Gambie : une démonstration du « loup et l’agneau » de la Fontaine

La Cédéao et l’Union Africaine, soutenues dans une certaine mesure par la Communauté internationale, ont contraint Jammeh à céder le pouvoir après de longues négociations menées par les présidents guinéen et mauritanien et sous la menace d’une intervention militaire. Si cette manœuvre a permis de se débarrasser d’un pouvoir autocratique qui a plongé ce petit pays dans une crise socio-économique sévère et un isolement international quasi-complet ; il convient toutefois de s’interroger sur le signal qu’elle donne, notamment pour l’instauration d’une démocratie véritable en Afrique, mais aussi quant au fonctionnement des institutions régionales africaines.

Cette crise est la résultante de l’entêtement de Yahya Jammeh à s’accrocher au pouvoir alors qu’il l’aurait perdu dans les urnes. Une défaite, qu’il a concédé dans un premier temps, avant de faire volte-face contestant la légitimité du président élu en évoquant les irrégularités entachant le scrutin et révélées par l’IEC (Independent Electoral Commission).[1] Une volte-face que certains considèrent comme une manœuvre de Jammeh afin d’éviter des poursuites judiciaires pour les exactions commises durant ses 22 années au pouvoir.

Cependant, dans une Afrique en quête de stabilité démocratique, les arguments avancés par les détracteurs de Jammeh seraient-ils pertinents vis-à-vis de ceux du président sortant dénonçant les irrégularités ? D’autant plus que ces irrégularités ont été confirmées par le président de l’IEC lui-même, tout en précisant qu’elles ne sont pas de nature à modifier l’issue du scrutin.

Alors qu’à l’annonce des résultats, Jammeh aurait pu les rejeter en bloc pour diverses raisons, s’accrocher au pouvoir en s’appuyant sur l’armée comme certains de ses pairs, il les a acceptés à la surprise générale. Il a démontré sa volonté de respecter les principes de la démocratie et à ce titre, il aurait fallu user des voies de recours légales pour régler ce différend politique. La médiation de la CEDEAO, conduite par sa présidente Ellen Johnson Sirleaf, ne s’est pas attachée à amener les protagonistes à user de telles voies, même si on estime que le contexte ne s’y prête pas avec une cour suprême dont les membres n’ont pas été nommés. Elle avait une seule ambition : négocier le départ de Jammeh. L’échec d’une telle médiation était donc prévisible et n’a laissé à Jammeh que des options qui ont envenimé la crise de sorte à lui donner l’image d’ennemi de la démocratie pouvant justifier cette intervention militaire.

Jammeh n’est certes pas un agneau et son départ contraint – dans la mesure où le président élu de la Gambie, Adama Barrow, a prêté serment à Dakar (dans un flou juridique total que seul comprend la communauté Internationale) et vu l’imminence d’une intervention militaire que Jammeh ne peut contenir ; l’armée gambienne ne voulant d’ailleurs pas se battre, selon cet article du "Monde" – offre à la Gambie un nouveau souffle. Cependant, cette situation suscite plusieurs interrogations, notamment sur la gestion des crises par les institutions régionales africaines.

Le constat est qu’à situation similaire, les traitements ne sont pas les mêmes. La balance régionale tend à pencher d’un côté de sorte que l’intervention de ces institutions ne sert qu’à appuyer l’une des parties impliquées dans la crise et non à les renforcer, foulant au passage les principes démocratiques. Alors qu’en 2005 et 2015, le Togo était au bord d’une crise après les élections, la CEDEAO n’a fait qu’avaliser l’élection de Faure Gnassingbé au grand désarroi du peuple. Plus récemment, alors que tout indiquait qu’Ali Bongo a forcé sa réélection en tant que président du Gabon, l’Union Africaine a fait mine de laisser les Gabonais régler leur différend politique. Au Congo, les manœuvres de Sassou Nguesso pour se maintenir au pouvoir n’ont pas suscité une quelconque intervention de l’Union Africaine et celles de Kabila en RDC n’amèneront certainement pas cette dernière à décider d’une intervention militaire ou à en appuyer une visant à déloger ce dernier.  Si le conflit électoral en Gambie n’est pas une première sur le continent, il n’en est pas de même de la réaction de la communauté internationale. Cette dernière ne s’est en effet jamais autant impliquée pour le respect du choix populaire. Mais à y regarder de près, cette prise de position tient davantage à la personnalité de Jammeh plutôt qu’à une intention véritable de l’institution de renforcer la démocratie dans ce pays et dans la région de façon globale. Très peu apprécié par ses pairs, Jammeh a fait les frais de cette crise post-électorale qui constitue un ultime instrument entre les mains de ses détracteurs pour le forcer à quitter le pouvoir. La gestion des crises par les institutions africaines se ferait donc à la tête du client ? Cela s’y apparente. Aussi détestable que Jammeh puisse être, cette intervention musclée pour le déloger du pouvoir n’était pas forcément nécessaire, surtout qu’il était dans son droit de contester les résultats d’une élection dont la crédibilité a été remise en cause par les organisateurs.

Au final, Jammeh a quitté le pouvoir (chacun pourra l’apprécier selon sa conviction) mais il ne faudrait surtout pas y lire une victoire de la démocratie sur la dictature mais plutôt une persistance de l’application de la loi du plus fort dans la conquête du pouvoir politique en Afrique et reconnaître que les institutions africaines ne sont qu’à leur solde. Dans ce contexte, elles ne pourraient permettre d’atteindre l’intégration tant souhaitée et de construire cette Afrique que nous voulons.

Dans tous les cas, on attendra l’Union Africaine et les autres institutions régionales sur d’autres scènes … tant l’Afrique compte des accros au pouvoir, qui, comme Jammeh, dirigent leur pays d’une main de fer depuis bien longtemps et violent ouvertement les principes démocratiques, sans être inquiétés. Espérons que nous nous trompons et que ces institutions réitéreront ce genre d’actions dans d’autres cas, qui ne manqueront certainement pas de se présenter sur le continent.

S’approprier le discours sur l’Afrique : Enjeux historiques et intellectuels

Le dimanche 18 mai 1879, à l'occasion d'une commémoration de l'abolition de l'esclavage, Victor Hugo prononçait un discours sur l'Afrique. Il y appelait l'Europe à "refaire une Afrique nouvelle" et à "rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation", ce fût le début de la colonisation. Près de deux siècles plus tard, l'Afrique fait toujours l'objet de discours sur son avenir, souvent exogènes, mais de plus en plus endogènes.

