Kabila et Sassou face à leurs constitutions



 

 

JPG_KabilaSassou 030215Les présidents des deux Congo sont confrontés au même problème : leurs Constitutions respectives les empêchent de briguer un nouveau mandat. Mais ils ne sont pas tout à fait dans la même situation.

Ironie du sort, Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, à qui on a régulièrement prêté des différends sont confrontés exactement au même problème en ce début d’année 2015. Et il se résume à chaque fois à un numéro: 57 (et 58) au Congo Brazzaville et 70 en RDC, les articles constitutionnels qui les empêchent de briguer un troisième mandat à la tête de leur pays. Si la loi fondamentale reste en l’état et si ils la respectent, Sassou Nguesso, tout comme Kabila auront quitté le pouvoir fin 2016.

Après le précédent burkinabè, le débat fait donc rage à Brazzaville comme à Kinshasa, les deux capitales les plus proches du monde – séparées seulement par le fleuve Congo, franchi en sept minutes de canot rapide, avant d’affronter les formalités administratives qui dureront elles beaucoup plus longtemps,  qu'importe la rive où l’on accoste.

À Brazzaville, le sujet est officiellement sur la table depuis le 31 décembre et l’appel du principal mouvement de la majorité, le Parti congolais du travail (PCT), à la rédaction d’une nouvelle Constitution, plus adaptée à la situation du pays. L’ancien texte serait dépassé estime le parti du président Sassou, car rédigé en 2002 dans une période post-conflit, après la sanglante guerre civile qu’a connu le pays.

Bien sûr cette nouvelle Constitution n’a rien à voir avec l’éventualité d’une énième candidature du président Sassou, assure le PCT… Pourtant, l’opposition et quelques rares dissidents de la majorité y voient une simple manœuvre pour justifier un « coup d’État constitutionnel », assurant le maintien au pouvoir du chef. Denis Sassou Nguesso a quant à lui sobrement jugé sain et démocratique un tel débat constitutionnel dans son message de vœux à la Nation.

À Kinshasa, le débat a pris un tour nouveau depuis les violences survenues entre le 19 et le 22 janvier dans la capitale et à Goma à l’est du pays. À l’origine de ces affrontements, dont le bilan est  estimé par les ONG à plus de quarante morts, un projet de loi électorale qui a mis le feu aux poudres. En effet, un article particulièrement controversé, y laissait craindre un report de l’élection présidentielle, ce qui n’était pas tout à fait du goût de l’opposition. Celle-ci dénonçait, là encore, une tentative du président Kabila de s’accrocher au pouvoir. Face à la contestation populaire, l’article a finalement été retiré.

Preuve qu’à Kin’, comme à Brazza, la question constitutionnelle est sensible, même si en RDC ni le parti majoritaire (le PPRD), ni le président n’ont officiellement pris position dans le débat.

Deux situations bien différentes

Les deux chefs d’État sont donc face au même défi, ils restent néanmoins dans des situations bien différentes, autant liées à la nature de leurs pays qu’à l' histoire politique de chacun d'entre eux..

Il y a d’abord un géant face à un petit poucet. La RDC avec ses 80 millions d’habitants est l'un des pays les plus grands et peuplés d’Afrique. Et plusieurs parties du territoire échappent encore au contrôle des autorités à l’est du pays et dans le nord de la province du Katanga. Maï Maï, ADF Nalu, ou anciens rebelles hutus rwandais FDLR… les difficultés avec les groupes armés sont loin d’être réglées dans les Kivus.

Par contraste, le Congo-Brazza avec ses quatre millions d’habitants, fait figure de petit pays tranquille. Et Brazzaville de village paisible qui dévisage avec inquiétude la « Gotham City » Kinshasa aux grandes tours défraichies. Le calme, la paix, après la guerre civile de 1997 qui a marqué les esprits sont d’ailleurs les arguments volontiers convoqués par le camp du président Sassou pour appeler à son maintien au pouvoir.

Sassou et Kabila, c’est aussi deux personnalités et deux situations politiques très différentes.

À 43 ans, Joseph Kabila reste un chef d’État énigmatique et discret, assez malicieux certainement pour avoir échappé, depuis 2001 et l’assassinat de son père, aux chausses trappe inhérentes à l’exercice du pouvoir en RDC. Il reste toutefois très difficile de mesurer la nature et l’étendue de son autorité quand les richesses du sous-sol de son pays et le désordre qui y règne renforcent sans cesse les convoitises et les rivalités.

Sur le plan intérieur, Kabila dispose de concurrents reconnus comme Etienne Tshisekedi, le leader de l’UDPS apprécié notamment à Kinshasa et qui revendique depuis 2011 sa victoire aux dernières élections présidentielles.  Dans la majorité même, des concurrents s’affirment et affichent leur opposition à la révision constitutionnelle. Depuis quelques semaines, le charismatique gouverneur du Katanga, Moise Katumbi, connu pour les succès de son équipe de football le Tout Puissant Mazembe, fait ainsi parler de lui en rejetant implicitement une nouvelle candidature de Kabila. Et il n’est pas le seul au sein de la majorité à prendre ses distances.

À 71 ans, Denis Sassou Nguesso est lui un animal politique  plus expérimenté. Il a déjà plus de trente ans de pratique du pouvoir derrière lui, malgré la parenthèse de la présidence Lissouba entre 1992 et 1997 avant son retour par les armes. Le président a habilement fragilisé les partis d’opposition historique comme l’UPADS, celui de l’ancien président Lissouba, ou le MCDDI, celui de feu Bernard Kolélas, autre rival des années 1990, en attirant ses adversaires dans son giron grâce ,disent ses détracteurs, à l’attraction qu’exercent les richesses pétrolières du pays. Au sein de l’opposition, on serait ainsi bien en peine de distinguer des figures fédératrices et reconnues par la population. Des opposants minoritaires existent bel et bien mais ils ont du mal à se faire entendre dans un paysage médiatique sous contrôle.

Quant à la majorité, à l’image du PCT, héritier des années socialistes au Congo, elle reste à l’unisson avec son chef, même si quelques dissonances notables apparaissent ces dernières semaines par les voix d’anciens ministres comme André Okombi Salissa ou Charles Zacharie Bowao ou même d’un membre du gouvernement actuel Guy Parfait Kolélas (fils de Bernard…), opposées au changement constitutionnel.

Homme d’expérience, par contraste avec un Kabila bien discret sur la scène diplomatique, Sassou Nguesso exerce aussi son influence à l'international depuis de nombreuses années avec la confiance de ses partenaires. Il est par exemple le médiateur dans la crise centrafricaine. 

