Ainsi parlait GUELWAAR

« Un doigt que l’on tend sert à interpeller, vous le savez. Mais cinq doigts tendus ne peuvent servir qu’à quémander. 

Nos dirigeants nous ont réunis ici, savez-vous pourquoi ? Pour rien d’autre que de pouvoir mettre la main sur cette aide. Ainsi les avez-vous entendus chanter des louanges et se confondre en remerciements, face à tant de générosité, en notre nom à tous, les présents comme les absents, à l’endroit de ceux qui nous ont donnés cette aide. Regardez-les, regardez nos dirigeants, aucun d’entre eux ne pouvant maitriser sa joie, se dandinant et se pavanant devant nous comme si l’aide était arrivée du fait de leur propre mérite.

Et nous, nous le peuple, nous qui n’avons ni droit à la parole ni faculté de dire non, on chante et on danse pour fêter cette aide. Il est temps d’ouvrir les yeux. Sachons qu’un peuple ne peut être fort lorsqu’est encré en lui la culture de l’aumône. Et vous avez vu que ce genre de cérémonie de remise de don se tient depuis trente ans ici et ailleurs. Cette aide qu’on nous distribue, c’est elle qui nous tue. Elle a tué en nous toute dignité, nous n’avons plus aucune dignité, personne ici n’a gardé sa dignité.

Savez vous que les peuples qui nous envoient ces dons n’ont aucune considération pour nous ? Le savez-vous ? De plus nos enfants, garçons et filles, qui vivent parmi eux là bas, à l’étranger, sont consumés par la honte. Ils ne peuvent plus marcher la tête haute et regarder ces gens les yeux dans les yeux.

C’est vrai que notre pays a traversé toutes sortes de difficultés, qu’il est confronté à toutes sortes d’épreuves mais c’est à nous de prendre en main ces défis.

Notre ancêtre Kocc Barma nous enseigne ceci : si tu veux tuer un être drapé de sa dignité, offre lui à manger tous les jours bientôt tu en feras une bête. Je vous dis que ce qui restait de dignité et de courage en nous, cette aide l’a englouti. Vous avez vu la faim, la soif, la pauvreté qui sévissent ici. Savez-vous ce qui l’a augmenté ? Eh bien je vais vous le dire. Voyez vous si un pays attend ce qui le nourrit et le vêtit d’un autre pays, ce pays, ses enfants et ses petits enfants n’auront qu’une seule parole à la bouche. Voulez vous que je vous dise laquelle ? Merci, merci, merci. »

Discours de Guelwaar dans le film d'Ousmane Sembène

Pierre Henri Thioune dit Guelwaar prononçait ce discours, son dernier discours, devant une assistance subjuguée et des autorités médusées dans une petite bourgade du Sénégal d’après les indépendances. Une scène inoubliable dans un film culte : Guelwaar de Sembene Ousmane. Les évènements racontés dans cette fiction se résument ainsi : Un homme meurt, il est catholique. On confond par inadvertance son corps avec celui d’un autre et c’est une famille musulmane très influente qui l’enterre. Les choses se compliquent lorsque cette dernière refuse d’entendre parler d’exhumation. Le cœur de l’histoire reste cependant l’évocation du souvenir de ce curieux personnage qui faisait trembler les autorités par ses critiques acerbes décochées dans un verbe cru et qui du fait de son engagement a été éliminé.

Thierno Ndiaye Dos lui n’a pas été éliminé. Cet acteur magnifique dont le jeu perfectionniste a porté ce film est mort le 3 aout dernier des suites d’une longue maladie. Dans la mémoire de tous ceux qui ont vu le film il restera Guelwaar et, à l’image d’un Marlon Brando ou d’un Ben Kingsley après Le parrain de Coppola et Gandhi d’Attenborough, demeurera immortel. Les valeurs morales qu’il défend dans son discours sont des raisons suffisantes pour les africains de repenser tout ce système désigné par le vocable trompeur d’aide au développement qui maintient le continent sous perfusion.

