Raharimanana : Enlacement(s)

RAHARIMANANAOccuper l’espace. Ce sont les mots de l’écrivain malgache. Ils ont un sens évident quand je prends mon RER avec le coffret intitulé Enlacement(s). Un peu encombrant. Si c’est le cas pour le passager que je suis, j’imagine la problématique pour un libraire où justement l’occupation de la surface est comptée au millimètre carré. Sourire. C’est un choix qu’assume Raharimanana.

Ce coffret comprend trois volets d’une œuvre jouant sur plusieurs genres littéraires et artistiques. La poésie. Le théâtre. Le chant. La prose. La danse. Bref, un texte inclassable. Un peu comme Les cauchemars du gecko, sa précédente parution. J’ai pris là encore le temps de m’imprégner des différents volets de ce projet. Des ruines : Prologue pour une résidence littéraire. Obscena : Pour voix et chorégraphie. Il n’y a plus de pays : Pour chant et murmures. Afin de comprendre et faire une bonne lecture de ces textes, il est important de prendre en compte ces paramètres de la création de l’homme de lettres malgache et en fonction de la latitude du lecteur, se mettre en situation.

Des ruines

Le premier volet de ce triptyque pourrait être interprété comme un état des lieux des ruines à partir desquelles il serait possible de reconstruire quelque chose. Ruines de l’écrivain, ruines qu’il observe faites de terres razziées, de sous sols pillés, de corps souillés. Morceaux choisis :

« J’écris pour le vide.   J’écris pour un futur.  J’écris pour un monde d’espérance. Et ce n’est que cela : l’espérance, la possibilité d’être ou de ne pas être. »

L’écrivain pose la question de l’œuvre littéraire et de la réception qui en est faite. En particulier, quand l’esthétique suffit à satisfaire le lecteur sans que le cri de l’enfant suicide ne soit entendu, perçu. La poésie est applaudie, la douleur évacuée. Explorer les ruines, c’est revenir sur le passé. Forcément violent puisqu’il ne semble n’en rester rien. Il y a également cette assignation à penser le futur et à dépasser ce passé. Mais celui-ci conditionne bien les actes d’aujourd’hui. Comment ne pas questionner une mémoire faite d’esclavage, de traite négrière, de colonisation, de dictature quand cet héritage écrase le quotidien. D’ailleurs en tenter l’exploration semble impossible, tellement l’enrayement des actes est ancré, passé la lettre « B » est insurmontable. Posture indélicate de l’écrivain.

Obscena

C’est un volet plus charnel. Pour voix et chorégraphie. Les séquences sont plus courtes. Ciselées. Les mots sont plus crus. Les scènes mises en danse plus obscènes. Le poète met des mots sur le viol, l’intime pénétré de la femme, de la mère. Parler de l’obscène. Mais aussi prendre de la distance : 

« Mais l’enfant est autiste, je me paralyse au bord de la mémoire, les douleurs ont fermé sa gorge, ma révolte, ma haine, mon refus de lier ma vie à celle fracassée de mes pères, mère, est-ce vie de n’écrire que leur temps de mort et de défaite, celle des vies à dévorer les douleurs et à ingurgiter les malheurs que tous se sont ingéniés à méconnaitre ? Mais l’enfant est autiste et me rentre à la gorge la lâcheté à laquelle j’aspire, l’oubli
Je. N’oubliez pas, viens du sud, je. »

L’enfant est autiste. Raharimanana travaille sur la mémoire. Il est important d’inscrire ce triptyque comme un prolongement de l’écriture de Nour, 1947, Portraits d’insurgés 1947, Madagascar 1947. Alors que le silence enfouissait des pans entiers de la mémoire malgache, dire l’histoire est important, mieux c’est une préoccupation. Dire les violences subies, intériorisées, oubliées ou ignorées est essentiel. C’est un sacerdoce. Le poète affirme le fait qu’il n’a pas le choix. Y a-t-il de la prétention dans sa posture ? L’écrivain a pris la plume parce qu’un jour un adolescent sans espoir a décidé de résister ou de disparaitre. Anecdote.

Est-il utile de parler du troisième volet qui évoque la mère ? J’ai trop parlé. Il n’y a plus de pays. Chacun trouvera une part de soi, de son pays dans les mots de Raharimanana. Un texte difficile. Qu’il faut parfois lire, murmurer, chanter pour l’entendre. Des volets qui s’entrelacent et qui ont l’ambition d’occuper un espace. Faisons lui de la place.

Lareus Gangoueus

 

Editions Vents d’ailleurs, Athenor
Triptyque : Des ruines, Obscena, Il n’y a plus de pays
Voir également une critique sur Africultures de Jean Christophe Delmeule

Crédit-photo : Vents d'ailleurs

Antonia Ngoni : Une tragédie bantoue

Antonia ngoniJe n’ai ni lu Sophocle, ni Jean Anouilh. Aussi, je me suis rendu aux Friches des Lacs de l’Essonne, avec à la fois beaucoup de curiosité et d’attente. J’avais loupé les prestations de la troupe du Plateau-Kimpa Théâtre de 2012 à Etampes, ville royale. Il m’était impossible de rater une prestation à Viry-Chatillon, ville mitoyenne de ma cité dortoir. Autant dire, un vrai luxe, à porter de main. 

Narration

Le public a à peine fini de s’installer sur les tribunes, qu’une bande de malotrus se mettent à faire du boucan en langues africaines. Que se passe-t-il ? Les codes d’un spectacle de théâtre seraient à ce point ignorés par ce public majoritairement africain? Je me suis fait avoir. La bande de trublions se retrouve sur scène. La pièce a commencé avec fracas. Un comédien nous transmet des tracts avec l’effigie de Kilapi, dictateur tropical. 

 

«Gloire immortelle au Président,
Kilapi
Le père de la Nation !
Le guide éclairé !
Le démocrate ! »
 

 

L’homme d’Etat ne dort pas. Les premières scènes faites de dialogues entre le potentat et des éléments proches de son entourage comme son médecin, son fils et sa femme permettent de poser le drame qui se joue. Kilapi a fait exécuter son frère Oluka qui s’était joint à une rébellion armée contre le pouvoir en place. La faute est impardonnable et elle exige pour un exercice du pouvoir inflexible, une démarche encore plus radicale : humilier le mort dans son cadavre en lui refusant toute forme de sépulture et en le livrant aux animaux de la brousse.

Criss Niangouna dont j’avais apprécié la prestation dans Le cœur des enfants léopards au Tarmac, livre une nouvelle fois une magnifique prestation où son talent permet de poser le discours du dictateur. En apparence doux, mais redoutable dans la défense de son trône, même à l’endroit de son propre frère. L’intervention d’Antonia Ngoni, son épouse en médiatrice pour que le potentat revienne sur sa funeste décision, va faire basculer cette remarquable adaptation d’une pièce grecque à la portée universelle et intemporelle en une tragédie « bantoue » pour laquelle Jean-Felhyt Kimbirima réussit une remarquable mise en scène.

C’est tellement vrai que pour n’importe quel africain l’identification à la problématique de la violence du pouvoir politique touchera en plein mille, de même que la question de la sépulture dans un espace bantou où le culte des ancêtres est enraciné…Imaginez un homme sans sépulture… Comment en effet, ne pas penser aux pendus de Mobutu dont on se souvient quand on évoque le stade des Martyrs de Kinshasa. Qui, ayant vécu en Afrique centrale, n’a pas entendu parler de l’émasculation d’un opposant déjà mort. Kani Kabwe Ogney propose une relecture de Sophocle qui nous renvoie à la folie du pouvoir politique dans nombre d'états africains qui renie l’essence même de ses croyances les plus fondamentales, pour laisser exploser la puissance de leur imposture. L’appartenance au même clan des deux protagonistes donne une dimension intéressante à cette histoire.

Antonia Ngoni 2Antonia Ngoni

Alvie Bitémo est littéralement habitée par son rôle. Elle défie le pouvoir de son mari. Elle veut une sépulture pour son beau-frère. Par tous les moyens. Contre la démarche de Kilapi qui transgresse les codes. Qui mieux peut réagir à l’ignominie d’un potentat ? Antonia écoute la voix discordante qui parle en elle. Pleure le mort, comme s’il était l’être aimé, mais c’est avant tout contre l’injustice qui se déploit. Une des scènes marquantes de cette pièce de théâtrale est celle où Alvie Bitémo nous fait vivre la douleur de la femme éplorée comme les mamans du bled aux veillées de Brazzaville ou de Pointe-Noire. Alvie est simplement époustouflante.

Exceptée une tirade un peu longue sur les méfaits et les intrigues des occidentaux en terre africaine, cette pièce est très bien rythmée par le mouvement des acteurs, les chants, les voix en off, la danse mais surtout par la qualité de ces comédiens qui rendent accessibles la profondeur de la tragédie de Sophocle et interpelle forcément le spectateur sur sa capacité à s'indigner.

 

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

Antonia Ngoni, Une tragédie bantoue
Plateau-Kimpa Théâtre compagnie
Une adaptation libre d’Antigone de Sophocle par Kani Kabwe Ogney
Une mise en scène de Jean-Félhyt Kimbirima
Avec Alvie Bitémo, Criss Niangouna, Roch Lessaint Banzouzi, Abdoulaye Seydji, Florence Kabamba,

Prière aux ancêtres

Le printemps des poètes est passé. Cependant, je m’autorise encore à faire des excursions dans ce genre littéraire qui, comme vous le savez, n’est pas franchement ma tasse de thé. Néanmoins, ma récente expérience avait été concluante avec le recueil du poète ivoirien Josué Guébo. Avec Gabriel Okoundji, Grand prix littéraire d’Afrique noire 2011 pour l’ensemble de son œuvre, c’est une lecture différente, intéressante et d'un autre calibre qui m’est proposé. Prière aux ancêtres. Un titre qui m’interpelle forcément puisque justement je ne crois pas au culte des ancêtres et à l'interaction dans le quotidien des morts avec les vivants si communément répandue en terre bantoue. Mais, si je ne devais lire que des textes qui sont en phase avec ma conception du monde, je louperai beaucoup de choses et en particulier ces rencontres si belles avec l’autre qui pense différemment.

