan Décennal de Développement du Secteur de l’Education du Bénin (PDDSE) comprend un comité de supervision (CSPD), un comité de pilotage (CPPD) et un comité de coordination (CCPD), dont les attributions sont opérationnalisées par un Secrétariat technique permanent (STP) avec des prérogatives mal définies, on comprend aisément que la mise en oeuvre du plan accuse des retards et un ralentissement conséquents. Un dernier défi réside dans la réduction des lourdeurs et l’amélioration de l’efficacité du financement du secteur. Le fait que pour tous les ordres d’enseignement sauf l’enseignement supérieur, le taux moyen d’exécution du budget atteigne rarement 80% montre bien que le problème se trouve moins dans l’allocation des ressources au budget de l’éducation que dans l’exécution de celui-ci.

Tite Yokossi
 

Les talibés du Sénégal, un problème de société

50 000, pas moins. Avec une population de 13 millions d’habitants, le Sénégal fait fort de compter un tel nombre d’enfants âgés de 3 à 14 ans qui vivent sans leur parents, et passent la plupart de leur temps à mendier dans les rues des villes du pays, exposés à tous les dangers dont celles-ci regorgent. Les talibés – ainsi que les appellent les Sénégalais – sont supposés étudier le Coran sous les auspices d’un maître, le « marabout », qui est censé les former à la dure pour réussir dans ce qu’ils entreprendront après leur sortie du daara, ou école coranique. Et pourtant, la réalité des choses ne pourrait être plus éloignée de cet idéal éducatif venu d’un autre temps. Pour mieux comprendre le fossé qui sépare l’imaginaire du daara de sa réalité, enfourchons notre machine à remonter le temps pour explorer les origines de ce fait social.

Naissance et évolution des daaras
Les populations sénégalaises se convertirent pour la plupart à l’Islam à partir du 19ème siècle. Face à la puissance colonisatrice française, les chefs locaux considérèrent qu’il était plus important que tout de sauvegarder leurs coutumes, fût-ce au prix d’une conversion religieuse. Ils trouvèrent en l’Islam soufi un substitutif dont les valeurs coincidaient avec les leurs, et dans les leaders de ce mouvement religieux un support solide dans la confrontation aux Français. L’Islam apportait aussi aux chefs locaux une éducation alternative à l’enseignement obligatoire que la France tentait de leur imposer. Dès le départ, l’instruction coranique s’était posée comme un signe de résistance à l’envahisseur et représentait une volonté de préserver des valeurs locales de l’influence des « écoles françaises », expression toujours utilisée pour désigner l’enseignement public sénégalais…Au départ, les daaras étaient uniquement situés dans le milieu rural. Les talibés travaillaient dans le champ du marabout en échange de quoi celui-ci leur fournissait une instruction musulmane, et prenait soin d’eux. La mendicité occupait alors une part minime du temps des enfants, son rôle était alors de leur apprendre la patience, l’humilité, et le partage, car ils devaient mettre en commun tout ce qu’ils récupéraient. Finalement, évoluant dans le village ou à sa proximité, ils restaient dans un environnement familier et peu dangereux. Période de passage à l’âge adulte, le séjour au daara formait des hommes prêts à s’intégrer dans la société.

La métamorphose des daaras se fit au courant des années 1980 et 1990. Elle a pour cause les crises économiques et agricoles qui secouèrent le Sénégal, non sans l’aide des plans d’ajustement structurel imposés par le F.M.I. de John Wolfhennsson, dont la dureté marque encore l’imaginaire sénégalais. A cause de la réduction des budgets dédiés à la santé, l’éducation, aux aides sociales et aux subventions agricoles, le tissu social traditionnel qui favorisait l’entraide perdit vite de sa substance. Au même moment, plusieurs sécheresses accablèrent l’intérieur du pays, réduisant la sécurité alimentaire et poussant un nombre croissant de parents à se défaire de leur nombreuse progéniture auprès des marabouts, plutôt que de l’école publique qui, bien que gratuite était accompagnée de nombreux coûts (transport, fournitures etc). Mais les marabouts étaient confrontés aux mêmes difficultés que les parents, et, très vite, ils délocalisèrent leur daara au sein des villes, où l’activité économique avait déjà repris.

