Dominique Kerouedan : un regard sur les défis sanitaires de l’Afrique

une_kerouedanAlors que les perspectives économiques et démographiques suscitent beaucoup d’espoirs en Afrique, les problématiques de santé semblent recevoir de moins en moins d’attention.[1] Or, la croissance démographique et la poussée d’urbanisation susceptibles d’accompagner cette croissance économique ne sont pas exemptes de problèmes sanitaires qu’il faudra prendre en compte dans les choix de politiques publiques. C’est pour cela que nous avons rencontré une experte dans le domaine de la santé, fin connaisseur de l’Afrique pour avoir vécu sur le continent, travaillé avec la société civile et plusieurs gouvernements Africains, le Professeur Dominique Kerouedan. Dans une démarche prospective, elle nous apporte son regard sur les défis sanitaires de l’Afrique à anticiper au cours des prochaines décennies.

Comment voyez-vous l’évolution des questions sanitaires en Afrique ?

Au cours des prochaines années, on devrait s’attendre à une augmentation des défis sanitaires de l’Afrique sous l’impulsion de la croissance démographique et de l’urbanisation. D’abord, le doublement de la population à l’horizon 2050 implique un risque d’augmentation de l’incidence des maladies infectieuses dont le SIDA et la tuberculose, de même que les maladies tropicales comme le paludisme ou les maladies parasitaires. Ensuite, l’urbanisation rapide qui doit accompagner la croissance économique devrait être à l’origine de crises alimentaires, d’une recrudescence de maladies infectieuses de la pauvreté et de la promiscuité, comme la tuberculose, des maladies transmises par voies sexuelle et sanguine (dont sida et hépatites virales), sans omettre une transition épidémiologique dont se dégage déjà l’émergence de maladies chroniques telles que le cancer, le diabète, les maladies cardio-vasculaires cérébraux, les affections respiratoires chroniques, les maladies mentales ou les accidents de la voie publique[2]. Ces pathologies de longue durée sont d’autant plus redoutées, que même si les jeunes composent une grande partie de la population africaine, le vieillissement sera rapide sur le continent. Compte tenu de l’afflux attendu des malades, nous devons anticiper la capacité des systèmes de santé à répondre à tous ces fléaux à la fois, et à organiser la prévention des maladies contractées dans les hôpitaux, dites iatrogènes. Enfin, la prépondérance des conflits armés dans certains pays poserait aussi des problèmes sanitaires dus aux violences sexuelles faites aux filles et aux femmes et aux attaques de plus en plus fréquentes à l’encontre du personnel médical et des blessés de guerre, en violation du droit international et des Conventions de Genève. Par ailleurs, il y aurait également l’émergence de maladies liées au changement climatique, à la dégradation de l’environnement et aux pollutions.

Qu’en est-il de la santé maternelle, c’est à dire des femmes enceintes et parturientes?

sante1Justement, il s’agit d’un des problèmes de santé publique sur lequel très peu de progrès ont été enregistrés au cours des dernières années en Afrique, notamment francophone. Je souhaite mettre l’accent sur la grossesse adolescente. Selon une récente étude de l’Overseas Development Institute, les grossesses précoces, observées chez les filles de moins de 18 ans, voire même de moins de 15 ans, sont un problème grave de santé publique, particulièrement sur le continent africain, qui regroupe à lui seul plus de 50% des cas mondiaux. Très souvent, on perd deux enfants lorsque cela se termine mal : l’adolescente et son bébé. Or, cette situation est surtout liée à la déscolarisation précoce des filles. Ce rapport souligne que l’intervention la plus efficace à réduire le nombre de grossesses adolescentes, plus efficace encore que l’offre de services de santé, est de maintenir les filles à l’école. Ainsi, on augmente le taux de scolarisation et on contribue en même temps à la baisse de la mortalité maternelle et infantile.

Existe-t-il des spécificités régionales à ces problèmes sanitaires ?

En effet, le rapport entre l’ampleur des différents types de maladies va dépendre de l’évolution de la situation actuelle des maladies infectieuses dans certaines régions de l’Afrique et de l’évolution de la démographie et de l’urbanisation. Puisque nous n’avons pas encore mesuré l’ampleur des maladies chroniques, on ne peut se situer aujourd’hui que par rapport aux données existantes sur les maladies infectieuses.

D’après ces données, on constate que les maladies infectieuses comme le SIDA et la tuberculose sont prépondérantes en Afrique australe, notamment en Afrique du Sud qui concentre 50% des décès liés au SIDA dans le monde. Ainsi, compte tenu de la prévalence du SIDA dans cette région et de la manifestation de la tuberculose chez plus de 60% des malades du SIDA, ces deux pandémies devraient continuer à sévir dans cette région de l’Afrique. L’Afrique de l’Ouest et du Centre présente des pays à risque notamment à cause de la pauvreté, des conflits armés, des violences sexuelles, et des contaminations par le sang, qui sont des facteurs de propagation du SIDA, et de la tuberculose comme corolaire. Notons que les conflits armés ont des retentissements sur toutes les questions de santé, tant les populations et les soignants sont mobiles, les services de soins détruits ou les systèmes déstructurés. Le paludisme a ainsi flambé en Côte d’Ivoire. En Afrique de l’Est, beaucoup d’efforts ont été faits dans la lutte contre le paludisme. La sécheresse a certainement contribué à réduire la mortalité liée au paludisme, et donc la mortalité infantile, dans plusieurs pays de la région. Cependant, cette maladie nécessite des efforts constants de sensibilisation, de distribution des moustiquaires et de destruction des sources de reproduction du vecteur de la maladie. Ainsi, il existe effectivement des différences entre les régions africaines quant à l’ampleur des problèmes sanitaires soulevés plus haut. Le plus important à relever a trait aux inégalités sociales et de santé considérables entre les régions du continent, certainement (l’hypothèse reste à explorer, doit être explorée) en partie liées à l’iniquité de l’accès des pays (Etats et société civile) à l’appui technique, institutionnel et aux financements mondiaux, rapportés à la population, à la pauvreté, à la situation de conflits armés, à la charge de maladie, aux risques de transmission, à la vulnérabilité en somme, à propos de laquelle il s’agit d’élaborer un index composite précis.

Quels sont les obstacles aggravant l’ampleur de ces défis ?

sante2Ils sont principalement de trois ordres. D’abord, le déficit de personnel médical est très important en Afrique. Selon les données de l’OMS, le continent concentre le quart des pénuries mondiales de personnel de santé alors que trois quarts des nouvelles infections par le VIH par exemple, et trois quarts des décès liés au sida, y sont dénombrés. Cette importante charge de maladies est gérée par seulement 3% du personnel médical pour 15% de la population mondiale. Plus globalement, relevons que 90% de la charge de maladie se situe dans les pays en développement, en faveur desquels 10% des travaux de recherche, réalisés à l’échelle mondiale, s’intéressent à explorer leurs enjeux et tentatives de réponse. Ensuite vient l’absence d’étude épidémiologique, quantitative, ou qualitative, de l’ampleur de maladies existantes (hépatites virales), des nouvelles maladies infectieuses ou chroniques, et de leurs impacts sociaux, économiques, etc. Par exemple, dans la plupart des pays Africains, on ne connaît pas le nombre de personnes souffrant d’hypertension artérielle, du cancer du sein ou du diabète. Il n’y a pas assez de médicaments pour traiter tous les patients diabétiques. Quinze ans après les avoir abordées pour le sida, nous nous posons les mêmes questions quant à la disponibilité et à l’accessibilité financière des traitements des cancers par exemple. Cette fois, je ne vois pas d’activistes à l’horizon, ni de portage politique fort à l’échelle mondiale… Dans la situation de crise actuelle, ces maladies menacent pourtant la stabilité économique mondiale.

Enfin, l’autre obstacle et pas des moindres est le financement des politiques et stratégies de santé. Ce dernier souffre de deux problèmes majeurs. D’une part, la santé ne fait pas encore partie des priorités nationales dans beaucoup de pays Africains. Pour preuve, la plupart des Etats consacre entre 4 et 10% de leur budget à la santé, peu soucieux de respecter les engagements que les Chefs d’Etats ont pris à Abuja en 2001, renouvelés depuis au sein de l’Union africaine, de consacrer au moins 15% de leur budget à la santé. D’autre part, il y a une inadéquation entre les priorités des partenariats et financements innovants mondiaux, et les priorités nationales et locales. Ces dernières années, la plus grande proportion de financements de l’aide mondiale, publique et privée, à la santé, a été allouée à prise en charge (plutôt qu’à la prévention) du sida en Afrique ou ailleurs, indépendamment des problèmes de santé les plus récurrents dans un pays donné. En examinant l’aide du Fonds européen de développement aux systèmes de santé en Afrique[3], la Cour européenne des Comptes est à peu près la seule institution d’autorité à avoir eu le courage et l’indépendance de relever ces déséquilibres fortement induits par les partenaires américains privilégiant leurs intérêts[4]. Cela pose des problèmes d’égalité d’accès à la santé, d’équité et d’éthique, dans la mesure où on est amené à choisir qui pourra être sauvé et qui laisser mourir, qui sera exposé au risque d’infection et qui le serait moins.

S’agissant de financement, le secteur privé industriel et commercial a-t-il un rôle à jouer ?

dv1961024En effet, le secteur privé a un rôle très important à jouer dans la prévention, le dépistage et la prise en charge précoces des infections et des maladies. Plusieurs études ont montré qu’il est plus rentable pour une entreprise de prévenir et de dépister les maladies. Ainsi, elle évite les défections et les absences de son personnel : plus tôt elle intervient, moins ça coûte cher et mieux le personnel va se porter dans le long terme. Je parlerais volontiers de santé durable. Il y a des exemples d’implication du secteur privé, depuis une quinzaine d’années dans la lutte contre le SIDA, plus récemment en appui à la santé plus globalement. Il s’agit notamment de l’initiative Global Business Coalition Health, portée par des entreprises de tous les continents. De grandes entreprises françaises y sont actives. La coopération française, allemande ou le programme américain PEPFAR[5] par exemple, ont soutenu ces initiatives à l’échelle locale.

Mon intuition est qu’il existe une place importante que doivent occuper les entreprises privées dans la médecine du travail. Dans l’Afrique en pleine croissance de demain, les maladies chroniques risquent d’être prépondérantes. Pour éviter qu’elles ne soient une contrainte, voire un véritable frein, à la productivité des entreprises, il est encore temps, mais urgent, que celles-ci mettent en place des programmes de prévention axés sur la consommation du tabac, de l’alcool, l’obésité et la sédentarité, qui sont les principaux facteurs de risques des maladies chroniques, ainsi que des programmes de dépistage volontaire précoces de ces pathologies, dont le pronostic est d’autant plus favorable, qu’elles sont diagnostiquées tôt dans leurs évolutions. Nous proposons une médecine du travail au service des employés et de leurs familles, en même temps qu’au bénéfice des politiques sociales, de la rentabilité, de l’efficience des entreprises, ce qui est plus que nécessaire en temps de crise économique et financière. Il s’agit plus que jamais de préserver le capital humain dans toutes ses dimensions. Chaque entreprise devrait, et pourrait facilement, développer une médecine du travail qui s’adapte aux évolutions démographiques et épidémiologiques des pays dans lesquels elle opère. Il y a donc un équilibre stratégique et financier à trouver entre les secteurs public et privé dans la protection et le financement de la santé.

Quelques mots pour conclure ?

sante4Nous ne pouvons pas parler de tout. Je n’ai pas assez évoqué la production de médicaments par exemple sur le continent. Je voudrais souligner deux sujets qui me semblent importants : l’un sur le rôle des individus en tant que premiers concernés, et l’autre sur les orientations de la communauté internationale en préparation du cadre global pour le développement après 2015.

A l’échelle locale, les individus ont deux rôles à jouer. D’une part, la santé est aussi une affaire personnelle, c’est même une dimension philosophique de la personne. Dès lors, la perception du risque de la part de l’individu détermine beaucoup son comportement vis-à-vis des facteurs de détérioration de sa santé. Il s’avère donc qu’il faut une prise de conscience chez les personnes elles-mêmes des risques encourus lorsqu’elles consomment le tabac, l’alcool, les produits alimentaires trop gras ou trop sucrés, ou lorsqu’elles ne font pas de sport. Ce qui est difficile car l’être humain n’est pas de nature à se projeter dans le long terme. D’autre part, comme l’a souligné le Prix Nobel d’Economie Amartya Sen dans son allocution d’orientation présentée à l’Assemblée mondiale de la santé en mai 1999[6], l’investissement politique du citoyen dans la détermination des priorités nationales est crucial pour faire de la santé une priorité dans les choix de politiques publiques et agir sur le montant des allocations financières. La couverture sanitaire universelle n’a de sens pour répondre aux enjeux, que si ses mécanismes sont pensés au service d’une politique sanitaire et sociale efficiente décidée de concert, au moins entre les citoyens, les élus et l’Etat, politique dont l’objectif n’est pas exclusivement de financer les soins, mais de bâtir ensemble des sociétés avec moins de malades. N’est-ce pas un beau projet de société, de cohésion sociale ?

A l’échelle internationale, les négociations en cours, s’inscrivant aux décours de la Conférence de Rio+20, tendent à souhaiter la convergence, voire la fusion, entre les objectifs du développement et les objectifs de développement durable. Le risque de ce rapprochement est de ne plus se soucier en pratique que des enjeux communs mondiaux, et de voir s’estomper de l’ordre du jour, les priorités sanitaires, sociales, institutionnelles et de développement des pays les moins avancés ou des Etats fragiles (ce sont pour beaucoup les mêmes qui souffrent de ces deux statuts à la fois), ceux-là mêmes qui accusent déjà les retards les plus importants et les résultats les moins bons à réaliser les objectifs du millénaire pour le développement avant 2015.

