Josué Guébo : Mon pays, ce soir

Josué Guébo n’a rien d’un mec déprimé. Chaque jour je m’évertue à déconstruire des schèmes et clichés qui ont souvent la vie dure dans mon esprit. Non, l’homme que j’ai rencontré au salon du livre est un personnage engageant et joyeux. Sa poésie, elle, est plus nerveuse. Ce qui n’a rien de surprenant quand on songe que le recueil Mon pays, ce soir exprime le regard de cet intellectuel sur les évènements qui ont secoué son pays ces dernières années. Mais l’homme est subtil, ses vers sont denses, sa langue française très soignée porte à la fois sa dignité, son courroux, ses espoirs, ses accusations. L’expression est parfois pompeuse me faisant penser à des textes de Césaire ou Tchicaya U Tam’Si sans être pour autant hermétique. Mais, je réalise en lisant Josué Guébo que ma difficulté avec la poésie n’est pas tant dans les formules, les envolées lyriques du poète mais sur le sens du discours. Je crois profondément que l’art doit d’être au service du sens et non de la simple esthétique des mots. Je n’adhère pas au concept d’un art s’auto- satisfaisant, sublimant une beauté quelle qu’elle fût et sensée toucher nos émois et notre inconscient.

Le cri de Josué Guébo, au-delà de son esthétique est celui de la révolte, celui de l’homme qui veut secouer les consciences, celui qui veut bousculer le quotidien qui efface des combats passés, des vies perdues, une ville déchirée, un pays en cendres. Il zoome avec insistance sur certains mots qui méritent notre attention quand on pense à son pays : pétrole – pluie – bottes – ascaris – haine. Les stridulations du cri que ma mère lance un soir de veillée funèbre ont du sens, il exprime une joie ou une peine selon le chant exprimé. Il interpelle voir interloque le badaud qui se voit contraint de s'arrêter et d’analyser la substance des choses. Celui de Josué Guébo porte cette rage et cette folie, il ne se veut pas une palabre de plus à la Sorbonne, les Ivoiriens me comprendront, mais un appel à l’introspection et une réaction pour que le quotidien ne soit pas un compromis éternel. Il dépasse le cadre de la Côte d'Ivoire pour évoquer les pères de l'indépendance et les figures africaines qui ont voulu se défaire de la Françafrique.

 

Je nous donne
La plume d'un tel orage
Je nous sonne l'index
D'une telle audace
Nous sommes
Poing
Formés de toutes les douleurs
Des siècles piétinés
Debout dans le champ pubère
De la vérité
Tenant de l'iroko
Ce devoir de fermeté
L'impératif
Incoercible
De notre geste ignifugé

Page 54, Edition Panafrika

J'ai eu le plaisir de rencontrer ce poète au salon du livre de Paris (2012), au stand ivoirien. Une occasion de pour moi de tomber sur les produits d'éditions africaines, si rarement accessible en France.

Bonne découverte !

Lareus Gangoueus

Conférence « Quel rôle des écrivains dans nos sociétés ? »

De gauche à droite : Jean-Luc Raharimanana, Bernard Magnier, Lareus Gangoueus, Yahia Belaskri

Il y a un mois, Terangaweb se joignait à l’Observatoire de la Diversité Culturelle et à mon blog littéraire pour organiser une table ronde sur le thème du rôle et de la place de l’écrivain dans nos sociétés. Sujet ouvert qui a un intérêt certain à la fois pour le romancier, l’éditeur et le lecteur. Pour échanger autour de cette question, les écrivains Raharimanana, Yahia Belaskri se sont prêtés à cet exercice en compagnie de Bernard Magnier, directeur de la collection "Lettres africaines" chez Actes Sud. Ce fut un vrai plaisir de conduire ce débat dans le très beau cadre de l’Auditorium du Centre culturel Jean Cocteau des Lilas.

Les avis des auteurs sont partagés sur la définition même du concept « nos sociétés », c'est-à-dire le public éventuel que ceux-ci aimeraient toucher ou pas, le rapport avec ce dernier en particulier avec ses attentes très diverses suivant qu’il est en Occident ou en Afrique, l’absence d’un lectorat réel en français à Madagascar ou en Algérie. Au fil des échanges, le propos s’est centré sur la littérature même, sur l’esthétique, la fonction même de l’écriture et de l’art dans nos sociétés actuelles. Des fonctions différentes suivants notre poste d’observation. Finalement, pourquoi un écrivain se prête-il à cet exercice d’écrire et d’être publié s’il ne croit pas à la portée, à la puissance de son discours ? « D’ailleurs ne s’agit-il que d’esthétique ou également de puissance dans l’écriture des contemporains ? » posera quelqu’un dans le public.

Raharimanana dit très bien le but de son projet : « Arriver à ce moment où le texte, l’œuvre littéraire éclipse l’auteur ». Les écrivains ont également répondu à la question de la feuille de route, de l’ordre de mission venu d’Afrique dicté par un universitaire congolais qui ressemble à beaucoup de points de vue à ce que j’entends au sujet de la nouvelle génération. Une terrible charge dont ils se sont chargés de se délester. A raison sûrement.

Le terme de nouvelle génération a eu le don d’agacer, mais il n’est pas une invention du blogueur que je suis. Il était commun il y a quelques années de désigner de nouvelle génération, toute la dream-team d’auteurs qu’incarnent encore aujorud’hui les Abdourahmane Waberi, Sami Tchak, Raharimanana, Alain Mabanckou, Patrice Nganang, Léonora Miano, Kangni Alem et bien d’autres. Des auteurs qui souvent se sont extraits à la fois du classicisme de l’écriture des auteurs des indépendances, et de certaines thématiques. Il me semble qu’entre Henri Lopès, Ahmadou Kourouma et Raharimanana, il y a deux courants différents, deux générations de romanciers…« Le je a remplacé le nous des anciens » indique Bernard Magnier.

La posture franche de Yahia Belaskri sur la place réelle du romancier dans les sociétés africaines, sur le poids réel, sur leur capacité d’influencer ne manquera pas d’interpeler ceux qui prendront le temps d’écouter cette rencontre. Avec tout le respect et la fascination qu’il a pour l’illustre homme de lettres algérien Kateb Yacine, il se pose la question de la réception de ces œuvres aujourd’hui en Algérie. Il n’est pas utile que j’entre dans plus de détail, la vidéo de la rencontre est disponible sur le site de Sud Plateau-TV. Visionner et venez réagir sur Terangaweb.

Lareus Gangoueus
 

Les défis de la circulation des idées et des textes en RDC

L'année 2010 a permis de célébrer le cinquantenaire des indépendances de l'Afrique et a été l'occasion d'une série de manifestations lors desquelles plusieurs personnes ont été amenées à interroger cette supposée indépendance, qui cacherait de nouvelles formes de dépendance. Une dépendance légitime puisque c’est dans le cadre du Centre Wallonie-Bruxelles que s’est déroulé courant mars, les rencontres Congophonies Cha-Cha, traitant de la République Démocratique du Congo d’aujourd’hui au travers du regard des artistes, cinéastes, écrivains, dramaturges, musiciens congolais ou étrangers. Il s’avère que par un concours de circonstance, l’occasion m’avait été offerte de pouvoir visionner le coffret de films de Thierry Michel consacré à la R.D.C qui a eu lors de ces rencontres l’opportunité de s’exprimer sur son travail.

