Véronique Tadjo : Loin de mon père

Veronique Tadjo Loin de mon pèreNina est une jeune femme vivant en Occident qui rentre en Côte d’Ivoire à l’occasion du décès de son père, le docteur Kouadio Yao, un des premiers cadres de ce pays. Elle semble avoir quittée ce pays depuis longtemps. Nina nous conte ce retour contraint pour les funérailles du père. Un élément intéressant à savoir est que chez les populations du sud de la Côte d’Ivoire, ces funérailles peuvent être extrêmement longues et durer plusieurs semaines voir plusieurs mois.

Nina est assistée par la famille de son père qui prend en charge l’organisation de la veillée funéraire, laissant à la jeune femme le temps de mettre de l’ordre dans les affaires de son père, de mieux se remémorer divers souvenirs sur cette figure emblématique que fut son père, son enfance, sa mère européenne qui a suivi son homme en Afrique, sa sœur aînée, rebelle et en rupture avec la famille. Le souvenir d’une enfance et d’une adolescence dans un pays apaisé. Mais la Côte d’Ivoire a changé depuis la rébellion de 2002.

Les comportements ont évolué. La corruption s’est installée, les armes sont beaucoup plus visibles. Nina poursuit ses investigations dans la paperasse du père et découvre ses créances, ses ambitions brisées pour son pays, les errements d’un intellectuel africain éternellement écartelé entre son savoir scientifique et les exigences d’une société ancrée dans ses traditions, les raccourcis irrationnels… Nina mesure la pression sociale exercée sur cet homme généreux. Mais ce n’est que la face cachée de l’iceberg, quand elle découvre les frères et sœurs que le docteur Kouadio a toujours caché à ses filles aînées, Nina tombe de très haut

Je suis avec beaucoup d’intérêt la production littéraire de Véronique Tadjo. J’aime son originalité, la pertinence de son discours, sa manière de dénoncer l’air de rien de nombreuses tares de ces sociétés africaines. Ici, encore, elle met le doigt sur tout le faste qui entoure ces funérailles, mais elle montre surtout la posture complexe de l’intellectuel africain. Certes, ici il s’agit d’une figure de la génération des indépendances, polygame dans l’âme malgré un progressisme de façade. Mais c’est aussi une plongée dans l’hypocrisie familiale qui entoure souvent les couples mixtes en Afrique, où les enfants sont élevés dans des cercles de mensonges.

Le personnage principal exprime sa rage face à cette figure si aimée mais si méconnue que fut son père. L’écriture de Véronique Tadjo est simple, sans emphase particulière, l’émotion et l’intérêt naissant des maux narrés plus que mots usités. C’est que j’aime, chez cette auteure, la richesse et la justesse de son propos.

 


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Véronique Tadjo, Loin de mon père

Editions Actes Sud, 177 pages,

1ère parution 2010

Revue parue initialement "Chez Gangoueus"

 

« Ala te sunogo » – Le BlonBa du Mali au Grand Parquet de Paris

Je découvre le Grand Parquet. Un théâtre assez singulier. Dans un de ces quartiers populaires  du nord de la capitale française, Il pourrait faire penser au Lavoir Moderne Parisien où je suis déjà passé voir deux pièces. Sensation particulière, parce que l’on est sous une tente. Une sorte de yourte mongole. ET on entend le fond sonore du quartier qui vit pendant le début de la représentation, puis on oublie.  La lumière s’éteint. Je n’ose pas maintenir mon ordinateur portable allumé pour ma prise de note.

Je suis dans le RER qui me ramène à la maison. Je commence la rédaction de mes impressions à chaud… La pièce a été assez courte avec un public assez restreint. J’ai apprécié Ala te sunogo – Dieu ne dort pas. D’abord sur le plan d’une thématique qui je l’espère ne sonne pas comme le chant du Cygne pour l’aventure du Blonba. Pour comprendre mon propos, il est important de lire l’interview que m’a accordé l’an dernier, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, co-animateur du Blonba, une des rares structures de production culturelle africaine indépendante. Des ennuis fonciers, le coup d’état du capitaine Sanogo et la tentative de prise de Bamako par les islamistes d’Ansar-dine et Mujao sont passés par-là.

Le thème :

Un jeune opérateur culturel bamakois trouve dans ses locaux, un inspecteur fiscal véreux extrêmement motivé pour lui extorquer des fonds. L’homme ne prend même pas le temps de faire un véritable état des lieux du bar culturel que tient Cheikhna. Il est fonctionnaire privatisé qui compte se payer sur la bête et pour qui les nouvelles lois fiscales n’ont aucun effet, si elles ne vont pas dans le sens de sa prédation. Cheikhna incarne dès le départ  la figure angélique du résistant au système qui refuse de se soumettre au diktat du fonctionnaire de petite semaine. Mais sa résistance ressemble à une vanité tellement l'appareil d'état est corrompu. Il rejette en bloc toutes les approches coercitives mais également coutumières comme la gérontocratie dont use le fonctionnaire…

ala tè sunugoDans un autre côté, il y a Solo, un jeune homme qui dort dans la rue. Il fait la rencontre de Goundo, une jeune femme altruiste que la posture de ce sans abri des tropiques ne rebute. L’échange avec prend une forme singulière, sourd muet, notre bonhomme ne s’exprime que par la danse, la danse contemporaine avec grâce, virilité et originalité. Goundo prend fait et cause pour Solo qu’elle veut extraire de sa condition.

J’aimerai d’abord souligner que j’ai passé un très bon moment. Le BlonBa m’a de nouveau surpris par l’originalité d’une pièce qui parle sans fard des maux qui rongent la société malienne : la corruption, le m’en-foutisme. Comme Vérité de Soldat, le BlonBa met le doigt là où cela fait mal avec des acteurs qui habitent réellement leur rôle, avec colère ou beaucoup d’humour. La pièce analyse aussi sur le plan culturel, une forme d’herméticité de la société malienne, comme la tentative de greffe d’un concept aussi exotique que la danse contemporaine dans les habitudes du pays, même pour un opérateur à l'avant-garde.

BlonBa et quotidiens maliens :

Cette pièce a été écrite avec les tripes. Qui connait l’histoire de ce concept culturel indépendant initié par Alioune Ifra N’Diaye qui connaissait quelques difficultés avant le coup d’état du capitaine Sanogo, peut se poser la question si cette pièce ne prend pas d'un signal douloureux. Nous ne l'espérons pas. La rage du rappeur Ramses qui joue un rôle fera penser forcément à Ifra N’Diaye et elle traduit la frustration d'un homme face à un système qui semble toujours avoir vu d’un mauvais œil son initiative. Les redressements fiscaux qui tombent sur Cheikhna, l’opérateur culturel, sont dans ce scénario le simple fait d’un fonctionnaire auto-entrepreneur et entreprenant sur les ressources d’autrui. Hum!

Cependant, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, metteur en scène et coanimateur du Blonba ne s’apitoie sur lui-même en portant le regard sur un autre itinéraire de vie, celui de ce jeune danseur « contemporain » qui cherche sa place dans la société.

Difficile de terminer cette chronique sans évoquer Bougougniéré. Super-Bougou. Un sujet à part entière qui mériterait un article. Une pièce que je recommande, à voir au Grand Parquet, pas très loin de la Gare du Nord (Paris – France).


Ala te Sunogo – Dieu ne dort pas

Compagnie BlonBa

Mise en scène Jean-Louis Sagot-Duvauroux

Prochaines représentations

Trois représentations vont être donnée dans cette agglomération
Le 22 mai 20h30 à Saint-Michel-sur-Orge (91) – 01 69 04 98 33 Espace Marcel-Carné
Le 29 mai 15h et le 31 mai 20h30 à Morsang-sur-Orge (91) – 01 69 25 49 15 L'Arlequin
Et encore 4 dates à Paris au Grand Parquet, Paris 18e
jeudi 23, vendredi 24, samedi 25 à 20h et dimanche 26 à 15h – 01 40 05 01 50 Le Grand Parque

Première parution et Illustrations – Chez Gangoueus, 6 Mai 2013

Patrice Nganang, La saison de prunes

J’ai commencé la lecture de ce roman par un malentendu. Pourquoi les camerounais appellent-ils le fruit du safoutier une « prune » ?  Car derrière ce titre un peu étrange, voir un peu exotique pour qui s’intéresse à l’arboriculture, c’est par la saison de safous, pardon la saison de prunes, que Patrice Nganang commence son évocation d‘une période de l’année singulière en terre camerounaise. A cette époque, un jeune cadre de l’administration coloniale, poète à ses heures perdues, Louis Marie Pouka décide en cette année 1940, douloureuse pour la France et ses colonies, de partir en vacances à Edéa, en pays bassa. Son père y vit. Géomancien de son état, influent dans cette localité. Ne s’arrêtant pas seulement aux petites gens qui viennent solliciter ses « dons », M’Bangue – c’est son nom –  annonce avant l’heure le suicide d’Hitler.

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Pouka retrouve à cette occasion d’autres amis à Edéa dont Fritz et Ruben Um Nyobé (oui, le futur leader de l’UPC). Louis-Marie Pouka a l’ambition de créer un cénacle de poètes en langue française dans son fief. Ses amis y voient un acte de folie. Le poète se lance avec la conviction du juste dans ce projet audacieux et, disons-le, décalé. De la foule très nombreuse en quête d’emploi qui accourt à son annonce de recrutement, il retiendra une demi-douzaine d’illuminés qu’il rebaptise à la gloire de grands poètes disparus… En travaillant à la fois sur la personnalité de Pouka et celles de ses adeptes qui se réunissent dans un tripot aux allures de bordel, ainsi que le microcosme qui gravite autour d’eux Patrice Nganang pose une description très pertinente du petit monde d’Edéa entre les fonctionnaires ou hommes indépendants revenant des grandes villes camerounaises, des femmes, souteneuses ou épouses.

Quatre personnalités de ce roman foisonnant de portraits se dégagent. Bilong, l’adolescent impétueux, imbu de lui-même, audacieux et rêvant de se faire une place parmi les hommes. Ahoga, le faux hilun, broussard un peu perdu dans ce cénacle, magnifique chantre de la tradition orale bassa, Philotée, le bègue, aussi jeune que Bilong et Hebga, le cousin bucheron de Pouka, qui ne fait pas partie du cercle, mais dont le rapport avec Pouka est d’abord celui très intime du talent que ce dernier, dans son adolescence avait pour porter une parole qui sublime la puissance physique d’ Hebga et le pousser au dépassement de soi pour le meilleur comme pour le pire.

Dans cette première phase du roman, la question du sens de la littérature et de la parole dans une société qui se forme est intéressante. Cette prise de parole est essentielle même si on peut se poser la question de son fondement et du genre employé, la poésie, pour former des illettrés à la recherche d’un emploi.

Le sarcasme de l’écrivain sur cette question est très caractéristique de son discours et on peut penser d’une  certaine manière que NGanang ne se fait pas trop d’illusion sur la place de la littérature dans une société qui se cherche. Ecoutez, Bilong expliquer la démarche à sa belle nommée Nguet, une wolowos, l’esprit du cénacle.

« Qu’est ce que vous faites là-bas ? » lui avait-elle demandé avec curiosité, après lui avoir apporté l’eau. 

C’était Nguet.

« Ecrire », lui avait dit Bilong. Il but dans le gobelet que lui avait donné, les jambes écartées pour laisser les gouttes impregner le sol.

« Ecrire quoi ? avait continué la Nguet

Des rimes. »

Les autres femmes avaient réagi.