Le risque est aussi de voir les questions environnementales prendre le dessus sur le développement économique et la justice sociale, en dépit des préconisations du rapport fondateur de Madame Brundtland en 1987, d’accorder une attention équilibrée aux trois piliers du développement durable. Reconnaissons que pendant les 26 années écoulées, soit plus d’un quart de siècle, le paradigme du développement durable n’a pas été convainquant à savoir répondre aux enjeux spécifiques des populations et pays les plus pauvres, sanitaires en particulier, dont les maux dont souffrent les femmes et les enfants ou les populations en guerre. Il faudra donc s’assurer cette fois, que les questions de santé spécifiques aux populations des pays pauvres ou des pays en guerre occupent une place privilégiée à l’issue des arbitrages et engagements internationaux en délibéré à l’Assemblée générale des Nations Unies à partir de septembre 2013.

Interview réalisée par Georges Vivien Houngbonon

Note biographique:

Pr Dominique Kerouedan

Titulaire de la Chaire Savoirs contre pauvreté (2012-2013), dont le thème est la « Géopolitique de la santé mondiale »

Auteur de l’ouvrage « Géopolitique de la santé mondiale ». Fayard, juin 2013. 86p., accessible dans son intégralité ici : http://books.openedition.org/cdf/2291

Directeur de l’ouvrage « Santé internationale : les enjeux de santé au Sud ». Les Presses de Sciences Po. Janvier 2011. 592p. en partie disponible sur www.cairn.info

L’ensemble des enseignements et la vidéo du colloque international des 17 et 18 juin, sur le thème de la « Politique étrangère et diplomatie de la santé mondiale », seront très prochainement mis en ligne sur le site internet de la Chaire Savoirs contre pauvreté, ici :

http://www.college-de-france.fr/site/dominique-kerouedan/index.htm

 

 

 

 

 

 


[1] Cf. le discours de la Présidente de la Commission de l’Union Africaine et le plan stratégique décennal de la BAD qui ne mentionnent pas du tout la santé comme priorité.

 

 

 

 

 

[2] Selon l’INED, on entend par transition épidémiologique la « période de baisse de la mortalité qui accompagne la transition démographique. Elle s’accompagne d’une amélioration de l’hygiène, de l’alimentation et de l’organisation des services de santé et d’une transformation des causes de décès, les maladies infectieuses disparaissent progressivement au profit des maladies chroniques et dégénératives et des accidents. »

 

 

 

 

 

[3] The European Court of Auditors. Special Report N° 10/2008 on European Commission Development Assistance to Health Services in Sub Saharan Africa together with the Commission’s replies. Luxembourg, 2008, published online on January 14, 2009.

 

 

 

 

 

[4] D. Kerouedan. Géopolitique de la santé mondiale. Leçon inaugurale au Collège de France. 14 février 2013. Editions Fayard, Paris juin 2013. 87p.

 

 

 

 

 

[5] United States President Emergency Programme for AIDS Relief, www.pepfar.gov

 

 

 

 

 

[6] A. Sen. Santé et développement. Bulletin de l’Organisation mondiale de la santé. Recueil d’articles N°2, 2000.

 

 

 

 

 

« Une si longue lettre » à l’Afrique

letter_africaL’Union Africaine (précédemment OUA) vient de célébrer le premier cinquantenaire de sa création. A la lecture du discours de la Présidente de la Commission, force est de constater que l’intégration africaine vivement souhaité par les fondateurs n’est pas encore une réalité. Cependant, elle est encore la principale aspiration exprimée par tous les dirigeants africains lors de cette célébration. Pourquoi donc un objectif si cher à chacun ne l’est pas pour tous ? D’aucuns diront que c’est de l’égoïsme. Pourtant ils l’affirment, et le manifestent à travers les ministères en charge de l’intégration africaine qui existent dans la plupart des pays africains. Dans cet article, nous considérons que l’échec de la coordination entre les dirigeants Africains pour aller vers davantage d’intégration africaine résulte de l’absence d’un objectif fédérateur. Ainsi, nous défendons l’idée que le développement humain devrait être l’un des vecteurs de l’intégration africaine. Sa prise en compte devrait conduire à relever le défi d’une gestion commune des ressources naturelles (matières premières et énergétiques) du continent, et par-delà contribuer à l’intégration totale du continent.

L’urgence du développement humain en Afrique…

pib_habD’abord, commençons par examiner la situation de l’Afrique dans une démarche prospective. Selon une récente projection économique à l’horizon 2050 effectuée par des chercheurs de PSE-Ecole d’Economie de Paris, la productivité de la main d’œuvre sera le principal handicap de l’économie africaine au cours de prochaines décennies. En effet,  malgré un taux de croissance annuel de 5,2%, l’Afrique sub-saharienne continuerait d’être le continent « le plus pauvre » au monde avec un PIB par habitant encore huit fois inférieur à celui des Etats-Unis et sept fois inférieur à celui de la Chine en 2050.[1]

TFP_africaAlors qu’il est difficile d’inverser le cours des projections démographiques (2 milliards d’Africains en 2050), il est par contre possible de changer la tendance de ces projections économiques si la principale cause est bien identifiée. Lorsqu’on regarde de plus près ces projections, on s’aperçoit que le gap de productivité entre l’Afrique et les autres régions du monde sera la principale source de la faiblesse du niveau de vie en Afrique. Comme le montre le graphique suivant, la productivité totale des facteurs sera encore six fois inférieure à celle des Etats-Unis et trois fois inférieure à celle de la Chine en 2050.[2]

educ-africaEn réalité, cette faiblesse de la productivité totale des facteurs résulte essentiellement du faible niveau d’éducation.[3] Comme l’indique le graphique suivant, la part de la population en âge de travailler ayant un niveau d’éducation supérieur (université) sera toujours dérisoire à l’horizon 2050. Elle sera en 2050 égale au niveau enregistré par la Chine en 2010.

L’objectif n’est pas de dire que l’éducation est la panacée. Mais ce qu’il ressort de ces constats statistiques est qu’elle jouera un rôle déterminant dans le niveau de vie des africains et dans la capacité des Etats Africains à participer effectivement au futur ordre mondial qui sera dominé par la Chine, les Etats-Unis et l’Union Européenne. Ainsi, le développement humain à travers l’éducation et la santé devient une urgence pour toute l’Afrique. La mise en œuvre de ces politiques mérite des réflexions plus approfondies qui devront faire l’objet d’articles à venir. Si l’on s’intéresse pour le moment aux conditions financières requises pour relever ce défi, il en ressort que l’utilisation des ressources naturelles de l’Afrique sera la principale source de financement.

Transformer les ressources naturelles en capital humain…

De façon générale, si le capital humain a été très peu développé en Afrique, ce n’est pas nécessairement par manque de volonté politique, mais plutôt par manque de moyens financiers. Pour preuve, la construction d’un centre de santé ou d’une école requiert l’élaboration d’un projet qui doit être soumis aux bailleurs de fonds internationaux pour l’obtention du financement. Ces procédures ne permettent pas forcément de se focaliser sur les priorités nationales et ne prennent pas non plus en compte l’urgence de la situation dans laquelle se trouve l’Afrique. Ainsi, seule l’utilisation des revenus issus de l’exploitation des richesses naturelles constitue une alternative crédible pour le financement du développement humain en Afrique.[4]

Cependant, plusieurs faits attestent que très peu de pays ont pu jusqu’à présent gérer leurs ressources naturelles sans susciter des conflits. Comme le montre une étude récente de Arthur Silve sur la gestion des rentes issues des ressources naturelles, seuls le Botswana et l’île Maurice ont pu tirer profit de leurs immenses ressources naturelles (évaluées à US $ 1200 milliards). Ainsi, la plupart des pays Africains pris individuellement sont en conflits ou sous la menace d’un conflit à cause de la gestion des ressources naturelles. En général, il s’agit soit d’un président qui s’accroche au pouvoir afin de pérenniser sa mainmise sur les ressources naturelles, d’un coup d’état ou du développement de groupe rebelles pour contrôler les rentes issues de l’exploitation des ressources naturelles. Quel que soit le motif évoqué pour faire les coups d’états ou pour une insurrection rebelle, le principal motif peut toujours être retracé dans la capture de la rente issue de l’exploitation des ressources naturelles, comme le montre un récent article de Félix Duterte sur le Kivu.

richesse_gouvCette instabilité politique liée à la gestion des ressources naturelles est-elle dans l’intérêt des leaders politiques ? C’est une question à examiner. Ce qui est sûr, c’est que la mauvaise gouvernance, caractérisée par l’absence d’obligation de résultat, la dégradation des libertés civiles, l’absence de l’état de droit et la persistance de la corruption, est négativement corrélée à la valeur nette des ressources naturelles. Autrement dit, plus un pays est riche en ressources naturelles, plus il a de chance d’être mal gouverné et par conséquent politiquement instable. Comme le montre le graphique ci-dessous, la valeur de l’indicateur de bonne gouvernance est faible dans les pays riches en ressources naturelles.[5]

Par ailleurs, la croissance économique dans les pays émergents est susceptible d’augmenter davantage les risques d’instabilité politique liée à la gestion des ressources naturelles. Ainsi, avec l’augmentation des cours des matières premières à cause de la forte demande en provenance des pays émergents, la rentabilité économique d’un coup d’état ou de la mise en place d’un mouvement rebelle va sans cesse être très importante. De plus la détermination du prix des matières premières (agricoles notamment) n’est pas que le fruit des mécanismes de marché, mais dépend également du pouvoir de négociation des parties à l’échange. Or, chaque pays isolé n’étant pas en mesure d’assurer actuellement ni son intégrité territoriale, ni son pouvoir de négociations dans les transactions économiques internationales, il s’en suit que seule la mise en commun des ressources naturelles pour une gestion à l’échelle continentale serait à même de garantir la sécurité et la valeur des ressources naturelles de chaque pays pris individuellement.

La nécessité d’un système institutionnel fédéral…

USAfricaEn effet, avec une richesse nette estimée à environ 40.000 milliards de dollars US, une institution fédérale africaine dont les moyens financiers proviendraient de l’exploitation des ressources naturelles pourrait, sans avoir recours à une aide extérieure, assurer la prospérité et la sécurité de chacun des Etats Africains. Cela est d’autant plus vrai que le continent détient environ 30% des minéraux de la terre, parmi lesquels 40% de l’or, 60% du cobalt et 90% du platine.[6] Les modalités pratiques d’investissement de ces ressources pourront faire l’objet de négociations entre les différents Etats.

D’ailleurs, de plus en plus de constats confirment cette nécessité de passer à une institution fédérale. D’abord, sur le plan politique, les différentes interventions armées internationales à l’image des casques bleus actuellement présents dans huit pays africains, l’implication active de la Cour Pénale Internationale dans les affaires judiciaires du continent, sont autant de preuves qu’il existe un vide sécuritaire et juridique en Afrique. Ensuite, l’influence significative des recommandations des experts des institutions économiques internationales dans l’identification et la mise en œuvre des politiques économiques et sociales sur le continent illustre le besoin d’une expertise économique ayant les moyens de ses objectifs. Enfin, la dégradation des termes de l’échange et l’imposition d’une ouverture économique totale à des pays dépourvus d’un tissu industriel montre l’urgence d’avoir une seule voix à la table des négociations commerciales sur l’Afrique.

Si actuellement les activités de l’Union Africaine (UA) et de la Banque Africaine de Développement coïncident en partie avec ces besoins, elles ne peuvent produire aucun effet significatif tant que les moyens financiers mis à la disposition de ces institutions seront limités. En guise d’exemple, le budget de l’UA est financé à hauteur de 77% par des ressources extérieures ! Or, au vu de la valeur totale des ressources naturelles de l’Afrique et des risques encourus dans une gestion à l’échelle nationale, il apparaît que la mise en place d’un système institutionnel à l’échelle continentale est possible et sera bénéfique pour l’ensemble des Etats. Nous ne discutons pas ici de la forme de ce système ; mais plutôt de sa nécessité. Il est possible qu’une réforme des institutions panafricaines existantes puisse être suffisante pour combler ce vide. La solution proposée ici n’est pas nouvelle en soit dans la mesure où elle a déjà été répétée à maintes reprises et particulièrement exprimée au sein de notre Think Tank.

Une condition nécessaire à sa réalisation est l’existence d’Etats leaders capables de porter ce projet de mutualisation des ressources naturelles et de la délégation de leur gestion à une instance continentale. Conscient de la difficulté de voir émerger de tels leaders, nous esquissons ici quelques pas pour commencer.

Quelques pas pour commencer…

Pour aller plus loin dans l’idée développée par Joël Té-Léssia dans l’une de ses chroniques dominicales, ces quelques pas devront être faits pour garantir la réalisation future de « l’intégration africaine par le bas ». Cela passe par la levée de tous les obstacles à la libre circulation des personnes, des biens et des services. Elle a déjà commencée (dans la CEDEAO par exemple), ou se trouve à des degrés divers dans les différentes communautés économiques africaines, mais son extension à l’ensemble du continent n’est pas encore une réalité. Une première étape simple, mais symbolique, serait de négocier la libre circulation et d’installation de tous les étudiants Africains sur l’ensemble du continent à l’image du programme Erasmus en Europe.

Par ailleurs, un aspect important de l’intégration qui, quoique promu, a été négligé au cours de ces dernières années est la promotion effective de l’histoire et de la culture. Combien de villes africaines disposent d’un théâtre digne de ce nom ? Et quelle est la fréquence des activités culturelles qui s’y déroulent ? Nous n’en savons que peu ou prou. Or, à notre avis, l’histoire et la culture devraient former le ciment d’une nouvelle Afrique intégrée.

Dans cette optique, les Think-Tanks comme Terangaweb-l’Afrique des Idées ont un rôle primordial à jouer pour persuader les potentiels leaders Africains de la nécessité de faire ces quelques premiers pas. Beaucoup de questions suscitées dans cette longue lettre méritent des réflexions plus approfondies : ce n’est qu’un nouvel agenda de recherches sur l’Afrique.