Mais elles ne sont pas les seules. D’autres raisons peuvent être résumées par l’argumentaire étalé dans l’ouvrage L’aide Fatale de Dambisa Moyo paru une vingtaine d’années après la sortie du film. A savoir notamment que l’aide représente environ 15% du PIB de l’Afrique mais n’a pas permis de faire reculer la pauvreté, qu’elle encourage la corruption et permet à certains régimes de se maintenir artificiellement, qu’elle ne favorise ni la compétitivité des secteurs productifs, ni la réforme de secteurs publics aux effectifs souvent pléthoriques, qu’entre 1970 et 1998, c’est-à-dire durant la période au cours de laquelle l’aide au développement était au plus haut, la pauvreté a augmenté de 11% à 66% dans le continent.

Guelwaar n’a pas la prétention d’apporter une solution miracle qui permettrait de sortir de cette situation, tout comme l’ouvrage du Dambisa Moyo se contente de proposer des pistes à explorer et d’ouvrir des perspectives, mais il a le mérite de ne pas être une succession de clichés sur l’Afrique comme on n’en voit souvent, de mettre le doigt là où ça fait mal et de nous convaincre qu’une autre voie est possible tout en nous faisant assister, et c’est peut être là que réside le prodige, à un grand moment de cinéma.
 

Racine Demba

Le débat sur l’aide au développement

Depuis le discours de Harry Truman du 29 Janvier 1949, l’aide au développement est devenue l’une des politiques majeures des institutions internationales et un sujet important du débat public global. Naturellement, la question de l’efficacité de l’aide au développement des pays les plus pauvres s'est posée. Les opinons sur ce sujet sont diverses et variées; hommes politiques, économistes, activistes d’ONGs et philanthropes n’ont pas hésité à se positionner pour ou contre la croyance selon laquelle l’aide au développement serait un facteur de croissance pour les pays sous-développés. Dans cet article qui est une revue de la littérature économique sur le sujet, nous verrons que les économistes du développement sont partagé sur l’utilité de l’aide. Deux camps s’opposent : le camp Contre l’aide mené par William Easterly et Dambisa Moyo et le camps Pour l’aide incarné par Jeffrey Sachs.

Contre

Les macroéconomistes ont commencé à s’intéresser à la question de l’aide extérieure très tôt. Dès les années 1960, le chef de fil de l’Ecole de Chicago Milton Friedman a exprimé son pessimisme et ses doutes quant à l’efficacité de l’aide. Pour Peter Bauer et lui, l’aide publique au développement est un « excellent moyen de transférer l’argent des pauvres des pays riches aux riches des pays pauvres. » Easterly et Moyo héritent de cette tradition Friedmanienne dans leurs études néoclassiques et estiment que l’aide fait plus de mal que de bien aux pays pauvres d’Afrique. De leur point de vue, au lieu d’espérer que l’aide tombe dans nos comptes nationaux, nos gouvernements devraient encourager la privatisation des sociétés et favoriser l’ouverture de marchés libres.

Beaucoup d’études économétriques corroborent leurs doutes. En effet, des études montrent que l’aide au développement n’aurait pas d’effet sur la vitesse de développement des pays sous-développés. Au contraire cet aide a même laissé des traces néfastes pour les pays qui en ont bénéficié. Quelques effets secondaires sont par exemple une appréciation inexacte de la monnaie du pays receveur, l’augmentation de la corruption mais aussi un certain laxisme sur les réformes économiques à mener. Par ailleurs, d’autres formes d’aide comme l'importation des excédents agricoles de l'occident ont affaibli les producteurs locaux. Enfin, malgré les exigences des plans d’ajustement structurels en matière de bonne gouvernance, une étroite corrélation a été faite dans certains cas entre la mal-gouvernance et l'aide bilatérale (au point de se demander si ce n'était pas l'aide qui encourageait la corruption et non la corruption présente dans certains pays pauvres qui diminuait l'efficacité de l'aide.) Mobuto, par exemple, avait, à sa mort, assez d'argent dans des banques suisses pour couvrir la totalité de la dette extérieure du Zaïre.

Examinons l’argumentaire d’Easterly et Moyo plus dans le détail.

