L’éducation : Quel rôle dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne ?

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com

Résumé

Cet article soutient l’idée que l’éducation, telle que nous l’analysons ici, est un vecteur non seulement de la formation et la transformation de l’homme, mais également essentiel pour l’appréhension des valeurs cléricales susceptibles de promouvoir le développement politique, économique et social des États africains subsahariens. Si l’éducation est inéluctablement un moyen substantiel pour le progrès de l’humanité, il convient donc de dire que l’homme n’est rien que ce que l’éducation fait de lui. A cet égard, le but final de l’éducation est d’amener les hommes à être sensés, raisonnables et instruits.  Une éducation qui, en substance, est corrélativement liée aux  valeurs qui fondent l’humanité et la liberté, donc synonyme du  respect de la vie humaine. Au final, nous voulons montrer  que l’éducation peut aider l’Afrique subsaharienne dans son processus de démocratisation à comprendre que l’acquisition de la vertu peut rendre meilleurs les membres du corps politique. Dans ce cas, l’éducation apparaît alors comme une prise de conscience des Africains à instaurer des institutions démocratiques. Elle doit développer toutes les dispositions naturelles du bien en chaque homme politique africain. Bien sûr,  de telle sorte qu’il agisse selon les valeurs de la morale, du bien, de justice, de liberté et penser, finalement, le bien commun de la société africaine subsaharienne tout entière.

Abstract

This article supports the idea that education, as we analyze it here, is a vector not only for the formation and transformation of man, but also essential for the understanding of clerical values likely to promote the political, economic and social development of sub-Saharan African states. If education is inevitably a substantial means for the progress of humanity, it must be said that man is nothing but what education makes of him. In this respect, the ultimate goal of education is to bring men to be sensible, reasonable and educated.  An education which, in essence, is correlatively linked to the values on which humanity and freedom are founded, thus synonymous with respect for human life. Ultimately, we want to show that education can help sub-Saharan Africa in its democratization process to understand that the acquisition of virtue can make members of the body politic better. In this case, education then appears as an awareness of Africans to establish democratic institutions. It must develop all the natural dispositions of the good in every African politician. Of course, in such a way that it acts according to the values of morality, goodness, justice, freedom and think, ultimately, the common good of sub-Saharan African society as a whole.

Introduction

L’éducation désigne l’ensemble d’activités de socialisation et d’apprentissage ayant pour finalité l’acquisition des savoirs, des savoir-faire, des connaissances, des normes et des valeurs nécessaires au développement intellectuel et moral du sujet. Lisons Jacqueline Russ pour l’entendre dire que l’éducation, étymologiquement, vient du latin « education, instruction, formation de l’esprit »[1].  L’éducation constitue donc un moyen efficace pour porter et établir les valeurs universelles. Dans Émile ou de l’éducation, Rousseau suppose qu’elle est un levier indispensable pour construire un nouvel homme. Pour ainsi dire, dit-il, l’homme ne peut être transformé que par l’éducation dans l’exacte mesure où « on façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation »[2]. Si l’homme naît inachevé, esquissé, alors c’est l’éducation qui le parachève, le complète : « Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation »[3], affirme Rousseau. Donc, ce n’est que par l’éducation que l’homme peut redresser ses erreurs. Ce redressement signifie la réconciliation de la nature et de l’histoire, c’est-à-dire de la société ; il s’agit de vivre en animal raisonnable et social sans trahir la bonté naturelle. Dans Propos de pédagogie, Kant, lui, dira que« l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation a fait de lui »[4]. Pour lui, dans Réflexions sur l’éducation, « l’homme est la seule créature qui doive être éduqué. Par éducation, « on entend […] les besoins (alimentation, l’entretien), discipline et l’instruction avec la formation. Sous ce triple rapport l’homme est nourrisson, – élève, – et écolier »[5].

 Partant de là, chez Kant, l’éducation est donc inéluctablement primordiale dans la survie et le développement de l’humanité. En effet, elle constitue un élément fondamental pour la transformation de l’homme en allant du stade d’animalité au stade d’humanité, et donc l’éducation humanise l’homme. Comme quoi, bien évidemment, l’éducation apparaît alors comme un élément constitutif et participatif de la condition humaine tout entière. En réalité, le terme ainsi décliné, notons-le, renvoie à la formation de l’individu en tant que sujet capable de se prendre en charge grâce à sa capacité à raisonner et à ses aptitudes à répondre aux défis de l’existence. Dans ce cas, l’éducation aiderait donc l’Africain à se construire lui-même, à la prise de conscience de soi et à pérenniser la reproduction d’une société démocratique africaine, et donc au développement du continent noir. Que cela ne tienne, semble-t-il, Kant voudrait d’abord que cette prise de conscience et construction  de soi de l’Africain doit tendre vers les dispositions au bien, à la vertu et à la survie de l’humanité. C’est vrai que l’homme doit se cultiver, s’améliorer, et s’il est mauvais, développer en lui-même la moralité : « l’espèce humaine doit peu à peu, par son propre effort, tirer d’elle-même toutes les qualités naturelles de l’humanité »[6]. Mais, à y regarder de près, c’est un chemin difficile. C’est ce qui sous-entend, bien entendu, que l’éduction est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. Lisons Emmanuel Kant pour l’entendre dire :

L’éducation est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. En effet, les lumières dépendent de l’éducation et à son tour l’éducation dépend des lumières. Aussi bien l’éducation ne peut-elle progresser que pas à pas et un concept exact de la structure de l’éducation ne peut être établi que parce qu’une génération lègue ses expériences et ses connaissances à la suivante et que celle-ci y ajoute à son tour quelque chose et les lègue ainsi augmentées à celle qui lui succède. […] Puisque le développement des dispositions naturelles en l’homme ne s’effectue pas spontanément, toute éducation est un art[7].

Une éducation, comme un art, qui pose les fondements d’une gestion économique fluide et une organisation politique africaine de réflexibilité, de lisibilité, d’impartialité, de proximité et donc démocratique. Dans ces conditions, René Dumont ne peut rester indifférent :

La priorité à l’éducation a une valeur économique, car on ne modernise pas un pays sans un minimum généralisé d’éducation et de connaissances. C’est aussi une priorité politique, car toute démocratie vraie requiert une masse éduquée plus intelligemment que jusqu’ici[8].

 A ces propos, nous comprenons logiquement la double valeur que l’éducation doit promouvoir dans la société africaine, c’est-à-dire elle doit d’abord être considérée comme un levier économique et puis comme un substrat pour une organisation politique tendant dans la perspective d’un État de droit. N’est-ce pas là une forme de substantialisation de l’éducation dans le développement de l’Afrique subsaharienne ? L’Afrique subsaharienne, à notre humble avis, ne devrait-elle pas éduquer et former les hommes compétents susceptibles de conduire le continent dans la voie du développement ? En quoi l’éducation nous aiderait-elle dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne aujourd’hui ? Quelles solutions peut-on trouver au moyen de l’éducation afin que le continent africain sorte de son statu quo politique ? 

L’éducation, un facteur pour amorcer la démocratie africaine ?

La démocratie rime avec l’éducation. Elle promeut que le corps politique tout entier doit accéder à l’éducation afin de comprendre non seulement la nature de ses principes, mais également ses enjeux dans l’organisation politique optimale. Donc, il ne s’agit pas d’une éducation comme privilège d’une certaine classe, mais une éducation de tous et majoritaire. Pourquoi ? C’est pour éviter la domination d’une classe sur une autre. Car, l’ignorance conduit nécessairement et inéluctablement au chemin de la domination et à la fracture de la société. René Dumont l’affirme ainsi :

En démocratie, il n’est plus permis que l’éducation reste comme elle l’est encore dans la majorité de l’Afrique, un privilège de classe – la classe de ceux qui ont un large accès au savoir et ceux qui peuvent autant mieux s’en servir pour dominer les autres que ceux-ci restent plus ignorants[9].

 En effet, la forme des esprits n’est concevable que si notre style d’éducation lui-même se réforme, se dynamise et donc devient source de développement. L’éducation constitue, à notre sens, un moyen efficace pour porter et comprendre l’urgence des pays de l’Afrique subsaharienne de promouvoir les valeurs démocratiques telles que liberté, justice et égalité. Elle est ici, semble-t-il, un levier indispensable pour construire un nouvel homme : l’homme africain conscient de sa condition, de ses enjeux relationnels au monde et de son développement. C’est pourquoi, d’ailleurs, nous parlons d’une éducation pour l’Afrique. En principe, c’est une éducation pour le présent africain qui doit se préoccuper de l’avenir et entend susciter et véhiculer les connaissances dont les effets sont des conduites et valeurs vertueuses susceptibles de raviver le sens profond de la vie démocratique en Afrique subsaharienne. Partant de là, à travers l’éducation, l’Afrique subsaharienne pourra viser la transformation, le développement et le bien-être de ses populations. Comme pour dire, l’éducation est un facteur primordial pour comprendre la nécessité de la démocratie dans la structuration de la vie politique. Ce qui garantirait une sorte d’égalité pour tout le corps politique, et donc concourait à l’intérêt général :

La montée en puissance des démocraties a besoin de s’appuyer sur une montée en puissance de l’éducation qui puisse guérir les démocraties libérales et délibératives de leur volonté de puissance logocentrique en forgent une faculté de juger démocratique qui soit à l’œuvre chez tous les partenaires sociaux[10].

 Mais malheureusement, les acteurs politiques africains semblent oublier la nécessité de l’éducation aux valeurs et aux principes de la démocratie dans la gestion étatique. Voilà, ultimement, en quoi le déficit d’éducation est, à notre sens, l’un des blocages du processus de démocratisation, du développement économique et social des sociétés africaines postmodernes. Justement, « est-il possible de réaliser les principes démocratiques dans les formes des peuples et des États tant qu’il existe un défi d’éducation ? Plus simplement, jusqu’où peut aller l’expérimentation démocratique dans la société faiblement éduquée ? »[11]. Au lieu d’accorder des budgets conséquents à l’éducation, les dirigeants africains préfèrent plutôt dépenser dans la militarisation, les voyages, les maisons et les voiture de luxe. René Dumont n’en pense pas moins : « On pourra, on devra accorder à l’éducation une plus large part du budget, aux dépens des crédits militaires, des bâtiments trop couteux, des autoroutes, des 3 V (voiture, villas, voyages) des riches »[12].

  A cet effet, les dirigeants africains ont du mal à trouver les mécanismes idoines pour mettre l’éducation à contribution du processus de démocratisation des États africains. Ils oublient que l’effectivité démocratique a besoin naturellement d’une éducation forte et dynamique. Mais ce qui importe pour eux, c’est d’orienter la démocratie dans le sens de la sphère privée. Comme pour dire, ils mettent en avant une sorte de gouvernance opaque qui accentue les inégalités sociales, suscite les conflits d’intérêts d’ordre individualiste et donc exclut toute forme d’organisation politique professant l’État de droit. D’après Pierre Nzinzi, « En Afrique, il est courant que le jeu démocratique se transforme en machine de guerre dramatique, au point que là où des élections libres et transparentes sont censées promouvoir la cohésion sociale et le respect de l’État de droit, au final, c’est paradoxalement la force des armes qui prend la place de la force du droit »[13]. En réalité, ces États africains ne prennent pas en compte les principes de la démocratie faute d’une éducation aux valeurs de l’État de droit dont laquelle devrait exister les valeurs démocratiques.

 Ceci dit, les pays africains ont adopté le régime démocratique sans au préalable aller à son école. Comment alors comprendre les enjeux des principes démocratiques ?  Même si à première vue, naturellement parlant, les africains sont des hommes politiques de naissance. Mais pour ce qui concerne la bonne gouvernance, ils deviennent plus illusionnistes que réalistes. Pourquoi ?  Parce que la politique est une science et un art et amour du prochain. Justement, il manque à l’organisation politique africaine une bonne éducation aux valeurs et aux principes de la démocratie, et au respect de la vie humaine. Car, l’acquisition de ces valeurs permet, à notre humble avis, aux hommes politiques africains d’avoir une dimension humaniste élevée pour le triomphe de la démocratie dans les États.

 La vertu et le corps politique africain

  C’est dans l’acquisition des connaissances et des valeurs vertueuses nécessaires que les hommes politiques africains pourraient devenir de bons dirigeants, en prenant en compte la volonté tout entière du peuple.  Mais qu’est-ce que la vertu ? « Par vertu, il faut entendre, ici, un attribut de la conduite humaine fondée simultanément sur la propension marginale à viser rationnellement des fins communes et sur la propension marginale à agir efficacement en vue de ces fins »[14]. De cette approche définitionnelle, il convient donc de comprendre que les deux sens de ce vocable sont consubstantiels, dans la mesure où ils tendent à rendre l’homme africain meilleur. C’est-à-dire, le fait d’éduquer notre âme à l’idée du Bien de telle sorte que chaque homme soit effectivement capable de poser un acte selon le bien, d’agir selon les lois morales et de penser le bien commun. C’est pourquoi, naturellement, « est dit vertueux, tout individu qui fait ou s’efforce de faire coïncider son agir avec des fins, personnelles et collectives »[15].

  Tout compte fait, le respect de la vie humaine sans doute est au centre de l’État de droit, et par conséquent, il doit prévaloir « tout agir politique, économique et social, et le règne du droit face à l’irresponsabilité citoyenne »[16]. Toutefois, ces vertus nécessaires sont loin d’être des valeurs des dirigeants africains. Effectivement, c’est la question de la valeur morale des hommes politiques africains qui est soulevée ici. Pour dire les choses autrement, la condition indéniable selon laquelle les autorités politiques à la tête des États africains doivent être vertueuses, afin que la souveraineté du peuple soit inviolable, indivisible et imprescriptible.

 De ce fait, l’exigence démocratique dans les États africains ne peut être pratique ou mieux encore réalisable qu’à ce prix. Par ailleurs, si le Souverain fait piètre de figure du Prince vertueux, alors il se transforme immédiatement en despote et le dialogue dans ces conditions resterait absent entre le peuple et lui. En fait, il faut savoir que la notion de vertu incarne les préceptes d’humilité, de tolérance, de dialogue et de paix. Le souci ici est de comprendre que l’homme politique africain et les citoyens doivent être tous vertueux pour la bonne marche de l’État, et donc le triomphe de la démocratie dans les  pays africains. Rousseau l’a compris lorsqu’il affirme : « sans vertu, les hommes vivent dans l’insécurité soumis à la pression des mœurs, qui président à toute éducation »[17]. Explicitement dit, la vertu doit être au cœur de la vie politique africaine postmoderne afin non seulement de proposer une éducation aux valeurs démocratiques, au respect de la dignité humaine au plus haut niveau de l’État, mais également d’éviter la démagogie, les préjugés, les sophismes politiques.

  En outre, il faut insister du fait que l’autorité politique et les citoyens qui composent les sociétés africaines postmodernes se doivent tous de réaliser dans leur for intérieur la vertu, afin d’établir une souveraineté indéniable. Dès cet instant, il importe pour eux d’exercer une rigueur quant à leur mode de vie en comprenant le sens de la responsabilité que le vivre ensemble implique. A cet égard, l’homme politique raisonnable qui cherche l’établissement d’une société africaine démocratique, nous semble-t-il, doit fuir un état d’insécurité pour chercher perpétuellement le dialogue qui est l’un des éléments constitutifs d’une vie démocratique. Pour ce faire, plus l’Africain, chacun à son niveau, aura à développer l’usage de sa raison dans le sens de l’intérêt général, plus il voudra construire une société dont les membres seraient plus libres dans une société égale et prospère. C’est-à-dire, comme l’aurait souhaité Ebénézer Njoh Mouelle[18], mettre en évidence les valeurs humanistes et déterminantes telles que la liberté et la rationalité. Plus nous serons raisonnables et libres, plus nous avons les chances de savoir ce qui est bon et avantageux pour soi et pour les autres. En effet, l’homme africain raisonnable et libre a la possibilité de faire le choix idéal qu’un homme aliéné, dans l’exacte mesure où la raison suppose la distinction du bien du mal et du vrai du faux. Voilà pourquoi, dans les sociétés africaines, les hommes se doivent de rechercher l’exigence d’une vie démocratique pour le bien commun et la conservation de leur être, en mettant en avant les principes démocratiques et les vertus nécessaires pour le développement économique et social du continent africain. 

 En principe, cet article nous amène à réaliser que chaque Africain pour la promotion d’une société démocratique, a la responsabilité de contribuer, de près ou de loin, au bon fonctionnement étatique. De ce fait, nous invitons l’ensemble de la communauté politique africaine à mettre en pratique l’idée du principe de l’éducation à la vertu, afin que soit établie une dynamique démocratique pour développer l’Afrique subsaharienne. Et celle-ci serait le fondement de toute harmonisation de la vie en société. Alors, dans la pratique de la vertu, chaque Africain à la possibilité de comprendre l’harmonie et la saisie de son être ontologique. De fait, l’existence est une action vertueuse de la liberté appelée à faire des choix décisifs : c’est la condition humaine, sa tâche authentique d’être humain, un humain vertueux et responsable vis-à-vis de lui-même et de ses engagements à l’égard de la société dans laquelle il vit. Nous sommes ici, finalement, dans une dimension ontologico-politique du sujet.  

  Somme toute, cette dimension nouménale du sujet ne se comprend que dans la vertu de la prise de conscience de soi de l’homme africain. En effet, la prise de conscience de soi englobe la possibilité et la capacité d’éveiller et de conscientiser l’Africain. C’est pour qu’il prenne ses responsabilités au niveau politique, économique et socioculturel. Ainsi, le fil d’Ariane et le socle ontologique de l’Africain postmoderne se trouve dans le penser de la vertu, et donc dans l’acte d’éduquer. Au final, la vertu doit être l’apanage de la communauté politique pour une démocratique effective et plausible de l’Afrique subsaharienne.

L’Africain libre, conscient et actif : Résurgence d’un discours panafricain iconoclaste

Il est question ici de montrer comment réveiller la conscience de soi de l’Africain et l’incorporer urgemment un discours iconoclaste pour un renouveau politique. A cet égard, c’est le texte de Gilbert Zuè-Nguéma, Africanités hégéliennes. Alerte à une nouvelle marginalisation de l’Afrique (2006), qui nous servira de support pour développer et structurer notre analyse. Ceci dit, il est temps que les Africains ne pleurnichent plus, ne s’agenouillent plus devant les Occidentaux. En effet, la marginalisation de l’Afrique doit maintenant interpeler les Africains de façon consciencieuse afin qu’ils assument leurs responsabilités. Loin de se faire hanter, comme nous le faisons, par la nostalgie des temps esclavagistes, colonialistes, néocolonialistes et impérialistes, les Africains doivent prendre conscience de la profondeur de leur potentiel, se réveiller dynamiquement et affronter tête haute leurs propres réalités et les défis mondiaux. En principe, personne ne peut penser l’Afrique  subsaharienne que les Africains eux-mêmes, et donc d’aucuns ne peuvent penser à la place des Africains.

  Pour ce faire, les Africains doivent incarner une posture politique droite, responsable et révolutionnaire. Cela passe par la prise de conscience de soi de l’homme africain, donc la nécessité d’une philosophie africaine du sujet garant d’une humanité libre, consciente et active. C’est la tâche même qui doit animer et caractériser aujourd’hui tout Africain libre et rationnel qui veut le changement de paradigme dans l’organisation politique. Lisons Gilbert Zuè-Nguéma pour l’entendre dire : « La principale tâche qui incombe au philosophe africain actuel c’est de penser la modernité de l’Afrique à l’heure de la mondialisation économique et du libéralisme triomphant. Cela revient à penser en priorité l’individu africain en tant que sujet, c’est-à-dire en tant qu’être humain libre et actif »[19]. Pour raison, c’est pour sortir du schéma pessimiste et fataliste que l’homme africain n’ait jamais cessé d’afficher face aux défis mondiaux. Le temps est maintenant pour l’homme africain d’assumer sa condition humainement libre, consciente et active. C’est sa véritable réalité existentielle, qu’il le veuille ou non.  Gilbert Zuè-Nguéma le note avec pertinence que «  c’est le défi qu’il est contraint de relever d’urgence parce que les populations africaines sont acculées au désespoir par la mondialisation économique actuelle »[20].

Ce que l’Africain ignore, nous semble-t-il, c’est que se lamenter sur son passé si dramatique qu’inhumain constitue un labyrinthe au décollage économique et politique alors que ce passé doit être un levier pour booster son développement et celui de son milieu.  Aujourd’hui, il s’agit de comprendre qu’il est possible qu’il se prenne non seulement en charge, mais également de savoir que « les mêmes problèmes qui préoccupent l’Europe, l’Amérique ou l’Asie se posent avec la même acuité en Afrique »[21]. C’est l’entrée de l’homme africain dans une nouvelle ère, celle de la prise de conscience de soi et de sa condition existentielle réelle. Voilà, ultimement, en quoi la restructuration de la formation de l’individu africain apparaît donc salvatrice et énonciatrice du renouveau politique en Afrique subsaharienne. Parce que l’éducation, voire la formation de l’Africain, permet effectivement non seulement de poser de nouvelles bases de la construction de soi, mais aussi de faire face aux défis mondiaux, à la mondialisation et au libéralisme. Pour ainsi dire, la formation de l’individu africain constitue à la fois un défi économique, politique et social.

  A cet égard, pour ostraciser ou occulter l’éternelle problématisation du sous-développement en Afrique subsaharienne, il faut promouvoir une éducation de qualité en tant que « vectrice des valeurs des libertés, du respect de nos différences, promotrice des droits de l’homme et de la vie, de l’égalité pour tous »[22], note pertinemment Léon Matangila. L’Afrique devrait ainsi former son peuple, l’initier à la possibilité et à la capacité de se prendre en charge afin de répondre aux attentes internes et s’affirmer sur la scène internationale. C’est la construction de l’homme africain responsable et compétitif, avec des têtes bien faites et non seulement bien pleines[23]. Il s’agit ici de promouvoir l’Africain qui cultive le goût de l’effort, apte à résoudre les problèmes de la société et à répondre aux problématiques actuelles et  avenir. Mais aussi et surtout, bien évidemment, l’Africain responsable, prompt au jugement et à la critique.

Dans cette perspective, la formation de l’homme africain doit mettre en exergue l’accent sur la prise de conscience de soi et collective, les valeurs démocratiques et les principes recouvrant une gouvernance d’intérêt général des membres du contrat social : « mettre l’accent sur la démocratie, les risques des dérives autoritaires et dictatoriales, l’éveil de la conscience commune et nationale, du sens du bien commun, les principes de la bonne gouvernance »[24]. A l’évidence, il apparaît donc fort probable que la nécessité de la prise de conscience de soi de l’Africain, voire sa formation est une urgence et un impératif pour le développement de la démocratie authentique et efficace en Afrique subsaharienne. Oui, « Il faut penser l’homme africain et le former en conséquence, non en tant que simple individu mais comme sujet, celui qui fonde son action sur sa décision souveraine »[25]. Dans ces conditions, on peut maintenant prévaloir avoir un Africain comme « sujet de droit (propriétaire), sujet moral (conscience), membre d’une famille, d’une corporation professionnelle et d’une classe sociale et enfin … citoyen d’un État rationnellement organisé »[26]. En un mot, c’est l’émergence de l’individu africain actuel et futur que doit viser les États de l’Afrique subsaharienne. Fini l’Africain passif, aliéné et pleurnichant devant la face de la communauté internationale ! Cet homme africain est maintenant capable de dire non aux manipulations politiques et à d’autres formes du nouveau colonialisme occidental. Parce qu’il est dorénavant conscient de sa condition existentielle et du fonctionnement de la sphère politique nationale qu’internationale.

 En outre, la valorisation de la connaissance de soi est donc capitale du renouvellement et de l’effectivité de l’intelligence de l’Africain éveillé. C’est l’incarnation optimale de la maxime socratique « Connais-toi toi-même », qui doit réveiller l’Africain de son sommeil dogmatique. Une connaissance de soi valorisant sa connaissance, son éveil profond et dynamique, et non une simple introspection individuelle et anodine. A cet effet, il revient donc à l’Africain, conscient et formé, de se servir de son entendement pour élargir son champ de vision rationnelle et politique afin de réaliser le développement de l’Afrique subsaharienne. Car : « La connaissance ou seulement l’intuition que les Africains ont d’eux-mêmes peut conduire à une philosophie qui ne se contente pas d’être ou simplement analytique ou simplement descriptive »[27], mais dont l’ambition est  la pensée comme l’être qui se pense soi-même et pense son environnement. Comme pour dire, la valorisation de la connaissance de soi par les Africains eux-mêmes doit viser le rétablissement individuel de l’idéal selon lequel les Africains sont des êtres dotés d’intelligence et de volonté, et donc peuvent construire leur continent. Car : « Par intelligence, ils peuvent discerner le positif et le négatif dans une situation confuse et fonder une action ; par volonté, ils peuvent mettre en œuvre leur sens pratique pour faire valoir leurs choix »[28].

A ces propos, nous avons là une sorte de déterminisme et de réalisme d’une philosophie africaine dynamique montrant que les Africains peuvent et sont capables de penser librement, d’agir efficacement, et d’organiser rationnellement leur environnement politique sans s’aliéner à l’impérialisme occidental. Gilbert Zuè-Nguéma le note avec pertinence que « Tel peut être le premier résultat visé par une philosophie africaine du sujet actif : élever l’intuition de soi des Africains à la connaissance de soi comme des esprits libres, c’est-à-dire comme des êtres qui savent penser et qui sont capables d’agir »[29]. Au final, l’Africain libre, conscient et actif doit être capable de penser l’organisation politique de son continent en prenant en compte ses propres réalités et les réalités extérieures. En effet, il faut manifestement comprendre que :

L’esprit libre, dans la Philosophie de l’esprit, est dans l’objectivité sienne en tant que sujet de droit, sujet moral, membre d’une organisation sociale ou politique. Une philosophie africaine du sujet actif doit, se référant à ce schéma, poser et formaliser la question des rapports des Africains au droit, à la morale et à la politique[30].

  Il convient donc ici de chercher à établir fondamentalement le rapport entre l’individu africain et la société africaine actuelle autour de trois problématiques respectives, à savoir : la question juridique, la question éthique et la question politique, estime Gilbert Zuè-Nguéma. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la question juridique est la mise en évidence du « fondement et la valeur de la loi dans l’Afrique d’aujourd’hui »[31], ensuite la question éthique permet de comprendre « le sens actuel de l’éthique chez les Africains : cela met en jeu leurs cultures populaires et leurs traditions et les soumet en même temps à la nécessité de mettre leurs valeurs traditionnelles en compétition avec les valeurs éthiques du monde présent »[32], et enfin la question politique consiste à saisir « le fondement de l’État dans l’Afrique actuelle et sa pratique des institutions : ce qui confronte la vie politique africaine de l’heure à ce qui se fait ailleurs dans le monde au même moment et dans le même domaine »[33].  En somme, l’esprit libre, conscient et actif de l’individu africain doit sous-tendre une vision du développement en s’adaptant aux réalités nouvelles et en comprenant ses propres situations. C’est justement par ce processus que l’Afrique subsaharienne pourrait répondre présente à une communauté soudée, aux défis mondiaux et à une évolution sans précédent au même titre que d’autres continents. En réalité, Gilbert Zuè-Nguéma le note pertinemment :

Il faut donc se convaincre que les sociétés africaines, au même titre que toutes les autres, sont contraintes d’évoluer, certes non pas au même rythme qu’elles mais un peu plus vite que d’habitude. Si cette nécessaire évolution s’amorce, se confirme et s’accélère quelque peu, il faudrait alors à l’homme d’action africain d’assumer conjointement les traditions locales et les exigences mondiales[34].

  C’est pourquoi, manifestement, nous pensons que la formation de l’individu africain libre, conscient et actif s’impose inéluctablement comme une urgence et nécessité de l’action politique africaine contemporaine dynamique.

Conclusion : L’optimisme d’un renouveau politique africain

La dégradation de la démocratie en Afrique subsaharienne n’est pas fataliste, ni une situation éternelle. On a l’optimisme que le nouveau paradigme d’une organisation politique africaine rationnelle et professant l’État de droit pourrait être possible. C’est au moyen de l’éducation, comme on l’a vu, que ce renouveau politique africain trouvera son accomplissement. Dans l’exacte mesure où l’éducation est le substrat de la démocratie. Pourquoi ? Parce que, à notre sens, toute démocratie requiert une éducation fondamentale des membres du corps politique ou du contrat social aux valeurs cléricales, aux principes organisationnels étatiques et aux valeurs morales. Dans ce cas, il faut être allé à l’école de la démocratie pour connaître son fonctionnement, apprendre à connaître réellement et profondément la finalité de la liberté et de la rationalité, et acquérir la vertu pour comprendre la primauté de sacraliser la vie humaine. C’est pourquoi, bien évidemment, nous pensons que ceux qui sont censés diriger l’État en Afrique doivent développer les dispositions naturelles au bien. Parce que la Nature les a mises en eux toutes inachevées, incomplètes, esquissées et donc ce sont des dispositions sans la marque distinctive de la moralité. Or, les dirigeants africains ont ostracisé ces dispositions naturelles et l’éducation en professant l’inclination devant l’injuste devenu maître du monde.