 

Georges Vivien HOUNGBONON

PS: Les graphiques statistiques ont été établis par l'auteur à partir des rapports cités.


[1] La référence à l’Afrique sub-saharienne n’exclut pas le Maghreb. Il s’agit d’une contrainte imposée par la structure des statistiques existantes.

[2] La productivité totale des facteurs donne une idée de l’efficacité des inputs utilisés dans la production.

[3] La productivité totale des facteurs résulte de l’efficacité de la main d’œuvre et des machines utilisées dans le processus de production. Sachant que les meilleures technologies sont à la disposition des entreprises africaines, la faiblesse de la productivité globale ne viendrait donc qu’essentiellement de la qualité de la main d’œuvre, et par conséquent du niveau d’éducation.

[4] Cela suppose une bonne gouvernance. Mais nous verrons que la solution finale proposée règle en même temps ce problème.

[5] L’indice de bonne gouvernance provient du Freedom House Index de 2010 disponible uniquement pour onze pays Africains. Quant à la valeur des ressources naturelles, elle provient d’une estimation pays par pays réalisé par David Beylard, et publié sur le site internet de Les Afriques.

[6] Selon le Rapport « Afrique, Atlas d’un monde en mutation » du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP), 2008.

Analyzing the Incidence of Growth on Inequalities in Africa: Evidence from Cameroon, Tanzania and Senegal

Présentation (après clic)

Au cours de la dernière décennie, l'Afrique a connu une croissance économique forte et stable ; cependant le nombre de pauvres reste encore élevé et les inégalités persistent. Entre 2003 et 2011, le taux de croissance moyen avoisine 5,2% ; tandis que la part de la population vivant avec moins de 1,25 dollars par jour a seulement diminué de 7 points en pourcentage, passant de 47 à 40% entre 2002 et 2008. Ce fait paradoxal a soulevé un débat sur l'incidence de la croissance sur la pauvreté et l'inégalité des revenus en Afrique (Chen et Ravallion, 2010; Sala-i-Martin & Pinkovskiy, 2010).

En effet, pendant longtemps, il y a eu un débat sur la relation entre croissance économique et réduction de la pauvreté et des inégalités. Certains chercheurs comme (Aghion et al., 2004) soutiennent que la croissance économique réduit nécessairement la pauvreté et les inégalités alors que d’autres comme (Bernajee et Duflo, 2000) pensent que c’est plutôt la réduction de la pauvreté et des inégalités qui est source de croissance. Aujourd’hui plusieurs études empiriques comme celle de (Fosu, 2008) montrent que la croissance est source de réduction de la pauvreté et des inégalités à condition que les inégalités et la pauvreté ne soient pas trop élevées et persistantes. Autrement dit, il faut que la croissance soit inclusive (Ali et Son, 2007).

Dans le contexte africain, où il y a une divergence entre la croissance économique et la réduction de la pauvreté et des inégalités, nous avons besoin de comprendre comment rendre la croissance inclusive. C’est pour cela que cette étude examine le caractère inclusif de la croissance dans trois pays africains ayant eu au cours de la dernière décennie une croissance économique inférieure (Cameroun), supérieure (Tanzanie) et juste égale (Sénégal) à la moyenne africaine. Typiquement, nous regardons comment la distribution des revenus et des dépenses des ménages a évolué au cours des vingt dernières années. Une attention particulière est accordée à l’évolution entre les classes de revenus/dépenses, les générations de naissances et les milieux de résidence.

Les résultats de cette étude vont compléter ceux d’une étude similaire actuellement menée par l’Université des Nations-Unies sur d’autres pays africains. Cet ensemble de résultat servira de base pour identifier les structures économiques qui favorisent la croissance économique. Par ailleurs, nos résultats peuvent être utiles aux investisseurs privés dans la mesure où ils mettront en évidence l’étendue et l’évolution des différentes classes de revenus (notamment la classe moyenne) au Cameroun, en Tanzanie et au Sénégal.

Equipe :

Georges Vivien Houngbonon, Doctorant en Economie à PSE

Nathalie Pons, Doctorante en Economie à PSE

Hédi Brahimi, Assistant de recherche à PSE

Arthur Bauer, ENSAE

Clara Champagne, ENSAE

Jeanne Avril, ENSAE

Tite Yokossi, Doctorant au MIT

Abdoulaye NDIAYE, Polytechnique

Projets à venir : à compléter par les autres rubriques

  • Comment transformer les ressources naturelles en capital humain : Mise en place d’un modèle de micro-simulation de l’impact des politiques de transferts conditionnels sur le développement humain
  • Comment devrait évoluer le poids accordé aux différents niveaux d’éducation ?
  • Comment adapter la régulation (bancaire, télécommunications et autres industries de réseaux) à la transition vers le « tout numérique »

Projets terminés :

Vide pour le moment. Devrait contenir les rapports des différents projets achevés.


Georges Vivien Houngbonon*

Nathalie Pons*

Hédi Brahimi*

Arthur Bauer**

Clara Champagne**

Jeanne Avril**

Tite Yokossi***

 

Abstract:

Over the past decade, Africa has witnessed stable and high economic growth; yet the decline in poverty is weak. Between 2003 and 2011, the average growth rate was about 5.2 percent while the headcount poverty index has only declined by 7 percentage points, from 47 to 40 percent between 2002 and 2008.[1] This paradoxical fact has raised a debate about the incidence of growth on poverty and inequality in Africa (Chen & Ravallion, 2010; Sala-i-Martin & Pinkovskiy, 2010). However, the way in which the labor force participates and benefits from growth is not the same across the African countries, as they do not have similar economic performance or structure. In that respect, it is insightful to study the incidence of growth in several countries to learn about the potential causes of the mismatch between economic growth and inequality reduction in Africa.

In order to provide a representative view of the incidence of growth in Africa, we focus on three countries which have performed under (Cameroon), above (Tanzania) or similar to (Senegal) the African average level.[2] In this study, we describe how economic growth has changed the distributions of income and expenditures across individuals, generations, and regions.

We rely on households surveys conducted in Cameroon (1996, 2001, 2006), Tanzania (1994, 2008, 2010) and in Senegal (1994, 2001, 2005) to answer this question. While previous studies have focused on the bottom of the income distribution, we take a step forward by analyzing the evolution of the whole distribution of individual’s income, in line with the growth incidence curve (GIC) approach developed by Chen and Ravallion (2003). One of the limitations of the growth incidence curve usually found in the literature is the possibility that individuals might have moved from one quantile to another between two waves of survey. By using birth cohorts, we are able to follow the same individuals over several years.

Furthermore, by focusing on the evolution of the whole income distribution across individuals, generations and regions, this study is closely related to the emerging literature on inclusive growth (Ali and Son, 2007). Therefore, the results of each country will be correlated with the macroeconomic and demographic variables in order to identify potential public policies that could generate more inclusive growth in Africa.

 

References:

 

Ali, Ifzal & Son Hyun Hwa, 2007. « Measuring Inclusive Growth » Asian Development Review, vol. 24, no. 1, pp.11-31

Ravallion, Martin & Chen, Shaohua, 2003. "Measuring pro-poor growth," Economics Letters, Elsevier, vol. 78(1), pages 93-99, January.

Chen, Shaohua & Martin Ravallion, 2010. "The Developing World Is Poorer Than We Thought, but No Less Successful in the Fight Against Poverty," The Quarterly Journal of Economics, MIT Press, vol. 125(4), pages 1577-1625, November.

Xavier Sala-i-Martin & Maxim Pinkovskiy, 2010. "African Poverty is Falling…Much Faster than You Think!," NBER Working Papers 15775, National Bureau of Economic Research, Inc.

 

 

 

 

 

 


[1] According to the growth rate reported in the African Economic Outlook, 2012. Figures on the poverty headcount are obtained from the PovcalNet website. Seven African countries are missing in the calculations.

 

 

 

 

[2] According to the African Economic Outlook Report, between 2003 and 2011, the average growth rate was about 3.1% in Cameroun, 7% in Tanzania, and 4.2% in Senegal.

¤ This study is conducted as part of the research undertaken by the Think-Tank “L’Afrique des Idées”. (www.terangaweb.com)

* Paris School of Economics. ** ENSAE-Paristech. *** MIT. Corresponding author: h.gvivien@yahoo.com

 

 

 

 

Comment lutter contre la cybercriminalité en Afrique ?

image uneAlors que les cybercafés fournissent l’accès à l’internet à une bonne partie de la population africaine, le taux de pénétration du mobile et les perspectives de déploiement des réseaux 3G ou 4G laisse présager qu’un nombre plus important d’africains seront connecté au monde dans les prochaines années.[1] Cette situation est de nature à favoriser l’émergence des paiements électroniques de même que l’accès aux crédits et à l’assurance par des moyens électroniques. Par ailleurs, davantage d’opportunités s’ouvrent à des entrepreneurs africains pour établir des partenariats avec leurs homologues sur les autres continents grâce à la connexion à internet. Cependant, ces opportunités risques d’être compromises par l’incidence de la cybercriminalité en Afrique. Alors que les Etats s’activent à mettre en place à l’échelle nationale des lois punissant les délits commis sur internet, cet article propose des solutions complémentaires basées sur une analyse économique des incitations à frauder en ligne.[2]

Quelques faits sur la cybercriminalité

internetMême si la dégradation de la situation économique peut être un facteur incitatif à la cybercriminalité, l’augmentation du nombre d’utilisateurs d’internet constitue la principale tendance qui favorise l’accroissement de la cybercriminalité. Les données existantes à l’échelle mondiale montrent une forte corrélation entre l’évolution du nombre d’utilisateurs et le nombre de délits révélés dans les médias.[3] Quoique la cybercriminalité soit un phénomène mondial, les types de délits diffèrent selon les continents. Selon un récent rapport de l’UNDOC (figure 2.1.), ce sont surtout les fraudes en lignes qui prédominent en Afrique, principalement au Nigéria qui concentrent 7,5% des cybercriminels à l’échelle mondiale. Ce pays a gagné la réputation d’être le principal hub cybercimedes cybercriminels les plus actifs avec yahooboys et scams 419 comme leurs marques reconnues à l’échelle internationale. Ainsi, chaque jour les boîtes électroniques sont inondées de lettres dites « nigérianes » proposant un partenariat en affaires, le transfert ou le retrait d’un fonds. Ces pratiques existent également sur les sites de ventes et d’achat en ligne entre particuliers comme « leboncoin.fr ». Elles sont peu à peu étendues aux transferts d’argent sur mobile. Le Ghana avec ses sakawaboys, la Côte d’Ivoire, le Bénin et bien d’autre pays Africains n’échappent pas à ce phénomène. Un paramètre qui reste inconnu est le profil des cybercriminels.

La réponse juridique et policière…

Dans ce contexte, les gouvernements Africains envisagent la mise en place de cadres juridiques permettant de garantir la sécurité sur internet. Par ailleurs, une initiative de l’Union Africaine vise également à faire adopter une convention de lutte contre la cybercriminalité par les Etats Africains. A l’échelle internationale, le Conseil de l’Europe a élaboré une convention qui fait office de référence en matière de lutte contre la cybercriminalité. En Afrique, seul l’Afrique du Sud a signé cette convention sans pour autant la ratifier. Dans les autres pays, notamment au Nigéria, des voix s’élèvent pour réclamer une mise en place rapide du cadre juridique de lutte contre la cybercriminalité. De façon générale, ce cadre devrait créer une loi qui punit les délits commis sur internet et former la police à l’identification et à l’arrestation des cybercriminels. Si la répression peut être un moyen de dissuader de potentiels cybercriminels, elle ne change pas les causes qui les incitent à commettre le délit. Par ailleurs, l’anonymat que confère internet combiné aux moyens d’investigation limitée de la police jette des doutes sur l’efficacité de la solution juridique.

La nécessité d’une solution économique

La problématique de lutte contre la cybercriminalité peut être vue comme le problème d’une autorité de gestion d’un marché de vendeurs ambulants (une foire par exemple) composé de deux types de vendeurs : les « vrais » et les « faux ». Les acheteurs n’ayant pas les moyens d’identifier le type de vendeur, l’autorité doit s’assurer que seuls les « vrais vendeurs » sont présents sur le marché. En effet, les acheteurs sont intéressés à venir sur le marché uniquement si le risque de rencontrer de « faux vendeurs » est très faible.[4] La foire est équivalent à la plateforme internet limitée à un pays, les vendeurs sont des opérateurs économiques du pays en question. Parmi ces derniers, on distingue les « faux vendeurs » (les cybercriminels) des « vrais vendeurs ». Les acheteurs représentent les potentielles victimes de cybercriminalité dans le monde entier. L’autorité en charge de la gestion de la foire peut être vue comme un Etat qui bénéficie des échanges sur internet soit à travers les taxes ou soit à travers les emplois que ces échanges créent dans l’économie nationale.

En suivant les résultats de la théorie économique des contrats, le problème de l’autorité revient à proposer un menu de contrats aux vendeurs pour leur accès au marché de nature à révéler leur type.[5] Dans le cas de la cybercriminalité, deux solutions peuvent être envisagées. D’une part, un menu de prix d’accès à internet et d’autre part un menu d’investissements dans l’authentification des personnes naviguant sur internet (abonnées).

Le menu de prix d’accès à l’internet ferait varier le prix de la connexion en fonction d’un certain nombre d’informations qui déterminent la nature de l’abonné. Par exemple, la fréquence de la connexion, le temps passé en ligne, les sites web visités et les mots clés utilisés dans les messages envoyés sur internet peuvent être des informations pertinentes à la révélation de la nature de l’abonné. Ainsi, le prix d’accès à l’internet serait une fonction de ces informations. Elles peuvent être collectés automatiquement au cours de la navigation sur internet comme c’est le cas actuellement avec les entreprises de publicité. Toutefois, l’efficacité de cette mesure dépend de la part de cybercriminels dans le nombre total des abonnés. Si celle-ci est trop importante, la procédure d’identification risque de commettre beaucoup d’erreur en associant les « bons abonnés » aux cybercriminels ; ce qui décourageraient la présence de ceux-ci et conduirait donc à une situation où seuls les cybercriminels seront sur la plateforme internet. C’est pourquoi, les mesures de répression sont nécessaires pour dissuader l’arrivé de nouveaux cybercriminels. D’où la complémentarité entre les mesures juridiques et celles que nous proposons ici.