Sous le titre de Prière aux Ancêtres, Gabriel Mwènè Okoundji propose plusieurs recueils de poésie sur des thématiques assez liées mais écrites à des périodes et parfois en des lieux différents. Le poète y délivre des textes où, avec maestria, il se joue de la langue française pour exprimer à la fois la spiritualité des terres de l’Alima mais également faire ressentir l’atmosphère de l’arrière-pays congolais, de la forêt, de ses bruits, de sa faune… Le lecteur est comme téléporté dans cet univers si lointain mais que par la force des mots, Gabriel Okoundji finit par matérialiser. C’est aussi une philosophie de vie qu’il transmet en captant cette oralité millénaire que véhicule la langue tègè et que ses vers magnifient.

 

Elles sont venues de Baya, de Yaba, de Dzouama, d'Ayandza, de Tsongo
Ces pleureuses aux mille pas qui offrent des larmes à toute la terre de Mpana 
dans l'espoir qu'un jour la voix réunie du nombre de leurs enfants ensevelis
revienne visiter tous ceux du village Okondo qui les ont parfaitement aimés
La pluie viendra, elle tombera sur nos plaies et inondera la prière de nos pleurs
la lune dans le ciel dansera en notre nom, dans la houle d'une espérance éphémère 
nos coeurs en haillons parmi les coeurs égarés danseront dans le feu de la vie
nos coeurs danseront dans la fougue de la tristesse sur les chemins de la douleur
Recueil de poèmes Prière aux ancêtres, page 43, édition fédorop
 
En marchant dans les bois de Montserrat, quelque part au Portugal, il communie avec le lieu qu’il n’a pas de mal à connecter une terre ancienne qu’il n’a pas foulé depuis longtemps… La poésie de Gabriel Okoundji porte une forme de déchirement liée à l’éloignement, à une forme d’exil qui ne dit pas son nom.
 
– Audace!
ce qui gronde au fond de mon âme
n'est pas le tumulte de mon sang
en moi la sève de l'exil a banni
dans son flot
la beauté des mots de la quiétude
– Mauvais arbre 
aux ramures couleur de mon sang
sur une terre poseuse d’énigmes
 
mauvaise plante
mauvais gri-gri
totem poreux de la forêt équatoriale
te voilà seul
sans sel dans l'inertie de ta sève
fine souche d'une forêt qui déteint aux couleurs
de la savane boisée d'errance
eau de source surgie d'un lit improbable
d'une rivière d'eau douce impropre
aux rives infortunées

Recueil de poèmes Gnia, page 59, éditions fédérop

Enfin, il y a cette interaction avec les morts, ceux qui ont disparu, les ancêtres. Certains poèmes sont incantatoires de ce point de vue. D’une certaine manière, le poète exprime haut et de manière intelligible tout un système de croyances que les écrivains ont du mal à rendre à l'écrit. La terre. Les morts. La nature. Il y a beaucoup à dire.

Je terminerai sur le point suivant, qui est un motif de fierté pour ce poète : chaque poème écrit en français est traduit en occitan. Ce qui est une première expérience de traduction d'un poète africain par Joan-Pèire Tardiu qui est intéressante pour moi qui n’avait jamais sous les yeux un texte de cette langue méridionale. A cela, il faut ajouter quelques mots en tègè et la rencontre est totale.

Bonne lecture !

Lareus Gangoueus

 

Gabriel Okoundji, Prière aux ancêtres

Editions Federop, 1ère parution en 2008, 126 pages, collection Paul Froment



Traduction en occitan par Joàn-Peire Tardiù


Venance Konan : les prisonniers de la haine

En mars dernier, je me baladais dans le salon du livre quand je suis tombé par le plus grand des hasards sur le stand de la Côte d'Ivoire. Heureux et curieux de découvrir les produits des éditeurs locaux ivoiriens, j'ai posé la question simple aux animatrices présentes : si je devais partir avec un produit des NEI (Nouvelles éditions ivoiriennes), vous me conseilleriez quoi donc? Un consensus s'est dégagé rapidement, après quelques chuchotements, autour du premier roman de Venance Konan.

Tiens donc. Cette prescription m'a arrangé. D'abord parce que cela fait plusieurs années que j'entends parler de ce journaliste et romancier ivoirien. Parce qu'il m'arrive de visiter son site internet qui fut très animé pendant la récente crise ivoirienne, mais qui semble ne plus exister aujourd'hui… La première fois que j'entendis parler de cet auteur, ce fut sur le blog de l’écrivain Alain Mabanckou où un commentateur décrivait Venance Konan comme un chien fou, un trublion de la littérature ivoirienne… Vous comprenez donc l’essence de mon intérêt, surtout quand des postures hargneuses et hostiles s'exprimèrent pour dénoncer cet éloge du scribe.

Venance Konan met en scène dans ce premier roman un jeune journaliste ivoirien de 26 ans nommé Boniface Cassy. Pour faire simple, Cassy. Notre homme, sorte de loup solitaire brisé par plusieurs histoires de cœur, est devenu un tombeur de filles sans vergogne qui jouit de son statut de vedette médiatique en enchaînant les conquêtes d'un soir (peut-on parler de conquêtes quand ces femmes se livrent à lui). Jusqu'à la rencontre d'Olga, une jeune fille qui se saisit de son cœur et lui partage ses rêves de grandeur et son désir de devenir un mannequin international. Notre homme s'amourache de cette jeune fille prête à tout pour réussir et défiler un jour sur les podiums français ou milanais loin de la galère ivoirienne. Dans Treichville, sous la plume de romancier, chacun rêve plus ou moins de se barrer comme Jo Chiwawa (j'aime bien son nom), un ami d'enfance de Cassy qui malheureusement a été formé par la rue pour devenir loubard, ou encore Barracuda, un poète des rues.

Il raconte avec beaucoup de pessimisme, les espoirs de cette frange de la jeunesse ivoirienne qui souhaite s'épanouir sous d'autres ailleurs. Celle qui monte des plans de toute sorte. Celle qui veut prendre son envol au risque, comme Icare, de se brûler les ailes. Il évoque aussi celle qui s’enfonce dans les sables mouvants de la luxure, de la prostitution, du paraître, faute d’alternatives. Les raisons et responsabilités sur cet état de fait sont multiples. Le propos de Konan n’est pas de stigmatiser uniquement les pontes du pouvoir, mais également ces géniteurs produisent une progéniture nombreuse que l’on n’est pas en mesure d’entretenir et, qui souvent est livrée à la rue, ou encore sur le mépris de beaucoup sur le bien commun. 

Jo Chiwawa, loubard, parle :

 

Un soir, je ne suis pas rentré. J'ai dormi au marché du Plateau avec quatre amis. Tu te rends compte? A la maison, on était douze dans une chambre. Là, nous étions quatre, et nous avions toutes les tables du marché pour nous. Quand je suis rentré le matin, ma mère était déjà partie au marché, et mon beau-père, au travail. Je suis parti et je ne suis plus revenu. Ça fait une bouche de moins à nourrir.

page 37, éditions FratMat, NEI

 

Nous sommes en 2002 quand il écrit ce roman. Il y a d'une part ceux qui peuvent construire un discours comme Akissi, ou se poser des questions comme Cassy, ceux qui foncent avec leurs atouts, ceux qui jouissent de la détresse des petites gens, violent les mômes, ceux qu'on recrute pour aller faire fortune en guerroyant pour Charles Taylor. Il y a. Il y a. Il y a. On ne lâche pas ce livre. En tout cas, je ne l'ai pas lâché. Peut-être parce que j'aime beaucoup ce pays. Mais, surtout à cause du propos de Venance Konan. Il interpelle la société civile prisonnière d'une haine qu'elle est prête à déployer. Le séjour de journaliste que Cassy réalise au Liberia va mettre un point sur les i et lui permettre de saisir une vérité essentielle : L'africain se hait lui-même et il hait son prochain africain. Une haine structurelle. Une haine qui remonte à la nuit des temps. Le seul continent qui a pu donner sans discontinuité des esclaves à l'Occident ou au Moyen Orient, sans se questionner ne peut que se haïr.

Du point de vue de sa construction, si on note quelques longueurs, ce livre se lit simplement avec des dialogues où parfois on sent le journaliste de FratMat qui se saisit de cette tribune pour donner sa vision des choses, loin des contraintes d'une ligne éditoriale. Ce roman est important. Il fait partie de ces discours qui veulent voir cesser les pleurs des uns, pour définir une part de responsabilité sur le sort qui est le nôtre. Sur la haine sourde en beaucoup d'africains. Dans ce texte, la Côte d'Ivoire peut être perçue comme un terreau de la haine. Et le Liberia, comme une manifestation de ce que la haine semée et non questionnée dans le cœur des hommes peut produire de plus horrible.

Oui, j'ai aimé ce bouquin prémonitoire. Car le romancier date sa dernière ligne d’Avril 2012. En septembre 2012, les rebelles tentent leur première incursion à Abidjan. On sent la patte, l'écriture de celui qui narre ces choses depuis le continent, la rage de l’homme impuissant qui saisit la puissance de sa plume.

Écoutons le journaliste Cassy :

 

La haine de l'autre est la chose la mieux partagée sur ce continent. Et cela, depuis l'aube des temps. Une poignée d"Européens auraient-ils pu mettre  dans les fers des dizaines de millions d'Africains envers sans la haine des autres Africains envers ceux-là? Que valait la vie d'un homme devant une verroterie[…]
L'argent. On ne pense qu'à ça. On pille nos pays, on les détruit parce que, du sommet  à la base, on ne pense quà une chose : gagner de l'argent, toujours de l'argent, pour soi, tout seul. Et l'on fait tout pour empêcher les autres d'en gagner.

page 179, Editions FratMat, NEI

 

Bonne découverte!