C’est gonflé de toutes ces images, de mes lectures de Jean Bofane ou de Marie-Louise Mumbu, abreuvé par les chroniques des blogueurs de Congoblog ou d’Alex Engwete que je me suis rendu à la rencontre intitulé « de la circulation des oeuvres et des idées en RDC d'aujourd'hui». Avec l’ambition secrète de pouvoir rencontrer les écrivains Nasser Mwanza et In Koli Jean Bofane, mais également la volonté de comprendre la place de la littérature dans cette mécanique. Je dois dire que cette rencontre a été particulièrement édifiante et déroutante. On est partagé par une forme d’émerveillement et d’un profond abattement au sortir d’une telle soirée. Parce que les repères sont complètement autres. La vision du monde est en rupture avec la vision occidentale dans laquelle nous baignons. Sur la consommation par exemple.

de gauche à droite Julien Kilanga Musindé, Jean Bofane, Nasser Mwanza, Colette Braeckmann

Marie Soleil Frère par exemple a introduit les débats sur la diffusion de la presse écrite en RDC. Tout relève de l’acrobatie à ce niveau. La consommation classique, cartésienne, individuelle de la presse n’a pas lieu de citer à Kinshasa. Trop chère. Elle est contournée par des subterfuges comme les « parlements debout » (où les badauds se postent devant les étals des vendeurs pour leur lecture rapide de l’actu), les photocopies de journaux, la location de journal, les lectures multiples. L’usage d’un journal est avant tout collectif. Les revues de presse sur les ondes hertziennes parachèvent le travail de sape de la diffusion lucrative des journaux. A cela vient se greffer l’impossibilité de diffuser les journaux de la capitale vers l’intérieur du pays vu l’absence de solvabilité des intermédiaires. La chercheuse note toutefois l’impact positif de la presse sur Internet à l’intention principalement de la diaspora congolaise.

Se pose cependant la question sur la pratique même du journalisme en RDC. En particulier celle de la crédibilité et de l’indépendance de certains journalistes congolais à l’égard des hommes politiques ou des opérateurs économiques. La commande d’articles par ces derniers est monnaie courante souligne le cinéaste Balufu Bakupa-Kanyinda. Naturellement, on se demande comment il pourrait en être autrement vu la fragilité de la posture des journalistes et des organes de presse quand on considère le mode de diffusion de leur travail.

Le cinéaste s'étend sur le rapport complexe qu’entretiennent les congolais de la rive gauche du fleuve Congo avec le livre. Il donne l’occasion aux personnes présentes peu averties par les effets collatéraux du mobutisme de prendre conscience de l’instrumentalisation et du contrôle que ce système a exercé sur les auteurs (en particulier de fictions). Le livre sous le mobutisme incarne la ligne du parti unique, c’en est un prolongement. « Les idées circulent là où il y a un désir de production et de réflexion. Le potentiel est énorme ». Le paradoxe d’un pays dynamique : l’absence d’infrastructures relais pour la diffusion de la culture. Pas de librairies à Kinshasa. Pas de salle de cinémas. La culture est véhiculée par les brasseurs et les musiciens (sponsorisés par les premiers). Mais peut-être que le vrai problème selon Balufu est le suivant : « Les premiers besoins sont-ils ceux du ventre ou de la tête ? »

de gauche à droite Nasser Mwanza, Colette Braeckmann, Balufu Bakuba-Kipyanda, Marie Soleil Frère

Nasser Mwanza revient sur son expérience de jeune auteur à Lubumbashi. L’occasion de revenir sur ce qu’il appelle la rupture de Lubumbashi avec la francophonie. Les années 90 ont donné lieu à des pillages de centres culturels francophones dans cette région excentrée de la RDC. Absence de correspondances. Pourtant, le jeune auteur congolais se bat dans ce contexte pour diffuser ses textes sur place en procédant à des lectures publiques, par des affichages dans les lieux de rencontres comme les salons de coiffure, par le porte à porte ou par les réseaux estudiantins intéressés. Il regrette l’absence d’une politique culturelle identifiable de l’état congolais. Il souligne toutefois, que le mobutisme a permis au jeune lushois de profiter des cercles culturels de la Faculté de lettres de Kinshasa délocalisée stratégiquement par Mobutu dans la capitale du Katanga.

Jean Bofane revient sur son expérience en tant qu’éditeur au début des années 90 avant son exil. Avec le sourire que l’on retrouve chez ses personnages de fiction, il énumère malgré les promesses de liberté de ce secteur d’activité formulées par le régime mobutiste aux abois, les faits de terreur et d’oppression à l'encontre des éditeurs. Pillage et dynamitage du matériel. Autres espiègleries. Il raconte l’aventure des bandes dessinées qu’il a diffusées par le canal d’un réseau alimentant le grand marché de Kinshasa. Il décrit le processus de création dans ce contexte corrosif. Il constate que les produits tels que son roman « Mathématiques congolaises » auraient du mal à circuler dans le format congolais actuel. Mais il envisage les choses avec optimisme.

Julien Kilanga Musinde, directeur des langues et de l’écrit à l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.) revient sur la variété de l’édition qu’elle fut de nature confessionnelle, étatique, universitaire. Il constate son cloisonnement et son aspect principalement local. S’il fait le constat du retard de la production littéraire congolaise sur la scène africaine, il souligne l’émergence de l’essai politique dans les années 90. Il revient sur la stratégie de diffusion dans l'espace francophone qui se met progressivement en place pour établir des ponts entre l'Europe et le continent africain en général, la RDC en particulier en termes de diffusion des oeuvres. Il cite notamment Afrilivres (constitution de trois pôles de diffusion – Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, Afrique centrale) et Espace Afrique International.

Les questions de l'auditoire ont donné lieu à des éclairages intéressants. Je retiendrai en particulier la sentence de Jean Bofane : "Parler, écrire, cela reste des actes dangereux en RDC". Les assassinats de journalistes congolais sont là pour en témoigner.

Lareus Gangoueus

Crédit photo : Elodie Boulonnais

Pour aller plus loin sur ce sujet, un article de Leila Morghad : L'Afrique a-t-elle peur de la page blanche ?

 

Yahia Belaskri : Une longue nuit d’absence

Je viens de terminer la lecture de ce nouveau roman de l’écrivain algérien Yahia Belaskri et je suis encore remué par ce texte. Certaines déclarations d’amour prennent parfois des détours assez surprenants, mais cette si longue nuit d’absence est un très bel hommage chargé de nostalgie à la ville d’Oran, à son histoire, à ses différentes communautés perdues. Nous sommes dans l’entre-deux-guerres, dans le sud de l’Espagne, quand ce roman débute. Paco est un gamin effronté et courageux qui ose des défis qui marquent déjà son caractère intrépide. Il est le dernier né d’une famille. Adélia, sa grande et belle sœur vient de perdre son mari qui semble s’être suicidé mais qui, après analyse a sûrement été abattu par la garde civile. Nous sommes dans les prémices de la terrible guerre d’Espagne. Dans cette première partie du roman, Yahia Belaskri alterne entre les événements qui ont conduit le jeune Paquito, dit El Gupa, Paco ou encore Enrique Semitier à être enrôlé dans les troupes de l’armée républicaine espagnole et à subir l’accueil mitigé quelques années plus tard fait aux bateaux des républicains espagnols sur les côtes algériennes, le bagne dans le désert, les tentatives de fuite, ou encore la vie clandestine à Oran.

Paco est le personnage central autour duquel Yahia Belaskri construit son histoire. Sans être véritablement un héros lors de la guerre d'Espagne, il est dans ce contexte un leader qui, avec une bande de jeunes de son village natal, vont tous être incorporés dans l'armée républicaine. Alors que progressivement, on suit la dégradation de la situation militaire des républicains les poussant à un exil forcé pour ceux qui refusent la reddition, Belaskri évoque parallèlement la difficile arrivée de ces républicains en Algérie, terre française. Bagne, travaux forcés dans le Sahara, fuites, Oran.

Cette première phase du roman, si elle est intéressante au niveau de sa construction, renvoyant le lecteur d'un chapitre à l'autre, de l'Espagne à l'Algérie, permet de poser les différents personnages sur lesquels Paco pose un regard où son idéal de liberté et de justice prime. De ceux qu'il laisse en Espagne comme son épouse et son beau-père qui subissent la répression franquiste. De ceux qu'ils rencontrent dans les quartiers arabes. De ceux dont il découvre la condition au travers de ses tournées dans l'arrière pays oranais. Par contre, on ne retrouve pas le rythme haletant dans son écriture de Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut dans ses descriptions. Comme si, malgré les éléments fournis qui nous permettent de camper dans la peau des guérilleros en Espagne ou des forçats en Algérie, quelque chose poussait l'écrivain dans ses réserves.