Deux siècles de discours sur l'Afrique

La colonisation est passée par là, avec ses apports et ses peines, mais c'est à l'orée des indépendances que l'on commence véritablement à penser l'Afrique de l’intérieur, encore souvent de l’extérieur. C'est ainsi que dès 1962, l'agronome René Dumont déclarait dans son ouvrage de référence que l’Afrique noire est mal partie. Son constat était factuel et sa recommandation simple : les cultures de rentes contribuent à la survenue des famines, les jeunes nations indépendantes devraient développer davantage les cultures vivrières afin d'éradiquer la faim. Cinquante années plus tard, les pays producteurs de coton et de cacao sont restés les mêmes et pire, se livrent à une compétition sur le volume de production. Les grands pays producteurs de pétrole sont restés les mêmes, accroissent leur production, alors que les explorations se poursuivent dans les pays non-producteurs. La course à l'accaparement des rentes issues de ces ressources a généré ce que Stephen Smith en 2003 appelait la Négrologie, ou l'Afrique qui meurt. La Une de l’hebdomadaire The Economist en 2000, l'ouvrage de Robert Guest en 2005 et le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007 sont aussi passés par là. On se croirait écouter "Making Plans for Nigel" de XTC.

Dix années plus tard, la même chanson continue, mais cette fois-ci sous une nouvelle partition : l'Afrique serait devenue un continent d’avenir. De Jean-Michel Severino et Olivier Ray qui évoquent Le temps de l’Afrique à Sylvie Brunel qui se demande Si l'Afrique était si bien partie en passant par les Unes du Time et de The Economist, les productions intellectuelles affluent pour présenter une Afrique dynamique, prospère et pleine d'avenir. Mais dans ce brouhaha s'élève une nouvelle voix, celle de l'Afrique.

La voix africaine et le débat d’idées

Elle n'est pas récente car depuis Things Fall Appart de Chinua Achebe (1958) à Something Torn and New: An African Renaissance de Ngugi Wa Thiong’o (2009) une voix intérieure à l’Afrique s’est toujours levée pour faire écho à ses réalités historiques, à ses profondeurs culturelles et à ses perspectives. Déjà en 1958, l’ouvrage de Chinua Achebe suggérait l’importance de penser le présent et l’avenir de l’Afrique, car si seulement Okonkwo était conscient du basculement en cours il n’aurait pas mis sa témérité au service de la sauvegarde d’un monde qui s’effondrait. Wa Thiong’o n’en dit pas moins lorsqu’il fait appel à une renaissance culturelle de l’Afrique. Mais c’est plus récemment que cet appel s’est cristallisé dans l’invitation à Sortir de la grande de nuit de Achille Mbémbé en 2010 et dans le bégaiement d’une nouvelle Afrique naissante traduit dans le concept d’Afrotopia de Felwine Sarr en 2016.

Cette voix qui s’élève est salutaire, car elle n’est pas que l’expression d’une littérature romancée, mais surtout d’une réflexion philosophique à partir de laquelle peuvent émerger des courants économiques, politiques et culturels nouveaux. Mais hélas, son interprétation n’est réservée qu’aux initiés. Son vrombissement dissimule des messages qui n’éveillent que des sensibilités trop particulières. Il faudra donc la reformuler, la traduire et la rendre plus accessible au plus grand nombre. C’est en cet exercice que consiste la réappropriation du discours sur l’Afrique.

Cependant, cet exercice ne peut être mené que dans un cadre bien approprié. Il faudra des espaces de confrontation des idées, sources perpétuelles de construction de nouveaux discours et de nouveaux paradigmes sur les sociétés africaines. Penser le présent et l’avenir des sociétés africaines n’est pas un exercice de court terme. Il faudra du temps, du temps long, et c’est dans ce temps que s’inscrit L’Afrique des Idées.

Georges Vivien HOUNGBONON

Pour aller plus loin :

Pourquoi faut-il s’approprier le discours sur le développement de l’Afrique ?, L’Afrique des Idées, Juillet 2014. Initialement publié dans la Gazette du Golfe du Bénin 23-27 juin 2014

Discours sur l’Afrique prononcé par Victor Hugo le 18 mai 1879 à l’occasion d’un banquet commémorant l’abolition de l’esclavage

René Dumont, L'Afrique noire est mal partie, 1962 (Le Seuil, Paris, coll. « Esprit », réédition en 2012)

Stephen Smith, Négrologie : pourquoi l'Afrique meurt, Calmann-Lévy, 2003

Robert Guest, The Shackled Continent: Africa's Past, Present and Future, Pan Books, 2005

Jean-Michel Severino et Olivier Ray, Le Temps de l'Afrique, Odile Jacob, 2010

Sylvie Brunel, L’Afrique est-elle si bien partie ?, Sciences Humaines, 2014

The Economist, The Hopeless Continent, 2000

TIME, Africa Rising, 2012

The Economist, Africa Rising, 2011

Chinua Achebe, Things Fall Apart, Peguin group, 1958

Ngugi Wa Thiong’o, Something Torn and New: An African Renaissance, Basic Civitas Group, 2009

Achille Mbembé, Sortir de la Grande Nuit : Essai sur l’Afrique Décolonisée, La Découverte, 2010

Felwine Sarr, Afrotopia, Philippe Rey, 2016

Rétablir la peine de mort, c’est céder au crime de la vengeance !

peine-de-mort Au Sénégal, le récent meurtre de la vice-présidente du Conseil économique et social à son domicile après l’assassinat, le mois dernier, d’un jeune chauffeur de taxi ont relancé dans le pays le débat sur le rétablissement de la peine de mort. La polémique devient frénétique. Le discours prend une ampleur stupéfiante et gagne toute l’opinion publique. Cette radicalisation des appels au retour, dans nos textes législatifs, de la peine de mort portée aux plus hautes sphères par des journalistes, hommes politiques, et religieux devient alarmante. Il s’agit d’une effervescence entretenue à dessein très souvent au nom de la religion, pour exciter les passions populaires. Notre pays se trouve ainsi menacé par un discours de la peur qui se nourrit d’une liturgie déraisonnable, insensée et obscure qu’il faut dénoncer.

La peine de mort n’arrête pas le crime. Il est illusoire de penser que le rétablissement de la peine capitale sera une arme dissuasive contre la violence criminelle. Dans tous les pays où la peine de mort est appliquée, les homicides n’ont pas été endigués. Au contraire, la peine de mort, en légitimant la violence augmente le crime. Plus grave encore, des erreurs judiciaires irréparables qui condamnent des innocents détruisent des vies.

