Quelles perspectives de croissance pour l’Afrique en 2017 ?

Alors que l’économie mondiale tend à se redresser, le FMI estime que le ralentissement devrait persister en Afrique subsaharienne, mettant en exergue la fragilité des ressorts des économies de cette région. 

Le FMI a publié son édition d’avril des perspectives économiques pour 2017. Le rapport indique une stagnation générale de l’économie mondiale à 3.5% (contre une prévision de 3.1% en 2016). Pour l’Afrique subsaharienne, un léger redressement est escompté à 2.6% (contre une prévision initiale de 3% fin 2016), après la décevante performante de 2016[1]. Selon le FMI, ce rebond est porté notamment par le recouvrement en cours au Nigéria dans la production pétrolière, les dépenses publiques engagées en Angola – dans la perspective des élections à venir – et la résolution de la sécheresse dans la zone sud du continent.

Cette performance reste toutefois bien en dessous des performances enregistrées par le continent sur les deux dernières décennies, tranchant ainsi avec les discours laudateurs présentant le continent comme le nouvel eldorado économique et mettent en exergue les ressorts fragiles des économies africaines.

Si à l’échelle mondiale, le recouvrement paraît plus lent que prévu, les pays africains semblent, pour leur part, loin de retrouver le rythme de croissance de ces dernières décennies. Cette situation amène à s’interroger sur le caractère durable des performances enregistrées par la région ces dernières années et l’efficience et la pertinence des politiques économiques mises en place sur le continent.

Il convient avant toute chose de préciser que cette donnée masque de fortes hétérogénéités dans la région. Alors que l’économie de près de la moitié des pays du continent – pays riches en ressources naturelles pour l’essentiel – a été affaiblie par la baisse du cours des matières premières, dont notamment le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Angola (premières économies d’Afrique) ; l’autre moitié – pays pauvres en ressources naturelles pour l’essentiel – enregistrent des performances plutôt robustes. Selon les estimations du Fonds, pour ce dernier groupe, le taux de croissance devrait s’établir en moyenne à 5.4% en 2017 (contre 5.1% en 2016). Globalement, ce léger redressement est dû à la faiblesse de la performance économique dans le premier groupe de pays, constitué par les principales économies du continent qui dépendent fortement de leurs ressources naturelles. Même pour le second groupe, le niveau relativement bas du prix des ressources naturelles, notamment celui du pétrole, a fortement contribué à leur performance. En effet, pour ces pays, la baisse de la facture d’importations a permis de renforcer l’activité intérieure et de dégager des marges pour l’investissement public. Au final, les économies de la région restent encore fortement dépendantes des fluctuations sur le marché des ressources naturelles.

Des politiques publiques inadéquates ? 

Le manque de résilience des économies africaines vis-à-vis de ces chocs exogènes tient essentiellement au manque de mécanismes adéquats dans les pays pour les absorber. Dans les pays exportateurs, les mesures d’ajustement ont été mises en place avec beaucoup de lenteur et sont parfois inadéquates et contreproductives.

La principale économie du continent, le Nigéria, est depuis fin 2014 plongée dans une crise économique liée à la tardive décision des autorités de laisser le taux de change s’ajuster au marché. Si une telle mesure aurait été difficile à adopter dans les économies appartenant à une union monétaire (pays de la zone franc notamment), les mesures budgétaires n’ont consisté essentiellement qu’à une réduction des dépenses publiques plutôt qu’au renforcement des mécanismes de mobilisation des ressources financières internes pour financer les projets et renforcer l’activité interne.

Aussi, la bonne performance enregistrée par les pays non exportateurs n’est pas la conséquence de quelques mesures de politiques publiques mais le fait d’une conjoncture plutôt favorable. D’ailleurs, profitant de cette embellie économique, certains pays ont accélérer l’investissement public en s’endettant davantage et en ne prenant que peu de précautions contre un éventuel retournement de la conjoncture ou en mettant en place des mécanismes permettant d’amplifier cet impact à long terme. La Zambie et la Cote d’Ivoire auraient ainsi levé près de 3 Mds USD sur les marchés financiers internationaux en 2014 et 2015.

Au final, les performances économiques robustes récentes du continent ne découlent pas forcément d’une stratégie visant à asseoir une activité interne dynamique. Elles reposent encore sur des ressorts exogènes, qui se sont renforcés avec la crise de 2007/2008. Une situation qui corrobore les récents résultats de l’ADI en ce qui concerne le caractère inclusif de la croissance en Afrique subsaharienne.

Des conditions financières de plus en plus serrées, qui vont ralentir la reprise escomptée   

La baisse de régime de la performance économique dans les pays d’Afrique subsaharienne affecte notamment leur capacité à financer leur développement. Selon les données du FMI, les pays exportateurs de ressources naturelles affichent aujourd’hui des déficits (près de 5% du PIB en moyenne entre 2015 et 2016) contre des excédents (pouvant atteindre 4% du PIB) en 2013. Alors que les financements internationaux se font de plus en plus rares, le manque de ressorts économiques internes vient accentuer ces pressions. Le recours à l’endettement pour financer l’investissement public dans ces conditions est fortement porteur de risques. Un article précédent discutait les forts risques qui pèsent sur les économies africaines du fait de l’accélération de la dette.