Un même défi donc et des situations différentes pour les présidents Kabila et Sassou. Mais ces réalités dans toute leur complexité ne permettent évidemment pas d’annoncer quels seront les prochains épisodes pour l’un ou l’autre de ces chefs d’Etat congolais. Qui aurait pu prédire qu'au Burkina Faso, une révolution populaire allait contraindre Blaise Comparé à quitter le pouvoir après 27 ans à la tête du pays ?

Adrien de Calan

Why is media freedom questionnable in Congo-Brazzaville ?

Congo – Brazzaville is known to have a very fragile media in Central Africa. Since the country transitionned to political pluralism after its Sovereign National Conference in the 1990s, the media was also diversified. However it became more and more difficult for the journalists to be independent given the structural difficulties and the concentration of power in the hands of a few people.

A single newspaper for the whole country

The difficulties encountered in the difficult pressare absurd. Dépêches de Brazzaville is the only newspaper in Congo. It is completely commited to President Denis Sassou Nguesso. Created in 1998 by Jean-Paul Bigasse (the President's communication advisor), the newspaper was published every month in four color printing. It then turned into a weekly newspaper in 2004 and then a daily in 2007. It is one of the few newspapers to have computerised editing, a printing press and is subsidised by the State. It is the only affordablenewspaper (200 FCFA) whereas other newspapers cost at least double the price and do not receive any financial help from the state.

Other newspapers in Africa are as fragile economically. The costs are quite high in the written press, especially paper, purchased in the neighboring countries the Democratic Republic of Congo, and the printing. Except two well established newspapers, Dépêches de Brazzaville and the bi-weekly La Semaine Africaine, other newspapers such as La Rue dies and Tam-Tam Africa are published very irregularly depending on the vagaries of the troubled economy. Their journalists earn a low income and sometimes no income at all. Although there is officially a collective agreement that sets a minimum wage of 90,000 CFA francs (137 euros), it is very rarely followed.

This economic vulnerability has a direct influence on the content of the articles. It partly explains the confusion in many newspapers between articles and advertisements appearing in many media that are not presented as such. Unsufficient advertising and low sales weaken these newspapers even more. Thus the "comorra" (originating from the Democratic Republic of Congo) is widely practiced by many underpaid journalists who are paid to publish a specific press release or article.

Dangerous liaisons between politics and media

From this economic vulnerability stems other issues, one of which is the dangerous liaisons between journalism and politics. According to researcher Marie-Soleil Frère, "in Congo, the majority of the media is the instrument of individual strategies of conquest or conservation of power". Public media is in the hands of the political officials who play a direct role in the country's political game. As a matter of fact, DRTV television channel is owned by the general Nobert Dabira who is a senior Congolese official close to the government. MN TV is owned by Maurice Nguesso, elder brother of the president. Top Tv is owned by his daughter Claudia. Independent newspapers are often directly or indirectly linked to political parties or officials. "As the sector becomes more dynamic, the amount of the pro-government propaganda also increases in the columns of the newspapers and on the radio. The media contributes to the cult of personality, losing all credibility and respect in the eyes of the public". This statement could be read a few months ago in the Congolese barometer media, created by the Friedrich Ebert Foundation in collaboration with professionals of the country.

This context of over-politicization and media individualisation has several negative effects. It led some independent newspapers to become a platform for the settlement of scores in the political cenacle by relaying rumors about ministers and favouring anathema to a deep analysis. It also hinders the structuring of the profession and the establishment of professional solidarity that is essential in the most challenging times such as elections. According to "senior" professionals, this solidarity is all the more important because the profession is suffering from a deep lack of training, in a country where civil wars have greatly damaged the education system.

Another major obstacle to the independence of the press is the intimidation, especially when the political situation gets tougher. This is the case in recent weeks with the ongoing debate on the constitutional amendment that would allow the President Sassou to run for a third office. Two journalists were recently expelled: Sadio Kante Morel (freelance journalist) on September 22, and Cameroonian Elijah Smith (from MN TV) on September 26. He was physically assaulted two days after covering a meeting of the opposition.

In addition to this direct violence, many journalists state that media independence is primarily limited by self-censorship. In a context of extreme fragility, taking the risk of opposing potential funders or threathening the existence of the newspapers seems somewhat questionable. According to a report by the Panos Institute, even historical newspapers and reliable references as La Semaine Africaine, bi-weekly created in 1954, backed by the Catholic Church and the Episcopal Conference, negotiate "a relative neutrality" by supporting occasionally the system to avoid trouble and ensure its existence. But in an ultra-pyramidal political system, how can they escape this temptation?

Any solutions?

Solutions to these issues are not easy to find. However, there are interesting initiatives that attempt to solve these problems.

Firstly, the lack of means can be solved by international donations. It requires that the people suggest useful projects with a long-term training program and that international donors such as the United States or the European Union, would be solicited especially during the elections. In neighboring DRC, and in a different context, Radio Okapi has proved that with a substantial budget (millions of dollars) funded by the UN, a channel can provide independent information of quality. But this kind of financial help has its limits: what happens when the donor withdraws? Congo-Brazzaville is a stable and potentially rich country. In this situation, how to access such funds generally directed in priority to countries which are in crisis?

Digital technology is a major opportunity in a country where an entrepreneur, Verona Mankou, claims to have created the first African touch pad. If digital technology is probably too often presented as a totem that would solve all problems, it has at least the advantage of reducing costs and broadcasting to a much larger audience. In Congo, a small community of people living in Brazzaville has started a network in a social media platform that rapidly relays informations, especially to the connected diaspora. This network could have a major role in controlling the information although it is difficult to assess its actual impact in a country where the access to internet is limited to a minority of the population.

 

Another challenge is to be independent from politics. In a pyramidal system, it is difficult to be independent as the political debate in Congo is very limited and has lost all credibility. It is thus easier to focus instead on economic and social issues. There are very interesting projects such as the work of the Association Syfia (http://syfia.over-blog.com), supported by the European Union. The association is composed of a team of journalists who work on human rights issues in Congo. Syfia plays the role of a small news agency and offers reports on the daily struggles of citizens. The main issues concern the relationship between Bantu and indigenous people (pygmies) and the place of women in the economy and the society or environmental protection. Recently, a website http://www.ifrikiamag.com offered a comedic platform to decrypt the clichés or quirks of the Congolese society, and present some cultural operators in the country. Even media close to the President's entourage can diversify their programs and show stories and social issues that meet the actual concerns and expectations of the public, such as the new bimonthly Terrafrica and the private channel TV service Equator Service Television.

 

Some might say that media avoids the political debate and concentrates on society and culture. However, in recent years, it is largely thanks to the artists and the vitality of the Congolese cultural scene (the playwright Dieudonné Niangouna, the dancer DeLaVallet Bidiefono, the visual artists Bill Kouélany and Gastineau Massamba …) that the dramas of the recent history of Congo could be analysed.