Les nouveaux daaras
Face à ce nouvel environnement, les daaras changèrent beaucoup : ne pouvant plus fonctionner sur la récolte du champ du marabout comme c’était le cas à la campagne, il fallait que les talibés passent plus de temps dans la rue afin de récolter assez d’argent et de nourriture. En ville, les talibés sont exposés à toutes sortes de dangers : accidents de la circulation, trafic de personnes, brutalités… Loin de leurs familles et encore jeunes, ils ont peu de repères ou de moyens de se défendre en cas d’abus dans la rue ou de la part du marabout. Ce dernier, d’ailleurs, n’est plus confronté à la pression sociale qui dans le village le poussait à réellement enseigner quelque chose aux enfants et à prendre soin d’eux. La combinaison de la hausse des prix des denrées, du logement et de l’absence de supervision des daaras fait que le sort des enfants dépend entièrement du marabout qui l’encadre. Certains possèdent même plusieurs daaras et s’enrichissent sur le dos des enfants, tout en cachant la vérité aux parents. La vétusté des daaras est un fait connu, les maltraitances des talibés maintes fois médiatisées.

La vie après le daara
Au-delà même des questions de la vie au daara se pose la question de la vie après le daara : que faire dans la vie si l’on ne parle pas français (la langue officielle au Sénégal) et que l’on ne possède que peu de compétences professionnelles ? Les meilleurs deviennent marabouts à leur tour, où encore enseignants d’arabe, mais qu’en est-il du reste ? Durant toute leur enfance, âge où l’on apprend la vie en société, ils furent à l’écart de tous, à cause de leur odeur, de leurs vêtements et de la peur des parents des autres enfants. Il leur manque aussi les compétences nécessaires à la recherche d’un emploi, fût-il précaire ! La jeunesse d’aujourd’hui est la société de demain, dit-on. Quel genre de société construit-on ainsi ? Il ne faut pas se leurrer, une éducation musulmane se doit d'être complétée de compétences techniques ! La vérité, c’est que si une fois à l’âge adulte ces talibés se retrouvent sans compétences, ni emploi, ils seront perdus pour la société, et iront grossir le lot des hors-la-loi qui rendent les villes sénégalaises de plus en plus dangereuses.

Ainsi, d’une période d’apprentissage de la vie en société, le passage au daara est devenu un centre de fabrication à la chaîne de futurs exclus sociaux… Mais que font les Sénégalais, et l’Etat sénégalais ?

Talibés, la défaite de la société sénégalaise

A vrai dire, il semblerait que tout le monde profite du statu quo sur la question des talibés. Tandis que les parents des talibés se débarassent d’un fardeau jugé trop lourd, les marabouts s’enrichissent sans efforts. Même les « bons samaritains » qui donnent des offrandes aux talibés s’acquittent par la même occasion de leurs devoirs de musulman voire même, ô surprise, des offrandes recommandées par leur marabout afin de chasser les mauvais esprits. L’Etat, quand à lui, tente tant bien que mal de montrer sa bonne volonté en signant et ratifiant tous les textes proposés par les organisations internationales et les ONG, tout en se gardant bien de les appliquer, de peur de réveiller la fureur des confréries religieuses. En 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta tant bien que mal de rendre illégale la mendicité en ville. Mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application. Pour les Sénégalais, donner l’aumône fait partie de l’ordre des choses, que ferait-on s’il n’y avait plus de talibés ? Comment pourrait-t’on s’attirer la réussite et éviter d’être marabouté par des envieux ? Bien qu’elle s’offusque des traitements infligés aux talibés, la société sénégalaise ne semble pourtant pas si encline que cela à perdre la possibilité de donner l’aumôme… Bien entendu, il y a beaucoup de « faux » marabouts, mais dit-on « la plupart enseignent le Coran aux enfants », et puis, il ne faut pas critiquer ce qui se rapporte à la religion, « cela ne peut rien nous apporter de bon ». Alors on continue d’oublier la souffrance silencieuse de ces pauvres enfants, et l’on ferme les yeux sur des atrocités d’un autre âge.