 Si la peine de mort est rétablie, ce sera encore au petit peuple de trinquer. Ce tiers-état dépourvu des moyens d’éduquer ses enfants supporte vaillamment le totalitarisme des élites prédatrices qui négligent encore la prise en charge radicale des problèmes sociaux. Ceux qui défendent la peine de mort ne le disent jamais. Ils ne veulent pas expliquer ou ne comprennent pas que les profondes injustices sociales créent la criminalité et la délinquance. Et, au-delà, ils ne savent pas penser l’homme dans sa complexité. Le seul art qu’ils maitrisent, c’est celui de la colère, des ressentiments. De la désignation facile du bouc-émissaire.

La société a-t-elle le droit de tuer avec préméditation ?

La question de la peine de mort pose des questions morales. La société a-t-elle le droit de tuer avec préméditation ? Car la peine de mort est aussi un crime. Une violence délibérée et barbare. Un mécanisme judiciaire faible et mesquin. Un châtiment inhumain, sans fondement spirituel. On tue pour arrêter de tuer. Une reproduction de la vieille loi du talion : œil pour œil, dent pour dent.

Si la peine de mort est rétablie au Sénégal, chaque Sénégalais sera coupable d’homicide à chaque fois qu’en son nom quelqu’un sera tué pour avoir tué. Nous serons tous des assassins. Une aberration que, personnellement, je ne cautionnerai jamais parce que c’est une participation au meurtre. Un contreseing amoral et abject qu’aucun citoyen vertueux et responsable ne peut défendre. La peine de mort a une essence criminelle. Les hommes qui appuient sa restauration soutiennent, tout simplement, le crime.

Le débat sur la peine de mort remet à l’ordre du jour un sujet que l’on croyait résolu. Or, elle nous interroge, à nouveau, sur les valeurs et l’idéal de vie sociale que nous voulons bâtir. Dans quelle société voulons-nous vivre ? Nous avons, en effet, le choix de cohabiter dans une société nerveuse et paralysée, violente et répressive, notamment vis-à-vis des plus faibles dans laquelle l’harmonie serait assurée par l’oppression systématique.

Il faut le répéter sans ambages : rétablir la peine de mort, c’est prendre le chemin de la peur et des aigreurs collectives ; celui du mépris de l’homme, de la vengeance, du recul face à la vindicte populaire et de la tyrannie. Céder à la peine de mort, c’est préférer les énergies mortifères, les basses pulsions et nier la vie, vider notre humanité…

Quel honneur et quelle dignité pouvons-nous invoquer en empruntant cette voie terrifiante ?

Nous pouvons aussi choisir de cohabiter dans une société dans laquelle la compassion et la tolérance sont les moteurs de nos relations et structurent nos rapports sociaux. Nous pouvons décider de prendre ce chemin de l’empathie où la non-violence et le pardon sont des valeurs partagées qui nous protègent de toutes les idées funestes qui empestent notre esprit collectif et détruisent nos valeurs morales les plus belles. Nous sommes toujours déterminés par nos aspirations. Voilà pourquoi il est fondamental de diriger nos énergies vers la paix et la concorde des cœurs. La peine de mort n’est pas une idée gracieuse, elle n’apaise pas ni ne guérit, mais décharge la haine et la vengeance. C’est une illusion de penser qu’on peut construire une société des solidarités et des tolérances en prenant des résolutions violentes. La peine de mort est une sentence stupide. Qui ne fait pas progresser la justice.

La vie humaine est sacrée. Un homme qui tue un autre homme est un homme malade. Il a perdu son humanité. Il faut l’aider à se soigner. Pour qu’il redevienne un homme entier. Demande pardon. Et qu’on le pardonne.

Abdoulaye Sène

 

Démocratiser l’accès à une éducation de qualité au Bénin

gvhEn 2016, moins de 2 collégiens sur 10 ont obtenu leur brevet d’études du premier cycle. Les résultats ne sont pas plus reluisants pour les autres examens, et la tendance date de plus d’une décennie.[1] C’est ainsi que se présente la physionomie actuelle de l’éducation au Bénin, autrefois surnommé « quartier latin de l’Afrique ». Les décideurs politiques sont peut-être conscients de cette situation, mais le label d’excellence persiste toujours au sein de la société civile béninoise. Les taux de scolarisation, parmi les plus élevés en Afrique, sont là pour affermir cette impression. Or, cet état d’autosatisfaction, surtout parmi les élites, n’est pas de nature à susciter une demande politique forte pour des réformes en profondeur du système éducatif béninois. Cet article vise à jeter un peu de lumière sur les paradoxes de l’éducation au Bénin en mettant l’accent sur le cycle primaire, base de l’ensemble du système éducatif.

La quantité au détriment de la qualité

Un aspect particulièrement positif du système éducatif béninois est la démocratisation de l’accès à l’éducation. Le nombre d’élèves du primaire dépasse largement la population en âge d’y aller. Le taux brut de scolarisation y est passé de 100% en 2006 à 126% en 2014, positionnant le pays dans le top 10 en matière d’accès à l’éducation en Afrique.[2] Cette progression a été possible grâce aux mesures de gratuité, accompagnées de la construction de nouvelles infrastructures scolaires et d’un accroissement du nombre d’enseignants.

Cependant, le tableau est moins reluisant lorsqu’on considère les connaissances acquises par les élèves, notamment leur niveau en français et en mathématiques. A cet effet, les résultats du PASSEC, un programme d’évaluation des acquis scolaires sur un base comparable dans les pays francophones, contrastent sévèrement avec l’idée qu’on se fait du niveau des élèves béninois. Sur une dizaine de pays évalués en 2014, le Bénin se classe avant-dernier juste devant le Niger, que ce soit en lecture ou en mathématiques.[3] Loin devant se trouve des pays comme le Burundi, le Congo, le Burkina-Faso et le Sénégal. Et pourtant…

Nulle réponse quantitative à un problème qualitatif

Le Bénin ne dépense pas moins que les autres pays dans son système éducatif, au contraire. Prenons l’exemple du Sénégal, comparable au Bénin à plusieurs égards : les dépenses publiques par élève en % du PIB par tête sont similaires, de même que les taux d’accès en 5ème année du primaire, et bien d’autres indicateurs socio-économiques. Alors que le niveau d’acquisition des connaissances se trouve dans la moyenne au Sénégal, celui du Bénin se trouve largement en dessous de la moyenne.[4] Il ne s’agit donc pas d’un problème de moyens financiers, mais plutôt d’une meilleure transformation des inputs du système éducatif.