Translated by Aymeric LOUSSALA

Au Burkina Faso, Blaise Compaoré cherche une présidence à vie

JPG_BurkinaFaso250614La question des limitations de mandats présidentiels, plus d’un demi-siècle après les indépendances, reste plus que jamais au cœur des débats africains. Des tripatouillages et des tentatives de tripatouillages constitutionnels, orchestrés par des présidents « véreux » et avides de pouvoir sont régulièrement constatés sur le continent.  Blaise Compaoré, après avoir passé plus d’un quart de siècle (27 ans) à la tête du Pays des Hommes Intègres, veut récidiver et tient mordicus à un passage en force pour être éligible aux futures élections présidentielles de 2015.

Un climat politique délétère

Le Burkina Faso est à la croisée des chemins, à quelques mois d’une des plus importantes élections présidentielles de son histoire. Et pour cause, Blaise Compaoré veut tenter un passage en force pour se maintenir à la tête de l’État, malgré l’interdiction formelle de se représenter que lui impose  l’article 37 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Sa machine de séduction du peuple est déjà en marche, dévoilant ainsi ses intentions et moyens. Sa tournée dans le centre-ouest, les 9 et 10 mai dernier, est révélatrice de cet état de fait. Son objectif est de s’éterniser au pouvoir et sa campagne électorale est déjà officieusement lancée.

 Jeu de dupe et stratégies malsaines ?

Depuis quelques mois le président du Faso est en quête d’un moyen salvateur qui puisse lui permettre de briguer un nouveau mandat pour les cinq prochaines années. Son camp, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et autres soutiens ne cessent de multiplier les tentatives et stratégies pour parvenir à leur fin. Cette attitude, digne d’un « monarque constitutionnel», représente une atteinte grave à la démocratie. Sa dernière trouvaille, l’idée d’un référendum, agite la classe politique, la société civile et l’ensemble du peuple burkinabè. Et pourtant, aucun Burkinabè n’est bloqué par le verrou de l’article 37 de la Constitution à part le président. Le référendum ne concerne donc que lui, et lui seul cherche un « lenga » (bonus) présidentiel exposant du coup tout le peuple à des risques d’une crise.

La phase d’affrontement passif bat son plein

Les prémisses d’une situation de crise sont perceptibles au Burkina Faso. Pro- et anti-référendum accentuent les actions, s’affrontent par articles de presse et meetings interposés, ouvrant une lucarne sur ce que 2015 sera. Des fronts de refus naissent sur le plan national et international pour le contrecarrer. L’opposition politique réunie derrière Zéphirin Diabré, le Chef de file de l’opposition politique (CFOP) a lancé officiellement le sien le 31 mai dernier au Stade du 4 août de Ouagadougou lors d’un meeting de protestation contre un éventuel référendum sur l’Article 37 de la constitution. C’est devant un public immense que le CFOP a lancé officiellement les Comités Contre le Référendum (CCR). A Bobo-Dioulasso, ce fut le même son de cloche ce 14 juin au stade Omnisport Sangoulé Lamizana, mais avec moins de succès. En effet, la jeunesse du CDP/Houet organisait aussi au même moment un meeting pour « saper les efforts de l’opposition » et aurait « marchandé des gens avec de l’argent et des tee-shirts » pour leur participation. Rien d’étonnant, sous le règne Compaoré, car cela semble être une « marque de fabrique » à toute activité de mobilisation du CDP.  Le Balai Citoyen et d’autres structures de la société civile, à travers des conférences publiques, des meetings, des  concerts pédagogiques etc. lancent également la sonnette d’alarme et s’opposent farouchement à ce projet de modification de l’article 37. Sur les réseaux sociaux un front contre le référendum est né.

Les partisans du référendum multiplient également les mobilisations. Le 21 juin, au Stade du 4 août de Ouagadougou, le CDP organisait un meeting pour exhorter Blaise Compaoré à convoquer officiellement le référendum. La tension est montée d’un cran et chaque camp se prépare d’avantage, l’étape d’observation se poursuit, mais, jusqu’à quand ?

Ce qui est certain, ce jour n’est plus loin. Bien malin qui saura prédire les prochains mois au Burkina.

Ismaël COMPAORE 

La démocratie de l’angoisse (2ème partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_Elections180614Dans la première partie de cet article, l’auteur a décrit le contexte politique dans lequel se dérouleront les élections présidentielles dans les six pays d’Afrique de l’Ouest concernés par ces scrutins souvent à haut risque cette année et en 2015. Il a examiné en particulier l’intensité anticipée de la compétition électorale dans chacun des pays, un des trois éléments d’appréciation des risques de violence. Dans cette deuxième partie, il s’interroge sur le contexte sécuritaire actuel des différents pays et sur l’environnement institutionnel qui devra encadrer les processus électoraux.

 

Lorsqu’on s’intéresse au contexte sécuritaire général, un deuxième élément d’appréciation capital pour une analyse approximative des risques liés aux élections présidentielles à venir, il n’y a pas de quoi être rassuré. Parmi les déterminants principaux du contexte sécuritaire, on peut s’appesantir sur l’existence ou non dans le pays de groupes armés rebelles ou ex-rebelles, le degré de contrôle politique et d’intégrité professionnelle des forces de sécurité et des forces armées, le niveau d’alignement des affinités politiques avec l’appartenance ethnique et régionale, les conditions pacifiques ou non des élections présidentielles les plus récentes ainsi que l’ampleur et la forme de l’implication politique et/ou sécuritaire d’acteurs extérieurs importants.

Le Nigeria apparaît sans conteste comme l’environnement sécuritaire le plus fragile. L’élection de 2015 va se dérouler dans un pays déjà aux prises avec le groupe terroriste Boko Haram au Nord-Est, un pays qui abrite également des groupes armés organisés dans le Delta du Niger aussi prompts à soutenir politiquement qu’à exercer des pressions sur le président Jonathan lui-même issu de cette région du South-South, et un pays qui connaît des niveaux élevés de violence combinant des dimensions politiques, économiques, ethniques et religieuses dans le Middle Belt (centre du pays) et ailleurs sur le territoire. La fédération nigériane est aussi habituée à des lendemains d’élection meurtriers, comme ce fut le cas en 2011, alors même que le scrutin avait été jugé mieux organisé et plus crédible que tous les précédents.

