Les freins à la réforme de l’Etat en RDC (Fin)

Un calendrier de reformes pour la RDC

Le lien patriarcal conserve un sens très important dans l’arène politique congolaise. Les alliances politiques se font au gré presque exclusif des appartenances ethniques et familiales. Joseph Kabila n’hésita pas à se lier à Nsanga Mobutu, fils de l’ancien Président. De même, Antoine Gizenga, qui a réuni autour de lui des fidèles de Patrice Lumumba, se fit remplacer par son propre neveu, Adolphe Muzito, qui ne fit pas mieux que lui au poste de Premier ministre. Obtenir la délivrance d’une pièce d’état civil, d’un permis de conduire, ou d’autres documents administratifs, est beaucoup plus facile lorsqu’on a un « bon » patronyme. Les liens familiaux, au sens large, régissent la vie politique et administrative, et sapent la réforme.

La corruption qui passe par les dirigeants des firmes multinationales accentue le retard. L’effondrement en 1990 d’installations minières de Kamoto (Katanga), important pan de la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines), qui assure en grande partie les fonds du Trésor de la RDC, témoigne de la négligence qui gangrène le secteur minier. Y passent argent, cuivre, or, cobalt, diamant, et des centaines de milliards de dollars. Le régime Kabila, d’une manière ou d’une autre, a réussi la malicieuse prouesse de la restauration des privilèges consentis aux cartels transnationaux qui gravitent autour des richesses minières sous Mobutu.

La Barrick Gold Corporation, L’Anglo-American Corporation, l’American Diamond Buyers, De Beers, etc. n’ont rien perdu de leur superbe en ce qui concerne l’opacité de leurs opérations financières, et continuent de sucrer éperdument les politiciens et fonctionnaires véreux pour acheter leur silence. En filigrane, apparaît un véritable nouvel ordre politique et économique voulu et entretenu par les dirigeants de ces multinationales, qui n’est pas sans rappeler une certaine Conférence tenue à Berlin, en 1885. La RDC, grande comme l’Union Européenne, frontalière de neuf Etats, est toute désignée pour de telles pratiques.

Assainir le secteur minier

Une redéfinition des termes d’exploitation qui prenne mieux en compte les besoins sociaux, notamment en termes d’emplois autochtones et de considérations environnementales, s’impose, en effet, en République Démocratique du Congo. Elle doit être protégée au plan politique et administratif. Il faudrait tout d’abord exiger une prise en compte systématique des méthodes de gestion qui permettent une transparence absolue dans les documents comptables de chaque entreprise pour parvenir à un assainissement de la vie privée. Il serait ensuite très opportun d’inclure des objectifs sociaux dans les conditions d’octroi d’agrément ou d’autorisation aux firmes multinationales, pour arriver à une exploitation optimale des ressources naturelles.

L’inclusion d’une forte dose de mesures revêtant un caractère de responsabilité sociale à l’octroi de licences d’exploitation accompagnera ces entreprises dans leur recherche d’assentiment de la part des populations autochtones. Ces mesures pourraient prendre la forme d’une augmentation du nombre d’emplois de type cadre, qui soient en tout cas importants et/ou bien rémunérés, aux populations locales.

Mieux, une priorité devrait être donnée aux Congolais disposant des qualifications requises pour accroître sensiblement les effectifs nationaux dans les grandes entreprises opérant dans le pays. Cette préférence nationale devra être étroitement surveillée, et intégrée au besoin dans les textes, afin de donner aux administrations compétentes la possibilité de la faire respecter.
Beaucoup plus de mesures participatives de la part des entreprises pourraient également se décliner sous forme d’actions régulières en faveur des associations ou groupements de certaines catégories sociales (jeunes, femmes, personnes âgées) pour les accompagner dans leurs activités citoyennes. Par ailleurs, il est plus que jamais utile d’augmenter la dose écologique dans les activités d’exploitation des ressources naturelles, qui fasse en sorte que l’activité industrielle ne se nuise pas à elle-même et profite également aux générations futures.

Mieux identifier les priorités des populations

Dans le même esprit, il serait utile de mieux prendre en compte les besoins des destinataires ultimes des réformes institutionnelles et administratives. Il s’agira pour les responsables politiques et les fonctionnaires d’inclure dans leurs prévisions et actions ultérieures le besoin criant de bien-être social qui s’est installé en République Démocratique du Congo. Au lieu de lamentablement suivre les orientations des bailleurs de fonds internationaux, notamment FMI et Banque Mondiale, les responsables politiques congolais, puisqu’ils disposent de la légitimé du suffrage universel, devraient plutôt s’enquérir au préalable des réelles priorités de leur peuple. Celles-ci ne sont pas inscrites dans des théories classiques internationalement admises, elles se trouvent à peu près dans chaque localité du pays.

Dans cette optique, les compétences des fonctionnaires formés à l’exécution de chaque tâche déterminée doivent dorénavant être mobilisées pour identifier les urgences sociales qui sévissent dans chaque partie de la RDC. Une certaine harmonie devrait se mettre en place dans les différentes actions entreprises par les administrations territoriales, les organismes publics destinés à l’accompagnement des initiatives locales, et les organes politiques locaux, pour atteindre une rationalisation des initiatives publiques en faveur du développement local.

Ce dernier pourrait utilement s’inspirer ou se faire aider par les mécanismes déjà mis en place au niveau national pour attirer les investissements privés internationaux et les financements des institutions publiques internationales. En d’autres termes, la coopération décentralisée, si elle est pensée en des termes plus soucieux des priorités du peuple congolais, pourra contribuer de manière décisive à l’essor économique de la RDC. Le programme de décentralisation, inscrit dans la Constitution et qui donna lieu à des heurts violents en 2009, pourra ainsi mettre à profit l’expertise internationale en la matière pour éviter toute sclérose. 

 

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Les freins à la réforme de l’Etat en RDC (2)

Corruption généralisée dans les administrations publiques

La centralisation du pouvoir politique en RDC se répercute au niveau des administrations publiques, notamment celles censées mener les réformes demandées par les bailleurs de fonds. Les agents de l’Etat sont en effet peu enclins à rendre effectives ces réformes, car elles menacent sérieusement le mode de gestion qui leur permettait de s’octroyer indûment des largesses sur le dos du contribuable. D’un autre côté, le modèle d’aide participative privilégié par les bailleurs, pour s’appuyer sur l’expertise locale dans la réalisation des projets identifiés, a fait totalement fi des réelles priorités de ces intermédiaires. Les fonctionnaires congolais ont fait peu de cas de la mission de service public qu’ils sont censés remplir. A presque tous les niveaux de l’administration, ils usent de leur position privilégiée pour satisfaire leurs propres intérêts pécuniaires ainsi que ceux de leurs proches.