Le rôle des religieux

Quand aux chefs religieux, ils se gardent bien de lutter contre ces daaras, qui constituent leur réseau de présence au niveau local, et leur permet par la suite d’enrôler ces jeunes sans avenir parmi les rangs de leurs fervents supporteurs. Ceux-ci suivront à la lettre le ndiguel, ou orientation politique proposée par le chef religieux. Les talibés seront aussi les premiers contributeurs aux projets lancés par les chefs religieux, en échange de quoi ces derniers leur fournissent les aides que l’Etat ne semble pas pouvoir apporter (logement, nourriture, vêtements, femme !) . Ainsi, les confréries religieuses gardent un rôle important tant en politique que dans la société (voir la partie 1 et la partie 2 d'un article de Nicolas Simel Ndiaye consacré à ce sujet).

Propositions

Il ne s’agit pas aujourd’hui de rompre cet équilibre social qui s’est créé. Plutôt, il faudrait une recherche de solutions préparées afin d’améliorer le quotidien et le futur des talibés. A cet effet, j’aimerais proposer deux mesures. La première serait la création d’un label de « bon daara » par les autorités religieuses et la confréries, en accord avec l’Etat et la société civile. Un tel label permettrait aux parents des talibés de remettre leurs enfants à un « bon marabout ». On pourrait ainsi cartographier les daaras et s’assurer que ceux possédant le label soient encouragés et que les enfants y bénéficient de meilleures conditions de vie et d’une formation professionnelle. D’autre part, il faudrait supporter les daaras ruraux, en les aidant à mettre en place des activités génératrices de revenus, afin de limiter l’exode rural des populations jeunes, qui sont censées constituer la force du secteur agricole très peu motorisé du Sénégal. Quelle société peut se dire moderne si elle ne prend même pas soin de ses enfants ?

 

L’échec du passage à l’écrit des langues africaines

Dans les pays d'Afrique francophone, on s'est aperçu au cours des années que l'utilisation exclusive du français dans l'enseignement causait de graves difficultés. En effet, les personnes scolarisées en français se retrouvaient déculturées par rapport à leur milieu d'origine et, lorsqu'elles avaient bien réussi leurs études, elles voulaient quitter le village pour la ville afin d’obtenir des postes de fonctionnaires. On s'est aperçu que l'utilisation exclusive du français comme langue officielle et d'enseignement est un facteur de sous-développement : elle provoque l'exode rural et détruit l'économie locale. En fait, les personnes bien scolarisées sont très souvent improductives (que ce soit des fonctionnaires ou des chômeurs) ; les véritables producteurs (paysans, pêcheurs et artisans) sont soit illettrés, soit mal scolarisés. L'éducation vise en principe à apporter à l'enfant des connaissances et une formation qui lui permettront de devenir un adulte responsable et autonome. Mais l'éducation scolaire en Afrique francophone, bien souvent, ce n'est pas ça. C'est essentiellement apprendre la langue française, et réciter ses leçons par cœur sans les comprendre. L'ensemble du système éducatif est copié sur le modèle français et il forme des personnes qui veulent ressembler à des Français, mais non des personnes qui font évoluer leur milieu de l'intérieur en se fondant sur les réalités locales. Le but pratique des études scolaires est essentiellement d'obtenir des postes de fonctionnaires, et vu que désormais il n'en reste plus, l'Afrique noire est remplie de chômeurs diplômés.

Les pays africains qui sont les plus scolarisés et où l'on connaît le mieux le français sont en fait les plus déséquilibrés. C'est le cas du Congo-Brazzaville qui a connu des guerres civiles et des massacres inouïs ces dernières années (notamment en 1999). Il faut encore remarquer que la non-utilisation des langues africaines empêche les notions modernes de pénétrer dans la vie de tous les jours, contrairement aux pays asiatiques où la modernité s'intègre dans les cultures locales. Par exemple, les programmes visant à filtrer l'eau, les campagnes de lutte contre l'excision ou le sida, ou les actions en faveur de la protection de l'environnement sont totalement inefficaces si elles sont menées en français et non dans les langues locales. Elles apparaissent aux yeux des populations comme une lubie des étrangers, et on dit « oui-oui » pour ne pas avoir d'histoires et obtenir une aide financière.