Plus de 800 personnes avaient été tuées en trois jours d’émeutes et de furie dans douze Etats du nord de la fédération, l’élément déclencheur ayant été la défaite du candidat nordiste Muhammadu Buhari face à Jonathan. Le Nigeria n’avait pas besoin du terrorisme de Boko Haram pour atteindre de tels niveaux de violences mettant aux prises des concitoyens entre eux, avec certes une dose de spontanéité mais aussi un degré certain de préparation des esprits à la violence par des entrepreneurs politico-ethniques et des extrémistes religieux. Dans la perspective de 2015, le chantage à la violence a déjà commencé dans le pays, animé aussi bien par des groupes de militants du « si Jonathan n’est pas réélu, ce sera le chaos » que par ceux du « si Jonathan est réélu, ce sera le chaos ». Quand on ajoute à cette préparation mentale le très faible degré de confiance des populations nigérianes dans l’intégrité et le professionnalisme des forces de sécurité, la crainte d’un sombre début d’année 2015 dans la grande puissance de l’Afrique de l’Ouest paraît fort légitime.

La Guinée, du fait du prolongement ethno-régional de la polarisation politique et du passif de violences, est également très fragile du point de vue sécuritaire. Il convient de reconnaître les progrès indéniables qui ont été faits sous la présidence Condé dans la réforme du secteur de la sécurité qui se traduit par une amélioration de la capacité des forces de l’ordre à contenir des manifestations de rue sans tuer en une seule journée plusieurs dizaines de personnes. Ce n’est plus l’époque de Lansana Conté ou celle de Dadis Camara mais on n’est encore très loin d’un comportement exemplaire des forces de sécurité et d’une neutralité politique des responsables du maintien de l’ordre et de la haute administration territoriale. Les différentes manifestations qui avaient rythmé la longue et difficile marche vers les élections législatives de septembre dernier s’étaient tout de même traduites par des violences parfois meurtrières. On peut déjà anticiper un face-à-face explosif entre manifestants de l’opposition et forces de sécurité lorsque sera engagé le processus menant à l’élection présidentielle.

Le contexte sécuritaire n’est pas particulièrement rassurant non plus en Guinée Bissau et en Côte d’Ivoire. Dans le premier pays, les chefs de l’armée se sont toujours considérés autonomes par rapport au pouvoir politique civil et on parle de réforme du secteur de la sécurité depuis une dizaine d’années sans avoir jamais réussi à l’enclencher. En Côte d’Ivoire, des efforts significatifs ont été faits pour gérer les conséquences catastrophiques du conflit armé postélectoral de 2011, mais il faudra encore quelques années pour doter le pays de forces de défense et de sécurité cohérentes, efficaces et politiquement neutres. L’héritage difficile des années de rébellion et de conflit risque de peser lourdement dans l’environnement sécuritaire et les développements politiques… après l’élection de 2015. Aussi bien en Guinée Bissau qu’en Côte d’Ivoire, la présence d’acteurs extérieurs mandatés pour le maintien de la paix, la mission militaire de la CEDEAO (ECOMIB) et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) respectivement, est un facteur d’apaisement relatif.

Le positionnement politique des forces de défense et de sécurité et le maintien de leur unité sont des éléments d’incertitude qui pèsent sur le contexte sécuritaire au Burkina Faso qui a connu de violentes mutineries en 2011. Impossible de savoir comment l’armée burkinabè et les différentes générations qui la composent vivent actuellement la situation inédite d’incertitude politique sur l’après 2015. Les hauts responsables militaires dont beaucoup ont été nommés au lendemain des mutineries de 2011 pour reprendre en main ce pilier essentiel du pouvoir de Compaoré considèrent-ils leur sort lié au maintien de ce dernier au palais présidentiel après 2015 ? Comment les officiers les plus proches du président qui l’ont accompagné depuis les premières années d’un régime alors très brutal appréhendent-ils l’avenir ? Beaucoup de questions et peu de réponses, ce qui ne devrait pas atténuer l’angoisse des Burkinabè et de nombre de leurs voisins ouest-africains. Au Togo, la question du positionnement politique des forces de sécurité et de l’armée se pose beaucoup moins : le verrouillage sécuritaire par le pouvoir de Lomé semble résister à l’usure du temps.

Il convient enfin de s’interroger sur le cadre institutionnel dans lequel se dérouleront les scrutins présidentiels dans les différents pays. Ce cadre désigne ici l’ensemble des règles, procédures, institutions qui sont mobilisées du début à la fin du processus électoral et qui jouent un rôle déterminant dans la crédibilité des scrutins, en particulier celle des résultats définitifs qui désignent le vainqueur. Si la crédibilité du processus électoral n’est pas une garantie d’absence de crise et de violences, la perception d’un déficit important de crédibilité est quasiment toujours un déclencheur de troubles. De plus, lorsque l’élection présidentielle se passe dans un pays dont l’environnement sécuritaire est déjà fragile et dans le contexte d’une intense compétition pour le pouvoir, la crédibilité du cadre institutionnel régentant l’élection peut être décisive pour sauver le pays d’un basculement quasiment certain dans une crise postélectorale.

Il ne faudra pas trop compter sur cela. Partout, les dispositions des lois électorales, les conditions d’établissement des fichiers d’électeurs, la neutralité politique et la compétence technique des institutions chargées d’organiser les élections et d’examiner les éventuels recours font l’objet de controverses. Aucun des pays concerné par une élection présidentielle en 2014 ou 2015 n’est un modèle dans la région en matière d’organisation de scrutins libres, transparents et crédibles. Certains ont accompli, à l’instar du Nigeria, des progrès notables en la matière au cours des dernières années, mais ils sont tous encore loin, bien loin, des modèles en Afrique de l’Ouest que sont le Ghana, le Cap-Vert et le Sénégal où des commissions électorales et/ou d’autres dispositifs et institutions ont su gérer et crédibiliser des élections parfois très compétitives.

Au Nigeria, nombre de réformes qui avaient été recommandées par les experts au lendemain des élections générales de 2011, certes mieux organisées que les précédentes, pour corriger les plus graves failles du système n’ont pas été mises en œuvre. En Guinée, il a fallu des médiations, une forte implication technique internationale et un accord politique âprement négocié pour arriver à organiser des élections législatives en septembre 2013. La liste des tâches à accomplir pour rendre le dispositif électoral plus crédible pour la présidentielle de 2015 est très longue. Elle comprend l’établissement d’un nouveau fichier électoral et la mise en place d’une institution cruciale comme la Cour constitutionnelle qui doit remplacer la Cour suprême dans le rôle de juge ultime du contentieux électoral. Même en Côte d’Ivoire, où l’actuel président avait promis une révision de la Constitution, rien n’a été fait pour fermer la page des dispositions spéciales issues des accords de paix et doter le pays d’un nouveau cadre électoral et d’un mode de composition de la commission électorale indépendante susceptible de créer davantage de confiance de la part de tous les acteurs politiques.