« C’est quoi, ça ? »

« On mange ça ? »

Page 208, Editions Philippe Rey

Le contexte de ce roman est celui la construction de la France libre à partir des colonies qui sont pour la plupart vichystes à la fin 1940, excepté le territoire du Tchad que dirige le gouverneur Félix Eboué. Assez rapidement, entre en scène autre personnage historique, le capitaine Leclerc qui arrive à Edéa en pirogue. Cet homme à tout faire de Charles de Gaulle, stratège futé, va construire pas à pas une légitimité au discours de Gaulle exilé en Angleterre en prenant Yaoundé avec le soutien d’Eboué, et en organisant avec quelques officiers, la formation des tirailleurs qui vont constituer la Force noire qui partant d’Afrique subsaharienne vont remporter les premières victoires significatives françaises pendant ce conflit à Murzuk et Koufra dans le désert du Sahara face aux troupes italiennes.

Edéa étant une plaque tournante, selon Nganang, de ses troupes de tirailleurs, plusieurs membres du cénacle sont embrigadés dans ces contingents et armés de la parole construite avec Pouka, ils vont nous raconter cette guerre de l’intérieur.

« Il (Hegba) faisait partie du contingent, lui – dans lequel les sénégalais n’étaient pourtant pas nombreux. C’est une paresse française que personne n’a corrigée, car le Sénégal, alors vichyste, n’avait pas jusque là fourni de tirailleurs à de Gaulle ; de plus, il lui a infligé sa première véritable défaite militaire du 23 au 25 septembre 1940 […] En tout cas le premier contingent de soldats au Tchad venait du Sénégal. On racontait que c’est parce que ces sénégalais ne voulaient pas tirer sur des tchadiens, comme leur ordonnaient leurs officiers supérieurs, et manquaient toujours ceux qu’ils devaient mettre en joue, qu’on les avait appelés tirailleurs. Qui sait ? Toujours est-il que les Français désignèrent bientôt tous les soldats africains de leur armée comme « tirailleurs », et tous les africains qu’ils recrutaient comme « Sénégalais ». C’était commode. C’était simple. Comme toute injure »

Page 170, éditions Philippe Rey 

C’est l’âme du tirailleur « sénégalais » – qui paradoxalement  ici est bassa –  que nous restitue avec brio le romancier camerounais. L’initiation de Pouka, va servir à l’élaboration du discours de ces tirailleurs. Ce roman participe à donner, selon ma lecture, un sens très particulier à la question de la France libre et des enjeux que celle-ci a dû surmonter pour reconstituer une identité nationale française mise à mal par l’occupation nazie et la collaboration vichyste. De Gaulle n’aurait pas existé devant Churchill sans ces victoires en Afrique de Leclercq, sans cette chair à canon qu’ont été les tirailleurs « sénégalais » dans le désert du Sahara.

Ce roman participe donc à l’exploration de tous les non-dits de cette période douloureuse, mais qui dicte des comportements entre postcoloniaux et français. Comme tout roman historique, il faut naturellement identifier ce qui relève de la fiction et ce qui est avéré et je pense que l’ambition de Patrice Nganang se situe dans cette invitation à creuser le sujet.

Je terminerai en disant que cet auteur n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait des romans où subrepticement il laisse exprimer son rire qui désamorce le dramatique. Ce texte est donc utile. A lire et à  faire lire.

 


Patrice NganangPatrice Nganang (1970 – ) est un écrivain camerounais. Docteur en littérature comparée (Johann Wolfgang Goethe University – Francfort) et professeur de littérature à la Stone Brook University de New York, son second roman Temps de chien a reçu le Prix Marguerite Yourcenar (2002) et le Grand Prix de Littérature de l'Afrique Noire (2003).

La saison des prunes est son cinquième roman.

Editions Philippe Rey, 445 pages, 1ère parution en avril 2013

www.philippe-rey.fr

Tayeb Salih : Saison de migration vers le nord

J'évolue sous influence. Je m'explique. Marchant dans une FNAC à mes heures perdues, je suis tombé par le plus grand des hasards  en littérature africaine et tout de suite, mon attention s'est focalisée sur Tayeb Salih et son roman Saison de migration vers le nord. Il faut croire que les effets de ma lecture de l'essai Quand l'Afrique réplique de James Currey font mouche. L'éditeur d'Africans writers séries parle du romancier soudanais comme de l'un des plus grands auteurs publiés par sa célèbre collection. Je ne risque rien. Sauf qu'entre plusieurs lectures sur lesquelles je rame, je me bats, j'ai commis l'acte irréparable de lire la première page de ce roman et j'ai été littéralement happé par le récit de l'écrivain soudanais. C'est aussi à cela qu'on peut apprécier un bon bouquin. Un style fluide, maitrisé, un poil classique. Une histoire. Un homme, Moustapha Saïd. Des femmes. Une époque. Des lieux. Deux mondes. Le Soudan rural et l'Angleterre des années 20. Un narrateur.

 

Un jeune étudiant après de longues années en Angleterre retrouve son bercail et les membres de son clan quelque part sur les berges du Nil au Soudan, loin de Khartoum. C'est une atmosphère qui lui a manqué. L'action se situe dans les années 40. Alors qu'il déblatère sur sa vie européenne au milieu de cette foule d'amis et de parents qui ont dû mal à concevoir le monde qu'il raconte, notre étudiant remarque l'attitude impassible d'un homme. Moustapha Saïd est étranger qui a récemment acheté un lopin de terre, où il vit discrètement. On ne sait rien de lui. Intrigué, le jeune étudiant va tenter de démasquer cet  homme qui va se réveler être un personnage hors du commun. Mais je n'en dirai pas plus car la qualité de ce roman est de comprendre.

Tayeb Salih est considéré comme l'un des plus grands écrivains de langue arabe. J'ose bien le croire à la fin de la lecture de ce roman passionnant qui nous parle d'un de ces chocs de cultures magnifiques que la colonisation a produit. Les thématiques abordées touchent le machisme, la solitude, la passion sexuelle , la liberté tout cela sur un fond de colonisation et de rencontres inédites des humanités. 

L'écriture de Tayeb Salih est tout simplement sublime, vacillant entre une forme poétique et une prose rigoureuse et élaborée. C'est le genre de texte dont on ne décroche pas car le romancier soudanais donne à voir par son style magnifique, la noirceur de l'âme et l'incompréhension qui conduit au chaos. Il offre le portrait complexe d'un de ces premiers grands cadres africains qui va se perdre le temps d'une migration vers le nord. En bonus, pour ceux qui comme moi, ne se représente pas le Soudan, certaines descriptions éveilleront le globe-trotteur qui sommeille en vous. Le Nil, le désert. Bon, après, votre banquier calmera peut-être vos désirs de voyage.

Pensées du narrateur :

A Londres, en été, après l'orage, je pouvais sentir l'odeur de mon village. Dans des instants dérobés, juste avant le crépuscule, tel village s'imposait à ma vision. Des bruits étrangers, des voix, les soirs de fatigue ou bien au petit matin, me parvenaient comme des voix familières. Je suis sûrement de la race des oiseux sédentaires. Et d'avoir étudié la poésie ne signifie rien, le génie, l'agronomie ou la médecine sont autant de gagne-pain. Les visages, là-bas, je les imaginais bruns ou noirs, et je reconnaissais en eux les miens. Ce n'est ni meilleur ni pire ici que là-bas. Mais je suis, pareil au palmier dans notre cour, originaire de cet endroit. Et le fait  que ceux de là-bas soient venus chez nous doit-il empoisonner notre présent et notre avenir?Pareil à d'autres envahisseurs à travers l'Histoire, ils devaient, tôt ou tard, s'en aller.

page 55, éditions Actes sud, Collections Babel

Publié originellement sur http://gangoueus.blogspot.fr/2012/11/tayeb-salih-saison-de-migration-vers-le.html


Tayeb Salih, Une saison de migration vers le nord

Éditions Actes Sud, collection Babel Sindbad, 172 pages
Traduit de l'arabe par Abdelwahab Meddeb et Fady Noun
Titre original : Mawsim al-jira ilâ al-shimâl paru en 1969

   

Interview d’Alain Mabanckou, co-organisateur du festival Etonnants Voyageurs à Brazzaville

Mabanckou ©Alain Mabanckou est un auteur majeur sur la scène littéraire française et africaine. Ses textes sont traduits dans une douzaine de langues aujourd’hui. Il a obtenu de nombreux prix littéraires parmi lesquels le prix Renaudot 2006 pour Mémoires de porc épic ou le Grand Prix de littérature de l’Académie française 2012 pour l’ensemble de son œuvre. Son dernier livre, Lumières de Pointe-Noire (Seuil, 2013) est classé parmi les meilleures ventes de livres en France. Du 13 au 17 février derniers il a codirigé le Festival Etonnants Voyageurs qui s’est tenu à Brazzaville.

Alain Mabanckou, bonjour. Vous avez milité depuis plusieurs années pour que le festival Etonnants Voyageurs puisse poser également ses malles en Afrique centrale, à Brazzaville, la capitale de votre pays d’origine. Pouvez-vous revenir sur ce long lobbying discret qui a fini par porter ces fruits ?

Bonjour. En effet cela faisait quelques années que je souhaitais que le festival Etonnants Voyageurs se déroule en Afrique centrale, parce que la plupart des rendez-vous culturels importants sur l’Afrique se passent généralement en Afrique de l’Ouest (cinéma, photographie, etc.). Brazzaville, capitale reconnue comme le bastion de grands écrivains était le lieu tout indiqué. Je connaissais déjà le festival Etonnants Voyageurs de Bamako, j’y suis allé à toutes les éditions. L’idée était qu’on puisse garder cette édition malienne et en créer une autre en Afrique centrale. J’ai œuvré dans ce sens, et malheureusement l’édition de Bamako a été arrêtée pour des raisons que j’ignore. Dans ces conditions on courait le risque de ne plus avoir un grand rendez-vous de littérature en Afrique subsaharienne francophone. J’ai remis sur la table mon idée de Brazzaville devant Michel Le Bris lorsque nous étions en Haïti où a lieu aussi Etonnants Voyageurs tous les deux ans. Nous avons sollicité deux prix Nobel de littérature dans le dessein de parrainer l’édition brazzavilloise : le Franco-mauricien J-MG Le Clézio et l’Américaine Toni Morrison. Ils ont été enthousiastes et nous ont donné immédiatement leur accord, suivi de celui d’une bonne trentaine des plus grands auteurs du monde entier qui ont constitué alors notre Comité de soutien. Le Festival de Brazzaville était né…

Comment avez-vous vécu en tant que codirecteur les préparatifs de ce festival, tant dans le suivi des contacts des acteurs du terrain que dans l’organisation de la venue des différents invités ? 

Une équipe de France a fait plusieurs voyages au Congo pour travailler avec celle de Brazzaville. C’était un travail en synergie pour que l’accueil des invités, de la presse se fasse dans de bonnes conditions. Le Festival de Brazzaville a bénéficié de l’expérience du Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo (France) qui a une pratique de plusieurs décennies dans l’organisation des évènements culturels de ce genre. Je me suis rendu également sur place à deux reprises, de même que mon codirecteur Michel Le Bris. Je suis arrivé une semaine avant l’ouverture du Festival pour éviter le syndrome de la calebasse qui se casse au seuil de la porte. Dès que quelque chose coinçait, nous intervenions aussitôt. C’est ce qui a expliqué la réussite de cet évènement.

« L’Afrique qui vient » a été le thème du festival. Quel sens donniez-vous à cette thématique ? Et quel regard portez-vous sur son traitement et sa perception par le public congolais ?

« L’Afrique qui vient » est un terme du grand philosophe camerounais Achille Mbembe, et je conseille à vos lecteurs de lire son magnifique ouvrage Sortir de la grande nuit (éd. La Découverte) ! Le sens que nous donnions à ce thème était celui que ce philosophe traçait dans son essai : un monde était en train de mourir, mais un autre naissait, dans le tumulte et le chaos, avec une formidable énergie. Les turbulences et les conflits du continent ne devaient pas occulter cette émergence. L’Afrique qui vient est celle-là qui met à mal les discours convenus, ceux de la fatalité et de la nostalgie. C’est une nouvelle Afrique dont les artistes, les écrivains et les créateurs dessinent les contours. C’est ce bilan qui a été fait à Brazzaville, avec des auteurs venus des quatre coins du monde – parce que pour « penser » l’Afrique il serait suicidaire de s’enfermer entre Africains alors même que dans les autres espaces de création notre continent est au cœur du « discours ».