Détournement des programmes financés par les bailleurs de fonds

Ainsi, les moyens financiers colossaux consentis par les institutions de Bretton Woods pour remettre sur pied les institutions de la RDC, ont été tout simplement utilisés à d’autres fins, caractéristiques de la gestion publique sous Mobutu. Pas moins de 15 milliards octroyés par le Club de Paris – hormis les 450 millions de dollars mobilisés pour le processus électoral – furent dilapidés dans des programmes trompe-l’œil, incompatibles avec la reconstruction. Ils ont absolument ignoré le calendrier établi par les bailleurs, notamment la restructuration de certaines administrations régaliennes, l’instauration progressive de la démocratie, et l’éradication de la pauvreté massive. Cette inadéquation entre objectifs initiaux et modalités d’exécution s’explique en partie par la réticence des agents de l’Etat à « creuser leur propre tombe ». En d’autres termes, il était difficilement concevable que les fonctionnaires qui étaient les auteurs-mêmes des dysfonctionnements fussent les premiers à vouloir y mettre fin. 

Comme l’a si bien formulé Mamadou Diouf, « les poissons ne peuvent approuver un budget consacré à l’achat d’hameçons » . Les réformes étaient destinées à renouveler l’administration publique congolaise sur la base de modèles standardisés tendant à rendre l’action publique plus efficace et moins coûteuse à travers : une réduction massive des effectifs, une rationalisation des lignes budgétaires, des écritures financières et comptables. Mais ce fut sans compter avec la détermination des agents congolais à conserver leurs acquis. Ils firent peu de cas des directives contenues dans ces programmes de reconstruction de l’Etat, en continuant à faire preuve tantôt de laxisme, tantôt de népotisme, ou de subtile corruption.

De même, l’étude de Pierre Englebert et Denis Tull sur la corruption qui gangrène les élites politiques africaines en général est révélatrice du cas des fonctionnaires congolais : « Ils ne sont ni d’accord avec le constat d’échec, ni avec les objectifs définis par les promoteurs étrangers de politiques de reconstruction. Ils cherchent cependant à tirer le plus parti possible des avantages suscités pour eux par ces politiques, ainsi que par l’instabilité politique continue ». Cette culture des crises entretenue par la plupart des fonctionnaires sape durablement la réforme. Un Etat ne saurait se bâtir sur la base de financements destinés à éteindre des crises permanentes.

L’exemple de la politique de décentralisation
Il n’est besoin pour s’en convaincre que de considérer l’échec de la politique de décentralisation de l’Etat inscrite dans la Constitution de 2006. La RDC, rappelons-le, est le troisième pays le plus vaste du continent africain et compte 11 grandes provinces, elles-mêmes subdivisées à leur tour en plusieurs districts. L’idée qui a présidé à la politique de décentralisation était qu’avec « moins d’Etat », on aurait « mieux d’Etat », pour reprendre la formule du Président sénégalais Abdou Diouf émise dans le même esprit, pour expliquer des ajustements structurels prônés par les bailleurs de fonds. La RDC semble en effet difficile à gouverner par un appareil étatique centralisé, quelle que puisse être sa légitimité, ne serait-ce qu’en considération de l’immense étendue du territoire, et de son énorme diversité ethnique.

Mais la culture démocratique du pays fut totalement oblitérée dans la conception de la politique de décentralisation. Cette dernière a buté sur un conservatisme notoire des agents de l’Etat responsables de son exécution. Les onze provinces de la RDC devaient initialement se désintégrer en plusieurs autres en trois ans, mais ont plutôt été à l’origine de rivalités assez violentes entre Congolais. Cette décentralisation causa finalement plus de mal qu’elle n’en répara, car elle a alimenté un désir d’autonomie parmi les habitants des localités concernées. Des affrontements éclatèrent en 2009 et firent craindre au retour de la guerre civile en RDC. L’esprit de cette décentralisation fut donc rapidement perverti pour servir d’autres fins. Elle aurait pu contribuer à l’amélioration de la gouvernance administrative, mais s’est heurtée à l’appétit prédateur de citoyens plus intéressés par les fonds qu’elle draine. 

Le rôle douteux des multinationales
En outre, l’action des firmes multinationales, notamment dans l’industrie extractive, est à plus d’un titre déplorable. Les zones minières demeurent paradoxalement les plus pauvres en termes d’urbanisme et d’habitat. Les habitants de ces zones vivent dans une extrême pauvreté. Les rémunérations sont aléatoires, la plupart des emplois souffrent de précarité et d’insécurité. En outre, les normes internationales en matière de sauvegarde de la végétation et d’abattage des arbres, sont totalement ignorées. Les dirigeants de ces firmes s’assoient complètement sur les principes le plus élémentaires en matière d’exploitation des matières premières, et font fi des préoccupations écologiques et règles comptables. Certaines localités sont menacées sévèrement de déforestation. Mais ceci n’est que la partie visible de l’iceberg.

D’aucuns murmurent qu’ils seraient même à l’origine de l’attisement des conflits ethniques, et auraient des accointances avec le pouvoir politique, dont ils dicteraien un grand nombre de décisions. Une enquête de l’ONU a clairement fait établir les liens inquiétants qui existent entre le commerce des matières premières et le trafic illégal d’armes dans la région du Kivu. Le conflit qui mine cette zone, est donc fortement lié à l’activité des multinationales. De là à dresser un degré de connivence entre les autorités onusiennes et les responsables de ces firmes dans la gestion des ressources naturelles, il y a un pas que certains n’ont pas hésité à franchir. 

Le chercheur Jean-Paul Mopo Kobanda a par exemple décrit dans un ouvrage comment ces multinationales ont contourné, au nez et à la barbe des autorités, un rapport de l’ONU les démasquant. Mais l’ONU, à travers les missions qu’elle mène, n’est-elle pas en train de servir d’épouvantail à ces multinationales qui continuent d’ignorer le droit international en RDC ? Pour certains, « la Monuc, comme l'Onu, est un simple instrument des puissances qui la dirigent et dont elle applique la politique ». Plus il y a d’affrontements, moins il y a de transparence dans l’exploitation des ressources naturelles, et mieux s’en portent les firmes.