Si la tarification forfaitaire de l’abonnement à internet ne pourrait pas être politiquement mise en œuvre, une autre solution serait la mise en place d’un menu d’investissements dans l’authentification des abonnés en ligne. Il s’agit pour les Etats d’investir dans les moyens de sécurité informatique permettant d’identifier systématiquement la nature des messages envoyés sur internet et les estampille d’un sceau de qualité. Cela se fait déjà chez les fournisseurs de boîtes électroniques qui parviennent à identifier systématiquement les spams. En vertu de la taille du segment des acheteurs (mondiale) les bénéfices générés par les transactions devraient être suffisants pour justifier de tels investissements.

En outre, il est établit que la plupart des cybercriminels évoquent l’absence d’opportunités d’emplois comme l’une des raisons de leurs actions.[6] Ainsi, derrière la cybercriminalité se cache le problème de l’emploi de jeunes. Pour cela, il faudra repenser la formation professionnelle, l’organisation des universités et l’industrialisation ou la « tertiarisation » des économies africaines.

Somme toute, la lutte contre la cybercriminalité requiert une réponse globale qui inclut aussi bien des mesures juridiques qu’économiques. Alors, que les Etats africains s’apprêtent à mettre en place un cadre juridique de répression de la cybercriminalité, nous proposons que celui-ci soit complétés par des incitations économiques comme une tarification différenciée de l’accès à l’internet ou le choix d’investissements dans l’authentification des abonnés en ligne. Cependant, la mise en œuvre opérationnelle de ces mesures nécessite une connaissance précise du profil des cybercriminels et de la typologie de leurs communications sur internet.

 

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L’importance des cybercafés est souvent omise dans l’évaluation de l’accès à internet en Afrique.

 

 

 

 

[2] Nous excluons ici du champ de la cybercriminalité les actes comme le piratage, le phishing, le hacking qui sont moins prépondérants en Afrique.

 

 

 

 

[3] Notons que les statistiques sur la cybercriminalité sont quasi-inexistantes. Ainsi, quoique les chiffres présentés ci-dessus peuvent entachés de bais de déclaration, il n’en demeure pas moins que c’est le mieux que l’on puisse donner comme information actuellement.

 

 

 

 

[4] Nous supposons qu’il y a plusieurs autres marchés proposant les mêmes produits et services à la disposition des acheteurs. Ainsi, le principe de concurrence est la principale motivation de l’autorité à contrôler la qualité des vendeurs sur son marché. Dans le cas où il y aurait un seul marché pour certains produits, la présence de « faux vendeurs » va restreindre la demande ou la valeur des biens et services et donc le profit de l’autorité.

 

 

 

 

[5] La théorie des contrats développés par Laffont et Tirole (1986) permet de résoudre le problème d’un principal doit rémunérer des agents dont il ne connaît pas les types.

 

 

 

 

[6] Voir la page 8 du rapport de l’UNDOC cité dans le texte.

 

 

 

 

Quels sont les pays africains qui ont le plus fort potentiel de croissance des télécoms ?


Dans un récent article sur le potentiel de croissance du secteur des télécoms en Afrique, nous expliquions que celui-ci était encore élevé, du fait principalement de la structure de la population : 40% des africains ont moins de 15 ans et cette tranche de population fournit chaque année environ 30 millions de nouveaux clients potentiels. De plus, le taux de pénétration réel des télécoms en Afrique (pourcentage d'utilisateurs de téléphonie mobile) est de 67%, laissant encore des perspectives d'évolution. Enfin, du fait du déficit d'infrastructures de base, la gamme des usages de la téléphonie mobile est encore largement inexploitée.

Toutefois, la diversité des pays africains implique que non seulement l’ampleur de la demande potentielle, mais également ses déterminants ne devraient pas être les mêmes d’un pays à un autre. Cet article se propose donc de mettre en évidence ces différences à partir d’une typologie des pays africains en fonction de l’importance de chacun des trois leviers (structures de la population, taux de pénétration et déficit d'infrastructures). Il en résulte que le potentiel de croissance de la téléphonie mobile est plus élevé dans les pays d’Afrique tropicale et que les usages substituables aux infrastructures routières tels que les transferts d’argent sont d’importants leviers de croissance dans les pays à faible densité de la population.

Un point sur la méthodologie

Ces résultats proviennent de la position des pays sur le graphique ci-dessous. Celui-ci présente les pays en fonctions de l’importance de chacun des trois leviers de croissance, notamment le taux de pénétration du mobile, la structure de la population et le déficit en infrastructures. Le taux de pénétration est mesuré par la part des personnes de plus de 15 ans ayant souscrit à un abonnement mobile et la structure de la population est mesurée par la part de la population de moins de 15 ans. En ce qui concerne le déficit en infrastructure, il est abordé sous l’angle des infrastructures sanitaires, bancaires et routières. Il est donc mesuré à la fois par le taux de mortalité infantile, la part de la population disposant d’un compte bancaire (dépôt et crédit), et le nombre de kilomètres de route par superficie de 100 km².[2] En général, plus un pays se trouve à droite et/ou en haut sur le graphique, plus son potentiel de croissance est élevé. Ainsi, ce graphique montre qu’on peut distinguer deux catégories de pays selon l’ampleur et le levier de la croissance.[3]

Figure: Position des pays selon le potentiel de croissance de leur marché des télécoms

Sources : Propres calculs utilisant les données provenant de la Banque Mondiale.

Tableau: Quelques indicateurs sur les deux groupes de pays

L’Afrique tropicale : une zone où le potentiel de croissance est le plus élevé[4]

L’Afrique tropicale constitue une zone singulière où le développement de la téléphonie mobile devrait connaître une croissance significative dans les prochaines années. Comme le montre le graphique ci-dessous, les pays à droite de l’axe vertical sont principalement situés dans la bande tropicale de l’Afrique. Il s’agit principalement de tous les pays africains à l’exception de ceux du Maghreb et de l’Afrique australe. Dans ces pays, la croissance du marché du mobile viendra surtout du segment de la population en âge de travailler qui ne dispose pas encore d’une souscription à la téléphonie mobile, de la vague de nouveaux clients jeunes qui arrivera chaque année sur le marché, et du développement de nouveaux usages notamment dans le mobile-finance et le e-health. Typiquement, dans ces pays d’Afrique tropicale, seulement 50 personnes sur mille ont accès aux crédits contre une moyenne de 125 pour mille pour l’ensemble de l’Afrique. Cette différence subsiste pour l’ensemble des autres indicateurs à l’exception du déficit en infrastructures routières (voir tableau).

Dans les autres pays : les usages substituables aux infrastructures routières 

Par ailleurs, il existe un groupe constitué de pays comme la Guinée Equatoriale, le Gabon ou la Lybie, où les nouveaux usages sur les transferts d’argent ou d’informations financières entre les différentes régions du pays vont constituer un levier important de la croissance de l’industrie. Dans ces pays situés dans la partie supérieure du graphique (au dessus de l’axe horizontale), il y a plus de deux fois moins de routes par unité de surface que dans l’ensemble de l’Afrique (voir tableau). Ce manque d’infrastructures de transport est un frein aux transactions économiques et financières. Par exemple, un paysan de Mongomo en Guinée-Equatoriale qui aurait du mal à écouler ses récoltes sur les marchés de Bata pourra davantage le faire sans se déplacer s’il existait un système d’informations et de paiement par réseau mobile. Il en est de même pour les transferts d’argent à l’intérieur d’un même pays.

Un rôle pour l’Etat ?

Il ressort de cette description que le potentiel de croissance des communications sur le réseau mobile, même s’il est globalement fort en Afrique, diffère significativement d’un pays à un autre. Cependant, la faiblesse des revenus et la règlementation bancaire sont les deux principaux obstacles susceptibles de limiter la traduction de cette demande potentielle en une demande effective adressée aux opérateurs. Dans le premier cas, l’Etat n’a pas un moyen d’action direct en dehors des politiques de croissance et de réduction de la pauvreté. Celles-ci devraient à moyen terme augmenter le niveau de vie des populations et par conséquent accroître leur propension à consommer les services de télécommunications mobiles. C’est plutôt dans le second cas que le rôle de l’Etat sera le plus déterminant. En effet, les règlementations en matière de transferts d’argents et de paiements monétaires ne permettent pas nécessairement aux opérateurs de téléphonie mobile de proposer des gammes de services variés aux clients. Un prochain article devrait déterminer en quoi ces règlementations peuvent être des freins au développement des activités monétaires et financières sur les réseaux de communications.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 


[1] L’article précédent n’avait pas mentionné les perspectives de croissance économique en Afrique qui sont aussi un indicateur important du potentiel de croissance. Toutefois, la croissance dépend en elle-même du potentiel de croissance de la téléphonie mobile. Il serait donc fallacieux de faire de cette association une causalité.

 

 

[2] Il s’agit là d’indicateurs mis en place par les chercheurs de la Banque Mondiale pour mesurer ces différentes variables.

 

 

[3] Ces deux groupes ne pas nécessairement distincts comme on peut le constater sur le graphique.

 

 

[4] Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de potentiel de croissance dans les autres pays. Il s’agit d’une appréciation relative basée sur la comparaison entre les pays de cette zone et les autres.

 

 

Quel est le coût économique d’Un coup d’Etat ?

Le 22 mars dernier, l’Afrique s’est réveillée sur un nouveau coup d’Etat. Il ne s’agit plus cette fois-ci de la Guinée, ni du Niger, mais plutôt du Mali ; un pays admiré pour sa démocratie avec la perspective d’un Président qui s’apprêtait à quitter le pouvoir dans moins d’un mois. Les raisons évoquées par la junte semblent ne convaincre personne à l’exception d’une partie de la population Malienne ; ce qui suscite davantage de questionnements quant à l’opportunité et la justification de ce coup d’Etat particulièrement lorsqu’on ne dispose pas de toute l’information sur les événements en cours au Mali.

A cet effet, beaucoup de débats ont été menés jusqu’à présent sans qu’un consensus clair ne se dégage sur l’appréciation de ce coup d’Etat. Qu’il s’agisse des genèses de la rébellion touareg, ou de  l’insuffisance des réactions du gouvernement, ou même des discussions informelles à l’issue du coup d’Etat, la question qui demeure est de savoir ce qu’il apporte comme bénéfice à la population Malienne. Loin d’apporter davantage de confusion au débat en suggérant ce qui aurait été meilleur, il serait plus utile d’évaluer de manière générale le coût d’un coup d’Etat ; non pas pour les organisateurs, mais pour la nation entière en termes de développement économique. Sachant que le but avoué des organisateurs est souvent l’amélioration substantielle du bien-être des populations, il en résulte qu’une évaluation du gain net est à même de justifier de manière objective l’opportunité d’un coup d’Etat.
A priori, il serait quasiment impossible d’évaluer avec exactitude et exhaustivité le coût d’un coup d’Etat à cause des multiples dimensions qui le composent. En effet, un coup d’Etat peut affecter plusieurs dimensions de la vie d’une nation ; notamment la politique, l’économie, la culture et de façon générale le développement humain. Puisque les chocs économiques qui résultent d’un coup d’Etat sont susceptibles d’affecter l’ensemble de ces dimensions, il est possible d’avoir une meilleure approximation du coût sur la base de l’ampleur, de la structure et de l’évolution de ces chocs. Par ailleurs, pour éviter la prise en compte de chocs circulaires  qui ont eux-mêmes induit l’avènement du coup d’Etat, cette évaluation se restreint aux seuls coups d’Etat qui n’ont pas une origine économique ; bien qu’il soit toujours possible d’établir un lien entre la situation économique et les autres raisons ayant conduit au coup d’Etat. Comme le montre le graphique suivant, les exemples portent sur le Mali, la Mauritanie et le Niger durant les 20 dernières années.
 
 

Source : Données Banque Mondiale. Calculs de l’auteur. Les carrés rouges indiquent l’avènement d’un coup d’Etat post-1990.

Deux constats ressortent du graphique ci-dessus. D’une part, les pays ayant eu des coups d’Etat sont plus pauvres que la moyenne d’Afrique Sub-saharienne (ASS). Cela peut être dû à une faiblesse des institutions, à la fréquence des coups d’Etat antérieurs aux années 90 ou à des conditions initiales liée à l’histoire ou à la position géographique de ces pays. Toutefois, il existe peu de différence entre la qualité des institutions des pays d’Afrique sub-saharienne à l’exception des pays anglophones où elle est meilleure. Par ailleurs, les conditions initiales, qu’elles relèvent de l’économie ou du développement social, étaient similaires. L’ensemble de ces pays étaient des colonies avec une majorité ayant obtenu son indépendance durant la même période. On pourrait donc envisager la fréquence des coups d’Etats comme une possible explication au faible niveau du PIB par habitant.

D’autre part, les pays ayant connu un coup d’Etat n’enregistrent pas une chute de leur PIB par habitant mais décrochent par rapport au reste à l’ASS. En effet, comme le montre le graphique ci-dessus, l’ASS enregistre globalement une croissance de son PIB par habitant depuis 1990. Cependant, le Mali qui a connu un coup d’Etat en 1991 n’a pas suivi cette tendance avant 1996. En l’absence de coup d’Etat depuis cette année, le Mali a suivi la même tendance croissante que l’Afrique sub-saharienne. Ce qui implique qu’en absence de coup d’Etat, le PIB par habitant d’un pays comme le Mali évoluerait de la même manière que celui de l’ASS. Cette même conclusion est applicable à la Mauritanie  où le PIB par habitant a également suivi la même tendance que celui de l’ASS avant l’avènement du premier coup d’Etat de la période en 2005. A partir de cette année, on ne note pas une régression mais plutôt un décrochage par rapport à la croissance enregistrée par l’ASS. Quant au Niger, qui a enregistré cinq coups d’Etats depuis son accession à l’indépendance dont trois après 1990, son PIB par habitant est resté constant contrairement à celui de l’ASS.

