

Au fond, qu’est-ce qui les choque dans le mariage homosexuel ? De voir deux hommes se tenir la main, s’embrasser (parce que l’homosexualité féminine est considérée comme un épiphénomène, un fantasme masculin, deux femmes qui s’embrassent suivent leur pente sensuelle et féminine, au pire c’est un divertissement, au mieux des préliminaires, on a tous, déjà, rêvé d’un « plan à trois ») ? De voir les fondements de la famille s’ébouler ? Alors pourquoi interdire le mariage forcé et autoriser le divorce ?Si le plus important est que la famille (père-mère-enfants) soit maintenue intacte pourquoi autoriser des comportements qui la détruise ? Si le reflexe est celui de conservation, l’espèce humaine devant se perpétuer, pourquoi ne pas interdire aux femmes et hommes stériles de se marier ? Pourquoi ne pas engager des éducateurs familiaux qui vérifieront que toute femme s’acquitte de son devoir de fécondité ?Je suis opposé au mariage en tant que tel, parce que ce n’est qu’un contrat, comme celui qu’on signe au début d’une location, à l’achat d’une voiture, quand on rejoint l’armée. Rien de plus, qu’un simple papier paraphé. C’est déjà une calamité qu’autant de gens succombent à ce dispendieux luxe, pourquoi devrait-on autoriser d’autres groupes humains à s’y adonner ? Mais dès lors qu’on est pour le mariage, je ne vois pas très bien sur quelles bases on refuserait les serments des « folles ».Je crois que ce qui les ulcère dans le mariage homosexuel, c’est de voir deux hommes trahir leur statut d’homme pour se rabaisser à celui de « femme ». Ils se font une idée tellement vague et bête de l’homosexualité qu’ils la considèrent comme une déchéance. La réduisant à une simple pénétration sodomite. Ils se font une idée tellement mesquine de la liberté humaine, qu’ils pensent que l’humanité est libre d’agir comme eux agissent et point autrement. Liberté d’imiter. Liberté de se taire. Liberté de mentir. Liberté de feindre. Liberté de la fermer.Oh, je suis moi aussi totalement opposé aux revendications communautaires, à la gay pride, en vérité festival de débauche et flagrant attentat à la pudeur. Mais personne ne me convaincra qu’il est bon et juste de laisser des adolescents se suicider parce qu’ils se pensent différents et qu’ils n’ont jamais été attirés par les « seins des filles » alors qu’ils succombent si vite au charme d’une poitrine virile et ferme. Personne ne pourra plus me persuader qu’il est juste et bon de pendre des homosexuels parce qu’ils s’adonnent à des activités contraires à la volonté d’un dieu nouveau qui n’existait pas ou se taisait du temps d’Hadrien et de Walt Whitman.La « communauté » homosexuelle aura beaucoup fait pour être ghettoïsé et accentuer sa mise à l’index. Mais jamais ces excès ne compenseront le silence d’un Mauriac, l’opprobre qui s’abattit sur Jacob Bean, les absences des autorités publiques durant les années Sida.Ces ombres chinoises qui nous observent et que nos regards baissés, nos poings serrés alors qu’elles espéraient des mains tendues, ont laissé à l’abandon, nous jugent de l’au-delà, nous dévisagent et nous jaugent : hommes de peu de cœur.Ceux-là ne sentent pas que c’est un peu de leur liberté qu’ils perdent lorsqu’ils ignorent les atteintes aux libertés des autres. Les cons. Il faudrait être juif pour être épouvanté par la Shoah?
Et puis, j’ai déjà voyagé par-delà le mur de la haine, je l’ai vue, l’ai embrassée. J’en suis revenu désillusionné et individualiste à un degré difficilement imaginable. Ce que je veux, ce n’est pas « pour la soif universelle, pour la faim universelle », c’est par pur égoïsme que je le souhaite.De toute façon, d’avance, je me garde le droit de visiter toutes les rives du fleuve.
“I'll be everywhere. Wherever you can look – wherever there's a fight, so hungry people can eat, I’ll be there. Wherever there's a cop beatin' up a guy, i'll be there. I'll be in the way guys yell when they're mad.”
John Steinbeck, The Grapes of Wrath
Appelons ça la « division interrégionale des malheurs » : Afrique occidentale (guerres civiles à caractère ethnique), Afrique centrale (génocides interethniques à caractère économique), Afrique Australe (corruption et Sida), Afrique du Nord (menaces islamistes), Afrique de l’est (famine). C’est simple, facile à ranger, facile à penser. Le journal s’ouvre sur « crise au Malawi », on sait à peu près autour de quoi ça va tourner ou « affrontements sanglants en Guinée », on complète la phrase « Peulhs contre malinkés – ou l’inverse.» Mais dans cette sinistre classification, admettons que la Corne de l’Afrique se distingue par sa « persévérance » : ça fait vingt ans que des gens y meurent ou s’apprêtent à y mourir de faim. Au bout d’un moment… On s’en fiche un peu.