William Easterly est sceptique sur l’aide au développement qu’il considère comme un phénomène de mode. Dans Le fardeau de l'homme blanc – l'échec des politiques occidentales d'aide aux pays pauvres, Easterly donne sa vision de l’aide extérieure. Il suspecte les missions messianiques de bienfaisance d'être intimement des missions colonisatrices. Il réfute la thèse selon laquelle les pays pauvres sont coincés dans un « piège de la pauvreté » (poverty trap) d’où il ne serait possible de les faire sortir qu'en leur envoyant massivement de l'argent. Pour appuyer ses propos, il montre des évidences statistiques qui, dit-il, prouvent que certains pays émergents ont atteint leur statut de pays développés sans apport massif d’argent de l’extérieur. Il critique notamment l’annulation de la dette des pays pauvres en soulignant les résultats négatifs qui ont été observés en lieu et place de la relance escomptée de ces pays pauvres aprés l'annulation de leur dette.

Dambisa Moyo une écrivaine et économiste zambienne (et accessoirement présentée par les médias comme « étant passée chez Goldman Sachs ») est l’auteure de L'Aide Fatale : Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique. Dans cet essai devenu best-seller, elle soutient radicalement que l’aide extérieure est mauvaise pour l’Afrique et qu’elle devrait être arrêtée. Pour Moyo, l’aide sans limites aux gouvernements africains a créé la dépendance, encouragé la corruption et enfin perpétué la mal-gouvernance et la pauvreté. Elle estime que l’aide extérieure contribue au cercle vicieux de la pauvreté et cache la vraie croissance économique de l’Afrique. Pour elle, la fin de l'aide inciterait les gouvernements à agir et à chercher des sources de financement plus durables et plus efficaces. Le livre de Moyo a eu un écho favorable auprès de certains dirigeants africains comme le président rwandais Paul Kagamé qui estime que « [L’Aide Fatale] a fourni une évaluation précise des enjeux de l’aide aujourd’hui ». Par ailleurs, le président sénégalais Abdoulaye Wade a exprimé un jugement similaire à celle de Moyo sur l'aide.

POUR

Le camp favorable à l’aide au développement tourne autour de la personne de Jeffrey Sachs économiste et conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon. Dans La Fin de la Pauvreté son ouvrage paru en 2005, Sachs écrit : « la gouvernance africaine est pauvre parce que l’Afrique est pauvre ». Pour Sachs, en prenant les mesures adéquates, la pauvreté peut être éradiquée d'ici 20 ans (notons que 1,1 milliard de personnes vivent avec moins de l'équivalent d'1$/jour). La Chine et l'Inde ont valeur d’exemples; la Chine a « sauvé » 300 millions de ses habitants de la pauvreté au cours des deux dernières décennies. Des personnes « sauvées », car pour Sachs, il y a un seuil de pauvreté en deçà duquel les individus sont piégés dans un cercle vicieux et ne peuvent en sortir qu'avec un apport d’argent extérieur suffisant. C’est la notion de « poverty trap » dont l’existence est réfutée par Easterly. Sur la courbe en S ci-dessous, on peut voir qu’un individus a besoin d’un revenu supérieur à un certain niveau pour que ses revenus futurs soient supérieurs à son revenu présent et pour qu’il sorte de la zone de pauvreté.

Le constat de Sachs est que dans une nation, il suffit qu’une génération sorte de la zone de pauvreté pour que les générations suivantes prospèrent. Ainsi, Il recommande aux organismes d’aide de fonctionner comme des sociétés de capital-risque (« venture capital ») c’est-à-dire qu’ils donnent la totalité de l’aide prévue à un pays et non juste une fraction comme c’est communément fait. Ainsi, comme tout autre start-up, les pays qui commencent leur développement doivent absolument recevoir le montant de l'aide nécessaire (et promis au sommet du G-8 en 2005). Cependant, alors qu’une start-up peut se déclarer en faillite lorsqu'elle n’a plus assez de fonds, des habitants des pays pauvres continuent à mourir massivement ce qui aurait pu être évité par une augmentation de l'aide. Pour Sachs, l'aide au développement doit donc passer de 65 milliards (en 2002) à 195 milliards de $ en 2015 afin que les pays en voie de développement entrent dans des cercles vertueux de croissance.