On ne peut, en guise de conclusion, que donner raison aux citoyens d’Afrique de l’Ouest déjà angoissés à l’approche des échéances électorales à venir. Lorsqu’on prend en compte simultanément les trois éléments d’appréciation, aucun des pays ne sera à l’abri de tensions fortes susceptibles de dégénérer en violences plus ou moins graves. En prenant le risque de se tromper, – qui peut vraiment prévoir tous les scénarios possibles dans chacun de ces pays plusieurs mois avant les différents scrutins ? -, il est raisonnable de classer le Nigeria et la Guinée dans une catégorie de pays à très haut risque, le Burkina Faso dans une catégorie de pays à haut risque et la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire et le Togo dans une catégorie de pays à risque modéré, ce qualificatif ne voulant surtout pas dire « faible » ou « inexistant ».

Les élections calamiteuses ne sont pas cependant des catastrophes naturelles imprévisibles et inévitables. Les citoyens de chacun des pays concernés, la CEDEAO et les acteurs internationaux importants ont les moyens de dompter l’angoisse par une forte mobilisation pour prévenir des crises violentes. Mais il y a aussi un risque à appréhender les élections uniquement ou principalement comme des moments de danger d’implosion des Etats, et à ne rechercher que des élections sans violence. Cela revient souvent, pour les organisations régionales et internationales, à préférer la manipulation des processus électoraux au profit du camp le plus puissant, et donc le plus à même de provoquer le chaos en cas de défaite, à des scrutins réellement ouverts à l’issue incertaine. Le risque est celui d’oublier et de faire oublier à quoi devraient servir les rituels électoraux dans des démocraties jeunes et fragiles : à ancrer petit à petit une culture démocratique dans la société. Si les populations doivent continuer à aller voter tous les quatre ou cinq ans, la peur au ventre, c’est l’adhésion populaire à l’idéal démocratique en Afrique de l’Ouest qui finira par être menacée.

Dr. Gilles Yabi

La démocratie de l’angoisse (1ère partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_WestAfrica040614C’est l’estomac noué et la gorge serrée que les citoyens de six pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’apprêtent à entrer dans une période électorale devenue synonyme, dans une trop grande partie du continent, de risque maximal de crise violente. Les premiers qui devraient être convoqués aux urnes sont les électeurs de Guinée Bissau où un scrutin présidentiel et des législatives censés tourner la page d’une période de transition sont prévus le 13 avril prochain. Dans ce pays lusophone, le seul de la région avec les îles du Cap-Vert, le calendrier électoral a été systématiquement perturbé depuis la démocratisation formelle au début des années 1990 par des coups de force militaires, des assassinats politiques et dernièrement par la mort naturelle du président. Mais c’est en 2015 que l’actualité électorale sera extraordinairement chargée.[1] Des élections présidentielles sont prévues au premier trimestre au Nigeria et au Togo, puis au dernier trimestre au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire.[2]
 
Pour chacun de ces pays et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, les élections présidentielles à venir représentent un enjeu crucial pour la paix, la stabilité politique mais aussi pour le progrès économique et social. Si la région n’avait pas connu une série de crises violentes au cours des dix dernières années, les échéances de 2014-2015 auraient dû surtout servir de test pour la consolidation de la pratique et de la culture démocratiques dans chacun des pays concernés et, par là même, pour l’ensemble de cette région du continent. Cette question ne sera que secondaire autant pour les citoyens que pour les organisations régionales et internationales à l’approche des différents scrutins présidentiels. La préoccupation première sera celle d’éviter que ces moments censés incarner la vitalité démocratique ne se transforment en périodes d’explosion de violences, ou pire, de basculement dans des conflits armés. Au regard des évènements politiques et sécuritaires des dernières années, ces craintes sont légitimes.
 
Mais quelle est l’ampleur des risques associés à chacune des élections présidentielles à venir dans la région ? Où sont-ils les plus importants ? Pour tenter de répondre à ces questions, trois éléments d’appréciation méritent d’être mobilisés: ce qu’on pourrait appeler l’intensité anticipée de la compétition présidentielle, le contexte sécuritaire général du pays et le cadre institutionnel appelé à régenter le processus électoral. Anticiper l’intensité de la compétition pour la fonction présidentielle revient à s’interroger, dans chaque pays, sur les chances que le scrutin soit ouvert et qu’il n’y ait pas de candidat quasiment sûr de gagner bien avant l’échéance. Classer les pays en fonction de ce premier critère n’est pas si simple, alors qu’on ne connaît pas encore avec certitude qui seront les candidats en course pour chacune des élections présidentielles.
 
En Guinée Bissau, le scrutin doit mettre fin à une situation d’exception née d’un coup d’Etat…contre un Premier ministre qui était en passe de devenir président, Carlos Gomes Júnior. Organisée en avril 2012, la dernière élection présidentielle s’était arrêtée entre les deux tours. Gomes Júnior, largement en avance à l’issue du premier tour, avait été brutalement sorti du jeu par les chefs militaires du pays qui lui étaient résolument hostiles. L’ancien Premier ministre reste en 2014 un acteur politique influent mais contraint à l’exil d’abord au Portugal et désormais au Cap-Vert, toujours considéré inacceptable pour la hiérarchie militaire et peut-être pour des acteurs régionaux importants, on ne voit pas comment il pourrait rentrer dans son pays en sécurité et se présenter à nouveau à une élection présidentielle. Il a sollicité l’investiture de son parti, le PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde, Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), mais le choix de ce dernier s’est porté le 2 mars sur l’ancien ministre des Finances et ancien maire de la capitale, José Mário Vaz.
 
Le PAIGC, qui continue à bénéficier de son statut historique de  parti ayant conduit la lutte armée pour l’indépendance des deux anciennes colonies portugaises d’Afrique de l’Ouest, reste la force politique dominante dans le pays malgré ses divisions internes. Il partira favori pour les élections législatives, face au PRS (Partido para a Renovação Social, Parti pour la rénovation sociale), également divisé, et aux autres partis plus petits. La compétition pour le fauteuil présidentiel devrait être plus ouverte en raison notamment de quelques candidatures indépendantes susceptibles de séduire un électorat désorienté par les luttes politiques partisanes. Mais le plus dur en Guinée Bissau n’est pas toujours de doter le pays d’un président démocratiquement élu. C’est de lui garantir de bonnes chances de survie politique et physique jusqu’à la fin de son mandat, surtout s’il lui venait à l’esprit de toucher aux intérêts des chefs militaires et/ou des alliés locaux des réseaux internationaux de trafic de drogue actifs dans ce pays et dans toute l’Afrique de l’Ouest.
 