Savons-nous encore ce que signifie un million de morts ? Je ne parle pas d’un millions d’exécutés ou de gazés. Un million de gens qui meurent patiemment, sans cris et sans larmes (le corps se protège et retient toute l’eau qu’il peut). Des hommes qui tombent et ne se relèveront plus ? En 1984-85, un millions de gens moururent en Éthiopie. Il a fallu ça pour décider le « monde » à réagir, en commençant par une chansonnette et des concerts. Au fond, la famine en Afrique de l’est, c’est ça : un refrain.
Douze millions de gens, en Éthiopie (encore ?), au Kenya et surtout en Somalie sont menacés, depuis début juillet par la plus sévère sécheresse connue sur le continent, depuis soixante ans. Quatre millions d’entre elles sont en situation de détresse alimentaire grave. 750.000 risquent, à très court terme de mourir. Seuls 40% des enfants dans les camps de réfugiés pourraient survivre (j’adore le « pourraient » – vous mesurez le risque quand même ? Ils « risquent » de survivre !!). L’aide arrive, « molo molo » comme ils disent à Abidjan (piano piano). Ils ont trouvé un joli mot pour décrire le phénomène : « aid fatigue » (je traduirais par « la lassitude du cœur).
Quelques dizaines de milliers d’hommes avaient péri avant que l’alerte ne fut lancée. Trois mois déjà. Les dons se font attendre. Certains donateurs (États-Unis en tête) attendent un signal (le demi million de morts ?) avant de débourser les aides promises. Le Royaume Uni a débloqué 59 millions d’euros, la Norvège 50, l’Espagne 25, la France… 10 ! (Vous vous souvenez de « l’homme Africain » etc. ? Bah, c’est la seconde partie du discours, coupée au montage, qu’on nous livre maintenant).
La Somalie ne m’empêche pas de dormir. Vous non plus d’ailleurs. Ce n’est pas grave. Quand il faudra ensevelir un million de corps desséchés, on trouvera toujours de quoi payer bulldozers et pelles géantes. Et sur les fosses communes, en guise d’épitaphe, on pourra toujours apposer « désolé, j’avais donné pour Haïti !»
Pour ceux qui veulent agir (ça coûte moins qu’un paquet de cigarettes), il y a encore :
https://fr.wfp.org/donate/dons/cornedelafrique
https://dons.actioncontrelafaim.org/don-urgence?codemailing=11PI39
et d’autres liens ici : http://www.europe1.fr/International/Famine-en-Somalie-a-qui-donner-644461/
Joël Té-Léssia
Mirabeau, aucun talent ; mais son père (qu’on n’a pas lu), oh!
Gustave Flaubert, dictionnaire des idées reçues
La police fait bien son boulot
Antiracisme, communisme du XXIème siècle
Google nous rend cons
Benoit XVI, nazillon
Ne pas posséder de télévision
Quand le Brésil s’éveillera…
Ils ont besoin de discipline ces gosses !
Juan Carlos, sauveur de l’Espagne
Woody Allen, indépassable
Homère… Simpson ?
De Gaulle avait vu juste
Éloge de la parentalité
Défense de la Défense
Défense du droit d’offenser… les musulmans, seulement
Apprendre le mandarin
« Dead Aid » ? Magistral ! Surtout quand on ne l’a pas lu
« Et si l’Afrique refusait le développement ? »
Thomas Sankara, Jésus Noir
Tolkien supérieur à J.K Rowling
Grand Corps Malade supérieur à Aragon
Dire du mal de Facebook, mais continuer à l’utiliser
Steve Jobs, Dalaï Lama et martyr
Je suis de gauche, mais je me soigne…
Joel Té-Léssia
Chacun d’entre nous a un degré différent de résistance à Dieu, aux inégalités sociales, à la douleur, aux visions d’horreur, etc. Je résiste assez bien au premier, mais mon insensibilité s’épuise rapidement en descendant cette liste.
J’ai vu, hier, avec beaucoup de retard, les images d’un ranger pakistanais exécutant, sur la voie publique, en plein jour, un jeune homme arrêté quelques minutes auparavant. Elles rappellent furieusement – et sauvagement – la photo prise par Eddie Adams de Nguyen Ngọc Loan, chef de la police sud-vietnamienne abattant, d’une balle de revolver, un prisonnier Viêt-Cong menotté. Ou encore celles du soldat guinéen assassinant, à coups de couteau, en pleine rue, un manifestant pacifique et désarmé.
Me sont revenues en tête, depuis, d’autres images plus dures et plus sordides. La mort imbécile. La mort inutile.