Il est vrai maintenant que les Africains souhaitent eux-mêmes connaître des langues européennes afin de s'ouvrir sur le monde. L'idéal serait donc d'associer les langues africaines et une langue internationale telle que le français. C'est une idée qui est souvent évoquée dans les pays francophones. Il y a eu des tentatives dans ce sens dans certains pays africains. En particulier au Mali, pays où il y a des programmes d'alphabétisation en langues africaines et des classes primaires expérimentales. Cependant, ces projets sont, en partie, des échecs pour des raisons rarement évoquées, qui sont exposées ci-dessous.

Des alphabets modernes en caractères latins ont été conçus depuis une trentaine ou une quarantaine d'années pour écrire les langues africaines des pays francophones (notamment au Mali). Or, ces alphabets ont été conçus par des personnes ayant une triple caractéristique :
– C'étaient des spécialistes de linguistique, qui utilisaient systématiquement l'alphabet phonétique international pour transcrire les langues africaines, comme on leur avait appris durant leur cursus universitaire. Alors que cet alphabet a été conçu pour faire des recherches de phonétique et non pour créer des alphabets. Le résultat est que la majorité des langues africaines des pays francophones sont écrites avec des caractères phonétiques spéciaux qui sont absents de la plupart des polices de caractères en usage chez les imprimeurs et sur Internet.
– Ces linguistes étaient généralement dénués de tout sens pratique. Ils ne connaissaient rien aux techniques de la presse, de l'édition et de l'imprimerie, et ils s’imaginaient que les industriels allaient construire du matériel d’impression conforme à leurs désirs et leurs directives.
– C’étaient souvent des nationalistes culturels qui voulaient totalement rompre avec l'influence française, et qui donc ne se posaient pas le problème de la coexistence du français et des langues africaines (paradoxalement, ils furent soutenus par certains milieux politiques qui voulaient entraver l’usage écrit des langues africaines et les cantonner dans le simple domaine de la recherche universitaire).

Le résultat est que le système graphique conçu pour les langues africaines est parfois si éloigné du français, qu'un bachelier est incapable de lire sa propre langue maternelle, qu'il n'arrive pas à reconnaître. Pour qu'il y ait un développement des langues africaines, il faut des systèmes graphiques plus proches des conventions habituelles de l'alphabet latin, de façon à ce que les personnes scolarisées puissent avoir accès directement à ces langues sans nouvel apprentissage, et de façon à ce que les éditeurs et imprimeurs locaux puissent travailler sans problème. Quant aux paysans qui ont suivi des programmes d'alphabétisation dans leurs langues maternelles, ils peuvent être capables d'écrire des lettres personnelles ; mais ils n'ont aucun livre à lire, vu que les éditeurs et les imprimeurs ont trop de difficultés à publier dans ces langues. L’une des raisons du succès du swahili en Afrique orientale est justement que sa graphie ne crée pas une rupture insurmontable avec celle de l'anglais. Il est facile d'être alphabétisé en swahili et de passer ensuite à l'anglais. En ce qui concerne les langues africaines, un pays anglophone tel que la Tanzanie montre la voie à suivre.

Dans les années 1990 au Mali, sous la présidence d'Alpha Oumar Konaré, il y eut une tentative de réformer le système d'éducation primaire, selon deux principes :
— Faire un enseignement adapté aux réalités locales et fournissant des connaissances pratiques utiles, qui ne soient pas purement livresques.
— Associer la langue africaine locale et la langue française, avec passage progressif de l’une à l’autre.
Cette réforme a été un échec complet. D'abord pour les raisons que l’on vient d'expliquer (l'incompatibilité entre les alphabets officiels africains et le système français). Ensuite, pour d'autres raisons :
– L'opposition des instituteurs qui avaient le sentiment que leur profession était rabaissée, si on leur demandait d'enseigner les langues africaines. Cela les remettait totalement en cause.
– L'opposition des parents d'élèves pour qui le but de l'école était effectivement d'apprendre le français, moyen de promotion sociale (même illusoire).
– Le fait que simultanément Alpha Oumar Konaré essayait d'introduire Internet un peu partout, alors qu'il est impossible d'écrire les langues africaines sur un email avec la transcription qui avait été choisie.
– La difficulté d'imprimer dans les langues africaines avec le système officiel du Mali.