Lareus Gangoueus

Venance Konan, Les prisonniers de la haine
Editions Nouvelles Editions Ivoiriennes / Fraternité Matin, paru en 2003, 197 pages

Rencontre avec BlonBa, producteur artistique au Mali (2)

Suite de la première partie d'interview publiée sur Terangaweb : 

Vous revenez du Mali, où la situation est très complexe avec tout un pan du pays qui est entre les mains de troupes islamistes radicales qui imposent la charia dans la zone occupée, et dans certains cas, détruisent des pans entiers de l’histoire malienne. Quelle est la situation à Bamako ? Pensez-vous l’atmosphère propice pour la reconstruction d’une salle du BlonBa et de manière plus générale, aux manifestations culturelles ?

Historiquement, les grandes manifestations culturelles propres aux traditions maliennes sont liées aux évènements de la vie sociale. C’est le cas notamment du kotèba, satires burlesques des tares de la société, qui jouait et joue encore un rôle important de critique et de liberté d’expression. Les 3000 personnes qui sont venues à la première représentation de Tanyninibougou en témoignent. Ce spectacle présente un tableau au vitriol d’une société enivrée et concassée par la religion de l’argent. Policiers, élus, marabouts, jeunes filles, mères de famille, militaires, chacun en prend pour son grade. Et pourtant, la magie du kotèba opère. La communauté des citoyens, grâce au rire, fait ensemble son examen de conscience et en ressort ragaillardie. Ces formes artistiques sont souvent considérées comme des forums plus fiables et plus véridiques que les débats de l’Assemblée nationale, obscurs pour beaucoup, ou une presse peu étanche à la corruption. Cela peut paraître paradoxal, mais j’ai le sentiment que la période fait justement réapparaître l’urgence de l’art et de la culture, qui s’était un peu affaissée dans les années précédentes où, comme le dit une de nos pièces, beaucoup de Maliens « avait pris la liberté pour une mangeoire ».

Vous animez BlonBa France qui est une succursale du projet malien en France. Dans ce cadre, une collectivité de l’Essonne vous a confié la gestion du théâtre de l’Arlequin de Morsang-sur-Orge en Essonne. Dans quelle direction orientez-vous la programmation artistique de ce théâtre ? Avez-vous plus de pièces africaines dans votre exercice annuel ?

BlonBa avait suscité la création d’une association de droit français pour permettre l’organisation des tournées de la compagnie. Quand la communauté d’agglomération du Val d’Orge, dans l’Essonne, m’a proposé de prendre la direction du théâtre de l’Arlequin, à Morsang-sur-Orge, la convention a été signée avec l’association BlonBa. C’est un signe des temps. Jamais une compagnie née en Afrique ne s’était vu confier un théâtre public en France. Le théâtre de l’Arlequin n’est pas grand : 84 places. Il n’est pas très doté et notre petite équipe ne compte aucun plein temps. Son projet est fondé sur deux axes : l’ouverture aux publics populaires, qui est facilitée par notre tarification originale de 2€, 5€ ou 10€ au choix du spectateur ; une programmation ouverte sur la diversité culturelle. Les spectacles que nous proposons sont d’origines très variées, mais nous consacrons chaque année, au printemps, un « mois de BlonBa » à la création venue d’Afrique et bien sûr du Mali. Cette salle est aussi un point d’appui pour l’organisation des tournées de la compagnie de BlonBa en Europe, pour finaliser des créations, pour faire voir des œuvres… Nous sommes très reconnaissant aux collectivités françaises – la région Ile-de-France, le département de l’Essonne, l’agglomération du Val d’Orge – de nous avoir donné ces possibilités, sans dévier de leur responsabilité propre qui est le service de leurs habitants. Il y a là une préfiguration de partenariats Nord-Sud où chacun trouve son compte, où une vraie convergence mutuelle s’établit.

Il y a deux ans, la compagnie théâtrale BlonBa a joué de manière remarquable la pièce « Vérité de Soldat » qui met en scène le dialogue d’un ancien tortionnaire d’un camp militaire de Moussa Traoré et du prisonnier qui eût à subir durant de longues années ses sévices. Le thème de la réconciliation nationale est au cœur de ce projet avec une construction originale. Y-a-t-il des possibilités de revoir ce spectacle en France ?

« Vérité de soldat » s’inspire du récit du capitaine Soungalo Samaké, l’homme qui a arrêté Modibo Keïta, le premier président du Mali. Ce texte a été recueilli par Amadou Traoré, un des artisans de l’Indépendance que le capitaine a lui même torturé. Ce témoignage d’un militaire placé par les hasards de l’histoire en position de jouer un rôle exorbitant dans la vie politique de son pays, est d’une grande actualité. Il sera présenté au Grand T, à Nantes, du 13 au 16 novembre 2012 et au Drakkar de Dieppe les 21 et 22 novembre, dans le cadre du festival Automne en Normandie. Ce spectacle a également été filmé dans notre salle, à Bamako, et est disponible en DVD, dans la collection de la Copat (www.copat.fr), une coopérative qui réunit d’importants théâtres francophones et dont BlonBa est le premier membre africain. Les DVD de cinq de nos spectacles y sont édités et plusieurs ont été diffusés par des chaines francophones (TV5, France O, Canal à la demande, les télévisions nationales du Bénin, du Congo, etc.).

Pouvez-vous nous présenter les prochains spectacles à venir en France du BlonBa, et les lieux de représentation ?

Nous sommes engagés dans la création d’une série de portraits théâtraux d’artistes maliens que nous appelons « Le Chant du Mali ». Le premier, « L’Homme aux six noms », a été créé l’an dernier avec Lassy King Massassy, un des pionniers du rap malien. Il sera représenté le 17 novembre, à la Maison des peuples et de la paix d'Angoulême, le 23 novembre à la Médiathèque d’Ivry et une dizaine de fois en version « théâtre d’appartement » en décembre et janvier, dans la région parisienne. « Plus fort que mon père », le deuxième épisode de cette série, est en cours de montage autour d’un autre rappeur, Ramsès Damarifa, fondateur du groupe Tata Pound. Ramsès est le fils d’Idrissa Soumaoro, un des chanteurs les plus prenants de la scène malienne. « Plus fort que mon père » sera en création au théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine en janvier et février 2013 avec une vingtaine de représentations prévues durant le mois de février, à Ivry (samedis 2, 9 et 6 février à 18h, dimanches 3, 10 et 17 février à 16h, mercredis 6 et 13 février à 14h30 + 11 représentations scolaires) et à Morsang (21 et 23 février).

« Ala tè sunogo » (Dieu ne dort pas) est un spectacle qui mêle kotèba et danse contemporaine. Il moque de façon prémonitoire les embûches rencontrées par un jeune opérateur culturel dans l’exercice de son activité. Un des personnages, un enfant des rues, muet, ne s’exprime qu’en dansant… La création de ce spectacle a été interrompue par les événements de mars 2012. Elle va être finalisée à Bamako, puis à l’Arlequin en avril (représentations les 27 et 28 avril) et présentée au Grand-Parquet (Paris 18e) du 2 au 26 mai les jeudis, vendredis, samedis et dimanches. La réflexion de BlonBa autour de la danse contemporaine, que nous cherchons à mieux inclure dans les pratiques culturelles du Mali, aura également une ouverture sur le public les 6 et 7 avril avec de courtes pièces présentées dans le cadre des rencontres Essonne danse (théâtre de l’Arlequin à Morsang-sur-Orge, théâtre Jules-Verne de Brétigny-sur-Orge, centre culturel de La Norville). 

Enfin, nous essayons de faire venir au printemps 2013 le spectacle Tanyinibougou, à destination principalement des Maliens de France, puisqu’il est donné en langue bambara. Si nous y parvenons, ce sera l’occasion de mobiliser la communauté malienne émigrée autour des enjeux éthiques et politiques dont dépend le redressement du Mali.

Alioune Ifra N’Diaye proposait en avril dernier, à la suite de la fermeture de la salle du BlonBa, de créer une télévision communautaire. Avez-vous avancé dans ce projet ou sur d’autres champs de la production audiovisuelle ? 

Alioune continue à explorer les différentes possibilités de donner une nouvelle jeunesse à la production et la diffusion télévisée au Mali. C’est un enjeu capital dans cette période de remobilisation de la société. Mais dans ces temps d’incertitude, la visibilité est faible et la situation peu propice aux projets à long terme. Il faudra un peu de temps. Nous avançons par contre à grands pas dans un projet conçu avant la crise : le studio Wôklôni. Il s’agit d’un centre de formation et de production de films d’animation, qui a déjà réalisé plusieurs essais très convaincants. On peut notamment voir, sur internet, le petit film « Mon si beau village », un dessin animé de Florent Bathily 100 % made in Mali. Un groupe de jeunes graphistes travaille d’arrache-pied, avec beaucoup de talent et d’abnégation à donner vie à cette nouvelle activité qui permettra de fournir aux télévisions africaines des programmes inspirés de la culture et de l’histoire du continent. « Tombouctou », un premier projet de moyen métrage inspiré de la situation au Nord Mali est en cours de réalisation sur une idée d’Alioune Ifra Ndiaye et un scénario de la dramaturge Awa Diallo.

En espace de quelques mois, la démocratie malienne a été bousculée jusque dans ses fondements après plusieurs alternances démocratiques réussies. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur ce pays qui est le vôtre ? Le festival littéraire Etonnants voyageurs va quitter temporairement le Mali pour l’Afrique centrale. Pensez-vous que tout un pan de l’activité culturelle malienne subventionnée par l’aide française est menacée par l’instabilité actuelle du pays ? 