A l’heure actuelle, cette transformation est inhibée par une inégalité profonde en matière de qualité de l’enseignement. Elle se caractérise par de rares écoles privées, souvent créées à l’époque coloniale (e.g. Collège Père Aupiais), donnant une formation de qualité à une minorité, alors que la majorité des élèves se retrouve soit dans des écoles privées douteuses ou dans des écoles publiques dont la priorité ne semble plus être l’acquisition de compétences. A titre d’exemple, de 2008 et 2011, seulement la moitié des heures de cours requises a été effectuée dans les écoles primaires publiques béninoises.[5]

Des solutions à explorer

L’urgence reste donc de réduire les inégalités en matière de qualité de l’éducation, en évitant un nivellement par le bas. La bonne nouvelle est que cet objectif ne nécessite pas de moyens financiers supplémentaires. Trois principaux buts sont à viser :

– Recruter des enseignants de bon niveau académique et pédagogique. La moitié des enseignants actuels ont des statuts précaires, donc recrutés suivant des critères plus souples.[6]

– Respecter le calendrier et les programmes scolaires.

– Améliorer les conditions d’études des élèves, en mettant en place des bus et cantines scolaires et en équipant les écoles d’infrastructures de loisirs.

A long terme, il serait opportun d’envisager une privatisation complète de l’éducation, accompagnée d’une régulation étatique rigoureuse. Le Bénin s’est, depuis quelques années, contenté de former quelques stars en entretenant l’illusion d’une excellence globale. Il est maintenant temps de démocratiser l’accès à une éducation de qualité.

Georges Vivien HOUNGBONON

 

[1] Les taux de réussite en 2016 étaient de 39,26% pour le CEP, 16% pour le BEPC et 30,14% pour le BAC (chiffres communiqués par les directions des examens).

[2] Statistiques de la Banque Mondiale, WDI.

[3] Graphique 2.6 du rapport du PASSEC, 2014.

[4] Tableau 1 du rapport PASSEC, 2012.

[5] Etude Pro-Educ repris par le rapport du Pôle de Dakar de l’UNESCO, 2014.

[6] Tableau 3.6 du rapport du Pôle de Dakar de l’UNESCO, 2014.

Seule la lutte libère !

tsSur la terre d’Eburnie, le peuple gronde, mais reste faible, inactif et subit l’émergence à marche forcée. De loin il regarde les exilés politiques mourir, de loin il compte le nombre de jours de prison de nombreux anonymes. Face à cette situation, le peuple d’Eburnie pense avoir trouvé la voie : pour l’Ivoirien, la révolution sera numérique.

De profonds germes de contestation

Un pouvoir politique ne craint pas un peuple qui ne sait plus se battre pour ses droits. Au contraire, les mesures gouvernementales plus injustes les unes que les autres s’égrainent dans le silence désarmant d’un peuple qui semble avoir perdu son courage. Sur les marchés, les prix des denrées alimentaires sont au plus haut, les étudiants attendent toujours de pouvoir suivre leur formation dans des conditions décentes ; et même lorsqu’ils grondent pour le respect de leurs droits fondamentaux, ils sont victimes d’arrestations. La hausse des prix de l’électricité ne cesse de peser sur le budget des ménages. Le déguerpissement de nombreuses familles de leurs logements insalubres sans alternative crée de la frustration chez une population aux abois. Erigé en norme, le tribalisme refait surface et les scandales de corruption émergent (notamment dans la filière de l’anacarde).

Dans ce climat rempli de ressentiments, le pouvoir, qui se voulait différent de l’ancien régime, est loin d’être exemplaire. Sur le front politique, la réconciliation reste un mirage, les proches de l’ancien président sont toujours détenus dans les geôles sans jugement et sans avoir ne serait-ce que la chance de bénéficier des services d’un avocat. Dans les pays voisins, les exilés politiques continuent de mourir dans une profonde insouciance.

Face à ce tableau sombre, et malgré des indicateurs macroéconomiques qui affichent un niveau record depuis 10 ans, la première économie d’Afrique francophone (9% de croissance annuel moyen sur la période 2012-2015) est loin d’offrir à sa population l’émergence tant souhaitée.

Dans ce contexte, les Ivoiriens se réfugient sur internet, qui est devenu le mur de leurs lamentations, mais aussi le symbole de leur faiblesse.  Les pétitions se suivent, les hashtags se succèdent, les statuts de contestation se multiplient, les vidéos s’enchaînent…En vain.

Une contestation en manque de leadership

La  démission des élites ne se discute plus. Trop frileuses, elles ont choisi leur camp, celui de l’immobilisme. Elles refusent tout positionnement critique, tout effort de réflexion qui peut sembler désormais dangereux. Elles refusent d’assumer sa place et de mener son combat. Les réseaux sociaux leur servent à montrer qu’elles profitent de l’émergence bien réelle selon elles, n’en déplaise à toutes ces familles qui n’arrivent toujours pas à vivre décemment.

Le terrain de la contestation ayant été laissé vacant par les élites, celles-ci sont remplacées sur  internet par des porte-paroles qui de part la faiblesse de leur argumentaire ne font qu’entériner le nivellement par le bas de notre société. On est loin de cette Côte d’ivoire des années 70 ou la contestation était portée par  Zadi Zaourou ou encore le professeur Memel-Fotê.

S’organiser pour résister

Le peuple burkinabé a montré l’exemple en Afrique en se soulevant le 31 Octobre 2014 contre la violation de ses libertés fondamentales. Depuis longtemps la colère grondait, le peuple se lamentait et les signes avant coureur d’une révolte étaient visibles. Les vicissitudes de la vie ne parvenaient pas à éteindre la sourde révolte qui se préparait. Les soubresauts de l’affaire Norbert Zongo, les émeutes de la faim, les mutineries étaient les prémices d’une probable révolution. Porté par une société civile active et organisée au sein du collectif « Balai citoyen », le peuple burkinabé se préparait à entrer dans l’histoire par la grande porte.

Loin de l’inaction des fameux réseaux sociaux et de leur simulacre de révolution, c’est dans la rue que ce peuple va aller chercher et arracher le départ du maitre de Kossyam. Ce pouvoir qu’on croyait immuable, inébranlable a vertigineusement chuté. A l’instar du Balai Citoyen au Burkina Faso, la société civile ivoirienne doit s’organiser et faire émerger un réel contre-pouvoir pour empêcher que des décisions injustes soient prises en son nom, et à son insu.