Si, dans l'enseignement scolaire, l'on veut associer le français et les langues africaines, de façon harmonieuse, il est indispensable de repenser le système graphique de ces langues et il faut cesser de les considérer avec mépris. Mais actuellement, la situation est totalement bloquée. En fait, elle ne fait qu'empirer. Partout, on dit qu'il faut plus d'éducation pour sauver l'Afrique. Mais si le système scolaire n'évolue pas, plus il y aura d'école, plus y aura de chômeurs diplômés. Et plus il y aura de chômeurs diplômés, plus il y aura de guerres civiles, pour s'emparer des quelques malheureux postes de fonctionnaires (comme on l'a vu au Congo-Brazzaville, et comme on le voit maintenant en Côte d'Ivoire).

Conclusion

La conclusion à laquelle nous arrivons est évidente. Il est indispensable d'associer le français et les langues africaines dans l'éducation scolaire comme dans les autres secteurs. Mais, pour que cela soit possible, il est nécessaire que l'on réforme légèrement les alphabets des langues africaines en supprimant les caractères phonétiques et en les remplaçant par des caractères latins normaux. Par ailleurs, il est probable que si les langues africaines se développent dans l'usage écrit, il y aura de nombreuses publications avec des mélanges de langues (européennes et africaines). Il ne faut donc pas créer des systèmes graphiques trop antagonistes. Si l'on arrive à simplifier la graphie des langues africaines, il sera possible de créer une interface entre elles et les langues européennes, et de développer une collaboration mutuelle. Tout le système scolaire s'en trouvera amélioré. Il sera alors possible d'avoir une éducation scolaire qui ne coupe plus l'enfant de son milieu.

Les seuls pays africains où il existe actuellement une utilisation réelle et généralisée des langues locales dans l’éducation et l’administration sont les Etats anglophones de la zone bantou. Leurs langues nationales se contentent des caractères latins normaux et, grâce à cela, elles sont aussi largement présentes sur des sites Internet. Il s’agit de pays tels que la Tanzanie, le Kenya, le Zimbabwe ou le Botswana. Espérons qu’ils serviront de modèles aux pays francophones.

 

Gérard Galtier, "Les langues africaines, l'éducation et l'édition"

NDLR : Terangaweb a publié la première partie de cet article sous le titre : Panorama des langues africaines

Crédit photo : http://www.abcburkina.net/ancien/photos/alfa_peul/alfa_p_55.jpg 

 

La situation de l’éducation au Bénin (1)

Point n'est besoin de rappeler l'importance de l’éducation d’un pays pour son économie et son développement. Elle ne joue pas seulement sur le capital humain nécessaire à l’activité économique, elle est aussi fondamentale pour une administration efficace et des institutions en bonne santé. Elle irrigue tous les ingrédients nécessaires à la bonne marche d’un pays. Avec une moyenne de 4,3 années d’étude relevée en 2005 contre 6,2 en Asie de l’Est (Source : AFD), l’Afrique subsaharienne a de nombreux défis à relever en matière d’éducation. Ils se posent en termes d’accès inégal et restreint (6% de la cohorte en âge d’aller dans l’enseignement supérieur y ont accès), de qualité et d’adaptation au marché du travail et à ses besoins spécifiques.

 

Au Bénin, pays de près de 9 millions d'habitants, un plan décennal de développement du secteur de l’éducation (PDDSE, 2006-2015) a été mis en place et est arrivé à la fin de sa première phase (2006-2011). Sous l’impulsion des autorités béninoises, la première phase du PDDSE a fait l’objet d’une évaluation commanditée et conduite par plusieurs organismes indépendants dont la Danida et l’Agence Française de Développement. Le bilan de l’évolution de chacun des 6 ordres d’enseignement de l’éducation béninoise a été décliné dans un rapport remis aux autorités compétentes.

 

L’enseignement maternel

 Comme dans les autres pays d’Afrique, l’enseignement maternel n’attire pas les foules. Cependant, au Bénin, les effectifs du préscolaire n’ont cessé d’augmenter passant de 27 673 élèves en 2005 à 97333 en 2010. En cause la stratégie de gratuité de l’enseignement mise en place par le gouvernement en 2006 et des activités de sensibilisation ciblées. Si la parité filles/garçons est respectée, aucune réduction des disparités géographiques ni amélioration de la qualité de l’enseignement n’a été constatée.