 

Cette course aux richesses explique, dans le même temps, les visées rwandaises, ougandaises, et burundaises à l’est du pays. Le conflit inextinguible dans les deux Kivu apporte chaque jour son lot de souffrances liées au sous-sol congolais. Non contente de son silence troublant sur la question, l’ONU a manqué de clairvoyance avec l’admission du Rwanda au Conseil de sécurité, sorte de casus belli inopportun dans ce conflit.

En ce qui concerne l’avenir, il ne semble pas très radieux pour le peuple congolais, à qui le régime en place ne cesse de promettre la lune, tout en continuant ses pratiques corruptrices. Les rassemblements géants réussis par le mouvement du 23 mars (M23), aux portes de Goma, illustrent le mécontentement général qui sévit en RDC. Il n’est pas besoin d’aller chercher les solutions à cette crise ailleurs que dans l’énorme potentiel du peuple congolais. Un valable chantier de réformes, administratives comme économiques, doit passer par une relecture des priorités des Congolais. C’est tout le défi qui se pose aux autorités politiques à présent. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Les freins à la réforme de l’Etat en RDC (1)

Etat général de la RDC

La République Démocratique du Congo (RDC) est le troisième pays le plus vaste du continent africain, avec 2 345 000 km² et le 4e pays le plus peuplé avec plus de 73 millions d’habitants. C’est aussi l’un des plus riches sous-sols au monde. Paradoxalement, la RDC est aussi l’un des pays les plus pauvres de la planète, disposant du 115e Produit Intérieur Brut et du 187e Indice de Développement Humain.
De 1996 jusqu’au cœur des années 2000, la RDC a été traversée par d’importants conflits interethniques qui ont décimé sa population et ravagé son économie. Et elle ne s’en est toujours pas remise, que ce soit au niveau institutionnel ou économique. Les services publics de base ne sont disponibles que dans une partie relativement restreinte du territoire national. Le niveau de vie reste extrêmement faible : plus de la moitié de la population vit dans une situation de pauvreté avancée. Les maladies endémiques, d’origine tropicale ou virale, ravagent toujours les couches sociales les plus vulnérables : enfants, femmes, personnes âgées, sans-emploi, etc. Selon les données de l’Organisation Mondiale de la Santé, l’espérance de vie à la naissance n’atteint pas 50 ans et le revenu national brut par habitant en parité de pouvoir d’achat n’atteint pas 300 dollars.

L’absence de l’Etat, l’indisponibilité des services sanitaires de base, les ratés des stratégies de développement expliquent en grande partie cette situation d’extrême pauvreté. Pour en comprendre les raisons, il convient de réfléchir davantage aux causes de l’inefficacité de la réforme publique en République Démocratique du Congo, qui se trouvent pour l’essentiel, dans la centralisation du pouvoir et la corruption des agents de l’Etat. 

Centralisation excessive du pouvoir politique

Le besoin de reconstruction identifié
Après sa désignation au poste de Président de la République, en Janvier 2001, suite à l’assassinat de son père, Joseph Kabila a entrepris des efforts de remobilisation des partenaires internationaux du pays, notamment la France, les Etats-Unis, l’Union Européenne, le FMI et la Banque Mondiale. Cette diplomatie axée sur la coopération technique et économique visait à remettre les institutions et l’économie de la RDC sur pied, après la décennie de conflits armés. Elle aurait dû aboutir à la revitalisation de l’Etat, selon un calendrier établi sous la supervision des bailleurs de fonds, contenu notamment dans l’Accord de Pretoria de décembre 2002 qui a donné naissance au gouvernement de transition le 30 juin 2003. Les principaux objectifs de ce dernier étaient de : (a) réunir, pacifier et rétablir l’autorité gouvernementale sur l’ensemble du territoire congolais, (b) favoriser la réconciliation nationale, (c) réformer les forces de sécurité en y intégrant les factions rivales, (d) organiser des élections et (e) mettre en place de nouvelles institutions politiques.

Dissensions politiques graves
Malheureusement, les efforts entrepris par le gouvernement pour atteindre ces objectifs n’ont pas été à la mesure du compromis politique nécessaire. L’adjonction de quatre vice-présidents issus des partis rivaux, censée favoriser une nouvelle entente politique, a été sans effet du fait de la centralisation excessive du pouvoir opérée par la suite par le Président Kabila.
Ce dernier disputait âprement le contrôle de l’administration et la prise de décision aux vice-présidents Jean-Pierre Bemba et Azarias Ruberwa. Aux différences politiques s’est ajoutée une réelle mésentente quant aux orientations des réformes. Cela déboucha sur des rivalités profondes au sein de l’exécutif, qui participèrent grandement à la paralysie des institutions de l’Etat. Il s’en suivit, immanquablement, une mauvaise gestion et une mauvaise utilisation des fonds destinés aux programmes de réforme de l’Etat.
Cette situation est, pour une large part, le résultat d’une inadéquation entre les objectifs identifiés par les bailleurs de fonds et les modalités de partage du pouvoir instauré afin de les atteindre. Offrez des postes intéressants à tous les courants politiques, et vous aurez la paix sociale. Cette méthode n’a pas eu les effets escomptés, comme le confirme l’International Crisis Group : « cet arrangement a fonctionné, mais au prix d’une impunité pour les auteurs de violations des droits humains et les responsables accusés de corruption, si bien qu’aujourd’hui, les réseaux clientélistes continuent d’imprégner l’État et l’armée… » .

Ainsi, le « dialogue inter-congolais » mis en place au début des années 2000 après l’investiture du Président Joseph Kabila a été sapé par les intenses luttes que se menaient les acteurs de ce dialogue pour le contrôle du pouvoir politique. Ces luttes, « politiques » en apparence, n’étaient en réalité que des batailles pour la captation des immenses ressources naturelles du pays et des importantes injections de capital provenant des bailleurs de fonds.