Je me rappelle l’encéphale ouverte d’un enfant de cinq ans, le rouge et le blanc, le sang et la cervelle par terre. Son père n’avait pas toléré qu’il renverse la plaquette d’œuf achetée au « Mauritanien » comme on disait. C’était une hache. L’exode rural n’a pas effacé chez tous les paysans les reflexes d’antan. Le geste fut rapide et précis. Un crâne d’œuf au milieu de coquilles brisées. Le rouge, le blanc, le jaune et le noir, enfin réunis. « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirais quelque jour vos naissances latentes. »
Samuel Doé, le sergent-chef, l’ancien des forces spéciales américaines, assassinant des ministres attachés à des mâts, face à la mer. L’appel du large. Âmes à la mer : les yeux de Gary Cooper. Samuel Doé, le Président, torturé sous la camera devant son bourreau se désaltérant d’un gorgée de bière fraîche, l’été à Monrovia est desséchant, vous savez. L’oreille droite, puis la gauche et le reste. Alouette ! Le coffre de la voiture, l’homme-tronc qu’on en tire. Les rires et les cris. J’avais dix ans lorsqu’enfin, un cousin me montra les images. On supporte moins facilement la torture que la mort véritable. « La mort est un fait brut. On n’apprend pas à mourir », la torture est lente et répétitive, assez lassante à vrai dire. Qui vit par le feu.
Une cigarette au bec. Ils avaient osé lui mettre une cigarette au bec. Ils fumaient à ses côtés, eux aussi, armes au poing et bandana taché de sang, aux couleurs du drapeau américain, pauvre Washington, sur le front. Des mercenaires Libériens, moins chers et plus expérimentés que leurs confrères sud-africains. La tête était posée sur un tronc d’arbre, immobile, souriante, clope au bec. Fumer tue.
La mèche de Lumumba, docile et plaquée. Les troufions lui offrirent à boire. Il refusa. Christ à ses heures. Comme au Fils de l’Homme on lui perça le flanc… d’un coup de pataugas. C’était Patrick. Sa voix nasillarde ne s’élèverait plus. Le bon Roi Baudouin achevait sa sieste au Palais de Bruxelles, le Congo s’enflammait.
Je me souviens du visage d’une enfant colombienne calme dans la boue, le regard apaisé, même pas accusateur. Dans ses yeux, le jardin d’Éden s’annonce, pendant que son corps s’enfonce dans la fange et l’enfer.
Je me souviens… Quiconque écrit « je me souviens » se sait menteur. On ne se souvient jamais de rien. Le cœur plus que la tête recrée les émotions et les peurs passées. Et ce que ce gueux retrouve sous la tranquillité du savoir-vivre, c’est la puanteur des horreurs, passées, présentes et à venir.
Joël Té-Léssia
J’ai une relation étrange, pas très fraternelle, avec ma peau. Un ami, le regard sombre et la voix triste de celui qui accomplit une besogne sale mais nécessaire, m’a une fois sorti : « ton problème, c’est que t’as honte de ta peau !» Ce n’est pas tout à fait vrai : elle m'emmerde. Parce qu’elle cicatrise mal.
On me bassine souvent sur ma « mémoire ». Aucun don, ici. Juste beaucoup de travail et ma peau m’y aide énormément. Elle garde trace de toutes les morsures, flétrissures, blessures, brûlures, de tous les abcès, boutons et furoncles. Tout.
Je regarde mes jambes et je revois mon enfance : les taches jaunes entourées d’anneaux noirs ? Les allergies à l’escargot. Viande interdite, donc mets de premier ordre. Mille fois on prévenait mes hôtes qu’il ne fallait pas m’en servir, cent fois, j’arrivais à en consommer. D’immondes petites plaies apparaissaient alors qui guérissaient au bout d’une semaine, mais laissèrent des traces qu’il me suffisait de contempler pour faire tout revivre : le parfum de la cuisine, le regard désolé de la maîtresse de maison, mon œil con et larmoyant, fabriqué à toute vitesse.
Une tâche foncée au bas du dos : une brimade plus violente que les autres, vers douze ans, qui me rappelle toute l’injustice de la vie au Prytanée, l’enfermement, les colères étouffées. La peau flétrie autour du cou : des risques imbéciles pris vers seize ans, besoins stupides de prouver sa virilité. (Ou tentative de suicide – c’est ainsi que le « quartier » se l’expliqua pendant les vacances, je laissai la rumeur courir : on n’imagine pas la tranquillité dont bénéficient les « suicidaires.»)
Les cercles rouges sur le torse ? Nouvelle allergie, jamais totalement diagnostiquée, chopée sur une île au Brésil. Je les effleure et elles ressuscitent les effluves de caipiroskas, le ciel vert de Recife, les corps des femmes que je n’ai pas eues.
Tout est là : ma mémoire à fleur de peau. Qui ne me laisse rien oublier, ni dépasser, ni pardonner. À tout instant, même le plus joyeux, le plus pur, il me suffit de baisser les yeux pour qu’un souvenir me revienne, parfois heureux, le plus souvent douloureux et désagréable. J’y rattache les lieux, donc les noms, les visages, les émotions, les relations, tout est lié. Tout ça est détestable.