Les bantous de la capitaleIl est parfois utile sinon recommandé de comprendre comment les autres vous perçoivent. Le traitement de cette question a été une véritable réussite dont les échos ont été reportés dans la presse panafricaine et d’autres continents puisque des grands quotidiens anglais comme The Guardian, The Independent, Newsweek ou The Economist étaient là. Sans oublier toute la presse française Le Monde, Libération, L’Express, L’Humanité, Télérama, France 3, France O, France 24, TV5 et notre partenaire France Inter qui a émis en direct de Brazza pendant deux jours consécutifs. Le public congolais a bien été réceptif et réactif tout au long des rencontres d’autant que nous avons évoqué le conflit au Mali et le fanatisme, la littérature face à la censure, la question des littératures nationales etc. De grands débats dans les quartiers populaires (Bacongo, Poto-Poto, Moungali etc) ont drainé des foules, notamment lorsqu’il s’agissait d’un état des lieux de la littérature des « deux rives » (les deux Congo) ou de certaines villes africaines considérées comme des « cratères » mais pleines de créativité (Lagos, Le Caire, Kinshasa, Johannesburg). Le Nigéria fut un des points forts, sans compter le débat houleux sur le « Printemps arabe » avec, entre autres, de grands noms de la littérature algérienne, Boualem Sansal, Yahia Belaskri. Je ne peux que me réjouir en me disant que cela s’est passé dans mon pays ! Et les Congolais prenaient la parole !

Pouvez-vous nous apporter votre regard sur l’ensemble des manifestations qui ont dépassé le cadre littéraire, pour des projections cinématographiques, des concerts de musique ou des défilés vestimentaires pour les amoureux de la sape…

Tout s’est passé dans l’esprit d’Etonnants Voyageurs : une programmation riche, variée, allant de la littérature en passant par la peinture, la photographie et le cinéma. Les écrivains sont allés dans les collèges, les lycées et l’Université où les livres avaient au préalable été envoyés dans les établissements. Dans une ville où le cinéma n’existe plus, il était émouvant de voir ces projections « en plein air », avec des jeunes captivés par le pouvoir de l’image grâce à ces films faits ou réalisés par des Africains ou des amis du continent. Les concerts – toujours gratuits – furent des moments de valorisation de la musique congolaise avec Les Bantous de la Capitale, Clotaire Kimbolo, Zao, Nzete Oussama ou encore Roga Roga. L’Ecole de peinture de Poto-Poto fut ce lieu où j’ai animé une grande rencontre avec la nouvelle génération des poètes congolais aux côtés de leurs aînés. Nous avons notamment rendu hommage au poète Léopold Congo-Mbemba qui nous a quittés il n’y a pas longtemps. La Sape fut un sujet parmi tant d’autres, et il a été traité de manière académique, universitaire, avec la présence du professeur Lydie Moudileno qui enseigne aux Etats-Unis et qui a consacré des études sur la question. Les romancières Léonora Miano et Elizabeth Tchoungui ont été parmi les intervenantes à cette table-ronde.

Quelle réception la jeunesse brazzavilloise a accordé à tous ses écrivains venus du monde entier ? 

Il y avait un grand élan dans la ville. Un souffle qui redonnait aux jeunes l’espoir d’un retour de la culture dans la capitale. Les amphithéâtres de la fac de Lettres étaient bondés. Les rencontres dans les quartiers populaires et l’Institut Français étaient remplies, et certains s’asseyaient par terre ! C’est une jeunesse dont la curiosité a été à son comble, et certains allaient rendre visite aux auteurs jusque dans le hall de l’hôtel. J’ai vu des collégiens et des lycéens venir en masse le samedi et le dimanche – c’est-à-dire après leur période de cours. Ce dont les auteurs étrangers ont remarqué c’est le respect, la finesse de cette jeunesse qui, même lorsqu’elle prenait la parole, avait conscience que les revendications les plus efficaces sont celles qui passent par le calme et la précision de la pensée. C’est pour cela par exemple que j’ai beaucoup apprécié l’intervention de l’auteure Gilda Moutsara qui a pris la parole de manière intempestive lors de l’ouverture du Festival devant le ministre de la culture pour lui rappeler la situation sociale du pays. Certes le ministre a cru que j’avais « téléguidé » ma consoeur (« – Merci pour cette mise en scène ! dira-t-il), mais je confirme, comme l’a d’ailleurs rapporté L’Express, que l’écrivaine a agi en son âme et conscience.

Puisque je dirigeais l’ouverture, j’ai dit à notre consoeur qu’elle pouvait prendre tout son temps (les enregistrements de ces échanges peuvent être réécoutés sur le site de France Inter). C’était pour moi un des moments forts du festival car s’il n’y avait pas cette tribune d’Etonnants Voyageurs à Brazzaville qui aurait pu entendre la voix de cette consoeur qui vit et écrit au Congo ? Evidemment quelques « opposants » autoproclamés qui vivent en Europe et passent des heures à pianoter frénétiquement sur des sites à la limite du nationalisme grégaire ont voulu instrumentaliser cet épisode, allant même jusqu’à expliquer que l’écrivaine avait été emprisonnée ! Si c’était le cas, j’en aurais fait une affaire personnelle. Ce genre de ragots, il y en aura davantage car, hélas, le Congo est un pays où si vous ne faites rien pour la jeunesse on vous montre du doigt ; et si vous faites quelque chose, comme ce festival Etonnants Voyageurs, on vous accuse de collaborer ou de chercher un poste ministériel ! Je ne suis candidat à rien, et l’existence que je mène me convient parfaitement. Je ne suis pas obligé d’intervenir sur la culture de mon pays. Je le fais pourtant le cœur léger, l’âme tranquille et la conscience au repos. Honni soit qui mal y pense…

Vous avez fait une brillante intervention sur les littératures nationales lors de ce festival. Or dans un article paru sur Afrik.com vous avez violemment été pris à parti un auteur congolais qualifiant le concept de la littérature-monde « d’imposture » et d’effacement des littératures nationales…

En tant que professeur j’ai horreur du hors-sujet. Cela veut dire au fond trois choses : ou l’étudiant n’a pas suivi le cours, ou il ne l’a pas compris ou alors il n’a pas le niveau de ses collègues. Si ces trois points se regroupent sur un seul individu, alors c’est la catastrophe. Il y a des gens qui sont intellectuellement endettés, et il faudra un jour, pour leur intérêt, les mettre en procédure de cessation de paiement ! Faut-il rappeler que le festival de Brazzaville n’avait pas pour thème la « littérature-monde », mais « L’Afrique qui vient » ? La littérature-monde fait l’objet de thèses de doctorat, elle est étudiée aujourd’hui dans les grandes universités américaines, anglaises, australiennes, et même en France. Elle ne signe pas l’acte de décès des littératures nationales, mais elle pose comme postulat le refus du diktat de la littérature française sur les autres espaces qui créent en langue française. Pour mémoire, voici quelques lignes de la conclusion du Manifeste que nous avons signé dans Le Monde en mars 2006, par 44 grands écrivains comme Le Clézio, Amin Maalouf, Edouard Glissant ou Dai Sitje : « Littérature-monde parce que, à l'évidence multiples, diverses, sont aujourd'hui les littératures de langue française de par le monde, formant un vaste ensemble dont les ramifications enlacent plusieurs continents. Mais littérature-monde, aussi, parce que partout celles-ci nous disent le monde qui devant nous émerge, et ce faisant retrouvent après des décennies d'"interdit de la fiction" ce qui depuis toujours a été le fait des artistes, des romanciers, des créateurs : la tâche de donner voix et visage à l'inconnu du monde – et à l'inconnu en nous. »

1David Can reybrouck et AMIl semble que cette polémique soit le fruit d’un auteur congolais qui n’a pas été invité au festival. Pourquoi d’autres auteurs congolais reconnus comme Wilfried N’Sondé, Dibakana Mankessi n’étaient pas présents à Brazzaville ? 

Le comité de sélection du Festival opère librement ses choix. Je n’ai qu’un seul regret : celui de n’avoir pas pu convaincre ce comité d’inviter le romancier Dibakana Mankessi qui, avec patience, est en train de bâtir un véritable parcours littéraire. Il a été victime du nombre surabondant d’auteurs congolais retenus dans la programmation (plus d’une trentaine vivant sur place !) Quant au brillant romancier Wilfried N’Sondé qui réside en Allemagne, nous l’avions invité dès le départ mais il ne pouvait pas se soustraire à certains engagements qu’il avait contractés bien avant notre sollicitation – c’est son gagne-pain. Dans l’ensemble la littérature congolaise a été largement représentée aux côtés des aînés comme Emmanuel Dongala, Henri Lopes, Tchitchelle Tchivela, Lydie Moudileno et la trentaine de jeunes auteurs qui faisaient leurs premiers pas dans un festival international. Il faudra rappeler aussi la délégation des auteurs de « l’autre Congo », la RDC. Il s’agissait avant tout de privilégier ceux qui résidaient dans le pays et non de parachuter toute la diaspora congolaise. On ne met jamais à l’honneur les écrivains qui vivent sur place : c’était l’occasion rêvée pour nous de les connaître, de les épauler, de leur faire rencontrer les éditeurs et les écrivains venus d’ailleurs.

Votre prochaine expérience en tant que directeur de festival littéraire vous conduira en Corrèze, à la tête de Foire du Livre de Brive la Gaillarde, avec pas moins de 350 écrivains invités. Un autre sacré défi ?

En effet je présiderai en novembre prochain l’un des plus grands salons du livre de France, la Foire du livre de Brive la Gaillarde. C’est un grand honneur car c’est le salon où se joue la littérature d’expression française, avec notamment la présence des membres du prix Goncourt et de grandes pointures des Lettres françaises. Je donne les grandes lignes de la programmation et j’ai une liste d’une quinzaine d’auteurs que j’aime et que je vais inviter…

 

Propos recueillis pour Terangaweb, Paperblog et Chez Gangoueus par Lareus Gangoueus

 

Crédit photo :

Photo portrait Alain Mabanckou  : Alain Mabanckou. @ Hermanc (http://www.rfi.fr/emission/20130214-festival-etonnants-voyageurs)

Photos 2 et 3 : Caroline Blache, tous droits réservés

 

Raharimanana : Enlacement(s)

RAHARIMANANAOccuper l’espace. Ce sont les mots de l’écrivain malgache. Ils ont un sens évident quand je prends mon RER avec le coffret intitulé Enlacement(s). Un peu encombrant. Si c’est le cas pour le passager que je suis, j’imagine la problématique pour un libraire où justement l’occupation de la surface est comptée au millimètre carré. Sourire. C’est un choix qu’assume Raharimanana.

Ce coffret comprend trois volets d’une œuvre jouant sur plusieurs genres littéraires et artistiques. La poésie. Le théâtre. Le chant. La prose. La danse. Bref, un texte inclassable. Un peu comme Les cauchemars du gecko, sa précédente parution. J’ai pris là encore le temps de m’imprégner des différents volets de ce projet. Des ruines : Prologue pour une résidence littéraire. Obscena : Pour voix et chorégraphie. Il n’y a plus de pays : Pour chant et murmures. Afin de comprendre et faire une bonne lecture de ces textes, il est important de prendre en compte ces paramètres de la création de l’homme de lettres malgache et en fonction de la latitude du lecteur, se mettre en situation.