Ce roman devient passionnant, à l'instar du précédent tant au niveau de l'écriture que le sujet qui s'engage dans une course dans laquelle le lecteur est happé et ne lâche plus prise, dans la 2ème phase qui est un magnifique portrait d'Oran, terre française où se juxtaposent des communautés très différentes : arabes, français, espagnols, juifs, etc. Chacun évoluant dans des quartiers, dans un fragile équilibre que la guerre va progressivement faire voler en éclats. Sous la plume de Yahia Belaskri, et par le témoignage de ce républicain espagnol installé à Oran, personnage-charnière entre toutes les communautés, on découvre une ville qui pourrait faire penser à la Grenade de Maalouf. Mais subtilement, les failles de la structure qui vont conduire à l'explosion sont faites de discriminations, de statuts différents, et d'une absence de dialogues, d'une méconnaissance profonde des uns et des autres…

Cette toile de fond ne doit pas cependant éluder le travail sur le personnage de Paco, cet apatride quelque part. La puissance de ce roman, à côté de la dimension nostalgique de la narration d'Oran avant les dérives de la guerre, réside dans ce point de vue sur le personnage errant de Paco qui voit la terre d'accueil se défaire sous ses pieds sans avoir la possibilité de rentrer en Espagne.

Le final est particulièrement émouvant. A lire et à faire lire.

Me gustà Oran !

 

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

 

Yahia Belaskri, Une longue nuit d'absence
Editions Vents d'ailleurs, 158 pages, 1ère parution en 2012

 

Raharimanana : Nour, 1947

Raharimanana n’est pas un auteur comme les autres. Il est avant tout un artiste qui joue magnifiquement avec les mots qu'il met en scène avec beaucoup de hardiesse, de courage, de force pour porter un discours, une volonté d’écrire l’histoire de son propre point de vue. L’histoire de son pays vue par un malgache. L'histoire racontée par un lion pour faire écho à une sentence célèbre…

1947 fut une année importante sur la grande île. Douloureuse aussi. Celle d’une insurrection menée par des nationalistes malgaches qui fut terriblement réprimée par les forces coloniales françaises, comme ce sera également le cas en Algérie. Raharimanana revient sur cet épisode douloureux par le biais d’un roman. Un soldat tirailleur pleure. Il évoque Nour, une femme qui a été abattue. Il parle de sa mémoire, de son histoire, de celle de son pays Madagascar, celles de ces mânes, de sa spiritualité. Alors que la voix de ce personnage narrateur s’exprime, s’entremêlent d’autres voix, toutes chargées par la poésie, certaines implorant des divinités. Nour parle. Jao, Siva, Benja, des rebelles s’expriment chacune avec sa tonalité pour dire un parcours, raconter la tragédie d’une île, la barbarie du système colonial.

La voix du narrateur n’est pas partisane, même si elle porte la douleur de celui qui a perdu une part de lui-même, de celui dont le souvenir de tirailleur en Europe et de trains funestes déportant des juifs lui a fait prendre conscience qu’il était embarqué dans un combat qu’il ne pensait pas être le sien, loin de sa patrie. Narrateur de l’île. Lecteur des tentatives de christianisation. Celles de missionnaires catholiques du 19ème siècle des traces écrites de leur plongée au cœur des ténèbres. Un choc des cultures. Un paternalisme méprisant. Une négation de l’autre portée par le désir altruiste de révéler le Créateur. La voix parle aussi de l’île et de ces vagues successives de migration, des différentes divisions, forfaitures, de la violence qui a toujours animé les différentes communautés que, j’imagine, les malgaches seront reconnaître sous les termes de « ceux des cendres », « ceux de la cité bénie », « ceux du milieu », etc.

Sous la plume de Raharimanana, l’esclavage sur l’île est une réalité locale, endogène. L’arrivée du colon français a semblé le lever ce bouclier, pour mieux assujettir cette île. Au fur et à mesure que le lecteur progresse dans sa lecture qui peut-être un peu laborieuse au début, le temps de s’habituer aux différentes voix, à la musique des mots de Raharimanana, les personnages dévoilent leur histoire et surtout on comprend ce qui les connecte, le sang, l'insurrection. La révolte n’est que mieux présentée avec les vies qui sont laissées sur la terre ensanglantée. Ou de ses vies qui se jettent de la falaise d’Ambahy par désespoir dirait-on ou pour aller à la rencontre d’un au-delà quand le quotidien n'est fait que de mochetés pour reprendre un mot d'un autre grand romancier du continent africain…

Nour, 1947, cela semble être l’histoire douloureuse d’un pays, magnifiquement dite avec le désir manifeste du romancier ou du poète de renvoyer dos à dos, ceux qui oppressent et ceux qui sont oppressés, pour mieux parler du déchirement lié à la disparition de l’être cher, la blessure de ce tirailleur. Un texte sombre. Un texte magnifique. Un texte qui bouscule.
 

Lareus Gangoueus

 

Raharimanana, Nour 1947
Editions du Serpent à plumes, Collection Motifs, 260 pages, 1ère parution en 2001

Voir les chroniques sur Africultures, Le matricule des anges, Ballades et escales en littérature africaine, Ny Haisotatra

 

Quel est le rôle de l’écrivain dans nos sociétés ?

L’Observatoire de la Diversité Culturelle et le cercle de réflexion TerangaWeb « L’Afrique des Idées » vous invitent à débattre avec Jean-Luc Raharimanana, Yahia Belaskri et Bernard Magnier sur le thème « Quel est le rôle de l'écrivain dans nos sociétés ? ». Cette manifestation se déroulera à l’Auditorium du Centre culturel Jean Cocteau, 35 place Charles de Gaulle, Les Lilas (M°ligne 11 Mairie des Lilas), le vendredi 4 Mai 2012, de 19h00 à 21h00. L'entrée est libre et la rencontre sera suivie d'une collation et d’un temps de dédicaces.

En compagnie des romanciers Jean-Luc Raharimanana, Yahia Belaskri, avec Bernard Magnier spécialiste des littératures africaines et directeur de la collection « Lettres africaines » aux éditions Actes Sud, il s'agira d’aborder et d'interroger des postures d’écriture (l’écrivain francophone est-il guide ou témoin ?), leur légitimité d'auteurs physiquement éloignés de leur terre d’inspiration tout autant que la réception de leurs œuvres (lectorat occidental, de la diaspora africaine et du continent). Au travers de son expertise sur les littératures africaines, Bernard Magnier apportera son regard d’éditeur sur ces questions et présentera la collection qu’il dirige chez Actes Sud.

La seconde phase de cette rencontre qui se veut interactive aura pour objet d’interpeler les publics présents, sur leur rapport en général à la littérature africaine. La rencontre sera animée par Réassi Ouabonzi, animateur du blog littéraire Chez Gangoueus et responsable de la rubrique culture de TerangaWeb. Des lectures des œuvres des auteurs seront faites.

copyright Thierry Hensgen/Institut Français. Jean-Luc Raharimanana, est un homme de lettres malgache, né en 1967 à Antananarivo. Il est l’auteur d’une œuvre dense à la croisée de plusieurs genres littéraires. Sa dernière publication est « Les cauchemars du gecko » paru chez Vents d’ailleurs suite à l’interprétation à Avignon de la pièce de théâtre du même nom qui n’a pas laissé indifférent le public du festival.

Yahia Belaskri, est un homme de lettres algérien, ancien journaliste, né en 1952 à Oran. Il a obtenu le Grand Prix Littéraire Ouest France/Etonnants voyageurs 2011 pour son roman « Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut » dans lequel l’auteur brosse un portrait très sombre de l’Algérie. Son nouveau roman « Une longue nuit d'absence » vient de paraitre chez Vents d’ailleurs.

Bernard Magnier est actuellement l’un des plus brillants spécialistes de la littérature africaine. Journaliste de profession, il travaille depuis plusieurs années avec Radio France Internationale et il dirige la collection «Lettres africaines» aux éditions Actes Sud. Il est également conseiller littéraire au Centre National du Livre, au Centre Georges Pompidou ou encore au théâtre Le Tarmac. Il est aussi programmateur du festival « Littératures métisses » d’Angoulême.