Aussi (et c’est le sens premier du reproche qui m’est souvent adressé par des voies détournées) parce qu’elle me précède partout et parle toujours avant moi. Dans la rue, elle me devance de six pas, m’annonce et m’interpelle quand je traîne les pattes. Elle réduit les sujets de conversations : Clichy viendra toujours avant Carthagène, Yade avant Yeats, le Zambèze avant la Corrèze. Le nombre de sourires béats prétendument « complices » qu’on m’adressa le lendemain de l’élection d’Obama ! « On » y est arrivé !… Elle m’expose à l’imbécillité des autres. Elle m’impose des liens que j’aurais dû être libre de choisir – que ma naissance, mon éducation et ma culture m’aurait peut-être de toute façon, conduit à adopter, mais la démarche aurait été différente.
Je préfère les servitudes volontaires aux solidarités forcées. Celles-là choquent mon individualisme et entravent ma liberté. Je ne revendique rien. Je ne « renie » rien. La plupart de ceux qui n’ont rien fait de leur vie et qui n’envisagent plus rien, se réfugient dans la sémantique de la honte et de la fierté. Ils n’arrivent pas à être « heureux » ou simplement « reconnaissants » ou « tristes ». Non ! Ils sont « fiers » de leur drapeau, de leur pays, de leurs « origines » ; ils ont « honte » de l’équipe du Gabon, ils sont « fiers » de l’hymne américain.
Je garde ma fierté et ma honte pour les actes que je commets. Je n’ai pas de raison d’être fier d’être né paludéen, je ne vois pas pourquoi je devrais être fier d’être né noir – ou d’en avoir honte, d’ailleurs. Je n’y suis pas pour grand-chose. Remerciez ou insultez mes géniteurs, si ça vous chante, mais fichez-moi la paix.
Je ne suis pas tout à fait dupe, non plus. Chaque année, une cinquantaine d’études (génétiques, socio-économiques, « scientifiques ») sont publiées aux États-Unis et en Europe qui cherchent à établir l’infériorité intellectuelle des Afro-américains, des Noirs, par extension. Soixante ans après Auschwitz, de tels travaux continuent. Suis-je inquiet ? Pas vraiment. Indigné ? … peut-être… Je suis plutôt amusé, émerveillé par tant d’ingéniosité. Au mieux : indifférent.
On demandait à Romain Gary ce que signifiait, pour lui, d’être Juif. Sa réponse ? : « C’est une façon de me faire chier ! » Remplacez « Juif » par « Noir » et vous aurez mon sentiment.
Joël Té-Léssia
“When the facts change, I change my mind. What do you do, sir?”
J. M. Keynes
Ce qu’il y a de terrible avec les « mea culpa », c’est que ça ne finit jamais.
Il apparaît aujourd’hui que la victime présumée du viol dont est accusé l’ancien Directeur Général du FMI est une excellente comédienne, capable de raconter, le regard mouillé, tremblant de la tête au pied, au bord de l’évanouissement, avoir été victime d’un viol collectif ou qu’elle est la veuve d’un martyr de la démocratie guinéenne, puis reconnaître ensuite, impassible, qu’il n’en est rien. D’autres détails encore plus sordides sont repris depuis deux jours par la presse mondiale : elle aurait un petit ami « dealer de drogue » ; en deux ans, 100.000$ auraient été déposés, par petits virements sur son compte ; elle annonçait au téléphone, deux jours après son agression qu’elle savait ce qu’elle faisait et que son « agresseur » avait beaucoup d’argent ; elle fraudait le fisc… et la liste continue qui dresse le portrait-robot d’une manipulatrice et d’une affabulatrice. Mais voilà, « on peut être à la fois femme de petite vertu et femme violée ».
Je n’utiliserai même pas cette astuce, bien misérable parade, en vérité. Parce que le problème posé par le cas N.D. est colossal et ses conséquences, au-delà de l’avenir de Dominique Strauss-Kahn, sont effroyables. Il y a un mois, elle était toutes les victimes : mère seule, immigrée, pauvre, soumise, abandonnée, violentée. Aujourd’hui, – la surenchère et les emportements de son avocat ne font d’ailleurs qu’ajouter au malaise – elle reste une icône, mais d’un genre bien différent.
Les vieux clichés ne tarderont pas à réapparaître, la droite radicale en Europe et au États-Unis trouvera dans cette affaire l’illustration idéale. Immigrée, elle confirmera les poncifs les plus nauséabonds distillés sur les immigrés toujours fraudeurs, fourbes, trafiquants ; femme donc forcement vénale et volage ; mère célibataire, traduisez «catin » ; « réfugiée » ? Ils savent bien, eux, qu’il n’y a que des immigrés économiques ; « violée », elle devait certainement être demandeuse ; etc. Ce n’est plus Ève, c’est Lilith.
Je ne renie pas la note écrite sur ce viol présumé. À la relecture, je la trouve d’ailleurs fort prudente et retrouve les milles hésitations qui me tiraillaient, l’impossibilité de relier ces accusations à l’image que j’avais en tête de mon ancien professeur d’économie. Le viol est et reste un crime abominable. L’essentiel de ce que je notais, à l’époque, à ce sujet est vrai. Mais l’honnêteté commande de reconnaître que j’avais cédé moi aussi à l’idéalisation de la victime présumée, ne décrivant l’accusé qu’à travers elle, par rapport à elle. J’avais tort.