Agir debout !

La société civile doit comprendre que face à la démission de ses représentants, elle doit prendre ses responsabilités en s’impliquant concrètement sur le terrain par l’emploi de tous les moyens pacifiques afin de faire entendre sa voix. Revendiquer, s’informer, manifester, boycotter, s’organiser, marcher, proposer, débattre.

Les réseaux sociaux doivent être utilisés de manière efficace, ils doivent servir de caisse de résonance aux revendications, ils doivent aider à mutualiser les forces et ne doivent en aucun cas remplacer la contestation frontale. Un hashtag aussi viral soit-il ne fera jamais fléchir un gouvernement.

Face à un pouvoir qui frôle parfois l’autoritarisme, le risque est grand, et les sacrifices à faire importants. Refuser de se confronter à un pouvoir, refuser de se lever, c’est accepter de subir demain les conséquences de notre léthargie. « L’esclave (le peuple) qui n’assume pas sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort, seule la lutte libère ». 

Joël-Armel Nandjui

 

Les femmes noires en ont marre que vous parliez de leurs cheveux !

ooLaine d'animal, éponge à gratter, paille… Pour décrire la texture des cheveux crépus, quand on pénètre le terrain de la moquerie, l'originalité et la subtilité sont généralement de mise. Le professeur d'une prestigieuse école d'Afrique du Sud aurait choisi pour sa part de comparer la chevelure de l'une de ses élèves à un "nid d'oiseaux". Les remarques racistes des enseignants de la Pretoria Girls High ont été récemment dénoncées par des lycéennes de l'établissement. Elles accusent de discrimination la direction – blanche – de leur école, qui les oblige à lisser ou à attacher leurs cheveux.

La médiatisation de leur mobilisation a ravivé le vieux débat du racisme institutionnel dans l'Afrique du Sud post-apartheid. Une pétition contre la politique discriminatoire du lycée a été publiée en ligne et recueille à ce jour près de 33 000 signatures. Elle dénonce également l'interdiction pour les lycéennes noires de parler leur langue maternelle dans l'enceinte de l'établissement, les seules langues admises étant l'anglais et l'afrikaans. Il semblerait que certains dirigeants de la Pretoria Girls High  regrettent encore l'époque révolue où leur établissement était uniquement réservé aux élèves blanches, à leurs propres langues maternelles et à leurs cheveux lisses et "bien" peignés.

Face au mouvement de protestation de ses élèves, la direction du lycée a finalement été obligée de suspendre son règlement intérieur. Désormais, les lycéennes de Pretoria pourront coiffer leurs cheveux comme elles l'entendent. On peut d'ailleurs se réjouir du soutien unanime qui a accompagné leur mouvement, en Afrique du Sud et ailleurs. Mais à quoi tient ce soutien ? Sans doute un peu moins la force de leur message : « laissez-nous coiffer nos cheveux comme nous le voulons » qu'à sa cible : une institution blanche, issue de l'apartheid, aux politiques discriminatoires.

En effet, la stigmatisation des cheveux crépus n'est pas uniquement observée au travers d'administrations qui ont conservé certaines de leurs pratiques racistes d'un autre temps. En terme de standards de beauté notamment, la domination des critères occidentaux s'observe encore au sein même des sociétés africaines, bien que celles-ci aient tendance à l'oublier.

La coiffure afro a pourtant représenté une revendication politique forte, portée par le mouvement Black Power aux Etats-Unis à partir des années 1960.  Soudain, l'afro devenait un moyen de promouvoir la beauté des hommes et des femmes noirs et d'affirmer fièrement son appartenance à une communauté. Elle était devenue un outil de revendication, un rejet de l'assimilation à la culture blanche, un processus de réappropriation culturelle.

Paradoxalement, c'est principalement dans les sociétés occidentales que cette revendication a été la plus forte. Aux Etats-Unis puis en Europe, le projet du Black Power s'est peu à peu effacé devant le phénomène nappy, qui illustre le souhait des jeunes filles et des femmes noires d'assumer leurs cheveux crépus. C'est un phénomène majoritairement relationnel, qui se développe souvent en dehors de la sphère familiale ; il puise notamment sa force sur internet, au milieu des « tutos » de youtubeuses et de la profusion de blogs spécifiques. La dimension politique de l'affirmation de la beauté de la femme noire tend à se diluer dans celle d'un phénomène de mode qui représente un business florissant pour les commerçants de produits de beauté. Le marché juteux des cheveux naturels a toutefois ceci de bénéfique en Occident qu'il renforce, et légitime, la promotion de la beauté des cheveux des femmes noires.

En Afrique ? La question ne se pose pas, ou si peu. Pour être jolie, féminine, très majoritairement il faut se coiffer, il faut « faire sa tête ». Garder ses cheveux naturels, c'est s'exposer aux remarques, voire aux reproches de ceux qui ne considèrent pas l'afro comme une coiffure adéquate en société. Et par là même, perpétuent le schéma de pensée qui apprend aux petites filles aux cheveux crépus qu'ils doivent être lissés, tressés, disciplinés, domptés.

Hommes ou femmes, la soumission aux canons de beauté blancs ne nous ait-elle pas inculquée dès notre enfance? Faut-il rappeler que l'utilisation de produits chimiques destinés à se blanchir la peau continue de faire des ravages au sud du Sahara? A l'heure de l'afro-optimisme, des grands discours sur l’émergence politique et culturelle des pays africains, les crèmes blanchissantes et les produits de défrisage se vendent toujours dans nos marchés. Et tandis qu'à Pretoria les professeurs blancs se moquent des cheveux de leurs élèves, nos mères continuent de nous apprendre, petites filles, que se coiffer, c'est d'abord apprendre à modifier ou au moins à dissimuler la texture de nos cheveux.

En définitive, quoi qu'elle fasse, la femme noire aura toujours tort. Si elle porte ses cheveux naturels, a fortiori dans le milieu professionnel, elle sera vue, au mieux comme une militante engagée, au pire comme une femme à l'allure peu soignée. A l'inverse, si elle a l'outrecuidance de se tresser ou de se lisser les cheveux, les adeptes du « nappy » la soupçonneront de ne pas s'accepter telle qu'elle est, de ne pas assumer son identité noire comme elle le devrait.