Des ruines

Le premier volet de ce triptyque pourrait être interprété comme un état des lieux des ruines à partir desquelles il serait possible de reconstruire quelque chose. Ruines de l’écrivain, ruines qu’il observe faites de terres razziées, de sous sols pillés, de corps souillés. Morceaux choisis :

« J’écris pour le vide.   J’écris pour un futur.  J’écris pour un monde d’espérance. Et ce n’est que cela : l’espérance, la possibilité d’être ou de ne pas être. »

L’écrivain pose la question de l’œuvre littéraire et de la réception qui en est faite. En particulier, quand l’esthétique suffit à satisfaire le lecteur sans que le cri de l’enfant suicide ne soit entendu, perçu. La poésie est applaudie, la douleur évacuée. Explorer les ruines, c’est revenir sur le passé. Forcément violent puisqu’il ne semble n’en rester rien. Il y a également cette assignation à penser le futur et à dépasser ce passé. Mais celui-ci conditionne bien les actes d’aujourd’hui. Comment ne pas questionner une mémoire faite d’esclavage, de traite négrière, de colonisation, de dictature quand cet héritage écrase le quotidien. D’ailleurs en tenter l’exploration semble impossible, tellement l’enrayement des actes est ancré, passé la lettre « B » est insurmontable. Posture indélicate de l’écrivain.

Obscena

C’est un volet plus charnel. Pour voix et chorégraphie. Les séquences sont plus courtes. Ciselées. Les mots sont plus crus. Les scènes mises en danse plus obscènes. Le poète met des mots sur le viol, l’intime pénétré de la femme, de la mère. Parler de l’obscène. Mais aussi prendre de la distance : 

« Mais l’enfant est autiste, je me paralyse au bord de la mémoire, les douleurs ont fermé sa gorge, ma révolte, ma haine, mon refus de lier ma vie à celle fracassée de mes pères, mère, est-ce vie de n’écrire que leur temps de mort et de défaite, celle des vies à dévorer les douleurs et à ingurgiter les malheurs que tous se sont ingéniés à méconnaitre ? Mais l’enfant est autiste et me rentre à la gorge la lâcheté à laquelle j’aspire, l’oubli
Je. N’oubliez pas, viens du sud, je. »

L’enfant est autiste. Raharimanana travaille sur la mémoire. Il est important d’inscrire ce triptyque comme un prolongement de l’écriture de Nour, 1947, Portraits d’insurgés 1947, Madagascar 1947. Alors que le silence enfouissait des pans entiers de la mémoire malgache, dire l’histoire est important, mieux c’est une préoccupation. Dire les violences subies, intériorisées, oubliées ou ignorées est essentiel. C’est un sacerdoce. Le poète affirme le fait qu’il n’a pas le choix. Y a-t-il de la prétention dans sa posture ? L’écrivain a pris la plume parce qu’un jour un adolescent sans espoir a décidé de résister ou de disparaitre. Anecdote.

Est-il utile de parler du troisième volet qui évoque la mère ? J’ai trop parlé. Il n’y a plus de pays. Chacun trouvera une part de soi, de son pays dans les mots de Raharimanana. Un texte difficile. Qu’il faut parfois lire, murmurer, chanter pour l’entendre. Des volets qui s’entrelacent et qui ont l’ambition d’occuper un espace. Faisons lui de la place.

Lareus Gangoueus

 

Editions Vents d’ailleurs, Athenor
Triptyque : Des ruines, Obscena, Il n’y a plus de pays
Voir également une critique sur Africultures de Jean Christophe Delmeule

Crédit-photo : Vents d'ailleurs

Antonia Ngoni : Une tragédie bantoue

Antonia ngoniJe n’ai ni lu Sophocle, ni Jean Anouilh. Aussi, je me suis rendu aux Friches des Lacs de l’Essonne, avec à la fois beaucoup de curiosité et d’attente. J’avais loupé les prestations de la troupe du Plateau-Kimpa Théâtre de 2012 à Etampes, ville royale. Il m’était impossible de rater une prestation à Viry-Chatillon, ville mitoyenne de ma cité dortoir. Autant dire, un vrai luxe, à porter de main. 

Narration

Le public a à peine fini de s’installer sur les tribunes, qu’une bande de malotrus se mettent à faire du boucan en langues africaines. Que se passe-t-il ? Les codes d’un spectacle de théâtre seraient à ce point ignorés par ce public majoritairement africain? Je me suis fait avoir. La bande de trublions se retrouve sur scène. La pièce a commencé avec fracas. Un comédien nous transmet des tracts avec l’effigie de Kilapi, dictateur tropical. 

 

«Gloire immortelle au Président,
Kilapi
Le père de la Nation !
Le guide éclairé !
Le démocrate ! »
 

 

L’homme d’Etat ne dort pas. Les premières scènes faites de dialogues entre le potentat et des éléments proches de son entourage comme son médecin, son fils et sa femme permettent de poser le drame qui se joue. Kilapi a fait exécuter son frère Oluka qui s’était joint à une rébellion armée contre le pouvoir en place. La faute est impardonnable et elle exige pour un exercice du pouvoir inflexible, une démarche encore plus radicale : humilier le mort dans son cadavre en lui refusant toute forme de sépulture et en le livrant aux animaux de la brousse.

Criss Niangouna dont j’avais apprécié la prestation dans Le cœur des enfants léopards au Tarmac, livre une nouvelle fois une magnifique prestation où son talent permet de poser le discours du dictateur. En apparence doux, mais redoutable dans la défense de son trône, même à l’endroit de son propre frère. L’intervention d’Antonia Ngoni, son épouse en médiatrice pour que le potentat revienne sur sa funeste décision, va faire basculer cette remarquable adaptation d’une pièce grecque à la portée universelle et intemporelle en une tragédie « bantoue » pour laquelle Jean-Felhyt Kimbirima réussit une remarquable mise en scène.

C’est tellement vrai que pour n’importe quel africain l’identification à la problématique de la violence du pouvoir politique touchera en plein mille, de même que la question de la sépulture dans un espace bantou où le culte des ancêtres est enraciné…Imaginez un homme sans sépulture… Comment en effet, ne pas penser aux pendus de Mobutu dont on se souvient quand on évoque le stade des Martyrs de Kinshasa. Qui, ayant vécu en Afrique centrale, n’a pas entendu parler de l’émasculation d’un opposant déjà mort. Kani Kabwe Ogney propose une relecture de Sophocle qui nous renvoie à la folie du pouvoir politique dans nombre d'états africains qui renie l’essence même de ses croyances les plus fondamentales, pour laisser exploser la puissance de leur imposture. L’appartenance au même clan des deux protagonistes donne une dimension intéressante à cette histoire.

Antonia Ngoni 2Antonia Ngoni

Alvie Bitémo est littéralement habitée par son rôle. Elle défie le pouvoir de son mari. Elle veut une sépulture pour son beau-frère. Par tous les moyens. Contre la démarche de Kilapi qui transgresse les codes. Qui mieux peut réagir à l’ignominie d’un potentat ? Antonia écoute la voix discordante qui parle en elle. Pleure le mort, comme s’il était l’être aimé, mais c’est avant tout contre l’injustice qui se déploit. Une des scènes marquantes de cette pièce de théâtrale est celle où Alvie Bitémo nous fait vivre la douleur de la femme éplorée comme les mamans du bled aux veillées de Brazzaville ou de Pointe-Noire. Alvie est simplement époustouflante.

Exceptée une tirade un peu longue sur les méfaits et les intrigues des occidentaux en terre africaine, cette pièce est très bien rythmée par le mouvement des acteurs, les chants, les voix en off, la danse mais surtout par la qualité de ces comédiens qui rendent accessibles la profondeur de la tragédie de Sophocle et interpelle forcément le spectateur sur sa capacité à s'indigner.

 

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

Antonia Ngoni, Une tragédie bantoue
Plateau-Kimpa Théâtre compagnie
Une adaptation libre d’Antigone de Sophocle par Kani Kabwe Ogney
Une mise en scène de Jean-Félhyt Kimbirima
Avec Alvie Bitémo, Criss Niangouna, Roch Lessaint Banzouzi, Abdoulaye Seydji, Florence Kabamba,

Chroniques du Katanga

Chroniqueskatanga_450J’ai plusieurs fois eu l’occasion d’entendre parler du mouvement littéraire qui anime la ville congolaise de Lubumbashi, capitale du Katanga, potentiellement une des régions les plus riches d’Afrique. L’une des premières rencontres où je pris conscience de ce terreau de la renaissance de la littérature congolaise, fut une table ronde au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris, où j’eus le plaisir entre autres d’écouter la voix fluette de Nasser Fiston Mwanza Mujila. Le thème de l’époque traitait de la circulation des idées et des écrits en RDC. Et le témoignage de ce jeune écrivain était plus que révélateur de la complexité de faire vivre des mots dans ce pays cinq fois plus grand que la France. Un des aspects marquants de ce moment fut cette opiniâtreté du jeune poète pour faire vivre et circuler ses vers et sa prose par moult moyens. En sortant de cette rencontre passionnante je réalisais combien il y avait d’autres moyens de concevoir l’édition mais surtout d'organiser la circulation des idées.

La toute récente occasion qui me fut faite d'entendre un écho de ces cercles littéraires a été le fameux sommet France-Afrique qui a fait tant couler d’encre en place parisienne sur la fameuse poignée de main entre Kabila et Hollande. Pour le littéraire que je suis, je remarquais que le sommet littéraire de la Francophonie se tenait loin des tumultes de la diplomatie à double vitesse. En hommage à tous ces écrivains que le Katanga laisse éclore loin de la capitale congolaise dont Nasser Mwanza fait partie.

L’universitaire Dominique Ranaivoson a sélectionné et présenté des nouvelles dans le recueil « Chroniques du Katanga » qui m’avait échappé. Ou plutôt, dont la géolocalisation katangaise avait atténué mon intérêt du fait de ma conception jacobiniste de ces états africains si fragiles. Katanga, un nom qui fait tilt dans l’esprit de beaucoup de congolais, de quelques rives du fleuve Congo qu’ils fussent, est synonyme de résistance, de sécession, de richesse, d'épuration et d’autarcie. Clichés certes, mais l’imaginaire se nourrit de cela.

Après mon introduction qui n’en est pas une, j’aimerai souligner d’abord ma surprise au sujet de la qualité littéraire de ces nouvelles venues de l’ancienne région du Shaba. Une qualité que je peux d’autant mieux apprécié que ces dernières années j’ai eu le plaisir ou la souffrance de lire des recueils de ce type avec des auteurs publiés en France. Je dois dire que les nouvelles proposées par ces auteurs tous basés au Katanga et n'ayant parfois publié que dans des maisons d’éditions congolais sont riches par la qualité de l'écriture, la diversité des sujets traités et la rigueur et une certaine fidélité à la langue française. C’est d’ailleurs le seul reproche que je ferai à ce recueil, le fait que l’esprit katangais ne se retrouve pas dans des clés de bras et des soumissions qui auraient pu être faite à la langue française. Comme si, ces auteurs avaient avant tout le souci de montrer leur maîtrise de la langue coloniale trop révérée à mon goût. Mais pour le reste.

Je ne tomberai pas dans le piège de comparer, d’extraire une nouvelle qui m’aurait plus marquée, parce qu’à la fermeture de cet ouvrage, j’ai plusieurs thématiques qui me restent à l’esprit tant par l’originalité de leurs traitements, la profondeur du discours et l'esthétique que j'ai déjà évoquée. Que ce soit la question du retour au pays natal, l’enfance dans la guerre, la condition des shégués (les enfants de rue), le désir d’exil, le désespoir, la lutte des classes dans le contexte minier, la nostalgie que génère la fin de la période faste de la GECAMINES, la création artistique ou la condition de la femme tout de même évoquée alors qu’on ne compte aucune femme parmi les 14 nouvellistes. La liste des sujets n’est pas exhaustive. Mais, ces chroniques plongeront le lecteur dans les villes de cette province, elles lui feront toucher combien cinquante ans après les indépendances, ce géant ne maîtrise absolument pas les rênes de sa destinée. Mais ces chroniques interpelleront par leur capacité à montrer la prise de conscience de ces intellectuels essentiellement formés dans cette région. A l’image du testament d’un vieillard katangais, une nouvelle juste et qui rappelle que cette région, ce pays, ce continent ne se lèvera que lorsqu'elle décidera d’abandonner les postures victimaires pour faire son examen de conscience comme ce vieux député à l’orée de sa vie proposant à son fils moins de cynisme et plus d’altruisme pour la génération qui vient.