J’écrivais, il y a un mois : « Il semble ancré, quelque part, dans l’inconscient collectif qu’une femme noire qui dit avoir été violentée ne peut mentir ou faire partie d’une quelconque cabale. On ne doute pas de l’orphelin qui, en pleurs, jure avoir revu sa mère. Je ne sais si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle. »
Grâce ou à cause de N.D. ce n’est plus vrai aujourd’hui. Et ça, pour le coup, je le réalise brutalement, c’est un désastre.
Joël Té Léssia
PS : le titre est utilisé ici, bien évidemment, pour sa force "sonore", en référence à la pièce du dramaturge Anglais John Ford.
Après mon post un peu sec sur la « pseudo-indépendance » du Sénégal, je devrais en principe, écrire quelque chose de positif sur le « sursaut démocratique » de la rue sénégalaise contre le projet – totalement imbécile – de réforme constitutionnelle d’Abdoulaye Wade. Le problème, c’est que rien dans cette « réaction » ne m’inspire la moindre sympathie. C’est comme s’il fallait féliciter le cocu dans le célèbre sketch de Raymond Devos (« j’ai des doutes ») de sa lucidité in extremis : J'ai des doutes !… J'ai des doutes !… Hier soir, en rentrant dans mes foyers plus tôt que d'habitude…il y avait quelqu'un dans mes pantoufles… Mon meilleur copain… Si bien que je me demande si, quand je ne suis pas là… il ne se sert pas de mes affaires ! (….) Alors !… mes pantoufles !… mon pyjama !… ma radio !… mes cigarettes !… et pourquoi pas ma femme pendant qu'il y est !…
Le simple fait que ce projet de loi ait existé, qu’Abdoulaye Wade ait eu la folie de le penser, que son gouvernement ait accepté de le présenter au Parlement, qu’il se soit trouvé une majorité de députés pour sérieusement penser à l’adopter (le gros de l’opposition ayant boycotté les dernières législatives, la majorité de Wade à la chambre est absolue) et que de Wade au dernier des parlementaires, tous ces gens aient pensé que les Sénégalais ne feraient rien, qu’il aie fallu attendre le dernier moment pour empêcher le désastre…. Rien, absolument rien dans ce cauchemar n’est à saluer. Ce projet de loi aurait dû, vu l’histoire démocratique de ce pays, être tout bonnement « impensable ». De la même façon qu’un coup d’état militaire en France, la fin de la monarchie britannique ou un Pape Africain sont impensables. Wade l’a pensé. Et ses députés et lui se sont étonnés de la réaction des Sénégalais. Moi aussi, à vrai dire.
J’avais vraiment cru que la stratégie du pot-au-feu avait finalement abouti. La recette est simple : cuisinez un peuple à feu doux, veillez surtout à ne pas le brusquer au départ, mais faites lui avaler à doses de plus en plus fortes, toutes sortes de projets législatifs, économique, architecturaux ou politiques plus abscons les uns que les autres, saupoudrez tout ça d’une fine touche de paternalisme, remuez toujours dans le bon sens, celui de l’exception nationale, Sénégal, lumière du monde et de l’Afrique, pour éviter tout débordement, pensez à corrompre à grandes louchées quiconque a la vélléité de faire usage de sa cervelle et le peuple est enfin prêt à tout accepter. Wade n’a peut-être pas assez corrompu.
Les Sénégalais pensent que le Sénégal, ne concerne qu’eux-seuls. Ils se trompent. Le Sénégal leur est prêté, c’est l’affaire de beaucoup d’Ouest-Africains, pour qui ce pays, le seul de la région n’ayant jamais connu de putsch, est un phare, le métronome. C’est justement pourquoi leur passivité inconcevable au cours des six dernières années, alors qu’il était évident qu’Abdoulaye Wade avait perdu tout sens des réalités et transformait leur pays en une énième satrapie tropicale m’a agacé d’abord, puis bouleversé et enfin anéanti. C’est comme de voir un ami d’enfance devenir opiomane.
Je me demande si les gens se rendent compte du changement : il y a dix ans, le monde se félicitait du sens démocratique des Sénégalais parce qu’ils organisaient une transition politique, pacifique, ordonnée, libérale ; aujourd’hui on devrait applaudir parce qu’il a fallu trois morts et une centaine de blessés pour éviter l’instauration d’une dyarchie héréditaire (de facto) dans leur pays. C’est ça le progrès ?
J’ai longtemps pensé que cette décennie serait celle des aspirations rabougries, le « printemps » sénégalais l’illustre bien, c'est-à-dire sordidement.