Car au delà de la question du racisme et de la domination des standards blancs dans les critères esthétiques, poser la question des coupes afros, c'est aussi poser celle de la liberté de la femme à faire ce qu'elle veut de son corps, et avec son corps. Sur les cheveux de la femme noire, tout le monde a un commentaire à faire qui s'accompagne bien souvent d'une irrépressible envie de les toucher. Laisser ses cheveux naturels, ce n'est pas juste laisser ses cheveux naturels : c'est une revendication politique, c'est porter fièrement son « identité noire » comme un foulard noué.

La fascination pour les cheveux des noirs, qu'elle tienne de l'attraction ou de la répulsion, a paradoxalement mené à la construction du stéréotype de la femme noire énervée qui porte ses cheveux naturels comme une bannière de revendication. L'artiste américaine Debra Cartwright le définit ainsi : « Les femmes noires ont assez à supporter, en terme de stress, de pression sociale, de standards de beauté. Nous sommes vues comme « colériques » quand nous exprimons une opinion, nos cheveux [sont] « militants » alors qu'il ne font que pousser sur notre tête ». Pour renverser les clichés associés à l'image de la femme noire toujours en colère, l'artiste peint leurs cheveux crépus à l'aquarelle, met l'accent sur leur féminité et leur douceur. (http://thereelnetwork.net/debra-cartwright-combatting-the-stereotype-of-black-women-with-watercolors/).

L’émancipation de la femme africaine ne passe peut-être pas par la revendication de sa « conscience noire », mais bien par sa liberté à se coiffer, c'est-à-dire à disposer de son corps, comme elle l'entend. Cela étant un sujet qui dépasse évidemment de loin le règlement raciste d'un lycée pour filles en Afrique du Sud.

Marième Soumaré

 

 

 

 

 

Pour des états généraux de la liberté en Afrique

picture1Grignotés de toutes parts, ballotés entre régimes autocratiques et fanatismes religieux, les droits élémentaires des Africains se trouvent laminés entre le marteau et l’enclume. La mondialisation débridée, la financiarisation à outrance de l’économie, le réchauffement climatique entre autres aggravent un tableau déjà sombre, plongeant le continent (bientôt le plus peuplé du monde) dans une léthargie qui hypothèque la jeunesse africaine. Les Défis de l’Afrique sont politiques, économiques et religieux. Tour d’horizon.

Nous sommes en face d’une classe politique incapable

Nos dirigeants, qui sont trop occupés à s’enrichir impunément et à se maintenir au pouvoir envers et contre tout, ont oublié de planifier le développement, pendant que la corruption généralisée et l’absence d’institutions judiciaires fiables finissent de décourager les investisseurs.

Dans une récente tribune reprise par Terangaweb et consacrée à l’Union africaine qu’il qualifie d’ailleurs d’ « union affreuse », le journaliste sénégalais Adama Gaye peint une Afrique ruinée par « une classe de leaders-dealers, spoliateurs des biens publics et complices d’une recolonisation consentie ».

Une croissance trompeuse ?

L’Afrique décrite par les médias et les discours laudateurs comme le futur eldorado économique est loin de tenir ses promesses. La hausse transitoire des prix  des matières premières a suscité un vent d’euphorie et laissé croire que l’Afrique se réveillait enfin économiquement. Mais l’industrie extractive s’est révélée peu créatrice d’emplois laissant ainsi le chômage progresser indéfiniment.

La pandémie du Sida semble reculer et de plus en plus de jeunes fréquentent l’école, certes. Mais le continent affiche encore désespérément un grand retard dans la plupart des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). La pauvreté n’a presque pas baissé et les rangs des « sans travail » ne cessent de gonfler.

Les 15 millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi pourraient compter sur les richesses naturelles du continent, si elles ne profitaient qu’à une petite oligarchie, qui la brade à tout va. L’industrie des services (hôtellerie, téléphonie, etc.) n’en  absorbe qu’une minorité. L’économie informelle et les emplois précaires sont le lot quotidien de beaucoup d’Africains, dont certains se laissent tenter par l’aventure migratoire, au péril de leur vie.

Pendant que toute l’Afrique prie, une partie stagne et l’autre s’enfonce.

Des présidents prédateurs, parfois prédicateurs, ont effectivement mis le continent sous leur coupe réglée, tout en cédant au syncrétisme politico-religieux. Parallèlement au retour des vieux démons de la dictature,  l’intégrisme et l’explosion de courants religieux de tous genre ont fini par donner raison à Régis Debray : « La religion n’est plus l’opium du peuple mais la vitamine du faible ». Si son diagnostic se confirme, les Africains risquent une overdose. Mais il ne faut pas leur jeter une pierre. La croyance ne gêne réellement que quand elle est imposée de force ! Tant qu’elle reste dans la sphère privée, l’Etat doit la protéger et la faire respecter. Voici la laïcité dans sa plus simple définition, qui ne fait pas plaisir aux intégristes de tout acabit.

Des handicaps qui se transforment en forces

Les défis qui attendent le continent de tous les extrêmes sont incommensurables, mais paradoxalement ils représentent un vivier d’emplois et un grand levier de croissance. Presque tout est à faire ou à refaire :

– l’éducation professionnalisante de la jeunesse,

– le développement de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises,

– la lutte contre le réchauffement climatique et le développement des énergies renouvelables,

– la mise en œuvre d’une industrie de  transformation,

– le retour d’une partie de la diaspora africaine.

Mais la liberté consiste d’abord à sortir du sous-développement et de la misère. Face à la montée des tyrannies de toutes sortes qui l’empêchent d’avancer, la jeunesse africaine doit se battre par les urnes pour faire émerger de vrais hommes d’Etat, capables de placer l’intégration régionale africaine au premier plan, car l’union fait la force.

Afin de réveiller une conscience nouvelle, des états généraux de la liberté semblent indispensables à travers toute l’Afrique. Parce que les urgences s’accumulent frénétiquement et risquent de compromettre pour longtemps la liberté des Africains. Les défis qui attendent le continent le plus pauvre sont trop importants pour être confiés uniquement aux politiciens actuels, qui ont tant failli et trahi !

Afrique martyrisée, Afrique ridiculisée, mais, Afrique bientôt libérée par ses fils et filles qui auront participé aux états généraux de la liberté.

Quand l’Afrique s’éveille entre le marteau et l’enclume, L’urgence de forger une résistance tous azimuts discute des solutions qui s’offrent au contient et le rôle que pourra effectivement y jouer ces fils et filles.

Paul Samba.