Contact ODC/Terangaweb : 01.48.46.07.20 / reassi.ouabonzi@terangaweb.com

Les organisateurs :
Observatoire de la Diversité Culturelle – promeut la citoyenneté par la diversité culturelle
www.diversité-culturelle.org

TerangaWeb « L’Afrique des idées » – est une association indépendante qui vise à promouvoir le débat d’idées et la réflexion sur des sujets liés à l’Afrique. Notre think tank est majoritairement composé d’étudiants, de doctorants et de jeunes professionnels africains, ainsi que de personnes tout simplement passionnées par – et bien informées sur – le continent africain.
http://www.terangaweb.com

Chez Gangoueus – Blog littéraire traitant des lettres venues d’Afrique des diasporas africaines
http://gangoueus.blogspot.fr

Alors, rendez-vous le 4 mai à l’Auditorium du Centre culturel Jean Cocteau,
35 place Charles de Gaulle, Les Lilas (Métro ligne 11, Station Mairie des Lilas), de 19h00 à 21h00.
Faites circuler l'information!

 

Réassi Ouabonzi

Nimrod et Sylvie Kandé, poètes dans la cité

Il vaut mieux tard que jamais dit l’adage. Je m’abriterai donc derrière ces quelques mots pour partager avec un peu de retard une très belle rencontre à laquelle j’ai récemment participé à l’auditorium du Centre culturel Jean Cocteau des Lilas, près de Paris. J’avais en effet été convié à Poètes dans la cité co-organisée par l’Observatoire de la Diversité Culturelle et Poécités. Au programme, deux poètes que je ne connaissais que de nom et de réputation :

– la franco-sénégalaise Sylvie Kandé basée à New-York, enseignante, femme de lettres
– le tchadien Nimrod, picard d’adoption, poète, romancier.

La rencontre a été lancée par un jeune violoncelliste, Guillaume Bongiraud qui, tout de suite, a élevé les débats dans une interprétation habitée d’un morceau de Bach. Hum ! La passion, c’est quelque chose de particulier. Et ce jeune homme avec son violoncelle formait un couple très particulier avec un résultat qui eut le mérite de me faire rentrer dans l’esprit de la soirée.

Le premier poète a passé au crible de l’animateur fut Nimrod à l’œuvre déjà dense. L’amateur de prose que je suis a surtout retenu des titres comme Bal des princes, L’or des rivières sur la douzaine de publications de l’auteur. Très rapidement, l’entretien a eu un caractère très intimiste remontant le cours de la vie de Nimrod, explorant l’enfance, la difficulté de porter un nom si singulier que Nimrod.

Question en apparence anodine quand on n'a rien lu de l’auteur. Pourquoi un père affuble-t-il ses enfants de prénoms si pittoresques ? Le père. Au fil de l’échange, on entend cette quête, ce désir de comprendre le père, pasteur luthérien en terre animiste. On voit se former l’identité de Nimrod, forgée sur le sillon de la singularité, lui le fils du protestant, dans une ethnie animiste minoritaire du Tchad. Une singularité qui paradoxalement ouvre cet artiste à l’universel.

Nimrod est un séducteur qui s’exprime avec charisme. Si à prime abord, on pourrait le percevoir comme étant un peu pédant, la suite de l’échange entrecoupée par les textes de poésie qui viennent illustrer les différents épisodes de sa vie, a le mérite de déconstruire cette première impression. Nimrod nous livre une réflexion sur l’enfance, le père, la mère, le Tchad en guerre, l’exil, la nature. Il s’exprime sur l’influence de l’éducation chrétienne dans son écriture. Il répond avec beaucoup de simplicité sur l’accusation qui lui fût adressée d’abandonner la thématique de l’exil pour une poésie panthéiste. Et je pense à ce niveau ma rédaction que l’introduction à Nimrod a été parfaitement réalisée par l'animateur et elle explique l’orientation de l’œuvre du poète. Il a été question de poésie stratosphérique, de poésie phénoménologique, des points parfois un peu complexes mais très rapidement rendus accessibles au profane par le biais des lectures faites. Et de ce point de vue, le travail réalisé en amont dans le choix des textes à lire fut remarquable. L’émotion du poète s’en est ressentie.

Le parcours de Sylvie Kandé est très différent de celui de Nimrod, même si en analysant les récits, on réalise que la singularité caractérisant leurs identités respectives est un point commun entre les deux invités de l’Observatoire de la Diversité Culturelle. Avec la déduction évidente que le poète est forcément un marginal. Je pense. La marginalité, Sylvie Kandé la découvre quand, après une enfance tranquille et au cours de son adolescence, elle est renvoyée à une identité de mulâtre. Elle est en effet bretonne par sa mère et sénégalaise par son père. C'est cette révélation et le besoin de se positionner autour de cette question qui va totalement habiter le projet à la fois professionnel et artistique de Sylvie Kandé. Des études en lettres classiques puis en histoire sur la perception diversifiée des africains par les grecs. Et un besoin de dater la naissance du racisme, qui de son point de vue, est lié à la Traite négrière.

Sylvie Kandé est une universitaire et son intervention est marquée par la tonalité technique de son propos. Mais ce que je trouve très intéressant dans ses développement c’est, je précise qu’il s’agit d’une interprétation personnelle, la quête d’une forme d’équilibre dans sa création artistique. Equilibre entre les deux pôles du métissage. Alors, il est passionnant de l’entendre s’exprimer sur des procédés puisés dans le Hip-Hop comme le sampling pour la construction de certaines de ses oeuvres.

Elle donne sa définition de la poésie qui travaille selon elle sur l’obscur. Elle est un moyen de creuser l’obscur, le mystère. Ecrire lui permet d’oublier. Pour la poétesse, le travail sur une question même inaboutie lui permet de passer à autres choses. On retrouve cette question de l’équilibre, quand elle évoque la culture de l’écrit dans laquelle elle a été élevée et son désir de reconquérir la littérature orale, dimension africaine… Que dire alors quand Sylvie Kandé reprend les mythes grecs autour d’Orphée ou de Sémélé ? C’est une conséquence de l’imaginaire recomposé assumé de la poétesse. Une démarche qui donne envie d’en savoir plus sur son travail.

Deux auteurs très différents. De belles lectures. Des écritures différentes. Des thématiques singulières. Un travail de fond sur les œuvres de poésie pour en extraire le substrat. Bref, deux heures passionnantes à écouter des auteurs tous deux de qualité et que je lirai très prochainement. J'ai passé un bon moment.

 

Lareus Gangoueus, billet initialement paru sur son blog

 

NDLR : Crédit photo : Thibaud Willette. Sur la photo, de gauche à droite : Sylvie Kandé, Fulvio Caccia, Nimrod.

Brazzaville, après le drame

Voilà près d’une semaine que le drame d’une série d’explosions dans un dépôt de munition du camp des blindés a eue lieu. Causant de nombreuses pertes de vie, mutilant ça et là femmes et hommes, livrant près de 15 000 personnes aux conditions difficiles d’une saison des pluies encore en cours à Brazzaville. En rentrant chez moi le 4 mars 2012 et en découvrant l’information en fin d’après midi, j’ai pu mesurer la puissance de l’Internet et des réseaux sociaux, nous permettant en deux clics de voir ces terribles images de mon quartier d‘enfance dévasté. Car, j’ai passé plusieurs années près de ce camp des blindés, situé entre Ouenzé et Mpila. En faisant défiler les photos de l’ami d’un « ami » Facebook, je me suis pris au jeu – si on peut parler ainsi – de redécouvrir ces rues que je connaissais une par une, les maisons éventrées ou littéralement détruites par la puissance des ondes de choc successives. Tout cela en tentant de joindre en parallèle par téléphone la famille, les amis, en croisant les infos captées ça et là sur les scènes de panique, replongeant le temps d’une journée beaucoup dans l’atmosphère douloureuse des années 90. Détonations et folie.