Le Mali est pris dans les paradoxes qui travaillent toute l’Afrique. Sa société est très dynamique : 6 % de croissance par an en moyenne durant les 20 dernières années. Et pourtant le pays n’a pas encore construit des institutions fiables, respectées, capables de représenter l’intérêt général. Les élections ont eu lieu en temps et en heure, la constitution a été respectée, mais l’Etat est vécu comme un corps étranger et il est rongé par la corruption. Le coup d’Etat manqué du 22 mars dernier est le symptôme de ce malaise. Il a eu des effets catastrophiques, aggravant brutalement la faiblesse structurelle de l’Etat et de l’armée, et pourtant, sur le coup, beaucoup de Maliennes et de Maliens ont eu de la sympathie pour les motivations des soldats mutinés. Il en est résulté beaucoup de confusion. Dans ces conditions, la question culturelle est d’une importance cruciale. C’est à travers la culture que se reconstruit l’image de soi, que se fondent des institutions respectées parce qu’ancrées dans les réalités du pays, qu’un imaginaire autonome prend forme et qu’un avenir indépendant se dessine. Il faut pour cela que la culture se recentre autour des urgences du pays. On ne peut répondre à ces enjeux en moulant ses projets dans le désir des « bailleurs » étrangers. C’est pourquoi je ne m’inquiète pas trop des problèmes que vous évoquez. Ils ne touchent pas à l’essentiel. Ils peuvent même être l’occasion d’une prise de conscience qui renouvellera la création malienne et peut-être aussi la conception des partenariats internationaux. Sauf bien sûr si les esprits étaient condamnés au silence par la terrible régression intellectuelle et morale qu’un fascisme à déguisement religieux impose aux habitants du nord du pays. Mais cette menace rend l’insurrection des intelligences et des sensibilités plus urgente encore.

 

Interview de Jean-Louis Sagot-Duvauroux réalisée par Lareus Gangoueus

Rencontre avec BlonBa, producteur artistique au Mali (1)

Bonjour, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, vous êtes un des animateurs de BlonBa, une structure malienne indépendante de production artistique et d’action culturelle. Pouvez-vous en quelques mots nous présenter cette aventure culturelle que vous avez initiée avec Alioune Ifra N’Diaye à Bamako ?

BlonBa est né en 1998. Je venais de participer comme auteur et co–producteur à deux aventures artistiques : La Genèse, long métrage de Cheick Oumar Sissoko dont j’avais proposé l’idée et écrit le scénario (sélection officielle Cannes 1999 « Un certain regard ») ; l’Antigone du Mandéka théâtre, mise en scène par Sotigui Kouyaté, qui avait été joué dans d’importantes institutions francophones. Avec Alioune Ifra Ndiaye, nous voulions donner une perspective durable à ce qui s’était engagé là. Deux objectifs nous animaient : créer les conditions d’une économie culturelle autonome au Mali ; travailler d’abord en direction du public malien, en résonance avec les urgences du Mali, en nous inscrivant dans les lignées culturelles du pays. 

Blonba assure à la fois la production d’œuvres artistiques dans le théâtre, le cinéma, des programmes culturels pour la télévision, ou encore, il y a peu, organisait des concerts dans la salle Blonba qui a fermé. Quelle est la démarche de Blonba dans son investissement sur un projet artistique ? Comment choisissez-vous un projet ?

Nous avons commencé avec le théâtre, en reprenant le fil de la rénovation des comédies satiriques du kotèba engagée dans les années 1980 par des artistes courageux et inventifs qui avaient joué un rôle important dans la mobilisation des consciences contre le régime militaire de Moussa Traoré. Très vite, Alioune, qui est réalisateur de télévision, a ajouté à cette activité la production audiovisuelle, avec le même souci de créer un environnement culturel autonome, centré sur les priorités et l’imaginaire du Mali. Et puis nous nous sommes engagés dans l’aventure un peu folle de la salle, un lieu de spectacle, de divertissement et aussi un studio de télévision qui a vite été considéré comme un modèle en Afrique de l’Ouest, tant pour sa proposition artistique que pour la qualité de ses équipements techniques. Dans chacun de ces trois secteurs, nous nous sommes efforcés de construire une économie viable, même quand les subventions font défaut. La production théâtrale s’est essentiellement financée par la vente de nos spectacles à l’exportation. Nous sommes parvenus à un équilibre précaire mais reproductible, ce qui nous a permis de proposer très régulièrement de nouvelles créations. Pour la télévision, nous nous sommes spécialisés dans des programmes liés à la construction de la conscience civique, qui trouvent des commanditaires nationaux et internationaux. La salle a vécu vaille que vaille de la billetterie, de l’organisation d’évènements et comme studio d’enregistrement d’émissions télévisées. Sans nous enrichir, cette orientation nous a permis de vivre et de faire vivre une trentaine de personnes. Elle nous a donné une grande liberté dans nos choix artistiques, notamment en matière théâtrale.

Quel est l’impact, l’influence de la marque BlonBa sur la jeunesse bamakoise ? Y-a-t-il une adhésion à ce concept culturel original et unique dans l’espace francophone d’Afrique subsaharienne ?  

BlonBa est l’œuvre de la jeunesse. Alioune avait vingt sept ans quand nous l’avons créé. A part moi, qui suis plus souvent en France qu’à Bamako, toute l’équipe permanente est plus jeune que lui. Cette entreprise culturelle est très représentative de la montée de générations décomplexées, inventives, tranquillement ouvertes sur le monde, qui donnent tant de tonicité aux sociétés africaines en dépit d’une gouvernance souvent chaotique. La jeunesse bamakoise a rapidement fait de BlonBa un symbole de son dynamisme. A titre personnel, Alioune Ifra Ndiaye jouit d’un grand respect et d’une influence certaine sur les jeunes, qui le considèrent souvent comme un exemple à suivre. L’indépendance sans animosité que nous avons acquise par rapport à la coopération française, souvent considérée comme le guichet unique du financement culturel, souvent courtisée, souvent critiquée à cause de ça, est une des causes de cette popularité. Elle concrétise un « Yes we can » qui taraude la jeune génération. La fermeture de notre salle, après les éènements de mars 2012, a créé un choc. Mais quand nous avons repris notre activité publique, en début octobre, avec la présentation du spectacle d’Alioune Ifra Ndiaye « Tanyinibougou » au Palais de la Culture, 3000 personnes se sont déplacées, témoignant ainsi de l’adhésion du public à notre aventure et à notre propos. Beaucoup des personnes qui disposaient d’invitations ont même tenu à payer leur place pour manifester leur soutien.

Depuis le mois d’avril, la grande salle de spectacle du Blonba de Bamako est fermée pour des raisons techniques et foncières. Est-ce la fin de cette structure ? Quelles sont les alternatives pour reconstruire une telle salle ?

L’économie de la salle était le volet le plus précaire de notre activité. L’hostilité d’une partie de l’administration, la nécessité de rembourser les prêts bancaires, la location du terrain, qui ne nous appartenait pas, la modicité des rentrées de billetterie nous contraignaient à jongler de mois en mois, malgré la renommée d’un lieu qui était devenu au fil des ans un des centres de la vie culturelle bamakoise. Mais cette fragile stabilité n’a pas résisté à la panne d’activité consécutive à la crise malienne et, il faut bien le dire, à la voracité de la propriétaire, mise en appétit par les perspectives que lui ouvrait cette période de non-droit. En fermant la salle, Alioune a immédiatement annoncé que nous tenterions de la reconstruire ailleurs. Nous y travaillons. La crise a créé un électrochoc dans la population et on constate une certaine mobilisation de l’Etat en faveur d’un redressement devenu si urgent. Si la conjonction entre la volonté publique, l’énergie de notre équipe et le soutien des partenaires du Mali s’opère, la nouvelle salle sera rapidement ouverte. Mais au delà du lieu, la créativité de BlonBa est en plein essor. Le « hardware » est momentanément hors d’usage, mais les logiciels fonctionnent toujours. Le spectacle de kotèba Tanyinibougou créé le 6 octobre dernier a été un énorme succès populaire et va être à nouveau représenté à Bamako, dans les régions et à l’étranger. Il marque déjà un jalon dans l’histoire théâtrale du Mali, si liée aux soubresauts de sa vie politique. Et une soixantaine de représentations des spectacles de BlonBa sont programmées cette saison par des institutions culturelles françaises.

En feuilletant le blog de BlonBa, on note que le prix d'entrée des spectacles musicaux tourne autour de 5000 FCFA. Quel type de public se déplace pour voir ces spectacles ? Plutôt étrangers ? Maliens ? Jeunes ?

La salle proposait des spectacles et des divertissements de nature très diverses, financés essentiellement par la billetterie. La tarification visait bien sûr à l’équilibre financier, sans lequel nous perdions notre indépendance. Quand l’accès à un spectacle était à 5000 F CFA, cela limitait évidemment l’assistance aux classes moyennes. Mais nous proposions également des manifestations pour des prix nettement moindres, notamment le Nyènadyè club, qui mêlait soirée dansante et propositions artistiques et qui était fréquenté par beaucoup de jeunes des milieux populaires. Il est aussi arrivé que le Premier ministre de l’époque, M. Modibo Sidibé, un spectateur assidu de nos spectacles, finance des séries de représentations pour le public scolaire et universitaire. Des milliers de jeunes ont ainsi pu voir des pièces comme « Bougouniéré invite à dîner » ou « Vérité de soldat ». L’ouverture de notre activité sur la télévision est elle aussi un moyen de la rendre largement accessible. La question que vous posez reste malgré tout une des principales préoccupations pour une salle indépendante comme l’était le BlonBa. Dans l’état actuel des choses, seul un soutien public permettrait d’engager, comme nous le souhaiterions, une politique tarifaire plus démocratique.

 

Propos recueillis par Lareus Gangoueus, deuxième partie d'intreview à suivre sur Terangaweb

African writers

C'est un bel essai. Un peu épais. Ce qui explique le temps que j'ai pris pour le lire. James Currey fut éditeur pendant une vingtaine d'années pour Heinemann Educational Books, branche de la grande maison d'édition britannique Heinemann. Il a participé à la direction de la collection "African writers" qui a édité quelques uns des plus grands écrivains de l'espace anglophone comme le nigérian Chinua Achebe, le kényan Ngugi Wa Thiong'o ou le zimbabwéen Dambudzo Marechera pour ne citer que ces têtes d'affiche. Ce bouquin est une vraie mine d'or pour qui s'intéresse aux littératures du sud et souhaite avoir une meilleure vision d'un pan entier de littérature africaine publiée sous le label African writers series

Pour mieux comprendre la philosophie de cette collection, le lecteur francophone peut sans trop de risque faire le parallèle avec la maison d'édition parisienne Présence africaine pour comprendre l'influence de cette structure. A ce propos, James Currey montre de manière très intéressante comment le monde francophone sous l'impulsion de Senghor, de Gontran Damas et Césaire avait une bonne longueur d'avance sur l'espace anglophone. Pourtant, la littérature africaine, sous la plume de Currey a vu le jour sur le plan international avec le célèbre roman de Chinua Achebe. Une affirmation très anglophone et commerciale.