De façon quantitative , l’occurrence d’un coup d’Etat conduit en moyenne à un décrochage du PIB par habitant de 1 à 18% par rapport à celui de l’ASS. Plus précisément, les coups d’Etat répétitifs au Niger ont contribué à faire décrocher son PIB par habitant de 15%, alors que celui de la Mauritanie en 2008 a engendré un décrochage de 43% par rapport au PIB par habitant de l’ASS. On note par contre que pour les trois pays objet de cette analyse, l’occurrence des coups d’Etat n’a pas eu d’impact sur l’inflation, ni sur les investissements directs étrangers (IDE). Ces résultats expliquent bien la stagnation du PIB par tête. Toutefois, le résultat obtenu sur les IDE, dont dépendent fortement l’ensemble des pays d’ASS, reste à nuancer. En effet, dans les conditions économiques de ces pays, les IDE devraient connaitre une tendance croissante. Dès lors, leur stagnation peut être le résultat d’un retrait des nouveaux investisseurs à cause du risque élevé.

En définitive, il ressort que les coups d’Etat constituent un frein au développement économique. Ils n’ont pas un impact significatif sur le bien-être des populations dans le court-terme, ce qui pourrait expliquer le soutien d’une certaine partie de la population aux mutineries. En réalité, le coût d’un coup d’Etat se retrouve dans le long terme à travers une stagnation du niveau de vie et une paupérisation relativement aux autres pays. Il faut donc qu’à l’avènement d’un coup d’Etat, la résistance citoyenne devienne le plus sacré des droits et le plus impératif des devoirs. Plusieurs autres alternatives existent dans une démocratie pour régler les contentieux, le Sénégal en est un bel exemple.

Georges Vivien Houngbonon

Article initialement publié le 3 avril 2012

Crédit photo : Source: Belga

Quel est le potentiel de croissance du secteur des télécoms en Afrique ?

En dépit d’un taux de pénétration avoisinant les 100%, nous appelions dans un récent article à une révolution numérique en Afrique. En général, cette révolution n’est possible que si les trois conditions suivantes sont simultanément remplies : La valorisation des nouveaux services de télécommunications, le déploiement des réseaux de nouvelles générations capables de supporter des flux de données et enfin l’existence d’un cadre réglementaire qui garantisse la rentabilité des investissements et la qualité des services aux consommateurs finaux.[1] Aujourd’hui rien n’indique si ces conditions sont remplies sur le marché africain. Dans cette première série d’articles sur le développement des services de télécommunications en Afrique, il sera question de déterminer si la première des conditions est effective.

Il y a essentiellement trois sources de croissance du marché des télécommunications en Afrique. A moyen terme, le potentiel de croissance du marché est fort et stable. Cette caractéristique du marché africain vient de la structure de sa population dont environ 40% a moins de 15 ans. Cette tranche de la population fournit environ 30 millions de nouveaux clients potentiels chaque année sur le marché africain de la téléphonie mobile.[2] Sur les quinze prochaines années, les opérateurs de téléphonie mobile devraient étendre leur marché à plus de 400 millions de nouveaux clients. De plus, ce nombre est censé croître dans les prochaines années comme le montre le graphique ci-dessous. Il s’en suit donc que la dynamique et la structure de la population africaine constitue un atout favorable à la croissance du marché des télécommunications en Afrique.[3]

Source des données : Base de données en ligne de la Banque Mondiale. (*)Le taux de pénétration représente le pourcentage de la population de plus de 15 ans  disposant d’un téléphone  mobile.

En dehors de la contribution des moins de 15 ans, il existe une seconde source de croissance provenant de la population de plus de 15 ans ne disposant pas encore d’un téléphone mobile. En effet, même si le taux de pénétration a atteint 100% en 2011, le marché de l’accès à la téléphonie mobile n’est pas encore saturé. Ce contraste est notamment lié à la multiplicité des clients ayant plusieurs cartes SIM (souvent autant qu’il y a d’opérateurs) à cause de la discrimination du prix de la communication en fonction de la terminaison. Sous l’hypothèse raisonnable de 3 cartes SIM pour deux personnes, ce taux de pénétration chute à 67%. Cela signifie qu’il existe environ 30% de la population de plus de 15 ans, soit environ 200 millions de personnes, qui peuvent être de nouveaux souscripteurs aux services de téléphonie mobile.

Par ailleurs, la gamme des usages de la téléphonie mobile en Afrique est très large et inexploité. Ce potentiel des usages vient surtout du déficit en infrastructures de base que ce soit dans les domaines de la santé, de l’éducation ou du transport. Pour combler ce déficit, des services de consultations à distance (e-health) ou d’enseignement à distance (e-learning) sont de plus en plus développés. Cette tendance est plus importante dans des pays comme le Nigéria et le Kenya où le taux de pénétration du mobile est très élevé. Il en est de même pour les moyens de paiement qui se font de plus en plus à travers le téléphone mobile. L’accroissement de cette demande constitue la troisième source de croissance du marché. Elle permettra aux opérateurs de proposer de nouveaux services à valeur ajoutée comme cela n’est possible ailleurs. Cependant, il n’existe aujourd’hui de chiffres officiels sur la valeur de ce marché.

En somme, la forme pyramidale de la structure de la population africaine, la non saturation du marché et le déficit en infrastructures de base garantissent l’existence d’un potentiel de croissance du secteur des télécommunications en Afrique. Toutefois, compte tenu de la diversité des marchés nationaux, un prochain article devrait examiner la contribution de chacune de ses sources de croissance au développement des marchés nationaux. De plus, l’analyse des déterminants de l’adoption de la téléphonie mobile permettrait d’élucider les raisons qui expliquent que des personnes en âges de travailler ne disposent pas d’un téléphone portable. Par ailleurs, le potentiel de croissance du marché africain devrait susciter d’importants investissements dans les réseaux de nouvelles générations (3G ou LTE) capables de supporter des débits plus importants et de transporter davantage de trafics de données. Cela n’est pas actuellement le cas. Un autre article étudiera les raisons économiques qui justifient ce retard dans le déploiement des réseaux de nouvelles générations en Afrique.

Georges Vivien Houngbonon


[1] L’accès à l’énergie électrique ou l’aménagement du territoire constituent aussi des pré-requis pour le développement des réseaux de communications électroniques. Mais ces questions ne sont pas abordées ici, car des alternatives existent à ces obstacles. Un prochain article sera dédié à cette question.

[2] Cela correspond au nombre de jeunes qui ont 15 ans chaque année sur le continent. Ce nombre est obtenu à partir d’une estimation qui consiste à diviser le nombre total de jeunes de moins de 15 ans par 15. La question de la contrainte budgétaire ne se pose pas en tant que telle puisque le terminal mobile est à la bourse de tous.

[3] L’industrie des télécoms n’est pas la seule bénéficiaire de cette structure de la population africaine.

Pour une révolution numérique en Afrique

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Malgré le développement de la téléphonie mobile en Afrique, très peu de ménages sont connectés à l’internet haut débit. Compte tenu de son rôle transversal dans l’économie, ne faudrait-il pas que l’accès au haut débit pour tous devienne une priorité de développement ?

 

Lorsqu’on parle de communications électroniques, cela évoque des échanges d’informations entre amis, entre familles ou entre partenaires en affaires. Cela évoque également l’histoire de cette grand-mère qui reçoit régulièrement les nouvelles de son petit-fils vivant à l’étranger, ou encore celle de ces amoureux qui se contemplent chaque jour en dépit de la distance qui les sépare. Laissons néanmoins toute la poésie que nous apportent les télécommunications et focalisons-nous plutôt sur sa contribution à l’amélioration de notre bien-être matériel.

L’Etat des technologies de communications en Afrique

Source : Tiré du Rapport 2011 de l’Observatoire de la téléphonie mobile en Afrique (Figure 1), GSMA. Les données au-delà de 2011 sont des prévisions du GSMA.

Au cours des dix dernières années, les NTIC ont connu une croissance fulgurante dans le monde entier. Particulièrement en Afrique, cette croissance concerne surtout la téléphonie mobile dont le nombre d’utilisateurs a été multiplié par 30 entre 2001 et 2011 ; avec 620 millions de connectés en 2011. Cependant, ce progrès cache les performances du réseau mobile qui ne permet pas encore la connexion à l’internet dans plusieurs Etats Africains.[1] Ainsi, très peu d’Africains ont accès au réseau internet mobile : moins de 5% de la population selon les statistiques de l’UIT en fin 2011. Le réseau fixe est encore moins développé avec seulement 0,2% des ménages ayant accès au haut débit fixe en fin 2011. Il existe également des différences persistantes entre pays, entre les régions d’un même pays et entre les riches et les pauvres.

Ce tableau contrasté de l’état des nouvelles technologies de communications en Afrique appelle à une révolution numérique compte tenu de ses incidences sur le développement économique et social.

Impact sur le développement du marché

En effet, la réduction de la distorsion dans les prix relatifs des produits constitue l’une des incidences majeures du développement de la téléphonie mobile en Afrique. En effet, le manque de coordination dans la détermination des prix des produits crée souvent de grandes disparités régionales préjudiciables au niveau de vie des agriculteurs Africains. Par exemple, un agriculteur de maïs dans le nord du Bénin n’a pas d’information sur l’offre et la demande de maïs dans le pays en dehors de son village. Ainsi, en fixant son prix à l’acheteur, il ne tient pas compte des conditions de transactions sur les autres marchés géographiques. Cela a une incidence directe sur son niveau de vie dans la mesure où le revenu tiré de cette production ne lui permet pas toujours d’acheter d’autres produits de consommation dont les prix sont fixés en tenant compte des conditions du marché. C’est le cas souvent des produits importés dont les prix sont déterminés à l’échelle mondiale. Une récente étude menée au Niger montre comment le développement de la téléphonie mobile permet de corriger cette distorsion et d’assurer un niveau de vie plus élevé aux agriculteurs qui utilisent leur téléphone portable pour avoir l’information sur les prix dans les autres marchés géographiques.

Par ailleurs, le développement des communications électroniques a permis d’élargir et d’intégrer le marché via l’émergence de nouveaux services et la réduction des coûts de transactions. Concrètement, le paiement par téléphone mobile, la réception des informations sur un ordinateur, un poste téléviseur ou même sur un écran mobile sont de nouveaux services qui permettent d’élargir le marché et ainsi créer de nouveaux emplois. En plus, la possibilité pour un habitant d’une contrée quelconque de faire des achats via internet ou de recevoir des informations provenant de la ville permet de mieux intégrer le marché. Le cas du mobile-banking est un exemple typique qui regroupe à la fois ces deux fonctions. Non seulement, il a permis à des millions de personnes d’accéder aux services bancaires, mais également l’émergence de nouveaux services comme l’utilisation du téléphone mobile comme moyen de paiement dans un commerce. A titre d’exemple, une étude réalisée sur le système de mobile-banking au Kenya (M-Pesa) montre qu’il a fortement augmenté la bancarisation des ménages. [2]

En plus de son incidence sur le contenu et l’étendue du marché, le développement des communications électroniques contribue à entretenir la concurrence dans les autres secteurs de l’économie. Une récente étude conduite dans certains pays de l’Union Européenne montre que la diffusion des services de télécommunications induit un développement de la concurrence dans les autres secteurs. En Afrique, l’étude réalisée au Kenya montre que le M-Pesa a entraîné une baisse des prix des services de transfert d’argent comme Western Union ou Money-Gram.

Impact sur le développement social

Au delà de son impact sur le développement économique, les communications électroniques ont des ramifications dans les domaines tels que l’éducation (e-education), la santé (e-health) et l’administration publique (e-government). L’importance que prennent ces nouvelles formes de services appelle à une remise en question des politiques de développement actuellement mises en œuvre dans les pays pauvres et plus particulièrement en Afrique.

Par exemple, aurons-nous encore besoin de regrouper des élèves dans une même salle de classe ou des patients dans une même salle de soins dans 50 ans ? L’organisation de l’administration publique telle qu’elle est aujourd’hui serait-elle encore convenable dans 50 ans ? Les perspectives qu’offrent les nouvelles technologies semblent suggérer qu’il n’y rien de plus incertaine qu’une réponse à ces questions. Il s’en suit donc que le développement dans les pays actuellement dits « en développement » ne consiste pas à transposer les modèles qui existent actuellement dans les pays développés ; mais plutôt à inventer les nouveaux modèles de développement. Mon intuition est que l’accès au tout numérique doit faire partie intégrante de tout modèle de développement.

Dès lors, l’accès à l’internet haut débit fixe ou mobile représente une pièce centrale dans le puzzle que constitue le développement de l’Afrique. Alors que les agences spécialisées des Nations Unies ont récemment constitué un groupe de réflexion sur les OMD post-2015, il est temps que l’accès à l’internet haut débit pour tous soit inscrit comme un objectif global à part entière au même titre que l’accès à l’éducation pour tous.[3]

 

Georges Vivien Houngbonon


[1] Cela est dû à l’absence des réseaux mobiles de nouvelles générations telles que la 3G, la 4G ou la LTE dans la plupart des pays Africains.

[2] Voir l’étude de Issac Mbiti sur le sujet.

[3] Actuellement l’accès au NTIC fait partie des derniers objectifs des OMD !!! Voir Objectif 8, Cible F.