En résumé, pour Sachs il faut plus d’aide et pour Easterly et Moyo il ne faut plus d’aide. Pour marquer son désaccord avec les conclusions d'Easterly, Sachs l'accuse de pessimisme excessif, de surestimation des coûts de vie des pauvres dans ses recherches et d’aveuglement par rapport aux leçons tirées du passé. Par ailleurs, le philosophe et économiste nobélisé Amartya Sen félicite Easterly pour son analyse des problèmes de l’aide au développement mais il critique le jugement négatif qu’il porte sur tous les programmes liés à l’aide et le peu de crédit qu'il accorde aux organismes d’aide alors que des résultats positifs ont parfois été obtenus grâce à ceux-ci.

Quant à Moyo, les solutions de libre marché qu’elle préconise sont dans la pratique plutôt des solutions de long terme. Cinq ans ne seront peut être pas suffisants pour mettre en place ses solutions qui en plus nécessitent un cadre adéquat pour que l’échange soit propice au développement (hypothèses de la concurrence parfaite, bonne gouvernance). En outre, arrêter l’aide pour que les africains cherchent à se financer eux même comme le pense Moyo est, pour l’économiste Paul Collier une idée séduisante mais trop optimiste en ce que « ça exagère les opportunités de financement alternatifs des pays africains et sous-estime les difficultés auxquelles les sociétés africaines font face. »

Enfin, on peut se demander si on peut dire avec certitude que l’aide au développement est défavorable à la croissance ? Sur la figure ci-contre, le PIB/h des pays aidés est représenté par la courbe en rouge. Savons-nous ce qui se serait passé sans les programmes d’aide enclenchés dans les années 60 ? Aurions-nous décollé vers la courbe verte comme le pense Easterly et Moyo ? Aurions-nous régressé en dessous de la courbe jaune ? Nous ne saurons peut être jamais ; il est difficile de simuler une expérience à l’échelle des pays et il n’y a qu’une seule Afrique !

CE QUI COMPTE N’EST PAS « LA GRANDE QUESTION » MACROECONOMIQUE

Sachs, souvent désigné en « rêveur pragmatique » ne croit pas que l’augmentation de l’aide est la panacée à tous les maux. Il a clairement souligné la nécessité d'une approche non simplificatrice et unique sur le développement des pays les moins avancés ; et dans cette approche, la responsabilité des pays étrangers ne peut qu’augmenter par rapport aux solutions basées sur l’aide et non diminuer. Il propose des méthodes concrètes d’éradication de la pauvreté comme, par exemple, le financement de l’agriculture grâce à l’aide au développement (avec de meilleures semences , une irrigation améliorée et l’utilisation d’engrais, les cultures en Afrique et en d'autres endroits peuvent augmenter de 1 tonne / hectare à 3-5 tonnes/hectare). Il préconise également, sur le plan financier, les politiques de microcrédit et, sur le plan de la santé, la distribution gratuite de moustiquaires qui font souvent défaut dans les régions pauvres. L'impact économique du paludisme a été estimé en Afrique à 12 milliards $/an. Sachs estime que le paludisme peut être éradiqué avec 3milliards$/an ce qui montre que l’aide pour les projets contre le paludisme est un investissement économiquement justifié.

Comme pour le cas du paludisme, il y a beaucoup de problèmes liés au développement qui ne peuvent se résoudre actuellement avec l’aide. De fait il vaudrait mieux se focaliser sur l’efficacité des différentes politiques faisant intervenir l’aide que de débattre si dans l’absolu l’aide est bonne ou si elle ne l’est pas. C’est exactement ce que font Abhijit Banerjee et Esther Duflo du Jameel Poverty Action Lab auteurs de Repenser la pauvreté. Ils ont fait des expériences en situation réelle sur des sujets microéconomiques simples et ont pu montrer que les formes d’interventions suivantes que peut prendre l'aide au développement sont très efficaces:

– les subventions accordées aux parents et exclusivement réservées à l'éducation des enfants et à leurs soins de santé,
– Les subventions des uniformes scolaires et des manuels
– l'enseignement correctif des adultes analphabètes afin qu’ils sachent lire et écrire
– Les subventions des médicaments vermifuges, vitamines et suppléments nutritionnels
– Les programmes de vaccination et de prévention du VIH/SIDA
– Les subventions des pulvérisateurs contre le paludisme et des moustiquaires
– L’approvisionnement en engrais adaptés
– L’ approvisionnement en eau potable

Tout compte fait, la question de l’aide au développement n’est pas une question de souveraineté mais bien une question économique qui doit répondre à des exigences d’efficacité. L’aide existe encore mais elle a changé vers une autre forme prenant en compte de plus en plus les recommandations venant d’évidences microéconomiques des différentes sous-questions du développement. Nous devrions donc parler d’aides au pluriel et examiner leurs utilités séparément. Néanmoins, nous devrons reconnaitre qu’à long-terme, l’Afrique devra trouver dans ses propres fonds, les moyens pour maintenir sa croissance.

Abdoulaye Ndiaye

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Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

 

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3 façons d’améliorer l’éducation

La féminisation de la pauvreté Partie I et Partie II

 

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Avec un PIB[1] par habitant 17 fois inférieur à celui des pays avancés, l’Afrique Sub-saharienne représente aujourd’hui la région la plus pauvre au Monde. Les populations de cette région ont un niveau de vie largement en dessous de ceux des pays avancés. Par ailleurs, les diagnostics sur les défis liés au développement sont connus de tous. Qu’ils soient dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et des infrastructures de communication et de transport, les besoins sont énormes. Dès lors, l’exécution des projets d’investissement publics identifiés requiert la disponibilité de moyens financiers importants. Où trouver ces moyens financiers dans un pays pauvre ?

La réponse évidente à cette question semble être les sources de financement extérieures. Qu’elles proviennent d’accords de prêts bilatéraux avec d’autres pays développés ou des prêts multilatéraux gérés par des institutions internationales telles que la Banque Mondiale ou le FMI, la principale question demeure l’autofinancement du développement. Or, le poids du financement extérieur demeure élevé en Afrique sub-saharienne. C’est le cas des pays de l’UEMOA où le taux[2] de financement des investissements publics sur ressources propres ne dépasse pas 50%. Toutefois, comme l’indique la figure ci-dessus, cet indicateur croît d’une année à l’autre indiquant une participation plus importante de l’Etat dans les investissements publics. Le taux de financement sur ressources propres est ainsi passé de 35% en 2000 à 50% en 2005, et cette tendance continue après 2005 bien que les données récentes ne soient pas disponibles pour l’extension du calcul.

Au regard de cette tendance continue à la hausse, l’on pourrait s’interroger sur les nouvelles sources de financement sur fonds propres des Etats Africains. Sachant que la valeur des investissements est également en constante augmentation, s’agit-il alors d’une amélioration de la fiscalité dans ces pays ? Dans le cas échéant, de quel type de fiscalité s’agirait-il? Ces questions constituent des points de réflexion qui ne seront pas abordés ici, faute d’information. Dorénavant, ce résultat constitue une note très positive dans l’appréciation du financement du développement en Afrique sub-saharienne.

En effet, abstraction faite des chiffres, les ressources financières actuelles de l’Etat sont très insuffisantes en Afrique. Cela est dû en premier lieu à la défaillance du système fiscal et en second lieu à la faiblesse de la croissance économique par rapport à son niveau potentiel. Malgré cette situation, si les Etats Africains parviennent de plus en plus à financer les projets de développement sur davantage de ressources propres, cela révèle une meilleure prise de conscience des dirigeants africains des conditions de vie des populations.

Par ailleurs, l’aide extérieure n’est pas mauvaise en soi, mais elle ne doit pas engendrer une situation de passivité et de dépendance chez les bénéficiaires que sont les Etats Africains. Au contraire, elle devrait servir de tremplin vers l’autofinancement des projets de développement à long terme. Fondamentalement, l’aide au développement ne peut se substituer à l’autofinancement dès lors que sa contribution dans le processus de développement est marginale. Comme l’a montré l’économiste zambienne Dambisa Moyo[3], l’efficacité de l’aide au développement est très faible et elle conduit à renforcer davantage une situation de dépendance, de corruption et de défaillance des  marchés.