 

L’enseignement primaire

 Comme dans le préscolaire, la réforme de la gratuité de l’enseignement a fortement contribué à faire croître le Taux Brut d’Admission (TBA) qui est passé de 99% en 2005 à 132% en 2010 (le pourcentage est supérieur à 100% parce qu’il est rapporté à la population âgée de 6 ans dont ne font pas nécessairement partie tous les nouveaux entrants). Avec un indice de parité de 98% pour le TBA et de 94% pour le Taux Brut de Scolarisation (TBS), l’on se rapproche de la parité parfaite garçons/filles dans l’accès à l’enseignement primaire. Si les disparités géographiques restent très importantes, les progrès réalisés en terme d’accès et d’équité sont également à mettre à l’actif de stratégies de sensibilisation ciblées et de l’extension de cantines scolaires qui améliorent la rétention au cours du cycle.

 Avec l’introduction des nouveaux programmes, près de la moitié des élèves ne maîtrise pas les compétences normalement requises à chaque niveau. Si un effort a été fait concernant la formation des instituteurs, le rapport nombre d’élèves-nombre d’instituteurs reste élevé et a tendance à croître. La disponibilité des manuels scolaires est quant à elle très variable.

 

L’enseignement secondaire général

 En 5 ans, les effectifs ont augmenté de 69% dans le premier cycle (Classe de 6ème à 3ème ) et de 112% dans le second cycle (Seconde à Terminale). La qualité de l’offre en services éducatifs n’a pas suivi cette forte croissance en raison des ressources limitées. Des efforts ont été fait pour améliorer la parité filles/garçons mais ils ont connu un impact réduit. Un aspect important de la qualité des enseignements s’observe à travers le redoublement. Il est resté très élevé (21% en 2005 et 19% en 2009). L’un des problèmes majeurs qui expliquent cette situation est le manque cruel d’enseignants même s’il est en partie comblé par le recrutement d’enseignants dits communautaires par les populations locales elles-mêmes. Les établissements sont obligés pour y faire face de recruter un nombre important d’enseignants vacataires, à la qualification peu avérée et dont le statut est bien précaire. Les équipements (salles de classes, manuels, matériel pédagogique) laissent à désirer.

 

L’enseignement technique et professionnel

 Une évolution positive de la formation professionnelle a été remarquée grâce à un apprentissage en alternance :  travail dans un atelier ou une entreprise en même temps qu'a lieu la formation théorique. Ce dispositif s’est révélé particulièrement adapté à certains pans d’une économie largement informelle. Le nombre d’apprenants reste faible même s’il y a une réelle dynamique le concernant (1370 en 2006 et 5719 en 2010). Quant à l’enseignement technique classique, une dégradation continue a été observée et elle s’est vue à travers la baisse des effectifs (11 249 élèves en 2005 contre 8 266 en 2009). Alors que l’un atouts de cet ordre d’enseignement est la possibilité de le dispenser sous plusieurs formes et à différents niveaux le rendant plus susceptible d’atteindre des couches plus vulnérables et défavorisées, aucune stratégie de promotion d’un accès équitable n’a été mise en place.

 

L’enseignement supérieur

 Au Bénin, le nombre d’étudiants est relativement élevé avec 790 étudiants pour 100 000 habitants contre 299 en moyenne pour l’Afrique subsaharienne en 2006. Dans un pays où les débouchés en termes d’emplois hautement qualifés sont peu nombreux, ces effectifs élevés posent un réel défi. A cela s’ajoute que près de 2/3 des étudiants sont inscrits dans des filières peu efficaces en matière de professionnalisation alors que les effectifs pour celles plus adaptées aux marché du travail ont chuté. Enfin, 80% des individus accédant à l’enseignement supérieur proviennent des 20% des ménages les plus nantis et les filles comptent pour seulement 23% des étudiants de l’enseignement supérieur. L’accès équitable à cet ordre d’enseignement reste donc un défi majeur.

Quant à la recherche scientifique, elle se décline en une mosaïque d’activités plutôt menées de façon individuelle et cloisonnée, ce qui limite son impact socio-économique. Elle reste également peu orientée vers les priorités de développement.