  A l’évidence, pour une organisation politique optimale visant l’État de droit, le dirigeant africain doit d’abord s’améliorer lui-même, se cultiver lui-même, et s’il pense qu’il peut mal diriger ou faire abstraction au bien commun, il doit s’efforcer à développer en lui-même la moralité. Voici, nous semble-t-il, le sacerdoce que doit prévaloir tout leader politique africain. Car, l’éducation un facteur salvateur et transformateur de l’homme. Mais le problème, bien sûr, c’est que ce ne pas chose aisée ni donnée d’emblée. Kant n’en pense pas moins :

L’éducation est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. En effet, les lumières dépendent de l’éducation et à son tour l’éducation dépend des lumières. Aussi bien l’éducation ne peut-elle progresser que pas à pas et un concept exact de la structure de l’éducation ne peut être établi que parce qu’une génération lègue ses expériences et ses connaissances à la suivante et que celle-ci y ajoute à son tour quelque chose et les lègue ainsi augmentées à celle qui lui succède. […] Puisque le développement des dispositions naturelles en l’homme ne s’effectue pas spontanément, toute éducation est un art[35].

  Dès lors, on peut donc manifestement prétendre que l’éducation est un moyen efficace qui empêcherait que les dirigeants africains soient détournés de leur bonne nature en soi, du progrès de l’humanité et de l’affirmation de l’État de droit en Afrique subsaharienne, par la prédominance de leurs passions et de la primauté des intérêts individualistes. In fine, si pour Kant, « C’est d’une bonne éducation que naît tout le bien dans le monde ». Alors, nous le pensons, sans cette bonne éducation aux sphères de la gouvernementalité en Afrique subsaharienne, semble-t-il, la démocratie et le développement tant entendus resteraient une chimère. Ainsi, ce n’est que par l’éducation que chaque Africain comprendra sa véritable nature supposée incarner les capacités d’esprit, d’entendement, et la dimension réelle de la liberté.

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[1] Jacqueline Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Éditions Bordas, 1991, p. 83.

[2] Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation,  Paris, Éditions Garnier-Flammarion, 1996, p. 36.

[3]Ibid., p. 37.

[4] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, traduction Alexis  Philonenko, Éditions Vrin, 1980, p. 73.

[5] Emmanuel Kant, Réflexions sur l’éducation, traduction Alexis Philonenko, Paris, Éditions Vrin, 1967, p. 69.

[6] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, Op. cit., p. 70.

[7] Ibid., p. 77-80.

[8] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 257.

[9] Ibid., p. 257.

[10] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Op. cit., p. 13.

[11] Pierre Nzinzi, « Éducation et démocratie dans les sociétés postmodernes africaines et européennes », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 9.

[12] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Op. cit., p. 257-258.

[13] Pierre Nzinzi, Op. cit., p. 8-9.

[14] Jean-Rodrigue-Elisée Eyené Mba, « L’éducation à l’exercice de la souveraineté et aux valeurs de l’État de droit comme fondement de la nouvelle rationalité économique en Afrique postmoderne », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014,  p. 119. 

[15] Ibid., p. 120.

[16] Ibid., p. 119.

[17] Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., p. 19.

[18] Lire à ce sujet, Ebénézer John Mouelle, De la médiocrité à l’excellence, Yaoundé, Éditions CLE, 1972.

[19] Gilbert Zuè-Nguéma, Africanités hégéliennes. Alerte à une nouvelle marginalisation de l’Afrique, Paris, Éditions L’Harmattan, 2006, p. 222.

[20] Ibid., p. 222.

[21] Ibid., p. 222-223.

[22] [22] Léon Matangila, « L’éducation à l’interculturalité, condition pour l’essor des démocraties en Afrique », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 168.

[23] Ibid., 169.

[24] Ibid., 171.

[25] Gilbert Zuè-Nguéma, Op. cit., p. 223.

[26] Ibid., p. 224.

[27] Ibid., p. 226.

[28] Ibid., p. 226-227.

[29] Ibid., p. 227.

[30] Ibid., p. 227.

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Ibid., p. 232.

[35] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, Op. cit p. 77-80.

L’européanisation des levées de fonds en crowdfunding doit interpeller l’Afrique

Par Jean-Yves Régis Naka, cadre financier basé en Côte d’Ivoire, auteur de l’ouvrage « Le financement participatif : enjeux de développement pour l’Afrique« 2022, l’Harmattan.

Pensant avoir tourné le dos à la crise sanitaire, le continent africain subit à nouveau un ralentissement dans sa marche vers le développement, en raison du conflit russo-ukrainien. En effet, depuis quelques mois, les Africains assistent impuissants à la flambée du coût de la vie. Dans cette tourmente, l’ironie de l’histoire est que ce n’est que maintenant que certains comprennent mieux l’importance de l’autosuffisance alimentaire. Il faut dire que la crise inflationniste qui sévit actuellement en Afrique vient accentuer déjà une situation fragilisée par la crise du COVID-19 et marquée par la hausse de la pauvreté, de la menace terroriste et des impacts liés aux changements climatiques.

Toutefois, si l’on fait l’effort d’examiner la situation ne serait-ce qu’avec un brin d’optimisme, les inquiétudes s’atténuent devant le constat suivant : les crises économiques font partie intégrante des cycles auxquelles nos économies sont confrontées et elles finissent par passer. De plus, chacune d’entre elles ouvre de nouvelles opportunités. A titre d’exemple, c’est la crise financière de 2008 qui a propulsé l’industrie du financement participatif ou crowdfunding (en anglais). Dans un contexte de raréfaction du crédit et d’émergence des réseaux sociaux, a émergé le besoin de repenser la finance et le fruit de ce travail à favoriser la mise en service de plateformes dédiées à des levées de fonds en peer-to-peer, c’est-à-dire des lieux d’échanges en ligne où des internautes peuvent financer directement un projet ou une cause partagée par d’autres internautes.

A l’heure où il est question d’imaginer l’Afrique de demain, il est important d’actualiser la stratégie de déploiement des projets phares de l’Agenda 2063 (Agenda de l’Union Africaine) et d’œuvrer davantage afin que les plateformes de financement participatif du continent puissent pleinement jouer leur rôle en tant qu’outil formalisé de financement du développement.

En Afrique subsaharienne, l’intérêt est de plus en plus croissant pour le financement participatif. Mais, bien que l’évolution des levées de fonds ait connu une hausse spectaculaire de près de 481 % en 3 ans (2018-2020), les fonds collectés au niveau local restent faibles. Sur un marché estimé à 1,2 milliards de dollars en 2020, seulement 3% de ces fonds levés sont effectués sur des plateformes locales.

A ce jour, plusieurs obstacles tels que l’absence de réglementation sont pointés comme étant responsables de cette situation. Le dernier rapport (2022) de McKinsey sur l’état de l’adoption du digital en Afrique relève à ce titre que « naviguer dans un environnement réglementaire incertain » n’est pas favorable au succès des fintechs. Par conséquent, il est impérieux de trouver des solutions à ces blocages visant à accroître la mobilisation de capitaux locaux et l’expérience acquise en la matière sur d’autres marchés qui peuvent servir de boussole.

Cet article vise à présenter les innovations du marché européen du financement participatif et à monter comment l’Afrique pourrait s’en inspirer pour accélérer son développement.

Le marché du financement participatif en Europe

Au fil du temps, l’Europe a réussi à créer le plus grand espace économique du monde sans frontière, avec près de 500 millions de citoyens. Sur ce marché unique, le crowdfunding connaît un succès indéniable. Il faut savoir que le financement participatif consiste à mettre en relation au moyen d’une plateforme technologique, des porteurs de projets cherchant du financement et des investisseurs/contributeurs disposés à apporter des fonds pour leur réalisation.

Aujourd’hui, cette pratique est devenue courante dans plusieurs secteurs, notamment les énergies renouvelables et l’immobilier dans l’ensemble des vingt-sept (27) Etats membres de l’Union européenne (UE) ainsi que trois (3) Etats membres de l’Espace économique européen à savoir, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.

Au cours des dix (10) dernières années, les plateformes de crowdfunding ont connu une croissance significative en Europe. En effet, leur nombre est passé de 200 plateformes en 2012 à près de 800 aujourd’hui[1][2]. Cette évolution spectaculaire se note également en termes de levées de fonds. Selon les statistiques du Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), le volume du marché européen de la finance alternative (y compris le Royaume-Uni) a connu une évolution importante de 2013 à 2020, passant de 1,5 milliard de dollars en 2013 à 22,6 milliards de dollars en 2020[3].

Si le marché progresse bien en Europe, c’est d’abord parce que le grand public y adhère massivement et que d’importantes mesures d’accompagnement aient été prises par les pouvoirs publiques. Il faut aussi dire que dans cette partie du monde, les citoyens éprouvent de plus en plus un besoin de contribuer positivement à l’économie proximité[4]. Les plateformes jouent simplement leur partition et parmi les trois grandes formes de financement participatif proposées qui sont le prêt, le don et le capital (equity), la plus populaire est le prêt (crowdlending) qui représente 85 % du volume total des fonds levés.

L’envolée du crowdfunding en Europe n’est pas prête de s’arrêter de sitôt. Selon des estimations, le marché européen devrait enregistrer un taux de croissance annuel moyen de 6,30 % jusqu’en 2027 grâce aux efforts des opérateurs pour attirer davantage de jeunes ainsi qu’au développement de l’économie de proximité[5].

La règlementation européenne

En raison de la nature des activités, le financement participatif est soumis à la réglementation bancaire et financière. Un encadrement juridique spécifique a donc été nécessaire pour accélérer le développement du marché.

En 2012, les Etats-Unis ont donné le ton avec l’adoption du JOBS Act et les pays européen ont suivi par la suite. Par exemple, en 2014, la France a introduit deux régimes pour réguler les activités en prêts et en capital à savoir, les statuts de conseiller en investissements participatifs (CIP) et d’intermédiaire en financement participatif (IFP).

Toutefois, du fait des différences observées aux niveaux des cadres nationaux, un nouveau défi est apparu rapidement : celui d’étendre dans la commercialisation des opportunités d’investissement aux investisseurs en dehors des pays de résidence.

Il fait état que les États européens dont les marchés de capitaux nationaux sont plus petits (c’est-à-dire les pays baltes, l’Europe de l’Est, les Balkans) sont plus dépendants des flux transfrontaliers que les marchés dont les marchés de capitaux nationaux sont importants (c’est-à-dire la France, l’Allemagne…)[6].

Pour donner ainsi l’opportunité aux opérateurs de plateformes d’exploiter pleinement le potentiel du marché unique, l’UE a mis en application le 10 novembre 2021 son cadre réglementaire dénommé European Crowdfunding Service Provider Regulation (ECSPR) (règlement UE 2020/1053). En établissant un ensemble harmonisé de lignes directrices, le nouveau règlement crée des conditions de concurrence égales pour les plateformes de crowdfunding dans l’UE.

Le dynamisme des associations professionnelles

Au-delà des aspects juridiques et des opportunités de marché, l’industrie européenne du crowdfunding doit également sa percée à la vitalité des associations et réseaux professionnels engagés à ses côtés.

La capacité d’un opérateur à organiser une levée de fonds pour le financement d’une activité en soi ne sert pas l’économie. Cela représente certes une avancée technologique appréciable en termes de modernisation des outils de collecte de l’épargne, mais sans utilisateurs, la plateforme n’a pas de valeur. Ce sont à la fois les porteurs de projets et les soutiens (investisseurs et contributeurs) qui créent de la valeur.

Il est donc essentiel de susciter de l’intérêt pour les plateformes et ceci constitue l’une des missions principales des associations. Elles jouent un rôle important dans la promotion du concept crowdfunding dans sa globalité. Ensuite, en fonction de ses besoins et orientations, le citoyen éclairé se redirigera vers la plateforme qui lui parait la plus appropriée.

Les associations contribuent aussi au développement des compétences des acteurs du secteur à travers l’organisation d’ateliers et de forums pour échanger sur les bonnes pratiques. Quasiment dans chaque pays, des associations dédiées à la finance participative ont vu le jour et constituent ainsi des groupes de pression pour la défense des intérêts des plateformes face aux pouvoirs publics en particulier les régulateurs pour faire progresser la filière. C’est le cas de Bundesverband Crowdfunding eV, en Allemagne, de Spain Crowdfunding en Espagne, de Associazione Italiana Equity Crowdfunding en Italie, etc.

S’il est vrai que les plateformes de financement participatif accompagnent les initiatives publiques et privées d’une manière admirable, il est néanmoins important d’en connaître l’impact pour mieux apprécier leur plus-value. La mesure du poids économique des acteurs est de ce fait une tâche importante que se sont assignées certaines associations.

Prenons le cas de la France avec son association Financement Participatif France (FPF). Il est fait état qu’en 2022 le pays a enregistré un record dans les collectes de fonds en crowdfunding, avec plus de 2,3 milliards d’euros levés pour plus de 120.000 projets financés. Depuis 2015, le financement participatif global dans ce pays a été́ multiplié par 14 pour un total cumulé de 7 milliards d’euros[7]. Si on est bien d’accord que ces chiffres permettent de relever l’importance de l’industrie dans la vie sociale et économique du pays, il ne faut pas ignorer que c’est l’œuvre de l’association française et de son partenaire Mazars. Depuis 2013, Financement Participatif France fournit des données statistiques en rapport avec l’évolution du secteur au niveau local, à travers la publication d’un baromètre.

Au niveau européen, le continent compte un réseau professionnel puissant l’European Crowdfunding Network (ECN) qui est également impliqué dans plusieurs projets financés par l’UE visant à sensibiliser et à développer l’utilisation du crowdfunding. Ceci traduit assurément la profondeur de l’intégration régionale en Europe et le niveau de maturité du marché du financement participatif sur ce continent, où l’ensemble de l’écosystème a compris que le développement de l’intérêt collectif permettra à terme d’accroître les performances individuelles.

L’Afrique compte à ce jour quelques associations régionales dont la plus importante est l’African Crowdfunding Association (ACfA). D’importants efforts sont encore nécessaires pour susciter davantage l’appui politique et l’engagement citoyen.

La révolution digitale en Afrique

Dans Le Digital Au Secours de l’Afrique, l’ingénieur béninois Sophonie Koboude appréhende l’évolution du monde à partir du 18ème siècle, sous l’angle des révolutions industrielles. Cette approche permet de tirer deux enseignements essentiels : « Le premier grand enseignement est que l’émergence d’un nouveau système technique, bien qu’en ne supprimant pas les symboles techniques du système technique précédent, change les genres de vie à travers des transitions radicales dans la façon de produire, de consommer, d’organiser les entreprises et le système productif. Le deuxième enseignement est en effet un corollaire du premier. Le déploiement d’un nouveau système technique modifie l’ordre des puissances économiques ou, a minima, le poids relatif des économies[8]». A présent, nous vivons dans l’ère de la révolution digitale et c’est une aubaine pour le continent à condition, selon l’auteur, d’avoir un cap qui définit clairement l’horizon africain digital et s’inscrit dans le monde que fait émerger l’informatisation.

Il n’est pas difficile de se rendre compte du pouvoir du digital en Afrique. On assiste depuis plusieurs années, avec le concours d’acteurs locaux, à différents sauts numériques « leapfrogs » qui ont transformé le continent dans tous les secteurs.

Dans la finance digitale, le crowdfunding a encore beaucoup de place pour son expansion quand on sait bien que la question de financement demeure un véritable défi pour les microentreprises et les petites et moyennes entreprises (PME). Même dans les économies avancées, le déficit de financement des entreprises est bien plus élevé que l’on pense.

Selon une enquête de la Commission européenne, une PME européenne sur quatre (1/4) rencontre des difficultés pour obtenir un prêt auprès des institutions bancaires[9]. Les plateformes exploitent ainsi cette faiblesse du système financier pour se développer. A cet effet, d’après le CCAF, les plateformes de crowdfunding en Europe, hors Royaume-Uni, ont levé 4,3 milliards de dollars pour les entreprises en 2019 et 5,2 milliards de dollars en 2020. Les volumes de financement axés sur les PME ont augmenté régulièrement au cours des dernières années, le financement des entreprises représentant 35 % du volume total en 2019 et 52 % du volume total en 2020[10].

L’Afrique gagnerait beaucoup à continuer à miser sur le digital en intégrant dans son dispositif les plateformes de crowdfunding pour formaliser la générosité de ses populations, qui le sait-on est légendaire, en vue de soutenir la transformation économique.

L’avènement de la ZLECAF

La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est devenue le maître mot en Afrique aujourd’hui. Pendant que certains acteurs y voient des possibilités d’expansion de leurs activités grâce à cette ouverture sur l’ensemble des pays du continent, d’autres voient un chemin pour exister, tout court.

Cependant, au-delà de l’effet de mode, il y a une réelle volonté des décideurs politiques de transformer l’Afrique en puissance mondiale de l’avenir et cet esprit se retrouve dans la vision panafricaine partagée, à savoir : « Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène mondiale ».

La ZLECAf est une des initiatives clés, identifiées par l’Union Africaine comme essentielle pour accélérer la croissance économique et le développement de l’Afrique, ainsi que pour promouvoir l’identité commune. Sa réalisation sera une grande réussite pour le continent mais également elle va faciliter celle d’autres projets qui englobent, entre autres, les infrastructures, l’éducation, la science, la technologie, les arts et la culture, ainsi que des initiatives visant à garantir la paix en Afrique.

La zone représente aussi une opportunité pour stimuler le marché africain du crowdfunding au regard des expériences observées dans d’autres endroits du monde en terme déploiement de grands projets. En 2019, l’Union européenne a décidé à travers son Pacte vert pour l’Europe d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. L’idée est d’arriver à un équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption du carbone dans l’atmosphère par les puits de carbone. Fait important, pour atteindre cet objectif, le financement participatif a été identifié comme un axe complémentaire pour mobiliser des ressources mais aussi pour susciter la participation du grand public. Selon des acteurs locaux : «si les citoyens sont associés au développement des énergies renouvelables par le biais d’un financement participatif, ils accepteront plus facilement les infrastructures d’énergie renouvelable dans leur région et auront l’impression d’être véritablement partie prenante[11]». Il y a de nombreuses illustrations de la contribution des plateformes au développement des énergie vertes et la centrale solaire de Torreilles située dans le sud de la France en est un exemple. La construction de cette centrale d’une capacité de 9.6MW a nécessité l’apport de 800.000 euros, collectés sous forme de prêt participatif à un taux annuel de 5% pour une durée de trois ans à travers deux plateformes européennes Lumo (France) et Oneplanetcrowd (Pays-Bas). Grâce à l’appui de 480 investisseurs, 5.200 foyers ont eu accès à une source d’énergie renouvelable.

Pourquoi l’Afrique ne pourrait-elle pas elle aussi solliciter le concours de ses plateformes de crowdfunding dans la réalisation de ses grands projets ? Même dans le cas de la ZLECAf, les plateformes pourraient être mises à contribution pour stimuler les échanges commerciaux intra-africains en facilitant l’accès aux start-ups. C’est assurément de ce type d’interventions que le juriste camerounais Beauclair Njoya Nkamga appelle de tous ses vœux quand il fait allusion au renforcement de l’élan de la ZLECAf dans son ouvrage Présentation et procédures en Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Il y souligne, en même temps, l’importance de simplifier le narratif autour de ce concept continental et d’en faire une bonne vulgarisation pour faciliter son appropriation par les populations et acteurs économiques privés, institutionnels et consulaires[12].

Les priorités africaines

L’adoption d’une réglementation européenne pour le crowdfunding va sans conteste dynamiser le marché et accroître la capacité d’impact des plateformes sur l’économie réelle. Les plateformes africaines, elles aussi, bénéficieraient, grandement d’une reforme de cette envergure pour le continent à long terme. Mais pour l’heure, force est d’admettre que les priorités sont ailleurs.

Le premier défi que doivent relever les plateformes africaines est d’attirer plus massivement les citoyens vers elles. Bien vrai qu’il ait une hausse des fonds mobilisés, le financement participatif est encore nouveau sur le continent et les populations sont peu impliquées dans ces levées de fonds. Il n’y a pas que la méfiance qui justifie cette situation mais, aussi le manque de connaissance.

Le développement des plateformes s’accompagne également d’une variété de spécialisations, ce qui peut entraîner plus de confusion à la fois du côté des porteurs de projets que des investisseurs/contributeurs. Il peut arriver dans certains cas que le champ de spécialisation d’une plateforme s’applique à plusieurs catégories. Prenons le cas du crowdfunding immobilier, par exemple. En fonction de la spécialisation de la plateforme, il peut s’agir d’une opération en equity crowdfunding immobilier ou en prêt participatif immobilier. Dans le premier cas, l’investisseur s’engage dans un projet immobilier en échange d’actions et peut récupérer sa mise à la vente du bien. Dans le second cas, l’internaute prête un des fonds pour la réalisation d’un projet et sera remboursé selon un échéancier prévu dès le départ. En effet, tout ceci ne saurait que complexifier la compréhension pour certains.

Le crowdfunding a le potentiel de croître plus rapidement qu’on ne le pense en Afrique. Il est donc important d’accroître la sensibilisation sur les conditions d’utilisation des plateformes pour susciter une plus grande participation des citoyens africains. Pour démarrer une activité, les porteurs de projets ont l’habitude de recourir à des appels aux dons dans leur entourage, cercles familiaux et amicaux. Mais la limite dans ce schéma, c’est que celui ou celle qui n’a pas un bon réseau au départ n’a pas le droit de rêver.

C’est d’ailleurs ce besoin de contribuer à améliorer l’accès au financement en Afrique qui a motivé la publication de mon ouvrage Le financement participatif: Enjeux de développement pour l’Afrique. De plus, dans cette publication, cinq (5) axes de réflexions ont été partagés pour créer des conditions de marché plus favorable au développement de ce mécanisme. Il s’agit entre autres du renforcement d’initiatives de cofinancements, notamment avec les acteurs institutionnels ; l’accélération la réglementation des plateformes de financement participatif ; la création de communautés financières plus grandes ; le développement des labels de qualité́ ; et la mise en place de programmes de renforcement des capacités pour les porteurs de projets.

Jean-Yves Régis Naka est expert financier, essayiste et co-fondateur de Guanxi-Invest – la première plateforme de financement participatif en Afrique Centrale.

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[1] European Crowdfunding Network, A Framework for European Crowdfunding, October 2012, P. 21

[2] Max Crowdfund, European Crowdfunding Market Outlook 2023, January 24, 2023

[3] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 70

[4] Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE) français, l’économie de proximité se définit d’abord comme un mode d’organisation de l’économie autour de la relation directe : relation des entreprises avec les consommateurs, relations entre entreprises, ancrage dans la vie locale. Son objectif est d’augmenter le bien-être en valorisant le territoire par les acteurs qui l’habitent et pour eux. Elle se définit ensuite par son rapport au développement local.

[5] Mordor IntelligenceIndustry Reports, EUROPE CROWD LENDING AND CROWD INVESTING MARKET – GROWTH, TRENDS, COVID-19 IMPACT, AND FORECASTS (2023 – 2028)

[6] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 85

[7] Baromètre du crowdfunding en France 2022, Mazars – Financement Participatif France

[8] Koboude, Sophonie. 2021. Le digital au secours de l’Afrique. Norderstedt : s.n., 2021. P.31-32

[9] Mordor IntelligenceIndustry Reports, EUROPE CROWD LENDING AND CROWD INVESTING MARKET – GROWTH, TRENDS, COVID-19 IMPACT, AND FORECASTS (2023 – 2028)

[10] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 79

[11] Projet: CrowdFundRES – Le crowdfunding, la solution idéale pour stimuler les projets d’énergie renouvelable – C’est un des projets financés par les programmes‑cadres de l’UE pour la recherche et l’innovation

[12] Beauclair Njoya Nkamga. 2022. Présentation et procédures en Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). P. 20

Sur la lancinante question de la démocratie en Afrique

L’édition 2022 de l’indice de démocratie du groupe de presse britannique The Economist qui a été publiée en février 2023 fait état d’une stagnation démocratique globale au cours d’une année marquée, d’une part, par la guerre en Ukraine et, d’autre part, l’absence de renouveau démocratique suite aux restrictions de libertés liées au COVID-19. Selon l’indice de démocratie 2022, 8 % de la population mondiale dans 24 pays vivent dans une démocratie complète, 37,3 % dans 48 pays dans une démocratie imparfaite, 17,9 % dans 36 pays dans un régime hybride et 36,9 % dans 59 pays dans un régime autoritaire. Concernant l’Afrique, le classement identifie seulement une seule « démocratie complète » – l’île Maurice – et six « démocraties imparfaites ». Dit autrement, étant donné que ledit indice se base, pour l’Afrique, sur un échantillon de cinquante pays, il y a donc quarante trois pays en Afrique qui sont considérés comme des régimes hybrides ou autoritaires. Voilà le fait majeur! Il est euphémique de dire que le portrait du continent africain en matière de « démocratie » brossé par The Economist est peu reluisant. Toute personne n’écoutant pas l’actualité africaine d’une oreille distraite sait que la « démocratie », si obscure et nébuleuse que soit sa définition, est fragile dans le contexte africain. Qu’on se souvienne du fait selon lequel, depuis 2000, onze chefs d’Etat africains ont changé leur Constitution pour rester au pouvoir. Qu’on se souvienne du fait selon lequel, dans une ambiance de « désillusion décromatique », quatre coups d’État se sont succédé, d’août 2020 à janvier 2022, en Afrique francophone : au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso. Donc, que le groupe de presse The Economist dise, à travers son indice, que la « démocratie » va mal en Afrique, voilà une chose qui ne surprend guère. Et, c’est de là que part la raison d’être de cette tribune.

Sans me lancer dans une benoîte entreprise de critique des systèmes d’évaluation de l’état de la démocratie comme celui de The Economist, je veux faire remarquer que ces indices ne mesurent pas les processus démocratiques en eux-mêmes mais leurs aboutissements (libertés politiques, administrations non corrompues, etc.). Les soixante critères regroupés en cinq catégories sur lesquels est fondé l’indice de démocratie mesurent les démocratisations « par le haut » et ignorent complètement les démocratisations « par le bas » soit les processus endogènes construits par les associations, les lanceurs d’alerte, les web activistes, etc. Pour être clair, The Economist fait une « photo » de l’état de la démocratie ; ce qui est fort utile pour les grandes démocraties occidentales mais peu utile pour le contexte africain en raison de ce que l’Afrique est en démocratisation. Les gens de science comprendront que je fais valoir ici le couple statique/dynamique. Une vision statique est peu informatrice. C’est la dynamique du processus de démocratisation africaine qu’il faut chercher à comprendre. Car, un État parvient à un régime démocratique durable si et seulement si cet état de choses résulte des contradictions internes du corps social. Pour saisir cela, remontons à la naissance de la démocratie dans la Grèce antique.

L’on sait, grâce à Arnold Toynbee, qu’à la fin du VIII siècle av. J.-C, il y a eu un problème de surpopulation (excès de population par rapport aux moyens de subsistance) dans plusieurs cités-États grecques. Face à cette crise, les différents cités-États ont réagi différemment.  Certains comme Chalcis et Corinthe ont employé leur surplus de population à coloniser des terres cultivables au-delà des mers – en Sicile, en Thrace, en Italie du Sud et ailleurs. En revanche, d’autres cités-États ont cherché des solutions qui ont entraîné des changements profonds dans leur « superstructure ». Sparte était à l’origine une cité-État composée d’agriculteurs. Avec l’augmentation de la population, les Spartiates ont eu besoin de plus de terres à cultiver. Pour en obtenir davantage, ils ont envahi leurs voisins, les Messéniens. Après une longue guerre, ils ont finalement conquis les riches terres de Messénie en 715 av. J.-C et ont fait des Messéniens leurs esclaves. Sparte n’a obtenu ses terres supplémentaires qu’au prix de guerres obstinées et répétées avec des peuples voisins. Pour faire face à cette situation, les hommes d’État spartiates furent contraints de militariser la vie spartiate de fond en comble, ce qu’ils firent en revigorant et en adaptant certaines institutions sociales primitives, communes à plusieurs communautés grecques, à un moment où, à Sparte comme ailleurs, ces institutions étaient sur le point de disparaître. 

Athènes a réagi au problème de la surpopulation d’une autre manière. Elle spécialisa sa production agricole pour l’exportation, se lança dans la fabrication de produits “manufacturés” également destinés à l’exportation. Ces innovations économiques ont créé de nouvelles classes sociales. Les hommes d’État athéniens développèrent des institutions politiques de manière à donner une part équitable du pouvoir politique aux nouvelles classes afin d’éviter une révolution sociale : c’est le début de la démocratie. Ils ont incidemment ouvert une nouvelle voie de progrès pour l’ensemble de la société hellénique.

La leçon à retenir est que la démocratie comme toute institution politique naît des contradictions internes d’une société. Les grandes démocraties occidentales puisent leur origine dans des révolutions sociales : la révolution des Pays-Bas, la révolution anglaise, la révolution américaine ou la révolution française. Il n’y a pas de raison que l’Afrique échappe à cette Histoire Universelle.

