Perspectives Economiques en Afrique : quand la Bad se réapproprie l’exercice !

La Banque Africaine de Développement a publié le mercredi 17 janvier dernier l’édition 2018 de son rapport sur les Perspectives Economiques en Afrique. Cette édition se démarque des précédentes et marque une certaine rupture dans la production de ce document. L’institution semble s’être appropriée totalement l’exercice, tant dans la forme que dans le fond. Le document sera désormais publié à la mi-janvier de chaque année, au lieu de juin, période traditionnelle de publication du rapport. L’institution assure vouloir être celle qui propose en premier des informations économiques sur l’Afrique, prenant ainsi à contre-pied le Fmi qui jusque-là établissait des prévisions sur les performances économiques en Afrique, en avril de chaque année. Le volume est réduit de moitié et seule la BAD a produit et signé cette édition – contrairement aux autres éditions co-signées avec l’OCDE et le PNUD. Elle va proposer aussi des sous rapports pour chacune des cinq régions du continent, une première.

La rupture est encore plus marquante au niveau méthodologique. Si le document propose toujours deux chapitres, l’un faisant l’état des lieux de la performance socio-économique et le second traitant d’une thématique donnée ; l’édition 2018 propose une lecture différente des pays africains, faite exclusivement par des africains – avec la contribution de quelques universitaires externes, spécialisés sur l’Afrique. Le nouveau format propose d’abord une lecture de la performance et des perspectives sur l’activité économique, les finances publiques, le secteur financier et les relations avec le reste du monde (avec un accent sur l’effet des chocs extérieurs). Il discute ensuite les évolutions sur le marché de l’emploi et la pauvreté, en lien avec les performances économiques des pays. En ce qui concerne la thématique d’intérêt (pour l’édition 2018, le focus a été mis sur le financement des infrastructures), le document propose une discussion de l’impact des infrastructures sur la performance économique des pays puis présente les stratégies ou les outils qui pourraient être utilisés pour accroître le financement des infrastructures sur le continent. Surtout, à chaque niveau, le rapport est force de proposition pour améliorer les conditions socio-économiques, en rupture avec les anciennes éditions qui se contentaient d’observer, d’expliquer et de décrire les actions mises en œuvre – de les juger le plus souvent.

Cette nouvelle approche est plus qu’appréciable à plusieurs titres. D’abord, la BAD se positionne comme une institution qui veut œuvrer pour le développement des pays africains, en s’appropriant effectivement les problématiques des pays et en étant force de proposition pour les résoudre en s’appuyant sur de l’expertise africaine. La BAD pourra ainsi se positionner en maître sur les discours portant sur l’Afrique et être une voix de référence sur la performance économique des pays africains et orienter les autres institutions intéressées par des travaux sur l’Afrique. Ensuite, le calendrier de publication proposé permet d’avoir une base de travail de référence sur l’Afrique pour les investisseurs. Enfin, le fait de proposer des rapports régionaux permet de tenir compte des hétérogénéités des pays, de proposer une lecture plus fine et surtout de traiter de thématiques d’intérêt pour Chacune des régions et mieux orienter les politiques publiques selon les urgences par zone. L’institution démontre que les autorités africaines ont pris la pleine mesure de la nécessité de se réapproprier les discours sur l’Afrique et de définir la stratégie de développement sur la base des particularités qui sont nôtres.