Dans ce contexte, les espoirs d’une reprise économique robuste permettant d’améliorer les conditions de vie des populations s’estompent. D’ailleurs, le FMI indique que la croissance dans la région pourrait se relever à 3% en 2017 si les mesures de politiques publiques s’appuient sur l’activité économique interne portée par une politique publique de diversification. Il faudrait, en outre, que les pays trouvent des alternatifs financiers pour poursuivre l’exécution des investissements publics nécessaires pour l’attractivité des pays sans accentuer les risques de surendettement.  Une question que l’ADI a discuté lors de sa conférence annuelle 2016.

Si bien de progrès ont été réalisés ces dernières années, la fragilité de certaines économies africaines démontrées par ces données interpellent à plusieurs niveaux. On peut, dès lors, se mettre d’accord avec le FMI en insistant sur la nécessité de repenser la politique économique dans les pays africains. La prépondérance des ressources naturelles dans la trajectoire socio-économique du continent constitue le premier obstacle pour son développement. En outre, la dépendance des économies africaines vis-à-vis des ressources financières externes entravent fortement la mise en valeur de son potentiel économique. Tout en misant sur une politique de diversification, il apparait important pour les Etats africains de renforcer les mécanismes de mobilisation des ressources intérieures afin de faire face à leur important besoin financier.


[1] La croissance s’était établie à 1.4% pour la région alors qu’il était attendu à 1.5%.

Perspectives économiques régionales: une croissance à plusieurs vitesses en Afrique subsaharienne!

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance économique (la croissance moyenne)  de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. Ces  prévisions publiées précisément le 16 Octobre 2016   dans son rapport semestriel  sur «les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne » soulignent  aussi une croissance hétérogène entre les différents pays de la région.

En effet, la conjoncture actuelle de l’économie mondiale, dominée précisément par la baisse continuelle des cours du pétrole et des matières premières,  a eu des effets différents sur les pays de la région en fonction de la structure de leur économie (pays exportateurs ou importateurs de pétrole, pays riches ou pauvres en ressources naturelles).

weo

             Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel

De facto, les pays  tributaires des exportations de ressources naturelles (le pétrole) connaissent aujourd’hui un fort ralentissement    de leur économie. Des tensions causées, en partie, par la chute des exportations vers la Chine – premier partenaire commercial de la région (qui fait face à d’énormes difficultés économiques)  – mais aussi vers le reste du monde. Ainsi les pays comme le Nigéria, l’Afrique du sud et l’Angola ont vu leurs recettes nationales amputées  dans des proportions allant de 15 % à 50 % de leurs PIB depuis le milieu de l’année 2014.

Cependant, cette situation l’économie mondiale profite à d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Kenya, l’Éthiopie …qui continuent d’afficher de bons résultats, car bénéficiant de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires. Ces pays devraient  continuer d’enregistrer des taux de croissance allant de 6 %  à  8%  dans les deux prochaines années, selon le même rapport. Mais dans l’ensemble, la production de la région ne devrait progresser que de 1,4 % en 2016. Un chiffre correspondant à ceux des années 1977, 1983,1992 et aussi de l’année 2009  date à laquelle la plupart des pays industrialisés du monde sont rentrés en récession la suite du krach de l'automne 2008.

weof

Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel Pendant les épisodes de ralentissement économique actuel et passés

En plus de ces facteurs exogènes, la manque de transparence  des politiques publiques des pays les plus touchés a fortement contribué à leurs relentissements actuels et aux tensions économiques qu’ils connaissent. En ce qui concerne la politique économique, la réaction des différents gouvernements  fut lente voire même parcellaire.Et les progressions ou les croissances prévues pour les pays comme  la Côte d’ivoire, le Sénégal, l’Ethiopie, etc. pour les années à venir n’auraient pas d’effets ou d’impacts  sur l’économie des pays touchés  en raison de la faible intégration économique de la région.

Toutefois, les prévisions du FMI annoncent aussi une reprise modeste, avec une croissance d’un peu moins de 3 % pour l’année prochaine mais sous certaines conditions. Cette reprise ne serait possible que si  les différents gouvernements concernés, c’est-à-dire ceux qui dependent de l’exportation du  pétrole, mettent en place un ajustement budgetaire efficace à moyen terme.En d’autres termes,ces pays doivent  trouver des nouveaux moyens de financement de leurs économies  qui pourraient contribuer à attenuer l’effet de freinage à court terme sur la croissance et réduire l’incertitude qui fait actuellement obstacle à l’investissement privé.

D’ailleurs, cette problématique du financement des économies africaines a été le thème de la Conférence annuelle 2016 de l’Afrique des Idées qui avait réuni plusieurs experts au sein de l’université Paris Dauphine le 4 juin 2016.  L’élargissement de l’assiette fiscale, les Partenariats Public-Privé (PPP) sont des pistes à explorer pour garantir des moyens durables de financement des économies africaines.

Hamidou CISSE

Croissance, émergence et inégalités en Afrique

2012-09-26-cop17jo-burg

Nombre de citoyens africains de 2015, qui se veulent libres et entreprenants, dans un monde en pleines mutations, sont en train d’œuvrer à une nouvelle expression du continent à travers les idées novatrices et les actions transformatrices qui y ont cours.

L’Afrique est un continent jeune avec ses 1,1 milliards d’habitants en 2013. C’est à dire 15% de la population mondiale. Qui dit jeunesse dit dynamisme, espoir, fenêtres d’opportunités. Pourtant le continent ne représente que 3,5% du Produit intérieur brut (PIB)  mondial soit, selon une comparaison établie par l’économiste congolais, Gabriel Mougani, de la Banque Africaine de Développement, dans son livre : « Afrique: prochaine destination des investissements mondiaux? » moins que la part du PIB de l’Inde par rapport au PIB mondial qui est de 5,77% (le PIB moyen par habitant de l’Afrique est de 2060 dollars  contre 5418 dollars pour l’Inde). L’Afrique c’est aussi seulement 3,9% du volume mondial des Investissements directs étrangers (IDE) et 3,4% du commerce mondial.