Ces images post-apocalyptiques sont saisissantes et d’une certaine manière déroutantes. Car, elle révèle la puissance des armements et munitions conservés en toute indifférence à côté des populations. Des toits ont été arrachés à plusieurs kilomètres à la ronde, révélant la violence de ces explosions. Il ne me parait pas compréhensible que ce quartier si gai, si mixte puisse avoir cohabité avec une telle poudrière. Alors que l’inhumation des corps vient d’être réalisée et que des élans de solidarité se mettent en place à Brazzaville au profit des nombreux sans abris, des questions se posent sur ces incidents à répétition qui ont secoué Brazzaville et Pointe-Noire. Car, ce n’est pas la première fois qu’une telle catastrophe se produit au Congo. Deux dépôts de munitions avaient déjà connu de telles déconvenues avec une ampleur moindre, mais causant de réels dégâts et des pertes humaines du fait de la localisation de ces dépôts d’armes au cœur des centres urbains. On notera que ce type d’incident n’est pas une spécificité congolaise, puisque depuis les indépendances, des villes comme Abidjan, Freetown, Lagos ont connu de telles tragédies.

Comment expliquer l’absence d’action des autorités publiques pour extraire ces dépôts des zones habitables malgré ces catastrophes à répétition ? Négligence ? Indifférence aux risques courus par les populations ? Stratégie militaire ? Après tout, un quartier entourant un dépôt de munitions constitue une forme de bouclier humain, mais ne prêtons pas un tel cynisme à ces autorités publiques. Malgré le développement souvent anarchique de l’urbanisme des grandes villes africaines, le principe de précaution impose des actions concrètes afin que les larmes versées le dimanche 11 mars 2012 ne soient pas celles de crocodiles.

Si on observe un remarquable élan de solidarité à l’endroit des familles brazzavilloises ayant tout perdu, réfugiées dans des camps de fortune, la question de l’indemnisation doit impérativement être posée. Dans un pays où l’habitat privé est très rarement couvert par un contrat d’assurance, le problème de la reconstruction à la suite du déminage du périmètre impacté est d’actualité. C’est un véritable défi pour les autorités congolaises. Sinon, que peut un retraité congolais face aux ruines de sa maison ? La tâche est immense quand on observe l’étendue des dégâts. Mais il ne peut en être autrement. L’état est responsable de cette catastrophe et il doit assumer son inaction et son absence de prévoyance par respect pour les chefs de famille disparus qui ont bâti des édifices pour protéger leur progéniture aujourd’hui livrée aux éléments et au chômage.

Au-delà des discours et des larmes, le gouvernement congolais sera jugé par ses actions concrètes à l’endroit des populations sinistrées.

Lareus Gangoueus

Les rendez-vous littéraires en mars sur Paris

Comme c’est souvent le cas, mars est le mois riche en événement tournant autour de la littérature en général. Et pour cause, le salon du livre aidant, on retrouve de nombreux écrivains migrants comme des oiseaux vers ce lieu de rencontres, de promotion en pleine capitale de la francophonie, j’ai nommé Paris. Bref, trêve de papotage comme dirait Guy-Alexandre Sounda. Je vous glisse le menu et puis, après, c’est vous qui voyez.

Commençons par le salon du Livre 2012. Pour la troisième édition, le stand des auteurs du Bassin du Congo sera l’attraction de tout ce qui fait d'intéressant sur le plan de la littérature sub-saharéenne. Vous trouverez ci-dessous le planning de quelques rencontres avec des auteurs à rencontrer. Deux autres attractions que je ne manquerai pas également seront les stands de Cultures Sud (Institut français) avec des débats toujours très intéressants et celui de la maison d’éditions Vents d’ailleurs qui recueille de merveilleuses pépites que j’ai parfois chroniquées. La collection Continents noirs de Gallimard organise un table ronde animée par Boniface Mongo-Mboussa entouré des principaux auteurs dans le cadre sympathique de la Maison de l’Amérique latine, ce lundi 12 Mars à partir de 19h avec Henri Lopès, Jacques Dalodé, Mamadou Mahmoud Ndongo ou Scholastique Mukasonga.

A noter également que dans la cadre de Mahogany March, le musée Dapper de Paris donne carte blanche à Léonora Miano (Grand Prix littéraire d'Afrique noire 2012) pour l’organisation de quatre rencontres passionnantes dans ce musée du 14 au 24 mars 2012. En parallèle, des dégustations littéraires continuent du côté Montparnasse autour des différents auteurs qui concourent au Prix Mahogany. Une occasion loin du brouhaha d’un salon littéraire pour discuter tranquillement avec les auteurs. Plus d'information sur la page Facebook de Mahogany.

Le roman Black Bazar d’Alain Mabanckou avait été remarquablement interprété au théâtre par Modeste Nzapassara, et alors que le projet cinématographique fait son petit bonhomme de chemin, l’album de rumba inspiré du récit de l’auteur congolais sort sous le fameux titre Black Bazar. Des dates de concerts sont déjà prévues en mars (au New Morning entre autres, le 22 mars). Toutes les infos sont sur le site de ce projet musical.

L’auditorium du Centre culturel Jean Cocteau des Lilas recevra deux poètes sous l’impulsion de l’Observatoire de la diversité culturelle et avec le soutien de TerangaWeb : le tchadien Nimrod dont la production littéraire continue de s’étoffer au fil des années et Sylvie Kandé. Cette rencontre se déroulera sous la forme d'un entretien-récital, et donnera lieu à un accompagnement par Guillaume Bongiraud, violoncelliste. Né au Tchad, Nimrod est poète, romancier, essayiste. Il a con­sacré deux essais à Léopold Sédar Senghor (Le temps qu’il fait, 2003 et Seghers, coll. « Poètes d’au­jourd’hui », 2006). Son œuvre poétique est pu­bliée aux éditions Obsidiane. Son œuvre a reçu les prix littéraires suivants : Prix de La vocation pour Pierre, poussière (poèmes, Obsidiane, 1989), Prix Louise Labé pour Passage à l’infini (poèmes, Obsidiane, 1999), Bourse Thyde Monnier de la Société des Gens des Lettres pour Les jambes d’Alice (roman, Actes Sud, 2001), les Prix Benjamin Fondane, Édouard Glis­sant et Ahmadou Kourouma pour Le bal des princes (roman, Actes Sud, 2008) et le Prix Max Jacob 2011 pour Babel, Babylone (Obsidiane, 2010). Sylvie Kandé est née à Paris de mère française et de père sénégalais. Elle est titulaire d'une maîtrise de lettres classiques (Paris IV-Sorbonne) sur l'image du Noir dans l'art et la littérature grecs du Vème au 1er siècle av. J.C. et d'un doctorat en histoire de l'Afrique (Paris VII). En l'an 2000, elle a publié chez Gallimard un long poème en prose intitulé Lagon, Lagunes,avec une postface d'Edouard Glissant. Pendant 6 ans, elle a enseigné la littérature francophone africaine et caribéenne au département de français et les études africaines dans le cadre du programme d'études Africana à New York University. Elle vient de publier l'an dernier la quête infinie de l’autre rive, une épopée en trois chants aux éditions Gallimard .
Rendez-vous vendredi 09 Mars 2012 à 19h. Métro Mairie des Lilas. 35 Place du Général de Gaulle aux Lilas.

Enfin, on garde le meilleur pour la fin, le 27 mars, ce sera la 11ème édition des palabres autour des Arts sur le thème du choc des cultures et ce qu’il en reste. L’artiste palabreur sera l’écrivain algérien Yahia Belaskri, auteur du très beau roman Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut (Grand prix de littérature Ouest France/Etonnants voyageurs 2011). Une occasion d’écouter cet auteur engagé et touchant. Rendez-vous à 19h au Restaurant Le Loyo, 18 rue Bachelet, Paris 18ème arrondissement. Métro 4 Chateau rouge ou Métro 12 Lamarck Caulaincourt. Plus d'informations sur la page Facebook des Palabres autour des Arts.
 