 

L’alphabétisation et l’éducation des adultes

 Le taux d’analphabétisme dans la population adulte béninoise restait important en 2005 où il était estimé à 63%. La principale activité des services en charge du sous-secteur est l’organisation routinière des campagnes d’alphabétisation qui touche environ 30 000 hommes et femmes par an, un niveau insuffisant par rapport aux objectifs fixés (réduire le taux d’analphabétisme de 50% en 2015). Aucune stratégie de décentralisation des efforts mobilisant l’ensemble des opérateurs et des organisations de la société civile n’a vraiment été mise en place.

 

 Cette analyse de la situation de l’éducation au Bénin nous indique des priorités d’action que nous détaillerons dans le deuxième article de cette série.

Tite Yokossi

3 façons d’améliorer l’éducation

Il n’est nul besoin de rappeler que plus une société est instruite et bien éduquée, plus elle gagne en productivité et tend à accélérer son développement. En outre tout système d’éducation repose sur son cycle primaire. Les décideurs politiques africains sont bien conscients des enjeux de leur capital humain, mais savent-ils comment résoudre le problème de l’analphabétisme ? En effet, depuis les indépendances, se sont succédées différentes mesures pour améliorer le niveau d’éducation des élèves et pour diminuer l’analphabétisme et l’attrition des salles de classes par les élèves. Professeurs supplémentaires, cantine scolaire, blouses d’élèves, bourses, transferts conditionnels en espèces pour les parents incitant leurs enfants à suivre les cours… autant de programmes qui se sont révélés inefficaces [3]. Ces échecs sont dus au fait que les programmes mis en place étaient la plupart du temps inspirés des programmes des pays développés qui ne répondaient pas aux mêmes besoins et qui, transposés aux économies africaines, coûtaient beaucoup trop cher. En pleine crise financière et crise des états, les politiques publiques doivent être appréciées aussi bien par leurs coûts que par leur efficacité. Ainsi, cet article adresse aux dirigeants africains la carte de 3 menus copieux et pas chers pour nourrir leur jeunesse d’un bon niveau scolaire. Ces programmes, contrairement à ceux sus-cités, ont fait leur preuve dans des pays émergents (Inde, Kenya) et ont un excellent retour sur investissement.

1 – L’enseignement correctif pour les élèves en difficulté

Un programme intitulé Balsakhi et développé en Inde dans le début des années 2000 s’attaque à la principale cause des mauvais résultats scolaires des élèves au primaire. Les expérimentateurs partent du simple constat que les faibles résultats d’une classe viennent des élèves du fond de tableau, ceux qui éprouvent le plus de difficultés. Or ces élèves, qui sont à la traine à cause de leurs lacunes, n’ont pas les mêmes besoins que leurs camarades plus à l’aise, donc ils ne devraient pas avoir la même offre de formation. En pratique, ce sont des élèves de classes primaires qui ne savent ni lire une phrase entier, ni faire une opération arithmétique de base. Dès lors, le principe est de faire suivre à ce groupe d’élèves des cours avec une répétitrice en lieu et place d’un de leurs cours déjà prévus avec leur professeur, et ce, 2 heures par jour. Dans ce cadre, la répétitrice se charge exclusivement de revoir avec les élèves faibles les éléments de base qui leurs font défaut tandis que ces mêmes élèves apprennent avec leur professeur le contenu du programme de l’année en cours.

La répétitrice employée, est typiquement une habitante des environs de son école d’intervention ; elle a tout juste fini ses études secondaires et est au chômage. Indépendamment des résultats des études sur ce programme, on peut déjà noter que les élèves les moins bons bénéficient d’un soutien scolaire pendant la moitié de leur temps passé à l’école pour consolider leurs bases, alors que le groupe plus avancé jouit d’une classe à effectif réduit et au niveau plus homogène. Quant à la répétitrice, elle gagne un travail rémunéré et l’état ,lui, perd un chômeur.

Mais mieux encore, le programme reflète un véritable changement pour les deux groupes d’élèves concernant leurs résultats scolaires. En effet, Le papier [1] présente une augmentation significative des notes de tous les élèves. En outre, leur progression a été 2 fois plus marquée que dans les autres programmes, alors  que Balsakhi est très facile à mettre en place ( 2 semaines de formation ont suffit pour préparer les nouveaux professeurs), est peu cher ($2.25/élève) et est favorable à l’emploi des jeunes.