La moitié du milliard d’africains a aujourd’hui moins de 25 ans. La tendance ne faiblira pas – bien au contraire- dans les prochaines années. Les prévisions disent que dans 30 ans l’atelier du monde se déplacera de la Chine vers l’Afrique dont la population sera alors estimée entre 1,5 et 2 milliards d’âmes. La raison est que l’aire géographique du monde ayant la plus grande population d’âge actif ne sera plus l’empire du Milieu mais le continent noir.

 Ainsi, sont mises en évidence, de partout, les opportunités qu’offre ce pôle de croissance devenu désormais incontournable. Souvent, il s’agit d’abord de non-africains, s’exprimant, selon leur intérêt ou celui de leurs pays, région, continent sur un marché nouveau à conquérir et exploiter car c’est la région du monde où la rentabilité des capitaux est la plus élevée. Comme le fait remarquer l’économiste franco-égyptien Samir Amin : « on parle d’une Afrique émergente alors que les problèmes sociaux fondamentaux s’y approfondissent d’année en année ».

Toutefois, des voix africaines, de plus en plus nombreuses, se font entendre pour mettre en avant la vision que les fils du continent eux-mêmes ont de cette embellie annoncée. Ce qu’ils pensent de l’utilisation des importants flux d’investissements dont ils sont appelés à être les destinataires. Le guinéen Amadou Bachir Diallo, autre économiste de la Banque Africaine de Développement, campe le sujet en ces termes : « si ces interlocuteurs-là viennent chercher leurs intérêts, la question qui se pose est : quels sont nos intérêts à nous ? D’abord est ce qu’on tire profit de ces investissements en termes de taxation, en termes de création d’emplois, d’infrastructures, en termes de renforcement de la structure économique ? Les ressources qu’on en tire qu’est-ce qu’on en fait ? Quel type de partenariat on vise ? Pour résumer, il faut penser en termes de diversification maitrisée de l’économie ». Faire en sorte d’investir dans la recherche développement et d’avoir un secteur privé fort dans chaque pays du continent  pour porter cette économie devient ainsi une nécessité. Le développement d’un marché intra-africain l’est tout autant car avec l’Afrique du Sud et le Nigéria notamment comme moteurs, le potentiel est impressionnant. D’autant plus que les 430 milliards environ de dollars de réserve de change qui dorment dans les banques centrales africaines pourraient booster cette nouvelle politique économique. Mais pour en arriver là, un changement radical de mentalités s’impose.

A cette approche économique, il faudra ajouter une lutte plus efficace contre la corruption, le renforcement des institutions juridiques et gouvernementales ainsi que la diminution des risques politiques.

 

Sociétés émergentes versus marchés émergents

Lorsqu’ils font référence à l’Afrique, beaucoup de spécialistes des pays développés ou grands émergents et même, parfois, certains fils du continent parlent donc d’un marché émergent offrant actuellement plus d’opportunités que partout ailleurs ; « le lieu où il faut être pour faire du profit » dit-on. Or cette approche de l’émergence (concept en lui-même discuté par certains) met au second plan le volet social. Elle ne garantit pas que les fruits de la croissance profitent aux africains et se répercutent sur leur pouvoir d’achat. La nouvelle conscience africaine dont il est question ici cherche, quant à elle, à promouvoir des sociétés émergentes.  La croissance y serait essentiellement portée par des africains et non par des multinationales promptes à rapatrier les dividendes tirées de leur activité vers d’autres destinations. Elle serait inclusive avec des richesses mieux redistribuées pour, d’une part, réduire l’écart de niveau de vie avec les citoyens des pays les plus avancés et, d’autre part, en interne, venir à bout des inégalités qui, sans cela, iraient en se creusant avec ce boom économique.

 Les intellectuels porteurs de cette conscience africaine émergente ont le souci de ne pas laisser d’autres penser leur devenir à leur place. Ils tentent de  questionner leurs choix, de se regarder et de regarder leur environnement sans complaisance,  d’interroger le passé pour transformer ce présent dont nul ne pourrait se complaire malgré des projections souvent optimistes, en ne répétant pas les erreurs du passé.

Au suivisme dans la recherche effrénée d’une infinie croissance aux fragiles fondations en papier mentionnant une accumulation de dettes, ils préfèreront la sérénité d’une approche à la fois plus responsable, plus solidaire et plus préoccupée par les priorités actuelles et le sort des générations futures, procurant in fine la satisfaction du devoir accompli. C’est ce que certains appellent l’afro-responsabilité.

L’enjeu consiste dés lors en une prise en compte des succès et des échecs des orientations passées et présentes, une prise en charge des aspirations et espoirs des plus modestes, dans la réflexion pour la réalisation d’un développement à hauteur d’homme synonyme de mieux être pour tous. Il s’agit aussi de ne pas réduire la lutte contre la pauvreté à des actions d’assistanat visant les pauvres mais de faire le lien entre pauvreté et inégalités afin de s’attaquer aux causes dont la principale renvoie à une croissance mal redistribuée, et de vaincre le mal à la racine.