Sur le fond, la BAD prévoit que la croissance devrait continuer à progresser en 2018 et 2019. Selon l’institution, elle devrait atteindre 4,1% en 2018 et 2019, après 3,6% en 2017 (et 2,2% en 2016) portée notamment par le redressement des économies à forte intensité de ressources, en raison du rétablissement des cours mondiaux. Toutefois, ce regain de croissance n’est pas générateur d’emplois, de sorte que les inégalités et la pauvreté persistent (indice de Gini est passé de 0,52 en 1993 à 0,56 en 2008). La Banque estime que le manque d’investissement dans le capital humain, dans un contexte de forte progression démographique d’une population de plus en plus jeune pourrait expliquer cette situation. A ce titre, elle invite les pays à poursuivre les efforts visant à améliorer leur capacité de mobilisation des ressources internes. En effet, bien que les pays aient consenti des efforts pour accroître leur capacité de mobilisation des ressources intérieures, se situant aujourd’hui à des niveaux comparables avec des pays d’Asie ou d’Amérique Latine ; cela reste insuffisant pour couvrir les besoins de financement nécessaire pour l’expansion des infrastructures et du capital humain, primordiales pour l’industrialisation et accroître davantage l’entrée des investissements étrangers. Ce déficit, la BAD le chiffre entre 68 à 108 Mds USD. Pour le résorber, elle invite les pays à se saisir des différents outils financiers auxquels ils peuvent désormais avoir accès pour mobiliser l’épargne mondiale, concomitamment à la poursuite des réformes fiscales. Un accent particulier est mis sur les partenariats public-privé ou le recours aux fonds souverains. Elle exhorte à la prudence en ce qui concerne l’endettement extérieur. Bien qu’indiquant que le risque de surendettement reste faible ou modéré (selon les pays), les experts de l’institution s’inquiètent quand même de l’accélération de la dette après l’atteinte des PPTE et indiquent qu’il faudrait orienter les emprunts vers les secteurs à fort potentiel.

Pour la BAD, doter le continent d’infrastructures performantes permettra d’accélérer son industrialisation, condition nécessaire pour lutter de façon efficace contre la pauvreté.  Elle exhorte ainsi les pays à adopter une stratégie visant à construire les infrastructures adaptées permettant de valoriser leur secteur à fort potentiel mais aussi d’intensifier l’investissement dans le capital humain.

Parcourir les PEA 2018 de la BAD offre une vision différente du continent et de ses performances. Une place de choix est donnée à l’analyse et aux recommandations. Les différents acteurs de la vie sociale et économique des pays africains gagneraient à s’approprier ce rapport, qui offre des orientations quant aux politiques à mettre en œuvre pour asseoir un développement durable pour le continent.  Il ne reste plus qu’à espérer que ce ne soit pas un rapport de plus et que les autorités africaines feront elles aussi le choix, comme le top management de la BAD, de penser leur politique sociale et économique davantage en collaboration avec des institutions africaines.

Perspectives économiques régionales: une croissance à plusieurs vitesses en Afrique subsaharienne!

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance économique (la croissance moyenne)  de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. Ces  prévisions publiées précisément le 16 Octobre 2016   dans son rapport semestriel  sur «les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne » soulignent  aussi une croissance hétérogène entre les différents pays de la région.

En effet, la conjoncture actuelle de l’économie mondiale, dominée précisément par la baisse continuelle des cours du pétrole et des matières premières,  a eu des effets différents sur les pays de la région en fonction de la structure de leur économie (pays exportateurs ou importateurs de pétrole, pays riches ou pauvres en ressources naturelles).

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             Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel

De facto, les pays  tributaires des exportations de ressources naturelles (le pétrole) connaissent aujourd’hui un fort ralentissement    de leur économie. Des tensions causées, en partie, par la chute des exportations vers la Chine – premier partenaire commercial de la région (qui fait face à d’énormes difficultés économiques)  – mais aussi vers le reste du monde. Ainsi les pays comme le Nigéria, l’Afrique du sud et l’Angola ont vu leurs recettes nationales amputées  dans des proportions allant de 15 % à 50 % de leurs PIB depuis le milieu de l’année 2014.

Cependant, cette situation l’économie mondiale profite à d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Kenya, l’Éthiopie …qui continuent d’afficher de bons résultats, car bénéficiant de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires. Ces pays devraient  continuer d’enregistrer des taux de croissance allant de 6 %  à  8%  dans les deux prochaines années, selon le même rapport. Mais dans l’ensemble, la production de la région ne devrait progresser que de 1,4 % en 2016. Un chiffre correspondant à ceux des années 1977, 1983,1992 et aussi de l’année 2009  date à laquelle la plupart des pays industrialisés du monde sont rentrés en récession la suite du krach de l'automne 2008.