* NDLR : Paul Samba est l’auteur de l’ouvrage Quand l’Afrique s’éveille entre le marteau et l’enclume, L’urgence de forger une résistance tous azimuts (BOD éditeurs juin 2016)

Cet article a été publié le 10/09/2016

Qui prendrait des balles pour son président ?

coup d'etat BFL’échec du coup d’Etat en Turquie grâce à la mobilisation d’une large majorité de la population favorable à Recep Tayyip Erdogan doit nous interpeller en Afrique. Car d’abord, le continent détient malheureusement le record du plus grand nombre de putschs militaires, dont certains ont souvent provoqué des drames effroyables. Ensuite, nous devrions nous poser cette question : qui en Afrique affronterait les balles de soldats pour défendre un président menacé ?

Ayant posé la question sur le réseau social Twitter et auprès de nombreux amis, beaucoup m’ont répondu avec plus ou moins de fierté en citant l’exemple du Burkina Faso. Ils ont en partie raison. En septembre 2015, la résistance héroïque de la jeunesse burkinabè a mis en échec le coup d’Etat du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) avec à sa tête le Général Gilbert Diendéré. Mais, une nuance s’impose car le peuple burkinabé n’a pas à mon avis défendu le régime de la transition du duo Michel Kafando et Isaac Yacouba Zida qui était d’ailleurs sous le feu d’une multitude de critiques justifiées. La jeunesse a affronté les hommes surentrainés et suréquipés du RSP pour sauver sa « révolution » et préserver son pays du retour du système Blaise Compaoré qu’incarnait Gilbert Diendéré. Les Burkinabé seraient-ils sortis dans la rue défendre leurs institutions si les auteurs du putschs étaient des officiers et sous-officiers inconnus et n’ayant aucun lien avec le régime déchu du CDP, l’ancienne formation au pouvoir ?

Cassure entre élites politiques et peuple

De façon plus générale, dans l’écrasante majorité des pays africains, je ne suis pas convaincu que le commun des mortels accepte de prendre des balles pour sauver un président, très souvent impopulaire. Nous vivons une crise politique et institutionnelle qui, si elle est moins profonde que dans les décennies précédentes, reste préoccupante.

Il y a une cassure entre les élites politiques et le peuple. D’abord, elle est d’ordre démographique car la jeunesse majoritaire sur le continent n’accède qu’à dose homéopathique aux strates du pouvoir. Ensuite, elle est d’ordre pratique : l’écrasante majorité de nos Etats sont à ce point mal gouvernés qu’ils ont réussi à tuer toute forme de confiance et d’espoir de la part de ceux qu’ils sont censés pourtant représenter.

Il y a longtemps que nous n’attendons plus rien des régimes post-indépendances, érigés sur le prétexte de la consolidation d’une nation socle d’une future prospérité qui n’a jusque-là jamais été au rendez-vous.

La génération de leaders politiques qui a suivi a elle davantage déçu car n’ayant même pas eu l’excuse de forger un Etat sur les cendres de la colonisation. Souvent armée de la rengaine du changement et de l’émergence, elle n’a rien fait sinon se compromettre moralement et maintenir nos pays dans l’indigence économique.

Ils « mentent dans toutes les langues »

Les trahisons sur les promesses électorales, la mal-gouvernance, la promotion de la corruption, l’encouragement de la transhumance politique et le culte de la médiocrité ont enterré le mythe de l’eldorado promis par nos gouvernants. Comme disait Nietzsche, ils « mentent dans toutes les langues ». Leurs promesses ne sont que mirage. Leur attitude au quotidien, méprisante et méprisable. Leur amour pour leur pays, infime.

Parmi nos leaders peu ont gouverné en cultivant le mérite et en mettant l’efficacité de l’action publique et la transformation radicale des conditions de vie des populations au centre de leurs actions. Cette chronique de Seidik Abba au Monde Afrique sur le train de vie des dirigeants africains est stupéfiante. On ne peut imaginer des gens vivre avec autant d’indécence et d’insolence quand leurs concitoyens manquent du minimum pour vivre.

Dans un tel climat de rupture de confiance et de priorités entre les élites politiques souvent corrompues et hors sol et le peuple, qui accepterait de prendre des balles le jour où leurs régimes seront menacés ? Qui se sacrifierait pour la pâle copie de révolutionnaires que sont devenus Mugabe, Dos Santos ou Museveni ? Qui donnerait sa vie pour préserver le régime Teodoro Obiang Nguema qui vient de hisser son fils au rang de vice-président ? Allons plus loin, tentons un banal exercice de casting chez les nouveaux leaders : Yahya Jammeh ? IBK ? Faure Gnassingbé ? Joseph Kabila ? Sérieusement, aucun qui déchainerait les foules…

La jeunesse ne s’identifie plus à son élite dirigeante. Elle la juge indigne de sa confiance et de son respect. Au mieux, elle la fustige régulièrement, au pire, elle ne lui accorde que mépris et désintérêt. En tout état de cause, elle a raison de ne pas envisager donner sa vie pour défendre des gens qui la lui nie au quotidien par une irresponsabilité consternante. 

Hamidou Anne

 

 

UA : La panne du panafricanisme

drapeau-union-africaineC’est une Union africaine (UA), frappée par une crise protéiforme, qui organise son Sommet de Chefs d’Etat et de gouvernement du 15 au 17 Juillet dans la capitale du Rwanda. A sa création en l’an 2000, l’Union africaine (UA) était censée servir de rampe de lancement à la renaissance africaine; elle n’est plus que l’expression de sa panne. C’est dire que son Sommet de Chefs d’Etat et de gouvernement, cette semaine à Kigali, ne peut exciper d’aucun prétexte sérieux pour ne pas être un moment de vérité.
L’Afrique ne peut s’y dérober. Ses Etats membres sont paralysés par une crise suffocante avec des économies en chute libre ou dominées par des acteurs étrangers privant les peuples de revenus. Sa classe moyenne a rejoint les rangs de ces damnés de la terre. Elle est prise entre le marteau de ce lumpenprolétariat et l’enclume d’une classe de leaders-dealers, spoliateurs des biens publics et complices d’une recolonisation consentie. Ses ressources publiques, naturelles en particulier, sont légalement capturées par des forces extérieures avec l’aide d’une néo-bourgeoisie compradore. Les défis du terrorisme, des trafics de drogue et d’argent s’ajoutent aussi à un tableau qui s’assombrit de jour en jour. S’y ajoutent le fanatisme religieux, les pandémies transfrontalières, les élections volées et les constitutions violées, la démocratie chahutée, l’absence des services de base. Ce cocktail est suffisamment lourd pour donner le coup de grâce au souvenir flamboyant que l’Afrique projetait, il y a à peine dix ans.