 

Etablir sa propre temporalité

La responsabilité des Etats africains et autres organisations d’intégration est engagée. Selon toujours Amadou Bachir Diallo de la BAD, plus d’unité s’impose pour pouvoir peser sur certaines décisions dans les instances internationales. Il faut aussi, avance-t-il, « une volonté politique, une réorganisation du système financier pour accompagner ce secteur privé qui portera une croissance africaine réelle, éviter la compétition entre le secteur public et le secteur privé, penser à développer une classe de jeunes entrepreneurs. Cela passe par une formation de qualité, des financements adéquats mais aussi la mise en place d’un réseau qui puisse guider leurs premiers pas dans la vie d’entrepreneur ».

L’écrivain et économiste sénégalais Felwine Sarr va plus loin. Il faut, de son point de vue, pour l’Afrique, rompre avec la référence externe  et  établir sa propre temporalité  pour ne plus avoir comme horizon indépassable le projet de rattraper les champions d’un modèle qui a fini de montrer ses limites. Une étude menée par Oxfam révèle qu’en 2016, 1% de la population mondiale possèdera plus de la moitié du patrimoine. Les plus virulents détracteurs de cette étude réfutent les chiffres avancés mais conviennent unanimement du creusement des inégalités. Sarr rejette ainsi le modèle ayant conduit à cette dérive née d’un désir d’accumulation malsain érigé en norme et insiste sur « la nécessité de l’élaboration d’un projet social africain, partant d’une socio-culture parce qu’on ne peut avoir économiquement raison si on a socio-culturellement tort ».

Ce souci de changer de paradigme a une résonnance particulière au moment où la théorie du ruissellement voulant que l’accumulation de richesses entre les mains d’une minorité profite à la croissance car leurs revenus auraient pour finalité d’être réinjectés dans l’économie est en train d’être battue en brèche par le FMI lui-même. Le Fonds, longtemps favorable à cette thèse d’inspiration libérale, a reconnu dans un rapport publié récemment que plus les riches sont riches moins la croissance est forte. Les chiffres qui étayent cette position sont les suivants : lorsqu’à travers le monde la fortune des 20% les plus aisés augmente de 1%, le PIB global diminue quant à lui de 0,8%.  

Aussi est-il aujourd’hui aisé de constater que les modèles de développement destructeurs de systèmes sociaux et d’équilibres naturels qui sont reproduits à l’identique un peu partout finissent par ne plus répondre aux exigences d’un développement durable et par creuser les inégalités dans une même société ainsi qu’entre pays au sein du système international.

Racine Assane Demba

Sources : ONU, Banque mondiale, FMI, OMC, CNUCD, BAD, Economy Watch, « Afrique: prochaine destination des investissements mondiaux? » ouvrage de Gabriel Mougani, « Développement : archéologie du concept » présentation de Felwine Sarr

 

 

Côte d’Ivoire : Pays Pauvre Très Endetté

Le 30 juin 2012, comme prévu, la Côte d’Ivoire entrera dans le club très fermé des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), « accréditation » accordée par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International. Ce statut offre au pays de nouvelles perspectives, mais il est également source d’inquiétudes.

 Plus de dix ans. Oui, plus de dix années de troubles et d’instabilité politique ont entraîné la Côte d’Ivoire dans une situation économique et sociale désastreuse. Une dette équivalant à 93,3% du Produit Intérieur Brut (PIB). Le 170e rang en termes d’Indicateur de Développement Humain (IDH), sur 187 pays listés. Sans compter la crise postélectorale et la guerre civile qui ont provoqué une récession de 5,8% du PIB en 2011.

 Cette situation a très certainement accéléré l’entrée du pays dans le « club » des Pays Pauvres Très Endettés. En réalité, depuis 2009, la Côte d’Ivoire a enclenché ce que l’on appelle le « Point de décision », à savoir la candidature officielle pour faire partie des PPTE. Le 30 juin, c’est le « Point d’achèvement » qu’elle finalisera pour faire officiellement parti des PPTE.

 L’intérêt d’être un PPTE

Le gouvernement ivoirien se réjouit à l’idée de l’entrée du pays dans les PPTE, pendant que la population espère, via ce nouveau statut, des conditions de vie bien meilleures.

En effet, devenir PPTE offre des avantages économiques incontestables : réduction drastique du service de la dette et aides financières substantielles. Pour exemple, le Royaume-Uni a déjà annoncé, qu’à l’officialisation du nouveau statut de la Côte d’Ivoire, le 30 juin, la totalité de la réserve de dette à son égard sera annulée. Pour l’heure 39 milliards de Francs CFA (environ 60 millions d’euros) ont déjà été annulés. Dans le même ordre d’idées, le Club de Paris –association des bailleurs de fonds publics- a décidé d’une réduction de 78% de la réserve de dette ivoirienne. Dans le même temps, le FMI a consenti un prêt de 470 millions d’euros au pays.

 Ce sont en tout, près de 4,60 milliards d’euros de dette que la Côte d’Ivoire n’aura pas à rembourser. C’est autant d’argent que le gouvernement aura à sa disposition pour réhabiliter son pays sur le plan social. Un pays où les universités sont fermées depuis 18 mois et où les professeurs du secondaire ne sont plus rémunérés. Un pays où le système de santé est en ruine. Un pays où les routes sont impraticables et où l’insalubrité publique est un problème majeur.

A noter que pour accéder à ces allègements, la Côte d’Ivoire a dû montrer patte blanche en assainissant ses dépenses publiques, condition sine qua non pour être accepté dans le « club ».