Dérives autoritaires du camp présidentiel
Mais le plus regrettable, c’est que la déliquescence de l’Etat ait perduré après une élection qui aurait dû dessiner une nouvelle forme d’exercice du pouvoir plus transparente, plus responsable, et plus efficace. Le constat demeure cependant que les autorités politiques issues des élections, essentiellement réunies au sein du camp présidentiel, ont mis en place une gestion partisane et patrimoniale de l’Etat. Cette mauvaise gestion a mené à une paralysie de l’action publique, au niveau du gouvernement comme à celui du Parlement. Ce qui, dans les faits, signifie que le Président Kabila conserve une marge de manœuvre très importante quant aux organes et modalités d’exécution des réformes identifiées.
C’est ainsi qu’il n’hésita pas à retarder la promulgation du budget de 2010 dont la version initiale accordait, selon lui, de trop nombreux avantages financiers aux parlementaires, au détriment du gouvernement. S’il mit en avant le besoin de reconsolider les administrations publiques, comme le souhaitaient le FMI et la Banque Mondiale, il se contenta de graisser certains corps comme la police et l’armée, pour s’assurer leur fidélité, en feignant de respecter des engagements pris avec les bailleurs de fonds. En effet, ces derniers tenaient beaucoup à ce que le budget adopté au lendemain des élections intégrât les besoins criants en matière de restructuration des institutions politiques et administrations publiques. Les lignes directrices de cette reconstruction entraient dans le cadre de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) menée en RDC par les organes onusiens

En ce qui concerne l’exercice du pouvoir par le gouvernement d’Antoine Gizenga [2006-2008], il fut quasi-inexistant : la distribution même des portefeuilles ministériels répondait à une volonté d’apaiser la clientèle politique. Son successeur, Adolphe Muzito [2008-2012], ne fit pas mieux et se révéla plutôt impuissant face aux manœuvres de l’entourage présidentiel, sorte de deus ex machina qui, s’il ne détient pas le pouvoir officiellement, l’exerce en coulisses. Plus grave encore, la séparation des pouvoirs a été gommée. Les connivences entre l’exécutif, le législatif, et la justice sont monnaie courante.

Le nœud gordien de l’échec de la réforme des institutions politiques en RDC – cas d’école en matière de reconstruction d’Etats en faillite – se situe dans la centralisation du pouvoir opérée au sommet, aggravée par les dissensions à l’intérieur même de l’exécutif. Cela a été accentué par un phénomène de corruption générale au niveau des administrations publiques.
 

Le monde à l’épreuve nord-malienne

La gravité du bourbier nord-malien s’accentue de jour en jour. Les peines que rencontrent les autorités de la transition et leurs partenaires internationaux – notamment Cedeao, Union Africaine, ONU et France – dans leurs efforts de libérer les régions occupées par des groupes armés ne cessent de croître. La 67ème session de l'Assemblée générale de l’ONU a été l’occasion pour les uns et les autres d’exprimer leur position par rapport à une éventuelle intervention militaire pour sortir le Nord-Mali, mais également l’ensemble du Sahel, du joug islamiste. S’il semble désormais acquis que cette option est envisagée de plus en plus sérieusement par les différents dirigeants concernés, il s’avère néanmoins indéniable qu’elle sera extrêmement difficile à mettre en œuvre.

Accord de violons à la tribune des Nations Unies

Suite à la demande formelle effectuée par l’exécutif malien – le Président Diocounda Traoré et le Premier Ministre Modibo Diarra – conjointement à la Cedeao et à l’Onu, d’une aide pour débouter les groupes armés des régions septentrionales du Mali, les deux institutions internationales ont exprimé leur accord de principe pour une telle intervention militaire. Après quelques réticences à accueillir des soldats étrangers sur leur sol – toujours présentes au sein de la junte putschiste amenée par le Capitaine Amadou Haya Sanogo – les autorités de la transition ont donc compris la nécessité de bénéficier d’un soutien extérieur pour sécuriser les territoires non encore conquis et dérouler une attaque armée au Nord. Lors de l’ouverture de l’Assemblée Générale de l’ONU, certaines personnalités politiques importantes concernées par cette crise se sont exprimées favorablement à la perspective d’une intervention militaire. Le Président béninois, Yayi Boni, par ailleurs Président en exercice de l’Union Africaine, le Président sénégalais, Macky Sall, proche voisin, et le Président français, François Hollande, partenaire important, sont allés de concert dans leurs déclarations en faveur d’une action armée internationale. Il semble donc globalement admis qu’une intervention militaire internationale, permise par l’ONU et menée par la Cedeao, soit devenue sinon imminente, du moins nécessaire. Reste à étudier ses modalités pratiques. Utile.

La base légale résidant dans la résolution 2056 du Conseil de Sécurité de l’ONU adoptée début juillet pourra être utilisée pour donner mandat à la Cedeao pour engager une campagne militaire au Nord-Mali. L’institution universelle requiert cependant la présentation par les autorités africaines d’une feuille de route précise où soient clairement mentionnés une évaluation des moyens financiers et logistiques qui seraient employés et un calendrier d’intervention armée. Pour sa part, Ban Ki-Moon, a d’emblée évoqué le besoin de prendre en compte la dimension humanitaire que revêt une telle solution, lors de l’ouverture d’une conférence sur la crise sahélienne qu’il présidait en marge de l’Assemblée Générale. C’est essentiellement là que le bât de l’intervention tant prônée blesse. Les grandes puissances ne sont pas particulièrement réputées pour leur respect scrupuleux du droit international et leur souci du sort des populations civiles lors de telles opérations armées. 

Difficultés pratiques persistantes

Toute campagne militaire au Nord-Mali, à l’heure actuelle, comporterait inéluctablement des conséquences tragiques pour les populations civiles des zones concernées. Les autorités politiques qui ont fait part de leur préférence pour une intervention internationale armée ont-elles suffisamment mesuré les répercussions dramatiques qu’elle engendrerait sur place ? Cette interrogation n’est pas dénuée d’intérêt car il est inconcevable de ne pas considérer les innombrables pertes en vies humaines que causerait inévitablement une guerre de cette ampleur, en balayant ce paramètre d’un revers de la main pour le ranger dans le lot de dégâts collatéraux. Ils ne seraient certainement pas collatéraux, car ces individus qui y resteraient sont ceux-là mêmes dont les autorités ont l’obligation de préserver la vie avant toute chose, en ne s’aventurant pas dans une intervention hasardeuse qui deviendrait alors contre-productive. L’installation d’un régime islamique usant de procédés violents à l’encontre de populations civiles ne l’ayant pas souhaité est en soi inacceptable pour la communauté internationale ; tenter d’y mettre fin en assumant le risque d’ôter purement et simplement la vie à on ne sait encore quelle proportion de ces populations l’est encore plus. Comme l’a bien décrit un fonctionnaire malien à la retraite interrogé par un média européen, « quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre. Les éléphants, ce sont les combattants d’ici et l’armée de Bamako avec ses soutiens extérieurs. L’herbe, ce sont les pauvres civils, nous ». Indéniable.