Au Nigeria non plus, on ne sait pas encore avec certitude qui sera candidat, mais l’attention se concentre sur les intentions du président sortant Goodluck Jonathan. Evoquant un principe non écrit de rotation entre candidats nordistes et sudistes désignés par le PDP (People’s Democratic Party, Parti démocratique du peuple), parti au pouvoir depuis le retour à la démocratie en 1999, nombreux sont ceux qui s’opposent à une nouvelle candidature du président actuel. Vice-président en 2007, Jonathan avait hérité du poste de président après le décès de Umaru Yar’Adua en 2010 avant de se faire élire en 2011 pour un premier mandat plein de quatre ans. Les défections de personnalités très influentes du PDP se sont multipliées ces derniers mois et elles continuent, affaiblissant le camp du président.
 
L’opposition au PDP semble par ailleurs n’avoir jamais été aussi forte, en raison de la fusion en février 2013 de quatre partis importants dans une grande formation, l’APC (All Progressives Congress, Congrès de tous les progressistes) qui est aussi bien implanté que le parti au pouvoir dans tous les Etats de la fédération. Les moyens financiers, déterminants dans la bataille électorale colossale qui se profile, ne manqueront pas d’un côté comme de l’autre, même si le camp au pouvoir dans cette puissance pétrolière qu’est le Nigeria disposera inévitablement d’un avantage certain en la matière. La compétition sera selon toute probabilité très intense. Elle le sera dans tous les cas, y compris dans l’hypothèse très improbable d’un retrait du président sortant de la course à l’investiture du PDP, et quel que soit le candidat qui sera choisi par l’APC. Ce choix ne sera pas aisé et pourrait provoquer des failles dans l’unité affichée jusque-là par le nouveau grand parti d’opposition.
 
Les Togolais devraient, comme les Nigérians, aller aux urnes au premier trimestre 2015. Le président sortant Faure Gnassingbé, élu dans des circonstances controversées et violentes en 2005 après la mort naturelle de son père, Eyadema Gnassingbé, puis réélu en 2010, pourra se porter candidat une troisième fois sans avoir à faire modifier la Constitution en vigueur. Depuis le retour forcé à un système démocratique formel, le pouvoir togolais n’a pas arrêté de jouer avec la disposition de limitation à deux du nombre de mandats présidentiels successifs. En 2002, une révision constitutionnelle avait non seulement supprimé cette disposition mais elle avait également consacré le principe d’une élection présidentielle à un seul tour. Malgré les recommandations d’un accord politique global signé en 2006 et les demandes répétées de l’opposition, les dispositions actuelles de la Constitution et du code électoral restent très favorables à une tranquille pérennité du régime du président Gnassingbé. Le parti présidentiel UNIR (Union pour la République) dispose d’une majorité absolue au Parlement et s’assurera que rien ne soit entrepris pour réduire les chances de victoire de son chef en 2015. Par ailleurs, la machine sécuritaire au service du pouvoir et l’insuffisante coordination des forces politiques de l’opposition ne militent pas pour l’instant en faveur d’une compétition électorale ouverte et intense pouvant déboucher sur une alternance politique réelle dans un pays qui n’en a pas connue depuis le coup d’Etat d’Eyadema Gnassingbé en… 1967.
 
Au Burkina Faso, il n’y a même pas eu d’alternance générationnelle comme ce fut le cas au Togo en 2005. Au pouvoir depuis octobre 1987, Blaise Compaoré devrait avoir passé 28 ans à la tête de l’Etat au moment de l’élection présidentielle de 2015. La Constitution limitant le nombre de mandats successifs à deux, le président ne pourra être candidat qu’à condition de réussir à faire passer une nouvelle révision de la loi fondamentale dans les mois à venir. Cette intention ne faisant plus de doute, la mobilisation des adversaires à une énième manœuvre visant à prolonger le règne du président Compaoré a commencé à Ouagadougou. Elle a même affaibli le pouvoir beaucoup plus rapidement qu’on ne pouvait le prévoir, un large groupe de personnalités de poids du parti présidentiel, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès) qui ont toujours soutenu Compaoré, ayant décidé de quitter le navire pour rejoindre en janvier dernier le camp des adversaires de toute révision constitutionnelle.
Le Burkina Faso est de fait déjà entré dans une période  tendue et cela devrait durer jusqu’à ce que le pouvoir décide de renoncer à toute modification constitutionnelle ou choisisse de convoquer un référendum sur cette question. Dans ce dernier cas, de fortes contestations sociopolitiques seront inévitables et leurs conséquences incertaines. La compétition  électorale en 2015 sera forcément intense. Dans l’hypothèse où Compaoré renoncerait à prétendre à un nouveau mandat, la compétition devrait être très ouverte. Elle pourrait juste être moins tendue et explosive qu’en cas de candidature du président sortant.
 
En Guinée, le président Alpha Condé devrait être candidat en 2015 pour un second et dernier mandat. Pas d’obstacle légal à contourner. Il devrait par contre faire face à des rivaux politiques organisés, déterminés et capables de le priver d’un nouveau mandat. Arrivé au pouvoir en décembre 2010, au terme d’un scrutin laborieux et controversé, le président avait été largement distancé au premier tour par l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo avant de l’emporter au second. Les récentes élections législatives, elles-aussi organisées au forceps après une série de reports et grâce à une forte implication internationale, ont encore montré que le camp du président Condé n’était pas capable d’écraser l’opposition. Cette dernière, même éclatée en plusieurs pôles, a quasiment fait jeu égal avec le parti du président, le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée) et ses alliés.
 
L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo reste une force politique significative qui, si elle s’allie à d’autres partis importants comme l’Union des forces républicaines (UFR) de Sydia Touré ou le PEDN (Parti de l’espoir pour le développement national) de Lansana Kouyaté, pourrait devenir majoritaire à l’occasion du second tour d’un scrutin présidentiel. Dans l’hypothèse, pour le moment improbable, d’une candidature unique de l’opposition, le président Condé serait particulièrement menacé par une défaite électorale, malgré les avantages habituels conséquents d’un président-candidat. Aucun doute n’est permis sur l’intensité de la bataille pour la présidence de la Guinée à la fin de l’année 2015. Elle  sera l’une des plus rudes de la région.
 
Au cours de ce même dernier trimestre 2015, les Ivoiriens seront eux-aussi convoqués aux urnes pour reconduire le président Alassane Ouattara ou choisir un nouveau chef d’Etat. Arrivé au pouvoir au terme d’une élection compétitive qui a dégénéré en conflit armé avec celui qui était le président sortant, Laurent Gbagbo, Ouattara a rapidement indiqué qu’il serait bien candidat à un second et ultime mandat. Si son parti, le Rassemblement des républicains (RDR) sera à coup sûr uni derrière le président pour la future bataille électorale, le soutien franc et massif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), allié important et potentiellement décisif, n’est pas nécessairement acquis. Le scrutin ne sera pas gagné d’avance mais la faiblesse et le passif du Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président Gbagbo, détenu à la prison de la Cour pénale internationale aux Pays-Bas, sont tels que le président sortant devrait partir favori. Son bilan en termes de relance de l’économie ivoirienne et des mesures récentes allant enfin dans le sens de l’apaisement et de la réconciliation nationale devraient aussi jouer en sa faveur. On peut anticiper une compétition présidentielle modérément intense dans un pays dont les électeurs ont encore à l’esprit le traumatisme postélectoral de 2010-2011.
 