 Main dans la main avec la France

A l’occasion des élections présidentielles françaises, il a souvent été question, ces derniers temps, d’une nouvelle approche des relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique. D’aucuns se plaisent volontiers à croire à un changement radical de ces relations avec l’avènement d’un président socialiste. Le nouveau statut de la Côte d’Ivoire pourrait être un bon révélateur du changement –ou non- de politique.

L’Agence Française de Développement (AFD), signera, au 30 juin,  un contrat de désendettement avec la Côte d’Ivoire. Le principe est simple : la Côte d’Ivoire continuera de rembourser ses dettes à la France qui lui prêtera à nouveau- et immédiatement- ces sommes à taux zéro. Soit. Le plus important dans ce contrat est que la France aura un droit de regard sur la destination des sommes en question. Comment s’empêcher de penser que l’allocation de ces nouvelles ressources ne se fera pas essentiellement dans la droite ligne des intérêts de la France et non de la Côte d’Ivoire ? D’ailleurs, le gouvernement ne s’en cache qu’à moitié. Cette vision est quasiment validée par le ministre de l’Economie et des Finances M.Charles Diby lorsqu’il se défend : « Cette opportunité ne devrait pas être jugée par rapport aux avantages quelle suscite pour les partenaires au développement [la France en l’occurrence]. Elle est bonne pour la Côte d’Ivoire aussi. »

Le gouvernement admet donc que l’entrée dans les PPTE est autant un avantage pour la France que pour la Côte d’Ivoire. Mais qu’en sera-t-il lorsque les sommes seront disponibles ? Le gouvernement ivoirien pourra-t-il les utiliser pour assainir la filière café-cacao, ce qui serait à coup sûr un point positif pour les milliers d’agriculteurs ivoiriens dans cette branche, mais une très mauvaise nouvelle pour une grande entreprise française comme Cémoi (numéro 2 mondial dans l’industrie du chocolat) ?

 La réalité est que la Côte d’Ivoire, une fois devenue PPTE ne sera plus souveraine dans le système de réallocation de ses ressources. Si tant est qu’elle l’était jusqu’à présent. Et sur ce plan précis il sera bon de juger l’évolution de la France-Afrique. L’Etat français sera-t-il directif ou laissera-t-il sa liberté économique à la Côte d’Ivoire ? Nous verrons.

L’initiative PPTE : pour mieux contrôler les pays pauvres ?

La catégorie PPTE est une création conjointe du FMI et de la Banque Mondiale, en 1996. Cette initiative a pour but de redresser économiquement les pays dont la dette est devenue socialement insoutenable. Aujourd’hui, les PPTE sont au nombre de 32. Depuis sa création, l’initiative PPTE, en additionnant tous les programmes d’allègement, a annulé 72 milliards d’euros de dettes.

 Selon la Banque Mondiale, l’initiative PPTE permet aux pays en difficultés de sortir du cercle vicieux du rééchelonnement constant de la dette. Est-ce vraiment le cas ? En devenant PPTE, un pays voit ses dettes allégées ou annulées. Mais ces allègements sont accompagnés de nouveaux prêts qu’il faudra bien rembourser un jour. Et ces nouveaux prêts sont assortis de clauses permettant aux différents partenaires économiques ayant procédé aux allégements/annulations, d’avoir un droit de regard –pour ne pas dire le contrôle- des politiques économiques et sociales des PPTE. Voilà comment troquer des dettes insoutenables, contre un peu moins de dettes mais encore moins de souveraineté.

Et pourtant, le gouvernement et la présidence de Côte d’Ivoire se réjouissent de ce nouveau statut promis.

 Alors oui, il est très sympathique de croire que l’arrivée de nouveaux dirigeants dans les pays occidentaux changera la donne. Mais ce sont les dirigeants africains qui sont en mesure de transformer la destiné de leurs pays.

Malheureusement, tant que ces dirigeants se réjouiront de faire partie des pays pauvres très endettés, on peut craindre que la situation ne se résolve pas de suite.

Giovanni DJOSSOU

La dette, un frein au développement

La dette extérieure des pays classés Pays En Développement (PED) est de 2800 milliards de dollars. La dette extérieure des pays d’Afrique est de 215 milliards de dollars. Quel avenir pour des pays comme la Côte-d’Ivoire dont la dette atteint près de 11 milliards de dollars ? Ces chiffres paraîtraient à coup sûr moins alarmants si l’endettement croissant des pays africains était généré par des politiques de développement audacieuses, nécessitant des emprunts faramineux. Il n’en est rien. L’Afrique s’endette mais reste hors du jeu de la mondialisation. Alors d’où vient cet endettement ? Qu’est-ce que cela implique pour le devenir économique du continent noir ? On cherchera ici les réponses au travers du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM). Le CADTM est une organisation fondée en 1990 en Belgique, dont l’action principale est de lutter contre la dette des pays du tiers monde. Le mouvement prendre sa source au discours de T.Sankara lors de la 25e conférence de l’OUA de 1987, où le président du Burkina Faso d’alors, demanda l’annulation de la dette de tout le continent. Cet objectif se retrouve dans l’article 4 de la charte de l’organisation : « annulation pure et simple de la dette ».