Ces nouvelles venues du Katanga sont à découvrir, loin du tumulte des nganda et du roulement puissant du bassin des danseuses kinoises. Bonne lecture et donnez-nous vos impressions.

Lareus Gangoueus, billet initialement paru sur son blog

sélectionnées et présentées par Dominique Ranaivoson
Maliza Mwina Kintende, Jean-Luc Malango Kitungano, Pascal Nsenga, Claude Tshimbalanga Ilunga, Christophe Kayembe, Guy Myembe Nkomesha, Junior Mbuya Thomo, Dieudonné Muamba Kasongo, Ramcy Kabuya Salomon, Frank Nduu Nawej, Sumba Maly, Patrick Kilumé, Fiston Mwanza Mujila, Albert Kapepa
Editions Sepia, 1ère parution en 2007, 183 pages

Voir également l'article d'Hervé Ferrand sur Ballades et escales en littérature africaine

Prière aux ancêtres

Le printemps des poètes est passé. Cependant, je m’autorise encore à faire des excursions dans ce genre littéraire qui, comme vous le savez, n’est pas franchement ma tasse de thé. Néanmoins, ma récente expérience avait été concluante avec le recueil du poète ivoirien Josué Guébo. Avec Gabriel Okoundji, Grand prix littéraire d’Afrique noire 2011 pour l’ensemble de son œuvre, c’est une lecture différente, intéressante et d'un autre calibre qui m’est proposé. Prière aux ancêtres. Un titre qui m’interpelle forcément puisque justement je ne crois pas au culte des ancêtres et à l'interaction dans le quotidien des morts avec les vivants si communément répandue en terre bantoue. Mais, si je ne devais lire que des textes qui sont en phase avec ma conception du monde, je louperai beaucoup de choses et en particulier ces rencontres si belles avec l’autre qui pense différemment.

Sous le titre de Prière aux Ancêtres, Gabriel Mwènè Okoundji propose plusieurs recueils de poésie sur des thématiques assez liées mais écrites à des périodes et parfois en des lieux différents. Le poète y délivre des textes où, avec maestria, il se joue de la langue française pour exprimer à la fois la spiritualité des terres de l’Alima mais également faire ressentir l’atmosphère de l’arrière-pays congolais, de la forêt, de ses bruits, de sa faune… Le lecteur est comme téléporté dans cet univers si lointain mais que par la force des mots, Gabriel Okoundji finit par matérialiser. C’est aussi une philosophie de vie qu’il transmet en captant cette oralité millénaire que véhicule la langue tègè et que ses vers magnifient.

 

Elles sont venues de Baya, de Yaba, de Dzouama, d'Ayandza, de Tsongo
Ces pleureuses aux mille pas qui offrent des larmes à toute la terre de Mpana 
dans l'espoir qu'un jour la voix réunie du nombre de leurs enfants ensevelis
revienne visiter tous ceux du village Okondo qui les ont parfaitement aimés
La pluie viendra, elle tombera sur nos plaies et inondera la prière de nos pleurs
la lune dans le ciel dansera en notre nom, dans la houle d'une espérance éphémère 
nos coeurs en haillons parmi les coeurs égarés danseront dans le feu de la vie
nos coeurs danseront dans la fougue de la tristesse sur les chemins de la douleur
Recueil de poèmes Prière aux ancêtres, page 43, édition fédorop
 
En marchant dans les bois de Montserrat, quelque part au Portugal, il communie avec le lieu qu’il n’a pas de mal à connecter une terre ancienne qu’il n’a pas foulé depuis longtemps… La poésie de Gabriel Okoundji porte une forme de déchirement liée à l’éloignement, à une forme d’exil qui ne dit pas son nom.
 
– Audace!
ce qui gronde au fond de mon âme
n'est pas le tumulte de mon sang
en moi la sève de l'exil a banni
dans son flot
la beauté des mots de la quiétude
– Mauvais arbre 
aux ramures couleur de mon sang
sur une terre poseuse d’énigmes
 
mauvaise plante
mauvais gri-gri
totem poreux de la forêt équatoriale
te voilà seul
sans sel dans l'inertie de ta sève
fine souche d'une forêt qui déteint aux couleurs
de la savane boisée d'errance
eau de source surgie d'un lit improbable
d'une rivière d'eau douce impropre
aux rives infortunées

Recueil de poèmes Gnia, page 59, éditions fédérop

Enfin, il y a cette interaction avec les morts, ceux qui ont disparu, les ancêtres. Certains poèmes sont incantatoires de ce point de vue. D’une certaine manière, le poète exprime haut et de manière intelligible tout un système de croyances que les écrivains ont du mal à rendre à l'écrit. La terre. Les morts. La nature. Il y a beaucoup à dire.

Je terminerai sur le point suivant, qui est un motif de fierté pour ce poète : chaque poème écrit en français est traduit en occitan. Ce qui est une première expérience de traduction d'un poète africain par Joan-Pèire Tardiu qui est intéressante pour moi qui n’avait jamais sous les yeux un texte de cette langue méridionale. A cela, il faut ajouter quelques mots en tègè et la rencontre est totale.

Bonne lecture !

Lareus Gangoueus

 

Gabriel Okoundji, Prière aux ancêtres

Editions Federop, 1ère parution en 2008, 126 pages, collection Paul Froment



Traduction en occitan par Joàn-Peire Tardiù


Venance Konan : les prisonniers de la haine

En mars dernier, je me baladais dans le salon du livre quand je suis tombé par le plus grand des hasards sur le stand de la Côte d'Ivoire. Heureux et curieux de découvrir les produits des éditeurs locaux ivoiriens, j'ai posé la question simple aux animatrices présentes : si je devais partir avec un produit des NEI (Nouvelles éditions ivoiriennes), vous me conseilleriez quoi donc? Un consensus s'est dégagé rapidement, après quelques chuchotements, autour du premier roman de Venance Konan.

Tiens donc. Cette prescription m'a arrangé. D'abord parce que cela fait plusieurs années que j'entends parler de ce journaliste et romancier ivoirien. Parce qu'il m'arrive de visiter son site internet qui fut très animé pendant la récente crise ivoirienne, mais qui semble ne plus exister aujourd'hui… La première fois que j'entendis parler de cet auteur, ce fut sur le blog de l’écrivain Alain Mabanckou où un commentateur décrivait Venance Konan comme un chien fou, un trublion de la littérature ivoirienne… Vous comprenez donc l’essence de mon intérêt, surtout quand des postures hargneuses et hostiles s'exprimèrent pour dénoncer cet éloge du scribe.

Venance Konan met en scène dans ce premier roman un jeune journaliste ivoirien de 26 ans nommé Boniface Cassy. Pour faire simple, Cassy. Notre homme, sorte de loup solitaire brisé par plusieurs histoires de cœur, est devenu un tombeur de filles sans vergogne qui jouit de son statut de vedette médiatique en enchaînant les conquêtes d'un soir (peut-on parler de conquêtes quand ces femmes se livrent à lui). Jusqu'à la rencontre d'Olga, une jeune fille qui se saisit de son cœur et lui partage ses rêves de grandeur et son désir de devenir un mannequin international. Notre homme s'amourache de cette jeune fille prête à tout pour réussir et défiler un jour sur les podiums français ou milanais loin de la galère ivoirienne. Dans Treichville, sous la plume de romancier, chacun rêve plus ou moins de se barrer comme Jo Chiwawa (j'aime bien son nom), un ami d'enfance de Cassy qui malheureusement a été formé par la rue pour devenir loubard, ou encore Barracuda, un poète des rues.

Il raconte avec beaucoup de pessimisme, les espoirs de cette frange de la jeunesse ivoirienne qui souhaite s'épanouir sous d'autres ailleurs. Celle qui monte des plans de toute sorte. Celle qui veut prendre son envol au risque, comme Icare, de se brûler les ailes. Il évoque aussi celle qui s’enfonce dans les sables mouvants de la luxure, de la prostitution, du paraître, faute d’alternatives. Les raisons et responsabilités sur cet état de fait sont multiples. Le propos de Konan n’est pas de stigmatiser uniquement les pontes du pouvoir, mais également ces géniteurs produisent une progéniture nombreuse que l’on n’est pas en mesure d’entretenir et, qui souvent est livrée à la rue, ou encore sur le mépris de beaucoup sur le bien commun. 

Jo Chiwawa, loubard, parle :

 

Un soir, je ne suis pas rentré. J'ai dormi au marché du Plateau avec quatre amis. Tu te rends compte? A la maison, on était douze dans une chambre. Là, nous étions quatre, et nous avions toutes les tables du marché pour nous. Quand je suis rentré le matin, ma mère était déjà partie au marché, et mon beau-père, au travail. Je suis parti et je ne suis plus revenu. Ça fait une bouche de moins à nourrir.

page 37, éditions FratMat, NEI

 

Nous sommes en 2002 quand il écrit ce roman. Il y a d'une part ceux qui peuvent construire un discours comme Akissi, ou se poser des questions comme Cassy, ceux qui foncent avec leurs atouts, ceux qui jouissent de la détresse des petites gens, violent les mômes, ceux qu'on recrute pour aller faire fortune en guerroyant pour Charles Taylor. Il y a. Il y a. Il y a. On ne lâche pas ce livre. En tout cas, je ne l'ai pas lâché. Peut-être parce que j'aime beaucoup ce pays. Mais, surtout à cause du propos de Venance Konan. Il interpelle la société civile prisonnière d'une haine qu'elle est prête à déployer. Le séjour de journaliste que Cassy réalise au Liberia va mettre un point sur les i et lui permettre de saisir une vérité essentielle : L'africain se hait lui-même et il hait son prochain africain. Une haine structurelle. Une haine qui remonte à la nuit des temps. Le seul continent qui a pu donner sans discontinuité des esclaves à l'Occident ou au Moyen Orient, sans se questionner ne peut que se haïr.

Du point de vue de sa construction, si on note quelques longueurs, ce livre se lit simplement avec des dialogues où parfois on sent le journaliste de FratMat qui se saisit de cette tribune pour donner sa vision des choses, loin des contraintes d'une ligne éditoriale. Ce roman est important. Il fait partie de ces discours qui veulent voir cesser les pleurs des uns, pour définir une part de responsabilité sur le sort qui est le nôtre. Sur la haine sourde en beaucoup d'africains. Dans ce texte, la Côte d'Ivoire peut être perçue comme un terreau de la haine. Et le Liberia, comme une manifestation de ce que la haine semée et non questionnée dans le cœur des hommes peut produire de plus horrible.

Oui, j'ai aimé ce bouquin prémonitoire. Car le romancier date sa dernière ligne d’Avril 2012. En septembre 2012, les rebelles tentent leur première incursion à Abidjan. On sent la patte, l'écriture de celui qui narre ces choses depuis le continent, la rage de l’homme impuissant qui saisit la puissance de sa plume.

Écoutons le journaliste Cassy :

 

La haine de l'autre est la chose la mieux partagée sur ce continent. Et cela, depuis l'aube des temps. Une poignée d"Européens auraient-ils pu mettre  dans les fers des dizaines de millions d'Africains envers sans la haine des autres Africains envers ceux-là? Que valait la vie d'un homme devant une verroterie[…]
L'argent. On ne pense qu'à ça. On pille nos pays, on les détruit parce que, du sommet  à la base, on ne pense quà une chose : gagner de l'argent, toujours de l'argent, pour soi, tout seul. Et l'on fait tout pour empêcher les autres d'en gagner.

page 179, Editions FratMat, NEI

 

Bonne découverte!