Joël Té Léssia
1. La Capitale politique de la Côte d’ivoire est… Yamoussokro
Faux. Abidjan est et reste le cœur économique comme le centre essentiel du pouvoir politique. Il a fallu la prise d’Abidjan pour installer Ouattara au pouvoir. Indice capital : la base militaire française, le 43ème BIMA est installée à Port-Bouët, pas à « Yakro »… Une des lubies d’un déjà sénile Houphouët Boigny a été de transformer sa ville natale en « capitale » du pays. L’hideuse basilique Notre dame de la paix de Yamoussokro – à égalité peut-être avec le soviétisant Hôtel des Députés – est l’une des pires reliques de ce travers mégalomaniaque. Ce projet n’a eu qu’un seul impact réel : enrichir l’architecte Pierre Fakhoury. Des épidémies de fièvre jaune en 1899 et 1904 ont poussé l’administration française à déplacer la « capitale » administrative de Grand-Bassam à Bingerville, la première restant « capitale économique ». L’essor d’Abidjan à la fin des années 1920 a motivé le transfert du cœur politique vers ce qui devenait le centre économique. Abidjan remplaça d’un coup Bassam et Bingerville. Yamoussokro ne « rassemble pas les Ivoiriens ». C’est simplement le symbole du différencialisme ethnique et du complexe de supériorité Baoulé qu’Houphouët et le PDCI-RDA ont imposé à ce pays, des décennies durant. Et un gouffre financier pas possible. Inutile au demeurant.
2. La crise ivoirienne est née des tensions ethniques et religieuses
Faux. La crise ivoirienne est essentiellement un conflit politique et économique – accessoirement générationnel dans ses derniers développements. Les dimensions ethniques, d’abord, puis religieuses n’ont été rajoutées qu’à la fin, comme potentiels signes de ralliements. Il y a dans l’ordre quatre responsables : Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Simone Gbagbo. Le premier a distillé le mensonge, bénin à l’origine, du groupe Akan et de l’ethnie Baoulé comme peuple fondateur du pays. Les livres d’histoire avaient beau rappelé, en annexe, que ce pays était d’abord une terre d’immigration, les mythes fondateurs baoulés ont servi, depuis toujours, de roman historique national. Le second a trouvé là un terreau fertile qu’il utilisa pour éliminer son adversaire politique le plus important Alassane Ouattara. Il a par la suite procédé à une ethnicisation de l’armée, de la fonction publique et de l’économie. Il a baptisé cette baouléisation du pays, Ivoirité, avec le succès que ce concept a eu par la suite. Pour combler le tout, cette hérésie s’est doublée d’une corruption et d’une brutalisation de la société, sans précédent. Je crois fermement qu’Alassane Ouattara est lié aux coups d’état de 1999 et de 2002, activement d’abord puis de façon plus passive ensuite.
À défaut de démontrer les faiblesses et imbécillités du plan Bédié (« la Côte d’ivoire aux Ivoiriens » ; Alassane Ouattara – ancien premier ministre – n’est pas Ivoirien, etc.), il a repris l’antienne à son compte (« on ne veut pas que je sois Président parce que je suis Nordiste »), avec le succès qu’on connaît. Les époux Gbagbo ont par la suite saupoudré la resucée ethniciste d’une dernière couche religieuse, élus du peuple, mais aussi de Dieu, ils protègent la nation des envahisseurs non-chrétiens, etc. Le conflit générationnel intervient en supplément, il n’est pas étonnant que Soro Guillaume comme Blé Goudé soient tous deux anciens secrétaires généraux de la FESCI (syndicat puis milice étudiante), et que tous deux aient opté pour la voie radicale puis militaire, au détriment d’une approche réformiste du changement politique : les caciques ne cédant pas la place, il fallait bien tuer le père.
Les problèmes réels (conflits terriens, tensions locales liés à ces questions de terre, chômage, corruption, népotisme etc.) n’ont servi qu’à donner un semblant de légitimité à ces conflits politiques et n’ont de fait jamais été pleinement confrontés par aucun des « belligérants ». Les divisions religieuses et ethniques du pays ont été de formidables cache-misère intellectuels et outils de propagande – au pire, de bien utiles adjuvants, mais jamais la cause de la crise ivoirienne.
3- Le défi principal d’Alassane Ouattara sera de « réconcilier les ivoiriens »
Faux. Les Ivoiriens ne se réconcilieront pas. Ils pourront « vivre ensemble », dans un pays apaisé, pacifié, sécurisé. La politique détruit tout ce qu’elle utilise mal. Je crois que l’innocence avec laquelle, l’essentiel des relations entre communautés ethniques (je préfère « régionales », plus précis à mon sens) se déroulait ne sera jamais restaurée. Quelque chose a été brisée durant ces dix années de conflits que rien ne réparera, en tout cas pas durant les cinq ou dix ans qu’Alassane Ouattara passera au pouvoir. Sa tâche primordiale – au-delà de la sécurisation et du désarmement des milices non-intégrables dans les FRCI ou l’ex-rébellion, terme que je préfère – sera de relancer l’économie. Tant qu’il y aura des centaines de milliers de jeunes désœuvrés, sans éducation, sans perspective aucune de trouver un emploi, politiciens et chefs de guerre trouveront le moyen de transformer la moindre étincelle en enfer. Que Gbagbo soit jugé ou non, condamné ou pas, exécuté ou en exil est accessoire. Plus personne ne croit encore à la justice ivoirienne, encore moins à l’ersatz de justice, punitive, à charge, typiquement de vainqueur, que propose le gouvernement Ouattara. Tout le monde sait que les 800 morts de Duékoué resteront sans noms, leurs bourreaux aussi. S’attarder sur ces détails conduirait à perdre un temps et un capital politique précieux. Créez des emplois, des emplois, des emplois, Monsieur le… Président !