 

Pourquoi il faut poser un nouveau regard sur les performances économiques de l’Afrique

africaAu cours des dix dernières années, la situation économique de l’Afrique s’est caractérisée par un paradoxe : la croissance a été forte ; mais la pauvreté et les inégalités n’ont pas baissé. Entre 2003 et 2011, le taux de croissance économique a été en moyenne de 5%, avec une dizaine de pays au-dessus de 7% ; alors que la part de la population vivant avec moins de $2 US par jours est passée de 68,7% en 1990 à 60,8% en 2010, soit une réduction de 8 points en 20 ans. De même, l’indice de Gini reste élevé et la santé et l’éducation des enfants demeurent intimement liées au niveau de vie de leurs parents.

La situation n’est bien sûr pas similaire d’un pays à un autre. Même si elle est meilleure dans certains pays, d’autres affichent un décalage encore plus prononcé entre la croissance et la réduction de la pauvreté et des inégalités. La Guinée-Equatoriale exemplifie bien cette situation. Suite à la découverte puis l’exploitation de ressources pétrolières, le Produit Intérieur Brut de ce pays est passé de 455 millions de dollars en 1998 à 19,7 milliards en 2011 (à taux constant), soit une croissance de 4230%… Dotée d’une population d’environ 650 000 habitants en 2011, la Guinée-Equatoriale présente une PIB/habitant en PPA de 35 792 $ en 2011, ce qui représente un montant supérieur à la moyenne de l’Union européenne. Toutefois, les dernières enquêtes sur le niveau de vie réel des habitants révèlent que 2/3 de la population vivent dans les faits avec moins de 2$ par jour, soit en dessous du seuil de pauvreté.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la situation paradoxale dans laquelle se trouve ce pays ainsi que nombre d’autres pays africains :

  • L’exclusion d’une large partie de la population des pôles de création de richesse. Les secteurs qui contribuent le plus à la croissance (industries extractives, télécoms) sont fortement intensifs en capital et peu en main d’oeuvre. En Guinée-Equatoriale, le secteur pétrolier, qui représente 78% du PIB, n’embauche que 4% de la main d’oeuvre locale.
  • L’absence de politiques de redistribution par des allocations (revenus minimaux, allocations familiales, bourses d’études) ou des avantages sociaux (éducation gratuite, couverturemaladie, accès au foncier et à l’habitat facilités).
  • Cette situation peut s’expliquer pour des raisons politiques (nature des régimes gouvernementaux et degré de corruption des élites) ou techniques (difficulté à intégrer à un système de protection sociale des travailleurs informels, faiblesse de la capacité de taxation de l’Etat).

Le constat qui se dresse au regard de ces différents éléments est celui d’une croissance non-inclusive dans la plupart des pays africains. Cette croissance non-inclusive n’est pas soutenable. En effet, les flux de créations de richesses actuels se font au détriment du stock de ressources naturelles, sans pour autant augmenter les revenus des consommateurs locaux. Ces derniers ne pourront soutenir le dynamisme de leur marché intérieur, condition nécessaire au développement endogène et pérenne de ces économies et de ces sociétés.

Il convient donc de pointer le curseur de l’analyse sur les conditions de l’inclusion économique des ménages dans la dynamique actuelle de croissance du continent africain. L'objectif étant d’appréhender le développement économique à travers une mesure qui fasse la synthèse entre la croissance économique, la réduction de la pauvreté et des inégalités. Si la croissance économique est indispensable à l’augmentation du niveau de vie des populations, il n’en demeure pas moins que son incidence sur la pauvreté et les inégalités est déterminante pour sa soutenabilité à long terme. Autrement dit, combien de temps un pays pourra t-il faire de la croissance économique alors que la majeure partie de sa population continue de manquer du minimum pour vivre ?

C’est pour participer à la réponse à ce défi que Terangaweb – l'Afrique des idées se propose de suivre l’incidence de la croissance sur la réduction de la pauvreté et des inégalités dans chaque pays Africains. L’objectif final étant de dire si la croissance économique mesurée au cours d’une année a été « inclusive ». Notre démarche consistera à suivre l’évolution des revenus d’un panel représentatif de la population dans différents pays africains. Chaque population nationale sera subdivisée en tranches de revenus selon les lieux d’habitat (campagne/ville, différentes régions d’un pays). L’analyse de l’évolution des revenus dans chacune de ces catégories permettra de dire si les résultats de l’activité économique ont permis de réduire la pauvreté et les inégalités, et d’augmenter le pouvoir d’achat réel des populations. Elle permettra également d’identifier les leviers sur lesquels les gouvernements pourront agir directement sur le niveau de revenu et le niveau de vie des populations.

En plus de ces informations, ce projet permettra aussi de répondre à des questions intéressantes, mais qui manquent actuellement de réponses faute de données adéquates et d’analyses. Quelques unes de ces questions sont par exemple :
· L’impact de la croissance sur le pouvoir d’achat des différentes catégories de population
· Le nombre de ménages appartenant à la « classe moyenne » et le nombre de ménages destinés à rejoindre cette catégorie,
· Comment évoluent les inégalités sociales : est-ce que les revenus des plus riches augmentent beaucoup plus vite que ceux des plus pauvres ?
· La différence entre la part de la croissance du PIB d’un pays qui alimente l’augmentation des revenus des populations et celle qui est exfiltrée à l’extérieur du pays ?

Si vous êtes économistes et/ou statisticiens et que vous souhaitez prendre part à ce projet de recherche, n'hésitez pas à nous contacter !

 

Georges-Vivien Houngbonon, Emmanuel Leroueil

Les arguments contre la cession des terres en Afrique aux grands groupes internationaux

Considérée comme la première des richesses naturelles, la terre a souvent été l’objet de convoitises conduisant parfois à des révoltes populaires[1]. Ainsi, la cession de terres, surtout lorsqu’elle est jugée injuste, déchaîne souvent des passions dont ce débat s’efforce de s’éloigner. C’est le cas actuellement dans le monde en général et en Afrique en particulier où des millions d’hectares sont vendues à des investisseurs étrangers.[2]

Selon le rapport 2012 de Land Matrix, environ 80 millions d’hectares de terres agricoles ont été vendues dans le monde dont 62% en Afrique, plus particulièrement en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Les transactions sont plus importantes dans les pays où la productivité agricole est faible et où les terres agricoles sont sous-exploitées[3]. On estime à 75% la part des superficies vendues consacrées à la culture des biocarburants. Le quart restant est essentiellement destiné à la culture de céréales exportées vers les pays investisseurs. La plupart des articles traitant du sujet dénonce « l’accaparement » des terres agricoles en Afrique[4]. Dans cet article, nous considérons que si des transactions ont eu lieu, c’est qu’il y a nécessairement un intérêt mutuel pour les deux parties impliquées. Dès lors, une appréciation de cette transaction passe par l’évaluation des conditions dans lesquelles elle est faite, de ses incidences économiques et enfin des systèmes de compensation des parties tierces perdantes de cette transaction.

Abstraction faite des conditions de vente, la cession des terres en Afrique ne peut avoir une incidence sur la productivité agricole locale. En effet, dans la mesure où les terres vendues sont cultivées par des investisseurs étrangers qui emploient leurs techniques de production exclusivement sur la superficie achetée, les autres agriculteurs possédant encore des terres ne bénéficient pas d’une amélioration de leurs outils de travail ou de leur technique de production. De plus, même si indirectement, les techniques de culture des terres vendues peuvent être imitées par les autres agriculteurs, l’effectivité de cette imitation dépend de la disponibilité des outils de production adéquats. Par conséquent, l’un des problèmes à l’origine de la sous-exploitation des terres arables ne pourra pas être résolu par la vente des terres agricoles. Au contraire, il est possible que les terres vendues soient les meilleures en termes de productivité ; ce qui peut entraîner de facto une baisse de la productivité agricole.

Même si un système de transferts de la production agricole peut être organisé entre les terres exploitées par les investisseurs étrangers et les agriculteurs locaux, il est très peu probable que cela améliore la sécurité alimentaire. Cela est dû au fait que les types de cultures qui sont rentables pour les investisseurs ne sont pas nécessairement celles dont la population locale a besoin pour assurer sa sécurité alimentaire. L’utilisation d’environ trois quart des terres vendues pour la production de biocarburants illustre bien cette disparité entre les besoins de l’investisseur et ceux des populations locales.

Il est possible d’envisager que même si la vente des terres n’a d'incidence directe ni sur la productivité, ni sur la sécurité alimentaire, elle peut être source de bien-être pour les paysans initialement propriétaire des terres ; ceci grâce au système de compensation qui rémunère les agriculteurs en contrepartie de l’installation de l’investisseurs étrangers. Ainsi, ce revenu peut servir aux paysans à se reconvertir dans d’autres activités. L’ampleur d’un tel effet, s’il existe, ne saurait être suffisante pour compenser la perte de la terre compte tenu de la spécialisation que requiert l’activité agricole. De plus, la tendance des investisseurs étrangers à acheter les terres les plus productives contraint la productivité d’un agriculteur qui pourrait migrer vers d’autres terres. Dès lors, l’effet global de ces compensations ne peut être positif. 

De plus, on pourrait être tenté de considérer cette transaction comme l’équivalent de celle qu’aurait faite un investisseur local. Toutefois, cette conception est erronée du simple fait que la production est quasi-entièrement renvoyée à l’extérieur du pays[5]. Cela correspond donc à une amputation d’une partie des terres arables d’un pays en contrepartie du revenu de la vente. Ainsi, la possibilité que cette vente soit neutre sur les conditions économiques dépend des conditions de ventes et de l’utilisation qui est faite de ce revenu.[6]

Aujourd’hui, les conditions de ventes souffrent du manque total de transparence. Ainsi, il n’est pas possible d’apprécier l’efficacité de cette vente, puisque les effets observés peuvent être tout simplement liés aux conditions de vente. En plus, cette absence de transparence entrave la substitution entre le financement des infrastructures et le revenu de la vente des terres. Elle n’assure pas la bonne gouvernance de cette activité aux risques innombrables sur la population dont l’exode rural avec ses incidences sur l’accroissement du secteur informel et la paupérisation des bidonvilles. En outre, nous n’exposons ici que les aspects purement économiques de cette transaction[7]. Toutefois, il existe bien entendu des effets sur l’environnement, la famine, et l’organisation sociale des communautés villageoises. Par exemple, certaines transactions, lorsqu’elles ne sont pas basées sur un consentement mutuel entre les membres d’un village, peuvent générer des conflits et de l’instabilité politique.

Il en résulte donc que la vente des terres à des groupes internationaux comporte des graves inconvénients potentiels. Certains comme la baisse de la productivité et l’affaiblissement de la sécurité alimentaire sont irrémédiables. Toutefois, ces effets peuvent être atténués si les conditions de ventes des terres et l’utilisation des revenus générés étaient plus transparentes. 

Georges-Vivien Houngbonon

A suivre sur Terangaweb – l'Afrique des idées : les arguments pour la vente des terres en Afrique aux grands groupes internationaux, par Ted Boulou


 


[1] Cf. la révolution française de 1789, la révolution chinoise de 1911, la réforme agraire du Zimbabwe en 2000, etc.. Ainsi, la cession de terres, surtout lorsqu’elle est jugée injuste, déchaîne souvent des passions dont ce débat s’efforce de s’éloigner. C’est le cas actuellement dans le monde en général et en Afrique en particulier où des millions d’hectares sont vendues à des investisseurs étrangers.

[2] La différence avec les transactions foncières courantes est dû au fait que la production est entièrement renvoyée à l’extérieur du pays. Les principaux investisseurs sont les pays étrangers comme la Chine, l’Arabie Saoudite, le Brésil, etc.

 [3] Figure 5, Land Matrix Report, 2012.

[4] C’est le cas notamment des articles publiés sur SlateAfrique, le Ockland Institute, etc. Un article de Terangaweb intitulé « A qui les terres en Afrique ? » a déjà introduit le sujet.

[5] Nous ne savons pas si la production exportée est soumises aux taxes à l’exportation. Dans le cas échéant, cela pourrait être assimilée à l’exploitation de terres agricoles par des investisseurs locaux.

[6] L’argument qui consiste à dire que la vente des terres est une alternative au financement des infrastructures pourrait être renforcé si la gouvernance était meilleure. 

[7] Ces effets ont été notamment identifiés par le Ockland Institute.

Comment améliorer les politiques sociales en Afrique ?

Jusqu’en 2012, la protection sociale en Afrique a été très faible ; quoiqu’elle se soit légèrement améliorée au cours des deux dernières années. En effet, la sécurité sociale est principalement réservée aux travailleurs du secteur formel (public ou privé) et l’assistance sociale est très peu développée. Par exemple, l’assurance chômage est disponible uniquement dans six pays dont l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Ile Maurice, le Nigéria et la Tunisie. L’assurance maladie est rendue universelle dans certains pays comme la Côte d’Ivoire et le Bénin, récemment. Quant à la pension retraite, elle est disponible dans tous les pays et dépend en général du salaire de l’allocataire. Toutefois, son taux de couverture est très faible dans la mesure où elle couvre seulement 8,8% de la population active d’Afrique sub-saharienne en 2010.[1]

Compte tenu de la faiblesse du revenu des ménages, les programmes de sécurité sociale ne peuvent pas être financés surtout lorsqu’ils nécessitent une couverture universelle. Dès lors, les programmes d’assistance sociale destinée en majorité aux personnes âgées et aux orphelins sont les plus répandus. Ces programmes remplacent l’assurance maladie ou la pension retraite pour les plus pauvres. C’est le cas notamment du « National Health Insurance Scheme » du Ghana qui couvre 67% de la population et de la « Old Age Pension » du Lesotho, etc.[2] Alors que l’admission à ces programmes n’est pas soumise à des critères de participation à d’autres programmes, il existe de plus en plus de programmes d’assistance sociale connus sous le nom de « Conditional Cash Transfer » (CCT) qui sont mis en œuvre sur le continent. En contrepartie de la protection sociale, le CCT assure la promotion des dimensions sociales du développement en exigeant la scolarisation des enfants des ménages bénéficiaires de même que leur participation à certains programmes de santé. [3]

Des défis liés à la conception et au financement des politiques sociales en Afrique

Contrairement aux politiques de protection sociale, les politiques d’accès à l’éducation et à la santé ne posent pas de problèmes particuliers de conception. Des exemples de politiques mises en œuvre avec succès et évaluées par le JPal et le IPA sont disponibles et peuvent servir de base à de nouveaux programmes.