Lareus Gangoueus

 

Tchicaya U Tam’Si : Ces fruits si doux de l’arbre à pain

Il est parfois difficile de justifier pourquoi un auteur nous touche plus que les autres. Difficulté qui s’accroît quand cet auteur est très peu connu du public. On a le sentiment d’être une sorte d’extra-terrestre qui vend un projet que beaucoup ont trouvé désuet. Pourtant Tchicaya U Tam’Si reste l’un des meilleurs romanciers francophones qu’il m’ait été donné de lire, même si les spécialistes diront que l’essentiel est dans sa poésie.

 

Mon rythme de vie très lié à ma relation avec le livre explique la difficulté que j’ai avec le genre de la poésie qui exige de la part du lecteur une certaine disponibilité. Si on rajoute le faite que la poésie que j’ai lu de Tchicaya U Tam’Si est très ancrée dans le contexte de son écriture, à savoir les indépendances africaines et sa fascination pour des figures marquantes comme Lumumba, on a là les éléments de ma distance avec cette poésie.
 
Par contre le roman de Tchicaya U Tam’Si, genre que l’auteur a travaillé sur la fin de sa vie pendant les années 80 est très riche et fort. D’abord par le recul sur le sujet, à savoir le Congo colonial et postcolonial, que cet intellectuel qui vécut la majeure partie de sa vie en exil porte. Une distance à la fois géographique et temporelle. Alors qu’au moment où il se lance dans la prose, la génération qui le suit avec Henri Lopès, Tierno Monémembo, Sony Labou Tansi, Alioum Fantouré ou Williams Sassine décortiquent la faillite des élites et des potentats ayant hérité de la structure des pays indépendants, Tchicaya U Tam’Si se propose d’évoluer à contre-courant de cette mouvance et revisitant cette Afrique colonisée et mouvant ses personnages dans ce contexte, au début du 20ème siècle, pendant les deux guerres, après la seconde guerre mondiale, aux indépendances.
 
On voit au fil des pages, toujours dans le contexte de la saga familiale, le lien au colon, les consciences se construire au gré des grands épisodes de ces périodes. On voit aussi ce Congo là au travers de personnages très variés qui souvent entourent le lignage conducteur et qui révèlent la vie, la danse, la mode, les mœurs, la passion, l’ethnie, la politique, la lutte sur cette époque qui reste relativement méconnue. Je pense d’ailleurs que la dimension historique et intime qu’y fait la force la série des romans de Tchicaya U Tam’Si. Si je m’arrête là, je délaisse le style poétique de l’auteur congolais qui se prend au roman. Hors, c’est la principale raison qui doit nous amener à découvrir les textes romanesques de Tchicaya U Tam’Si : son esthétique poétique. Enfin, et c’est assez étonnant pour un auteur ayant vécu si longtemps de ses terres, c’est l’auteur congolais dont les romans sont les plus ancrés dans la culture kongo. De mon point de vue. Une oralité accompagne ses textes, la spiritualité de ces personnages est beaucoup plus ancrée et assis dans ces cultures.

Ces fruits si doux de l’arbre à pain est son dernier roman. Paru à titre posthume. Liss Kihindou en fait un magnifique portrait. On retrouve là encore la saga familiale. Un roman où Tchicaya U Tam’Si démontre magnifiquement si beaucoup habite le Congo, au bord de la Seine, le Congo l’habitait profondément.
 
Lien vers la vidéo : Liss présente Tchicaya U tam'si
 
Lareus Gangoueus

Gilbert Gatoré : le passé devant soi

Il y a des textes comme cela. Des ouvrages dont vous ne savez par quel bout les prendre. Parce que comme la peinture d’un grand maître, vous avez le sentiment que quelque soit l’angle d’observation, l’opportunité de saisir un élément nouveau, édifiant, décapant vous sera offerte. J’étais curieux ces deux dernières années de découvrir le texte de Gilbert Gatoré. Jusqu’à présent je n’avais lu le drame rwandais que par le prisme d’auteurs étrangers comme Véronique Tadjo ou Tierno Monemembo. Une curiosité due à la jeunesse de l’auteur et au bouche à oreille extrêmement positif qui entoure cet ouvrage depuis sa parution.

Dans « Le passé devant soi », Gilbert Gatoré nous propose la narration de deux histoires apparemment distinctes, mais qui sont en fait liées par la folie du génocide de 1994. D’une part, celle de Niko « Le singe », jeune homme qui s’est exilé sur une île légendaire protégée par des interdits, loin de la communauté des hommes. D’autre part, celle d’Isaro, une jeune fille, belle et brillante, en France, adoptée très jeune au Rwanda par un couple français suite à l’épuration ethnique. Pendant que le lecteur ignore complètement les raisons des errances de Niko, lui aussi adopté mais par une tribu de singes au cœur de la grotte de l’île qui lui sert de refuge, Isaro se pose soudainement la question trop longtemps enfouie du Rwanda.

Alors commence la trame complexe de ce roman. Une voix off supplémentaire vient s’ajouter aux deux discours pour mettre en garde le lecteur face aux dangers du cheminement qui lui est proposé. Ce sont deux parcours de vie qui nous sont présentés, ici. Deux itinéraires singuliers. Entre le personnage de Niko qu’il nous est donné de voir grandir, marqué par une naissance peu orthodoxe et un mutisme complet, ce personnage muet, au physique d’Apollon tant qu’il n’offre pas un sourire malencontreux révélant l’horreur. Niko est un anonyme. C’est d’ailleurs ce que signifie son nom. Il vit enfermé dans sa solitude et son imagination fertile, se liant d’amitié avec une chèvre faute d’humain disposé à l’extraire de sa bastille…

« Son visage et le reste incarnaient l’harmonie et la grâce. Mais lorsque, pour sourire, il dévoilait les dents aussi immenses que miteuses et désordonnées, il paraissait un singe à certains, un démon à d’autres. Il fallait être habitué ou averti pour soutenir ce sourire sans manifester aucun signe de répulsion. » Chap. 7, 120.

Tout bascule quand la recommandation du père distant n’est pas respectée.

« Je t’avais pourtant dit de ne jamais céder à ceux qui ont les réponses. » Chap.10, 185.

J’ai encore les tripes nouées quant à la tournure que prennent les événements pour ce jeune homme. C’est d’ailleurs l’une des postures de Gilbert Gatoré, de ne pas donner de réponse aux nombreuses questions qu’il pose, de ne pas se poser en juge. Il n’affirme rien, il interroge ; les certitudes semblent trop engagentes, trop destructrices pour lui ou pour ses personnages. C'est une posture délicate que j'avais déjà ressenti en lisant le chef d'oeuvre de Toni Morrison, Beloved. Une mère tue son enfant. Un homme laisse exploser sa violence intérieure longtemps tue, il massacre et il coordonne des tueries.

Isaro prend le chemin inverse. Du moins la narration proposée à son sujet est plutôt un travail de reconstitution, un travail de mémoire. Alors que dans son exil doré, surprotégée par ses parents adoptifs, elle semble avoir étouffée son passé, un flash info à la radio va tout faire remonter à la surface. Comme un tsunami, tout son univers policé va être ravagé, révélant de vieilles blessures purulentes.

« Elle est contente de constater que ce monde, qui ne doit avoir changé en rien, lui est devenu totalement étranger aujourd’hui. Ce n’est qu’en songe qu’elle y retourne et s’entend poser la question qu’elle avait formulée, après l’obligatoire ronde de bises :
– Vous avez écouté les informations ce matin ?
Personne ne releva son intervention, alors elle recommença :
– Vous avez entendu ce sujet incroyable sur les prisons ?
– Oui, tu veux dire là où ils se sont massacrés il y a quelques années ? Qu’est-ceque tu veux, une horreur pareille implique beaucoup de coupables donc beaucoup de prisonniers. C’est normal.
– Que veux-tu ?…
– C’est terrible, mais bon… ajouta une voix sur un ton compatissant, en levant ses deux mains et en les lâchant sur ses deux cuisses, comme pour conclure. »
 page 28, collection 10-18.