Lareus Gangoueus

Venance Konan, Les prisonniers de la haine
Editions Nouvelles Editions Ivoiriennes / Fraternité Matin, paru en 2003, 197 pages

Rencontre avec BlonBa, producteur artistique au Mali (2)

Suite de la première partie d'interview publiée sur Terangaweb : 

Vous revenez du Mali, où la situation est très complexe avec tout un pan du pays qui est entre les mains de troupes islamistes radicales qui imposent la charia dans la zone occupée, et dans certains cas, détruisent des pans entiers de l’histoire malienne. Quelle est la situation à Bamako ? Pensez-vous l’atmosphère propice pour la reconstruction d’une salle du BlonBa et de manière plus générale, aux manifestations culturelles ?

Historiquement, les grandes manifestations culturelles propres aux traditions maliennes sont liées aux évènements de la vie sociale. C’est le cas notamment du kotèba, satires burlesques des tares de la société, qui jouait et joue encore un rôle important de critique et de liberté d’expression. Les 3000 personnes qui sont venues à la première représentation de Tanyninibougou en témoignent. Ce spectacle présente un tableau au vitriol d’une société enivrée et concassée par la religion de l’argent. Policiers, élus, marabouts, jeunes filles, mères de famille, militaires, chacun en prend pour son grade. Et pourtant, la magie du kotèba opère. La communauté des citoyens, grâce au rire, fait ensemble son examen de conscience et en ressort ragaillardie. Ces formes artistiques sont souvent considérées comme des forums plus fiables et plus véridiques que les débats de l’Assemblée nationale, obscurs pour beaucoup, ou une presse peu étanche à la corruption. Cela peut paraître paradoxal, mais j’ai le sentiment que la période fait justement réapparaître l’urgence de l’art et de la culture, qui s’était un peu affaissée dans les années précédentes où, comme le dit une de nos pièces, beaucoup de Maliens « avait pris la liberté pour une mangeoire ».

Vous animez BlonBa France qui est une succursale du projet malien en France. Dans ce cadre, une collectivité de l’Essonne vous a confié la gestion du théâtre de l’Arlequin de Morsang-sur-Orge en Essonne. Dans quelle direction orientez-vous la programmation artistique de ce théâtre ? Avez-vous plus de pièces africaines dans votre exercice annuel ?

BlonBa avait suscité la création d’une association de droit français pour permettre l’organisation des tournées de la compagnie. Quand la communauté d’agglomération du Val d’Orge, dans l’Essonne, m’a proposé de prendre la direction du théâtre de l’Arlequin, à Morsang-sur-Orge, la convention a été signée avec l’association BlonBa. C’est un signe des temps. Jamais une compagnie née en Afrique ne s’était vu confier un théâtre public en France. Le théâtre de l’Arlequin n’est pas grand : 84 places. Il n’est pas très doté et notre petite équipe ne compte aucun plein temps. Son projet est fondé sur deux axes : l’ouverture aux publics populaires, qui est facilitée par notre tarification originale de 2€, 5€ ou 10€ au choix du spectateur ; une programmation ouverte sur la diversité culturelle. Les spectacles que nous proposons sont d’origines très variées, mais nous consacrons chaque année, au printemps, un « mois de BlonBa » à la création venue d’Afrique et bien sûr du Mali. Cette salle est aussi un point d’appui pour l’organisation des tournées de la compagnie de BlonBa en Europe, pour finaliser des créations, pour faire voir des œuvres… Nous sommes très reconnaissant aux collectivités françaises – la région Ile-de-France, le département de l’Essonne, l’agglomération du Val d’Orge – de nous avoir donné ces possibilités, sans dévier de leur responsabilité propre qui est le service de leurs habitants. Il y a là une préfiguration de partenariats Nord-Sud où chacun trouve son compte, où une vraie convergence mutuelle s’établit.

Il y a deux ans, la compagnie théâtrale BlonBa a joué de manière remarquable la pièce « Vérité de Soldat » qui met en scène le dialogue d’un ancien tortionnaire d’un camp militaire de Moussa Traoré et du prisonnier qui eût à subir durant de longues années ses sévices. Le thème de la réconciliation nationale est au cœur de ce projet avec une construction originale. Y-a-t-il des possibilités de revoir ce spectacle en France ?

« Vérité de soldat » s’inspire du récit du capitaine Soungalo Samaké, l’homme qui a arrêté Modibo Keïta, le premier président du Mali. Ce texte a été recueilli par Amadou Traoré, un des artisans de l’Indépendance que le capitaine a lui même torturé. Ce témoignage d’un militaire placé par les hasards de l’histoire en position de jouer un rôle exorbitant dans la vie politique de son pays, est d’une grande actualité. Il sera présenté au Grand T, à Nantes, du 13 au 16 novembre 2012 et au Drakkar de Dieppe les 21 et 22 novembre, dans le cadre du festival Automne en Normandie. Ce spectacle a également été filmé dans notre salle, à Bamako, et est disponible en DVD, dans la collection de la Copat (www.copat.fr), une coopérative qui réunit d’importants théâtres francophones et dont BlonBa est le premier membre africain. Les DVD de cinq de nos spectacles y sont édités et plusieurs ont été diffusés par des chaines francophones (TV5, France O, Canal à la demande, les télévisions nationales du Bénin, du Congo, etc.).

Pouvez-vous nous présenter les prochains spectacles à venir en France du BlonBa, et les lieux de représentation ?

Nous sommes engagés dans la création d’une série de portraits théâtraux d’artistes maliens que nous appelons « Le Chant du Mali ». Le premier, « L’Homme aux six noms », a été créé l’an dernier avec Lassy King Massassy, un des pionniers du rap malien. Il sera représenté le 17 novembre, à la Maison des peuples et de la paix d'Angoulême, le 23 novembre à la Médiathèque d’Ivry et une dizaine de fois en version « théâtre d’appartement » en décembre et janvier, dans la région parisienne. « Plus fort que mon père », le deuxième épisode de cette série, est en cours de montage autour d’un autre rappeur, Ramsès Damarifa, fondateur du groupe Tata Pound. Ramsès est le fils d’Idrissa Soumaoro, un des chanteurs les plus prenants de la scène malienne. « Plus fort que mon père » sera en création au théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine en janvier et février 2013 avec une vingtaine de représentations prévues durant le mois de février, à Ivry (samedis 2, 9 et 6 février à 18h, dimanches 3, 10 et 17 février à 16h, mercredis 6 et 13 février à 14h30 + 11 représentations scolaires) et à Morsang (21 et 23 février).

« Ala tè sunogo » (Dieu ne dort pas) est un spectacle qui mêle kotèba et danse contemporaine. Il moque de façon prémonitoire les embûches rencontrées par un jeune opérateur culturel dans l’exercice de son activité. Un des personnages, un enfant des rues, muet, ne s’exprime qu’en dansant… La création de ce spectacle a été interrompue par les événements de mars 2012. Elle va être finalisée à Bamako, puis à l’Arlequin en avril (représentations les 27 et 28 avril) et présentée au Grand-Parquet (Paris 18e) du 2 au 26 mai les jeudis, vendredis, samedis et dimanches. La réflexion de BlonBa autour de la danse contemporaine, que nous cherchons à mieux inclure dans les pratiques culturelles du Mali, aura également une ouverture sur le public les 6 et 7 avril avec de courtes pièces présentées dans le cadre des rencontres Essonne danse (théâtre de l’Arlequin à Morsang-sur-Orge, théâtre Jules-Verne de Brétigny-sur-Orge, centre culturel de La Norville). 

Enfin, nous essayons de faire venir au printemps 2013 le spectacle Tanyinibougou, à destination principalement des Maliens de France, puisqu’il est donné en langue bambara. Si nous y parvenons, ce sera l’occasion de mobiliser la communauté malienne émigrée autour des enjeux éthiques et politiques dont dépend le redressement du Mali.

Alioune Ifra N’Diaye proposait en avril dernier, à la suite de la fermeture de la salle du BlonBa, de créer une télévision communautaire. Avez-vous avancé dans ce projet ou sur d’autres champs de la production audiovisuelle ? 

Alioune continue à explorer les différentes possibilités de donner une nouvelle jeunesse à la production et la diffusion télévisée au Mali. C’est un enjeu capital dans cette période de remobilisation de la société. Mais dans ces temps d’incertitude, la visibilité est faible et la situation peu propice aux projets à long terme. Il faudra un peu de temps. Nous avançons par contre à grands pas dans un projet conçu avant la crise : le studio Wôklôni. Il s’agit d’un centre de formation et de production de films d’animation, qui a déjà réalisé plusieurs essais très convaincants. On peut notamment voir, sur internet, le petit film « Mon si beau village », un dessin animé de Florent Bathily 100 % made in Mali. Un groupe de jeunes graphistes travaille d’arrache-pied, avec beaucoup de talent et d’abnégation à donner vie à cette nouvelle activité qui permettra de fournir aux télévisions africaines des programmes inspirés de la culture et de l’histoire du continent. « Tombouctou », un premier projet de moyen métrage inspiré de la situation au Nord Mali est en cours de réalisation sur une idée d’Alioune Ifra Ndiaye et un scénario de la dramaturge Awa Diallo.

En espace de quelques mois, la démocratie malienne a été bousculée jusque dans ses fondements après plusieurs alternances démocratiques réussies. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur ce pays qui est le vôtre ? Le festival littéraire Etonnants voyageurs va quitter temporairement le Mali pour l’Afrique centrale. Pensez-vous que tout un pan de l’activité culturelle malienne subventionnée par l’aide française est menacée par l’instabilité actuelle du pays ? 

Le Mali est pris dans les paradoxes qui travaillent toute l’Afrique. Sa société est très dynamique : 6 % de croissance par an en moyenne durant les 20 dernières années. Et pourtant le pays n’a pas encore construit des institutions fiables, respectées, capables de représenter l’intérêt général. Les élections ont eu lieu en temps et en heure, la constitution a été respectée, mais l’Etat est vécu comme un corps étranger et il est rongé par la corruption. Le coup d’Etat manqué du 22 mars dernier est le symptôme de ce malaise. Il a eu des effets catastrophiques, aggravant brutalement la faiblesse structurelle de l’Etat et de l’armée, et pourtant, sur le coup, beaucoup de Maliennes et de Maliens ont eu de la sympathie pour les motivations des soldats mutinés. Il en est résulté beaucoup de confusion. Dans ces conditions, la question culturelle est d’une importance cruciale. C’est à travers la culture que se reconstruit l’image de soi, que se fondent des institutions respectées parce qu’ancrées dans les réalités du pays, qu’un imaginaire autonome prend forme et qu’un avenir indépendant se dessine. Il faut pour cela que la culture se recentre autour des urgences du pays. On ne peut répondre à ces enjeux en moulant ses projets dans le désir des « bailleurs » étrangers. C’est pourquoi je ne m’inquiète pas trop des problèmes que vous évoquez. Ils ne touchent pas à l’essentiel. Ils peuvent même être l’occasion d’une prise de conscience qui renouvellera la création malienne et peut-être aussi la conception des partenariats internationaux. Sauf bien sûr si les esprits étaient condamnés au silence par la terrible régression intellectuelle et morale qu’un fascisme à déguisement religieux impose aux habitants du nord du pays. Mais cette menace rend l’insurrection des intelligences et des sensibilités plus urgente encore.

 

Interview de Jean-Louis Sagot-Duvauroux réalisée par Lareus Gangoueus

Rencontre avec BlonBa, producteur artistique au Mali (1)

Bonjour, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, vous êtes un des animateurs de BlonBa, une structure malienne indépendante de production artistique et d’action culturelle. Pouvez-vous en quelques mots nous présenter cette aventure culturelle que vous avez initiée avec Alioune Ifra N’Diaye à Bamako ?