Par ailleurs, il est prématuré de condamner les efforts de démocratisation des pays africains tant ces derniers sont de jeunes Etats. L’Etat, dans son acception moderne, est une idée neuve en Afrique car les structures proprement politiques africaines historiques étaient à petite échelle. George Peter Murdock, anthropologue américain, a proposé une classification des institutions politiques selon les « niveaux de hiérarchie juridictionnelle » (levels of jurisdictional hierarchy, en anglais) dans son livre Ethnographic Atlas, 1967 qui est une base de données sur 1167 sociétés. Dans sa base de données, il a codé une variable (le second chiffre de la colonne 32 dans le dataset) qui varie de 0 à 4 : 0 pour “société sans autorité politique”, 1 pour « petites chefferies », 2 pour « chefferies plus importantes »? 3 pour « États » et 4 pour “grands Etats”. Quand on combine cette classification de Murdock avec les estimations de la population en Afrique en 1880 du projet HYDE (Historical Database of the Global Environment), nous pouvons calculer la proportion d’Africains qui vivaient dans des états en 1880 (voir cette étude : https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/28603.html) . Il en ressort qu’en 1880, seulement 30% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État si l’on considère comme Etat, les groupes ethniques de la base de données de Murdock qui sont codés comme ayant au moins 3 « niveaux de hiérarchie juridictionnelle ». Dans le cas où l’on adopte la définition plus restrictive de “grand État” de Murdock, seulement 4,4% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État. Quoi qu’il en soit, une très grande majorité d’Africains ne vivaient pas dans des États au cours de la période précoloniale. Le pouvoir était confiné à l’échelle locale. L’on comprend donc que les coups d’Etat en Afrique ne sont que la manifestation de la maturation des Etats africains.

Par ailleurs, examinons le problème de la démocratie en Afrique sous le rapport des trois conditions préalables à l’accomplissement démocratique de Pierre Rosanvallon.

D’abord, la confiance des citoyens dans les institutions. Cette condition n’est vérifiée qu’à moitié en Afrique subsaharienne. Selon Afrobarometer, à travers 36 pays en 2014/2015, les Africains expriment plus de confiance envers les institutions informelles telles que les chefs religieux et traditionnels (72% et 61% respectivement) qu’envers les organismes exécutifs publics (en moyenne 54%). Ensuite, la possession d’un langage commun pour décrire les faits et affronter la vérité pour formuler des accords et des désaccords. Cette condition, si elle est vérifiée dans quelques pays africains, est loin d’être validée dans la majorité des pays où l’on observe l’existence de plusieurs dizaines de langues sur le même territoire en dépit de la langue officielle du pays. Enfin, la capacité à organiser des élections libres. Il est inutile que cette condition est loin d’être vérifiée dans la majorité des cas.

Tout mon propos, dans ce billet, trouve son résumé dans une pensée marxiste : la superstructure (l’ensemble des formes politiques, juridiques et idéologiques) s’élève sur l’infrastructure (l’ensemble de l’organisation économique de la société). Le lent changement de l’infrastructure dans beaucoup de pays africains porte les germes d’une superstructure plus en phase avec le monde contemporain.

Senegal: Solutions And the Way Forward for The Fight Against Corruption (2/2)

By Souleymane Gueye Ph.D, Professor of Economics and Statistics, College of San Francisco

“We are in a country where accountability is a problem and transparency as well”, Birahim Seck, Coordinator of the Civil Forum in Dakar, Senegal, and Representant of Transparency International in Senegal

This second part of the article “Corruption, Bad governance and Development Outcomes: The case of Senegal” examines the use of governance tools to curb corruption in Senegal. It shows that better governance can be an effective deterrent to corruption and can mitigate the effects of corruption on the Senegalese society by increasing transparency of government decision -making processes and holding service providers to account. The pervasive corruption is evident in Senegal and the net effects of the interaction of this entrenched corruption with political instability in Senegal are bad economic performance and a blurry economic outlook in the medium and long term. Therefore, simple measures to improve governance (institutional, political, and economic governance) and corruption -control can have a positive effect on the economic outcomes of Senegal.

Introduction

Looking towards the 2024 election, many politicians and presidential hopefuls are proposing policies and strategies to improve Senegal. However, no matter how great these policies and strategies are, no meaningful or impactful change can come from them unless we address the issues at the core of Senegalese government, specifically bad governance, and corruption. Senegal can’t win the fight against poverty without winning the war against corruption due to bad governance.

 We have demonstrated in the first part of this paper that corruption is not only toxic to economic growth in Senegal, but also destroys the incentive to play fair, and leads to a breakdown in faith and confidence in the system. This productive behavior is impaired in the corrupt environment created in Senegal in which people who cheat, engage in fraud, embezzle are the one who succeed. This pervasive corruption and compensation of fraud is dangerous for Senegalese society and the economy.

Furthermore, the legal framework and instruments such as IGE (Inspection Générale d’ Etat / General State Inspectorate ), Court of Audit, Financial Control, ARMP, (Agence de Régulation des Marches Publics/ Public Procurement Regulatory Agency), ARTP (Agence de Regulation des telecommunications et de la poste /Telecommunication and Postal Regulatory Agency) necessary for good governance have experienced dysfunctions even though their work provides information on the level of management of public affairs, which remain alarming and despicable ( C. Gueye 2023) . The various reports (Court of Audit on the Covid Fund) have reported many bad practices, mismanagement, and embezzlement of public funds. These various reports show a deeply entrenched practice of bad governance across all levels of the decision-making process in Senegal.

Due to the growing trend of poverty, increased income inequality, foreign land grab, extraverted economic growth, growing trend of capital flight, the relevance of governance in dampening the negative effects of corruption on Senegal ‘s macroeconomics outcomes is self-evidence.

Good governance in Senegal – institutional governance, political governance, and economic governance- should be linked to the political, socio economic and institutional processes and outcomes needed to achieve the stated economic objectives (job creation and poverty alleviation).

The goal of fighting corruption should then be to improve the government financial management system and increase its transparency. It should also aim to make better stewardship of the public purse the norm by strengthening governance which is related to all government processes, institutions, and practices for decision- making and regulation concerning matters of common interest in Senegal[1].

To tackle the bad governance that allows corruption to flourish in all the different sectors of the Senegalese economy, I propose the following solutions based on the different tools of governance which is based on accountability for one’s actions, and the ability to meet the needs of the Senegalese citizens.

Good Governance and Corruption Reduction

The different pillars on which governance is based can be analyzed in three broad categories: institutional governance, political governance, and economic governance[2].

1/ Institutional Governance: The Rule of Law and Corruption- control

  • Rule of Law and Independent judiciary

As citizens of Senegal, we should demand the government to respect the separation of powers in Senegal by rebalancing the power of the executive branch and making the judiciary more independent. This will allow the judiciary branch to enforce laws and protect citizens from indiscriminate decision making.

For example, the president should not be the only one to nominate the District Attorney – he should be nominated by a committee chosen from the civil society, the bar, the association of the magistrates, and a representative of the executive branch after a call for applications. 

The principle of “irremovability “of the magistrates should be enforced regardless of the will of the president by putting in place some safeguards. As stated by the current president of Senegal in 2012 on the needs of institutional reforms” put under the tutelage of the executive power, instrumentalized by the latter and insufficiently endowed with human and material resources, the judicial power is not always able to fully carry out its missions with impartiality and independence.

Putting an end to this situation requires strengthening the independence of the Superior Council of the Judiciary through its composition, its organization, and its functioning.”[3]. The above statement demonstrated the need and the urgency to reform the judicial system in Senegal. Firstly, a rule- based integrity of management is important to implement. This requires a reform of the CSM (Conseil Supérieur de la magistrature). The objective of this reform is to limit the interference of political power in the exercise of judicial power by guaranteeing transparency in the management of the careers of magistrates.

For this to happen the Senegalese people should be represented in the CSM by people chosen from   members of the parlement, a lawyer, a professor of law, a member chosen by the civil society, member of the UMS[4] so that they can exert a permanent control of the CSM. Otherwise, oversight is needed to limit the control of the executive branch on the judiciary. The judicial system should be strengthened to gain autonomy and independence – one way to accomplish this is to create a career management committee very independent of the executive branch.

Secondly, a limitation of the power of the president is mandatory and the possibility of removing (impeaching) him in well- defined circumstances as well as create mechanisms that can be used to prosecute the ministers at the criminal level (financial prosecutor’s office). This autonomous financial prosecutor’s office should also fight against economic and financial problems by managing cases of accusations of embezzlement of public funds (Niane 2023).  

Finally, an elimination of the “Discretionary Account” known as “political fund » at the disposal of the president or the creation of mechanisms of auditing the disbursement of the fund every year before beginning of the fiscal year.

  • Corruption- Control

Besides these institutional reforms, what can the Senegalese people do about the highly corrupt Senegal?

Reducing corruption in Senegal requires changing the set of expectations about how to behave by creating new beliefs and modifying common understanding about how to behave, which means that effective anti-corruption activities involve groups of people operating in public, rather than moralism. For these measures to work, behavior change strategies need to be implemented at all levels of society. This social behavior change can be framed using the socioecological model which considers not just the individual but their relationship to their community and society when trying to create positive behavior change.  Indeed, ordinary Senegalese people can undertake the following actions recommended by Transparency International[5]:

  • Monitoring government spending
    • Auditing government benefits and services
    • Writing citizen report cards
    • Crowdsourcing information
    • Asking candidates or voters to commit to election pledges
    • Protesting and petitioning state and local entities

Applying these simple ideas to change social expectations should be the primary objective. This requires attracting public attention to the efforts to implement these actions, to collectively speak out. For this to be effective a communication strategy must be designed using social media platforms; these can be used to create common knowledge and coordinate anti-corruption efforts from the bottom up.

Aside from the implication of individual citizens in the fight against corruption, other actions need to be taken to complement this corruption control.  For example, increasing civil servants’ salaries can reduce corruption if accompanied by stricter enforcement or efforts at changing permissive norms at all levels of the decision-making process[6].

A free press is key to exposing corruption and catalyzing support for reform if the media is not controlled by the government or owned by people looking for their self-interests. In that sense, The National Assembly should pass a bill on access to information aimed at “strengthening governance and transparency while guaranteeing all citizens access to information held by public entities” as promised by the current president.

Stricter monitoring and enforcement by dedicated and autonomous anti-corruption authorities can be effective in fighting corruption in Senegal. Effective leadership is very important for driving change in corruption norms from the top down, serving to coordinate the further efforts of ordinary citizens.

The proposed reform and the suggested actions that Senegalese citizens can undertake to tackle corruption can restore confidence in domestic institutions in the short and long run; hence creating a climate in which the rule of law is upheld as well as better information accounting standards that will undoubtedly deter corrupt behavior that destroys good productive behavior that should be the only mean of generating income and creating wealth in the country. Reform needs to happen at the individual level, community level and public policy level for it to be effective.

2/ Political Governance: Independent Commission to control all elections in Senegal

Political governance can be defined as the election and replacement of political leaders in a free and transparent election conducive to a stable political environment that has a substantial influence on corruption and all the problems associated with it: stifling economic growth, poverty, income inequality and incapacity to attract foreign direct investment. Accordingly, in the presence of political instability and violence, it is very likely that investors will not invest in the country or will try to transfer their capital to an economic environment with lower level of investment risks. Political stability is an important asset for Senegal and needs to be protected.

Moreover, the political institutions (competitive election and executive accountability) in Senegal are perceived as absolutist by nature because of a strong executive branch with enormous power that is narrowly distributed and unconstrained. Consequently, creating not only an environment not favorable for economic performance but also an economic context in which those who wield power have been able to set up economic institutions[7] to enrich themselves, and increase their power at the expense of the entire Senegalese society. 

This is very detrimental to the Senegalese economy because it has contributed to a transfer of investment by investors to other countries (East Asian countries) where political institutions are more stable and credible[8]. Senegal foreign direct investment for 2020 was $1.85, a 73.23% increase from the prior year.

In 2021 it was $2.23 an increase of 20.93% from 2020. Overall, the foreign direct investment has decreased by about 71.4 % between 2020 and 2021 and this trend is likely to continue because of the political instability. Therefore, the country should avoid it by strengthening the political institutions that are able to distribute political power widely in a pluralistic manner and able to achieve political concentration to establish law and order to minimize corruption and punish bad productive behavior which is a key determinant of the foundation of secure property rights and an inclusive market economy favorable to long term investment and inclusive economic growth.

Investors naturally react negatively to political events that are unfavorable to their return: disinvesting. Unfortunately, Senegal is experiencing this situation because of the instability and the uncertainty created by the refusal of the president to respect the political institution (Constitution of Senegal) that prevents him from seeking a third term[9].

And because direct effects of political instability and accountability influence the level of corruption in the country, the amount of inflow of capital, and economic growth it is important to strengthen the inclusive political institutions by implementing the recommendations of CNRI (Commission Nationale de Réforme des Institutions)[10] and adopting the “charter of democratic governance” resulting from the “Assises Nationales”.

Consequently, Senegal can regain political stability and non-violence that will mitigate the negative effects of corruption on transforming the primary sector for a sustained inclusive economic growth with lasting positive effects on poverty alleviation. This is the reason why we should not allow the current government to create an environment of political instability and violence by subverting the will of the people of Senegal.

Therefore, it is urgent to create an Independent Commission in charge of the election, High Authority for the Transparency of Public Life (HAPTV) and reestablish the “Consensual Electoral Code”[11]that has contributed to the peaceful election of two presidents since 2000.

3/ Economic Governance:  Government Effectiveness and Regulation Quality

Economic governance is the formulation of policies that deliver public commodities[12]. Otherwise, it refers to the system of economic institutions created to reach the stated economic objectives of the Senegalese government, namely economic growth, alleviation of poverty, and improvement of the standard of living of the citizens of Senegal.

With good governance these objectives can easily be reached , but unfortunately, the bad governance observed in Senegal has produced substantial economic damages – massive unemployment, substantial loss of income, higher poverty rate , irreversible damage to the human capital of the poor and the rest of the population, food insecurity, hunger, and  low life expectancy- which affect the concern of investors regarding the stability of the macroeconomic environment and confidence in the economic outlook of Senegal.

This bad economic governance has resulted in an economic outlook that is uncertain in the medium and long term. This uncertain economic outlook created by bad governance discourages investors from placing their assets in the economy because they prefer an economic environment that is associated with less corruption and uncertainty. From this perspective Senegal is taking the risk to see assets and money leave the country because of poor economic governance.

Therefore, bad economic governance can reduce macroeconomic performance and discourage capital flows owing to a blurred economic outlook. This is very apparent in Senegal as policies designed to deliver public goods and services, build infrastructure, create employment, increase disposable income are tailored by the policy makers and civil servants such that they siphon and deposit stolen funds in foreign banks (this amount is estimated at 250 billion CFA francs per year).

In Senegal, the perception of many people refers to the fact that bad governance plagues our social environment and greatly hampers the economic performance of the economy and the related economic outcomes. It follows from the above arguments that good economic governance can stifle corruption, grow the economy, increase the saving rate of the economy, and attract foreign direct investment that can be used to start the process of transforming the primary sector (agriculture, fishing, forestry, mining, deposits) to set the foundation of a planned strategy industrialization in Senegal.

Therefore, I propose the following reforms regarding the regulatory economic agencies in Senegal:

  • Modify the nomination process of the members of ARMP (members chosen by the president, congress, and civil society from a pool of qualified people vetted by their peers.)
  • Create an agency for gas and oil exploitation (Energy Regulatory commission composed of five members chosen by the president, parlement, workers in the industries, and academicians with impeccable credentials in the relevant field).
  • Create an OBM (Office of budget management) with an independent status in charge of evaluating government expenditures, track the tax revenue, and other financial resources. This office should be managed by an independent person with expertise in budgetary procedure and academic credentials.
  • Put in place mechanisms to track sale and acquisition of public assets. This can be done through the publication of an annual report setting income/expenditures and outlining which public assets had been sold to whom, at what price and through what process,
  • Tracking flows of money through auditing expenditures against a comprehensive budget
  • Control the Single Treasury Account by an independent committee.

Conclusion

We have investigated the channels through which corruption generates an economic and social misery that is contributing to massive illegal and legal migration of young Senegalese people. We have focused on three key variables: GDP per capita, employment, and poverty.

The other aspect of the study investigated whether good governance has a positive effect on corruption to mitigate the negative effects of corruption on the Senegalese economy. The policy implication is clear and straightforward: to have inclusive economic growth and alleviate poverty, Senegal would have to increase its efforts toward improving good governance to mitigate the adverse effects that corruption has on the economy. Actions aimed at promoting good governance should be tailored towards reversing the drivers of non-productive behavior of the economic agents and civil servants , notably: political governance can stabilize the political and economic environment resulting from political instability created by the desire of the president to seek a third term and to prevent the main opposition leader to participate in the next presidential election and the absence of accountability; economic governance can reduce the unemployment rate of the youth and the level of poverty resulting from corruption, economic instability, government ineffectiveness and poor regulation quality; and institutional governance can mitigate poverty , misery and  income inequality  resulting from corruption and disrespect of the rule of law.

Such governance mechanisms should entail improvement in participation, technical and managerial competence, transparency and open information systems and organizational capacity. It is relevant to also clarify that the recommendation to enhance good governance to mitigate the pervasive effects of corruption and create the conditions for job creation, delivering good public services, build appropriate infrastructure, and good school builds on the fact that governance standards in Senegal are very low relative to other countries.


[1] Plaidoyer pour réformer l’État et moderniser l’administration Sénégalaise by Souleymane Niane (2023)

[2] Asongu, 2016 “Determinants of growth in Fast Developing Countries: Evidence from Bundling and Unbundling Institutions”, Politics and Policy (“Determinants of Growth in Fast Developing Countries: Evidence from …”)

[3] Declaration de Macky Sall, (2012) president of Senegal

[4] Le Conseil Supérieur de la Magistrature : L’indispensable reforme by Ibrahima Dème Wathinote 29 janvier 2018.

[5] Transparency International has an anti- Corruption kit available at https://www.transparency.org/whatwedo/tools/anti_coruption_kit

[6] Corruption: what everyone needs to know by Ray Fisman and Miriam A. Golden Oxford University Press (“(PDF) Corruption: What Everyone Needs to Know®, by Ray Fisman and …”)

  • [7] The Origins of Power, Prosperity, and Poverty: Why Nations Fail by Daron Acemoglo, James Robinson
  • [8] Senegal Foreign Direct Investment 1973 0 2023 world Bank Development Indicators and West Africa and southeast Asia: A comparative analysis of economic performance by Souleymane Gueye (report after sabbatical leave, 2019 CCSF Library).
  • [9] Senegalese Constitution article 27 “ Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » (“ « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » (,) La virgule …”)
  • [10] Commission Nationale de Réforme des Institutions
  • [11] Code électoral consensuel “Assises Nationales” 2001
  • [12] Andres and allies (2015) Fighting software piracy: Which governance tools matter in Africa Journal of Business Ethics

Protection de la haute mer: quels enjeux pour l’Afrique ?

Par Manzi T. Karbou, Conseiller juridique à la Mission permanente du Togo auprès des Nations Unies

Il y a deux semaines, le 4 mars 2023, au terme de près de vingt années de travaux dont quatre de négociation ferme et directe, un traité sur la protection de la haute mer est né, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, à New York.

Qualifié d’historique, cet accord est destiné à contrecarrer les menaces qui pèsent sur des écosystèmes vitaux pour l’humanité. Il faut le dire, les océans sont l’un des principaux réservoirs de la biodiversité dans le monde, ce sont des puits de carbone essentiels à la régulation du climat et donc indispensables dans la lutte contre le dérèglement climatique. Ils constituent plus de 90 % de l’espace habitable sur la planète et abritent quelques 250 000 espèces connues ainsi que de nombreuses espèces encore inconnues.

Quelques mois après l’adoption d’un accord lors de la COP15 biodiversité, ce texte présente le double-avantage de réaffirmer la volonté d’atteindre l’objectif 30×30 (protéger 30 % des océans du monde d’ici à 2030) et d’ouvrir la voie à la création d’aires marines entièrement ou hautement protégées dans tous les océans du monde.

Cet accord est aussi important car il n’existe, pour l’heure, quasiment pas un seul texte qui protège la haute mer contre une exploitation et une destruction effrénée.

Samedi 4 mars donc, tard dans la nuit, les Nations unies se sont accordées sur un traité international de protection de la haute mer qui protège les espèces animales et végétales des régions situées à plus de 200 milles nautiques (370 kilomètres) de la terre ferme. Bref, les océans ne seront plus un espace de non-droit.

« C’est un jour historique pour la conservation et le signe que dans un monde divisé, la protection de la nature et des personnes peut triompher sur la géopolitique », a déclaré Laura Meller, chargée de campagne océans pour Greenpeace Nordic. Cette organisation et de très nombreuses organisations non gouvernementales étaient bien présentes aux négociations, aux côtés des délégués des Etats, afin de jouer le rôle de pression, parfois de catalyseur, nécessaire à l’adoption de ce texte important.

Intervenant le lendemain, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a félicité les délégués et, par l’intermédiaire de son porte-parole, a déclaré que l’accord était « une victoire pour le multilatéralisme et les efforts mondiaux pour contrer les tendances destructrices qui menacent la santé de nos générations futures ».

Que faut-il donc retenir concrètement de cet accord ?

C’est le 24 décembre 2017 que, par sa résolution n°72/249, l’Assemblée générale des Nations Unies a convoqué, une conférence intergouvernementale chargée d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer (en anglais : « conservation and sustainable use of marine biological diversity of areas beyond national jurisdiction – BBNJ »). Ce processus s’inscrit dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite Convention de Montego Bay. Les travaux de la conférence ont débuté avec une première session en septembre 2018, suivie d’une deuxième en mars 2019. La troisième session s’est tenue en août 2019. La quatrième session se tiendra deux ans plus tard en mars 2022, les pays membres ayant refusé d’envisager des discussions en ligne, dans la droite ligne de la nouvelle normalité que nous avaient imposé les conséquences de la covid-19. La cinquième et dernière session s’est déroulée en deux rounds : le 1er en août 2022 et le 2ème en mars 2023.

L’accord en lui-même s’articule autour de quatre piliers principaux, sur lesquels les Etats s’étaient déjà accordé depuis 2011. Véritable épine dorsale de cet instrument juridiques, les quatre piliers se déclinent comme suit :

  • Les ressources génétiques marines, notamment le partage des bénéfices :

Longtemps, les discussions ont été ralenties notamment en raison de désaccords sur le financement de la protection des océans et de la mise en œuvre des accords sur la pêche. Mais le principe du partage des bénéfices des ressources marines génétiques collectées en haute mer demeure un sujet sensible. Il a d’ailleurs cristallisé toutes les attentions lors des négociations. Les pays en développement, ne disposant pas des moyens de financer des expéditions et recherches coûteuses ont lutté pour être pris en compte par un partage équitable des ressources marines génétiques et du partage des bénéfices anticipés issus de la commercialisation de ces ressources.

Ainsi portée au cœur des débats, l’utilisation de ces ressources génétiques marines, demeure d’une importance capitale pour les recherches scientifiques.

« La Terre ne serait pas habitable sans les services rendus par les océans », rappelait Sophie Arnaud-Haond, chercheuse à l’Ifremer en écologie et évolution des organismes marins.

Grouillant de vie et d’espèces de tous genres, la haute mer abrite un nombre insoupçonné d’enzymes et de molécules potentiellement utiles pour les travaux des industries pharmaceutiques, agroalimentaires ou cosmétiques. « Un litre d’eau de mer contient un milliard de virus, des centaines de millions de bactéries, près de 100 000 microalgues et quelques zooplanctons », décrit Romain Troublé, le directeur général de la Fondation Tara Océan. Il ajoute que grâce à leurs expéditions, « nous avons découvert près de 200 millions de nouveaux gènes et surtout notre ignorance. On connaît un peu moins de 5 % des micro-organismes marins. Entre 500 000 et plus de 10 millions d’espèces différentes vivraient dans l’océan, dont seulement 280 000 ont été recensées ».

Dans cet univers, les experts pensent que les micro-organismes des océans sont à l’origine de la vie sur Terre. Ils fournissent des services écosystémiques essentiels à la vie. En particulier, ils génèrent 50 % de l’oxygène que nous respirons et captent le carbone que nous émettons. Des vaccins à ARN messager contre le Covid aux traitements contre le cancer en passant par les thérapies anti-sida, la découverte de ces ressources génétiques marines a permis des avancées scientifiques. « Il y a aussi des molécules phosphorescentes que l’on utilise pour l’imagerie médicale, d’autres encore nous intéressent pour leur capacité à résister à de fortes pressions ou à détoxifier leur environnement, ce qui permettrait de lutter contre les pollutions causées par des hydrocarbures », détaille Sophie Arnaud-Haond.

Les micro-organismes marins sont également utilisés pour comprendre comment le changement climatique affecte la biodiversité marine, qui est déjà affectée par l’acidification des océans et la perte d’oxygène dans certaines régions.

Il est bien connu que l’importance des ressources génétiques marines n’est plus à prouver et la course à leur recherche et à leur développement ne fait que commencer. Alors que la plupart des pays comprennent l’importance de protéger la biodiversité marine, il est tout aussi clair que les pays développés exploitent et bénéficient déjà de cet énorme potentiel qu’offrent nos océans.

C’est pourquoi les négociations ont longtemps butté sur la question de la répartition des bénéfices en haute mer. Même si la haute mer n’appartient à personne, peu de pays ont la capacité de collecter ces ressources génétiques marines, ce qui nécessite la mobilisation de moyens financiers et techniques importants.

C’est donc à juste titre que les pays en voie de développement demandent un pourcentage des bénéfices issus des brevets qui reposent sur ces ressources. 

Le texte propose donc l’instauration de royalties.  Les entreprises qui découvrent des molécules intéressantes en haute mer devraient payer un pourcentage des bénéfices de la commercialisation des brevets basés sur la même molécule. Ces revenus financeront la protection des aires marines protégées (AMP) et pourront financer la recherche dans les pays en développement. Pour donner un exemple très précis, si Pfizer développait un nouveau vaccin basé sur des ressources génétiques de haute mer, il devrait verser une certaine somme au fonds créé à cet effet. L’argent devra également servir à développer des projets internationaux pour le bien commun avec des chercheurs de haut niveau.

  • Les outils de protection de la biodiversité marine, en particulier les Aires Marines Protégées (AMP) 

Les services rendus par l’océan et ses écosystèmes constituent un patrimoine naturel extraordinaire. Malheureusement, les pressions anthropiques et les impacts liés au changement climatique affectent le milieu marin, ainsi que les économies nationales et les populations qui en dépendent.

C’est pour réduire ces impacts que les Aires Marines Protégées (AMP) ont été créées par des pays avec pour but d’améliorer la conservation de la biodiversité marine dans les zones qui sont sous leur juridiction. Jusqu’alors, la majeure partie des AMP se trouve dans les eaux territoriales et donc sous juridictions nationales.

Tout le mérite de cet accord est d’instituer des AMP dans des eaux qui n’appartiennent à aucune entité spécifique. Ainsi, dans le cadre de cet accord, les AMP auront pour objectifs, entre autres, de protéger, préserver, restaurer et maintenir la biodiversité et les écosystèmes, notamment en vue d’améliorer leur productivité et leur santé, et renforcer la résilience aux facteurs de stress, y compris ceux liés au changement climatique, à l’acidification des océans et à la pollution marine. Ils visent également à renforcer la coopération et la coordination dans l’utilisation des outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, entre les États, les instruments et cadres juridiques pertinents et les organismes mondiaux, régionaux, sous-régionaux et sectoriels compétents.

Pour ce faire, il est prévu qu’un fonds soutienne les États parties en développement, en particulier les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral, les États géographiquement défavorisés, les petits États insulaires en développement, les États côtiers d’Afrique, les États archipels et les pays en développement à revenu intermédiaire, en tenant compte de la situation particulière des petits États insulaires en développement, par le renforcement des capacités et leur développement ainsi que le transfert de technologies marines dans l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi, la gestion et l’application d’outils de gestion par zone, y compris les zones marines protégées.

Il faut relever tout de même que cet objectif est un enjeu assez complexe dans la mesure où l’application du droit international est de manière générale un peu compliquée. On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque usager de la mer. On devra donc s’orienter à travers des outils technologiques tels que l’imagerie satellitaire qui permet d’avoir une surveillance globale de ces aires. L’enjeu c’est aussi que les plans de gestion de ces futures aires prévoient les moyens nécessaires à la surveillance des activités et l’application des futurs plans de gestion. Pour cela, on peut se reposer sur de plus en plus d’outils développés par des États, et des organisations non gouvernementales pour avoir un suivi régulier des flottes de pêches par exemple.

  • Les évaluations d’impact environnemental des nouvelles activités humaines en haute mer

Obligation est faite aux Etats parties du futur traité de conduire des études d’impact sur l’environnement avant toute activité en haute mer. Le texte prévoit un système commun, rigoureux, intégré, indépendant et fondé sur la science pour évaluer, gérer et surveiller les impacts individuels et cumulés des activités humaines et du changement climatique sur la biodiversité marine en haute mer. Il est important que les activités affectant la biodiversité soient évaluées par rapport à des normes communes et élevées et que les pays développent des évaluations environnementales stratégiques pour former une base de connaissances partagée et prendre les décisions nécessaires pour protéger la biodiversité marine.

Il établit que tout Etat partie ayant juridiction ou contrôle sur une activité planifiée qui doit être menée dans des zones marines relevant de sa juridiction nationale détermine que l’activité peut entraîner une pollution substantielle ou des modifications importantes et nuisibles du milieu marin dans des zones situées au-delà de sa juridiction nationale. Si tel est le cas, qu’il puisse établir les études conformément, soit aux normes prévues au plan international, soit en vertu de son droit national, et dans ce dernier cas, en veillant à respecter des conditions établies par le texte et qui seraient précisées par les prochaines étapes de la mise en œuvre de l’instrument.

  • Le renforcement des capacités et le transfert des technologies marines au profit des États en développement

En adoptant le texte, les États parties, directement ou par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes, encouragent la coopération dans les domaines du renforcement des capacités et du transfert des technologies marines pour aider les pays en développement à atteindre les objectifs du prochain traité.