James Currey brosse en introduction un portrait des différents acteurs qui ont travaillé à l'émergence de cette collection. Les britanniques Allan Hill, Keith Sambrook, le sud-africain James Currey, les nigérians Chinua Achebe, Aig Higo ou le kenyan Heny Chakava. En tant que conseiller éditorial, Chinua Achebe va tenir une place importante dans la détection de belles plumes comme celle de James Ngugi en 1962 à Makéréré en Ouganda.
Il prend le temps de présenter les différentes aires géographiques qu'Heinneman Educational Books couvrent depuis le début de la collection African Writers, en partant de l'influence importante de l'Afrique de l'ouest avec le géant nigérian, puis de celle d'Afrique de l'Est avec ces contraintes spécifiques, la concurrence d'un autre grand éditeur, les exigences d'une écriture en langue africaine de Ngugi wa Thiong'o qui lui valurent une année d'incarcération dans les geôles kenyanes.

On pourrait dire beaucoup de choses sur cet ouvrage. Comme le fait qu'il nous laisse sur notre faim concernant la réception des œuvres en dehors du circuit scolaire que Heinneman Educational Books semble avoir utilisé à tour de bras pour promouvoir avec succès de nombreux auteurs.Cependant, l'aspect passionnant pour l'amoureux des livres, c'est la rencontre avec des auteurs importants au travers de leurs rapports avec leur éditeur. De ce point de vue, la posture du zimbabwéen de Marechera est intéressante voire troublante. En effet, pour avoir lu Soleil noir, une œuvre fondée sur une profonde irrévérence sinon rejet d'un système totalitaire, les rapports passionnes que Marechera entretient avec son éditeur britannique est de ce point de vue porteur d'un paradoxe alarmant. Une soumission qui semble totale à une structure post coloniale foncièrement occidentale.

D'ailleurs, c'est un procès d'intention récurrent auquel James Currey réagit régulièrement. En page 24, ils indiquent l'ambition au début des années 60 de Chinua Achebe et Keith Sambrook :

Permettre aux collégiens et aux étudiants africains de lire  des œuvres de fiction écrites par des auteurs africains et faire découvrir ces mêmes écrivains à  un public littéraire international.

A la lecture de cet ouvrage, il semble évident que cette collection, rencontrant une époque, a répondu à ce double objectif. Et, on se dit vu le nombre de romans inédits en français, qu'en tant que francophone, la langue de Voltaire nous fait louper beaucoup de choses. Je terminerai cette note de lecture en vous proposant les états d'âme de l'auteur au sujet de ses échanges avec le poète sud-africain Mazisi Kunene sur la problématique de la littérature africaine en langue locale.

 

Avec les épais manuscrits des épopées zoulous de Mazisi Kunene, nous étions confrontés à toutes sortes de questions concernant la direction  que nous souhaitions donner à la collection African Writers, qui reposait sur le roman, un concept pas tellement africain […] Se posait la question de l'authenticité, qui était constamment à l'ordre du jour en Afrique. L'épopée était-elle de l'anthropologie ou de la littérature? Comment traiter l'histoire dans la littérature romanesque? Comment un éditeur pouvait-il un lectorat qui lisait le texte de tradition orale à travers des écrits imprimés?


J'avais des doutes sur mon jugement d'éditeur. J'étais convaincu qu'un Zoulou devait présenter sa propre histoire. Pourtant, dans quelle mesure devait-il présenter cette histoire en utilisant la façon zouloue de raconter une histoire? Etais-je en train de dénaturer les traditions  africaines par mes demandes, relatives aux critères londoniens, de coupe, d'organisation et de présentation?


J'avais appris, ayant travaillé sur la publication de livres traduits de l'arabe, que la question de la langue dans la traduction n'est que le premier problème: la traduction dans une autre tradition culturelle est tout aussi importante. Fort heureusement, mes collègues des filiales africaines étaient convaincus comme moi que les textes devaient être refaçonnés et que grâce au format du livre imprimé le lecteur serait aidé par les titres des chapitres, des parties, les titres courants, les listes de personnages et tous les outils utilisés dans la publication d'un livre.

Dans quelle mesure Mazisi Kunene soutenait-il notre concept de ce que devait être la littérature africaine? Ou bien était il complaisant? Sa propre société pouvait s'attendre à un développement long et complexe. Le lectorat qui aurait accès à ces épopées grâce à un moyen occidental, la langue anglaise, serait probablement beaucoup moins tolérant. 

Un texte à découvrir. Ce billet n'est qu'une ébauche d'introduction.

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

Soleil noir

Cela fait plus d'une semaine que j'ai terminé la lecture de Black sunlight, je devrais dire Soleil noir puisque c'est le titre en français de ce roman de Dambudzo Marechera. Cette traduction est parue en début d'été aux éditions Vents d'ailleurs. Ma lecture a été un peu longue. Faite comme un fractionné pour ceux qui préparent une épreuve de fond ou demi-fond. Avec des accélérations dans la lecture, puis des temps où je fus obligé de me poser pour suivre, comprendre les mots, les phrases, les développements de l'auteur zimbabwéen. Oui, c'est une lecture particulière, où le romancier dicte le tempo du lecteur, construit son discours en brisant le classicisme des pères de la littérature africaine.

Mais de quoi parle-t-on?

Le narrateur est le prisonnier d'un groupe militaire ou d'une milice quelque part en brousse ou dans une jungle. Entre les mains de chefs de guerre pas très commodes, assez rapidement, les errements de la pensée du prisonnier suspendu la tête en bas à une corde se détachent de ce lieu sordide pour évoquer des personnes, des lieux, une femme blanche, nommée Blanche sous une cascade prend un bain, Susan un esprit révolté à un point que le lecteur n'imagine même pas, sa femme Marie, aveugle de son état et bien d'autres personnages dont il est assez difficile de comprendre le positionnement en début de lecture. Cette première phase de la narration est aussi confuse que pourrait l'être le cerveau d'un prisonnier de guerre qui s'attend au pire.

Par bribes, certains personnages se précisent. Mais, si la pensée de notre photographe n'est pas linéaire. Certains sont déjà morts, mais vivent dans l'esprit du narrateur. On découvre petit à petit que dans ce pays en guerre, le narrateur fait partie d'une organisation terroriste, dans une brigade particulièrement violente. Marechera prend un réel plaisir a décrire un processus d'embrigadement et de conditionnement du narrateur, il se délecte d'un discours sur la violence et une volonté de faire exploser toute forme d'autorité et de normes. Ce qui le conduit à user du blasphème. Maréchera excelle dans la théâtralisation de son discours, par des images très fortes venant d'un esprit qu'on pourrait penser complètement destroy.

Le personnage narrateur, dont le métier de photographe lui apporte une certaine forme de recul sur les actions des personnages jusqu'au boutistes qui l'environnent, montre néanmoins la distance que le romancier peut poser. Il est important pour avoir une meilleure compréhension de ce texte de réaliser que ce livre publié en 1980 par Heinemman dans la fameuse collection "African writers" dirigée par James Currey, sort au moment de l'indépendance du Zimbabwé et de la fin de la Rhodésie. C'est une toile de fond qui explique quelque part le caractère insurrectionnel du discours de l'auteur. Le lecteur perçoit l'absence de repères des membres de Soleil noir et la folie attachée à leurs actions qui malheureusement trouve une source dans leurs parcours "barrés".

Allez, pour le plaisir du match anglophones vs francophones, le discours de la tigritude répondant à la négritude, alors que notre personnage est sous l'emprise du discours de Susan :

 
Mes mains auraient tremblé sur la volant si je ne  m'y étais pas aggripés comme un apprenti conducteur.
– Le « Tigre », « Tigre » de William Blake a une force lumineuse précisément parce qu'il réveille en nous, depuis le tréfonds, une force d'opposition plus terrible qui peut marteler ce tigre artificiel et en jaillir des myriades d'étincelles. Les sociétés aussi font le même effet; tout comme les nations; toutes ces grandes constructions. Elles peuvent être réduites à d'éphémères braises vite consumées. La vue même d'une chose vivante a un effet similaire. Fais-la éclater et écrase-la en grains de poussière livide.
page 76, éditions Vents d'ailleurs.
 
Ou encore, le discours d'un écrivain sur le sens de son propos :

Évangéliser le magma rouge qui bout en l'homme n'est pas mon but quand j'écris. D'ailleurs je n'ai aucun but. Je vois  simplement les choses d'une certaine façon, juste comme vous, vous les voyez d'une autre façon. Je devrais être content ici. J'ai cette pièce. J'ai à boire à volonté. Et puis je vois soudain, et ça me paralyse, combien la création est stérile et auto-indulgente, parce qu'elle se nourrit continuellement d'elle-même; tantôt elle expose ses blessures en quatre dimensions, tantôt ellle rampe jusqu'à acquérir une majestueuse grandeur d'ou tout tire une signification particulière, tantôt elle retombe à nouveau dans des arguties aussi inutiles qu'un objet oublié en orbite autour du soleil.

page 99, éditions Vents d'ailleurs.
 
Je terminerai en signalant que j'ai pris connaissance, en préparant cette chronique, du regard que James Currey porte sur le romancier zimbabwéen atypique, trublion, incontrôlable qu'il a dû gérer dans sa collection. L'éditeur en parle dans un magnifique bouquin intitulé Quand l'Afrique réplique, publié chez L'Harmattan dans sa version française. Entre fascination et désarroi, on lit le rapport délicieux entre l'écrivain de génie et son éditeur. Un merveille que j'aurai le plaisir de commenter dès que j'aurai fini toute la lecture de cet ouvrage référent sur la littérature africaine de langue anglaise. Il m'a conforté dans ce que j'ai ressenti en lisant Soleil noir. Marechera est un cas à part, qu'on aime ou qu'on n'aime pas ce qu'il dit ou écrit, il ne laisse pas indifférent.
 