En outre, même dans le cas où une telle intervention serait décidée, il serait aberrant de ne pas prendre en compte les réticences encore formulées par une frange importante de l’armée malienne qui est parvenue à conquérir le cœur d’une bonne partie du peuple malien. En effet, ainsi que l’admettent certains diplomates et experts en sécurité, les troupes étrangères ne sauraient agir qu’en parfaite intelligence avec l’armée malienne, qui reste tout de même concernée au premier chef par la libération du Nord de son pays. Comme l’a estimé Djibril Bassolé, ministre burkinabé des affaires étrangères qui eut à s’impliquer activement dans les négociations post-coup d’état : « si la confiance ne s’établit pas entre l’armée malienne et les forces de la Cedeao, la mission d’intervention sera quasiment impossible ». Impasse majeure.
De plus, les difficultés pratiques sont multipliées, de manière presque exponentielle, par l’hostilité géographique qui caractérise les régions nord-maliennes, du point de vue du climat comme de celui du relief ; du moins pour des troupes qui n’y sont pas habituées et qui devront faire face à des combattants venant de tous les foyers djihadistes du monde, et rigoureusement endoctrinés par rapport à la défense des terres qu’ils considèrent désormais comme leurs. Cette confrontation sera d’autant plus hasardeuse que les puissances étrangères qui devront appuyer les forces africaines se trouvent déjà profondément engagées dans des batailles autrement difficiles, où l’essentiel de leurs moyens logistiques, notamment aériens comme les hélicoptères et les avions, ou d’assaut terrestre comme les chars appropriés à ces terrains, sont mobilisés de manière permanente. La Cedeao ne dispose évidemment pas de ces moyens.

Que faire ?

Une fois la difficulté d’aller en guerre admise, l’inertie n’est pas pour autant une option viable pour sortir les régions septentrionales du Mali du joug islamiste. Dans cet esprit, l’omission de l’évocation de l’attitude à adopter dans la crise malienne par le Président du pays hôte de l’ONU, Barack Obama – lors de son passage à la tribune de l’Assemblée Générale – est à plus d’un titre déplorable et indécente. Les Etats-Unis sont bien entendu profondément engagés dans d’autres théâtres d’opération au Moyen-Orient, et le Président américain est sans doute plus préoccupé par les équations de sa réélection que par celles qui se posent au monde dans la crise malienne ; mais un appui financier ou humanitaire américain, même dans le cadre de l’ONU, demeure indispensable à l’atteinte d’une solution durable. Il est indéniable que la Cedeao ne pourra mener seule une intervention militaire au Nord-Mali, même avec 3300 soldats, sans l’appui indéfectible des puissances internationales qui hélas, pour la plupart, se trouvent engagées sur d’autres fronts militaires et font face à une grave crise économique et financière. 

Difficile de comprendre l’attitude va-t-en guerre de Cheik Modibo Diarra. Pourquoi écarte-t-il toute possibilité de négociation avec les groupes armés en la considérant comme dépassée ? L’option militaire, rappelons-le, n’est ni infondée ni totalement à exclure. Elle n’est cependant pas la meilleure à l’heure actuelle. Octroyer à un gouvernement de transition – dont la durée de vie constitutionnelle de 40 jours a été rallongée à 12 mois par les autorités de la Cedeao – la possibilité d’initier une guerre qui s’étendra inévitablement sur la durée, c’est ouvrir la voie à toutes les formes de tentatives de coup d’état dans une région qui en fait suffisamment l’objet. Bien entendu, laisser le Nord-Mali sous ce qu’il est convenu d’appeler la coupe islamiste viendrait également encourager les tentations sécessionnistes un peu partout dans le continent.
Devant cette impasse, il serait à notre sens plus judicieux de poursuivre les efforts onusiens en faveur de l’aide humanitaire indispensable, et d’employer le contingent international qui serait mobilisé à la sécurisation des zones non encore conquises et des frontières des pays voisins pour faire comprendre dans un premier temps aux groupes islamistes armés qu’ils ne sont pas les bienvenus au Sahel. Dans un second temps, une solution politique globale, telle qu’initialement préconisée par l’Onu et que Ban Ki-Moon appelle de ses vœux, pourrait consister en la désignation d’un émissaire spécial pour le Mali, comme l’a évoqué le Secrétaire Général lors de la conférence sur le Sahel tenue en marge de l’Assemblée Générale. Son cahier de charges devrait comprendre la consultation de l’ensemble des acteurs prêts à s’engager dans la recherche d’un règlement pacifique qui incluse les revendications socio-économiques, allant du tissu associatif aux autorités de la transition. Ces dernières devraient également s’atteler à étudier les voies de mise en œuvre de l’autre mandat qui leur a été donné par la Cedeao, à savoir l’organisation des scrutins présidentiel et législatifs qui devaient avoir lieu juste avant que la junte du Capitaine Sanogo n’eût l’idée de déposer le Président Amadou Toumani Touré qui n’allait pas y participer. Les institutions qui en seront issues bénéficieraient de la légitimité nécessaire pour décider, dans les cadres légaux prévus à cet effet, de l’opportunité d’une action armée dans leur pays ainsi que de ses modalités pratiques. Quoi qu’il en soit, elle ne doit pas faire plus de mal que de bien et doit être un dernier recours. L’attitude mesurée du Secrétaire Général de l’Onu dans cette crise pour tempérer les exigences belliqueuses des autorités de transition, notamment le Premier ministre – alors que le Président intérimaire avait lui-même appelé les groupes armés au dialogue – est très appréciable et encourageante quant à la suite des évènements. Elle pourra se révéler assurément utile dans l’atteinte d’un dénouement global de la crise qui évite la précipitation.
C'est d'ailleurs en ce sens qu'il faut comprendre la déclaration du Général Carter Ham, à la tête du Commandement des forces armées américaines en Afrique (Africom), lors d'une visite à Alger, privilégiant « une solution politique et diplomatique à la crise qui secoue le nord du Mali depuis plusieurs mois ».