Il s’agit donc d’un enjeu clé pour la mise en œuvre du futur instrument. Les négociateurs ont élaboré des types et des modalités de renforcement des capacités et de transfert de technologie marine, ainsi que des centres d’échange envisagés à cet effet.

Les documents de négociation énumèrent divers types d’activités de transfert de technologies marines et de renforcement des capacités, telles que les infrastructures, les capacités de recherche scientifique, le partage d’informations et de technologies, la diffusion d’informations ou la création de centres régionaux d’excellence.

En ce qui concerne les modalités de transfert des techniques marines par exemple, le document propose plusieurs options fusionnées qui permettront de créer des « package » dont la mise en œuvre pourrait se décliner de différentes manières. 

En tout état de cause, cette étape est très cruciale pour les pays en développement puisque le renforcement des capacités sera, de toutes les façons, basé sur les besoins des bénéficiaires.   

Que retenir pour l’Afrique ?

L’Afrique a été bien représentée au cours des négociations ayant abouti à l’adoption du BBNJ.  Partie sur la base d’une position commune africaine, l’équipe de négociateurs des pays africains a pu également compter sur le soutien de la Commission de l’Union africaine, notamment à travers le bureau du Conseiller juridique de l’UA, mais aussi d’un engagement salutaire du bureau des affaires juridiques de la Mission permanente d’observation de l’UA auprès des Nations Unies à New York.

Il est important de préciser que c’est grâce à l’engagement (personnel et consciencieux) des négociateurs issus des pays africains et de la mise en œuvre d’un position commune africaine que la voix de l’Afrique a pu être entendue dans le déroulé des négociations de cet instrument. Mais alors que gagne l’Afrique ?

  • Enfin un instrument qui fait face à la sur-exploitation et la sur-pêche dans les eaux internationales

Contrairement à plusieurs autres instruments avant lui, l’accord portant sur le BBNJ est un instrument juridique contraignant, au sens onusien du terme, c’est à dire que les Etats l’ayant ratifié auront l’obligation de mettre en œuvre ses dispositions. L’accord contient également en son sein un système de suivi et de contrôle du respect de ces obligations.

Autre élément, l’océan est l’objet d’une surexploitation massive. Avec la mondialisation du commerce, plus de 90% des marchandises issues du commerce international passent par les océans. Il y a donc de plus en plus de bateaux et de cargos de transport en circulation, entrainant des pollutions chimiques et plastiques de masse ainsi que des nuisances sonores d’un niveau tel qu’elles perturbent tout l’univers sous-marins et les écosystèmes connus et inconnus.  

Mais l’océan est aussi un milieu riche que l’on exploite aussi pour produire de la nourriture.

La surpêche est désormais un problème bien connu : de nombreuses espèces menacées d’extinction éprouvent de plus en plus de difficultés à se reproduire et se renouveler à cause du développement massif de la demande en produits halieutiques et ce à un rythme trop rapide. Des techniques de plus en plus invasives sont utilisées dans le monde entier pour pêcher de plus en plus de poissons de manière toujours plus rapide et moins coûteuse. Le problème est que ces méthodes, telles que le chalutage en eaux profondes ou la pêche électrique, ont des conséquences énormes sur les écosystèmes marins et détruisent une bonne partie de la faune et de la flore.

  • La haute mer devient « patrimoine commun de l’humanité », après un marathon de 15 ans de négociations

Ce point fait partie, sinon, est le dernier de ceux qui ont tenu en haleine les discussions et qui les ont prolongés les dernières heures. Il faut dire que c’est un enjeu majeur pour les pays en développement, plus précisément les pays africains.

Dans l’esprit des textes juridiques qui, depuis 1958, se sont penchés sur l’identité juridique ou l’utilisation et l’exploitation des mers, la haute mer a presque toujours été qualifié de « vaste espace de liberté pour tous ». Et malheureusement, cette définition trop romanesque de la mer a provoqué chez l’homme toutes sortes d’utilisation de cet espace, entrainant pollution et surpêche.

A l’heure où les enjeux climatiques et environnementaux ont plus que jamais besoin d’un océan résilient, où les entreprises privées et leur théorie de maximisation des profits tendent à supplanter l’intérêt collectif au profit des leurs, il est devenu essentiel de protéger ce domaine maritime qui représente 70% de la surface des océans.

L’on peut se réjouir que toutes les régions océaniques aient désormais un statut institué par un nouveau traité pour la protection de la biodiversité en haute mer adopté ce 4 mars 2023.

Corruption, Bad Governance, and Development Outcomes: The Case of Senegal (1/2)

By Souleymane Gueye Ph.D, Professor of Economics and Statistics, College of San Francisco

This first part of our article examines the economic effects of corruption on the Senegalese economy. How corruption and bad governance have generated an endemic misery in Senegal? What is the relationship between corruption and real GDP per capita? How corruption affects the Human Development Index and the Private consumption?  It also illustrates the relationship between corruption, income inequality and poverty. The role of good governance in modulating the effects of corruption on economic growth and poverty in Senegal will be examined in the second portion of the study.

While traveling through Senegal and talking to people from different backgrounds, I could not hide my frustration and sadness as I contemplated the despair, anguish, and sorrow in the eyes of the people I met throughout my journey in Senegal, who are struggling to make ends meet. For example, in the coastal zone of the region of Dakar from Yarah to Toubab Jalow and the small coast (Dayane to Joal), the advance of the sea and the scarcity of fish due to the fishing licenses that the government signed with the EU, China, and Japan have installed an unimaginable misery associated with poverty, poor health, low life expectancy, an unequal distribution of income and wealth that remain endemic. This misery is the outcome of the growing phenomenon of corruption “the abuse of an entrusted power for private gain” (1) in the public sector and the private sector in Senegal and bad governance as well.

Economic and Social misery

The social and economic misery is visible everywhere after a decade of mismanagement of public resources (Flooding fund , Program National des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC), Covid 19 Fund), embezzlement of taxpayers’ money by unaccountable chief executives officers at many state owed enterprises such as ( La Poste, L’IPRESS , CMS, LONASE, COUD , SAPCO, SAR, etc.. ), corrupt politicians , and  crooked businesspeople under a more authoritarian government that is dimming hopes for a whole young generation to build a future in Senegal. 

This misery is also compounded by an attitude of resignation of many Senegalese people because of a tacit coalition between some religious leaders, crooked politicians, and civil servants pursuing their self- interest, and safeguarding French and other foreign business interest (Turks, Chinese, Indian, Moroccans etc.).

The endemic misery has generated an abject poverty conducive to extreme violence and insecurity in many places in Senegal, social fractionalization, and a fertile ground for an exploitation of the masses by corrupt political leaders and executives who are accumulating insane amount of wealth without any rational justification (not based on their productive capacity). Senegal is one of the few countries in which civil servants are the wealthiest.

Under this dire situation, record numbers of Senegalese are leaving the country. The flood of Senegalese emigres spans socio economic classes, with professional, the working class, and the destitute represented among those risking their life in the Mediterranean Sea as Russian’s invasion of Ukraine pushes up the price of different imported staples (wheat, rice,) gas, and oil; hence creating an inflationary pressure which is undermining the purchasing power of almost 95% of Senegalese households. 

Other desperate Senegalese are attempting illegal routes into Europe, South and North America and dying in record numbers according to Geneva- based civil – society group” Global Initiative Against Transnational Organized Crime.”  Senegal is the sixth largest nation of origin for migrants, according to the international migration Organization (IOM). 

This exodus from Senegal constitutes a blow to the legacy of the Democratic principles that generated hopes after the political transition of 2000 when a president from an opposition party was elected and ten years later the election of a young president who promised a “sober and virtuous “management of public resources and equitable justice. 

Unfortunately, under their reign, public money has been transformed into a private kitty in the service of a suspicious generosity, open to all the audacity of capture and predation. This has paved the way for stealing state money, enrich friends and relatives, while impoverishing the country, and consequently put the Senegalese people in misery – the misery index is more than 25% (2).

The consequences are dire:  an underutilized agricultural sector, a growing informal sector, an inflated public sector, a weak private sector unable to create enough employment to absorb the rising supply of labor due to the demographic explosion, poor infrastructure, poor health facilities ( poor women are still dying in childbirth and are transported on carts), poor education, (many school children receive their education in temporary shelters – about 6000 ), weak institutions and last but not least an anemic economy in which corruption prevails at all levels of the decision-making process –  executive, judiciary , territorial administration, public security ( police and gendarmery), health and education sectors. 

In Senegal, bribery (public servant accepting bribes to certify unsafe building in violation of many cities planning code), frequent embezzlement of contract fund so that a promised infrastructure project is delayed and over budget ( Universities of Amadou Mathar Mbow and Ibrahima Niasse , and many schools and hospital projects), as well as the  theft of public fund in a way that inflates public budgets ( recent report of the court of Audit regarding the Covid Fund ), nepotism, influence peddling, conflicts of interests are erected as a mode of management of public resources..

Currently, the “Corruption Perceptions Index” for the public sector is at 57 points slightly higher than the index in 2021, making Senegal one of the most corrupt countries with a rank of 75th

Figure 1. [Corruption Perception Index by Transparency international]

There are a host of causes of this endemic corruption in Senegal: incentives, institutions, and personal ethics. With respect to incentives, we can identify low salaries of the civil servants with a weak purchasing power. As for the institutions, some key variables can be identified such as political structure with a strong executive branch headed by a president who has at his disposal a discretionary budget without accountability to the Senegalese people. The systemic corruption is also due to a lack of ethic, an alarming disappearance of our traditional values of Diom (dignity) Deugou (faith), Dioub (honesty), leguey (travail),

Economic Effects of Corruption on the Senegalese Economy

This ingrained corruption in the public sector undermines different aspects of the Senegalese society since the corruption carries negative social and economic consequences: it harms economic efficiency, increases social inequities, undermines the functioning of democracy, and exacerbates poverty and social exclusion. Furthermore, it reduces the effectiveness of public and industrial policies, making running a business more expensive, and thus encourages business to operate in the informal sector in violation of tax and regulatory laws (3). Senegal is suffering from this endemic corruption with respect to economic growth, human development, food security, and poverty alleviation.

Corruption and GDP per Capita

There is strong evidence of a negative correlation between corruption and the low level of GDP per capita ($1590) in countries like Senegal with high level corruption (140th on a list by Transparency International of 175 countries ranked by how corrupt their public sectors appear to be.). 

The theorical literature does not provide a clear answer on this issue –relationship between corruption and economic growth and poverty alleviation.  One strand of the literature argues that corruption affects positively economic growth by making it easy for investors to avoid red tape (bureaucratic delay) by bribery /kickbacks and by incentivizing low paid civil servants to work faster and harder if they could supplement their income by levying bribes (De Soto, 1989) (Egger and Winner, 2005) (4). This belief is rooted in the impressively rapid economic growth that the East Asian- and Southeast – Asian countries have achieved since the early 70’s despite widespread corruption.

This situation known as the “East – Asian paradox” has justified the view that corruption is not a key barrier to economic growth; hence countries should not waste time designing policies or instrument to deal with corruption. However, what this strand failed to acknowledge is the fact that these Asian countries were autocracies in which the perceived credibility of the commitment of ruling political elites to economic freedom, associated with a massive investment in education and a higher domestic saving rate created a favorable economic environment, hence providing confidence to multinational firms to invest, leading to long term economic growth. It is almost impossible to quantify and attribute to corruption the sustained increased of real GDP per capita of these countries over the last three decades. For example, in Sub Saharan Africa, there are many autocratic regimes (RDC, Republic of Congo, Cameroon, Tchad, Equatorial Guinea, Gabon, Angola, Zimbabwe where high rates of corruption had a deleterious effect on economic growth and poverty reduction (Haber, 2002) (5).

I believe that the negative effect of corruption on real GDP per capita is more common as many examples in Developing countries in general and Senegal demonstrated. In this strand in which I subscribe, corruption has a negative impact on GDP per capita because it reduces investment in physical and human capital in one hand and leads to a misallocation of public expenditures away from growth enhancing sectors such as education and health towards areas that are less productivity enhancing but are more corruption intensive.; namely large and expensive infrastructural projects on the other hand.

For example, Senegal with the current government is a perfect illustration of this choice. The government has chosen to build an arena, a stadium, TER (train express rapid), and BRT (rapid transit) instead of investing in more efficient project such as rebuild the railroad throughout the country, increases the sanitary tray and invest efficiently in the education sector to set the foundation for a skilled labor force with a strong productivity of labor. 

Studies (Fishman and Svenson 2001) have shown that a 1 % increase in corruption leads to a 3 % reduction in firm growth and reduce the growth rate by about 0.72% (6)

In Senegal Real GDP per capita of Senegal increased from 1,092 US dollars in 1972 to 1,437 US dollars in 2021 growing at an average annual rate of 0.62%. while corruption continued to increase substantially (Senegal is the 73 least corrupt nation out of 180 countries in 2021 and previously Senegal was the 67 least corrupt nation. Corruption Index in Senegal averaged 36.63 Points from 1998 until 2021, reaching an all-time high of 45 Points in 2020. The perception corruption index has deteriorated (score continue to drop, 2 points compared to last year and the poverty rate continued to increase.). This is evidence that the negative correlation between corruption and GDP per capita growth is more observable in countries like Senegal than the positive relationship.

World Bank: development indicators

This is explained by the fact that the waste or the diversion of public funds due to corruption leaves Senegalese governments with fewer resources to fulfil its human rights obligations (provide shelter, food, and education), to deliver services and to improve the standard of living of Senegalese people. 

Corruption and Human Development Index

Consequently, the insidious corruption prevailing in Senegal is negatively impacting human development of the country and is increasing social vulnerabilities within the country. In Senegal, an estimated 500 billion CFA francs in public health spending is lost globally to corruption every year, undermining health services and health equipment. Furthermore, 60% of school children do not complete primary school (high rate of illiteracy). This can be linked to a lack of state resources to build schools and maintain a qualified labor force due to bribery, embezzlement, privatization of public schools to enrich well connected people and civil servants.

Fighting corruption in Senegal is thus considered a key element to achieve the sustainable development needed to improve the HDI of Senegal as corruption (racketing by the police officer on the road, frequent embezzlement at the office of Taxes and Domain, and  the Treasury as well , justice splashed every day by corruption scandal, Customs which is perceived as a quick mean to accumulate wealth, a press which traffic in influence and marketing for amoral politicians, military with rumors smuggling overseas missions, etc. ), is at the center of most of the socio-economic problems that Senegal is facing. 

Corruption, Food Security, and Level of Consumption

Corruption is also affecting food security in Senegal since the level of corruption in land and water (land scandal in local communities such as Degleer, Dougaar etc.)  is impacting small scale farmers which constitutes most of the agricultural providers (67% of agricultural product). 

This high level of corruption is also impacting the level of consumption in Senegal as demonstrated in some  economic studies (7) since many households are forced to reduce their expenses on good and services to compensate the money wasted on bribery daily (money given to the police officers on the road, to the civil servants to receive an administrative act, to bribe a person to gain access to people making decision on behalf of Senegalese citizens etc.). 

The recent drama of Sikilo in the department of Kaffrine with its 50 dead and Sakal with its 18 dead highlights the danger of corruption in a country like Senegal. This sector is one of the most corrupt areas in Senegal as the fake has become so embedded in our country and at all levels that it part of the DNA of Senegalese citizens. The overwhelming majority of drivers bought their driving licenses, have fake registration cards, have bought their technical inspection certificate, and drive without insurance. This is possible because of a corrupt administration unable to enforce the law and punish bad behavior.

Overall Impact of Corruption and Bad Governance on the Senegalese Society

This situation can only be blamed on systemic corruption prevalent in the Senegalese society and on bad governance.  Corruption, nepotism, clientelism, impunity have been erected as modes of government in Senegal; this is the root cause of increasing poverty, increasing income inequality, decline of industrialization, incapacity to satisfy the basic needs and build basic infrastructure as well as allowing foreigners to grab land and exploit Senegalese workers. Foreign national are taking advantage of this corrupt environment to gain favor under the pretense of creating enterprises that will create jobs and repatriate easily profit at the expense of local citizens and the Senegalese economy overall hence contributing to an alarming trend of capital flight. This corrupt system has destroyed opportunities for many Senegalese people to generate wealth for themselves and the society. 

These challenges exacerbated by incompetent, corrupt leaders, and obedient population educated, molded, shaped in corruption, easy money and compromise that has created a system of “politique alimentaire” prevent Senegal from moving forward in term of development outcomes (job creation and poverty reduction).  

Addressing the entrenched corruption due to a lack of ethic, abject poverty, ignorance, and low wages that is prevalent in Senegal will open greater opportunities for the youth like entrepreneurship in different sectors (primary, secondary, and tertiary) of the economy that can lead to job creation. 

Conclusion

Unfortunately, the current government of Senegal is not only unable to come up with an effective economic strategy to deal with these socio-economic problems because of a lack of political will, a president who exercises an excessive liberality with the public purse, the politicization of managers with the express request of their possible political involvement by the President, and a population that institutionalized the practice of corruption to gain favor with the possible involvement of the justice and the security forces, but also to deal with this endemic problems: Corruption. Furthermore, this regime is incapable of solving the challenges of bad governance, because of a conscious choice of a clientelist model which is inseparable from corruption by the current regime. 

Reversing these trends and characteristics of the current Senegalese economy should be the primary focus of any credible person aspiring to lead this nation. Hopefully, the current administration will reverse course and start the process of creating a stable political environment in which a productive debate among all the interested parties will take place so that the Senegalese people will get all the relevant information to make an informed choice as to the selection of the person who will lead the country in a new direction for the benefit of all Senegalese citizens. 

Looking towards the 2024 election, many politicians and presidential hopefuls are proposing policies and strategies to improve Senegal. However, no matter how great these policies and strategies are, no meaningful or impactful change can come from them unless we address the deep issues at the core of Senegalese government which are the cracks in the institutions and the constitution that allows for the executive branch to wield unchecked power. This allows them to use the state for personal enrichment, pursuing vendettas and state sanctioned embezzlement. Senegal can’t win the fight against poverty without winning the war against corruption.

Notes

(1) Ray Fisman “corruption: what everyone needs to know”

(2) The misery Index is calculated as the sum of the inflation rate and the unemployment rate.

(3) The evaluation of the tax system of Senegal by Souleymane Gueye

(4) Egger, P and Winner, H (2005) “Evidence on corruption as an incentive for foreign direct investment, European journal of Political Economy

(5) Haber. S (ed) Crony Capitalism and Growth in Latin America: Theory and Evidence, Stanford, CA Hoover Institution Press

(6) Fishman and Svenson (2001) Are corruption and Taxation Harmful to growth? Firm level evidence Manuscript, IIES Stockholm University

(7) Impact of Corruption on the Private consumption in Senegal by Souleymane Gueye. Working paper CCSF 2016

Mythes, technologies, humain et non humain…Achille Mbembé en méditation sur la communauté terrestre

Avec la « Communauté Terrestre » (2023, la Découverte), Achille Mbembé clot sa trilogie sur le devenir du Vivant entamée avec « Politique de l’inimitié » (2016, la Découverte) où il a décortiqué la figure de l’ennemi dans un chaos de guerres et de ségrégations et ensuite « Brutalisme » (2020, la Découverte) qu’il a consacré au devenir artificiel de l’humanité et à son pendant, le devenir-humain des machines. 

Depuis la publication des premiers travaux de ce philosophe, nous suivons une pensée évolutive à la quête d’une harmonie dans « un monde en combustion » et qui, à chaque ouvrage, nous livre un nouveau maillon qui se greffe à la chaîne symbiotique du vivant. A chaque lecture, nous voyons interagir des savoirs humains et non humains, visibles ou invisibles, à priori éloignés, parfois même en guerre (Science vs Mythes) et qui accomplissent sous nos yeux des mouvements d’harmonisation longs et précis- la ressemblance avec le Tai Shi est frappante- pour atterrir sur une matrice fluide qui respire profondément. C’est cette matrice ou cette lecture de différentes combinaisons que nous propose le philosophe pour continuer à habiter la Terre. « Aujourd’hui, la question centrale consiste à s’interroger sur la manière dont les formes complexes de vie pourraient être reproduites, soutenues, rendues durables, préservés et universellement partages à l’ombre d’une catastrophe cosmique potentielle », explique Achille Mbembé dans son nouvel ouvrage. 

Tout au long de son parcours, ce philosophe camerounais a été porteur d’une quête : Il nous a d’abord livré une analyse de la condition noire, du « postcolonialisme » à « la raison Nègre »[i], qui a mis en exergue les blessures traumatiques et transgénérationnelles occasionnées par le capitalisme impérialiste des anciennes puissances. Dans une seconde étape de son cheminement, Mbembé nous a dévoilé les déchirures d’un monde brutalisé, porteur de balafres profondes appelés Frontières, traversé de haine et de rejet de l’autre et, pour finir, transmuté dans l’ère computationnelle des machines et des biotechnologies. Dans cette ère artificielle, on ne sait plus qui de l’homme ou de la machine est le sujet ou l’objet, Les deux s’incorporant tels des avatars et formant un pouvoir mutant[ii]. On serait ainsi tenté de penser ces machines comme la nouvelle religion de l’homme, son joli miroir qui lui sert de support pour admirer son intelligence mais qui, sans conscience, pourrait hélas l’engloutir. 

Puiser des mythes africains 

Dans « la Communautés Terrestre », Achille Mbembé ajoute à son assemblage les mythes ancestraux africains pour démontrer, sur un ton plus poétique que d’ordinaire, à quel point l’homme fait partie d’un Tout et que ce Tout doit être appréhendé d’une façon systémique pour affronter la crise écologique. Cette pensée a de quoi déranger les héritiers du scientisme philosophique occidental. Il y a cinq siècles, Descartes et Bacon avaient raison d’imposer la Science (et donc l’Homme) face à une Nature omnipotente, dominée par des superstitions aussi sinistres que délirantes. Mais de nos jours, alors que la pensée occidentale a réussi à déconnecter l’homme de toute spiritualité pour le soumettre au joug exclusif du mental, est-il toujours opportun de continuer à dénigrer les mythes animistes ? Est-il sensé de priver l’humanité d’une partie de ses archives ancestrales et qui concourent à nous éclairer sur les combinaisons du vivant ? 

Si nous voulons continuer à habiter la Terre, il est peut-être opportun d’aller voir comment les peuples anciens faisaient communauté avec des entités non humaines et de s’en inspirer au même titre que les autres ressources actuellement à notre disposition, conseille le philosophe. L’Afrique laboratoire du devenir humain nous livre à ce titre d’insondables gisements, notamment chez les Dogons[1] et les Bambaras[2], choisis par Mbembé comme corpus d’étude. 

Au fur et à mesure que l’auteur dévoile l’héritage de ces deux cultures, des liaisons insoupçonnées commencent à faire sens. Comme par exemple, la conception de « la force vitale » de l’homme chez les Dogons qui, pour se nourrir ou guérir, a besoin d’entrer en contact avec les végétaux. Il est fascinant aussi de voir comment les Dogons s’imaginaient le cosmos, ses forces vivantes et comment ces dernières entraient en résonnance dans un mouvement de « correspondance biologique » : Chacune des parties de l’univers se projetant dans l’être humain qui est, lui-même, l’une des expressions privilégiées du microcosme. 

La Terre, une entité globale, une utopie

La Terre, dans ce contexte de résonnance, est la condition de notre survie. C’est grâce à elle que nous pouvons exister. Elle est un corps vivant, elle nous génère et se regénère mais elle ne nous appartient pas (Exit tout dogme juridique de la propriété !). Nous n’en sommes que les habitants, les gardiens, les passants. « Par terre, il ne faut pas entendre le sol, la parcelle, mais une vie qui se renouvelle dont la valeur est littéralement incalculable et qui échappe à tout pouvoir absolu de maitrise. Il s’agit d’un corps vivant, animé, dont l’une des propriétés est par ailleurs d’être une matière susceptible de rendre possible la vie ».

Ainsi définie, la Terre est une circulation des flux entre les communautés qui l’habitent et qui ne se limitent pas uniquement à l’humain. Ces communautés terrestres, il faudra distinguer des universalismes pensés par l’homme pour l’homme[iii]. La Terre n’est plus que « universelle », elle porte en elle toutes les manifestations de la vie, par conséquent toutes les traces de l’en-commun : Du « Tout Monde » défendu par les pères de la philosophie africaine, l’auteur nous propose de passer ainsi à un « Tout Planétaire » relié aux formes du cosmos : les fleuves, l’air, les microbes, les virus, les minéraux, les planètes, les montagnes, les énergies souterraines…viennent faire corps avec le « nouvel animisme » qu’incarnent les technologies et les dispositifs artificiels. Ce passage se fera en gardant à l’esprit que s’il y a bien une constante dans cette communauté terrestre interreliée, c’est la finitude des espèces. Nous devons désormais faire la paix avec notre mort.  

« Si nous avons su vivre avec constance et tranquillité, nous saurons mourir de même. Les philosophes se vanteront à ce sujet tant qu’il leur plaira, mais il me semble que la mort est bien le bout, non pas pour autant le but de la vie. C’est sa fin, son extrémité, non pas pour autant son objet ». (Montaigne, Essais, Livre III, Chapitre XII)


[1] Les Dogons sont un peuple du Mali à l’origine animiste et croyant en un seul Dieu créateur : Amma. La légende voulait que Amma se tenait dans un œuf. Il créa la parole avec sa salive et la première graine apparut. Elle contenait tout ce dont le monde avait besoin : la terre, l’eau et le feu. Amma créa alors des couples de jumeaux avec à chaque fois un mâle et sa jumelle.

[2] Les Bambaras sont une éthnie mandinque originaire du Mali mais qui s’est étendue sur l’Afrique sahélienne. A l’origine, l’esprit Yo a engendré Faro, le dieu de la parole et de la pluie bienfaisante, qui, à son tour, créa Mousso Koroni, la mère nourricière. 


[i] Achille Mbembé, De la Postcolonie : Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, 2000, Karthala, Paris et Achille Mbembé, Critique de la raison nègre, 2013, la Découverte, Paris. 

[ii] Pour comprendre la supervision permanente de nos comportements de nos émotions par les différents algorithmes et la big data, lire l’excellent Shoshana Zubbof, l’âge du capitalisme de surveillance, 2020, Zulma, Paris. 

[iii] Voir à ce niveau l’évolution des concepts d’universalisme depuis le siècle des lumières européen jusqu’aux mouvements de décolonialisme (notamment « l’universalisme de surplomb » de Merleau Ponty, le « Tout-Monde » de Aimé Césaire, « l’universalisme pluriel » de Bachir Diagne…). 

Ecologie : l’exception africaine

Par Giovanni DJOSSOU pour l’Afrique des Idées

La préservation de l’environnement en Afrique est un sujet soulevant de multiples questions comme : Peut-on préserver l’environnement sans altérer le développement économique des pays du continent ? Ou encore la gestion occidentale de l’environnement en Afrique cause-t-elle un problème de souveraineté comme nous avons analysé dans une récente tribune sur le procès contre le projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie (voir le lien en bas de page).

Pourtant, la question n’est pas récente. Depuis près de 150 ans, l’enjeu de la sauvegarde de la nature en Afrique a engendré des conséquences lourdes, sans pour autant atteindre son objectif supposé.

En 2020 l’enseignant-chercheur en Histoire, Guillaume Blanc, écrit « L’invention du Colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’Eden africain », essai dans lequel il tente de démontrer que la politique de développement des parcs nationaux en Afrique est un désastre humain, social et politique. Ainsi, à travers l’ouvrage et les interviews de l’historien, nous chercherons à savoir en quoi les tentatives de préservation de l’environnement en Afrique parlent bien plus d’histoire coloniale, de stratégies politiques et économiques et de bouleversements socioculturels que de nature. Nous nous demanderons également si la politique des parcs est si écologique qu’elle le prétend.

Les parcs nationaux : espaces de violence

Guillaume Blanc, maître de conférences en Histoire à l’Université Rennes II, a soutenu sa thèse sur les parcs nationaux au Canada, en Ethiopie et en France. En Ethiopie, le chercheur va se pencher sur le parc du Simien, dans lequel il passe trois années cumulées, entre 2007 et 2019. Dans le cas spécifique de ce parc, ce sont plus de 2 500 personnes qui sont expulsées par les experts. « Des gardes leur disent de signer des papiers et partir. Le départ est volontaire officiellement mais, il n’y pas réellement de choix. Les habitants ne conçoivent pas de dire non à un représentant de l’autorité », explique Guillaume Blanc. De fait, les populations locales intègrent l’idée qu’il faut préserver la nature et qu’elles sont, par leurs simples activités et leur simple existence, un obstacle à cette préservation. Mais bien plus que des espaces de violence psychologique, les parcs sont aussi des espaces qui mettent en question la survie des agriculteurs et des bergers. Environ 14 millions d’habitants ont été expulsés de leurs résidences au XXe siècle en Afrique et encore plusieurs dizaines de millions reçoivent amendes et peines de prison. Leurs fautes : cultiver la terre et chasser. Le parc détruit ainsi tout un écosystème et des modes de vie.

Historiquement, on observe une césure entre la pré-décolonisation et la post-décolonisation. Avant les indépendances, les colons ménagent les populations car ils les administrent. L’exemple étasunien où l’économie extractive asséchant les sols avait provoqué le déplacement des populations et entraîné des révoltes, est retenu. Il ne faut pas reproduire des situations pouvant engendrer des soulèvements. Après la décolonisation, seule la nature compte. Les expulsions sans ménagement se multiplient, tout comme les peines de prison pour chasse du petit gibier. Des villages sont aussi brûlés. Le tout sous le regard de l’Unesco qui se félicite des « actions écologiques » menées sur le continent, tout en gardant le silence sur la nature desdites actions.