S’agissant de la sécurité sociale, la prépondérance de l’économie informelle constitue l’un des freins à son extension à toute la population. En effet, les modalités de sa mise en œuvre dépendent du potentiel de couverture et de la possibilité d’observer les différents types de personnes et leurs comportements.[4] Etant donné le potentiel de couverture, s’il était possible d’identifier les personnes susceptibles d’être au chômage, d’être malades ou de vivre plus longtemps, alors la souscription aux différentes composantes de la sécurité sociale pourrait être laissée à l’initiative de chaque individu. En général, ces conditions ne sont pas vérifiées et requièrent l’universalité des programmes avec une intervention de l’Etat. Plus particulièrement dans le contexte Africain, le potentiel de couverture est très faible compte tenu de la prépondérance de l’économie informelle avec des revenus faibles et instables.

Quant à la conception des programmes d’assistance sociale, le principal défi est celui de la disponibilité d’un système d’information nationale fiable.[5] En effet, leur mise en œuvre nécessite d’identifier et de dénombrer les potentiels bénéficiaires. En l’absence d’un système d’information fiable, les transferts de revenu sont susceptibles d’être moins ciblés à cause de la corruption et des ciblages à connotation politique. Toutefois ce problème se pose avec moins d’acuité pour les programmes d’assistance aux personnes âgées et aux orphelins. Par ailleurs, du fait de l’absence d’une contribution de la part des bénéficiaires, ces programmes sont devenus davantage conditionnels.

En ce qui concerne la soutenabilité du financement des politiques sociales, elle dépend de l’efficacité des politiques mises en œuvre. Si la construction des infrastructures, la gratuité de l’école ou de certains soins de santé, le transfert de fonds à des ménages pauvres permettent de relever la productivité des travailleurs, alors la mise en œuvre des politiques sociales ne dépendra pas du niveau de vie actuelle d’un pays. Dans le cas des pays Africains qui sont en majorité pauvres, le financement de ces politiques ne peut se faire que par le biais de la dette à long terme. Or, la soutenabilité de cette dette dépend évidemment de l’efficacité des politiques mises en œuvre. Il en résulte que l’évaluation des politiques sociales est une composante indispensable de la conception des politiques sociales.

Des suggestions de politiques sociales à envisager

Au regard de l’état des politiques sociales en Afrique et de leurs contraintes, il n’est pas évident de proposer une solution qui conviendrait à tous les pays. Toutefois, pour rendre les suggestions de politiques sociales plus spécifiques, l’ensemble des pays Africains a été divisé en trois groupes selon l’efficacité actuelle de leurs politiques sociales. L’appréciation de l’efficacité des politiques sociales s’est faite sur la base des moyens employés et des résultats obtenus. En termes de moyens, ce sont les parts du revenu national dédiées aux dépenses de santé et d’éducation qui ont été prises en compte. Quant aux résultats obtenus, ils regroupent le taux brut de scolarisation au primaire et au secondaire, l’espérance de vie à la naissance, la part des personnes de plus de 65 ans couvertes par la sécurité sociale et le revenu brut par habitant. Ces informations proviennent des bases de données de la Banque Mondiale et de l’Organisation Mondiale pour la Santé et de l’Administration de la Sécurité Sociale des Etats-Unis. Les moyens ont été mesurés en 2009 alors que les résultats correspondent à au mesures faites en 2010 et 2011.

Classification des pays selon l’efficacité de leur politique sociale

Source : Mes propres calculs à partir des variables décrites ci-dessous.

Sur l’axe horizontal, les pays qui sont plus à droite ont obtenus les meilleurs résultats ; contrairement à ceux qui sont à gauche. Sur l’axe vertical, les pays qui sont plus en bas emploient des moyens plus élevés que la moyenne; par opposition à ceux qui sont plus en haut.

Il ressort de ce graphique qu’on peut distinguer trois groupes de pays. D’abord, ceux qui ont obtenus des résultats significatifs avec de faibles moyens ; c’est le cas de l’Algérie, de la Tunisie et des Seychelles entre autres. Par rapport au pays moyen en Afrique, ces pays ont des politiques sociales satisfaisantes quoique des progrès restent à réaliser sur l’assurance chômage et la qualité de l’éducation.

Ensuite, on distingue un deuxième groupe de pays dans lesquels des efforts sont consentis sur le financement des politiques sociales ; mais les résultats restent limités. C’est le cas notamment de l’Afrique du Sud, du Sénégal et du Kenya entre autres. Ainsi, il faudra identifier pour ces pays les raisons de ce décalage entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus.

Enfin, le dernier groupe est constitué des pays où les moyens sont faibles et les résultats limités. C’est le cas du Bénin, de l’Angola et de Madagascar entre autres. On constate également que l’économie informelle est plus importante dans les pays de ce dernier groupe. La promotion de l’emploi formel et des structures de micro-assurance maladie peut être adaptée à ces pays en attendant une diminution significative du secteur informel avant de lancer des programmes de sécurité sociale. Autrement, l’extension de la sécurité sociale aux travailleurs de l’économie informelle n’encourage pas le passage à l’économie formelle.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 



[1] Nos calculs à partir des données contenus dans le document de discussion de la Banque Mondiale intitulé « International Patterns of Pensions Provision II » Annex III, tableau 51.

[2] Rapport Européen sur le développement, 2010.

 

[3] Rapport de la Banque Mondiale sur les programmes CCT : « The Cash Dividend », 2012

[4] Ce sont des paramètres  liés aux risques de « sélection adverse » et d’ « aléa moral ».

[5] De plus en plus de pays utilisent maintenant les transferts par le téléphone mobile. C’est le cas du programme Livelihood Empowerment Against Poverty au Ghana.

Protection sociale et développement humain

 

En dehors de ses fonctions régaliennes, le champ de l’intervention publique regroupe principalement les politiques économiques (sectorielles, fiscales ou monétaires) et les politiques sociales. Alors que les politiques économiques émanent directement de la nécessité d’une intervention extérieure au marché pour assurer l’efficacité de l’allocation des ressources, les politiques sociales résultent quant à elles des objectifs de redistribution et sont donc sujettes à des controverses sur leur périmètre et leur financement. Cependant, il existe des justifications économique et juridique à leur mise en œuvre.

Sur le plan économique, la mise en œuvre des politiques sociales permet d’assurer la participation et la productivité des agents économiques, gage d’une expansion du marché et d’une croissance économique forte et stable. Dès lors, les politiques sociales sont particulièrement déterminantes pour les pays en développement.[1] D’un point de vue juridique, l’accès à la sécurité sociale, la protection contre le chômage, l’assistance sociale et l’accès à la santé et à l’éducation sont garantis à tous par les articles 22, 23, 25 et 26 respectivement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

De l’importance des politiques sociales en Afrique

Même si un consensus semble avoir été trouvé sur l’importance relative des politiques sociales, leur mise en œuvre reste limitée sur le continent Africain. Dès lors, il importe d’apprécier leur ampleur et leurs spécificités, d’identifier les défis liés à leur conception et à leur financement et de suggérer des stratégies de politiques sociales à envisager compte tenu des défis identifiés.

Dans cet article, les politiques sociales regroupent à la fois les dimensions sociales du développement et la protection sociale. Essentiellement, les dimensions sociales du développement, ou encore les dimensions du développement humain, concernent l’accès à l’éducation et à la santé ; alors que la protection sociale désigne à la fois les programmes contributifs comme la sécurité sociale et les programmes non contributifs comme l’assistance sociale.[2] L’accès à l’éducation et à la santé inclus la construction des infrastructures, la gratuité de l’école primaire et/ou secondaire et la gratuité de certains soins de santé pour tout ou partie de la population. En ce qui concerne la sécurité sociale, il s’agit notamment de l’assurance chômage, la pension de retraite et l’assurance maladie. Enfin, l’assistance sociale inclut tout programme non-contributif qui assure un minimum de revenu aux bénéficiaires.

Du lien entre les dimensions sociales du développement et la protection sociale

L’accès à l’éducation et à la santé constitue deux piliers essentiels du développement dans la mesure où il assurent la disponibilité d’entrepreneurs innovants et de travailleurs productifs susceptibles de créer de la valeur ajoutée. Bien que cette assertion soit partagée par tous, il n’en demeure pas moins que le taux brut de scolarisation en Afrique est l’une des plus faibles au Monde, avec 105% en moyenne au primaire et seulement 45% en moyenne au secondaire en 2009.

A moyen égal, la scolarisation au primaire en Afrique n’est pas liée au niveau de vie d’un pays. Cela est notamment dû au fait que le taux brut de scolarisation est proche de la moyenne  dans la plupart des pays. Il semble donc que des progrès aient été réalisés sur l’accès au primaire dans la plupart des pays Africains. Cependant, la réalisation de « l’éducation primaire pour tous » reste liée au niveau de vie.[3] Il en est de même pour la scolarisation au secondaire qui demeure faible avec une moyenne de 45% des enfants en âge d’être scolarisés qui sont effectivement inscrits.

Dès lors, des programmes d’incitation à la scolarisation ont été mis en œuvre dans la plupart des pays avec succès. Comme en témoigne le cas de la Tanzanie et du Burkina-Faso où la construction massive de salles de classes et la gratuité des frais de scolarité a induit une forte augmentation de la participation au cours primaire.[4] Par ailleurs, d’autres programmes ont été mis en œuvre à l’échelle communautaire et ont contribué à augmenter la participation à l’école primaire. Il s’agit par exemple de la distribution gratuite d’uniformes, de livres ou de repas aux élèves Kenyans.

En dépit de ces succès, d’importants défis restent à relever notamment sur la qualité de l’éducation primaire et sur l’accès au secondaire. En effet, les évaluations précédemment citées montrent que ces différents programmes n’ont pas contribué à baisser les taux d’abandons avant la cinquième année et les redoublements. De plus, les efforts sont jusqu’ici limités au niveau primaire, quoique certains pays comme le Burkina-Faso ont récemment étendu le principe de la gratuité au niveau secondaire. Par ailleurs, de précédents articles sur Terangaweb ont également évoqués la problématique de la qualité de l’éducation en Afrique du Sud, au Maroc et en Algérie, et au Bénin.

En ce qui concerne l’accès à la santé, la part du revenu consacrée aux dépenses de santé est élevée dans les pays où l’espérance de vie est faible. Dans ce contexte, les dépenses publiques liées à la santé ne sont pas liées au niveau de vie, ce qui expose davantage les ménages pauvres aux risques de maladies et d’érosion de leurs revenus dans les dépenses de santé. Ce résultat traduit la faible couverture des systèmes d’assurance maladie ; autrement, les dépenses de santé des ménages ne devraient pas dépendre de leur revenu.

En définitive, les performances des dimensions sociales du développement sont étroitement liées à l’ampleur de la protection sociale. En effet, en l’absence d’un système de protection sociale, l’occurrence d’une maladie peut entamer le revenu des ménages et par conséquent leur capacité à scolariser les enfants. Cela conduit globalement à une faible productivité et donc un faible niveau de revenu, qui à son tour entretien la fréquence des maladies et la capacité d’entreprendre. Ce cercle vicieux qui s’installe en l’absence de la protection sociale est confirmé dans le contexte Africain où les données montrent qu’un faible niveau de protection sociale est généralement associé à un faible niveau de revenu, de santé et d’éducation.[5]




 

Georges Vivien Houngbonon

 

Crédit photo : World Bank.


[1] On entend par marché restreint, une économie où la valeur et la fréquence des transactions économiques sont faibles.

[2] Un programme est contributif lorsque le montant de l’allocation dépend de la contribution de l’allocataire.

[3] L’éducation primaire pour tous est un concept défini par l’UNESCO et qui regroupe les composantes accès, qualité, alphabétisation et égalité des genres. Il est mesuré à parti de l’indice de l’éducation pour tous (IDE) qui attribue un poids uniforme à chacune de ces composantes. Le niveau de vie est mesuré par le revenu national brut par habitant à prix constant.

[4] Deininger, Klauss. 2003. “Does cost of schooling affect enrollment by the poor? Universal primary education in Uganda,” Economics of Education Review, 22, 291305.

[5] L’ampleur de la protection sociale est mesurée à partir de la part des personnes de plus de 65 ans couvertes par la sécurité sociale.

Quel est l’apport économique de l’UEMOA ?

L’intégration économique et monétaire est la dernière étape du processus d’intégration entre un groupe de pays. A l’image de l’ensemble des régions d’un pays, elle crée un vaste espace de communications entre les populations et une expansion de leurs libertés. Elle se traduit concrètement par la liberté de mouvement des personnes, des capitaux et des biens, gage d’une allocation optimale des ressources et de l’atteinte d’économies d’échelle au sein de l’union. Dès lors, la richesse créée au sein de l’union est plus élevée que la somme de celle qu’aurait créée par chaque Etat en l’absence de l’intégration. Il suffit donc d’un système de redistribution efficace pour que chaque Etat sorte potentiellement gagnant de cette intégration.

C’est cet idéal qui a poussé à la création de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) le 10 janvier 1994 regroupant l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest ayant en partage le franc CFA comme monnaie commune. L’UEMOA a succédé à l’Union Monétaire Ouest Africaine précédemment créée pour gérer uniquement la politique monétaire commune aux Etats membres avec pour principale institution la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest. Après près de deux décennies d’existence, une première question non moins naïve est de savoir s’il était vraiment opportun de créer une union économique et monétaire. Ensuite, indépendamment des fondements de sa création, a-t-elle apporté davantage de revenus aux populations de la zone ?