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Qui sont les groupes armés du Nord-Mali et que veulent-ils ?

Si le conflit libyen a précipité le déclenchement de la rébellion touareg, cette rébellion n’a en réalité rien de nouveau. Le Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA), formé par d’anciens dignitaires de groupes touareg ayant conclu plusieurs accords successifs avec les gouvernements français, algériens et maliens, a inscrit depuis longtemps dans son agenda l’indépendance du territoire qu’il appelle Azawad et qu’il considère comme devant revenir légitimement à ces peuples. Sa principale revendication s'appuie sur la dénonciation de la marginalisation politique et économique des peuples du Nord. Les différents accords avec le gouvernement malien, notamment le Pacte national des années 1990, auraient dû aboutir à une revalorisation politique et une redynamisation économique du Nord. Ils comportaient en effet une forte dose d’autonomisation administrative pour les régions allant de Gao à Kidal, ainsi que des programmes de coopération économique décentralisée assez conséquents au profit des tribus touarègues. Ces accords ont cependant buté sur des rivalités fratricides au sein des tribus touaregs d’une part, ainsi qu’une certaine négligence, voire un quasi-abandon de ces territoires par le gouvernement malien de l’autre, qui n’ont fait qu’aggraver les difficultés auxquelles étaient confrontés les peuples du Nord. Une bonne partie de ces groupes ont par la suite trouvé accueil et soutien financier chez Kadhafi qui les mobilisait dans certaines campagnes armées, et ont donc profité du désordre provoqué par sa chute pour se réarmer et rejoindre les régions septentrionales du Mali. Ils ont dès lors décidé de s’en accaparer et d'y asseoir leur propre pouvoir.

Au regard du droit international, leur revendication demeure recevable : en effet, leur revendication de l'autodétermination s'appuie non seulement sur l’élément ethnico-démographique, c’est-à-dire un peuple constitué, assez important, et désireux de s’administrer librement, mais aussi et surtout un élément organico-formel, résidant dans les différents accords conclus avec le Mali et l’Algérie depuis l’indépendance. Ses dirigeants pourraient s’appuyer sur ces deux arguments pour demander une reconnaissance internationale s’ils parviennent à asseoir durablement un contrôle effectif sur le territoire qu’ils ont conquis et éventuellement bénéficier, dans le long terme, d’un statut spécial au sein du Mali via une solution politique négociée avec les autorités de la transition et leurs partenaires multilatéraux. Ceci représenterait un compromis qui aurait le mérite de préserver formellement l’intégrité territoriale du Mali tout en évitant une confrontation militaire inutile. Le problème est que le MNLA s'est fait ravir la vedette par des groupes islamistes autrement puissants et dangereux, avec des bases idéologiques et agenda politique différents. 

Soubassements idéologiques et objectifs politiques des groupes islamistes armés

Ançar Eddine a fait irruption dans la plupart des zones initialement occupées par les combattants du MNLA et les en a délogés. Ceux-ci ont voulu ensuite trouver un modus vivendi acceptable avec les islamistes, mais ont vite buté sur une querelle de leadership et une divergence d’objectifs. Ançar Eddine compte en son sein les héritiers d’anciennes personnalités du MNLA frustrées, qui se sont alliées à des tribus venant du Niger, du Tchad, de Mauritanie et d’Algérie. A leur contact, leur idéologie s'est réorientée en puisant aux sources de l'islamisme salafiste. Ils ont par la suite été rejoints par Aqmi, ancien Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat originaire du Sud algérien qui a fait allégeance à Ben Laden, ainsi que par le Mujao, Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest. Ils représentent autant d’avatars, à des degrés variables, de la nouvelle génération de salafisme des années 1990-2000, qui a succédé à la génération islamiste des frères musulmans issue d'Egypte. Ceux-ci avaient comblé le vide idéologique consécutif à l’échec des nationalismes arabes ainsi que des courants marxistes-léninistes dans la seconde moitié du 20e siècle. L’assassinat de Sadate, accusé d’avoir comploté avec l’ennemi sioniste, la Révolution iranienne menée par Khomeini et la chute du bloc communiste notamment en Afghanistan, sont autant de marqueurs de ce renversement idéologique et militant. Ces salafistes comptent établir dans les territoires qu’ils contrôlent une société musulmane basée sur ce qu'ils estiment être les principes de la charia, considérée comme l’ensemble des lois musulmanes devant s’appliquer à toutes les situations politiques et sociales de la communauté, telles qu’elles découlent du texte coranique, de la tradition prophétique, et des enseignements des savants du droit, oulémas. Leur principale référence idéologique, Ibn Taïmiya, prônait le djihad armé à ses disciples contre les oppresseurs de l’Islam considérés comme infidèles, internes ou externes.

Passons sur la multiplicité des interprétations de la charia dont le nombre est presque égal à celui des courants juridiques dans la pensée islamique, classique comme contemporaine. Rappelons juste que pour ce qui est même de la soumission de la communauté aux lois islamiques, elle ne saurait se faire, de l’avis même de certains idéologues rigoristes du droit musulman, sans le consentement des individus concernés puisqu’un verset dispose : Nulle obligation en la religion (Sourate 2, Verset 256). Or, il est postérieur, et doit donc abroger les autres dispositions coraniques qui enjoignent la lutte armée contre les infidèles, notamment dans la sourate Thawba, de laquelle nombre de prêcheurs du djihad moderne s’inspirent. On peut ajouter que, même dans la théologie musulmane, le djihad tel qu’il a été mené par le Prophète Muhammad était justifié à l’époque par les contraintes et les persécutions dont les premiers disciples de l’Islam faisaient l’objet de la part des chefferies arabes traditionnelles dont la survivance était alors menacée. Une fois qu’un territoire musulman, « dar al-Islam », était établi, le Prophète lui-même a déclaré que le petit djihad, c’est-à-dire la lutte armée, était révolu et que le grand « djihad » consistant en un spiritualisme individuel, devait dorénavant primer. L’objectif des groupes islamistes du Nord-Mali, comme dans les autres parties du monde, est dès lors caduc. Leur but inavoué réside dans le contrôle des immenses richesses du sous-sol, voire la captation de ressources provenant des bailleurs financiers des mouvements islamistes, sans compter celles issues de la criminalité transfrontalière (drogues, armes, etc.).