Le procès contre le projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie, le démontre (voir en bas de page l’analyse de l’auteur parue dans nos colonnes).  Guillaume Blanc rappelle, néanmoins, que la violence est inhérente à la création des parcs et non au seul cas africain. A l’inauguration du parc de la Vanoise en 1963 (Premier parc national en France), des habitants du parc, refusant la transformation forcée de leur territoire accueillent le ministre avec des fusils.

La spécificité africaine : un fétichisme depuis la colonisation

Pour Guillaume Blanc, il est impossible de comprendre l’expulsion des cultivateurs du parc du Simien si l’on ne revient pas au mythe de l’Eden africain datant de la colonisation. Les colons qui migrent en Afrique quittent l’Europe en pleine post-révolution industrielle ; une Europe où l’urbanisation est grandissante. Arrivés en Afrique, ils trouvent la forêt, la savane, des lieux qu’ils pensent non-altérés par l’Homme. Pourtant, pour l’historien : « On a une idée absurde consistant à croire en une Afrique vierge, naturelle, sauvage. Idée aussi absurde que de croire que l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ». Mais, pour ces colons, la nature africaine devient une mission : protéger, ici, ce qu’ils n’ont pas été en mesure de protéger chez eux. « A partir des années 1930, se développe l’idée que l’on peut détruire en Europe parce que l’on protège en Afrique. Plus la nature disparaît en occident, plus elle est fantasmée en Afrique ». Ainsi, le chasseur local devient un braconnier dont il est bon de stopper les nuisances. En réalité, ce sont les expropriations commises par les colons, afin de réaliser leurs ambitions minières et extractives, qui transforment les habitudes des populations locales et accroissent les activités de chasse. « Les colons de l’époque sont incapables de voir que les désastres écologiques auxquels ils assistent sont dus à leur présence », précise Guillaume Blanc qui donne en exemple le développement fulgurant du trafic de défense d’éléphants en Afrique de L’Ouest, à l’arrivée des colons, avec 65 000 pachydermes tués par an ; les braconniers locaux ayant trouvé un nouveau débouché en la personne du colon européen et américain, très demandeur. «Plus le colon détruit la nature africaine, plus il la met en parcs ».

En 1960, l’UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) lance le Projet Spécial pour l’Afrique, lors de sa septième assemblée générale à Varsovie. Ce projet, soutenu par l’Unesco et la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’Agriculture), consiste, dans un premier temps, à inscrire l’idée de la conservation dans les programmes des dirigeants africains. Ensuite, lors de la conférence d’Arusha (Tanzanie) en 1979, est créée la WWF (World Wildlife Fond) dont le but est, à la fois, de financer la venue d’experts occidentaux en Afrique pour aider les dirigeants africains dans les projets de préservation, mais également « faire face à l’Africanisation des parcs » selon les termes des experts de l’époque, ce qui signifie : contrecarrer les conséquences des décolonisations. Durant ces années, « on assiste à la reconversion des administrateurs coloniaux en experts internationaux, qui vont poursuivre leur combat préservationniste en Afrique : mettre plus de terres en parcs et empêcher les hommes et les femmes de cultiver », décrypte Guillaume Blanc.

Deux poids, deux mesures

Dans ma tribune TotalEnergies en Afrique de l’Est : l’environnement face au développement, je demandais comment un pays comme la France – qui a sacrifié une part considérable de ses ressources vertes à la révolution industrielle- pouvait aujourd’hui, via des ONG, altérer les stratégies de développement de pays africains, au nom de l’écologie. Là aussi, le deux poids deux mesures n’est pas nouveau. L’historien nous apprend, par exemple, que l’Unesco classe au patrimoine mondial de l’Humanité le parc des Cévennes, en France, au nom de l’agropastoralisme. La valeur universelle du parc s’expliquerait par la manière dont l’activité des bergers et des cultivateurs a façonné le territoire. Le parc des Cévennes est une histoire d’adaptation : comment l’homme adapte la nature à son activité.

Pourtant, lorsque l’on se penche sur le parc du Simien, en Ethiopie, sa valeur universelle qui lui vaut d’être classé à l’Unesco, réside dans « Les paysages spectaculaires et les espèces endémiques ». Ainsi, l’activité humaine est valorisée en France mais considérée comme néfaste en Afrique. L’agropastoralisme est, en France, une histoire d’adaptation de la nature, là où, en Ethiopie elle est une affaire de dégradation de celle-ci. « Attention au vocabulaire, nous met en garde Guillaume Blanc. Nous, nous avons des peuples, eux, ils ont des ethnies. Nous on défriche, eux, ils déforestent. Nous on exploite eux, ils dégradent ».

La faute à la pop-culture et aux textes-réseaux


Cette mythification de l’Afrique sauvage est, selon le professeur-chercheur, largement entretenu par deux phénomènes : l’imaginaire et les experts. Le Guide du Routard, Lonely Planet ou encore les voyages de David Attenborough diffusés sur la BBC, sont autant de programmes qui inscrivent dans l’esprit des gens que l’Afrique est une terre quasiment vierge. Dans National Geographic, les braconniers sont régulièrement déshumanisés, tandis que l’on prête aux animaux des caractéristiques et des sentiments humains. Les animaux en Afrique ont une identité, ont un libre arbitre et sont plus précieux que l’Homme africain. Dans son ouvrage, Guillaume Blanc illustre cette anthropomorphisation à outrance avec le film d’animation Disney de 1994 Le Roi Lion. « Dans ce film, les lions sont des autocrates éclairés seuls capables de restaurer le cycle de la vie. Pour cela, ils vont devoir se battre contre des hyènes qui, elles, brûlent la savane. Les conservationnistes en Afrique sont les lions. Les rois détrônés qui sont les seuls à préserver la nature. Ils ne s’en prennent pas à des hyènes mais à des paysans. (…) Sans compter que dans cette Afrique [de Disney], il n’y a aucun Africain». Cette anthropomorphisation fait que: «Nous nous sentons plus proches des éléphants ou des lions que de l’Africain. (…) C’est ce que fait également que nous ne sommes pas choqués par les injustices sociales créées par les actions de l’Unesco et la WWF ».

Ensuite, Guillaume Blanc décrit le concept des textes-réseaux, à savoir de fausses vérités assénées tant de fois, par des experts autoproclamés, que l’on finit par les prendre pour des vérités absolues qu’il devient impossible de remettre en question. Les textes-réseaux, aussi, entretiennent les clichés sur la nature africaine. Par exemple, l’historien accuse les botanistes européens d’avoir lu l’histoire à l’envers dans leur analyse du couvert forestier ouest-africain. Ils découvrent des villages entourés d’une ceinture forestière. L’hypothèse des botanistes étant que, précédant l’Homme, se trouvait une grande forêt primaire, détruite au fur et à mesure de l’accroissement de la population humaine. La réalité est inverse. En Afrique de l’Ouest, avant les Hommes, il y avait de la savane. Puis, l’arrivée de l’Homme, l’agriculture et la fertilisation des terres, ont permis la pousse des arbres. Et les populations se dotent elles-mêmes, de cette couverture forestière.

Puis, Guillaume Blanc livre un exemple, plus parlant encore, de ce phénomène de textes-réseaux : dans les années 1960, un expert de la FAO, H.P. Hoefnagel, visite Addis-Abeba durant une semaine. Il étudie le rapport d’un forestier canadien datant de 1946, dans lequel est stipulé qu’il y a, à Addis-Abeba, 5% de couverture forestière, à cette époque. Puis, il consulte une seconde estimation, d’un forestier allemand qui affirme qu’aux alentours de 1900 cette couverture forestière représentait 40% du territoire. Dans son rapport, Hoefnagel proclame donc que la forêt est passée de 40% du territoire à 5% en un demi-siècle, dans la capitale éthiopienne et que l’Homme en est la cause. « Ces chiffres vont circuler partout, à une époque où l’on a peur de l’explosion démographique africaine. Le problème est que, lorsqu’on lit ‘’Une Vérité qui dérange’’ d’Al Gore, livre grâce auquel il obtient le prix Nobel, on retrouve ces chiffres qui ne reposent sur aucune enquête scientifique localisée ».

Le parc : un outil au service des dirigeants africains

Si l’on mentionne souvent l’utilisation des dirigeants africains par les experts occidentaux pour contrôler la nature, Guillaume Blanc rappelle que les dirigeants africains y trouvent également leur compte. Voilà pourquoi, selon lui, la politique des parcs revêt une dimension post-coloniale et non néo-coloniale. Dans une interview accordée à la librairie Mollat en 2020 -à l’occasion de la sortie de son ouvrage-, le professeur-chercheur confit les propos tenus par Julius Nyerere en 1960, alors qu’il est Premier ministre de Tanzanie : « Nyerere présidait la conférence concernant le Projet Spécial pour l’Afrique. Devant les experts, il dit ‘’nous voulons poursuivre le travail accompli’’, mais lorsqu’il s’adresse aux Tanzaniens, il dit ‘‘je n’ai pas l’intention de passer mes vacances à regarder des crocodiles, mais apparemment, les occidentaux sont prêts à investir des millions pour le faire’’ ».

Mais les revenus du tourisme ne sont pas l’unique gain lié au développement des parcs, pour les dirigeants africains. Toujours en Tanzanie, pays socialiste dans les années 1960, qui cherche à collectiviser les campagnes- les parcs vont favoriser le déplacement de populations. Ces déplacements forcés faciliteront le processus de collectivisation par la construction de grands villages. Idem en Ethiopie où l’Empereur Haïlé Sélassié tente de façonner un état centralisé. Il décide de construire ses parcs chez les nomades, dans les maquis, sur les territoires sécessionnistes. Le mouvement de populations seront coercitifs, violents, mais se réaliseront avec la bénédiction de la communauté internationale, étant donné que l’argument premier avancé sera la préservation de la nature.

Enfin, en République Démocratique du Congo (ex-Zaire), le président Mobutu Sese Seko, exploitera les parcs pour essayer de maîtriser l’insurrection. Il fait construire les parcs de Kahuzi-Biega et de la Maiko, dans le Kivu (l’Est du pays) où Laurent-Désiré Kabila monte son opposition. « Les parcs sont un excellent moyen de s’imposer, de planter un drapeau dans des territoires que les dirigeants peinent à contrôler. Dans cette alliance entre l’expert et le dirigeant, le grand perdant est, systématiquement, l’habitant ».

Les parcs sont-ils écologiques ?

En lieu et place de préserver la nature, les politiques environnementales, en Afrique créent des dommages sur de nombreux pans de la société, tout en insérant dans l’esprit des occidentaux des idées répandues fausses : « Dans les théories néomalthusiennes, les trop nombreux sont toujours les autres. La supposée surpopulation africaine est une idée sans fondement », lance Guillaume Blanc.

Comme le précise l’historien Nicolas Patin, maître de conférences à l’Université Bordeaux- Montaigne : « Tout le monde a un avis sur la manière dont l’Afrique devrait être préservée de sa propre population », sans pour autant se demander si la politique des parcs est réellement écologique.

Selon Guillaume Blanc : « Le coup écologique des visites dans les parcs équivaut à détruire le ressources mises en parc, en Afrique. Il ne s’agit pas d’une protection de la nature mais d’une consommation de la nature ».

Pour l’auteur de L’invention du colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’Eden africain, les solutions sont multiples : « Les bergers et cultivateurs, que l’on expulse des parcs, produisent eux- mêmes leur nourriture, se déplacent à pied (…) n’achètent que peu de viandes, de poissons, de nouveaux vêtements. Ils n’ont ni smartphones ni ordinateurs. Bref, si l’on voulait sauver la planète (…) il faudrait vivre comme eux, ou s’en inspirer. Pourquoi s’en prendre à eux ? Tout simplement pour éviter de s’en prendre à nous-mêmes. Pour s’exonérer des dégâts que l’on cause partout ailleurs ». Par ailleurs, il préconise un système de co-évolution où humains et non-humains sont sur un pied d’égalité : « Cela fait 150 ans qu’une idée reçue existe : l’Homme africain détruit sa nature. Mais, après 150 ans, elle n’est toujours pas détruite. Pourquoi ne pas faire en Afrique ce que les institutions internationales font en Europe : soutenir le pastoralisme et l’agriculture. L’écologie qui répondrait à une idée de la nature sans les Hommes ne marchera jamais, car les humains font partie du vivant ».

Références

  • Guillaume Blanc, 2020, L’invention du colonialisme vert : pour en finir avec l’Eden africain, Editions Flammarion.  
  • Giovanni Djossou, TotalEnergies en Afrique de l’Est : l’environnement face au développement, https://www.lafriquedesidees.org/totalenergies-en-afrique-de-lest-lenvironnement-face-au-developpement/
  • Interview de Guillaume Blanc à la Librairie Mollat (2020) https://www.youtube.com/watch?v=I5MzCxdWvuk

Démocratie au Gabon: Quelle direction?

Christian Dior MOULOUNGUI, est philosophe. Il est enseignant de philosophie et Doctorant en troisième année à l’Université Omar Bongo (Gabon) , cdmouloungui@gmail.com Libreville / Gabon

Résumé

Cette tribune étudie l’état de la démocratie tel qu’il se présente au Gabon. La démocratie dans cet État de l’Afrique centrale, nous semble-t-il, fonctionne à pas de caméléon. Nonobstant l’ouverture démocratique amorcée dans les années 1990 prônant pour le pluralisme politique dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, l’opacité de l’organisation politique au Gabon apparaît alors comme un obstacle à l’effectivité démocratique. Cette problématique de la gouvernance au Gabon est asymétrique à la question de l’alternance démocratique, bien qu’il y ait d’autres formes des dérives du pouvoir. Comment comprendre effectivement que plus d’un demi-siècle, voir plus de 55 ans, de règne présidentiel avec un même parti (PDG) au pouvoir depuis1968 ? Dans ce cas de figure, plus de trente ans plus tard, la promesse tant entendue de la démocratie est fille d’une attente sempiternelle et l’espoir du peuple gabonais de voir les jours meilleurs s’enlise dans le désenchantement total.     

Abstract

This article examines the state of democracy as it stands in Gabon. Democracy in this Central African state, it seems to us, is working at a chameleon’s pace. Notwithstanding the democratic opening that began in the 1990s advocating political pluralism in several sub-Saharan African countries, the opacity of political organization in Gabon then appears as an obstacle to democratic effectiveness. This problem of governance in Gabon is asymmetrical to the question of democratic alternation, although there are other forms of power abuses. How can we understand that more than half a century, or even more than 54 years, of presidential rule with the same party in power since 1968 ? In this case, more than thirty years later, the long-heard promise of democracy is the daughter of an eternal expectation and the hope of the Gabonese people to see better days is bogged down in total disenchantment. 

Introduction

Le triomphe de la démocratie libérale prédit et soutenu par les Occidentaux est bel et bien significatif dans l’œuvre Francis Fukuyama à la fin de la guerre froide. Pour lui, dans La fin de l’histoire et le dernier homme[1], la fin de la guerre froide marque une nouvelle ère de paix et de la fin des combats idéologiques. Et donc, finalement, la fin du communisme, des régimes totalitaires et le triomphe de la démocratie libérale et du capitalisme dans le monde. A cet effet, il prédit alors que cette nouvelle période des relations internationales,  post-guerre ou post-historique, est considérée comme une expansion, une émergence de la démocratie libérale dans le monde. Avant lui, François Mitterrand n’en pensait pas moins en s’appuyant sur la nécessité de la démocratie dans la gouvernance africaine :

Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons[2].

A ces propos, au-delà de l’objectivité première de ce discours, il s’agissait d’une sorte d’injonction préconisée aux pays africains d’adopter le régime démocratique. Un régime idéal pour une organisation politique libérale et garant des libertés des individus. C’est-à-dire, la démocratie comme régime politique idéal, pour l’instant, qui exprime ou affirme le mieux les attentes des peuples : égalité, liberté et justice.

Dans ces contions, pour les pays africains, il apparaît alors difficile d’organiser une vie politique à la marge de cet idéal politique occidental. C’est dans ce contexte que le peuple gabonais se veut iconoclaste par le canal de multiples mouvements de contestations pour dire non aux politiques centralistes et au népotisme du pouvoir en exercice. En effet, après plus de 22 ans de politique de parti unique, le Gabon renoue enfin avec le multipartisme dans les années 1990. En réalité, c’est le contexte de l’ouverture politique et institutionnelle. Mais l’effectivité de cette mouvance démocratique sera actée en 1990 avec la Conférence Nationale[3] et en janvier 1991 avec la légalisation optimale des partis politiques d’opposition. C’est l’aboutissement d’une longue crise politique et sociale au sortir de la chute du mur de Berlin en 1989, le début de l’ère démocratique dans les années 1990. Partant de là, le Gabon peut maintenant rêver de construire un espace politique démocratique qui prend en compte l’intérêt général et la volonté de ses citoyens, et donc du corps politique dans sa totalité organique. C’est l’espoir du peuple gabonais de connaître un futur meilleur à travers un monde d’égalité, de justice et de liberté. Mais plus de trente ans après, l’idéal occidental et la prédiction de Fukuyama sur le triomphe de la démocratie n’ont pas atteint les résultats escomptés[4]. Lisons Ana Pouvreau pour l’entendre dire : « En 1989, lors de la chute du Mur de Berlin, la démocratie paraissait triomphante et son avenir s’annonçait sous un jour radieux. Trois décennies plus tard, force est de constater que les démocraties sont malades »[5]. Bien sûr, aucun État démocratique aujourd’hui, petit ou grand soit-il, n’est en marge de mouvements de contestations : « Partout se sont élevées des contestations condamnant le déficit de représentation, de légitimité et de constitution de la volonté générale »[6].  Pour ainsi dire, dans cette perspective, la politique gabonaise retombe dans ses travers. C’est pourquoi, finalement, on constate qu’après la mouvance de l’ouverture politique, l’organisation de la vie politique au Gabon est flétrie par le déclin de la démocratie. Quand bien même, nous le savons, la démocratie est et reste le régime politique par excellence dans le monde et la finalité de tout gouvernement qui se veut humain.

 En raisonnant ainsi, il n’en demeure pas moins de noter que bon nombre de spécialistes et citoyens pensent manifestement que l’effectivité des principes démocratiques pose problème en Afrique, en général et au Gabon, en particulier. A cet égard, il apparaît fort probable de constater que la sphère politique gabonaise est caricaturée par le blocage de l’alternance démocratique, le népotisme, le despotisme, et donc un dysfonctionnement de l’affirmation de l’État de droit et de la souveraineté du peuple. A partir de là, nous comprenons que l’enjeu de notre démonstration est de montrer en substance que la crise de la démocratie est belle et bien évidente au Gabon. Lisons Pierre Rosanvallon pour l’entendre dire : « L’idéal démocratique règne sans partage, mais les régimes qui s’en réclament suscitent presque partout des vives critiques. C’est le grand problème de notre temps »[7]. C’est un fait qui pose aujourd’hui, en substance, le problème de la méfiance et défiance des citoyens vis-à-vis des régimes démocratiques.

Approche diachronique de la démocratie au Gabon

 Après les indépendances dans les années 1960 en Afrique subsaharienne, plusieurs pays africains connaitront leur premier président élus par la voie des urnes. Cela fut la première marche vers une autonomisation et émancipation politiques. C’est le moment de l’affirmation de la souveraineté des États africains. Par ailleurs, il faut noter au passage que nous sommes dans le contexte des partis uniques, et donc du processus électoral à parti unique. Pierre Jacquemot  note avec pertinence que « les régime à parti unique s’installèrent quasiment partout, avec des pouvoirs centralisés, niant les choix concurrentiels, satisfaisant médiocrement le vœu des Africains de choisir librement leurs représentants »[8].

C’est dans ce contexte que le Gabon prend son indépendance le 17 août 1960. Et le 12 février 1961, Léon Mba fut élu le premier président du Gabon. Cette élection du Président Léon Mba prend forme après négociation avec l’opposition dirigée par Jean-Hilaire Aubame :

Fragilisé par ces arrestations des membres de son propre parti, Léon Mba se rapprocha du leader de l’opposition, Jean-Hilaire Aubame, pour négocier une entente. Celle-ci, très vite conclue, prit le nom d’ « Union nationale ». Elle regroupa le B.D.G., l’U.D.S.G. et le P.U.N.GA Sous ses auspices furent élus, le 12 février 1961, le premier président de la République gabonaise − en l’occurrence, Léon Mba[9].

Mais après sa mort le 28 novembre 1967, selon l’idéal constitutionnel, Albert-Bernard Bongo devient le Président de la République gabonaise : Comme le stipulait la Constitution, révisée à dessein le 17 février 1967, le vice-président Bongo lui succéda le 2 décembre 1967 »[10]. A partir du 12 mars 1968, le nouveau président, Albert-Bernard Bongo, « créa un parti unique dénommé Parti démocratique gabonais, qui abolit toutes les libertés démocratiques[11].

A ces propos, une fois au pouvoir, le Président Albert-Bernard Bongo met en place un parti politique dynamique, le Parti démocratique gabonais le  12 mars 1968, autour duquel il va assoir sa stratégie politique. A cet effet, à partir des années 1968 jusqu’à la mouvance démocratique en 1990, le Gabon est en plein essor économique. Ce développement économique est propulsé par les recettes pétrolières.  De même, il convient de dire que politiquement, le parti unique (PDG), sous l’égide du Président Albert-Bernard Bongo, assure l’équilibre du pays à travers le dialogue et l’intégration de différents bords politiques. En un mot, il faut comprendre que sur le plan économique et politique, en ce temps, le Gabon est considéré comme un prototype en matière du développement économique et de stabilité politique au niveau de l’Afrique centrale.   

La dérive du pouvoir

 Outre ses prouesses en matière de développement économique et de stabilité politique, la politique du parti politique unique menée par les gouvernants gabonais met en place une politique du ventre[12], autoritaire et clientéliste au Gabon. A partir de là, il y a une sorte d’implantation et de manifestation de la privation des libertés d’expression, de conscience et d’agir : « Le 17 mars, les autorités ont suspendu les activités de la Convention nationale des syndicats du système éducatif (CONASYSED), le principal syndicat d’enseignants du pays, invoquant le « trouble à l’ordre public » causé lors du début du mouvement de grève en octobre 2016 »[13]. En plus, ladite politique semble être caractérisée par la mauvaise gestion de la manne pétrolière, et donc soldée par une gouvernance opaque de ressources naturelles :

Selon le rapport du Fonds monétaire international sur le Gabon, […] la gouvernance déficiente et les fuites de recettes du pays sont dues à l’absence de transparence des accords de partage de la production ; l’absence de vérification des coûts déclarés par des entreprises ; le manque de transparence des déclarations de recettes pétrolières. A cela s’ajoute la mauvaise gestion des entreprises pétrolières publiques, Gabon Oil Compagny (GOC) et la raffinerie nationale gabonaise, la Sogara, qui s’accompagne de transferts financiers peu transparents entre elles et l’État[14].

Cette mauvaise gouvernance des ressources pétrolières a plusieurs conséquences, à savoir : la pauvreté et les inégalités sociales plausibles dans la société gabonaise. Selon le rapport Gabon : Profil de Pauvreté 2017, « pour l’ensemble du pays, la pauvreté se situe à 33,4 pour cent en 2017, tandis que l’extrême pauvreté (ou pauvreté alimentaire) concerne 8,2 pourcent des gabonais »[15]. L’incidence de la pauvreté (PO) par milieu de résidence au Gabon, selon ce rapport, présente les données suivantes : « Nous constatons que la pauvreté est plus élevée dans le Sud rural où elle concerne plus de deux tiers des individus, tandis qu’elle concerne 21 pour cent des individus à Libreville, la capitale Gabon. Port-Gentil et le reste de l’Ouest Urbain se situe également en dessous du taux de pauvreté national de 33,4 pour cent »[16]. Et l’extrême pauvreté : «  Au niveau national, l’indice de la pauvreté extrême est de 8,2 pour cent en 2017. Une ventilation des résultats selon le milieu de résidence montre que la pauvreté extrême est beaucoup plus important en milieu rural avec un taux de 25,4 pour cent »[17].

 En outre, on peut ainsi dire que le Gabon sombre dans l’aristocratie[18], le despotisme[19] et le népotisme[20] depuis l’ère du Président Omar Bongo Ondimba[21] à la succession en 2009 de son fils, Ali Bongo Ondimba[22] jusqu’aujourd’hui. Cette succession du père au fils est bien loin d’être la règle de l’alternance démocratique, mais, en réalité, elle est beaucoup plus une succession monarchique, dynastique. Le pouvoir du père au fils, cette alternance politique typique devient un prototype en Afrique subsaharienne, notamment en février 2005 au Togo et en mars 2021 au Tchad. Aujourd’hui plus qu’hier au Gabon, les libertés d’expression et de manifestation sont souvent opprimées. Donc, semble-t-il, cette répression face  à tout mouvement de contestations montre en suffisance que l’expression des libertés individuelles ou collectives apparaît sans doute aliénée. Les conflits post-électoraux de 1993, 2009 et 2016 traduisent le caractère oppressif des gouvernants en exercice. A cet égard, même malgré le multipartisme et donc le triomphe de la démocratie des 1990, on peut comprendre que la démocratie gabonaise peine à se réaliser.         

En effet, comme nous l’avons dit, nonobstant l’ouverture politique caractérisée par la mouvance démocratique dans les années 1990 en Afrique, l’organisation politique au Gabon fonctionne en marge des principes de la démocratie. Pour dire les choses autrement, la démocratie fonctionne à pas de caméléon, pour emprunter l’expression de  Richard Banégas[23]. Cela dit, depuis ces années 1990 symbolisant le retour à la vie démocratique et au pluralisme des partis politiques au Gabon, le régime politique n’a jamais changé. D’après Lassaad Ben Ahmed, « Au Gabon, la famille Bongo cumule plus d’un demi-siècle à la tête du pays, d’abord avec Omar Bongo durant 42 ans, depuis 1967, succédé ensuite par son fils Ali Bongo et toujours en poste »[24]. De même, l’élection des députés et sénateurs par le peuple gabonais, comme leurs représentants au Parlement, n’a jamais changé de paradigme ni pour une organisation politique adéquate et optimale, ni pour la confiance du peuple qu’ils sont censés représenter. L’enquête menée au Gabon par l’Afrobaromètre[25] en 2020, semble-t-il, nous donne une idée plus ou moins distincte de la situation démocratique dans ce pays. D’après cette enquête, « La moitié (50%) des Gabonais ne font pas du tout confiance  aux députés et sénateurs, en plus de 29% qui leur font juste un peu confiance. Seulement 6% leur font « beaucoup confiance »[26]. Dans ce cas de figure, nous dit Pierre Rosanvallon, nous sommes dans Le Parlement des invisibles[27]. C’est-à-dire, l’abandon exaspéré de nombreux gabonais qui se disent oubliés, incompris et pas écoutés par leurs représentants. Il faut donc comprendre que :

La forte majorité des enquêtés disent que ni les sénateurs (74%) ni les députés (63%) ne les écoutent jamais. La très large majorité des Gabonais jugent négative la performance des députés (78%) et des sénateurs (83%). Aussi, six Gabonais sur 10 (61%) estiment que la plupart ou « tous » les parlementaires sont impliqués dans les affaires de corruption[28].

 De même, Alix-Ida Mussavu n’en pense pas moins, en reprenant les sondages d’Afrobarometer  sur l’appréciation de la démocratie au Gabon : « Selon les résultats du 8e tour d’Afrobarometer au Gabon sur l’appréciation de la démocratie, 70% des Gabonais préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement mais plus de 88% ne sont pas satisfaits de son fonctionnement dans le pays »[29]. Au final, par ces sondages dont les données nous paraissent fiables, nous pouvons dire sur la base de l’expérience et d’appréciation que la manière de gouverner et la qualité de la vie au Gabon permettent de comprendre que la démocratie est d’autant plus chimérique et fataliste que réaliste.          

La mal-représentation

  Le problème de la politique gabonaise, à notre humble à vis, c’est la mal-représentation. Et celle-ci est la conséquence directe de la mauvaise gouvernance. Pour comprendre les choses autrement, le fait que les dirigeants gabonais n’assurent pas leur fonction des représentants du peuple de manière adéquate et optimale, il n’est pas sans conteste étonnant d’être dans la situation de gouvernance chaotique que connaisse le Gabon actuellement. Le clan dirigeant se livre, semble-t-il, au pillage sans précédent de ressources et richesses du pays. Selon Rose Moussaoui, dans Le Clan Bongo, un demi-siècle de règne et de pillage,  « ces richesses n’ont jamais profitées aux Gabonais, privés d’infrastructures et de services de base »[30]. Les conséquences immédiates de cette gouvernance opaque  sont : le népotisme, le clanisme et surtout, bien sûr, le chômage chronique des jeunes gabonais : « Dans son rapport publié le 11 août dernier à la veille de la célébration de la journée internationale de la jeunesse, l’OIT estime à 73 millions le nombre de jeunes chômeurs en 2022, soit 14,9%, en baisse par rapport à 2021 (75 millions), mais supérieur de 6 millions par rapport à 2019 »[31]. Parce que les postes dans l’administration gabonaise sont à la solde des collaborateurs et parents. Plus déplorable encore en ce qui concerne cette mal-représentation, c’est qu’elle a posé une scission entre le peuple gabonais et ses représentants. C’est-à-dire, les citoyens n’ont plus confiance à ceux qui les dirigent, et donc ils deviennent alors méfiants vis-à-vis d’eux et distants à l’organisation politique. Pierre Rosanvallon, dans son texte Le Parlement des invisibles, n’en pense pas moins : « Une coupure s’est creusée entre la société et les élus censés la représenter. Ce constat est aujourd’hui bien établi »[32].