Gilles Olakounlé Yabi
 
[1] L’autre élection présidentielle de l’année 2014, prévue en juin, aura lieu en Mauritanie, pays à cheval sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord qui s’est retiré de la CEDEAO en 2000.

[2] Dans la foulée, au début de l’année 2016, les électeurs du Niger et du Bénin seront à leur tour appelés aux urnes pour choisir leurs chefs d’Etat. Dans les deux pays, l’atmosphère politique est déjà marquée par de fortes tensions à plus de deux ans des échéances électorales. Le Cap-Vert, la Gambie puis le Ghana seront aussi concernés par les élections au second semestre 2016.

 

 

Élection présidentielle en Guinée-Bissau : Enfin le bout du tunnel ?

JPG_GuinéeBissau290514Le second tour de l’élection présidentielle en République de Guinée-Bissau, tenu le 18 mai dernier, a livré son verdict. Avec 62% des suffrages, José Mario Vaz a remporté face à Nuno Gomes Nabiam (38%) un scrutin qui vient couronner un énième processus de normalisation de la tumultueuse vie politique locale.

La République de Guinée Bissau a accédé à l’indépendance en 1973. Elle a connu une instabilité chronique, particulièrement depuis l’instauration du multipartisme au début des années 1990 : coups d’État et assassinats politiques ont rythmé sa marche vers la démocratie au cours des deux dernières décennies. Dans ce pays, en effet, aucun président élu n’a pu jusqu’ici terminer son mandat.

Le printemps démocratique que nombre de pays africains ont connu entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 a pourtant aussi été ressenti dans cette ancienne colonie portugaise. En effet João Bernardo Vieira, arrivé à la tête du pays en 1980 à la faveur d’un putsch, décide en 1989 d’opérer des réformes pour consacrer de plus grandes libertés au plan politique. Elles aboutiront, dès 1991, à l’adoption d’une nouvelle Constitution. Les premières élections présidentielles et législatives sont organisées en 1994. Vieira bat au second tour l’universitaire et philosophe Kumba Yalà et devient le premier Président démocratiquement élu de Guinée Bissau. Il dirige le pays dans une relative stabilité pendant quatre ans avant d’être, en 1998, la cible d’une tentative de coup d’État qui plonge le pays dans une brève mais sanglante guerre civile.

L’armée sénégalaise interviendra pour barrer la route aux rebelles dirigés par le général Ansumane Mané par crainte de voir leur alliance avec les indépendantistes du Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (MFDC) renforcer ces derniers qui tentent de faire sécession au sud du Sénégal. En mai 1999, les éléments de Mané finissent par prendre le pouvoir après que les militaires sénégalais se soient retirés. Vieira part en exil au Portugal. De nouvelles élections sont organisées par un pouvoir intérimaire et Kumba Yalà les remporte haut la main. Mais il est à son tour renversé en 2003. Après une transition de deux ans, le scrutin présidentiel de 2005 consacre le retour de Vieira au pouvoir. Il gouvernera encore le pays pendant quatre ans.

Le 1e mars 2009, le Chef d’état-major général de l’armée, Baptista Tagme Na Waie, est assassiné à la suite d’un attentat à la bombe. En représailles, des soldats se rendent, le lendemain, à la résidence officielle du Président Vieira et l’exécutent sans autre forme de procès. La présidentielle organisée la même année est remportée par Malam Bacai Sanhà qui décède au début de 2012, des suites d’une longue maladie provoquant du même coup une nouvelle période d’instabilité. Carlos Gomes Junior arrive en tête au premier tour des joutes électorales suivantes, tenues en mars 2012. Il est suivi de Kumba Yalà. Toutefois, les deux hommes n’auront pas l’occasion de s’affronter au second. Le coup d’Etat mené dans l’entre-deux tours, par le général Amadu Ture Kuruma, coupe court au dénouement de leur duel.

Pays classé au rang de narco-Etat

Autre phénomène qui ternit l’image de la Guinée Bissau, outre ces putschs à répétition, concerne le trafic international de stupéfiants. Depuis de nombreuses années, le pays est présenté comme une plaque tournante utilisée par les narcotrafiquants sud-américains pour faciliter l’acheminement de grandes cargaisons de drogues vers l’Europe et les Etats Unis.  Plusieurs sources attribuent d’ailleurs l’assassinat de Vieira à un règlement de compte organisé par des narcotrafiquants colombiens. Le contre-amiral Bubo Na Tchuto, ex-chef de la marine, considéré comme l’une des pièces maitresses de ce trafic, a été arrêté en avril 2013 avec six autres personnes dont deux Latino-Américains, puis envoyé dans une prison américaine. Il attend d’être jugé pour son rôle de premier plan dans ce réseau international.

Dans son rapport 2013 sur la criminalité transnationale organisée,  l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) révèle que la Guinée-Bissau fait partie d’un groupe de pays dont la valeur de la drogue qui transite sur le territoire est supérieure au budget militaire. Les experts de l’ONU affirment que cette situation favorise l’instabilité du pays, ternit son image et décourage les investisseurs. Son potentiel économique (un sous-sol riche en bauxite, phosphate et pétrole notamment) est ainsi largement sous-exploité.

Le scrutin de la rédemption

Après avoir vécu toutes ces péripéties, les Bissau-guinéens espèrent ouvrir un chapitre plus reluisant de leur histoire. Dans tout le pays on veut croire que le second tour du 18 mai marque une nouvelle ère plus apaisée pour qu’enfin la classe politique et les forces vives de la nation puissent se consacrer aux défis qui les attendent. Ces défis ont pour noms : une pauvreté endémique, un taux de chômage très élevé, un déficit énergétique qui plombe l’activité économique, la nécessité d’une réforme agraire, le manque d’infrastructures et de services sociaux de base, la corruption, la fragilité des institutions etc.

José Mario Vaz, 57 ans, était le candidat du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC). Ancien ministre des Finances, il a joué sur le registre de l’expérience. Sa connaissance des rouages de l’administration et ses compétences présumées en matière d’économie ont été mises en avant tout le long de la campagne pour convaincre l’électorat de sa capacité à pouvoir redresser le pays.