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Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel Pendant les épisodes de ralentissement économique actuel et passés

En plus de ces facteurs exogènes, la manque de transparence  des politiques publiques des pays les plus touchés a fortement contribué à leurs relentissements actuels et aux tensions économiques qu’ils connaissent. En ce qui concerne la politique économique, la réaction des différents gouvernements  fut lente voire même parcellaire.Et les progressions ou les croissances prévues pour les pays comme  la Côte d’ivoire, le Sénégal, l’Ethiopie, etc. pour les années à venir n’auraient pas d’effets ou d’impacts  sur l’économie des pays touchés  en raison de la faible intégration économique de la région.

Toutefois, les prévisions du FMI annoncent aussi une reprise modeste, avec une croissance d’un peu moins de 3 % pour l’année prochaine mais sous certaines conditions. Cette reprise ne serait possible que si  les différents gouvernements concernés, c’est-à-dire ceux qui dependent de l’exportation du  pétrole, mettent en place un ajustement budgetaire efficace à moyen terme.En d’autres termes,ces pays doivent  trouver des nouveaux moyens de financement de leurs économies  qui pourraient contribuer à attenuer l’effet de freinage à court terme sur la croissance et réduire l’incertitude qui fait actuellement obstacle à l’investissement privé.

D’ailleurs, cette problématique du financement des économies africaines a été le thème de la Conférence annuelle 2016 de l’Afrique des Idées qui avait réuni plusieurs experts au sein de l’université Paris Dauphine le 4 juin 2016.  L’élargissement de l’assiette fiscale, les Partenariats Public-Privé (PPP) sont des pistes à explorer pour garantir des moyens durables de financement des économies africaines.

Hamidou CISSE

Les perspectives économiques 2014 pour l’Afrique selon le FMI

forecastLes perspectives économiques du continent sont plutôt bonnes pour 2014, selon le Fonds Monétaire International. En effet, l’institution table sur une croissance accélérée de 5,5% en 2014 contre 4,9% l’année précédente. Cette croissance est soutenue par des investissements de plus en plus importants dans les infrastructures et par l’amélioration des perspectives dans les pays exportateurs de pétrole. Selon le FMI, l’inflation devrait être contenue cette année dans plusieurs pays et le solde budgétaire devrait également s’améliorer. Par contre, le déficit extérieur devrait se creuser davantage compte tenu des importations litées aux investissements directs étrangers et du niveau élevé des investissements dans les infrastructures – à noter que le tissu industriel local est quasi inexistant –. Cet article fait une synthèse de la publication du FMI sur les perspectives économiques d’avril 2014[1].

Ces prévisions – qui sont de court terme – doivent selon l’institution être maintenues face à la nouvelle donne mondiale. Elles reposent en effet sur l’hypothèse que les effets du ralentissement économique des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et du resserrement des conditions monétaires dans le monde ne seront pas très prononcés en Afrique Sub-saharienne. Mais quel impact pour le sous-continent d’un ralentissement de la croissance des pays émergents et d’un redressement de la politique monétaire mondiale ?

Ces dernières années, on a assisté à une accélération de la croissance dans les pays émergents, notamment la Chine. Cette  évolution rapide a eu pour conséquence l’augmentation du volume des échanges avec l’Afrique sub-saharienne. La croissance du continent a ainsi été boostée à travers non seulement la demande mais aussi les prix élevés des produits d’exportations et des flux d’investissements. Un ralentissement de l’activité économique en Chine par exemple, se traduisant par le retrait de l’investissement au profit de la consommation, devrait impacter les prix des produits et inciter les entreprises de ces pays à moins investir à l’étranger. De leur côté, les conditions financières mondiales, ayant été allégées pour résorber la dernière crise mondiale ont créé une forte disponibilité des capitaux mais surtout un afflux massif des capitaux vers les pays en développement, notamment ceux d’Afrique sub-saharienne. Le redressement des conditions financières mondiales entraînera donc un recul des investissements directs étrangers.