BlonBa est né en 1998. Je venais de participer comme auteur et co–producteur à deux aventures artistiques : La Genèse, long métrage de Cheick Oumar Sissoko dont j’avais proposé l’idée et écrit le scénario (sélection officielle Cannes 1999 « Un certain regard ») ; l’Antigone du Mandéka théâtre, mise en scène par Sotigui Kouyaté, qui avait été joué dans d’importantes institutions francophones. Avec Alioune Ifra Ndiaye, nous voulions donner une perspective durable à ce qui s’était engagé là. Deux objectifs nous animaient : créer les conditions d’une économie culturelle autonome au Mali ; travailler d’abord en direction du public malien, en résonance avec les urgences du Mali, en nous inscrivant dans les lignées culturelles du pays. 

Blonba assure à la fois la production d’œuvres artistiques dans le théâtre, le cinéma, des programmes culturels pour la télévision, ou encore, il y a peu, organisait des concerts dans la salle Blonba qui a fermé. Quelle est la démarche de Blonba dans son investissement sur un projet artistique ? Comment choisissez-vous un projet ?

Nous avons commencé avec le théâtre, en reprenant le fil de la rénovation des comédies satiriques du kotèba engagée dans les années 1980 par des artistes courageux et inventifs qui avaient joué un rôle important dans la mobilisation des consciences contre le régime militaire de Moussa Traoré. Très vite, Alioune, qui est réalisateur de télévision, a ajouté à cette activité la production audiovisuelle, avec le même souci de créer un environnement culturel autonome, centré sur les priorités et l’imaginaire du Mali. Et puis nous nous sommes engagés dans l’aventure un peu folle de la salle, un lieu de spectacle, de divertissement et aussi un studio de télévision qui a vite été considéré comme un modèle en Afrique de l’Ouest, tant pour sa proposition artistique que pour la qualité de ses équipements techniques. Dans chacun de ces trois secteurs, nous nous sommes efforcés de construire une économie viable, même quand les subventions font défaut. La production théâtrale s’est essentiellement financée par la vente de nos spectacles à l’exportation. Nous sommes parvenus à un équilibre précaire mais reproductible, ce qui nous a permis de proposer très régulièrement de nouvelles créations. Pour la télévision, nous nous sommes spécialisés dans des programmes liés à la construction de la conscience civique, qui trouvent des commanditaires nationaux et internationaux. La salle a vécu vaille que vaille de la billetterie, de l’organisation d’évènements et comme studio d’enregistrement d’émissions télévisées. Sans nous enrichir, cette orientation nous a permis de vivre et de faire vivre une trentaine de personnes. Elle nous a donné une grande liberté dans nos choix artistiques, notamment en matière théâtrale.

Quel est l’impact, l’influence de la marque BlonBa sur la jeunesse bamakoise ? Y-a-t-il une adhésion à ce concept culturel original et unique dans l’espace francophone d’Afrique subsaharienne ?  

BlonBa est l’œuvre de la jeunesse. Alioune avait vingt sept ans quand nous l’avons créé. A part moi, qui suis plus souvent en France qu’à Bamako, toute l’équipe permanente est plus jeune que lui. Cette entreprise culturelle est très représentative de la montée de générations décomplexées, inventives, tranquillement ouvertes sur le monde, qui donnent tant de tonicité aux sociétés africaines en dépit d’une gouvernance souvent chaotique. La jeunesse bamakoise a rapidement fait de BlonBa un symbole de son dynamisme. A titre personnel, Alioune Ifra Ndiaye jouit d’un grand respect et d’une influence certaine sur les jeunes, qui le considèrent souvent comme un exemple à suivre. L’indépendance sans animosité que nous avons acquise par rapport à la coopération française, souvent considérée comme le guichet unique du financement culturel, souvent courtisée, souvent critiquée à cause de ça, est une des causes de cette popularité. Elle concrétise un « Yes we can » qui taraude la jeune génération. La fermeture de notre salle, après les éènements de mars 2012, a créé un choc. Mais quand nous avons repris notre activité publique, en début octobre, avec la présentation du spectacle d’Alioune Ifra Ndiaye « Tanyinibougou » au Palais de la Culture, 3000 personnes se sont déplacées, témoignant ainsi de l’adhésion du public à notre aventure et à notre propos. Beaucoup des personnes qui disposaient d’invitations ont même tenu à payer leur place pour manifester leur soutien.

Depuis le mois d’avril, la grande salle de spectacle du Blonba de Bamako est fermée pour des raisons techniques et foncières. Est-ce la fin de cette structure ? Quelles sont les alternatives pour reconstruire une telle salle ?

L’économie de la salle était le volet le plus précaire de notre activité. L’hostilité d’une partie de l’administration, la nécessité de rembourser les prêts bancaires, la location du terrain, qui ne nous appartenait pas, la modicité des rentrées de billetterie nous contraignaient à jongler de mois en mois, malgré la renommée d’un lieu qui était devenu au fil des ans un des centres de la vie culturelle bamakoise. Mais cette fragile stabilité n’a pas résisté à la panne d’activité consécutive à la crise malienne et, il faut bien le dire, à la voracité de la propriétaire, mise en appétit par les perspectives que lui ouvrait cette période de non-droit. En fermant la salle, Alioune a immédiatement annoncé que nous tenterions de la reconstruire ailleurs. Nous y travaillons. La crise a créé un électrochoc dans la population et on constate une certaine mobilisation de l’Etat en faveur d’un redressement devenu si urgent. Si la conjonction entre la volonté publique, l’énergie de notre équipe et le soutien des partenaires du Mali s’opère, la nouvelle salle sera rapidement ouverte. Mais au delà du lieu, la créativité de BlonBa est en plein essor. Le « hardware » est momentanément hors d’usage, mais les logiciels fonctionnent toujours. Le spectacle de kotèba Tanyinibougou créé le 6 octobre dernier a été un énorme succès populaire et va être à nouveau représenté à Bamako, dans les régions et à l’étranger. Il marque déjà un jalon dans l’histoire théâtrale du Mali, si liée aux soubresauts de sa vie politique. Et une soixantaine de représentations des spectacles de BlonBa sont programmées cette saison par des institutions culturelles françaises.

En feuilletant le blog de BlonBa, on note que le prix d'entrée des spectacles musicaux tourne autour de 5000 FCFA. Quel type de public se déplace pour voir ces spectacles ? Plutôt étrangers ? Maliens ? Jeunes ?

La salle proposait des spectacles et des divertissements de nature très diverses, financés essentiellement par la billetterie. La tarification visait bien sûr à l’équilibre financier, sans lequel nous perdions notre indépendance. Quand l’accès à un spectacle était à 5000 F CFA, cela limitait évidemment l’assistance aux classes moyennes. Mais nous proposions également des manifestations pour des prix nettement moindres, notamment le Nyènadyè club, qui mêlait soirée dansante et propositions artistiques et qui était fréquenté par beaucoup de jeunes des milieux populaires. Il est aussi arrivé que le Premier ministre de l’époque, M. Modibo Sidibé, un spectateur assidu de nos spectacles, finance des séries de représentations pour le public scolaire et universitaire. Des milliers de jeunes ont ainsi pu voir des pièces comme « Bougouniéré invite à dîner » ou « Vérité de soldat ». L’ouverture de notre activité sur la télévision est elle aussi un moyen de la rendre largement accessible. La question que vous posez reste malgré tout une des principales préoccupations pour une salle indépendante comme l’était le BlonBa. Dans l’état actuel des choses, seul un soutien public permettrait d’engager, comme nous le souhaiterions, une politique tarifaire plus démocratique.

 

Propos recueillis par Lareus Gangoueus, deuxième partie d'intreview à suivre sur Terangaweb

African writers

C'est un bel essai. Un peu épais. Ce qui explique le temps que j'ai pris pour le lire. James Currey fut éditeur pendant une vingtaine d'années pour Heinemann Educational Books, branche de la grande maison d'édition britannique Heinemann. Il a participé à la direction de la collection "African writers" qui a édité quelques uns des plus grands écrivains de l'espace anglophone comme le nigérian Chinua Achebe, le kényan Ngugi Wa Thiong'o ou le zimbabwéen Dambudzo Marechera pour ne citer que ces têtes d'affiche. Ce bouquin est une vraie mine d'or pour qui s'intéresse aux littératures du sud et souhaite avoir une meilleure vision d'un pan entier de littérature africaine publiée sous le label African writers series

Pour mieux comprendre la philosophie de cette collection, le lecteur francophone peut sans trop de risque faire le parallèle avec la maison d'édition parisienne Présence africaine pour comprendre l'influence de cette structure. A ce propos, James Currey montre de manière très intéressante comment le monde francophone sous l'impulsion de Senghor, de Gontran Damas et Césaire avait une bonne longueur d'avance sur l'espace anglophone. Pourtant, la littérature africaine, sous la plume de Currey a vu le jour sur le plan international avec le célèbre roman de Chinua Achebe. Une affirmation très anglophone et commerciale.

James Currey brosse en introduction un portrait des différents acteurs qui ont travaillé à l'émergence de cette collection. Les britanniques Allan Hill, Keith Sambrook, le sud-africain James Currey, les nigérians Chinua Achebe, Aig Higo ou le kenyan Heny Chakava. En tant que conseiller éditorial, Chinua Achebe va tenir une place importante dans la détection de belles plumes comme celle de James Ngugi en 1962 à Makéréré en Ouganda.
Il prend le temps de présenter les différentes aires géographiques qu'Heinneman Educational Books couvrent depuis le début de la collection African Writers, en partant de l'influence importante de l'Afrique de l'ouest avec le géant nigérian, puis de celle d'Afrique de l'Est avec ces contraintes spécifiques, la concurrence d'un autre grand éditeur, les exigences d'une écriture en langue africaine de Ngugi wa Thiong'o qui lui valurent une année d'incarcération dans les geôles kenyanes.

On pourrait dire beaucoup de choses sur cet ouvrage. Comme le fait qu'il nous laisse sur notre faim concernant la réception des œuvres en dehors du circuit scolaire que Heinneman Educational Books semble avoir utilisé à tour de bras pour promouvoir avec succès de nombreux auteurs.Cependant, l'aspect passionnant pour l'amoureux des livres, c'est la rencontre avec des auteurs importants au travers de leurs rapports avec leur éditeur. De ce point de vue, la posture du zimbabwéen de Marechera est intéressante voire troublante. En effet, pour avoir lu Soleil noir, une œuvre fondée sur une profonde irrévérence sinon rejet d'un système totalitaire, les rapports passionnes que Marechera entretient avec son éditeur britannique est de ce point de vue porteur d'un paradoxe alarmant. Une soumission qui semble totale à une structure post coloniale foncièrement occidentale.

D'ailleurs, c'est un procès d'intention récurrent auquel James Currey réagit régulièrement. En page 24, ils indiquent l'ambition au début des années 60 de Chinua Achebe et Keith Sambrook :

Permettre aux collégiens et aux étudiants africains de lire  des œuvres de fiction écrites par des auteurs africains et faire découvrir ces mêmes écrivains à  un public littéraire international.

A la lecture de cet ouvrage, il semble évident que cette collection, rencontrant une époque, a répondu à ce double objectif. Et, on se dit vu le nombre de romans inédits en français, qu'en tant que francophone, la langue de Voltaire nous fait louper beaucoup de choses. Je terminerai cette note de lecture en vous proposant les états d'âme de l'auteur au sujet de ses échanges avec le poète sud-africain Mazisi Kunene sur la problématique de la littérature africaine en langue locale.

 

Avec les épais manuscrits des épopées zoulous de Mazisi Kunene, nous étions confrontés à toutes sortes de questions concernant la direction  que nous souhaitions donner à la collection African Writers, qui reposait sur le roman, un concept pas tellement africain […] Se posait la question de l'authenticité, qui était constamment à l'ordre du jour en Afrique. L'épopée était-elle de l'anthropologie ou de la littérature? Comment traiter l'histoire dans la littérature romanesque? Comment un éditeur pouvait-il un lectorat qui lisait le texte de tradition orale à travers des écrits imprimés?