En tout état de cause, leurs objectifs, s’ils ne sont pas révisés, s’avèrent incompatibles avec toute inclusion dans une solution politique concertée avec le gouvernement malien et ses partenaires, car l’instauration d’un ordre social dirigé par Ançar Eddine, le Mujao ou les antennes d’Aqmi et de Boko Haram est juste caduc et inacceptable. Parce que les populations du Nord malien ne partagent pas cette vue de l’Islam politique qui, d’Ibn Taïmya à Rachid Rida, de Hassan el-Banna à Ayman al-Zawahiri, consiste à transférer le « dar- al-islam » au « dar-al-harb ». Parce qu’elles ne veulent pas qu’elle leur soit imposée par la force.

Recherche d'un compromis inclusif

La communauté internationale ne peut laisser les populations du Nord au sort de groupes armés dont la cause n’est ni acceptée, ni même partagée par les populations qu’ils veulent gouverner. Il y va non seulement de la préservation des droits contenus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples, mais aussi de la sécurité régionale et de la crédibilité des institutions internationales. Le Nord malien ne devrait pas se transformer en ce que d’aucuns ont vite fait de désigner d’Africanistan, par une inaction des entités politiques ou sociales au niveau local, national, régional et mondial. Il est clair que l’abandon des territoires occupés aux groupes en présence est inenvisageable ; de même que leur exclusion de toute recherche de solution politique. 

De leur côté, le MLNA et, dans une moindre mesure, le Mujao, ont exprimé leur volonté à participer à un dialogue avec les autorités maliennes. Le Mujao semble exclure toute négociation directe avec le gouvernement malien, mais a laissé entrevoir un signe d’ouverture à des négociations par la voie de réseaux locaux. Cette disponibilité ne devrait pas être prise à la légère puisqu’elle pourrait faciliter aux différents acteurs publics la mise en place progressive d’un compromis politique, ne serait-ce qu’à titre transitoire pour préserver les populations civiles des conséquences d’une répression violente. Malgré sa radicalisation récente due à un immobilisme diplomatique de l’Algérie dont ils affirment avoir exécuté un officiel, une fenêtre d’ouverture au dialogue n’est pas négligeable. Par extension, la recherche d’une solution politique concertée peut s’étendre à Ançar Eddine. Le tissu associatif local, avec notamment le Collectif des Ressortissants du Nord et la Coordination des Communautés Arabes du Mali, peut être mis à profit pour convaincre les groupes armés de la nécessité de faire privilégier une solution globale à la situation, à travers la mise en place de corridors humanitaires dans les zones qui en sont encore dépourvues, la réouverture des écoles, hôpitaux, et autres établissements publics indispensables au quotidien. Petit à petit, la vie économique et sociale devrait reprendre son cours, sinon comme avant, du moins de façon à ce que le temps puisse être donné aux autorités centrales pour définir, seules ou avec leurs partenaires, les modalités de mise en œuvre d’accords durables et définitifs. Ceux-ci pourraient utilement s’inspirer du Pacte national des années 1990, pour aboutir à une forme d’exercice du pouvoir qui ne sera pas totalement dévolu aux groupes armés, mais s’appuiera sur la légitimité du suffrage universel en faisant désigner les dirigeants des régions du Nord malien par les populations concernées, tout en leur accordant une large autonomie. 

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Les difficultés d’une intervention militaire au Nord Mali

La situation au Nord-Mali est plus que jamais grave et préoccupante pour l’Afrique et le reste du monde. Depuis le coup d’état du 22 mars 2012 qui a précipité l’anéantissement des institutions politiques du Mali et favorisé l’occupation du Nord par des groupes armés Touareg, la communauté internationale peine à trouver une solution viable et définitive. La volonté actuelle du gouvernement de transition, réaménagé en un semblant de gouvernement d’union nationale, consiste en une reconquête militaire du Nord avec l’aide de son principal partenaire régional, la Cedeao, dont une mission (la Micema) est en gestation. Mais cette intervention militaire est pour le moment inopportune car les conditions ne sont pas réunies, les modalités ne sont pas définies, et les conséquences seront imprévisibles.

La faiblesse de l'armée et de l'Etat malien ne favorise pas l'intervention

Tout d’abord, le Mali ne dispose ni d’une armée forte ni d’un Etat solide apte à la soutenir pour mener une telle action contre des groupes dont la capacité de résistance et l’origine du financement ne sont pas totalement connues. L’armée malienne manque cruellement d’unité et d’organisation du fait de sa scission en plusieurs factions : des fidèles du capitaine Sanogo, leader des putschistes, des partisans de l’ancien chef de l’Etat Amadou Toumani Touré dont certains continuent à faire l’objet d’arrestations, des légitimistes favorables au Président intérimaire Dioncounda Traoré, sans compter une bonne frange qui est restée neutre. Une armée aussi divisée ne saurait valablement s’engager dans une campagne de grande ampleur dans des zones aux réalités géographiques hostiles, et contre des groupes tribaux armés qui ont infiltré une partie des populations sur place et dont les ressources logistiques et financières ne sont pas encore bien évaluées. 

Le gouvernement de transition, quant à lui, vient à peine d’être réaménagé après l’ultimatum de la Cedeao. La plupart des membres de l'ancienne équipe sont restés, le nouveau gouvernement s'illustrant par l’octroi de départements importants et stratégiques aux partisans du capitaine Sanogo. Ces deux aspects sont sujets à critique vue la forte réprobation dont le Premier Ministre Cheik Modibo Diarra faisait l’objet dans le pays comme dans la région d’une part, et la mise à l’écart des putschistes qui aurait dû présider à la formation de ce gouvernement d’autre part, pour ne pas encourager les changements inconstitutionnels de régime. Comme ses prédécesseurs, ce gouvernement est dans l'incapacité, tant logistique que financière, à mener une quelconque guerre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il sollicite le soutien de ses partenaires, notamment la France, l’ONU et la Cedeao, tout en posant ses conditions. Or, le refus des autorités de la transition de recevoir des troupes étrangères sur le territoire malien ne va pas dans le sens de l’atteinte d’une solution concertée aux difficultés du pays. Les responsables militaires de la Cedeao ont clairement indiqué leur intention de sécuriser les institutions de la transition et de participer à l’encadrement des forces armées maliennes. Cette divergence de point de vue dans les priorités doit être dépassée par un retour au réalisme de la part des autorités maliennes.