  A ces propos, pour revenir à la situation démocratique du Gabon, il faut comprendre que l’érosion de la confiance s’est établie entre le peuple gabonais et ses représentants. Ces dirigeants gabonais auraient oublié volontairement, puisqu’ils en connaissent la nature et les enjeux d’une organisation politique démocratique, l’intérêt général et la souveraineté du peuple gabonais dans leur « gouvernementalité ». Autrement dit, le problème, justement, est que ces dirigeants gabonais excluent toute transparence dans la gestion de la chose publique, déclinent toute responsabilité, favorisent le partisanisme et rejettent consciemment l’écoute du peuple. De ce fait, Il apparaît donc fort probable de justifier, finalement, la méfiance, les critiques, le désarroi et le mécontentement des citoyens gabonais à l’égard de leurs dirigeants.

Partant de là, il sied d’affirmer que les dirigeants gabonais n’ont visiblement pas la volonté de penser démocratiquement la société gabonaise, ni comment gérer la chose politique démocratiquement de telle sorte que le bien-être des gabonais soit effectif. Mais dommage, bien évidemment, parce que leur souci n’est visiblement que d’assouvir leurs intérêts individualistes et partisans. Encore plus inquiétant dans leur gouvernance, nous semble-t-il, ils cherchent inéluctablement comment garder de facto ou par tous les moyens le pouvoir. Par conséquent, ils utilisent tous les mécanismes possibles pour pérenniser effectivement leur pouvoir. Pierre Rosanvallon note avec pertinence que la vie politique moderne et contemporaine « tend de plus en plus à s’organiser autours des enjeux de conquête et de l’exercice du pouvoir, et non autour du souci d’exprimer la société ou de gouverner adéquatement l’avenir »[33]. Comme telle, cette conquête du pouvoir au Gabon a mis en place une machine à broyer la scène politique gabonaise, et donc le Parti-État, Parti démocratique gabonais (PDG) : « le Parti démocratique gabonais (PDG), comme parti unique et dirige d’une main de fer »[34].

 A cet effet, cette marginalisation de la démocratie justifie non seulement le non-respect de la Constitution gabonaise, caractérisée par sa revisitation à des fins politiques, mais également pour asservir le peuple gabonais et de maintenir le pouvoir. Noël Bertrand Boundzanga[35] qualifie cette démocratie gabonaise de meurtrière  dans son ouvrage Le Gabon, une démocratie meurtrière[36]. Dans cet ouvrage, Noël Bertrand Boundzanga met en exergue l’analyse de la démocratie au Gabon, et donc ses avancées et ses malheurs. Pour lui, la démocratie telle qu’elle fonctionne au Gabon ne peut prétendre à aucun développement. En effet, l’État de droit au Gabon n’est pas respecté. Dans ces conditions, la vie politique devient l’apanage du système du pouvoir en place, en réduisant au silence les acteurs politiques et les acteurs de la société civile qui se veulent critiques, démocratiques. Pour ainsi dire, pour étouffer tout mouvement de contestation, le pouvoir politique en exercice utilise les intimidations. Christ Olivier Mpaga[37] ne peut rester indifférent face à cette politique caricaturale de la démocratie au Gabon en signant la lodiciquarte, c’est-à-dire la quatrième de couverture[38] dudit ouvrage, Le Gabon, une démocratie meurtrière. Pour lui, en substance, l’état actuel du Gabon ne peut favoriser la transition démocratique. Parce qu’il faut repenser la société gabonaise dans toute sa dimension de l’organisation politique. En commençant par la « légitimité et le statut du chef de l’État, des acteurs politiques, le rôle des intellectuels et les auxiliaires du pouvoir que sont la police, l’armée, les partis politiques, les syndicats et la société civile »[39].

 Il s’agit donc ici de repenser la vie politique au Gabon à travers la restructuration et la recomposition de son corps politique de façon organique. C’est une sorte d’iconoclasme révolutionnaire du contrat social de la politique gabonaise. Ainsi, l’ouvrage Le Gabon, une démocratie meurtrière se veut donc, à notre humble avis, une critique profonde de la mauvaise gouvernance au Gabon. Pour ainsi dire, Noël Bertrand Boundzanga, par Le Gabon, une démocratie meurtrière, se fait le chantre de la démocratie et le défenseur des valeurs humanistes. Par une opération intellectuelle chirurgicale, il peint une critique et un iconoclasme révolutionnaire totalisant de l’acte de « la gouvernementalité gabonaise » dans sa substance. Ainsi, il convient d’affirmer que l’opacité démocratique au Gabon se comprend, au-delà de tout raisonnement analogue ou analogique, par le despotisme et le népotisme exacerbés. Cette crucifixion de la démocratie présume, d’une certaine manière ou par extension, une disposition de l’État-policier[40] dans la mesure où l’aliénation des libertés fondamentales et l’impossibilité d’effectiviser les recours contre le pouvoir se font sentir dans la société gabonaise. René Dumont note avec pertinence que « Sans la démocratie, qui est la charpente, les droits de l’homme ne sont pas qu’une coquille vide »[41]. Alors que le Gabon a besoin d’un État-protecteur garantissant le bien-être et les droits de ses citoyens. 

Peuple passif ?

Peut-on dire que le peuple gabonais n’est pas à la hauteur des circonstances historiques ?         Nous présumons ici qu’au Gabon, la politique se fait manifestement sous forme de dysfonctionnements en mélangeant les institutions démocratiques et les pratiques autoritaires[42], estime Khalid Tinasti. Dans cette perspective, nous sommes dans un État soi-disant démocratique où  les dirigeants ont naturalisé l’acte politique par la politique des dons, du ventre et du culte de la personnalité, au lien de poser les fondements d’une politique démocratique de construction de l’État de droit recouvrant le bien-être et l’idéal de la population gabonaise. Mais malheureusement, les citoyens gabonais qui sont censés revendiquer cela sont dans un sommeil dogmatique. Bien évidemment, pour dire qu’ils ont succombé dans la servitude volontaire, pour reprendre l’expression d’Étienne La Boétie[43]. Dans ce texte d’Étienne La Boétie, considéré effectivement comme un réquisitoire contre le pouvoir absolu, il dénonce en substance l’acceptation du peuple d’être aliéné volontairement face au pouvoir politique. Pour lui, si le peuple est assujetti, c’est parce qu’il admet d’être dominé. De ce fait, la servitude du peuple, dit-il, est une servitude consentie parce qu’il demeure volontairement à l’état de minorité[44].

 En un mot, le peuple se donne volontairement à être manipulé, dressé et aliéné à la soumission et à la domination du pouvoir politique. Bien sûr, il est fort probable d’affirmer que c’est l’unique occasion et préoccupation possibles que les représentants souhaiteraient en avoir. En effet, pour Louis Auguste Blanqui, après plus de trente ans de démocratie jalonnée « de népotisme, de despotisme, de servitude et d’abrutissement systématique, la souveraineté du peuple » ne peut qu’être le produit ou l’éclosion d’un scrutin garni relativement et naturellement par « la graine semée dans les cerveaux »[45] par les prétendus gouvernants. A cet égard, pour revenir au peuple gabonais, nous comprenons donc que sa passivité face aux enjeux politiques, économiques et sociaux actuels qui prévalent dans le pays traduit implicitement son mutisme face à sa tâche de s’affirmer dans le jeu démocratique. Il apparaît bien, dans cette perspective, affirme Pierre Rosanvallon : « Le peuple dans son ensemble n’est pas encore, à ses yeux, à la hauteur de sa tâche historique »[46]. Autrement dit, il n’y a pas de bon peuple sur lequel l’énergie du droit de vigilance pourrait effectivement prendre appui. A l’évidence, le peuple gabonais, comme la masse des électeurs manipulés, ne limite ses droits que dans l’accrochage  à la duperie ou à l’illusion électorale. Pour le dire autrement, « Le suffrage universel est son esclave »[47]. En réalité, comme le pense Pierre Rosanvallon, si :

Le peuple est la source de tout pouvoir démocratique. Mais l’élection ne garantit pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni qu’il y reste. C’est pourquoi un pouvoir n’est désormais considéré comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l’expression électorale majoritaire[48].

  Alors, il convient ici de comprendre la nécessité de l’orientation du renouveau politique africaine. C’est-à-dire, l’une des solutions pour pallier aux dysfonctionnements institutionnels du pouvoir représentatif en Afrique, c’est que le peuple africain doit être constamment vigilant dans l’action gouvernementale au-delà des échéances électorales. C’est donc la problématisation du citoyen-électif passif que l’Afrique ait toujours connu dans son organisation politique. En principe, nous comprenons ainsi qu’il est important et subtile de redéfinir ou de reconstruire le rôle incontestable dans l’organisation étatique que doit désormais incarner le peuple africain, en général et le peuple gabonais, en particulier. Justement, c’est celui du citoyen-vigilant et juge dans la gestion de la politique africaine moderne et contemporaine. En effet, le peuple africain, voire le peuple gabonais, doit sortir du mirage du suffrage universel que Louis Auguste Blanqui qualifie de « bévue démocratique[49] »[50]. Dans l’exacte mesure où, pense-t-il, le suffrage universel installé au centre de la démocratie représentative est susceptible d’être un principe qui donne lieu à la manipulation et à la falsification électorale. Somme toute, loin pour nous d’ostraciser ou de nier catégoriquement le vote dans le processus de démocratisation en Afrique ou au Gabon, puisqu’on le sait, il en fait partie de l’un des principes substantiels du jeu démocratique, mais on aimerait plutôt se demander pourquoi le peuple gabonais est loin d’être manifeste et vigilant dans l’acte de la gouvernance étatique au-delà de ce vote.    

L’éternel problème de la modification constitutionnelle

 La disposition de la Constitution qui régit l’organisation politique au Gabon et dans d’autres pays africains ne favorise pas l’effectivité et le bon fonctionnement de la démocratie. C’est ce qui explique logiquement le rôle de la Constitution, souvent modifiée pour l’avantage des gouvernants, dans ces pays afin de favoriser le maintien au pouvoir des dirigeants  en exercice :

La réforme de la Constitution de 2010 qui a vidé la Loi Fondamentale de toute sa subsistance et qui a permis au Chef de l’Exécutif de s’arroger tous les pouvoirs, d’exercer une hyper prépondérance sur les autres institutions constitutionnelles au point qu’il détient seul la capacité de nomination des membres desdites institutions. Par ailleurs, cette réforme n’offre aucune possibilité d’alternance et de limitation du mandat présidentiel. Elle n’assure encore moins l’indépendance de la justice et le contrôle démocratique des forces de défense de sécurité. A cet effet, le Président de la République, sans passer par le Parlement peut désormais décréter, l’état de siège ou l’état d’urgence. Assurément, la Constitution actuelle du Gabon a été imposée au peuple en violation des principes et des objectifs de la Charte Africaine de la Démocratie, des élections et de la Gouvernance signée par le Gabon le 02, février 2010 et du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques ratifié par le Gabon en 1983[51].

C’est pourquoi, finalement, les textes relatifs à la Constitution en Afrique, ou du moins au Gabon, sont apocryphes. C’est-à-dire, ces textes constituant la Constitution souffrent d’authenticité et de véracité. Parce qu’ils sont souvent amendés pour les intérêts de ceux qui dirigent. A contrario, ces derniers devraient être canoniques, c’est-à-dire revêtir l’authenticité et la véracité basées sur l’intérêt général et la souveraineté des citoyens africains, en général et des citoyens gabonais, en particulier. C’est ce qui relève manifestement le critérium fondamental de toute Constitution qui se veut républicaine. Pour ainsi dire, la Constitution qui promeut l’intérêt général, la chose publique et donc la démocratie.

 Cela dit, à notre sens, il est fort probable que les dirigeants gabonais, voire africains, ne devraient pas confondre l’autorité politique et la responsabilité politique dans l’effectivité constitutionnelle. Car, l’autorité politique, à notre humble avis, est dotée de la personnalité juridique permettant de faire assoir l’État de droit au Gabon. Et, disons-le, non l’autorité autoritaire dont ils font montre. Quant à la responsabilité politique, nous disons qu’elle relève de la responsabilité morale. Celle-ci demande à nos dirigeants d’être vertueux afin de comprendre naturellement la substance de la responsabilité qui est la leur de respecter leurs engagements politiques, en répondant à l’intérêt général des gabonais. C’est la politique adéquate qui répond aux besoins des conditions de vie des gabonais et à la prise en compte de leur réalité quotidienne. Il est donc urgent que les autorités gabonaises mettent en place une stratégie d’expérimentation politique, économique, sociale et intellectuelle plausibles de la bonne gouvernementalité, et donc de valoriser la meilleure Constitution au Gabon.

La place de la contestation comme expression de la critique démocratique au Gabon

 Ici, il est question d’admettre la critique dans la démocratie à travers les mouvements de contestation vis-à-vis du pouvoir politique en exercice au Gabon. En effet, les gouvernants gabonais doivent s’accoutumer avec les réalités d’expression populaire et citoyenne de contestation lorsque le besoin de revendiquer le droit des citoyens se fait savoir. Pour ce faire, les dirigeants gabonais doivent promouvoir la critique et non nullement adopter la politique autoritaire afin de vouloir dissiper la contestation par la répression, comme c’est toujours le cas actuellement. C’est l’ouverture politique d’acceptation de l’altérité, du droit de résistance à la volonté de dire non aux inégalités, du droit à l’opposition à la gouvernance caricaturale et hypothétique. C’est dans l’objectif de promouvoir l’objectivité du droit, la société d’égalité, et donc la politique de lisibilité, de visibilité, de proximité, de réflexibilité et  d’impartialité comme action démocratique de la vie politique au Gabon.

  A cet égard, la responsabilité politique, comme l’État de droit, doit permettre d’aménager « la reconstitution progressive d’un véritable espace protestataire »[52] dans la vie politique démocratique gabonaise. C’est pourquoi, manifestement, la contestation populaire et citoyenne doit être au centre de l’organisation politique au Gabon. En réalité, la contestation de tout pouvoir en exercice est du ressort même de l’idéal démocratique. C’est l’héritage de la transition démocratique que l’Afrique aurait professé dans les années 1990. Car, les mouvements de contestations « en Afrique remonte aux années 1990, en pleine transition démocratique »[53], estime Ousmanou Nwatchock A Birema. C’est pourquoi, bien évidemment, il souligne que les mouvements de contestations en Afrique subsaharienne ces dernières années auraient réussi à bouleverser la donne politique dans certains pays africains. Lisons-le pour l’entendre dire :

Les émeutes de la faim13, les mouvements citoyens tels que « le balai citoyen » (Burkina Faso) et « Y’en a marre » (Sénégal) ou encore les « vendredis en noir » ou le mouvement « 11 millions de citoyens de Cabral Libii (Cameroun) sont quelques-unes des modalités d’expression populaire et citoyenne ces toutes dernières années en Afrique subsaharienne[54].

 En un mot, l’aménagement d’un véritable espace d’expression populaire et citoyenne constitue effectivement l’une des solutions parmi tant d’autres de repenser le processus démocratique au Gabon. C’est la dimension relativement réaliste  d’une démocratie pragmatique et totalisante qui fait défaut à la vie politique au Gabon aujourd’hui. Il s’agit ici de comprendre que l’espoir d’un futur meilleur du Gabon réside dans « la lassitude des pouvoirs en place et sur l’adhésion conséquente des masses à l’idéologie de contestation qu’ils entretenaient à l’échelle du continent »[55]. Dans ce cas, le corps politique gabonais se doit de prendre en compte tous les contours de la matérialisation de l’expression populaire et citoyenne, en restituant les lieux de contestations tels que les démarches  institutionnelles, l’affirmation de la rue et des réseaux sociaux comme une sorte de défiance démocratique à l’égard de l’aliénation du pouvoir qui se veut nécessairement autoritaire ou népotiste. Au final, selon Ousmanou Nwatchock A Birema :  

La rue et les réseaux sociaux (re)deviennent les lieux d’expression de la défiance des pouvoirs (les soulèvements Afrique du nord par exemple ont eu leur large succès du fait de la capitalisation des réseaux sociaux par les leaders d’opinion), les diasporas sont utilisées pour travailler positivement ou négativement l’image des pays à l’étranger, ou pour agir dans les circuits de conquête du pouvoir[56].

A ces propos, il convient de comprendre qu’il faut redonner vie à l’espace publique gabonais sous toutes ses formes afin que l’idéal de l’expression populaire et citoyenne soit au centre de la vie politique au Gabon. Ainsi, il faut noter au passage qu’il apparaît donc urgent que la nécessité se fait de souscrire la manifestation de cette expression populaire et citoyenne dans la Constitution de l’État gabonais. En principe, c’est dans l’objectif de promouvoir une politique ostentatoire dans l’objectif de mettre en évidence les qualités et les avantages d’une Constitution démocratique au Gabon.

La transparence dans la gestion politique gabonaise

 Au Gabon, les citoyens ressentent le sentiment d’impuissance face au manque de transparence dans la gouvernance de leurs dirigeants. En effet, la transparence dans la gestion politique gabonaise demande effectivement « la restauration d’une volonté politique salvatrice »[57], affirme Pierre Rosanvallon. C’est pourquoi, semble-t-il, on pense qu’il faut que la transparence politique au Gabon mette en évidence les valeurs démocratiques telles qu’une administration républicaine et non partisane, le contrôle de l’affaire publique par des institutions indépendantes, le contrôle de l’action de l’État, la lutte contre les abus du pouvoir, la transparence des procédures budgétaires et la séparation des pouvoirs de l’État. A partir de là, il y a la possibilité de faire face à « la montée en puissance d’une démocratie qui est devenue essentiellement négative »[58]. Dans ce cas de figure, l’objectif de la transparence est de promouvoir la bonne gouvernance. C’est l’acte restaurateur même de la confiance entre les gouvernants-gouvernés, selon la perspective rosanvallienne. En outre, il faut comprendre sans doute que la transparence est supposée permettre un parfait contrôle de l’organisation étatique. D’après Pierre Rosanvallon :

La perspective de la transparence se substitue dorénavant à un exercice de la responsabilité que l’on a désespéré de pouvoir organiser ; elle accompagne une sorte d’abandon des objectifs proprement politiques au profit de la valorisation de qualités physiques et morales[59].

A cet égard, la transparence permet manifestement de lutter contre une organisation politique gabonaise opaque, en affirmant la primauté à l’attention des citoyens gabonais désabusés. En réalité, la transparence implique impérativement l’effectivité de « l’idéal démocratique de production d’un monde commun »[60], note Pierre Rosanvallon. Pour ainsi dire, la transparence est une vertu salvatrice qui restitue la bonne gouvernance telle que pensée par une politique démocratique, et donc responsable et compétitive. C’est l’affirmation de l’intérêt général dans une sphère politique submergée par l’indécision et l’incertitude des gouvernants gabonais. Pour Pierre Rosanvallon, la transparence est sans conteste constitutive et participative d’une politique de volonté manifeste et d’intérêt général. Car, dit-il, « La transparence est devenue la vertu qui s’est substituée à la vérité ou à l’idée d’intérêt général dans un monde marqué par l’incertitude »[61]. Il s’agit de comprendre qu’avec la transparence, les dérives du pouvoir autoritaires sont supposées disparaître, laisser place à la manifestation optimale des principes démocratiques dans la société gabonaise.

  En raisonnant ainsi, l’État gabonais doit comprendre que la politique de transparence implique donc une gouvernance de visibilité, d’impartialité, de réflexibilité et de proximité. A cet égard, elle sous-entend le moteur d’une organisation démocratique de la vie politique que réclament les citoyens gabonais. C’est un idéal organisationnel de clarification et  de gestion de la bonne représentation politique valorisé par le contrat social. Il faut donc que les dirigeants gabonais promeuvent une transparence de l’action gouvernementale en redynamisant démocratiquement les institutions dans leur fonctionnement. En cas de non-application de la transparence dans la gestion étatique, qui serait la prédominance du dysfonctionnement politique, le développement des pouvoirs de surveillance, d’empêchement et de jugement doit prévaloir dans toutes les actions des membres du corps politique. Parce que, nous semble-t-il, les pouvoirs contre-démocratiques sont relativement l’effectivité de l’équilibre de la division des pouvoirs constituant un État.

 Nous sommes ici en présence d’une dynamique politique impliquant subtilement le contrôle de la chose publique de façon à rendre plausible le fonctionnement étatique devant la communauté politique. C’est de cette manière, démocratiquement et objectivement, que chaque membre du contrat social contribue à encadrer l’intérêt général. Ainsi, la gouvernance démocratique au Gabon doit prendre en compte la transparence dans son fonctionnement tant recommandé par ses sujets. A contrario, l’application des pouvoirs de surveillance, d’empêchement et de jugement s’impose inéluctablement et de facto. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’implication des principes démocratiques dans la gestion des affaires publiques permet de comprendre le degré de transparence et de volonté des gouvernants. Cela suppose donc la proximité et l’écoute des gouvernants gabonais face aux demandes de leurs citoyens. C’est pour dire que la citoyenneté au-delà du droit de vote, implique également le droit de professer les opinions, de délibérer et de proposer, affirme Rousseau[62]. Car, l’activité démocratique basée sur la souveraineté du peuple est corrélativement liée à l’écoute des attentes de la société dans laquelle la politique s’organise. Pour ce faire, l’élaboration de la Constitution gabonaise ne peut se comprendre ou s’effectiviser en marginalisant la souveraineté du peuple et ses aspirations. C’est pourquoi, notons-le, le Gabon doit renforcer la transparence dans l’appui de l’émergence de mouvements des citoyens, la construction d’opinions publiques nationales, l’autonomie de la justice et des médias, la lisibilité et la visibilité de la gestion des affaires publiques, l’affirmation d’un véritable espace d’interpellation démocratique et la légitimation d’une représentation démocratique, etc.      

Conclusion : Optimisme pour un renouveau politique au Gabon

  Préconiser un état des lieux de la démocratie au Gabon peut avérer une entreprise délicate, et donc susceptible d’avoir certaines désapprobations et approbations. Mais que cela ne tienne, semble-t-il, nous le faisons au nom de la science, en général et au nom de la vérité philosophique, en particulier. Si le sacerdoce de l’intellectuel est de dire la vérité, alors nous mourrons au nom de cette vérité en tant que philosophe. Cela dit, nous avons vu que la démocratie au Gabon a pris une direction décadente et problématique. Elle devient sujette aux maux qui minent l’organisation politique adéquate qui se veut transparente, et donc démocratique. Penser un renouveau de la politique gabonaise est l’une des possibilités pour sortir de la mauvaise gouvernance qui déstabilise tant l’effectivité et la survie de la démocratique dans ce pays.

  Somme toute, l’orientation de la politique au Gabon laisse à désirer la redéfinition de nouvelles bases de l’organisation gouvernementale. Cette nouvelle dynamique politique préconisée, à notre sens, permet de sortir de l’image d’un Gabon morcelé par un État démuni des institutions fortes qu’offre le pays aux yeux du monde. Partant de là, il est temps que le Gabon se prenne en charge, se pense elle-même et s’ouvre aux défis mondiaux avec une organisation politique conséquente, dynamique et permanente. A notre humble avis, il faut sortir du sentiment de la logique fataliste selon lequel le Gabon ne se développera jamais tant que ce même régime politique dominant (Parti démocratique gabonais) reste au pouvoir. Parce que nous pensons que le Gabon n’est pas soumis aux réalités déplorables actuelles, mais plutôt à un avenir meilleur si il redéfinit sa direction politique en matière de gouvernance et sa gestion économique en matières de ressources premières dont il dispose.

           A cet effet, en partant de l’idéal selon lequel le Gabon est le pays de l’avenir, nous devons refuser avec la dernière énergie les propos de l’Ancien Président français Jacques Chirac, qui affirmait : la « démocratie n’est pas faite pour l’Afrique », en général et pour le Gabon, en particulier. Pour cela, il convient de penser que le Gabon a des atouts qu’il doit mettre en valeur, en promettant un espace politique de délibération adéquate pour l’effectivité d’une nouvelle organisation politique de responsabilité, d’égalité et de compétitivité que son peuple rêve tant. C’est l’organisation pleinement démocratique d’un Gabon futuriste dynamique et meilleur. Lisons Flavien Enongoué pour l’entendre dire : « Au Gabon, malgré l’échec du passé, marqué par une « démocratie ambiguë », et les incertitudes du présent, résultant de l’équation à mille inconnues du parti dominant, il faut peut-être garder espoir que demain se lèvera un jour nouveau »[63].  


[1] Lire à ce sujet, Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, 1992.

[2] Voir Extrait du discours de François Mitterrand à La Baule, 20 juin 1990. Il se prononçait sur la situation économique de l’Afrique, les possibilités d’aide des pays les plus riches et la position française en matière de coopération et d’aide financière.

[3] La Conférence Nationale au Gabon s’était tenue du1er mars au 19 avril 1990.

[4] Lire à ce sujet, Samuel Huntington, Le choc des civilisations, 1996. Quelques années plus tard, Huntington pour s’opposer à la thèse de Fukuyama, écrira que l’achèvement de la fin de la guerre froide n’est pas le triomphe de la démocratie. Mais plutôt, la fin du conflit en terme idéologique et le début de choc de cultures entre les différentes civilisations. 

[5] Lire à ce sujet, Ana Pouvreau, « Le siècle du populisme de Pierre Rosanvallon », Dygest, 2022.

[6] Ibid.

[7] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politiquent à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 9.

[8] Pierre Jacquemot, De l’élection à la démocratie en Afrique (1960-2020), Op. cit., p. 7.

[9] Nicolas Metegue N’nah, Roland Pourtier, « GABON », Encyclopaedia Universalis. Voir en ligne https://www.universalis.fr/encyclopedie/gabon/ . Consulté le 9 novembre 2022.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Lire à ce sujet, Jean-François Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Éditions Fayard, 1989.

[13] Voir Amnesty international, « Liberté d’expression, d’association et de réunion », Rapport sur le Gabon, 2017/ 2018.

[14] Voir Loïc Ntoutoume, « Gouvernance déficiente : Le Gabon veut inverser la tendance », Gabon Review, 8 septembre 2021. 

[15] Voir  CRCHUS, Université de Sherbrooke et Université Laval, Gabon : Profil de Pauvreté 2017, Août 2018. damien.echevin@usherbrooke.ca

[16] Ibid., p. 6.

[17] Ibid., p. 8.

[18] En politique, c’est une forme de gouvernement où le pouvoir n’est possédé que par un certain nombre de personnes constituant une classe privilégiée.

[19] C’est une forme de gouvernance soumise à une autorité arbitraire et absolue, qui opprime les libertés fondamentales des individus.

[20] C’est le fait que l’autorité mène une politique mettant en avant le favoritisme de son entourage, à savoir : Ses collaborateurs et les membres de sa famille. 

[21] Omar Bongo Ondimba fut le deuxième président du Gabon de 1967 à 2009.

[22] Ali Bongo Ondimba, fils du défunt président gabonais, Omar Bongo Ondimba, est élu à la tête de l’État gabonais, le 30 août 2009 jusqu’à nos jours.

[23] Lire à ce sujet, Richard Banégas, Démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éditions Karthala, 2003.

[24] Lire à ce sujet, Lassaad Ben Ahmed, « Gabon : Les Bongo, 54 au pouvoir », Afrique, Agence Anadolu, 02/12/2021.  

[25] L’Afrobaromètre (en anglais afrobarometer) est une étude régulière réalisée par un réseau de recherche panafricain, indépendant et non-partisan, qui réalise des sondages de l’opinion publique sur des sujets économiques, politiques et sociaux à travers le continent africain. Il a été créé en 1999 par la fusion de trois projets de recherche menés par Michael Bratton, Robert Mattes et Emmanuel Gyimah-Boadi3. Il est, en 2019, dirigé par E. Gyimah-Boadi. Voir http://www.afrobarometer.org/node/39.

[26] Lire à ce sujet, Afrobarometer, le communiqué de presse. Libreville, Gabon 2 octobre 2020. Voir www.cergep.org, www.afrobarometer.org (Christian Wali Wali, Téléphone: +241 (0) 77061701 Email: cergepgeo@gmail.com).

[27] Lire à ce sujet, Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Paris, Éditions du Seuil, 2020.

[28] Voir Afrobarometer, le communiqué de presse. Libreville, Gabon 2 octobre 2020. 

[29] Voir post d’Alix-Ida Mussavu, Gabon Rewiew (L’information au quotidien sur la vie du Gabon), 14 octobre 2020.

[30] Voir Rosa Moussaoui, « Le Clan Bongo, un demi-siècle de règne et de pillage », L’Humanité, vendredi 2 Septembre 2016.

[31] Voir Griffin Ondo Nzuey, « Emploi : 73 millions de jeunes chômeurs en 2022 », Gabon Review, 18 août 2022.

[32] Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Op. cit., p. 23.

[33] Ibid., p. 43.

[34] Voir Lassaad Ben Ahmed, « Gabon : Les Bongo, 54 au pouvoir », Afrique, Op. cit.