L’institution financière internationale estime que l’impact immédiat de ces ajustements au niveau mondial sera limité, du moins dans la plupart des pays. En effet, la reprise de la croissance mondiale devrait créer un environnement favorable à travers la demande extérieure. Néanmoins, l’ajustement des conditions financières pourrait constituer un goulot d’étranglement pour les économies vulnérables d’un point de vue budgétaire et/ou politique. Pour un maintien de cette croissance, les politiques macroéconomiques devraient être axées sur le renforcement des soldes budgétaires creusés par la crise, profitant ainsi du climat favorable actuel, la préservation des dispositifs de protection sociale, le maintien de l’inflation et surtout le renforcement de l’intégration sous régionale.

Ces perspectives du FMI portent sur le court terme et l’idéal pour les Etat d’Afrique sub-saharienne serait de trouver les mécanismes pour mettre en place un socle structurel devant favoriser une croissance soutenue et inclusive. Ces dernières décennies, bon nombre de ces pays ont connu des taux de croissance de l’ordre de 5% à 6%. Cependant, force est de constater que les problèmes structurels demeurent dans ces pays. En effet, les fruits de cette croissance ne sont perçus que par une infime partie de la société. Pour une croissance inclusive et profitable à tous, le FMI préconise une utilisation rationnelle du potentiel humain existant et une amélioration des services financiers.

L’action des autorités politiques sur le potentiel humain doit d’abord passer par l’accroissement des possibilités d’emploi, moyen efficace pour réduire la pauvreté. Les entreprises familiales étant très développées sur le sous-continent et tournées vers l’agriculture et les services, les politiques devraient être orientées sur la création d’un environnement favorable au développement de ces activités. Le gain de productivité sous-jacent devrait favoriser la transformation structurelle des économies. La facilité de l’accès aux services financiers devraient également être promue afin d’encourager l’entreprenariat et la création d’entreprises. Ceci pourrait par exemple passer par la mise en place de reformes telles que la promotion de l’utilisation des NTIC dans les transactions financières.

La stabilité macroéconomique passe aussi par un environnement monétaire potable. Si ces dernières années, les taux d’inflation dans plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne est passée sous la barre des 10%, les autorités monétaires doivent doubler de vigilance afin d’atténuer les risques d’instabilité macroéconomiques. Elles doivent affronter le défi soulevé par le resserrement du cadre financier international entraînant une hausse des coûts de financement et un risque grandissant de reflux de capitaux. Certaines réformes doivent être menées afin de garantir l’efficacité de la politique monétaire. Il s’agit notamment de l’amélioration de la qualité et de la fréquence des données permettant ainsi de disposer de l’information pour intervenir au moment opportun. En plus, Les banques centrales doivent surveiller l’excédent monétaire en circulation en améliorant la gestion de la liquidité, élargir le panel d’instruments de politique monétaire et aussi stabiliser le secteur financier.

En somme, si les perspectives économiques pour l’Afrique sub-saharienne restent favorables, il n’en demeure pas moins que celles-ci soient fortement dépendantes de l’évolution de l’activité économique extérieure. Bien que l’impact des ajustements extérieurs soit limité, certains Etats restent vulnérables sur les plans budgétaire et politique. Ces dernières années les économies du sous-continent ont connu des croissances accélérées. Néanmoins, celles-ci n’induisent pas le décollage économique du continent. Pour garantir une croissance inclusive et soutenue, les autorités devraient profiter des performances actuelles pour asseoir une base macroéconomique stable en perspective d’une croissance soutenue favorisant d’importantes restructurations économiques. Les politiques devraient dans cette optique être axées sur l’exploitation de la ressource humaine disponible et l’amélioration des conditions d’accès au crédit en vue de favoriser l’entreprenariat. Selon le FMI, les autorités monétaires pour leur part devraient veiller à l’assainissement de l’environnement financier au travers de diverses reformes.

Brice Baem Bagoa


[1] http://www.imf.org/external/pubs/ft/reo/2014/afr/eng/sreo0414.pdf