2 – l'apprentissage assisté par ordinateur

Le projet Computer Assisted Learning (CAL) est le  prolongement naturel du programme précédent dont les effets sont étudiés indépendamment de ce dernier. Ici encore, ce sont des instructeurs locaux formés pendant 5 jours à l’utilisation de logiciels éducatifs qui encadrent les élèves. 2 heures par semaine, ils font utiliser aux élèves l’outil informatique exclusivement pour des jeux éducatifs portant sur leur programme scolaire en mathématiques.

On pourrait défendre sans peine que ce programme a au moins le mérite de réduire le gap numérique entre les pays les moins développés et l’Occident. En outre, la curiosité  des élèves et leur désir de manipuler un ordinateur  est une incitation efficace à leur présence en cours faisant ainsi baisser le taux d’absence et le taux d’échec scolaire. Enfin, les moyens à la disposition de l’éducation nationale sont eux aussi améliorés ; l’enseignement automatisé permet de remédier au manque de professionnels qualifiés pour les disciplines scientifiques.

Mais les résultats de l’expérience sont là encore plus surprenants. On note une augmentation très nette des résultats des élèves en mathématiques, mais le programme n’affecte pas les résultats en langue. Alors que l’efficacité de ce programme n’a pas été justifiée dans les pays développés, elle est, dans les pays émergents ou les étudiants ont moins accès à l’outil informatique chez eux ou en dehors de l’école, 3 fois plus grande que dans les autres programmes. Le tout pour la modique somme de $15,18 par élève.[1]

3 – La lutte contre les maladies infantiles

Dans ce contexte, on n’y pense rarement, pourtant une mauvaise santé est la plus grande cause d’absentéisme chez les jeunes élèves. Toutes les maladies infantiles en général écartent les enfants de l’école et rendent leur alphabétisation difficile. Le paludisme touche encore 200 millions d’africains et 400 millions enfants en âge d’être scolarisés sont infectés par des vers parasites. Ces infections, chroniques et généralisées, nuisent à la santé des enfants et à leur développement. La distribution gratuite de moustiquaires imprégnées et le déparasitage en milieu scolaire sont universellement reconnues comme des solutions sûres, simples et rentables. Un programme de déparasitage  auprès de 20 millions d’enfants de 27 pays, intitulé Deworm the World, a eu des résultats intéressants. Les avantages du déparasitage en milieu scolaire sont à la fois immédiates et durables. Un traitement régulier permet de réduire l'absentéisme scolaire de 25% et d'augmenter les gains des parents sur les traitements de 20%. Le tout pour $0.5 par enfant et par an[3]. Qui dit mieux ?

Tout compte fait, la conjoncture économique actuelle ne doit pas servir de prétexte pour sacrifier une génération entière d’enfants. L’éducation est un droit dont tout le monde doit disposer. En substance, une gestion innovante des ressources humaines, une utilisation efficace des nouvelles technologies et des efforts sur la santé pour tous permettrait de faire bénéficier de ce droit à tous.

Dès lors, dans un pays comme le Sénégal où le gouvernement prétend dédier 40% de son budget ($4.7 milliards) à l’éducation, en investir 1/1000 dans l’enseignement correctif changerait la vie de prés d’1 million d’élèves.

Enfin, il est avéré que la meilleure façon d’améliorer l’éducation en Afrique et dans le monde est de sensibiliser les gens et de communiquer sur le retour sur investissement des études.  Investir $100 dans un tel projet de sensibilisation garantit jusqu’à  40 ans d’éducation de plus à distribuer aux générations futures[3].

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Abdoulaye Ndiaye

Sources :

[1] Remedying Education: Evidence from Two Randomized Experiments in India, Abhijit V. Banerjee, Shawn Cole, Esther Duflo and Leigh Linden, The Quarterly Journal of Economics, August 2007  

[2] Esther Duflo: Social experiments to fight poverty, TED Talk, February 2010 

[3] http://www.dewormtheworld.org/, voir cette vidéo.