Lareus Gangoueus
 
Traduit de l'anglais par Xavier Garnier et Jean-Baptiste Evette en 2012
Editions Vents d'ailleurs, 173 pages
Titre original Black Sunlight, chez Heinemann Educations Publishers en 1980
 
Crédit photo : © Ernst Schade (http://www.ernstschade.com/)

 

Blues pour Elise

Une des plus belles expériences que j’ai réalisé sur le web fut la découverte et l’immersion dans le blog des Tantines. Il y a trois ans déjà. Un site animé par trois charmantes commères qui nous racontaient avec classe leurs petites joies de femmes émancipées, leurs états d'âme et leurs déboires amoureux. Des frangines branchées, plutôt bobo, des citadines pur jus qui célébraient le black nouveau, l’obamanicus. Je rajoute parce que les portraits du mâle nègre qu'elles croquaient avec frénésie n'étaient pas toujours aussi angéliques que la figure du 44ème président des Etats-Unis. Ce fut une expérience enrichissante où le caractère interactif du blog prenait tout son sens. Plusieurs sujets dépassaient la centaine d’interventions où les sista se fightaient tendrement avec les brotha. La provocation n'était jamais loin chez ces secoueuses de cocotiers. Ce fut cependant une démarche éphémère qui n’a même pas laissé de trace sur le Net, puisqu’en créatrices toutes puissantes, les blogueuses se sont autorisées la destruction de leur espace sans préavis et au détriment de ceux ont nourri ce site de leurs nombreuses commentaires, j’ai cité les internautes.

A la différence des Tantines, le roman Blues pour Elise ne disparaitra pas de la circulation par le simple bon vouloir de son auteure. Pour cette septième publication, après sa trilogie africaine, Léonora Miano s’est plongée dans l'atmosphère décrite plus haut. Quatre copines (trentenaires?), les Bigger than life, sont à la recherche de l’amour. Chacune à sa manière. Avec les blessures anciennes, les dérapages inattendus, la difficulté de la rencontre, les déceptions dont on ne se remet point, les trahisons et les surprises agréables. Elles ont la particularité d’avoir un lien avec le Sud du Sahara, connexion assumée ou pas. Elles sont surtout françaises.

Léonora Miano commence à la surface des choses avant de, comme un sous marin, plonger en eaux profondes. Pour cela, elle découpe son roman comme une sorte de série Tv où les épisodes qui s'enchaînent semblent ne pas avoir de lien avec les précédents, laissant apparaître des nouveaux personnages plus ou moins en lien avec les Bigger than Life. Au fil des chapitres, les relations entre les personnages se revèlent et la bonne humeur inhabituelle dans les textes de Miano se dissipe quand on aborde le chapitre du Blues pour Elise. Je n'en dirai pas plus.

C'est un roman où j'ai eu du mal à reconnaitre le style de Léonora Miano. L'écriture est beaucoup plus "enjoyée" dirait les ivoiriens, plus légère que d'habitude comme si ces portions de vie parisiennes version afrodescendants permettaient une attitude plus relax de la romancière et j'ai vraiment kiffé jusqu'au fameux blues d'Elise où une mère se remémore le drame fondateur de sa migration avec son mari vers la France. Je n'en dirai pas plus (bis). Ce livre est l'occasion d'une plongée dans cette nouvelle France, avec ces magnifiques portraits de femmes d'aujourd'hui et la quête éternelle de l'amour, l'amour, toujours l'amour.

Ambiance :

D'ailleurs, les choses avaient changé. Depuis un moment, l'homme blanc poussait, lui aussi, son sanglot. Il souffrait. Le capitalisme dérégulé l'oppressait, les traders le mettaient sur la paille, ses bassins industriels étaient de vastes déserts, ses emplois étaient délocalisés, il se demandait à quoi avait servi, tout ça : le code noir, le code de l'indigénat, ça lui faisait une belle jambe, il avait honte des aïeux, voulait tout effacer, ne plus voir, sur les pages d'histoire commune, du rouge sang, sans trêve ni repos, proclamer que Noir et Blanc sont ressemblants comme de gouttes d'eau ( Nougaro), pénétrer dans l'ère post-raciale, ce temps féérique où il n'y aurait que l'identité des humains. L'homme blanc avait réfléchi. Il ne voulait pas se mélanger, évidemment, la disparition des différences ayant rendu la chose impossible. L'homme blanc voulait fraterniser.

Page 27, Edition Plon

Ambiance II :

Les bigger than life étaient intelligentes, financièrement autonomes, belles, chacune à sa manière. Elles s'étaient données ce nom il y avait déjà des années, quand elles n'étaient encore que des étudiantes souvent désargentées, filles de personne d'important, portant des prénoms non alignés, des patronymes à l'ancrage lointain. Bigger than life était devenu leur devise. Elles ne seraient pas toujours plus fortes que l'adversité, mais elles seraient tenaces.

Page 78, Edition Plon

Bonne lecture et surtout bonne musique !

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

Léonora Miano, Blues pour Elise
Editions Plon, 199 pages, 1ère parution en 2010.

Josué Guébo : Mon pays, ce soir

Josué Guébo n’a rien d’un mec déprimé. Chaque jour je m’évertue à déconstruire des schèmes et clichés qui ont souvent la vie dure dans mon esprit. Non, l’homme que j’ai rencontré au salon du livre est un personnage engageant et joyeux. Sa poésie, elle, est plus nerveuse. Ce qui n’a rien de surprenant quand on songe que le recueil Mon pays, ce soir exprime le regard de cet intellectuel sur les évènements qui ont secoué son pays ces dernières années. Mais l’homme est subtil, ses vers sont denses, sa langue française très soignée porte à la fois sa dignité, son courroux, ses espoirs, ses accusations. L’expression est parfois pompeuse me faisant penser à des textes de Césaire ou Tchicaya U Tam’Si sans être pour autant hermétique. Mais, je réalise en lisant Josué Guébo que ma difficulté avec la poésie n’est pas tant dans les formules, les envolées lyriques du poète mais sur le sens du discours. Je crois profondément que l’art doit d’être au service du sens et non de la simple esthétique des mots. Je n’adhère pas au concept d’un art s’auto- satisfaisant, sublimant une beauté quelle qu’elle fût et sensée toucher nos émois et notre inconscient.

Le cri de Josué Guébo, au-delà de son esthétique est celui de la révolte, celui de l’homme qui veut secouer les consciences, celui qui veut bousculer le quotidien qui efface des combats passés, des vies perdues, une ville déchirée, un pays en cendres. Il zoome avec insistance sur certains mots qui méritent notre attention quand on pense à son pays : pétrole – pluie – bottes – ascaris – haine. Les stridulations du cri que ma mère lance un soir de veillée funèbre ont du sens, il exprime une joie ou une peine selon le chant exprimé. Il interpelle voir interloque le badaud qui se voit contraint de s'arrêter et d’analyser la substance des choses. Celui de Josué Guébo porte cette rage et cette folie, il ne se veut pas une palabre de plus à la Sorbonne, les Ivoiriens me comprendront, mais un appel à l’introspection et une réaction pour que le quotidien ne soit pas un compromis éternel. Il dépasse le cadre de la Côte d'Ivoire pour évoquer les pères de l'indépendance et les figures africaines qui ont voulu se défaire de la Françafrique.

 

Je nous donne
La plume d'un tel orage
Je nous sonne l'index
D'une telle audace
Nous sommes
Poing
Formés de toutes les douleurs
Des siècles piétinés
Debout dans le champ pubère
De la vérité
Tenant de l'iroko
Ce devoir de fermeté
L'impératif
Incoercible
De notre geste ignifugé

Page 54, Edition Panafrika

J'ai eu le plaisir de rencontrer ce poète au salon du livre de Paris (2012), au stand ivoirien. Une occasion de pour moi de tomber sur les produits d'éditions africaines, si rarement accessible en France.

Bonne découverte !

Lareus Gangoueus

Conférence « Quel rôle des écrivains dans nos sociétés ? »

De gauche à droite : Jean-Luc Raharimanana, Bernard Magnier, Lareus Gangoueus, Yahia Belaskri

Il y a un mois, Terangaweb se joignait à l’Observatoire de la Diversité Culturelle et à mon blog littéraire pour organiser une table ronde sur le thème du rôle et de la place de l’écrivain dans nos sociétés. Sujet ouvert qui a un intérêt certain à la fois pour le romancier, l’éditeur et le lecteur. Pour échanger autour de cette question, les écrivains Raharimanana, Yahia Belaskri se sont prêtés à cet exercice en compagnie de Bernard Magnier, directeur de la collection "Lettres africaines" chez Actes Sud. Ce fut un vrai plaisir de conduire ce débat dans le très beau cadre de l’Auditorium du Centre culturel Jean Cocteau des Lilas.

Les avis des auteurs sont partagés sur la définition même du concept « nos sociétés », c'est-à-dire le public éventuel que ceux-ci aimeraient toucher ou pas, le rapport avec ce dernier en particulier avec ses attentes très diverses suivant qu’il est en Occident ou en Afrique, l’absence d’un lectorat réel en français à Madagascar ou en Algérie. Au fil des échanges, le propos s’est centré sur la littérature même, sur l’esthétique, la fonction même de l’écriture et de l’art dans nos sociétés actuelles. Des fonctions différentes suivants notre poste d’observation. Finalement, pourquoi un écrivain se prête-il à cet exercice d’écrire et d’être publié s’il ne croit pas à la portée, à la puissance de son discours ? « D’ailleurs ne s’agit-il que d’esthétique ou également de puissance dans l’écriture des contemporains ? » posera quelqu’un dans le public.

Raharimanana dit très bien le but de son projet : « Arriver à ce moment où le texte, l’œuvre littéraire éclipse l’auteur ». Les écrivains ont également répondu à la question de la feuille de route, de l’ordre de mission venu d’Afrique dicté par un universitaire congolais qui ressemble à beaucoup de points de vue à ce que j’entends au sujet de la nouvelle génération. Une terrible charge dont ils se sont chargés de se délester. A raison sûrement.