4- « Découragement n’est pas ivoirien » !
Vrai.
Joël Té Lessia
Que la victime présumée dans ce qu’on appelle « l’Affaire DSK » – ‘affaire’ est avec ‘événement’ le mot le plus français au monde, il est simple, rapide et peut servir à tout, pour ne pas dire « viol », « tragédie », « drame », il suffit de dire affaire et… l’affaire est dans le sac – soit immigrée, Guinéenne, mère célibataire et femme de chambre est une bien étrange occurrence.
J’entends bien, de loin, le grognement impatient du chœur phallocrate : « il ne faut pas aller plus vite que la musique » ; la justice américaine « démêlera bientôt le vrai du faux » et nous dira ce qui s’est réellement passé dans cette suite d’hôtel ; « qu’est-ce qu’il reste de l’honneur d’une femme qui a cédé » ? « Quand on refuse ne dit-on pas non ? » ; etc. Oh, ils « compatissent » évidemment ! Et sont conscients de la « douleur que ça peut être ». Mais nous le savons tous depuis la Rochefoucauld « Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui ».
En vérité, peu importe ce qu’il advint dans cette pièce, la leçon qu’enseignent cette plainte et le procès qui en découlent est politique et n’épargne personne. Une Africaine exilée « derrière l’eau » élève sa fille seule et mène une vie sous le radar, paisible, consciente de l’extrême fragilité de sa situation. Une employée modèle travaille de longues heures dans une des villes les plus chères du monde au service des hommes les plus aisés de notre temps. Une femme avec sa voix de femme, son regard et ses seins de femme s’est retrouvée seule dans la chambre d’un homme inconnu, plus fort, plus décidé qu’elle. Une femme a jugé que son intégrité physique et morale a été bafouée. Ces femmes demandent que la vérité soit dite et justice rendue.
Face aux puissants, aux riches les démunis, les étrangers, les esseulés, les femmes cèdent et se taisent. Ici, une femme pauvre, sans diplôme, abandonnée, à l’étranger a décidé de ne pas se taire face à l’un des hommes les plus puissants de la planète, là où apparemment beaucoup d’autres on fait contre mauvaise fortune bon cœur – on finit bien par embrasser ce contre quoi on ne peut plus résister, c’en est vrai de l’alcool comme du sexe.
Il est intéressant de noter que le déferlement machiste qui a suivi, en France, l’annonce de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn a étrangement cessé lorsque l’ethnicité de la victime présumée a été révélée. Il semble ancré, quelque part, dans l’inconscient collectif qu’une femme noire qui dit avoir été violentée ne peut mentir ou faire partie d’une quelconque cabale. On ne doute pas de l’orphelin qui, en pleurs, jure avoir revu sa mère. Je ne sais si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle.
Je pensais entamer cette chronique par une boutade : « je me demande si le fait que l’acte dont on accuse DSK se soit déroulé sur le lieu de travail de la victime présumée suffit à le faire requalifier en accident du travail et si Sofitel peut refuser de lui payer l’heure non-travaillée»… J’y ai renoncé, le cœur n’y est pas, je n’arrive pas à écrire de manière légère sur ce sujet. Pourtant et je sais que ce je vais écrire est abominable, mais je suis encore plus ému par le fait que cette attaque présumée ce soit produite pendant que cette femme exerçait son boulot et non dans une rue quelconque dans Harlem. Le message que cela renvoie est atroce : même lorsqu’elles essaient d’être autonomes, de s’assumer financièrement et de mener leur vie comme elles l’entendent, les femmes ne sont que des femmes – vierges, mères, putains mais rien d’autre.
Ce que, personnellement, je reproche le plus à Dominique Strauss-Kahn, c’est de m’avoir pendant quelques instants fait regretter d’être un homme.
Joël Té Léssia
On imagine bien que ce n'est pas dans les Saintes Ecritures que j'essaie de trouver réconfort, ces jours-ci. Ni dans la compagnie des femmes. Ni dans l'alcool – je sais, personne ne me croira mais c'est vrai. Non, je me suis remis à la lecture.
Chacun son truc. Quand il s'ennuie, Jean Ping voyage aux frais de l'Union Africaine. Dans leur temps libre Amilcar Cabral et Agustino Neto écrivaient des poèmes d'une niaiserie géniarde à faire pleurer des poules; Hitler peignait des personnages de Walt Disney; Abdoulaye Wade convoque la presse; moi, je lis.