[35] Noël Bertrand Boundzanga Membre de la société civile, Écrivain, Essayiste et Enseignant-Chercheur à l’Université Omar Bongo (Département de Littératures Africaines).

[36] Noël Bertrand Boundzanga, Le Gabon, une démocratie meurtrière, Paris, Éditions L’Harmattan, 2016.

[37] Christ Olivier Mpaga, Philosophe, Maître de conférences en Philosophie  et Enseignant-Chercheur à l’Université Omar Bongo (Département de Philosophie).

[38] La dernière page extérieure de l’ouvrage, plat verso.

[39] Christ Olivier Mpaga, Quatrième de couverture, Le Gabon, une démocratie meurtrière, Op. cit.

[40] État-policier pourrait se comprendre comme étant un régime politique dans lequel l’accent est mis sur le contrôle des individus, au détriment des libertés individuelles. C’est-à-dire, il est souvent difficile que les pouvoirs des autorités soit encadré par le droit. Comme pour dire, le gouvernement exerce son pouvoir de façon autoritaire et arbitraire, en utilisant les forces policières pour réprimander directement les individus ou par discrétion par la police secrète. 

[41] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 205.

[42] Lire à ce sujet, Khalid Tinasti , Le Gabon, entre démocratie et régime autoritaire, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014. « Ce livre revient longuement sur l’histoire politique et la construction institutionnelle de l’État gabonais, indispensables pour l’analyse des facteurs contribuant à la non-démocratisation du pays. Il est aussi question d’évaluer le néo-patrimonialisme du régime au travers du présidentialisme, du clientélisme et de l’appréciation de la participation et de la compétition politiques. Ce système prébendier est le résultat du comportement du Président en place, autant qu’il l’est des structures même de l’État. Aussi, un régime hybride s’est installé à la suite de la réintroduction du multipartisme, car la tenue d’élections, même compétitives, ne peut à elle seule justifier de toutes les conditions démocratiques. Cet ouvrage revient sur l’émergence du modèle de régime autoritaire compétitif au Gabon, en analysant les pressions internationales de démocratisation sur le Gabon, sa capacité de résistance à ces dernières, et surtout la capacité organisationnelle interne au pouvoir. Ce dernier facteur se caractérise par la force mobilisatrice du Parti démocratique gabonais, par la puissance coercitive de l’État, ainsi que par la cohésion ou non de l’opposition politique ». Voir Quatrième de couverture de l’ouvrage.

[43] Lire à ce sujet, Étienne de La Boétie,  Discours de la servitude volontaire (1835).

[44] Lire à ce titre, Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Éditions Flammarion, 2020. Les Lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigée par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs ; et qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs.

[45] Louis Auguste Blanqui, La Patrie en danger, Paris, Éditions Hachette Livre, 1871, p. 272.

[46] Pierre Rosanvallon, La Démocratie inachevée, Op. cit., p . 158.

[47] Ibid., p. 158.

[48] Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique, Op. cit., Quatrième de couverture, voire lodiciquarte (La dernière page extérieure de l’ouvrage, plat verso).

[49] Erreur commise par ignorance ou par inadvertance.

[50] Louis Auguste Blanqui, La Patrie en danger, Op. cit., p. 271.

[51] Voir Georges Mpaga, « Gabon : La démocratie gabonaise des années Ali Bongo », Bongo Doit Partir, 10 Novembre 2011.

[52] Ousmanou Nwatchock A Birema, « La démocratie en Afrique subsaharienne. Une question de volonté ? », CARPADD | Note d’analyses sociopolitiques N° 03, Mai 2018, p.  8.

[53] Ibid., p. 8

[54] Ibid.

[55] Ibid.

[56] Ibid., p. 9.

[57] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique de la défiance, Op. cit., p. 261.

[58] Ibid., p. 261.

[59] Ibid., p. 262.

[60] Ibid.

[61] Ibid.

[62] Lire à ce titre, Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., livre IV, chap. I.

[63] Flavien Enongoué, « Le pluralisme politique au Gabon : l’espoir d’un troisième âge », In Dominique Etoughé Mba et Benjamin Ngadi (dir.), Refonder l’État au Gabon. Contributions au débat, Paris, Éditions L’Harmattan, 2003, p. 99.

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The threats to the democratic institutions of Senegal: An autocracy in the making

 By Souleymane Gueye, Ph.D, professor of International Economics and Statistics, College of San Francisco

Seduced by authoritarianism, the current president of the Republic of Senegal has begun to erode the democratic norms to set the foundations for an autocratic regime. Is Senegal moving away from democratic principles rather than strengthening them? The recent events in Senegal suggest that democracy is in decline in this Sub-Saharan Africa country that used to be branded as an exception in Africa.

Stability of Political Institutions and Economic Environment

Today, there is a sense in the general population, particularly among the youth that they are ignored and forgotten by the government, particularly, in terms of the decision-making process aimed at improving the welfare of citizens and the well-being of the nation. Sixty years after independence, Senegal has managed to build a democratic nation with harmony and peaceful cohabitation amongst the different ethnic groups and religious denomination. Yet, we are witnessing an erosion of the pillars of the democratic institutions that made Senegal the envy of the other states in Sub Saharan Africa. A very serious issue, that is compounded by a failure of the government to deliver an inclusive economic growth with equity (equitable distribution of the income generated in the production process), jobs creation, construction of appropriate infrastructures, efficient investment in health, education, agriculture, and technological sectors.

Before 2012, Senegal had a stable political environment, in addition to an advantageous geographical position and abundant natural resources. Despite this favorable environment, many Senegalese people still face immense hardship. Many families still live in remote rural areas, subsisting on family-run plots of land. Additionally, 70% of the youth remain unemployed laboring in the informal sector daily to earn a meager income to feed their families. Numerous Senegalese families still lack access to running water, basic sanitation, electricity, health care and education.

However, this somewhat stable political environment barely conceals the grinding poverty that prevails in the entire country as jobs are almost nonexistent, access to health care very limited, and numerous children are stunted by poor diets or are living in abject poverty with their families, with an increased probability of experiencing hunger and starvation due to the various external shocks. Namely, the pandemic of 2019, the Ukraine war, and the rising energy cost that are being felt all over the world.

Numbers don’t lie. The Senegalese economy is in a very dire strait:

  1. Low level of national per capita income ($1540) and insufficient income growth to allow convergence in per capita income toward that achieved in the countries that were at the same level of Senegal sixty years ago (most of the East Asian countries and the So – called the “Asian Tigers”)
  2. Extensive material poverty accompanied by food insecurity and hunger (66.8% poverty rate); leading to a worsening of the life expectancy (Senegal’s position dropped from 140th to 141st; life expectancy for women 70.2 and for men 66.01)
  3. Inequality in the distribution of income and inequity in chances to succeed (growing inequality in Senegal).
  4. Vulnerability to shocks (internal and external as well) and risk of falling into poverty (66.8%) and poverty trap.
  5. Lack of satisfaction of basic needs in human development, especially health and education. Human Development Index (HDI) has barely improved. Senegal’s position changed from 165 to 168 and the HDI improved from 0.487 to 0.512.
  6. Unsatisfactory “ quality of life” in a number of dimensions such as individual freedom, human rights (The Human Right Commission just condemned heavily the Senegalese authority by highlighting the arbitrary arrests of opposition figures, use of excessive force by security forces, restrictive civic space, serious human rights abuse; approved of two flawed and overly broad counterterrorism laws with life imprisonment for those found guilty of flouting the laws, but with a partisan judiciary system; sexual and gender based violence unpunished ) capabilities, and happiness or life satisfaction[1].

The Process of Undermining the Political Institutions

Instead of looking at how to reverse the trend of the underdevelopment of the economy, the Senegalese government has embarked on repression and weakening of the key political and economic institutions. For example, the previously inclusive institutions, namely a broad-based representative system that has contributed to the election of four presidents with peaceful political transition since independence would be converting to an extractive political institution characterized by narrow representation through a manipulation of the electoral file, the strict control of the issuance of national identification card, the erection of barriers to register legitimate voters, control of the electoral process.

This is done through the elimination of the Ministry of Elections created by the previous regime to satisfy the opposition after a day of national protest in 2011 for political transparency and credibility in the electoral process. The new government gave back to the Ministry of Interior all its former prerogatives in the organization of elections, de facto removing these two characteristics of the electoral process, namely transparency and credibility.

Recent political events in Senegal demonstrate this changing political stability, events such as:

  • Preventing the main opposition coalition (Yewi Askan Wi) to legitimately participate in the election by a controversial decision (May/ June 2021) of a very partisan Constitutional Court which plays a very important role in the electoral process.
  • Preventing the National Assembly from operating with transparency by not respecting the separation of power between the executive branch and the legislative branch since the former disrespectfully decided to occupy the National Assembly with the security forces (September 2022).

Other subtle methods are also used to weaken the democratic norms and corrupt the Senegalese institutions:

  • Taking down virtuous civil servants and replacing them with cronies, proteges and family members (the President appointed his brother to CNDC (Caisse National de Dépôt et de Consignation) and his brother-in-law as a super minister with very important responsibilities).
  • Reassigning honest civil servants to less important roles by switching their portfolios as punishment (judge Souleymane Telico and many other judges and civil servants).
  • Asking trusted official to prepare evidence against political opponents that the regime wants to neutralize (case of Khalifa Sall ex-mayor of Dakar, a former political rival of the current president).
  • Building case that could tar the opponent’s reputation particularly if the target has a reputation for being honest and competent (Ousmane Sonko, the main opponent of the current president and the recent event of the Gendarmery National that has led to the arrest of a prominent investigative journalist). (NB: Sonko’s trial in Dakar court is still ongoing).
  • Authorizing investigation against people and uses it to blackmail politicians and civil servants so that they can demonstrate their loyalty (list of civil servants embezzling public funds and grabbing land illegally prepared by OFNAC (National Office Against Fraud and Corruption created in December 2012).

This approach known as “digging at the foot of a wall” according to Joseph Torigian[2], is prevalent in autocratic societies such as China, Russia, Turkey, Hungary, North Korea, that value pliant people in certain key positions (Attorney General, Interior Ministry, Secretary of Defense. Constitutional Court, Territorial Administration) for the sole purpose of executing the will of the autocrat.

The freedom of the press which is critical to a democratic society in which the government is accountable to the people is under assault in Senegal (An investigating journalist Pap Ale Niang who just revealed a plot within the security forces with the complicity of some members of the government, is under arrest).

This event is very worrisome as independent journalism and investigative journalism is under threat in Senegal. Most of the mainstream media has been neutered and muzzled by intimidation and conflict of interests created by the sprawling press groups and the irruption of scrupulous businessmen in this sector that control much of Senegalese media. Maintaining a free and accessible public square for debate is crucial to defending Senegal’s democracy. Unfortunately, the current government would intent on muzzling the free press.

All the above facts have culminated in the deterioration of the democratic institutions and the erosion of democratic norms in Senegal. In addition to corrupting the government institution as management strategy – this government would have compromised the judicial and territorial administrations by appointing people belonging to the inner circle of the current president.

The Beginning of a Repressive Regime in Senegal

Here are the examples of outright repressions and undermining of the Senegalese people constitutional rights:

Right now, we are witnessing a continued purge of political rivals through an increasingly sophisticated and treacherous campaign of anticorruption purge that sidelined opponents and suppressed potential challengers – real and perceived- to the government under the guise of fighting corruption and graft through CREI (Court of Repression of Illicit Enrichment).

Additionally, the power of the state and executive branch is being used for heavy handed repressive policies that are imperiling the Senegalese’society (manifestation and protests are prohibited or brutally repressed by the security forces).

The internet is perceived as threatening the authority of the current president; hence a mass electronic surveillance is being in all likely put in place to assert the power of the state which is risk averse. This systematic repression would be the most extreme manifestation of the obsession of the president of Senegal with eliminating political rivals -reduce the opposition to their bare bone- at the risk of criticism and domestic suffering in all parts of the society.

The desire to hold on to power due to fear of prosecution under a new regime has led the government to invest heavily in more coercive capacity: military, paramilitary and police forces (proposed budget for police, and the army, recent scandal of the purchase of military equipment for 45 billion CFA). The resulting outcome of this fear of losing the power is manifested in the following actions:

  • Jailing people (mostly youth) who are perceived to support the opposition.
  • Incentivizing competition amongst subordinates to make them prove their loyalty by carrying out the repressive policies designed by the executive branch.
  • Policing the web to the point of transforming the Senegalese society to a kind of a “police state” because of the efficient use of social networks by the youth to vent their frustration about petty corruption, denounce the government, an onerous bureaucracy that frustrate their aspirations, to discuss the everyday corruption that complicates life in Senegal.

These flagrant violations of the Senegalese constitution, coupled with the use of the security forces to prevent a portion of the Senegalese citizens to exercise their right to express

their displeasure – a right guaranteed by our constitution – , the erosion of the rule of law, the normalization of violence, the desire to undermine the stability of the country and create chaos while ignoring the growing inequality constitute the precursors of the making of an autocrat willing probably to violate the constitution through forcing a third term in the throat of the Senegalese people. These are some of the symptoms that Larry Diamond[3] called “democratic recession” and unfortunately, we are seeing them in Senegal.

Furthermore, these examples of repression and control are altering the democratic fabric of Senegal and are akin to the directives of an autocrat in the making for the final battle – a third term with a will power to blur the lines between economic policies and state benefactors that will perpetuate this systemic corruption. Senegal’s enduring corruption under Macky Sall has put it in 140 th on a list by Transparency International of 175 countries ranked by the level of corruption in public sectors. Studies[4] have shown that corruption kills because with the money lost, we could invest five times as much into public health and lift millions of Senegalese out of poverty. This problem is systemic in Senegal– kickbacks have become standard operating procedure in government – controlled enterprises (Post Office and Telecommunication, Dakar Dem Dikk, CMS, LONASE, IPRESS, SAPCO, SAR, Covid 19 Fund etc.), and the administration.

Therefore, the only conclusion one can arrive to is the current president would be preparing to run for a third term which is contrary to the constitution.

This would set the country in a self-destruction path, hence planting a seed for a destruction of what is Senegal. Example of this abounds throughout Sub Saharan Africa (Mali, Burkina Faso, Guinea, Tchad, Gambia, Niger, Soudan, etc.)

But this is not what was generally expected in 2012 when the Senegalese people elected a president of the Republic of Senegal. Back then, an ambitious plan for good governance, respect of the rule of law, food self- sufficiency, job creation for the youth and expanding the economy was laid out through the Senegal Emergent Plan[5] as well as a pledge to build a more secure and egalitarian nation based on the rule of law

Hopefully, the actual president and the government will envision a peaceful transition of power for the good of Senegal, and work toward a robust and independent security and judicial system.

By risking making the political system less resilient overtime and prioritization of politics over economic goals the president and his collaborators are clouding Senegal’s long term growth prospects – the only way to reduce poverty is through sound macroeconomic policies and good governance.

These economic objectives will be difficult to achieve because political instability, misallocation of scarce resources, impunity, and of the favoritism, nepotism, clientelism in awarding of “public contract” at the expense of the efficient Senegal’s private sector.

By practicing blatant favoritism for less efficient enterprises owned by those closed to the government or their political supporters, and putting efficient domestic private businesses at a disadvantage, the government is exacerbating the long term economic problems of Senegal, including slowing down the weak productivity of labor, job creation,  wage growth, and poverty alleviation.

Needless to remind the actual government that despite the perceived stability of Senegal’s government and political institutions, this democracy could die due to the extreme partisan polarization fostered by the government along almost ethnic lines and regional divide.

This is very scary and dangerous as direct effects of political instability and unaccountability can produce unpredictable investment related policies which influence the inflow of capital by impeding the level of attractiveness of Senegal, Economic growth, and poverty.

This is the reason why we should not allow the government to create an environment of political instability and violence by subverting the will of the people of Senegal.

Let work for peace, stability, and an inclusive economic growth in Senegal so that all the children of Senegal will be able to contribute to the development of the country for the welfare of our people.


[1] Human Right Report (2022)

[2] Prestige, Manipulation, And Coercion: Elite Power struggle in the Soviet Union and China by Joseph Torigian

[3] Facing up to the Democratic Recession by Larry Diamond

[4] Economic Effects of Corruption in Senegal by SJG Working Paper

[5] Senegal Emergent Plan (2014 – 2018) Public Treasury, Ministry of finance

Le défi de la gouvernance multilatérale de la sécurité en Afrique

Mahamadou N’fa SIMPARA, doctorant en Relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat, auteur chez l’Harmattan-Paris.

Les crises sécuritaires que connaissent de nombreux pays africains ont suscité des interrogations sur la capacité des structures chargées de les résoudre. En effet, les instances continentales, régionales et sous-régionales africaines sont, à différents niveaux, mises au défi de prouver leur capacité à répondre aux défis africains. Et à cet effet, compte tenu de la situation sécuritaire tendue dans plusieurs régions du continent, nombreuses organisations régionales ou plateformes de coopération sécuritaire ont endossé l’ambition de venir à bout de la crise sécuritaire en Afrique.

Les décisions de la 62e session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) témoigne de cette ambition de l’organisation à travers le courageux projet de mise en place d’une force régionale anti-terroriste, notamment concentré sur le Sahel[1], et anti-coup d’État et dans le même sens de contribuer d’urgence à hauteur d’un 1 milliard de dollars au fonds régional de lutte contre le terrorisme, dans le cadre de la mise en œuvre de son plan d’action prioritaire 2020-2024 pour l’éradication du terrorisme.

Dans un cas similaire, la communauté de l’Afrique de l’Est qui a vu l’adhésion de la RDC en début d’année 2022 se trouve dans l’urgence d’apporter une réponse rapide et efficace à la crise sécuritaire impliquant les deux voisins rwandais et congolais autour du dossier chaud du M23.

Au côté des organisations sous-régionales relevant de la communauté économique africaine, les plateformes de coopération militaire à l’image de la Force multinationale mixte sous la houlette de la commission du bassin du lac Tchad ou encore plus récemment le G5 Sahel, apportent une approche nouvelle défaite des lourdeurs bureaucratiques et diplomatiques, en termes de gouvernance sécuritaire en Afrique.

Toutefois, cette volonté incarnée des groupements sous-régionaux et du modèle proposé par les plateformes de coopération militaire, à prendre le relais dans leurs régions respectives soulèvent autant de questions logistiques, juridiques et financières qu’elle n’apportent de réponses.

Entre autres, se sont posées des questions telles que les implications directes et/ou indirectes d’un tel positionnement des Communautés Économiques Régionales (CER) et des plateformes de coopération sur le projet continental de l’architecture africaine de paix et de sécurité, les atouts et limites des trois niveaux continentaux de gestion de la crise sécuritaire (UA, CER, Plateformes de coopération), le risque élevé de chevauchement d’initiatives similaires au but commun…

L’ouvrage[2] de l’OUA au G5 Sahel : une brève histoire de la gouvernance sécuritaire en Afrique paru aux Éditions de l’Harmattan-Paris en décembre 2022 tente de répondre à quelques-unes de ces questions avec un regard « institutionnaliste » du traitement des questions sécuritaires et un détour historique notamment au sein de l’UA, de la CEDEAO et du G5 Sahel.

Multiples outils et très peu de coordination

S’il y a une chose dont on est sûr en matière de lutte contre l’insécurité en Afrique, c’est que les organisations régionales africaines n’ont pas manqué d’instruments juridiques et de mécanismes d’action dans ce domaine. En effet, plusieurs initiatives ont été prises à différents niveaux. Pour la seule organisation continentale, l’UA, en plus de la panoplie d’instruments juridiques adoptés depuis la Déclaration de Kampala de 1991 sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique, a mis en place, à travers le protocole sur la création du Conseil de paix et de sécurité (CPS), l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Une initiative qui, avec ses forces et ses faiblesses, est devenue l’instrument par excellence de la lutte contre le terrorisme sur le continent.

Les organisations sous-régionales, telles que la CEDEAO, la SADC, etc., suivent également la même dynamique, d’abord par le biais des forces régionales en attente, puis par l’adoption de nouveaux instruments juridiques ou de plans d’action, élargissant ainsi leurs domaines d’action aux questions politiques et de sécurité.

Cependant, ces différents mécanismes, qu’ils soient continentaux ou régionaux, souffrent de graves lacunes, notamment en termes de coordination. L’absence d’un document des organisations sur la gouvernance partagée des questions de sécurité entre l’UA et les CER entraîne des problèmes de chevauchement entre les différents acteurs impliqués dans les processus de résolution des conflits. Au mieux, c’est le cas ; au pire, l’organisation continentale ne partage tout simplement pas le même agenda que son avatar régional.

Dépasser l’impasse

L’approche des organisations africaines sur les questions de sécurité, notamment celle relative à la lutte contre le terrorisme, se heurte à plusieurs impasses. Les plus urgentes peuvent se résumer en deux : d’abord, reconnaître le caractère hétérogène et très diversifié des régions, des conflits et de leurs enjeux afin d’établir une approche originale qui ne se limiterait pas au seul modèle générique de  » maintien de la paix  » et de  » consolidation de la paix  » comme on le constate habituellement.

La deuxième urgence est d’établir un cadre étroit de collaboration entre l’organisation continentale et ses avatars régionaux. En effet, en raison du manque de synergie entre les organisations régionales ayant une connaissance approfondie de leurs régions respectives et l’organisation panafricaine dans son rôle de leader dans la conduite des politiques continentales, il naît à chaque occasion des plateformes de coopération dont la finalité est identique à celle poursuivie par les organisations du même périmètre d’intervention.

En ce sens, si l’initiative des cinq États sahéliens (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) pour vaincre le terrorisme à travers la création en 2014 du G5 Sahel n’était pas la preuve de l’échec cuisant des mécanismes régionaux et continentaux de maintien de la paix et de la sécurité sur le continent, elle a été la vitrine du manque de coordination entre l’organisation sous-régionale (CEDEAO) et l’organisation continentale (UA) pour mettre en place une politique commune de lutte contre l’insécurité dans la région. Pour aller plus loin, le rôle de leader joué par certains partenaires internationaux comme la France à travers son opération Barkhane a une fois de plus affaibli le rôle crucial des acteurs africains. Ce rôle gagnerait à être coordonné par un Memorendum of Understanding (MoU) entre la CEDEAO et l’UA, impliquant l’ONU à l’échelle mondiale.

Conclusion

Les organisations africaines sont mises au défi de concevoir un modèle d’intégration sécuritaire dans lequel les diverses initiatives entreprises, plutôt que de s’exclure mutuellement, deviennent complémentaires. Cela permettra d’éviter la création d’alliances à la première occasion, dont la viabilité est temporaire et soumise à la politique des parties impliquées. Le Sahel, et au-delà, offre aux décideurs africains un laboratoire pour la gouvernance multilatérale de la sécurité en raison des innombrables institutions (internationales et africaines) et États impliqués dans le processus de pacification de la région.


[1] L’espace géographique regroupant principalement la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina et le Tchad. Il représente à lui seul 40 % de l’espace géographique de l’organisation.

[2] Simpara Mahamadou N’fa, De l’OUA au G5 Sahel : une brève histoire de la gouvernance sécuritaire, Harmattan-Paris, Collection Études africaines, 2022.

Les coups d’Etat en Afrique: malédiction ou point de passage nécessaire ?

Le 17 mai 2016, François Soudan, actuel directeur de la rédaction de Jeune Afrique, écrit dans une de ses tribunes : « […] Tout démontre que le continent le plus touché par la fièvre des complots est en voie de guérison. Un militaire qui, aujourd’hui, voudrait renverser par les armes un gouvernement, fût-il impopulaire, sait qu’il sera immédiatement condamné et banni par l’Union africaine, l’ONU et la communauté internationale, et qu’en cas de dérapage, la Cour pénale internationale l’attend. » Les récents événements politico-militaires en Afrique francophone liquident cette analyse qui prenait une simple accalmie pour une tendance lourde. En effet, dans une ambiance de « désillusion décromatique », quatre coups d’État se sont succédé, d’août 2020 à janvier 2022, en Afrique francophone : au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso. Il est vrai que les pays africains se distinguent par le caractère prétorien de leur gouvernance. Selon les données de Jonathan Powell, spécialiste des relations internationales, sur les 486 coups d’État réussis ou ratés depuis 1950, 214 – dont 106 réussis – ont eu lieu en Afrique; ce qui fait de l’Afrique, la région la plus touchée au monde.

A la suite de cette observation, il y a un désir naturel de recherche de causes : « Tout ce qui naît, naît nécessairement d’une cause », aphorisme axiomatique proclamé par Platon dans le Timée. La question : Quels sont les facteurs favorisant les coups d’État en Afrique ? a trouvé plusieurs réponses. Par exemple, dans son communiqué de presse du 29 Mai 2014, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine déclare : “Les changements anticonstitutionnels de gouvernement et les soulèvements populaires étaient profondément ancrés dans les insuffisances en termes de gouvernance. […] Les situations de cupidité, l’égoïsme, une mauvaise gestion de la diversité et des opportunités, la marginalisation, la violation des droits de l’homme, le refus d’accepter la défaite électorale, la manipulation des constitutions, ainsi que la révision anticonstitutionnelle des constitutions en faveur d’intérêts restreints et la corruption sont des déclencheurs puissants de changements anticonstitutionnels de gouvernement et de soulèvements populaires”. Sur son site, Jonathan Powell indique que « les coups d’État sont de plus en plus limités aux pays les plus pauvres du monde, et la récente vague de coups d’État s’inscrit dans ce contexte ». Simple corrélation ou profonde causalité ? Si causalité, alors quel est son sens ? Est-ce c’est la pauvreté qui favorise les coups d’Etat ou ce sont les coups d’Etat qui favorisent la pauvreté ?  Par ailluers, en 2016, les chercheurs américains Aaron Belkin et Evan Schofer ont publié un papier de recherche (Toward a Structural Understanding of Coup Risk) dans lequel ils expliquent que la solidité de la société civile d’un pays, la légitimité du gouvernement vis-à-vis de la population et le passé d’un pays en termes de putschs sont des facteurs prédictifs importants des coups d’État. 

Les différentes explications du phénomène des coups d’État en Afrique ci-dessus sont satisfaisantes à bien des égards mais ont la faiblesse de ne pas monter en épingle la cause « fondamentale » – première, en quelque sorte – me semble-t-il. Je veux soutenir dans ce billet la thèse suivante : Les coups d’État en Afrique sont dus à la maturation des États africains. En quelque sorte, les coups d’État dans les pays africains caractériseraient « l’adolescence » de la vie des jeunes États africains et annonceraient même leur passage à la vie adulte. C’est, en somme, le chaos qui annonce l’ordre. Leibniz avait raison de dire : « Il est dans le grand ordre qu’il y ait un petit désordre » ; le mal fait ressortir le bien.

Revenons à ma thèse pour la démontrer.

D’abord, l’État, dans son acception moderne, est une idée neuve en Afrique et pour les Africains car les structures proprement politiques africaines historiques étaient à petite échelle. George Peter Murdock, anthropologue américain, a proposé une classification des institutions politiques suivant les « niveaux de hiérarchie juridictionnelle » (levels of jurisdictional hierarchy, en anglais) dans son livre Ethnographic Atlas, 1967 qui est une base de données sur 1167 sociétés. Dans sa base de données, Murdock a codé une variable (le second chiffre de la colonne 32 dans le dataset) qui varie de 0 à 4 : 0 pour “société sans autorité politique”, 1 pour « petites chefferies », 2 pour « chefferies plus importantes », 3 pour « États » et 4 pour “grands États”. Quand on combine cette classification de Murdock avec les estimations de la population en Afrique en 1880 du projet HYDE (Historical Database of the Global Environment), nous pouvons calculer la proportion d’Africains qui vivaient dans des États en 1880 (voir cette étude : https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/28603.html) . Il en ressort qu’en 1880, seulement 30% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État si l’on considère comme état, les groupes ethniques de la base de données de Murdock qui sont codés comme ayant au moins 3 « niveaux de hiérarchie juridictionnelle ». Dans le cas où l’on adopte la définition plus restrictive de “grand État” de Murdock, seulement 4,4% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État. Quoi qu’il en soit, une très grande majorité d’Africains ne vivaient pas dans des États au cours de la période précoloniale. Le pouvoir était confiné à l’échelle locale. La raison fondamentale de ce fait réside dans ce que les africains ont développé un scepticisme profond à l’égard de l’autorité politique (surtout à grande échelle) – le lecteur curieux peut aller lire The Children of Woot de Jan Vansina

La constitution des États africains tels qu’ils sont de nos jours est un phénomène qui a, dans la plupart des cas, moins d’un siècle et demi d’âge. C’est un monde nouveau pour les Africains qui, pour la majorité, ont vécu dans des sociétés presque sans niveau de hiérarchie juridictionnelle tant le scepticisme à l’endroit de l’autorité politique est profondément ancré. Cela a créé un énorme problème au moment des indépendances ; celui de rassembler toutes les institutions endogènes diverses et souvent contradictoires dans un contrat social post-colonial. Le résultat a été l’instauration d’un magma bureaucratico-politique sur le continent. La nature ayant horreur du vide, la situation post-coloniale a permis la montée des dictateurs et des autocrates, souvent aidés par les puissances coloniales en partance. Ainsi, la mentalité de “The winner takes all” a gagné la vie politique des jeunes États en Afrique.  Cette attitude de “The winner takes all”, bien expliqué par Carlos Lopes dans son livre “L’Afrique est l’avenir du monde”, génère du ressentiment chez les “perdants” qui se vengent par plusieurs moyens dont les coups d’Etat. 