Le terme de nouvelle génération a eu le don d’agacer, mais il n’est pas une invention du blogueur que je suis. Il était commun il y a quelques années de désigner de nouvelle génération, toute la dream-team d’auteurs qu’incarnent encore aujorud’hui les Abdourahmane Waberi, Sami Tchak, Raharimanana, Alain Mabanckou, Patrice Nganang, Léonora Miano, Kangni Alem et bien d’autres. Des auteurs qui souvent se sont extraits à la fois du classicisme de l’écriture des auteurs des indépendances, et de certaines thématiques. Il me semble qu’entre Henri Lopès, Ahmadou Kourouma et Raharimanana, il y a deux courants différents, deux générations de romanciers…« Le je a remplacé le nous des anciens » indique Bernard Magnier.

La posture franche de Yahia Belaskri sur la place réelle du romancier dans les sociétés africaines, sur le poids réel, sur leur capacité d’influencer ne manquera pas d’interpeler ceux qui prendront le temps d’écouter cette rencontre. Avec tout le respect et la fascination qu’il a pour l’illustre homme de lettres algérien Kateb Yacine, il se pose la question de la réception de ces œuvres aujourd’hui en Algérie. Il n’est pas utile que j’entre dans plus de détail, la vidéo de la rencontre est disponible sur le site de Sud Plateau-TV. Visionner et venez réagir sur Terangaweb.

Lareus Gangoueus
 

Les défis de la circulation des idées et des textes en RDC

L'année 2010 a permis de célébrer le cinquantenaire des indépendances de l'Afrique et a été l'occasion d'une série de manifestations lors desquelles plusieurs personnes ont été amenées à interroger cette supposée indépendance, qui cacherait de nouvelles formes de dépendance. Une dépendance légitime puisque c’est dans le cadre du Centre Wallonie-Bruxelles que s’est déroulé courant mars, les rencontres Congophonies Cha-Cha, traitant de la République Démocratique du Congo d’aujourd’hui au travers du regard des artistes, cinéastes, écrivains, dramaturges, musiciens congolais ou étrangers. Il s’avère que par un concours de circonstance, l’occasion m’avait été offerte de pouvoir visionner le coffret de films de Thierry Michel consacré à la R.D.C qui a eu lors de ces rencontres l’opportunité de s’exprimer sur son travail.

C’est gonflé de toutes ces images, de mes lectures de Jean Bofane ou de Marie-Louise Mumbu, abreuvé par les chroniques des blogueurs de Congoblog ou d’Alex Engwete que je me suis rendu à la rencontre intitulé « de la circulation des oeuvres et des idées en RDC d'aujourd'hui». Avec l’ambition secrète de pouvoir rencontrer les écrivains Nasser Mwanza et In Koli Jean Bofane, mais également la volonté de comprendre la place de la littérature dans cette mécanique. Je dois dire que cette rencontre a été particulièrement édifiante et déroutante. On est partagé par une forme d’émerveillement et d’un profond abattement au sortir d’une telle soirée. Parce que les repères sont complètement autres. La vision du monde est en rupture avec la vision occidentale dans laquelle nous baignons. Sur la consommation par exemple.

de gauche à droite Julien Kilanga Musindé, Jean Bofane, Nasser Mwanza, Colette Braeckmann

Marie Soleil Frère par exemple a introduit les débats sur la diffusion de la presse écrite en RDC. Tout relève de l’acrobatie à ce niveau. La consommation classique, cartésienne, individuelle de la presse n’a pas lieu de citer à Kinshasa. Trop chère. Elle est contournée par des subterfuges comme les « parlements debout » (où les badauds se postent devant les étals des vendeurs pour leur lecture rapide de l’actu), les photocopies de journaux, la location de journal, les lectures multiples. L’usage d’un journal est avant tout collectif. Les revues de presse sur les ondes hertziennes parachèvent le travail de sape de la diffusion lucrative des journaux. A cela vient se greffer l’impossibilité de diffuser les journaux de la capitale vers l’intérieur du pays vu l’absence de solvabilité des intermédiaires. La chercheuse note toutefois l’impact positif de la presse sur Internet à l’intention principalement de la diaspora congolaise.

Se pose cependant la question sur la pratique même du journalisme en RDC. En particulier celle de la crédibilité et de l’indépendance de certains journalistes congolais à l’égard des hommes politiques ou des opérateurs économiques. La commande d’articles par ces derniers est monnaie courante souligne le cinéaste Balufu Bakupa-Kanyinda. Naturellement, on se demande comment il pourrait en être autrement vu la fragilité de la posture des journalistes et des organes de presse quand on considère le mode de diffusion de leur travail.

Le cinéaste s'étend sur le rapport complexe qu’entretiennent les congolais de la rive gauche du fleuve Congo avec le livre. Il donne l’occasion aux personnes présentes peu averties par les effets collatéraux du mobutisme de prendre conscience de l’instrumentalisation et du contrôle que ce système a exercé sur les auteurs (en particulier de fictions). Le livre sous le mobutisme incarne la ligne du parti unique, c’en est un prolongement. « Les idées circulent là où il y a un désir de production et de réflexion. Le potentiel est énorme ». Le paradoxe d’un pays dynamique : l’absence d’infrastructures relais pour la diffusion de la culture. Pas de librairies à Kinshasa. Pas de salle de cinémas. La culture est véhiculée par les brasseurs et les musiciens (sponsorisés par les premiers). Mais peut-être que le vrai problème selon Balufu est le suivant : « Les premiers besoins sont-ils ceux du ventre ou de la tête ? »

de gauche à droite Nasser Mwanza, Colette Braeckmann, Balufu Bakuba-Kipyanda, Marie Soleil Frère

Nasser Mwanza revient sur son expérience de jeune auteur à Lubumbashi. L’occasion de revenir sur ce qu’il appelle la rupture de Lubumbashi avec la francophonie. Les années 90 ont donné lieu à des pillages de centres culturels francophones dans cette région excentrée de la RDC. Absence de correspondances. Pourtant, le jeune auteur congolais se bat dans ce contexte pour diffuser ses textes sur place en procédant à des lectures publiques, par des affichages dans les lieux de rencontres comme les salons de coiffure, par le porte à porte ou par les réseaux estudiantins intéressés. Il regrette l’absence d’une politique culturelle identifiable de l’état congolais. Il souligne toutefois, que le mobutisme a permis au jeune lushois de profiter des cercles culturels de la Faculté de lettres de Kinshasa délocalisée stratégiquement par Mobutu dans la capitale du Katanga.

Jean Bofane revient sur son expérience en tant qu’éditeur au début des années 90 avant son exil. Avec le sourire que l’on retrouve chez ses personnages de fiction, il énumère malgré les promesses de liberté de ce secteur d’activité formulées par le régime mobutiste aux abois, les faits de terreur et d’oppression à l'encontre des éditeurs. Pillage et dynamitage du matériel. Autres espiègleries. Il raconte l’aventure des bandes dessinées qu’il a diffusées par le canal d’un réseau alimentant le grand marché de Kinshasa. Il décrit le processus de création dans ce contexte corrosif. Il constate que les produits tels que son roman « Mathématiques congolaises » auraient du mal à circuler dans le format congolais actuel. Mais il envisage les choses avec optimisme.

Julien Kilanga Musinde, directeur des langues et de l’écrit à l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.) revient sur la variété de l’édition qu’elle fut de nature confessionnelle, étatique, universitaire. Il constate son cloisonnement et son aspect principalement local. S’il fait le constat du retard de la production littéraire congolaise sur la scène africaine, il souligne l’émergence de l’essai politique dans les années 90. Il revient sur la stratégie de diffusion dans l'espace francophone qui se met progressivement en place pour établir des ponts entre l'Europe et le continent africain en général, la RDC en particulier en termes de diffusion des oeuvres. Il cite notamment Afrilivres (constitution de trois pôles de diffusion – Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, Afrique centrale) et Espace Afrique International.

Les questions de l'auditoire ont donné lieu à des éclairages intéressants. Je retiendrai en particulier la sentence de Jean Bofane : "Parler, écrire, cela reste des actes dangereux en RDC". Les assassinats de journalistes congolais sont là pour en témoigner.

Lareus Gangoueus

Crédit photo : Elodie Boulonnais

Pour aller plus loin sur ce sujet, un article de Leila Morghad : L'Afrique a-t-elle peur de la page blanche ?

 

Yahia Belaskri : Une longue nuit d’absence

Je viens de terminer la lecture de ce nouveau roman de l’écrivain algérien Yahia Belaskri et je suis encore remué par ce texte. Certaines déclarations d’amour prennent parfois des détours assez surprenants, mais cette si longue nuit d’absence est un très bel hommage chargé de nostalgie à la ville d’Oran, à son histoire, à ses différentes communautés perdues. Nous sommes dans l’entre-deux-guerres, dans le sud de l’Espagne, quand ce roman débute. Paco est un gamin effronté et courageux qui ose des défis qui marquent déjà son caractère intrépide. Il est le dernier né d’une famille. Adélia, sa grande et belle sœur vient de perdre son mari qui semble s’être suicidé mais qui, après analyse a sûrement été abattu par la garde civile. Nous sommes dans les prémices de la terrible guerre d’Espagne. Dans cette première partie du roman, Yahia Belaskri alterne entre les événements qui ont conduit le jeune Paquito, dit El Gupa, Paco ou encore Enrique Semitier à être enrôlé dans les troupes de l’armée républicaine espagnole et à subir l’accueil mitigé quelques années plus tard fait aux bateaux des républicains espagnols sur les côtes algériennes, le bagne dans le désert, les tentatives de fuite, ou encore la vie clandestine à Oran.

Paco est le personnage central autour duquel Yahia Belaskri construit son histoire. Sans être véritablement un héros lors de la guerre d'Espagne, il est dans ce contexte un leader qui, avec une bande de jeunes de son village natal, vont tous être incorporés dans l'armée républicaine. Alors que progressivement, on suit la dégradation de la situation militaire des républicains les poussant à un exil forcé pour ceux qui refusent la reddition, Belaskri évoque parallèlement la difficile arrivée de ces républicains en Algérie, terre française. Bagne, travaux forcés dans le Sahara, fuites, Oran.