Pour le CADTM, la dette publique africaine est le résultat de trois événements. Tout d’abord, la décolonisation. Suite à leurs indépendances, les pays africains ont besoin de liquidités pour se développer alors que dans le même temps, les pays européens doivent trouver des débouchés aux dollars amassés grâce au Plan Marshall, lancé quelques quinze années plus tôt. Des prêts massifs vont donc être accordés par les Etats européens aux Etats nouvellement indépendants d’Afrique. Ensuite, le choc pétrolier. Suite à la multiplication par 30 du baril de pétrole en 1973, les membres de l’OPEP placent leurs pétrodollars dans les banques occidentales privées. Ces dernières en profitent pour accorder des prêts avantageux aux pays africains afin qu’ils investissent plus massivement. Encore aujourd’hui, les pétrodollars constituent une grande partie de la dette extérieure privée du continent. Enfin, la crise économique du milieu des années 1970. Cette crise va obliger les pays d’Europe à trouver de nouveaux débouchés pour leurs produits manufacturés. Ils se rabattent sur le continent africain, alors globalement en forte croissance. Le système des crédits d’exploitations est alors employé. Les crédits d’exploitation sont des crédits accordés à taux très faibles à condition que les pays emprunteurs consomment exclusivement des biens du pays préteurs, dans le domaine prédéfini dans le contrat. Pour le CADTM, les crédits d’exploitations sont les principaux responsables de la dette des pays africains aujourd’hui et par là même, de leur incapacité à se développer.

C’est en effet bien de cela qu’il s’agit. La dette n’aurait que peu d’importance s’il elle n’était pas un frein à la croissance des Etats africains, comme c’est le cas aux Etats-Unis, par exemple. Sur ce point précis, si les dirigeants africains sont les premiers responsables, ils sont, par ailleurs, bien aidés par les instances internationales. Le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD ou Banque mondiale) travaillent aujourd’hui de concert à la lutte contre l’endettement des PED. Mais que cache en réalité cette lutte ? Lorsqu’un pays se retrouve au bord de la faillite, car dans l’incapacité d’honorer ses dettes, il est placé à sa demande (mais a-t-il vraiment le choix ?) sous la tutelle du FMI. L’instance prend alors les mesures nécessaires pour permettre le recouvrement de la dette. C’est le Plan d’Ajustement Structurel (PAS). Seulement, le PAS n’est appliqué que pour permettre aux pays de rembourser leurs dettes et non de se développer. Les changements apportés à l’économie locale, qu’ils soient conjoncturels ou structurels, sont souvent incompatibles avec une stratégie facilitant l’essor économique : politiques de rigueur, dévaluation monétaire etc.

Dans le même ordre d’idée, en 1996, le FMI et la BIRD ont créé l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) qui consiste à encadrer économiquement les pays les plus endettés au monde. La charte de l’initiative PPTE stipule que les pays membres doivent avoir « parfaitement mis en œuvre des réformes et de saines économies dans le cadre de programmes soutenus par le FMI et la BIRD ». Mais qu’est-ce qu’une réforme saine ? Les mêmes ressorts ne sont pas à utiliser selon que l’on soit un pays endetté et riche ou un pays endetté et exsangue. Et quels sont ces programmes soutenus par les deux instances ? Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’Economie en 2001 et ancien économiste pour le compte de la BIRD, explique dans Globalization and its discontents (2002), que des programmes tels que les PAS ou les PPTE sont des stratégies en trompe-l’œil, car le FMI, comme la BIRD ne servent que les intérêts de leur actionnaire majoritaire : les Etats-Unis. Face à une telle situation le CADTM tente de riposter intelligemment en essayant d’aider les pays concerner à mieux satisfaire les besoins de leurs populations : «encourager les alternatives économiques et sociales locales (…)en fonctions des situations » art.4 . Il tente également la synergie avec les mouvements sociaux et réseaux africains ayant le même but que lui.

En juin 2005, la Banque Mondiale, en concertation avec les PAI les plus puissants (Pays Anciennement Industrialisés), a décidé une annulation partielle de la dette du Tiers Monde. 40 milliards de dollars effacés de l’ardoise, pour 18 pays dont 14 africains. Cette annulation avait pour but de donner plus de souplesse dans les politiques budgétaires des pays concernés, afin de leur permettre de se développer. Paul Wolfowitz, alors président de la BIRD, avait déclaré que cette annulation serait cruciale dans le renouveau économique du Tiers Monde et qu’il serait attentif au fait que ce « gain » profite bien aux populations. Si les pays africains ont aujourd’hui un ratio dette/PIB qui améliore leur classement mondial, il n’en reste pas moins que plus 6 ans après les propos de Wolfowitz, les résultats concrets, sur le plan social, se font toujours attendre. L’exemple de la dette des PED permet d’observer à nouveau que les instances internationales semblent avoir pour but premier de figer les positions entre les puissantes nations et les autres. Sans compter qu’en 20 ans, les taux d’intérêt de la dette sont passés de 5% à 16% en moyenne, la situation n’est donc pas prête de s’arranger.

Giovanni Djossou

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Avec un PIB[1] par habitant 17 fois inférieur à celui des pays avancés, l’Afrique Sub-saharienne représente aujourd’hui la région la plus pauvre au Monde. Les populations de cette région ont un niveau de vie largement en dessous de ceux des pays avancés. Par ailleurs, les diagnostics sur les défis liés au développement sont connus de tous. Qu’ils soient dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et des infrastructures de communication et de transport, les besoins sont énormes. Dès lors, l’exécution des projets d’investissement publics identifiés requiert la disponibilité de moyens financiers importants. Où trouver ces moyens financiers dans un pays pauvre ?