Isaro monte un projet dont la finalité est de constituer un recueil de témoignages sur cette folie meurtrière auprès des prisonniers de ces fameuses prisons rwandaises et elle embarque pour ce pays. Le reste, il faut le lire. La structure narrative est parfaitement élaborée. On passe d’un personnage à l’autre sans difficulté. Seul notre regard évolue. Le lecteur est tenaillé. Parce que les interrogations des personnages quand ils doutent, l’interpellent. Quand les sables mouvants les absorbent, on a dû mal à se différencier de cela, de ça. Car la lumière comme la part de ténèbres est en nous. Et c’est là toute la force, toute l’intelligence de ce magnifique roman. Les avertissements de l’auteur ont donc du sens.

Bonne lecture,
 

Lareus Gangoueus, chronique initialement parue sur son blog

Gilbert Gatoré, Le passé devant soi
Edition Phébus, collection 10-18, 184 pages, 1ère parution en 2008
Prix Ouest France /Etonnants voyageurs, 2008

 

 

Chinua Achebe : Le monde s’effondre

Chinua ACHEBE est sûrement l’un des plus grands écrivains africains encore en vie. Un précurseur. Son roman « Le monde s’effondre » est né d’un sentiment de révolte et d’un désir d’apporter un témoignage afrocentré sur une Afrique pré coloniale et sur le choc des premières rencontres avec l’Occident. Il s'agit encore aujourd’hui du roman africain le plus vendu dans le monde. Cette oeuvre a fêté ses cinquante ans en 2008.

L'auteur suit les traces d’Okonkwo, guerrier et grand agriculteur qui projette de redorer le blason de sa famille terni par un père assisté et paresseux. Le cadre de l'histoire est celui d’un clan ibo, groupe de population du Sud-est du Nigeria dans le contexte d'une Afrique pré coloniale. Chinua ACHEBE brosse donc le portrait d’un homme rude, complexé, ambitieux qui veut s’accomplir et devenir une figure de son clan. Dans une écriture que la traduction de l’anglais de Michel Ligny semble nous révéler très sobre, le romancier narre cette ascension progressive, son apogée puis l’exclusion inattendue du clan. La force de ce roman réside dans la description très rigoureuse qu’il fait des fondements structurels de cette communauté. Les croyances, les rites initiatiques, les cérémonies funéraires, nuptiales, liées à la production agricole ou à la justice, les valeurs collectives, les relations avec les autres clans, les sacrifices humains sont tous relatés avec objectivité et lucidité. Sans complaisance, sans auto-flagellation. Le personnage d’Okonkwo contraint à l’exil avec toute sa famille (dont trois épouses) suite à une transgression grave du code du groupe est amené à prendre du recul, à observer l’hospitalité de son clan maternel et de percevoir les premiers échos de l’arrivée de l’européen en terre ibo. Contact fait d’incompréhension et de premiers heurts violents.

Le monde s’effondre. L’écrivain décrit dans un second temps avec érudition le choc des civilisations matérialisé par l’arrivée des premiers missionnaires chrétiens, la portée de leur message évangélique, les dérapages liés à la collusion de certains missionnaires avec le pouvoir administratif colonial et les sociétés traditionnelles dont l’unité spirituelle est brisée par l‘émergence de la communauté chrétienne naissante, mais également la remise en cause de certaines pratiques comme l’infanticide des jumeaux. Une tentative de dialogue est amorcée mais, malheureusement, elle ne sera pas pérenne. Le reste est une histoire d’orgueil, de peur, de haine et d’ignorance.

J’ai rarement lu un ouvrage dont l’auteur avait une aussi bonne connaissance de la doctrine chrétienne et des croyances traditionnelles africaines.Un texte complet qui reste d'une extrême actualité. Chinua ACHEBE a reçu en 2007 le MAN BOOKER INTERNATIONAL PRIZE, pour l’ensemble de son œuvre qui récompense les grands auteurs de langue anglaise. Il succède à Ismaïl KADARE.

Lareus Gangoueus

Things fall apart (Le monde s'effondre) de Chinua ACHEBE

1ère parution 1958
Traduction de l'anglais, Michel Ligny
Présence Africaine

 

Tierno Monemembo : L’aîné des orphelins

Tierno Monemembo raconte l'histoire de Faustin Nsenghimana. On ne sait pas grand-chose de ce jeune homme de 12 ans. Quand commence ce roman, il hésite à suivre la foule de badauds. Les massacres sont en cours. Il est seul. Ayant refusé l’invitation de Funga, le sorcier de son village, de le prendre sous sa férule.


Le texte est un cheminement que le lecteur fait avec cet orphelin. Trois ans. Après la folie du génocide des Tutsi du Rwanda. Faustin est un métis. Hutu, tutsi.

La construction de ce roman est assez sophistiquée. L’écriture de Monemembo n’est pas linéaire. Il choisit de lever le voile progressivement sur la personnalité de Faustin par le biais de ses relations avec les enfants de la rue, par les interrogatoires de police, par son interprétation, son déni ou ses absences sur ce qu’il a enduré, par sa relation fantasmée avec Claudine…

Ce sont les vagabondages de sa pensée depuis les geôles rwandaises qui nous sont ensuite transmises. Là encore, il y a un malaise, parce que le lecteur n’a aucune idée des mobiles de son incarcération. La chose qui semble certaine, c’est la solitude de cet adolescent dans la promiscuité d’une prison où acteurs du génocide et délinquants de droit commun se côtoient. Et sa personnalité retors apparaît peu à peu, au fil de ses évocations.

Comment exister quand on a tout perdu ? Comment poursuivre sa route quand on n'a plus de repère ? C’est à cette difficile question que Tierno Monemembo s’attache à répondre en prenant le soin d’interroger le sort des orphelins du génocide rwandais. Il offre, à l’instar de L’ombre d’Imana de Véronique Tadjo, un témoignage dense, bouleversant et magnifique. Des dernières pages de ce roman se dégagent une puissance et une émotion que je ressens encore en pianotant sur mon clavier. Mais au-delà de la folie, on est désemparé par la complexité de la nature humaine. Ce roman est porté par une sorte d’optimisme de Faustin et le sentiment d’une enfance trop tôt éteinte. Il est soutenu par l’espoir de Claudine qui déploie toutes ses compétences et sa personne pour trouver une voie de sortie à l’aîné des orphelins.

Un livre à lire et à faire lire. Je suis particulièrement heureux de découvrir cet auteur au travers de ce texte, et si le Roi de Kahel est de la même facture que ce roman, je comprends l’attribution du Renaudot à cet auteur guinéen.
 
Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog
 
Editions du Seuil, 1ère parution en 2000
157 pages

Alain Mabanckou : Le sanglot de l’homme noir

Loin de l’Europe et de l’Afrique, le romancier et essayiste français d’origine congolaise porte un regard sur la condition de l’homme noir en France. Le titre ne manquera pas d’interpeller, d’énerver ou de conditionner le lecteur qui abordera ce texte. Mais il est important de rappeler qu’il fait écho à un essai de Pascal Bruckner, le Sanglot de l’homme blanc où cet auteur s’insurge sur plusieurs décennies d’auto flagellation et de culpabilité européenne sur la question du Tiers Monde. On sent dès le départ que si l’homme blanc pleure à chaudes larmes, l’homme noir n’est pas épargné, lui aussi à un gros chagrin. Il est dans l’ère du temps de pleurnicher sur nos angoisses respectives ou communes, c’est selon.
 
On trouve également dans ce titre, le premier élément d’une intertextualité dont Alain Mabanckou va prendre du plaisir à se servir pour glisser des références littéraires, renvoyant le lecteur à des œuvres explicitant le cheminement de sa pensée. Dès l’introduction, la lettre adressée à son fils est une indication forte qui bien entendue fait penser à la lettre de James Baldwin à son neveu dans son célèbre essai La prochaine fois, le feu. Ici, les mises en garde concernent le danger du conformisme, des postures victimaires sur lesquelles se fonderait une communauté noire de France. La conclusion de cette note est intéressante et elle lance l'ouvrage :

« Je  t'ai adressé cette missive comme une sonnette d'alarme afin que tu ne tombes pas dans ce piège. Tu es né ici, ton destin est ici, et tu ne devras pas le perdre de vue. »

Page 20, édition Fayard
Les différents chapitres permettent à Alain Mabanckou de développer avec des tonalités différentes, son point de vue sur de multiples aspects de son parcours individuel l’ayant conduit de Brazzaville, capitale congolaise, à Nantes ancien grand port du fameux commerce triangulaire avant de devenir par un étrange concours de circonstances le centre administratif des archives des français nés à l’étranger. 
 