Précipitation des autorités maliennes et risques d’enlisement du conflit

Au regard de la faiblesse des acteurs maliens, l’option militaire n’est pas la mieux indiquée pour le moment. Le branle-bas de combat diplomatique initié par les autorités maliennes en vue de la formation d’une force d’intervention armée, qui bénéficierait d’un appui aérien provenant de la France et/ou de l’Onu, ainsi que d’un soutien logistique de la Cedeao, est tout simplement inopportun. Aucune résolution durable de la crise ne pourra se faire dans la précipitation et l’empressement. Comment veut-on mener une campagne militaire efficace avec un niveau d’organisation aussi faible, surtout lorsqu’on déclare urbi et orbi ne pas désirer la présence de troupes étrangères ? Pis, les autorités maliennes refusent toute coopération militaire régionale qui consisterait simplement, avec l’envoi de 3300 soldats de la Cedeao, en la protection des institutions de la transition et la sécurisation des territoires qui ne se trouvent pas encore sous le joug islamiste ! A quoi sert ce sentiment nationaliste lorsqu’on se trouve dans une situation aussi délicate ? Les responsables militaires de la Cedeao n’ont d’ailleurs pas montré une volonté particulière d’envoyer des troupes dans le Nord, mais souhaitent logiquement prévenir tout débordement du conflit qui pourrait se téléporter au-delà des frontières maliennes. Ce qui se comprend.

L’intervention militaire préconisée par le gouvernement malien pourrait très bien résulter en un enlisement incontrôlable du conflit. Le danger qui réside dans une telle intervention est de provoquer l’inverse de son objectif. Les groupes islamistes pourront adopter une logique de confrontation va-t-en guerre sans limite dans le temps et dans l’espace. Les Etats-Unis et leurs alliés en font les frais en Afghanistan et en Irak de manière permanente, nonobstant leur capacité d’organisation et leur puissance de feu, incomparables à celles du Mali. L’intervention militaire aurait des conséquences imprévisibles pour les populations civiles du Nord, et pour la survie du reste du territoire. De plus, même si une campagne ciblée était menée, avec des frappes chirurgicales comme celles expérimentées en Libye, les dégâts collatéraux seraient incommensurables. Les populations civiles innocentes ne doivent pas payer de leurs vies le prix de la volonté du gouvernement de libérer le Nord. En considération de tous ces risques, les autorités maliennes devraient dès lors privilégier des voies alternatives de règlement du conflit. 

Propositions de sortie de crise

A court terme, priorité doit être donnée à la sécurisation des territoires non encore occupés et à la protection des autorités de la transition. A moyen terme, le renforcement des institutions étatiques et la remise sur pied de l’économie nationale constituent les principales étapes incontournables de toute résolution de la crise. L’installation de corridors humanitaires pour faire transiter des aliments et des médicaments, ou même évacuer les populations désirant échapper au joug islamiste, devrait être poursuivie par les organismes onusiens. A long terme, la recherche d’une solution politique, concertée, devrait primer sur toute autre. Si la renonciation à ces territoires est inenvisageable, l’association des partenaires bilatéraux et multilatéraux du Mali à la recherche d’un consensus demeure inévitable. Il semble que les diplomates maliens ainsi que les émissaires de la Cedeao, notamment les négociateurs burkinabés, ont d’ores et déjà exploré la piste de l’Algérie, qui reste quand même concernée de manière immédiate par ce conflit qui se déroule à ses frontières, et en est partie intégrante. La Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Tchad, et le Sénégal ne doivent pas non plus être négligés. Ces deux derniers pays ont clairement exprimé leur opposition à toute participation à une campagne militaire, ainsi que d’autres le pensent tout bas, du fait des risques implicites. Les accords de défense récemment conclus par le Sénégal avec la France devraient, à défaut d’être rendus publics, comporter des dispositions pouvant servir à renforcer la sécurité régionale. 

De même, l’Union Européenne, l’Union Africaine, et l’Organisation de la Coopération Islamique, devraient s’impliquer plus activement dans la recherche d’une solution politique. L’OCI en particulier, pourrait constituer un groupe d’experts pour tenter de faire entendre raison à ceux qui se réclament de l’Islam pour commettre des forfaitures de manière éhontée et injustifiable en son nom. L’Union Africaine pourrait également reprendre à son compte le leadership régional à travers son Mécanisme de prévention, de gestion, et de règlement des conflits, à l’heure d’une nouvelle gouvernance sud-africaine qui doit y démontrer toute sa capacité institutionnelle de rassemblement politique et de mobilisation de ressources financières. Sur ce dernier point notamment, le concours des partenaires occidentaux tels que l’Union Européenne et les Etats-Unis ne doit pas se faire attendre puisqu’ils demeurent concernés non seulement par les enlèvements de leurs ressortissants, mais également par tout débordement éventuel qui verrait Al Qaeda se doter durablement d’une base territoriale.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Wade n’est pas obligé…

“La constitution est la charte, l’ensemble des textes de loi fondamentaux qui déterminent la forme de gouvernement du Sénégal, le régime et les institutions de l’Etat.” (examen.sn)

Le débat sur la recevabilité de la candidature de Me Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, à un troisième mandat, a pris une certaine ampleur qui mérite attention. Tout d’abord du point de vue politique: les Sénégalais sont fiers de la maturité de leurs institutions et de leur avancée démocratique, notamment depuis l’alternance pacifique de 2000. Ensuite sous un angle juridique: le texte adopté par le peuple et en vigueur depuis le 7 janvier 2001 semble pour le moins ambigu sur une question aussi cruciale que la limitation du nombre de mandats du Chef de l’Etat. Enfin sur le plan social: la question oppose avec virulence les tenants de la candidature de l’intéressé et ceux de son impossibilité.

Le 19 mars 2000, Abdoulaye Wade est élu au second tour avec une large coalition de partis politiques, devant le président PS sortant, Abdou Diouf, au pouvoir depuis 1981. Il prit sur lui de convoquer les Sénégalais à un référendum proposant une nouvelle constitution, adopté à une majorité historique, avec l’acquiescement de l’opposition. La nouvelle constitution a survécu, il est vrai avec moult retouches législatives selon les calculs du moment, pendant une décennie. Elle réorganise le régime en conférant plus de pouvoirs au Parlement par-ci et créant de nouvelles institutions de surveillance par-là. La démocratie sénégalaise semble renforcée et remise sur des rails plus solides. Continue reading « Wade n’est pas obligé… »