La réponse évidente à cette question semble être les sources de financement extérieures. Qu’elles proviennent d’accords de prêts bilatéraux avec d’autres pays développés ou des prêts multilatéraux gérés par des institutions internationales telles que la Banque Mondiale ou le FMI, la principale question demeure l’autofinancement du développement. Or, le poids du financement extérieur demeure élevé en Afrique sub-saharienne. C’est le cas des pays de l’UEMOA où le taux[2] de financement des investissements publics sur ressources propres ne dépasse pas 50%. Toutefois, comme l’indique la figure ci-dessus, cet indicateur croît d’une année à l’autre indiquant une participation plus importante de l’Etat dans les investissements publics. Le taux de financement sur ressources propres est ainsi passé de 35% en 2000 à 50% en 2005, et cette tendance continue après 2005 bien que les données récentes ne soient pas disponibles pour l’extension du calcul.

Au regard de cette tendance continue à la hausse, l’on pourrait s’interroger sur les nouvelles sources de financement sur fonds propres des Etats Africains. Sachant que la valeur des investissements est également en constante augmentation, s’agit-il alors d’une amélioration de la fiscalité dans ces pays ? Dans le cas échéant, de quel type de fiscalité s’agirait-il? Ces questions constituent des points de réflexion qui ne seront pas abordés ici, faute d’information. Dorénavant, ce résultat constitue une note très positive dans l’appréciation du financement du développement en Afrique sub-saharienne.

En effet, abstraction faite des chiffres, les ressources financières actuelles de l’Etat sont très insuffisantes en Afrique. Cela est dû en premier lieu à la défaillance du système fiscal et en second lieu à la faiblesse de la croissance économique par rapport à son niveau potentiel. Malgré cette situation, si les Etats Africains parviennent de plus en plus à financer les projets de développement sur davantage de ressources propres, cela révèle une meilleure prise de conscience des dirigeants africains des conditions de vie des populations.

Par ailleurs, l’aide extérieure n’est pas mauvaise en soi, mais elle ne doit pas engendrer une situation de passivité et de dépendance chez les bénéficiaires que sont les Etats Africains. Au contraire, elle devrait servir de tremplin vers l’autofinancement des projets de développement à long terme. Fondamentalement, l’aide au développement ne peut se substituer à l’autofinancement dès lors que sa contribution dans le processus de développement est marginale. Comme l’a montré l’économiste zambienne Dambisa Moyo[3], l’efficacité de l’aide au développement est très faible et elle conduit à renforcer davantage une situation de dépendance, de corruption et de défaillance des  marchés.

En plus, les théories de l’économie politique nous enseignent que les populations sont susceptibles d’être plus engagées dans le contrôle de l’exécution des projets de développement – à travers le parlement et les organisations de la société civile – si les ressources financières proviennent de leurs taxes et donc de leurs efforts. Par conséquent, le financement sur ressources extérieures a tendance à renforcer davantage la mauvaise gouvernance. La mauvaise gestion de l’aide extérieure entraîne l’échec des projets de développement, ce qui n’assure pas le remboursement des emprunts. On assiste finalement à un rééchelonnement de la dette ou à son annulation.

En général, les motivations de l’aide au développement ne sont pas toujours d’ordre économique, comme ce fût le cas durant toute la période de la guerre froide. De plus, la mauvaise gouvernance encouragée par l’image de gratuité que porte l’aide extérieure n’assure pas les résultats escomptés. C’est ainsi que seulement une infime partie du montant de l’aide extérieure parvient aux populations. La majeure partie est destinée aux prestations de services administratives dans le transfert des ressources mobilisées. Le phénomène du « leaking bucket » frappe ainsi l’aide au développement : une bonne partie des ressources initiales est « perdue » dans le processus de leur mise à disposition.

Il est également possible d’envisager l’argument de l’efficacité économique des prêts bilatéraux entre pays ayant une large capacité de financement, comme la Chine actuellement et un pays en besoin de financement. Toutefois, il ressort de plus en plus que l’aide extérieure est fortement conditionnée par la situation économique dans le pays donateur. C’est ainsi que la crise financière de 2008 a incité les pays développés à davantage contrôler leur déficit budgétaire et à mettre en place des fonds de sécurité capables de financer les déficits budgétaires en cas de crise. Dès lors, les accords de prêts portent sur des montants moins importants.

Somme toute, il résulte que le financement du développement sur l’aide extérieure ne peut être qu’une phase transitoire vers l’autofinancement. La tendance vers l’autofinancement observée est une lueur d’espoir dans ce sens. Dès lors, il est souhaitable qu’une partie de l’aide extérieure soit allouée à la mise en place progressive d’un système d’autofinancement du développement.

 

Georges Vivien Houngbonon


[1] Source FMI WEO. Données en Parité du Pouvoir d’Achat, ce qui nous permet d’avoir une comparaison du niveau de vie économique.

[2] Il s’agit du rapport entre le montant des investissements financé par les ressources de l’Etat et celui des investissements financés sur appui extérieur.

[3] Dambisa Moyo, « Dead Aid : Why Aid is not Working and How There is a Better Way for Africa », éditions JC Lattès, 2009.

FMI : Et si c’était lui ?