J'ai retrouvé, la semaine passée, une très vieille version d'Agape des dieux, pièce de l'écrivain et homme politique Malgache Jacques Rabemananjara. C'est comme de retrouver une femme qu'on a aimée jadis. Elle a "mûri". La peau est moins ferme mais son parfum plus enivrant. Une de mes premières émotions littéraires. Je me souviens de nuits entières passées à lire et relire les mêmes passages, vers lesquels je retourne encore avec le même bonheur, inaltéré :
· Le bonheur ! Encore un mythe que chacun se forge et conçoit à sa manière.
· Imitez le zébu blessé, il beugle mais n'en broute pas moins.
· Si les murs d'une prison pouvaient crier, si les cellules d'arrêts, les salles de garde et de torture témoigner, l'on ne serait guère fier d'appartenir à ce genre particulier d'animaux féroces désignés sous le nom d'hommes.
· Le bonheur authentique ne s'explique, il nous empoigne à l'improviste pour mieux nous éblouir de sa nouveauté, et il nous rompt l'entendement pour nous épargner les instances de la raison.
· Coutume ! coutume ! encore de ces inventions imbéciles que des ancêtres scrofuleux, pris de colique ou de cocasserie mystique avaient caprice d'éditer, d'imposer à la bauderie de leur progéniture !
· Jamais est un mot rigide, sans boucle ni rondeur, un mot interdit, à rayer du dictionnaire pour qui s'apprête à faire son entrée dans le monde.
Rabemananjara occupe une place à part dans le mouvement de la Négritude. Une tonalité différente, ni la voix brutale et exaltée de Césaire, grandes orgues et karyenda, ni l'humour tranchant et blessé de Damas, ni le lyrisme piéton de Senghor. Sa poésie habite une douleur dominée, ironique. La réalité est tenue à bras le corps, secouée, raillée. Surtout quand elle est brutale. Tout est à sauver chez Rabemananjara. Commencez par Antsa, sublime chant d'amour à une terre, au sang versé qui ne sait pas s'évaporer, à la liberté surtout :
Madagascar !
Qu’importent le hululement des chouettes,
le vol rasant et bas
des hiboux apeures sous le faîtage
de la maison incendie ! oh, les renards,
qu’ils lèchent
leur peau puante du sang des poussins,
du sang auréole des flamants roses !
Nous autres, les hallucines de l’azur,
nous scrutons éperdument tout l’infini de bleu de la nue,
Madagascar !
La tête tournée a l’aube levante,
un pied sur le nombril du ponant,
et le thyrse
planté dans le coeur nu du Sud
Jacques Rabemananjara est décédé en 2005. Isaïe Biton Coulibaly est toujours vivant.
Joël Té Léssia
Hier sur Twitter : huit cent Ivoiriens morts (entendez « tués ») en une journée. Puis non, trois cent cinquante. Enfin… huit cent mais sur quatre mois. Trois cent, oui trois cent en deux jours. Mais on a encore trouvé pas mal de corps dans un puits, donc pour le moment personne ne sait. Et qui sont les coupables ? Les forces proches du Président… Quel Président ? La femme du président est au Ghana ! Non, je te dis que c’est le Président de l’Assemblée Nationale qui est au Ghana. Mais la sœur du directeur de cabinet… Etc. Pendant deux jours.
Et tout ce temps, je ne pense qu’à une chose : quelles sont leurs sources ? Voilà ce qu’on a fait de moi. J’ai donné tort à Senghor, encore une fois : je suis un homme qui pense, mais ne sent plus. La source a tari et nous n’y retournerons plus jamais. Les lamantins sont morts. Et mort est le murmure des lamentations. Ma génération ne fécondera plus d’ « Orphée Noir ». Le « saisissement d’être vu » est mien – celui du Roi nu, de la secrétaire surprise en pleine irrumation. Et s’il ne doit rester qu’une chose, que ce soit cette devise : rester économe de ses illusions. J’ai congédié demain – trop prétentieux, menteur et surfait.
C’est si étrange d’avoir un passeport, qui fixe une date, un lieu de naissance, une nationalité, une identité, une « reconnaissance » que l’on n’a pas demandés. Ce pays n’est plus tout à fait le mien. À peine un point sur une carte, un espace vide. Je n’y connais qu’une famille d’anciens riches et de vrais pauvres, ma famille, et quelques anciens ou futurs soldats. Ce pays est mort, en train de mourir, je n’y pense plus. Je ne pense qu’aux miens qui y vivent.
Et s’il faut parler, encore, d’amour et d’espoir ; retenir qu’il faut toujours vivre en spéléologue, sans se soucier du retour, s’enfoncer toujours plus loin dans ces profondeurs pour trouver le réconfort paisible d’une solitude animée. Parce qu’au jour, là bas, plus haut, à la lumière, il y a huit cent, ou peut-être trois cent, trois cent cinquante regards qui ne « saisissent » plus grand-chose. Rien. Le noir.
Joël Té Léssia