J'avais des doutes sur mon jugement d'éditeur. J'étais convaincu qu'un Zoulou devait présenter sa propre histoire. Pourtant, dans quelle mesure devait-il présenter cette histoire en utilisant la façon zouloue de raconter une histoire? Etais-je en train de dénaturer les traditions  africaines par mes demandes, relatives aux critères londoniens, de coupe, d'organisation et de présentation?


J'avais appris, ayant travaillé sur la publication de livres traduits de l'arabe, que la question de la langue dans la traduction n'est que le premier problème: la traduction dans une autre tradition culturelle est tout aussi importante. Fort heureusement, mes collègues des filiales africaines étaient convaincus comme moi que les textes devaient être refaçonnés et que grâce au format du livre imprimé le lecteur serait aidé par les titres des chapitres, des parties, les titres courants, les listes de personnages et tous les outils utilisés dans la publication d'un livre.

Dans quelle mesure Mazisi Kunene soutenait-il notre concept de ce que devait être la littérature africaine? Ou bien était il complaisant? Sa propre société pouvait s'attendre à un développement long et complexe. Le lectorat qui aurait accès à ces épopées grâce à un moyen occidental, la langue anglaise, serait probablement beaucoup moins tolérant. 

Un texte à découvrir. Ce billet n'est qu'une ébauche d'introduction.

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

Soleil noir

Cela fait plus d'une semaine que j'ai terminé la lecture de Black sunlight, je devrais dire Soleil noir puisque c'est le titre en français de ce roman de Dambudzo Marechera. Cette traduction est parue en début d'été aux éditions Vents d'ailleurs. Ma lecture a été un peu longue. Faite comme un fractionné pour ceux qui préparent une épreuve de fond ou demi-fond. Avec des accélérations dans la lecture, puis des temps où je fus obligé de me poser pour suivre, comprendre les mots, les phrases, les développements de l'auteur zimbabwéen. Oui, c'est une lecture particulière, où le romancier dicte le tempo du lecteur, construit son discours en brisant le classicisme des pères de la littérature africaine.

Mais de quoi parle-t-on?

Le narrateur est le prisonnier d'un groupe militaire ou d'une milice quelque part en brousse ou dans une jungle. Entre les mains de chefs de guerre pas très commodes, assez rapidement, les errements de la pensée du prisonnier suspendu la tête en bas à une corde se détachent de ce lieu sordide pour évoquer des personnes, des lieux, une femme blanche, nommée Blanche sous une cascade prend un bain, Susan un esprit révolté à un point que le lecteur n'imagine même pas, sa femme Marie, aveugle de son état et bien d'autres personnages dont il est assez difficile de comprendre le positionnement en début de lecture. Cette première phase de la narration est aussi confuse que pourrait l'être le cerveau d'un prisonnier de guerre qui s'attend au pire.

Par bribes, certains personnages se précisent. Mais, si la pensée de notre photographe n'est pas linéaire. Certains sont déjà morts, mais vivent dans l'esprit du narrateur. On découvre petit à petit que dans ce pays en guerre, le narrateur fait partie d'une organisation terroriste, dans une brigade particulièrement violente. Marechera prend un réel plaisir a décrire un processus d'embrigadement et de conditionnement du narrateur, il se délecte d'un discours sur la violence et une volonté de faire exploser toute forme d'autorité et de normes. Ce qui le conduit à user du blasphème. Maréchera excelle dans la théâtralisation de son discours, par des images très fortes venant d'un esprit qu'on pourrait penser complètement destroy.

Le personnage narrateur, dont le métier de photographe lui apporte une certaine forme de recul sur les actions des personnages jusqu'au boutistes qui l'environnent, montre néanmoins la distance que le romancier peut poser. Il est important pour avoir une meilleure compréhension de ce texte de réaliser que ce livre publié en 1980 par Heinemman dans la fameuse collection "African writers" dirigée par James Currey, sort au moment de l'indépendance du Zimbabwé et de la fin de la Rhodésie. C'est une toile de fond qui explique quelque part le caractère insurrectionnel du discours de l'auteur. Le lecteur perçoit l'absence de repères des membres de Soleil noir et la folie attachée à leurs actions qui malheureusement trouve une source dans leurs parcours "barrés".

Allez, pour le plaisir du match anglophones vs francophones, le discours de la tigritude répondant à la négritude, alors que notre personnage est sous l'emprise du discours de Susan :

 
Mes mains auraient tremblé sur la volant si je ne  m'y étais pas aggripés comme un apprenti conducteur.
– Le « Tigre », « Tigre » de William Blake a une force lumineuse précisément parce qu'il réveille en nous, depuis le tréfonds, une force d'opposition plus terrible qui peut marteler ce tigre artificiel et en jaillir des myriades d'étincelles. Les sociétés aussi font le même effet; tout comme les nations; toutes ces grandes constructions. Elles peuvent être réduites à d'éphémères braises vite consumées. La vue même d'une chose vivante a un effet similaire. Fais-la éclater et écrase-la en grains de poussière livide.
page 76, éditions Vents d'ailleurs.
 
Ou encore, le discours d'un écrivain sur le sens de son propos :

Évangéliser le magma rouge qui bout en l'homme n'est pas mon but quand j'écris. D'ailleurs je n'ai aucun but. Je vois  simplement les choses d'une certaine façon, juste comme vous, vous les voyez d'une autre façon. Je devrais être content ici. J'ai cette pièce. J'ai à boire à volonté. Et puis je vois soudain, et ça me paralyse, combien la création est stérile et auto-indulgente, parce qu'elle se nourrit continuellement d'elle-même; tantôt elle expose ses blessures en quatre dimensions, tantôt ellle rampe jusqu'à acquérir une majestueuse grandeur d'ou tout tire une signification particulière, tantôt elle retombe à nouveau dans des arguties aussi inutiles qu'un objet oublié en orbite autour du soleil.

page 99, éditions Vents d'ailleurs.
 
Je terminerai en signalant que j'ai pris connaissance, en préparant cette chronique, du regard que James Currey porte sur le romancier zimbabwéen atypique, trublion, incontrôlable qu'il a dû gérer dans sa collection. L'éditeur en parle dans un magnifique bouquin intitulé Quand l'Afrique réplique, publié chez L'Harmattan dans sa version française. Entre fascination et désarroi, on lit le rapport délicieux entre l'écrivain de génie et son éditeur. Un merveille que j'aurai le plaisir de commenter dès que j'aurai fini toute la lecture de cet ouvrage référent sur la littérature africaine de langue anglaise. Il m'a conforté dans ce que j'ai ressenti en lisant Soleil noir. Marechera est un cas à part, qu'on aime ou qu'on n'aime pas ce qu'il dit ou écrit, il ne laisse pas indifférent.
 
Lareus Gangoueus
 
Traduit de l'anglais par Xavier Garnier et Jean-Baptiste Evette en 2012
Editions Vents d'ailleurs, 173 pages
Titre original Black Sunlight, chez Heinemann Educations Publishers en 1980
 
Crédit photo : © Ernst Schade (http://www.ernstschade.com/)

 

Blues pour Elise

Une des plus belles expériences que j’ai réalisé sur le web fut la découverte et l’immersion dans le blog des Tantines. Il y a trois ans déjà. Un site animé par trois charmantes commères qui nous racontaient avec classe leurs petites joies de femmes émancipées, leurs états d'âme et leurs déboires amoureux. Des frangines branchées, plutôt bobo, des citadines pur jus qui célébraient le black nouveau, l’obamanicus. Je rajoute parce que les portraits du mâle nègre qu'elles croquaient avec frénésie n'étaient pas toujours aussi angéliques que la figure du 44ème président des Etats-Unis. Ce fut une expérience enrichissante où le caractère interactif du blog prenait tout son sens. Plusieurs sujets dépassaient la centaine d’interventions où les sista se fightaient tendrement avec les brotha. La provocation n'était jamais loin chez ces secoueuses de cocotiers. Ce fut cependant une démarche éphémère qui n’a même pas laissé de trace sur le Net, puisqu’en créatrices toutes puissantes, les blogueuses se sont autorisées la destruction de leur espace sans préavis et au détriment de ceux ont nourri ce site de leurs nombreuses commentaires, j’ai cité les internautes.

A la différence des Tantines, le roman Blues pour Elise ne disparaitra pas de la circulation par le simple bon vouloir de son auteure. Pour cette septième publication, après sa trilogie africaine, Léonora Miano s’est plongée dans l'atmosphère décrite plus haut. Quatre copines (trentenaires?), les Bigger than life, sont à la recherche de l’amour. Chacune à sa manière. Avec les blessures anciennes, les dérapages inattendus, la difficulté de la rencontre, les déceptions dont on ne se remet point, les trahisons et les surprises agréables. Elles ont la particularité d’avoir un lien avec le Sud du Sahara, connexion assumée ou pas. Elles sont surtout françaises.

Léonora Miano commence à la surface des choses avant de, comme un sous marin, plonger en eaux profondes. Pour cela, elle découpe son roman comme une sorte de série Tv où les épisodes qui s'enchaînent semblent ne pas avoir de lien avec les précédents, laissant apparaître des nouveaux personnages plus ou moins en lien avec les Bigger than Life. Au fil des chapitres, les relations entre les personnages se revèlent et la bonne humeur inhabituelle dans les textes de Miano se dissipe quand on aborde le chapitre du Blues pour Elise. Je n'en dirai pas plus.

C'est un roman où j'ai eu du mal à reconnaitre le style de Léonora Miano. L'écriture est beaucoup plus "enjoyée" dirait les ivoiriens, plus légère que d'habitude comme si ces portions de vie parisiennes version afrodescendants permettaient une attitude plus relax de la romancière et j'ai vraiment kiffé jusqu'au fameux blues d'Elise où une mère se remémore le drame fondateur de sa migration avec son mari vers la France. Je n'en dirai pas plus (bis). Ce livre est l'occasion d'une plongée dans cette nouvelle France, avec ces magnifiques portraits de femmes d'aujourd'hui et la quête éternelle de l'amour, l'amour, toujours l'amour.

Ambiance :

D'ailleurs, les choses avaient changé. Depuis un moment, l'homme blanc poussait, lui aussi, son sanglot. Il souffrait. Le capitalisme dérégulé l'oppressait, les traders le mettaient sur la paille, ses bassins industriels étaient de vastes déserts, ses emplois étaient délocalisés, il se demandait à quoi avait servi, tout ça : le code noir, le code de l'indigénat, ça lui faisait une belle jambe, il avait honte des aïeux, voulait tout effacer, ne plus voir, sur les pages d'histoire commune, du rouge sang, sans trêve ni repos, proclamer que Noir et Blanc sont ressemblants comme de gouttes d'eau ( Nougaro), pénétrer dans l'ère post-raciale, ce temps féérique où il n'y aurait que l'identité des humains. L'homme blanc avait réfléchi. Il ne voulait pas se mélanger, évidemment, la disparition des différences ayant rendu la chose impossible. L'homme blanc voulait fraterniser.

Page 27, Edition Plon

Ambiance II :

Les bigger than life étaient intelligentes, financièrement autonomes, belles, chacune à sa manière. Elles s'étaient données ce nom il y avait déjà des années, quand elles n'étaient encore que des étudiantes souvent désargentées, filles de personne d'important, portant des prénoms non alignés, des patronymes à l'ancrage lointain. Bigger than life était devenu leur devise. Elles ne seraient pas toujours plus fortes que l'adversité, mais elles seraient tenaces.

Page 78, Edition Plon

Bonne lecture et surtout bonne musique !

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

Léonora Miano, Blues pour Elise
Editions Plon, 199 pages, 1ère parution en 2010.