Alors que Dominique Strauss-Kahn prévoit désormais de consacrer tout son temps et toute son énergie à prouver son innocence, la bataille pour lui succéder a démarré en trombe. Les pays européens auxquels le poste revient traditionnellement révèlent déjà les noms des premiers candidats, au premier rang desquels celui de Christine Lagarde parait déjà faire consensus. C’est dans cette atmosphère de connivence que Pravin Gordhan, ministre sud-africain des Finances, a déclaré que « plusieurs candidats de pays en développement seraient crédibles et tout à fait capables de diriger le FMI. »
 
 
L’HOMME DE LA SITUATION
 
Si le ministre sud-africain ne s’est pas avancé à nommer lesdits candidats, de nombreuses voix évoquent un nom jusqu’alors méconnu, Trévor Manuel. L’actuel président de la Commission sud-africaine du Plan a fait ses débuts politiques dans un pays miné par l’Apartheid. Sa couleur de peau métissée –« noire » selon la classification sud-africaine – et son engagement au sein du Congrès National Africain (ANC) lui valent, dans les années 1980, plusieurs allers-retours en prison. Trévor Manuel appartient à cette espèce rare d’hommes d’Etat africains, tenaces par vocation et conviction plutôt que par ambition purement personnelle.
 
Après des études en ingénierie et en droit, il adhère à l’ANC, seule véritable force d’opposition au Parti National afrikaner. Entré dans la vie publique en 1981, il est d’abord Secrétaire général du Comité d’action d’urbanisme. Mais c’est sur les questions économiques que son intérêt se porte plus volontiers. L’abolition de l’apartheid en juin 1991 marque, à cet égard, un tournant décisif dans sa carrière. Il est successivement directeur de la Planification économique, ministre du Commerce et de l’Industrie, puis devient le premier homme de couleur à occuper le poste de ministre des Finances en 1996.
 
Cette expérience le met aux prises avec les spécificités économiques d’un pays en développement (PED). L’Afrique du Sud rencontre à l’époque toutes les difficultés caractéristiques des pays du Sud. Le chômage y atteint les 40%  malgré une forte croissance. Une situation sociale extrêmement tendue y est accentuée par de grandes inégalités de revenus, tandis que le coût du logement plombe le budget des ménages.
 
C’est certainement cette expérience du terrain qui rend la candidature de Trévor Manuel si « crédible ». Le manque de connaissance –parfois même l’ignorance- des particularités économiques et sociales des PED est très souvent reprochée au FMI. Le cas de la Mauritanie est, en ceci, emblématique. L’abandon de la propriété collective des terres qu’y a imposé le FMI a été à l’origine de l’appropriation de ces dernières par une petite poignée de multinationales agroalimentaires. L’exemple mauritanien n’est pas une exception. C’est en fait une ribambelle d’Etats africains (Sénégal, Guinée, Ghana…) qui se sont vus imposer des contraintes assassines par le FMI.
 
LE FMI, DE PLUS EN PLUS DÉCRIÉ PAR LES PAYS AFRICAINS
 
Lorsqu’en 1976 le monde entre dans l’ère des changes flottants, le FMI perd son rôle de stabilisateur du système de change fixe. La page de Bretton Woods tournée, il devient « la banque centrale des banques centrales ». Devenu prêteur en dernier ressort, sa principale mission est désormais d’aider les Etats menacés d’insolvabilité. C’est ainsi qu’au cours de la décennie 1980, suite au retournement de la conjoncture économique mondiale, le FMI se met à focaliser son action sur les pays du Sud. Leur niveau d’endettement est devenu plus qu’inquiétant. Ces nouvelles interventions du Fonds seront un cuisant échec. Elles plongent définitivement la plupart des pays africains dans la fameuse « crise de la dette ».
 
Les populations portent aujourd’hui encore les stigmates de cet épisode économiquement ravageur. Loin de s’être améliorée, l’image du FMI se dégrade chaque jour un peu plus dans les esprits. Novice perpétuel, oublieux du passé, le FMI répète inlassablement les mêmes méthodes escomptant des résultats nouveaux. L’aide conditionnelle est toujours l’occasion d’imposer ouverture des marchés, privatisation, libéralisation du marché du travail… bref, « le consensus de Washington ». Les peuples reprochent au FMI son approche déterministe et statistique dans une Afrique stochastique où règne l’imprévu.
 
En Europe pourtant, la politique du FMI se fait parcimonieuse et s’adapte toujours au mieux aux réalités locales. Dans la crise grecque, ce n’est qu’après une fine concertation avec l’UE qu’il a pris part au Fonds européen de stabilisation (FES). L’Europe a pu choisir librement les modalités du conditionnement de l’aide. Cette différence de traitement n’étonne pas. Le FMI est conçu –et voulu diront les plus cyniques- comme tel par ceux qui le dirigent. Dans La Grande Désillusion, J. E. Stiglitz dénonce l’iniquité qui le caractérise. Le droit de vote censitaire confère aux grands pays une situation hégémonique : 5% des Etats membres détiennent plus de 50% des droits de vote.
 
Les Etats-Unis et l’Europe ont ainsi pu imposer aux 187 pays membres un accord tacite : un Américain préside la Banque mondiale et un Européen le FMI. Dans ce contexte, une présidence assurée par Trevor Manuel représenterait un grand pas en avant. Cela témoignerait de ce que les grandes puissances ont pris acte du fait que les équilibres d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Les foyers de la croissance mondiale sont désormais en Asie, en Amérique latine, en Afrique.
 
Les nouvelles règles de gouvernance accordant plus de poids aux PED n’entreront en vigueur qu’en 2012, après l’élection du nouveau directeur général. Ceci représentera un incontestable handicap pour la candidature de Trévor Manuel. D’autant plus que l’Europe est bel et bien déterminée à conserver son pré carré. Jusqu’à présent, aucun pays africain ne s’est officiellement prononcé concernant la candidature de l'ex-ministre des Finances. Sans doute sait-on déjà qu’étant donnée la crise de la zone euro, les chances pour que les dirigeants européens soient portés par un élan démocratique sont quasi-nulles.
 
Tidiane Ly