En plus, les théories de l’économie politique nous enseignent que les populations sont susceptibles d’être plus engagées dans le contrôle de l’exécution des projets de développement – à travers le parlement et les organisations de la société civile – si les ressources financières proviennent de leurs taxes et donc de leurs efforts. Par conséquent, le financement sur ressources extérieures a tendance à renforcer davantage la mauvaise gouvernance. La mauvaise gestion de l’aide extérieure entraîne l’échec des projets de développement, ce qui n’assure pas le remboursement des emprunts. On assiste finalement à un rééchelonnement de la dette ou à son annulation.

En général, les motivations de l’aide au développement ne sont pas toujours d’ordre économique, comme ce fût le cas durant toute la période de la guerre froide. De plus, la mauvaise gouvernance encouragée par l’image de gratuité que porte l’aide extérieure n’assure pas les résultats escomptés. C’est ainsi que seulement une infime partie du montant de l’aide extérieure parvient aux populations. La majeure partie est destinée aux prestations de services administratives dans le transfert des ressources mobilisées. Le phénomène du « leaking bucket » frappe ainsi l’aide au développement : une bonne partie des ressources initiales est « perdue » dans le processus de leur mise à disposition.

Il est également possible d’envisager l’argument de l’efficacité économique des prêts bilatéraux entre pays ayant une large capacité de financement, comme la Chine actuellement et un pays en besoin de financement. Toutefois, il ressort de plus en plus que l’aide extérieure est fortement conditionnée par la situation économique dans le pays donateur. C’est ainsi que la crise financière de 2008 a incité les pays développés à davantage contrôler leur déficit budgétaire et à mettre en place des fonds de sécurité capables de financer les déficits budgétaires en cas de crise. Dès lors, les accords de prêts portent sur des montants moins importants.

Somme toute, il résulte que le financement du développement sur l’aide extérieure ne peut être qu’une phase transitoire vers l’autofinancement. La tendance vers l’autofinancement observée est une lueur d’espoir dans ce sens. Dès lors, il est souhaitable qu’une partie de l’aide extérieure soit allouée à la mise en place progressive d’un système d’autofinancement du développement.

 

Georges Vivien Houngbonon


[1] Source FMI WEO. Données en Parité du Pouvoir d’Achat, ce qui nous permet d’avoir une comparaison du niveau de vie économique.

[2] Il s’agit du rapport entre le montant des investissements financé par les ressources de l’Etat et celui des investissements financés sur appui extérieur.

[3] Dambisa Moyo, « Dead Aid : Why Aid is not Working and How There is a Better Way for Africa », éditions JC Lattès, 2009.

Faut-il mettre fin à « l’aide au développement »?

Telle est en substance la question posée dans son livre Dead Aid par Dambisa Moyo. Cette dernière est considérée par les grands médias anglo-saxons comme l’intellectuelle africaine de l’année 2009 ; le Time magazine l’a placé dans son dernier classement des 100 personnalités les plus influentes au monde, et elle est régulièrement invitée sur les plateaux des grandes télévisions internationales comme la BBC ou CNN, pour tout sujet ayant trait à la situation socio-économique africaine. Dambisa Moyo ? Zambienne, économiste titulaire d’un master à Harvard et d’un PhD à Oxford, elle a travaillé à la Banque mondiale ainsi qu’à la célèbre banque d’affaire américaine Goldman & Sachs.

Son constat est le suivant : sur les soixante dernières années, l’Afrique aurait reçu un trillion (1000 milliards) de dollars d’aide au développement de la part des pays développés (une petite partie sous forme de dons, le gros du reste sous forme de prêts à taux censément faibles). Or, la situation économique et sociale du continent africain est toujours dramatique. Elle en tire comme conclusion que cette aide aura été inefficace d’un triple point de vue : économique, social et politique. Continue reading « Faut-il mettre fin à « l’aide au développement »? »