Il devra conduire ses concitoyens au redressement tant souhaité, et le taux de participation très élevé (80%) donne une idée de l’étendue des attentes. Seulement, il est porté au pouvoir par l’institution qui, avec l’armée, a le plus incarné la « malédiction » de ces vingt dernières années : le PAIGC, l’ancien parti unique. Sa capacité à se libérer des entraves de cet appareil gangrené par les luttes d’influence et souvent suspecté de corruption sera déterminante  pour la réussite de son action à la tête du l’État en termes de ruptures.

Ce scrutin de tous les espoirs, sécurisé par 4 200 soldats nationaux et ouest-africains, n’était en fait que le premier pas vers la normalisation. L’histoire a en effet montré qu’en Guinée-Bissau, le plus dur n’est pas d’organiser une élection dans des limites acceptables de transparence mais de donner la possibilité au vainqueur d’étaler les axes de son programme sur un mandat entier.

Nuno Gomes Nabiam, le candidat malheureux, était soutenu par l’armée. Leur champion défait, les militaires adopteront-ils cette fois une posture républicaine ? Laisseront-ils au Président élu les coudées franches ? Une interrogation largement partagée mais à laquelle il est difficile de répondre par l’affirmative même si l’actuel homme fort de cette grande muette turbulente, le général Antonio Indjai, a tenu à donner des gages à la communauté internationale. Les plus sceptiques rappellent toutefois qu’au lendemain du scrutin de 2009, il avait pris des engagements similaires avant de tenter et de réussir un coup de force moins d’un an plus tard.

Racine Assane Demba

 

Les attentes des Maliens de France envers leur futur président

Mali-large-avance-du-candidat-Keita-a-la-presidentielle_referenceLe premier tour des élections présidentielles au Mali s'est déroulé le 28 juillet dernier. Lors du second tour, prévu pour le 11 aout prochain, s'affronteront Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK arrivé en tête du premier tour avec 39.2% des voix et l'ancien Président de la Comission de l'UEMOA, Soumaïla Cissé, candidat de l'Union pour la république et la démocratie, qui a recolté 19,44% des suffrages.

Les ralliements des autres candidats du premier tour se succèdent et les tractations sont en cours pour le second tour de ce scrutin tant attendu, et qui devrait mettre un terme aux deux ans d'instabilité qu'a connu le Mali. Mais au-delà du rétablissement de l'ordre constitutionnel, le nouveau Président de la République du Mali devra faire face à une économie durement touchée par la crise, une société civile et un corps politique divisé par l'insurrection touareg et le coup d'état conduit par le capitaine Sanogo, en mars 2012.

Dans l'attente de ce second tour, l’Unité Mixte de Recherche 225 DIAL (Développement, Institutions et Mondialisation) a realisé une enquête statistique inédite de très grande ampleur avec près de 100 enquêteurs répartis dans trois pays (Mali, Côte d’Ivoire et France). Nous présentons ici les premiers résultats de cette enquête menée auprès de plus de 200 votants maliens en France (Ambassade du Mali à Paris, Consulat du Mali à Bagnolet, villes d’Evry, de Montreuil et de Saint-Denis). Ils permettent de dresser plusieurs constats.

Des espoirs et des attentes pour l’avenir de la République du Mali

Un fort mécontentement quant à l’organisation du scrutin

Alors que la presse ou les réseaux sociaux se sont fait l’écho de nombreuses difficultés techniques posées au bon déroulement du scrutin dans la plupart des pays de résidence des migrants, et dans une moindre mesure au Mali, il ressort qu’en France plus des trois quarts des votants interrogés ne sont pas du tout satisfaits ou moyennement satisfaits de l’organisation des élections. Leur insatisfaction est principalement liée aux problèmes d’inscription sur les listes électorales en raison d’un recensement passé défectueux, à des retards dans la délivrance des cartes biométriques d’électeur NINA, à un manque d’information quant aux lieux de vote et à un non-respect du règlement électoral (urnes non cadenassées, bureaux de vote non ouverts ou avec retard, …). La date des élections qui avait été jugée trop précoce par de nombreux observateurs et certaines organisations non gouvernementales, est donc loin d’être la première raison invoquée.

Un large déficit de confiance dans la démocratie malienne

Alors que plus de 87% des votants maliens ont plutôt ou tout à fait confiance dans la démocratie française, ils portent a contrario un jugement extrêmement sévère sur le fonctionnement de la démocratie de leur pays d’origine. Un tiers d’entre eux considère même qu’avant le coup d’Etat il ne s’agissait pas d’une démocratie, 26% qu’il s’agissait d’une démocratie avec des problèmes majeurs. 31% seulement d’une pleine démocratie ou d’une démocratie avec des problèmes mineurs. Les principales raisons évoquées pour expliquer la crise traversée par leur pays sont : l’incompétence de la classe politique, la corruption généralisée et la faiblesse de l’Etat. La question du terrorisme étranger ne vient qu’après. L’intervention de l’armée militaire française agissant dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies a été jugée tout à fait justifiée par 79% des votants. Des espoirs et des attentes pour l’avenir de la République du Mali Si les trois quarts des votants interrogés affirment n’avoir eu plutôt pas, voire pas du tout confiance dans la classe politique malienne avant le coup d’Etat, ils sont paradoxalement plus de la moitié aujourd’hui à faire confiance à la classe politique malienne quand bien même n’a-t-elle été renouvelée qu’à la marge comme le montre la liste des candidats à l’élection présidentielle. Interrogés sur les plus grands défis qu’aura à relever le nouveau président, les électeurs citent, par ordre d’importance, le maintien de la sécurité du territoire face aux menaces islamistes ou terroristes, le renforcement de l’intégrité du territoire face aux revendications séparatistes et loin derrière ces deux premiers défis, la relance de l’activité économique et la réduction de la pauvreté.

La bonne « intégration » civique des électeurs maliens dans la société française

Contredisant les injonctions à l’intégration et les discours populistes sur les migrants ouest-africains en France, notre enquête montre sans nul doute possible que l’intérêt des personnes interrogées pour la vie politique de leur pays d’origine va de pair avec leur intérêt pour la vie politique de leur pays d’accueil, voire à leur participation réelle à la vie publique française lorsqu’elles sont dotées de la double nationalité. 56% de la population malienne votante déclare être très intéressée par la vie politique malienne, 26% affirmant avoir eu ou avoir la carte d’un politique malien. Vice et versa, 42% des électeurs affirment être très intéressés par la vie politique française. Au sein de cette population, 82% des personnes dotées de la bi-nationalité sont inscrites sur les listes électorales françaises et 77% votent aux scrutins nationaux.

CP – 2013.08. 01 Les Attentes des Maliens de France envers leur futur président, 1ères leçons d'une enquêt…


Retrouvez le communiqué complet en ligne.


Cette enquête a été réalisée dans le cadre du Projet POLECOMI, DIAL-IRD, Iris-EHESS.
DIAL-IRD est un partenaire de l'Afrique des Idées