L’UEMOA présente une particularité du fait que le processus d’intégration monétaire ait précédé l’intégration économique, au lieu de l’inverse. Dès lors, la question de l’opportunité d’une intégration économique ne se pose plus étant donné l’existence d’une union monétaire, puisque celle-ci est nécessaire pour s’assurer que les mécanismes d’ajustement économiques en cas de chocs sont similaires entre les pays. Ainsi, la remise en question de l’intégration économique renvoi à un examen de l’opportunité de partager à priori une monnaie commune ; autrement dit si l’union monétaire est une « zone monétaire optimale ».

D’un point de vue économique, l’UEMOA ne respecte pas les critères d’une « zone monétaire optimale ». En effet, même si leur production reste dominée par l’agriculture et le commerce, les différents Etats qui le composent ont des structures économiques différentes et sont donc soumis à des chocs du taux de change qui sont asymétriques. Par exemple, la Côte d’Ivoire réalise une balance commerciale excédentaire à cause de ses exportations alors que la plupart des autres pays ont une balance commerciale déficitaire. Dans ces conditions, un choc sur le taux de change bénéficie à certains pays contrairement aux autres.

Face à cette asymétrie les mouvements des capitaux notamment à travers la création de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières ne suffisent pas. De plus, les mouvements des personnes restent entravés par les coûts de transport et l’absence de débouchés significatifs dans les pays bénéficiaires des chocs asymétriques. Il en est de même pour les mouvements de biens qui demeurent limités par les barrières douanières. Même si des programmes économiques régionaux sont mis en œuvre pour compenser ces asymétries, leur ampleur est limitée à cause du financement. Or, il n’existe pas un mécanisme de stabilité financière permettant aux états de combler le déficit lié à la perte de la politique monétaire, à la mise en œuvre des critères de convergence et au manque à gagner sur les recettes douanières.

En dépit de ces défaillances, on note cependant un retournement de tendance du PIB par habitant depuis la mise en place de l’UEMOA en 1994. En effet, comme le montre le graphique ci-dessous, le PIB par habitant était en baisse juste avant la mise en place de l’institution. Toutefois, il a subit une hausse soudaine après 1994, principalement due à la dévaluation qui a impulsé les exportations de la Côte d’Ivoire. Sous l’hypothèse que l’effet de la dévaluation sur la balance commerciale devrait s’atténuer au bout de quelques années, on devrait assister à un retour à la tendance initiale. Au contraire, même si le PIB par habitant n’a pas continué sa croissance entre 1995 et 1999, il s’est stabilisé au lieu de baisser. 

 

Source : Données issues du World Economic Outlook Database, April 2012, IMF. Le PIB est à prix constant.

Bien entendu, plusieurs autres facteurs comme la stabilité politique et l’accroissement des échanges internationaux avec la zone pourraient expliquer ce changement de tendance. Toutefois, ces résultats suggèrent que la mise en place et la gestion d’un cadre d’intégration économique en soutien à la monnaie commune n’a pas été sans aucun bénéfice pour les populations de la zone, sous l’hypothèse qu’il n’y a pas une aggravation significative des inégalités au sein des pays. Il en résulte donc que l’UEMOA constitue une institution d’intégration économique effective pour l’augmentation de la richesse globale de l’union. Toutefois, qu’en est-il du partage de cette richesse au vu de l’augmentation de la pauvreté dans certains de ses Etats membres ? Et quelle est le rôle économique de l’UEMOA en présence de la CEDEAO ?

Georges Vivien Houngbonon

Que faut-il faire pour réduire le secteur informel ?

L’accroissement de la taille du secteur informel en Afrique pose le problème de la capacité des Etats à disposer des recettes fiscales nécessaires pour répondre aux énormes défis de développement. En dépit des stratégies de politiques publiques mises en œuvre jusqu’aujourd’hui, la taille du secteur informel continue d’augmenter. Il est donc grand temps d’adopter de nouvelles stratégies qui s’attaquent aux causes plutôt qu’aux conséquences de ce phénomène.

De façon générale, le secteur informel regroupe l’ensemble des activités économiques qui échappent à l’administration fiscale. Elles sont différentes des activités de contrebande qui s’exercent en dehors du cadre légal comme le trafic de stupéfiants. Avec plus 50% du PIB selon les estimations[1], le principal enjeu du secteur informel en Afrique réside dans le manque à gagner qu’il crée pour les recettes fiscales de l’Etat. Ce manque à gagner entrave la capacité de l’Etat à mettre en place des politiques publiques destinées à organiser la migration vers le secteur formel. Ainsi le secteur informel semble entretenir ses conditions d’existence. Face à ce cercle vicieux, la question qui se pose est de savoir s’il faut l’éradiquer ; et si oui, comment ?

Quoique la question est souvent éclipsée par la multitude d’urgences sociales et économiques de divers ordres, il n’en demeure pas moins qu’elle resurgit chaque qu’il est question de la soutenabilité des recettes fiscales, de l’organisation économique du marché, ou de la promotion des politiques de protection sociale dans les pays en développement. Ainsi, la plupart des pays Africains, notamment en Afrique de l’Ouest envisagent sérieusement des politiques appropriées pour réduire le poids du secteur informel dans l’économie nationale. Principalement, deux solutions sont envisagées.
D’une part, certains pays, comme le Bénin qui dispose d’un important secteur informel de la distribution des produits pétroliers, choisissent la chasse aux acteurs du secteur informel. Ainsi, des opérations de déguerpissement sont organisées pour détruire les boutiques de fortunes installées au bord des artères ou pour chasser les vendeurs à la sauvette. En dépit de ces opérations ponctuelles, les capitales économiques sont toujours occupées par un nombre de plus en plus important de travailleurs du secteur informel.
D’autre part, partant du fait que les travailleurs du secteur informel font preuve d’esprit d’entreprenariat face aux défaillances du secteur formel, certains pays privilégient la mise en place de politiques d'accompagnement comme par exemple le microcrédit, la micro-assurance, …, pour promouvoir la productivité du secteur et assurer des conditions de travail décentes aux travailleurs. Ces politiques sont notamment soutenues par la plupart des institutions internationales œuvrant dans le domaine du développement[2]. Cependant, il n’existe pas d’évidences suffisantes sur leur efficacité. La plupart des études empiriques qui évaluent ces politiques n’ont pas trouvé d’impact sur les flux vers le secteur formel[3].

Face à ces défaillances, une nouvelle approche de gestion du secteur informel s’impose. Elle se fonde sur l’idée qu’il est important d’éradiquer le secteur informel en s’attaquant aux causes plutôt qu’aux conséquences. La plupart des politiques citées plus haut s’attaquent aux conséquences du secteur informel plutôt qu’à ses causes. Dès lors, elles risquent de renforcer la croissance du secteur. En effet, l’existence du secteur informel caractérise le niveau de développement économique d’un pays et son évolution dépend de facteurs qui entravent une croissance économique endogène. Dès lors, les stratégies de mise en œuvre des politiques qui visent le secteur informel devraient chercher à lever les obstacles au développement des secteurs primaires et secondaires des économies nationales. A cette fin, l’importation massive de biens et services doit être remplacée par la production et la transformation au niveau local. Une récente étude de la Commission Economique des Nations Unions pour l’Afrique fait le parallèle entre l’accroissement du secteur informel et la libéralisation grandissante des échanges internationaux.

Il ne s’agit pas de pratiquer du protectionnisme, mais plutôt de s’atteler à développer les secteurs agricole et manufacturier. Le potentiel de développement de ces secteurs pourvoyeurs d’emplois formels est bien établi par le volume des importations qui vont sans cesse croissantes. La formation professionnelle et l’emploi des jeunes devraient être la priorité et non la promotion de politiques sociales destinées à entretenir le secteur informel sans aucune contrepartie, ni perspective dès lors que ces politiques ont tendance à encourager l’informalité comme le souligne l’article de Aterido et ali. cité précédemment. La seule enquête harmonisée sur le secteur informel conduite en Afrique de l’Ouest et dont un rapport a été publié par l’UEMOA[4] montre que le temps moyen de travail hebdomadaire est d’environ 47 heures avec un salaire horaire de 337 francs CFA. Ainsi, le temps de travail est plus important dans le secteur informel que dans le formel. De même, le salaire horaire est 5 à 10 fois plus faible que dans le secteur formel. Même en cas d’ajustement des salaires à la baisse suite à un passage au formel, les salaires dans le secteur formel restent attractifs et peuvent inciter des travailleurs du secteur informel à migrer vers le formel si des politiques macroéconomiques de création d’emplois et de formation professionnelle sont effectivement mises en œuvre.

En définitive, le secteur informel constitue un enjeu de développement majeur pour les pays en voie de développement, particulièrement en Afrique. Face à l’accroissement de sa taille, il est grand temps qu’une nouvelle approche soit adoptée. Celle-ci doit se départir à la fois de la répression des travailleurs du secteur et de l’assistance qui leur ait accordée pour se focaliser sur les stratégies de création d’emplois et de formation professionnelle. La mise en œuvre de telles stratégies conduira au rétrécissement du secteur sans qu’aucune politique ciblée ne soit nécessaire. Il y va de la capacité de l’Etat à disposer des ressources fiscales suffisantes pour répondre aux énormes défis de développement qui se posent.
 

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] Voir l’article de Friedrich Schneider sur le poids de l’économie informelle.

 

[2] Voir l’article suivant du site dédié au partenariat entre l’Afrique et l’Europe.

[3] Voir : Aterido, Reyes & Hallward-Driemeier, Mary & Pagés, Carmen, 2011. "Does Expanding Health Insurance Beyond Formal-Sector Workers Encourage Informality? Measuring the Impact of Mexico's Seguro Popular," IZA Discussion Papers 5996, Institute for the Study of Labor (IZA).

 

 

[4] L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) regroupe les huit pays francophones de l’Afrique de l’Ouest qui partagent une monnaie commune, le franc CFA.

 

 

 

 

 

African School of Economics : Privée ou Publique ?

L’Afrique a besoin de ressources humaines qualifiées dans tous les domaines et en particulier en économie. La création prochaine d’une école d’économie Africaine « African School of Economics » arrive à point nommé. Cependant, celle-ci reste une initiative privée qui ne comblera pas le déficit de cadres de haut niveau en Afrique.

 

 

 

La question de la nécessité pour l’Afrique de disposer de ressources humaines qualifiées ne se pose plus dès lors que la demande n’est pas toujours satisfaite ; comme en témoigne le recrutement de conseillers et de consultants internationaux par les États Africains. Dans le cas particulier de la gestion économique, la plupart des économistes africains de renommée internationale[1] ont tous été formés dans des écoles d’économie en Europe ou aux États-Unis d’Amérique. C’est pour combler ce déficit de cadres de haut niveau en économie et en management que le projet de création d’une grande école d’économie et de management est en cours en Afrique.

A l’image des grandes écoles d’économie aux États-Unis d’Amérique ou en Europe[2], la plupart des pays Africains disposent d’une école supérieure d’économie appliquée et de management, en plus des facultés d’économie. Cependant, leur capacité d’accueil reste limitée compte tenu des ressources financières des États. De même, la qualité des formations dispensées n’est toujours pas au diapason des meilleures formations internationales. Il suffit pour cela de constater l’obsolescence de certains programmes de formation de même que le manque de visibilité internationale de ces écoles.

Ces insuffisances sont principalement dues au manque de ressources financières des États. Pour preuve, les trois grandes écoles de Statistique et d’Economie Appliquée en Afrique francophone bénéficient principalement du soutien de bailleurs de fonds internationaux, soucieux de la disponibilité de statistiques de qualité. Dès lors, la mutualisation des formations entre les États pourrait être envisagée. Par exemple, la création d’une école commune aux pays d’une zone géographique pourrait amoindrir les coûts de fonctionnement et assurer la qualité de la formation via une mutualisation des compétences et une plus grande visibilité internationale.

Toutefois, le projet de création de l’African School of Economics (ASE) est plutôt une initiative privée portée par un Professeur Africain de l’université de Princeton[3] en collaboration avec d’autres universitaires africains. L’ASE, dont le site internet donne une description assez exhaustive des formations et de leurs contenus, ouvrira ses portes à partir de la rentrée 2014 sur son site installé au Bénin.

En dépit de  son caractère innovant, il se pose la question de son accessibilité pour tous et de sa représentativité sur le continent africain. En effet, l’école étant privée, les frais d’inscription ne pourront pas être payés par tous les étudiants méritants et désireux de poursuivre des études en économie ou en management sans se déplacer en Europe. Même si l’école pouvait attribuer des bourses d’études aux meilleurs candidats, il n’est pas dit qu’une telle initiative soit soutenable à long terme. De plus, les États ne peuvent pas financer les études dans une école supérieure privée. Ainsi, seulement ceux qui possèdent les ressources financières pourront y accéder ; ce qui entraîne une sélection sur la base du statut socio-économique. Bien entendu, cela ne constitue pas un défaut de l’école, mais plutôt une contrainte liée à l’absence d’initiative publique.

Par ailleurs, les étudiants en provenance des pays en dehors de l’Afrique de l’Ouest pourraient ne pas être attirés par la localisation géographique de l’école. Le cas des écoles sous régionales qui n’attirent que principalement les étudiants des pays limitrophes en est un exemple. La possibilité de mettre en place une subvention aux coûts de transport pour les étudiants en provenance des autres pays d’Afrique demeure limitée par les moyens financiers et le caractère privé de l’école.

En somme, il s’agit d’une brillante initiative dans le domaine de la formation en économie et en management. Toutefois, elle ne pourrait pas répondre aux besoins en ressources humaines qualifiées de l’Afrique compte tenu de son caractère privé. En conséquence, la mise en place d’une école similaire par l’ensemble des États Africains serait la bienvenue.

Georges Vivien Houngbonon


[1] L’économiste en Chef de la BAD, l’actuelle Ministre des Finances du Nigéria

[2] London School Economics, Paris School of Economics, l’École d’Économie de Barcelone en Espagne, …

[3] Leonard Wantchekon.

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