Les coups d’Etat en Afrique sont donc un phénomène “normal” dans le processus de consolidation des “nouvelles” structures politiques sur le continent. Nous savons de Hésiode qu’au commencement était le Chaos et qu’après, Zeus, triomphant de son père et de la race des géants et des Titans, s’impose en maître et instaure l’Ordre parmi les dieux et les hommes. Les coups d’Etat en Afrique donnent une impression de chaos. Mais, l’ordre est proche. Les Etats africains se consolident. Ils arriveront à maturité comme nous l’enseigne l’histoire des autres régions du monde. Je pèche, peut-être, dans ma conclusion par déterminisme historique.

TotalEnergies en Afrique de l’Est : l’environnement face au développement

Par Giovanni DJOSSOU pour l’Afrique des Idées

Le 7 décembre 2022 s’est ouvert à Paris le procès contre les projets pétroliers de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie. Selon les différentes ONG ayant assigné la firme française en justice, ces projets engendreraient des dommages colossaux et irréversibles tant sur l’environnement que sur les droits humains. Face à ces accusations, Total se défend en mettant en avant sa bonne foi via son « plan de vigilance ». Quant au gouvernement Ougandais, partie prenante à 15% dans ces projets, il en appelle au « droit à se développer ».

Pour entendre correctement la situation, un retour en arrière s’impose. En 2006, un important gisement de pétrole (l’équivalent 6,5 milliards de barils) est découvert sous les eaux et les rives du lac Albert, l’un des plus grands lacs d’Afrique (5 270km2), à la frontière entre l’Ouganda et la République Démocratique du Congo. En 2007, la compagnie pétrolière britannique Tullow Oil, spécialisée dans l’exploitation des gisements en Afrique et en Amérique du Sud, acquiert les droits d’exploitation de ce gisement. En 2020, après plusieurs années de négociations, TotalEnergies rachète la quasi-totalité des droits pour un montant de 575 millions de dollars. En 2021, le Conseil des ministres ougandais adopte le projet du géant pétrolier français.

La nature des projets Tilenga et EACOP

Le projet de TotalEnergies est double. D’un côté, le projet Tilenga qui prévoit la construction de puits forés et le projet complémentaire EACOP (EAST African Crude Oil Pipeline) qui prévoit l’acheminement du pétrole extrait d’un oléoduc chauffé de 1 443 km traversant l’Ouganda et la Tanzanie, ce qui en ferait le plus long pipeline chauffé du monde.

Ce « mégaprojet », évalué à 10 milliards de dollars, est porté par trois entités : TotalEnergies, à hauteur de 62%, les compagnies pétrolières nationales d’Ouganda et de Tanzanie (30% (15% + 15%)) ainsi que la troisième plus importante compagnie pétrolière chinoise, CNOOC (8%).

Le programme d’exploitation comprend la production de 216 000 barils de pétroles par jour au travers des 419 puits créés.

Un projet dangereux pour l’environnement et les populations locales

Dès 2019, avant même l’approbation du projet par le gouvernement ougandais, quatre associations ougandaises (Afiego, CRED, Nape, Navoda) et deux ONG françaises (Les Amis de la Terre, Survie) assignent TotalEnergies en justice. Parmi les griefs les plus notables, les ONG pointent du doigt le fait qu’un tiers des puits forés l’est dans le parc naturel de Murchison Fall, le plus vieux et plus grand parc naturel du continent. L’oléoduc de 1 443km, traversant 16 aires protégées dont des parcs nationaux et des réserves animalières, met en grand danger la survie de certaines espèces et plus largement, la biodiversité. Enfin, selon Me Louis Cofflard, avocat de l’ONG Amis de la Terre, le programme conduira à l’émission de 33 millions de tonnes de CO2 par an, soit trente fois les émissions annuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie réunies.

Si le projet entraîne des conséquences sur la nature, il en a tout autant sur les droits humains et l’activité humaine. La construction des infrastructures liées au projet d’extraction a provoqué le déplacement des plus de 18 000 foyers. Selon les ONG assignant TotalEnergies en justice, ce déplacement de populations provoque des situations de famine en chaîne ainsi qu’une forte hausse de la déscolarisation d’enfants. Enfin, le risque de contamination des deux grands lacs de la région (Albert, Victoria) est une menace pour l’accès à l’eau potable, pour 40 millions de personnes.

TotalEnergies montre patte blanche

Face à si mauvaise presse, les conséquences négatives pour TotalEnergies ne se sont pas fait attendre. Le programme Tilenga-EACOP a été placé sur la liste rouge de l’UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et onze banques partenaires, parmi lesquelles trois françaises (BNP, Société Général, Crédit Agricole) ou la britannique HSBC, se sont désengagées du projet, dès avril 2021.

Les opposants à l’initiative de TotalEnergies reprochent à la firme l’établissement d’un « plan de vigilance » trop léger. En effet, la loi Rana Plaza (du nom de l’immeuble s’étant effondré en 2013 au Bangladesh du fait de la négligence des multinationales de la « fast-fashion ») créée en 2017, oblige les entreprises à « établir une stratégie explicite visant à prévenir les atteintes graves aux droits humains et à leurs libertés fondamentales ».

Dans un communiqué datant du 12 octobre 2022, TotalEnergies défend son plan de vigilance en présentant les conclusions des « experts tiers » qu’elle a mandatés (sans plus de précision sur leur identité). La compagnie pétrolière affirme agir sur la préservation de la biodiversité avec 1 000 hectares de forêts restaurés, pour permettre le déplacement des chimpanzés, 10 000 hectares de forêts préservés, mais aussi la mise en place d’un programme dont l’objectif sera l’accroissement de 25% des populations de lions et d’éléphants dans le parc nature de Murchison Fall.

Concernant les habitants, le groupe assure avoir signé des accords de compensation avec la très large majorité des 18 000 foyers concernés par les relocalisations. Ces accords viseraient en priorité le développement de l’emploi, de l’éducation et « le respect du droit des femmes ».

Préservation de lenvironnement plutôt que développement économique ?

Dans son communiqué et toujours selon les experts mandatés, Total garantit que 70% des habitants concernés par les déplacements déclarent observer une amélioration de leur vie depuis l’indemnisation, pendant que 28% ne notent aucun changement, ne laissant supposément que 2% de mécontents. Sur ce point, Matthieu Orphelin, député EELV de Maine-et-Loire, affirmait dans une tribune au journal Le Monde, le 28 mars 2022, que 100 000 personnes ne pouvaient plus cultiver leurs terres librement et que journalistes et activistes ougandais subissaient des pressions, des menaces et des arrestations par des « personnes associées à la major pétrolière ainsi que des Etats ougandais et tanzanien ».

Au-delà de ces questions -pourtant essentielles évidemment- une plus importante encore semble s’imposer à la vue de ce dossier: comment concilier préservation de l’environnement et développement économique ?

Pour Me Louis Cofflard : « C’est la survie de la planète qui est en jeu, au travers de ce genre de projet. (…) L’Agence internationale de l’Energie estime qu’il faudrait arrêter tous les projets d’exploitation des énergies fossiles, si l’on veut respecter les accords de Paris ». Ce discours s’entend. Peut-être est-il plus facile de le tenir lorsqu’on est résident de la 7e puissance mondiale, qui n’a été que très peu regardante sur les effets négatifs de son industrialisation sur la nature. En d’autres termes : comment des pays dont les ressources reposent essentiellement sur l’exploitation des énergies fossiles (ce qui est le cas d’un grand nombre de pays d’Afrique) sont-ils censés se développer ?

L’Ouganda est un pays dont 41% des 40 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté. Depuis de nombreuses années déjà, les grands groupes mondiaux de l’énergie, dont TotalEnergies fait partie, établissent des programmes « développement contre pétrole », dont les termes de l’échange sont inégaux mais qui semblent être la stratégie suivie par l’Ouganda, la Tanzanie et bien d’autres Etats du continent. Peut-on les blâmer ? Pour exemple (même si le nombre est dérisoire), en plus des programmes d’éducation et de droit des femmes, Total affirme avoir créé 279 emplois locaux grâce à son projet Tilenga-EACOP.

Pourtant, malgré la trajectoire que semble emprunter l’Ouganda, sa ministre de l’Energie Ruth Nankabirwa, assure que le pays a « engagé un processus de transition écologique. (…) Le but est de sortir de la cuisson au charbon et au bois ». Néanmoins, les coûts engendrés par cette transition sont un obstacle de taille.

Un verdict dans le procès de TotalEnergies est attendu pour le 28 février 2023. Me Ophélie Claude, avocate de la multinationale française prévient d’ores-et-déjà : « Aucun plan de vigilance ne sera jamais assez parfait. C’est impossible et trop complexe à mettre en œuvre ». Si Total perd son procès, le projet est- il avorté ? Si oui, quid des stratégies établies par les gouvernement ougandais et tanzanien ?

L’Afrique peut-elle se permettre d’avoir comme préoccupation première la préservation de son environnement? La question peut paraître provocatrice et semble assurément anachronique. Pourtant, c’est un choix de société auquel les dirigeants des Etats du continent sont, et seront davantage encore, confrontés demain. La position des ONG occidentales, qui ne voient le problème que par leur prisme, doit-elle primer sur la volonté des pays concernés ? Est-il normal qu’une ONG, à des milliers de kilomètres puisse, par son action, influer sur un projet de développement d’un pays africain (quoique l’on pense dudit projet) ?

Plus important que tout : comment faire en sorte que la protection de l’environnement ne devienne pas une arme redoutable dans le jeu de la compétition internationale, empêchant les « petits » de devenir moins petits ? Cette question fait déjà rage concernant l’exploitation de l’Amazonie, par le Brésil et ses voisins.

En une question comme en cent -et reprenant les propos de François Soudan, rédacteur en chef de Jeune Afrique- : « l’Afrique doit-elle rester pauvre pour que la planète respire » ?

Références:

https://www.nouvelobs.com/ecologie/20221208.OBS66869/au-proces-de-total-pour-ses-projets-en- ouganda-et-tanzanie-c-est-la-survie-de-l-humanite-qui-est-en-jeu.html

https://www.ouest-france.fr/economie/energie/petrole/climat-le-mega-projet-petrolier-de-total-en- ouganda-symbole-de-ce-qu-il-ne-faut-plus-faire-8a7712ae-10bc-11ec-9117-940091b907ce

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/28/totalenergies-doit-stopper-ses-projets-eacop-et- tilenga-en-ouganda_6119509_3232.html

https://www.jeuneafrique.com/1219536/societe/lafrique-doit-elle-rester-pauvre-pour-que-la- planete-respire/

https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/communiques-presse/Devoir-de-vigilance- TotalEnergies-regrette-le-refus-par-les-ONG-de-la-mediation-proposee

https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2008-3-page- 97.htm#:~:text=La%20d%C3%A9forestation%20en%20Amazonie%20br%C3%A9silienne%20r%C3%A9 sulte%20en%20grande%20partie%20des,g%C3%A9n%C3%A9rant%20d’importantes%20cons%C3%A 9quences%20environnementales.

Faut-il réformer le capitalisme ?

Plutôt que de collaborer, les capitalistes et les socialistes s’extrémisent et engendrent le populisme. L’heure n’est plus à la polarisation politique, estime Stephen Dossou, étudiant à CentraleSupélec, mais à la réconciliation des tempéraments par un capitalisme rénové qui répond aux enjeux économiques et sociaux de notre temps.

Le capitalisme est l’un des sujets polarisants qui souffrent malheureusement d’un arbitrage marqué par la diversité des tempéraments. Dans cet article, j’essaierai dans la mesure de mes aptitudes de faire une analyse de ce système, orientée par la littérature économique et alimentée par des données scientifiques.

Par capitalisme, j’entends :

  • Propriété privée des moyens de production
  • Recherche du profit
  • Liberté de marché
  • Intervention minimale de l’Etat

Critique du capitalisme

Dans un premier temps, résumons brièvement les idées des détracteurs du capitalisme. L’économiste Richard Wolff (2016) résume la critique marxiste du capitalisme par l’équation :

C’est une simple caricature mais supposons que la production rapporte 200€ :

  • 100€ serviront à renouveler les moyens de production
  • 50€ permettront de rémunérer les travailleurs
  • 50€ constitueront alors le surplus

Sans prêter de mauvaises intentions aux capitalistes, le surplus permet naturellement de :

  • se maintenir en position de pouvoir (lobbying, héritage, formations élitistes)
  • former et fidéliser les travailleurs (financement d’écoles, primes)
  • générer davantage de surplus (réinjection des dividendes, optimisation des méthodes)

Résultat, les riches s’enrichissent (Ray Dalio, 2018) :

  • Les 1% plus riches possèdent plus de richesses que le bottom 90% combiné.
  • Les 60% moins riches n’ont pas connu d’augmentation de richesse depuis 1980 et les richesses des 10% ont doublé et les 1% ont triplé.

Et dans le même temps, l’ascension sociale est dysfonctionnelle (Ray Dalio, 2018) :

  • En France, les gens dont les parents font partie des 20% moins riches au monde y restent pour 35% des cas.
  • En France, 70% des élèves dans des collèges désavantagés auraient des problèmes sociaux ou émotionnels significatifs.

Le problème c’est que la recherche du profit, prise isolément, produit une boucle infernale qui menace l’égalité des chances en concentrant les capitaux dans les mains des plus riches. Les capitalistes font trop souvent le choix de l’optimisation des revenus parfois au péril du bien commun (délocalisation, automatisation, pollution, surproduction, etc.).

Points forts du capitalisme

Si le capitalisme a ses torts, il n’en demeure pas moins qu’il a énormément rendu service à l’humanité : depuis son invention, le PIB par habitant et l’espérance de vie ont connu une croissance exponentielle.

 

Source : Principles for Dealing with the Changing World Order (2021), Ray Dalio

 Le système capitaliste est en effet :

  • un motivateur efficace (la rémunération est fonction de la valeur accordée par le marché au travail fourni)
  • un bon producteur de ressources (un capitaliste peut difficilement permettre que la valeur de son produit soit en dessous de celle des moyens de production et de la capacité de travail de ses employés).

Note : Si on reprend l’exemple au-dessus, si le produit vaut 150€ alors que la capacité de production des travailleurs vaut 100€, il n’y a plus de marge de bénéfice pour le capitaliste.

Les structures d’investissement (les banques, etc.) permettent alors :

  • de garantir la sauvegarde des ressources des individus
  • d’investir dans l’économie et l’innovation.

Ainsi, le capitalisme récompenserait les productifs et les audacieux pour leur participation à l’économie et à l’innovation, et le progrès social serait possible par la découverte des capacités individuelles (Ayn Rand, 1957).

Le communisme / le socialisme historique

Malgré ces points forts du capitalisme, le communisme et le socialisme sont des systèmes qu’on pourrait lui préférer parce qu’elles sont des critiques de ses dérives. Historiquement, le communisme se définit par : « Chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins ». C’est la mise en commun des moyens de production pour une distribution égale des richesses.

Dans Le Manifeste du parti communiste (1848), Karl Marx énonce dix lois du communisme. Si ces lois ne sont plus nécessairement d’actualité, il convient de les énoncer pour mieux comprendre l’Histoire :

  1. L’abolition de la propriété de terre et l’utilisation de tous les paiements de loyer pour des fins publiques.
  2. Une lourde, progressive et graduelle taxe sur le revenu.
  3. L‘abolition de tout droit d’héritage.
  4. La confiscation de la propriété de tous les émigrants et de tous les rebelles.
  5. Une responsabilité égale de tous pour le travail et un établissement d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture.
  6. La combinaison de l’agriculture avec les industries de manufacture : abolition graduelle de la distinction entre ville et pays par une distribution plus équitable de la population dans un pays.
  7. L’éducation gratuite pour tous les enfants dans les écoles publiques : l’abolition du travail des enfants et la combinaison de l’éducation avec la production industrielle.
  8. La centralisation du crédit dans les mains de l’Etat, par les moyens de la banque nationale avec un Capitalisme d’Etat et un monopole exclusif.
  9. La centralisation des moyens de communication et de transport dans les mains de l’Etat.
  10. L’extension des usines et des instruments de production détenus par l’Etat, la culture des terres non utilisées et l’amélioration du sol conformément à un plan commun

Points forts historiques du communisme / socialisme

 Le communisme tel que défini ci-dessus a eu l’occasion de faire ses preuves.

  • En Russie, pendant les premières heures du communisme, le PIB a augmenté, l’espérance de vie s’est allongée, la mortalité infantile a baissé et les niveaux de nutrition et d’instruction se sont améliorés (Asatar Bair, 2021).
  • Depuis Deng Xiaoping (1978), la Chine connaît une croissance exponentielle.

Source: Principles for Dealing with the Changing World Order (2021), Ray Dalio.

Note : En ordonnée, on a un indicateur qui prend en compte la force économique, le commerce, les forces militaires, les finances, la monnaie, la technologie et l’éducation

Critique du communisme / socialisme

Pourtant, les détracteurs du communisme ont plusieurs griefs à lui faire. Tout d’abord, pour conjuguer la productivité et la motivation des travailleurs avec la distribution équitable des richesses, le socialisme a historiquement eu recours à l’autoritarisme (et/ou a échoué). Je suspecte aussi que certaines lois du *Manifeste du parti communiste (1848) de Karl Marx soient la cause de cette tendance.

Par ailleurs, dans Les Frères Karamazov (1879) de Dostoïevski, le père Païsius déclare à propos du socialisme :

« […] le socialisme […] c’est […] la question de l’athéisme, de son incarnation contemporaine, la question de la tour de Babel, qui se construit sans Dieu, non pour atteindre les cieux de la terre, mais pour abaisser les cieux jusqu’à la terre. »

 En effet, selon Jordan Peterson (2017), le communisme s’explique par le mépris des hiérarchies naturelles générées par le capitalisme. Le capitalisme produit en effet des individus dont les compétences leur permettent de se hisser au sommet de leurs secteurs d’activité respectifs. Les moins bien récompensés éprouveraient du ressentiment contre les productifs.

L’histoire d’Abel et de Caïn me permettra de mieux expliquer ce point :

« Abel fut berger, et Caïn cultivateur. Au bout d’un certain temps, Caïn apporta des produits de la terre en offrande pour le Seigneur. Abel, de son côté, apporta en sacrifice des agneaux premiers nés de son troupeau, dont il offrit au Seigneur les meilleurs morceaux. Le Seigneur accueillit favorablement Abel et son offrande, mais non pas Caïn et son offrande. […] Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua.« , Genèse 4, 2-4;8

 Il existe une différence de rémunération entre un chirurgien et un infirmier, qui travaillent tous deux des heures équivalentes, en raison de l’évaluation du marché de la valeur de leur travail. Selon le capitalisme, si une profession est considérée comme cruciale et que peu de personnes sont capables de la remplir, il est mis en place un système de récompense pour inciter une poignée de personnes à fournir les efforts nécessaires pour y parvenir.

Cependant, il est également logique que certaines personnes souhaitent limiter les fortunes excessives, car elles confèrent à certains individus des pouvoirs similaires à ceux des monarques et reproduisent ce qui était critiqué dans la sphère politique dans le domaine économique (Richard Wolff, 2020).

Pourtant, lorsque ce sentiment de ressentiment entraîne une violence incontrôlable, comme dans l’histoire de Caïn et Abel, cela peut devenir dangereux. Alexandre Soljenitsyne a expliqué dans « L’Archipel du Goulag » (1973) que l’un des facteurs profonds de la création du Goulag était une haine similaire à celle de Caïn pour Abel. De tels extrêmes devraient nous alerter pour des raisons évidentes

Le communisme / le socialisme moderne

Toutefois, je ne suis pas totalement insensible aux idées du socialisme moderne. De nombreux socialistes/communistes actuels critiquent Marx et l’interprétation historique de ces systèmes. Je pense que les idées de Richard Wolff et de Slavoj Zizek méritent d’être prises en compte et défendues.

Selon Richard Wolff (2020), et certains partis socialistes (comme le Labor Party), dans une société socialiste, le surplus sera collectivement et démocratiquement utilisé pour la collectivité. L’idée est d’apporter la démocratie sur le terrain du travail et de l’entreprise (avec les notions de suffrage et de représentation).

Zizek Slavoj (2020), lui, parle d’un Etat d’urgence permanent, justifié par la pauvreté, avec des mesures similaires à celles prises pendant la crise COVID-19 : un système qui viole les lois du marché pour garantir la santé et la distribution de la nourriture.

Ces idées ne sont pas nécessairement incompatibles avec la productivité et la liberté défendues par le capitalisme et ont pour mérite de prioriser le bien commun.

L’urgence d’une réorganisation de la société

Malheureusement, plutôt que de collaborer, les capitalistes et les socialistes s’extrémisent et engendrent le populisme. Des leaders forts émergent et attisent les tensions. Place à la caricature : d’un côté, les capitalistes sont des bourreaux qui exploitent les pauvres et de l’autre, les socialistes sont des sentimentaux ou des paresseux irréalistes.

 » L’intelligence des peuples démocratiques reçoit avec délice les idées simples et générales.  » Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835)

Cette forte polarisation de la société s’inscrit dans un contexte particulièrement sensible : **une crise économique de la même envergure que celle de 1929 est à craindre**.

Note : La crise de 2008 et la crise COVID-19 ont créé une forte impression de billets et l’achat d’actifs financiers par les banques centrales qui crée de l’inflation et des écarts de richesses amplifiés par les nouvelles technologies. Pour plus de détails, voir Principles for Dealing with the Changing World Order (2021) de Ray Dalio.

Dans un tel contexte, l’heure n’est plus à la polarisation politique mais à la réconciliation des tempéraments par une politique réfléchie qui répond aux enjeux économiques et sociaux de notre temps.

Réformer le capitalisme

Un des problèmes des gouvernements capitalistes actuels est qu’ils ne pensent qu’en termes de budget et pas en termes de retour sur investissement. Je simplifie, mais les conservateurs sont pragmatiques mais ne sont pas visionnaires tandis que les libéraux sont optimistes mais irréalistes. Si ces deux groupes travaillaient ensemble, ils pourraient investir de manière à obtenir de bons résultats économiques et sociaux.

Pour réformer le capitalisme, Ray Dalio (2018) pense qu’il faut :

  1. en finir avec les inégalités de chance
  2. unir la gauche et la droite pour mieux distribuer les richesses et maintenir la productivité
  3. définir des indicateurs clairs pour mesurer le succès du point 2
  4. créer des partenariats public-privés pour réaliser le point 2 (gouvernements, philanthropes, entreprises, etc.)
  5. investir dans les sujets qui améliorent les conditions de vie en même temps que l’économie (investir dans la taxe de la pollution qui dégrade la santé et l’économie, investir dans les infrastructures avec un retour sur investissement de 10-20%)
  6. taxer davantage les riches mais de telle sorte que la productivité globale ne soit pas endommagée
  7. investir davantage dans l’alimentation (3 millions d’enfants pauvres en France (20%) – l’aide alimentaire des enfants augmente de 18% leur accès au supérieur)
  8. investir davantage dans l’éducation (aux EU, le top 40% investit 5 fois plus dans l’éducation de leurs enfants que le bottom 60%)
  9. mieux payer les enseignants (d’après l’INSEE (2019), les enseignants gagnent 25% moins que les autres diplômés en France)
  10. accorder davantage de crédit aux moins riches pour dynamiser l’économie réelle (les riches ont tendance à sécuriser leurs richesses – pour chaque dollar investi en microfinance, environ 12$ est prêté, rendu et réinvesti)

Commentaire sur le point 6 : En taxant les riches, on prend le risque de la fuite des capitaux et d’une dégradation des performances économiques sur le court terme. Sur le long terme, si les taxes sont « judicieusement » fixées, on augmente potentiellement la productivité par la réduction des inégalités de chance et on obtient de bons résultats économiques et sociaux. C’est une direction dans laquelle il vaut la peine de regarder.

Le capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui n’est pas viable. Soit on cède à la polarisation de la société et on prend le risque de semer la graine de la violence ou on opte pour la réconciliation de la société par une politique intelligente qui conjugue résultats sociaux et économiques.

Stephen Dossou, étudiant à CentraleSupélec

(Petite) théorie de l’économie numérique au service de l’action

Nous vivons des temps révolutionnaires (sur le plan technologique). Les différentes révolutions industrielles constituent une manifestation d’un désir profond, caractéristique du genre humain : multiplier les quantités et les vitesses qui sont deux facteurs clés de la civilisation humaine. Un homme qui aurait fait une longue sieste entre 1890 et 1990 ne reconnaîtrait pas le monde dans lequel il s’éveillerait. La troisième révolution industrielle c’est-à-dire la révolution numérique – les historiens de la technique récusent l’existence d’une quatrième révolution industrielle- a complètement bouleversé les genres de vie. Le fait majeur de la révolution digitale est :  les tâches (physiques ou mentales) systématiques et répétitives sont automatisées. De ce fait, découle une pléthore de conséquences qui peuvent constituer une (petite) théorie de l’économie numérique pouvant guider l’action stratégique.

Que reste-t-il au travailleur si les tâches répétitives et systématiques sont automatisées ? Il lui reste les tâches non répétitives faisant appel à la créativité, à l’initiative, au discernement. L’ouvrier du 21ème siècle ne travaille plus avec sa “main” mais avec son “cerveau”. Comme le dit fort bien l’économiste Michel Volle, avec la révolution numérique, on passe de la main d’œuvre au cerveau d’œuvre. Le premier étage de notre théorie est le suivant: l’économie numérique est une économie de la compétence. L’économie digitale redéfinit les attributs des êtres humains et appelle de nouvelles compétences. Des ingénieurs en microélectronique, des développeurs informatiques, des ingénieurs d’affaires, des responsables de service après-vente, des directeurs de systèmes d’information, des analystes de données, etc… tant de compétences nécessaires à l’informatisation des sociétés africaines. Ces compétences représentent un savoir-faire ; ce qui pose la question de la nécessité de réformer le système éducatif en Afrique. Le système éducatif africain, hérité essentiellement de la colonisation, est celui qui produit des concepts théoriques, éduque à l’abstraction et la logique. Il a permis de former d’éminents hommes d’État, chefs d’entreprises et dirigeants jusqu’à la fin du 20ème siècle. Mais il doit être réformé, car il ne s’agit plus de “remplir des cerveaux” mais de produire des connaissances orientées vers l’action. Dit autrement, l’Afrique a besoin d’un système éducatif qui produit des compétences et pas seulement des connaissances. Par exemple, Il y a environ sept cent mille développeurs informatiques sur l’ensemble du continent, dont la moitié est concentrée sur cinq pays (Afrique du Sud, Égypte, Maroc, Nigeria, Kenya) ; ce qui est relativement peu au regard du milliard de personnes vivant sur le continent.

J’ai rappelé que le fait majeur de la révolution digitale est :  les tâches (physiques ou mentales) systématiques et répétitives sont automatisées. Une des conséquences découlant de ce fait est que le coût marginal de la production est insignifiant par rapport à l’investissement initial. Le deuxième étage de notre théorie est donc le suivant: l’économie numérique est une économie à coût marginal nul. Il y a deux ans, en collaboration avec un ami, j’ai créé une entreprise pour proposer une solution digitale de gestion des notes des élèves dans les établissements scolaires au Bénin. Pour le développement de la première version du logiciel, nous avons dépensé quasiment tout notre capital financier initial (achat de licences informatiques, recrutement de développeurs informatiques, etc.). Une fois le logiciel mis au point, il peut être déployé dans n’importe quel établissement scolaire à coût nul. Concrètement, il y a un coût de distribution (les frais de transport pour aller sur le site de nos clients). Mais, il est très faible en regard du coût de développement du logiciel. Le coût de production est quasiment indépendant de la quantité produite ; c’est une spécificité de l’économie numérique. Le rendement d’échelle est croissant diront les économistes. L’économie numérique est une économie à coût fixe. Par conséquent, les sunk cost (les coûts irrécupérables) sont une des caractéristiques principales des entreprises de l’économie numérique. Quand une boulangerie tombe en faillite, l’on a la possibilité de vendre le four à pain, l’armoire à levain, le pétrin mélangeur, la trancheuse de pain ou tout autre équipement. En revanche, quand une entreprise de logiciel échoue, elle n’a plus rien à vendre. Le code du logiciel n’a très probablement plus aucune valeur. L’investissement initial est complètement perdu. D’où l’on peut tirer deux conclusions en matière de financement de l’entreprenariat numérique : (1) la dette est un mauvais instrument de financement de l’économie numérique, (2) le capital-investissement est le bon instrument.

Le troisième (et dernier) étage de notre (petite) théorie est que l’économie numérique est une économie à régime de marché de type concurrence monopolistique. Ceci est une conséquence logique du deuxième étage de notre théorie. Le coût marginal de production d’un système d’exploitation par exemple est nul (en première approximation). Si on applique le principe de la tarification au coût marginal, Microsoft par exemple aurait fait faillite quelques mois après sa création. Le régime de marché ne peut être celui de la concurrence pure et parfaite pour qu’une économie informatisée parvienne à une allocation des ressources efficace. Cela signifie donc que le rôle du régulateur change dans une économie informatisée. Puisque la nature de l’économie digitale ne se prête pas au régime de concurrence parfaite, le régulateur doit surveiller la durée des situations de monopole. Il faut que le monopole que détient une entreprise soit temporaire afin qu’elle évite de s’endormir sur ses lauriers, afin de ne pas pénaliser en fin de parcours le consommateur.

Si vous voulez aller plus loin dans la compréhension de l’économie numérique, je vous suggère de vous procurer mon ouvrage : Le digital au secours de l’Afrique