Tantôt, il met en scène un dialogue intracommunautaire avec la gouaille et l'ironie qui est sa marque de fabrique pour mieux faire entendre la voix de l’immigré noir diplômé contraint  aux tâches de vigiles ou d’agents de sécurité. Tantôt le propos de Mabanckou est beaucoup plus technique, quand il règle quelques points sur la posture de certains écrivains, intellectuels d’Afrique francophone, dont il dénonce les postures dogmatiques et militantes sans que celles-ci ne se traduisent par un jusqu’auboutisme de la démarche. En particulier quand il traite de la question de la littérature africaine en langue africaine, l'idée d'écrire sans la France, là où il n’y a pas de politique de promotion des langues nationales dans les structures de l’éducation nationale des pays francophones.
 
Alain Mabanckou est un excellent funambule qui distribue ses uppercuts avec efficacité et avec équité, comme lorsqu’il aborde la question de l’identité nationale française en l’illustrant à l'aide d'une rencontre faite quelque part aux USA, avec un franco-normand qui interpelle l’essayiste franco-quelque chose sur ses origines.  La réflexion de l’auteur sur le regard que ce français que le commun des mortels qualifierait de souche, qui ne peut terminer une phrase sans placer un « you know ? » et qui ne comprend les esquives du nègre forcément originaire d’ailleurs, parlant une langue française maîtrisée, lui dont les parents sont français nés dans une colonie d’outre-mer, dont Brazzaville fut un temps la capitale de la France libre…
 
Le romancier français parle du parcours singulier de celui qui fut un étudiant en droit à Nantes venu de l’Afrique équatoriale, puis consultant dans une grande boîte française tout en construisant en parallèle une œuvre littéraire à Paname avant d’enseigner les littératures francophones dans le Michigan puis en Californie à UCLA. 
 
Ce texte pertinent n’est cependant pas exempt de tout reproche. Heureusement d’ailleurs. On peut reprendre l’écrivain français sur certains points comme lorsqu’il dit à propos de la Traite négrière : 

« Pourtant, il serait inexact d’affirmer que le Blanc capturait tout seul le Noir pour le réduire en esclavage. La responsabilité des Noirs dans la Traite négrière reste un tabou parmi les Africains, qui refusent d’ordinaire de se regarder dans le miroir. Toute personne qui rappelle cette vérité est aussitôt taxée de félonie, accusée de jouer le jeu de l’Occident en apportant une pierre à l’édifice de la négation. » 

Page 117, édition Fayard 
Quand on pense que l’auteur insiste sur les spécificités des parcours des hommes noirs en France, dont les sanglots sont différents suivants qu’ils viennent des DOM-TOM, des anciennes colonies, d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale, on est en droit de se demander comment il oublie qu’au moment de la Traite négrière, le concept de Noirs n’existe  pas en Afrique, mais que ce continent est une constellation de nations qui se font la guerre et dont les prisonniers de guerre des royaumes côtiers servent souvent de ressources pour les négriers. Peut-on parler de trahison à ce moment, dans ce contexte très précis ? Le noir n’est-il pas une identité occidentale qui ne peut s’appliquer au contexte de la capture de l’esclave, quelque soit sa forme ?
 
Il y a d’autres petites questions qui méritent d’être scruté à la loupe, mais ici, Alain Mabanckou écrit un texte qui fera forcément réfléchir blancs, noirs, arabes, français, africains. Ma critique est déjà un peu longue. Je vous souhaite une bonne lecture en vous espérant nombreux à donner votre feeling sur ce texte.  
 
Par Gangoueus
Edition Fayard, 1ère parution le 4 janvier 2012
 
Voir l'article de David Kpelly sur cet essai et rendez-vous ce samedi  au Musée Dapper avec l'essayiste congolais.

Contre Biya – Procès d’un tyran

Cet essai dont le titre ne présente aucune équivoque, est un recueil d’interventions publiques de Patrice Nganang, romancier et universitaire camerounais basé à New York où il enseigne la théorie littéraire. Ce livre rassemble des prises de position tranchées avec la hargne qui caractérise l'auteur, le style littéraire en moins. Il n’est pas question d’esthétique ici, mais le prolongement d’un discours qui apparait déjà dans son œuvre romanesque, avec les gants en moins.

Il procède à une attaque irrévérencieuse contre la personne de Paul Biya, président du Cameroun depuis 29 ans au moment où ce dernier brigue un nouveau mandat en ayant modifié la constitution de son pays, puis porte son analyse contre les intellectuels camerounais en vue, ceux qu’il estime et qui l’inspirent, ceux qui se sont compromis, ceux que le système a anéantis. Il porte également son regard sur la société civile camerounaise, sur la jeunesse de ce pays, victime du pouvoir du palais d’Etoudi. Puis il analyse deux arrestations arbitraires, emblématiques selon lui, du pouvoir despotique de Paul Biya, à savoir le cas de l'artiste musicien Joe la Conscience (dont le fils de onze ans fut abattu pendant que ce dernier était incarcéré à Yaoundé) ou encore, celui récent de l'écrivain Bertrand Téyou, coupable d’avoir écrit un pamphlet contre la première dame du Cameroun (selon l’auteur).

Ceux qui ont lu Temps de chien, reconnaitront là l’auteur proche des sous-quartiers et qui rêve d’un avenir meilleur pour ses compatriotes, sans Paul Biya. Si on peut saluer le courage et la fidélité de Patrice Nganang dans son combat et dans sa ligne de pensée, je dois reconnaitre que l’irrévérence voulue de son propos et la fixation exclusive sur la personne de président camerounais me laisse perplexe. D’abord, parce qu’on pourrait avoir la naïveté de croire que si Paul Biya disparaissait les problèmes de ce pays disparaitraient comme par un tour de magie. C’est à mon avis une des limites du propos qui s’il a la même tonalité d’un Mongo Béti sur la forme, il s’attaque moins à un système qu’à une personne. Contrairement au célèbre auteur de Main basse sur le Cameroun qui, si son propos était méprisant à l’égard d’Amadou Ahidjo, c’est avant tout parce que le despote était le représentant de la Françafrique. De ce point de vue, Patrice Nganang est beaucoup plus modéré que l’essayiste disparu.

Patrice Nganang

Il me semble également que l’irrévérence est un legs dangereux même pour ceux qui auront la légitimité du pouvoir qu’ils obtiendront parce que la fonction et la personne qu’il l’incarne aura été démystifiée. C’est un point de vue. Ce que nous semons, nous le récolterons. L’irrévérence atténue la portée du discours aussi juste soit-il. La progression dans l’ouvrage m’a néanmoins permis de dépasser le malaise sur ce point pour aborder les prises de position passionnantes et passionnées de l’universitaire camerounais qui rend un hommage à ceux qui combattent le système de l’intérieur et le paie au prix fort. Pour moi, qui connait un peu mieux le Congo, lire que Biya est un tyran a quelque chose de surprenant, tant l’homme dégage une image différente des grands despotes que furent Mobutu, Eyadéma ou Kadhafi, mais en illustrant son discours par des exemples précis, on ressent la réalité du système actuel oppressant qui sévit au Cameroun.

On regrettera le fait que souvent, le contexte de parution ces tribunes ne soit pas précisé, ni quels journaux les ont relayées (surtout si ce sont des journaux locaux). Une série de textes qui méritent une attention certaine.
 

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog Chez Gangoueus

 

Editions Assemblage – paru en 2011 – 168 pages.
 
Notez que Patrice Nganang a obtenu la mention spéciale du Jury dans le cadre du Prix des Cinq Continents pour son roman Mont-Plaisant.
 
Voir également les chroniques des journaux Le Jour, ICI CEMAC

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