Cette première phase du roman, si elle est intéressante au niveau de sa construction, renvoyant le lecteur d'un chapitre à l'autre, de l'Espagne à l'Algérie, permet de poser les différents personnages sur lesquels Paco pose un regard où son idéal de liberté et de justice prime. De ceux qu'il laisse en Espagne comme son épouse et son beau-père qui subissent la répression franquiste. De ceux qu'ils rencontrent dans les quartiers arabes. De ceux dont il découvre la condition au travers de ses tournées dans l'arrière pays oranais. Par contre, on ne retrouve pas le rythme haletant dans son écriture de Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut dans ses descriptions. Comme si, malgré les éléments fournis qui nous permettent de camper dans la peau des guérilleros en Espagne ou des forçats en Algérie, quelque chose poussait l'écrivain dans ses réserves.

Ce roman devient passionnant, à l'instar du précédent tant au niveau de l'écriture que le sujet qui s'engage dans une course dans laquelle le lecteur est happé et ne lâche plus prise, dans la 2ème phase qui est un magnifique portrait d'Oran, terre française où se juxtaposent des communautés très différentes : arabes, français, espagnols, juifs, etc. Chacun évoluant dans des quartiers, dans un fragile équilibre que la guerre va progressivement faire voler en éclats. Sous la plume de Yahia Belaskri, et par le témoignage de ce républicain espagnol installé à Oran, personnage-charnière entre toutes les communautés, on découvre une ville qui pourrait faire penser à la Grenade de Maalouf. Mais subtilement, les failles de la structure qui vont conduire à l'explosion sont faites de discriminations, de statuts différents, et d'une absence de dialogues, d'une méconnaissance profonde des uns et des autres…

Cette toile de fond ne doit pas cependant éluder le travail sur le personnage de Paco, cet apatride quelque part. La puissance de ce roman, à côté de la dimension nostalgique de la narration d'Oran avant les dérives de la guerre, réside dans ce point de vue sur le personnage errant de Paco qui voit la terre d'accueil se défaire sous ses pieds sans avoir la possibilité de rentrer en Espagne.

Le final est particulièrement émouvant. A lire et à faire lire.

Me gustà Oran !

 

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

 

Yahia Belaskri, Une longue nuit d'absence
Editions Vents d'ailleurs, 158 pages, 1ère parution en 2012

 

Raharimanana : Nour, 1947

Raharimanana n’est pas un auteur comme les autres. Il est avant tout un artiste qui joue magnifiquement avec les mots qu'il met en scène avec beaucoup de hardiesse, de courage, de force pour porter un discours, une volonté d’écrire l’histoire de son propre point de vue. L’histoire de son pays vue par un malgache. L'histoire racontée par un lion pour faire écho à une sentence célèbre…

1947 fut une année importante sur la grande île. Douloureuse aussi. Celle d’une insurrection menée par des nationalistes malgaches qui fut terriblement réprimée par les forces coloniales françaises, comme ce sera également le cas en Algérie. Raharimanana revient sur cet épisode douloureux par le biais d’un roman. Un soldat tirailleur pleure. Il évoque Nour, une femme qui a été abattue. Il parle de sa mémoire, de son histoire, de celle de son pays Madagascar, celles de ces mânes, de sa spiritualité. Alors que la voix de ce personnage narrateur s’exprime, s’entremêlent d’autres voix, toutes chargées par la poésie, certaines implorant des divinités. Nour parle. Jao, Siva, Benja, des rebelles s’expriment chacune avec sa tonalité pour dire un parcours, raconter la tragédie d’une île, la barbarie du système colonial.

La voix du narrateur n’est pas partisane, même si elle porte la douleur de celui qui a perdu une part de lui-même, de celui dont le souvenir de tirailleur en Europe et de trains funestes déportant des juifs lui a fait prendre conscience qu’il était embarqué dans un combat qu’il ne pensait pas être le sien, loin de sa patrie. Narrateur de l’île. Lecteur des tentatives de christianisation. Celles de missionnaires catholiques du 19ème siècle des traces écrites de leur plongée au cœur des ténèbres. Un choc des cultures. Un paternalisme méprisant. Une négation de l’autre portée par le désir altruiste de révéler le Créateur. La voix parle aussi de l’île et de ces vagues successives de migration, des différentes divisions, forfaitures, de la violence qui a toujours animé les différentes communautés que, j’imagine, les malgaches seront reconnaître sous les termes de « ceux des cendres », « ceux de la cité bénie », « ceux du milieu », etc.

Sous la plume de Raharimanana, l’esclavage sur l’île est une réalité locale, endogène. L’arrivée du colon français a semblé le lever ce bouclier, pour mieux assujettir cette île. Au fur et à mesure que le lecteur progresse dans sa lecture qui peut-être un peu laborieuse au début, le temps de s’habituer aux différentes voix, à la musique des mots de Raharimanana, les personnages dévoilent leur histoire et surtout on comprend ce qui les connecte, le sang, l'insurrection. La révolte n’est que mieux présentée avec les vies qui sont laissées sur la terre ensanglantée. Ou de ses vies qui se jettent de la falaise d’Ambahy par désespoir dirait-on ou pour aller à la rencontre d’un au-delà quand le quotidien n'est fait que de mochetés pour reprendre un mot d'un autre grand romancier du continent africain…

Nour, 1947, cela semble être l’histoire douloureuse d’un pays, magnifiquement dite avec le désir manifeste du romancier ou du poète de renvoyer dos à dos, ceux qui oppressent et ceux qui sont oppressés, pour mieux parler du déchirement lié à la disparition de l’être cher, la blessure de ce tirailleur. Un texte sombre. Un texte magnifique. Un texte qui bouscule.
 

Lareus Gangoueus

 

Raharimanana, Nour 1947
Editions du Serpent à plumes, Collection Motifs, 260 pages, 1ère parution en 2001

Voir les chroniques sur Africultures, Le matricule des anges, Ballades et escales en littérature africaine, Ny Haisotatra

 

Quel est le rôle de l’écrivain dans nos sociétés ?

L’Observatoire de la Diversité Culturelle et le cercle de réflexion TerangaWeb « L’Afrique des Idées » vous invitent à débattre avec Jean-Luc Raharimanana, Yahia Belaskri et Bernard Magnier sur le thème « Quel est le rôle de l'écrivain dans nos sociétés ? ». Cette manifestation se déroulera à l’Auditorium du Centre culturel Jean Cocteau, 35 place Charles de Gaulle, Les Lilas (M°ligne 11 Mairie des Lilas), le vendredi 4 Mai 2012, de 19h00 à 21h00. L'entrée est libre et la rencontre sera suivie d'une collation et d’un temps de dédicaces.

En compagnie des romanciers Jean-Luc Raharimanana, Yahia Belaskri, avec Bernard Magnier spécialiste des littératures africaines et directeur de la collection « Lettres africaines » aux éditions Actes Sud, il s'agira d’aborder et d'interroger des postures d’écriture (l’écrivain francophone est-il guide ou témoin ?), leur légitimité d'auteurs physiquement éloignés de leur terre d’inspiration tout autant que la réception de leurs œuvres (lectorat occidental, de la diaspora africaine et du continent). Au travers de son expertise sur les littératures africaines, Bernard Magnier apportera son regard d’éditeur sur ces questions et présentera la collection qu’il dirige chez Actes Sud.

La seconde phase de cette rencontre qui se veut interactive aura pour objet d’interpeler les publics présents, sur leur rapport en général à la littérature africaine. La rencontre sera animée par Réassi Ouabonzi, animateur du blog littéraire Chez Gangoueus et responsable de la rubrique culture de TerangaWeb. Des lectures des œuvres des auteurs seront faites.

copyright Thierry Hensgen/Institut Français. Jean-Luc Raharimanana, est un homme de lettres malgache, né en 1967 à Antananarivo. Il est l’auteur d’une œuvre dense à la croisée de plusieurs genres littéraires. Sa dernière publication est « Les cauchemars du gecko » paru chez Vents d’ailleurs suite à l’interprétation à Avignon de la pièce de théâtre du même nom qui n’a pas laissé indifférent le public du festival.

Yahia Belaskri, est un homme de lettres algérien, ancien journaliste, né en 1952 à Oran. Il a obtenu le Grand Prix Littéraire Ouest France/Etonnants voyageurs 2011 pour son roman « Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut » dans lequel l’auteur brosse un portrait très sombre de l’Algérie. Son nouveau roman « Une longue nuit d'absence » vient de paraitre chez Vents d’ailleurs.

Bernard Magnier est actuellement l’un des plus brillants spécialistes de la littérature africaine. Journaliste de profession, il travaille depuis plusieurs années avec Radio France Internationale et il dirige la collection «Lettres africaines» aux éditions Actes Sud. Il est également conseiller littéraire au Centre National du Livre, au Centre Georges Pompidou ou encore au théâtre Le Tarmac. Il est aussi programmateur du festival « Littératures métisses » d’Angoulême.

Contact ODC/Terangaweb : 01.48.46.07.20 / reassi.ouabonzi@terangaweb.com

Les organisateurs :
Observatoire de la Diversité Culturelle – promeut la citoyenneté par la diversité culturelle
www.diversité-culturelle.org

TerangaWeb « L’Afrique des idées » – est une association indépendante qui vise à promouvoir le débat d’idées et la réflexion sur des sujets liés à l’Afrique. Notre think tank est majoritairement composé d’étudiants, de doctorants et de jeunes professionnels africains, ainsi que de personnes tout simplement passionnées par – et bien informées sur – le continent africain.
http://www.terangaweb.com

Chez Gangoueus – Blog littéraire traitant des lettres venues d’Afrique des diasporas africaines
http://gangoueus.blogspot.fr

Alors, rendez-vous le 4 mai à l’Auditorium du Centre culturel Jean Cocteau,
35 place Charles de Gaulle, Les Lilas (Métro ligne 11, Station Mairie des Lilas), de 19h00 à 21h00.
Faites circuler l'information!

 

Réassi Ouabonzi