Et ce n’est pas tout. Puisque ses dettes reviennent au galop, les investisseurs la fuient, comme les touristes, tandis que de nouvelles menaces sécuritaires détruisent son attractivité. En outre, dépassées par les incidences de l’individualisme induit par l’avènement des technologies modernes de communication, les sociétés locales ne retrouvent plus les équilibres qui faisaient naguère de l’Afrique une terre de relative harmonie, malgré la pauvreté matérielle de ses peuples.
Dans ce climat d’urgences généralisées, les sommets de l’Ua, comme les rencontres des autres institutions africaines, tranchent par leur vacuité. Ce ne sont plus que des coquilles vides, des espaces de blablas quand l’histoire somme le continent de se montrer à la hauteur de ce tournant critique de son évolution.


En ces heures où elle vit ses plus graves contradictions post-indépendance, l’Afrique est entre les mains des dirigeants les plus irresponsables, incompétents, incapables qu’elle ait connus.
On leur doit du reste l’exploit d’avoir transformé en obstacle ce vent qui portait la barque africaine, au début de ce siècle, quand le continent était visité par un super-cycle doré. Ses matières premières étaient achetées à un prix exorbitant. Ses sols, sous-sols, zones maritimes révélaient des richesses insoupçonnées. Les investisseurs affluaient. La dette était largement effacée en même temps qu’une gestion macro-économique plus rigoureuse devenait la norme. Une démocratisation politique semblait être enclenchée. De nouveaux leaders professant oralement une éthique de gouvernance prenaient les rênes des pays. L’Afrique n’était même plus au menu mais à la table des plus puissants. On l’invitait à prendre part au Sommet des pays les plus industrialisés comme pour lui aménager une place de choix dans une reconfiguration de l’ordre international. Elle produisait même ses plans continentaux de développement -comme le tristement célèbre Nepad !


Dans ces conditions, après la fin de l’apartheid et celle de la colonisation officielle, l’Organisation de l’Unité africaine (Oua) pouvait céder la place à une Union africaine, entrée en vigueur en 2002 pour hâter la mystique communautaire.
Malgré son bon positionnement géographique et géopolitique en plus de ses ressources naturelles et humaines, l’Afrique qui se réunit à Kigali, sur une terre labourée par le pire des génocides, survenu en 1994, ne peut convaincre que les naïfs tant sa rechute fulgurante peut doucher tout sentimentalisme à son égard. Qui ose encore en faire le continent qui monte ? Tout se déglingue. Et l’Union africaine (l’union affreuse ?) est l’expression la plus achevée de ce retournement de situation. Entre les mains de l’ex-épouse de l’actuel Chef d’Etat d’Afrique du Sud, elle n’est plus qu’un Titanic institutionnel en puissance.
Avançant au milieu de dangereux récifs, face à une puissante houle, son sort ne semble même pas préoccuper les dirigeants du continent : sur le ponton du Titanic, ils sablent le champagne pendant que les africains-américains se font massacrer, que les immigrants africains vivent le calvaire, que les peuples et pays africains retombent sous le joug de puissances interlopes.


Seuls des candidats insignifiants se bousculent pour la succession de la présidente sortante de la Commission de l’UA (avec ses dames de compagnie, son folklore et ses paillettes). Qui veut en vérité diriger une institution sans bilan ? Sa déconfiture s’exprime par ses manques de réalisations en infrastructures physiques, en avancées dans les luttes contre les pandémies et la défense de la souveraineté africaine, encore moins pour contenir les menaces à la paix. Elle est absente sur les grands enjeux: ni diversification des économies; ni monnaie africaine; ni leadership continental. Son budget n’est pas assuré. Son siège est financé par la Chine. Les peuples la méprisent…


Elle n’est plus qu’un instrument de marketing d’autocrates comme l’hôte de son Sommet, Paul Kagamé. Il ne faut dès lors pas être surpris que sous l’oeil d’autres prédateurs-en-chef du panafricanisme, le Titanic UA, soit plus proche de faire le pas vers le naufrage qui l’attend…sauf miracle ! Ceux qui avaient rêvé l’unité africaine, au point de créer des mécanismes institutionnels pour la porter doivent se retourner dans leurs tombes. Ces pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (Oua), l’ancêtre de l’Ua, ne s’imaginaient pas qu’ils allaient avoir de médiocres successeurs. Leur rêve est devenu un insoutenable cauchemar…

Adama Gaye est journaliste consultant, auteur de l'ouvrage "Chine-Afrique : le dragon et l'autruche" (L'Harmattan) 

Jeunesses d’Afrique quittez la tyrannie du confort et rentrez chez vous !

brain drainLa jeunesse africaine formée dans les meilleures universités occidentales a l’obligation de rentrer en Afrique pour participer à l’émancipation économique et sociale du continent. Cette sentence, au-delà de son caractère impératif, est avant tout un conseil, voire une opportunité.

Une nécessité plus qu’actuelle

Aujourd’hui, comme le dit l’ancien ministre sénégalais Cheikh Tidiane Gadio, « Tout le monde a compris que l’avenir est en Afrique sauf les Africains ». La jeunesse africaine se questionne encore sur la capacité du continent à lui offrir un avenir radieux. Elle ne cesse ainsi de tergiverser et d’attendre un hypothétique « bon moment » pour rentrer, mais rendons nous à l’évidence : les conditions optimales du retour ne seront jamais réunies.

Qu’attendons-nous pour rentrer ? Que la corruption soit complètement éradiquée ? Que le climat des affaires se soit stabilisé ? Que la justice devienne irréprochable ? Que toutes les armes de guerres aient disparu ? Ou attendons-nous que les infrastructures soient au standard européen ? Mais sur qui comptons-nous pour réaliser toutes ces choses ? Qui viendra construire nos musées ? Qui viendra mener une réforme du système judiciaire ? Qui mettra sur pied un système éducatif de qualité ? Qui luttera contre le chômage qui ravage nos populations ? Devrions-nous encore attendre des résolutions de l’ONU pour pacifier notre continent ?

Prenons exemple sur la génération de nos pères, ceux qui se sont battus dans les années 50 pour renverser l’ordre établi. Qu’aurait été le combat contre l’oppression coloniale si des illustres aînés comme Amilcar Cabral, Kwamé N’krumah, Jomo Kenyatta et j’en passe, n’avaient pas décidé de retourner dans leur pays pour se battre contre l’emprise coloniale ? Comme nous, ils auraient pu se contenter du confort d’une vie en occident sans se soucier de leurs peuples. Mais à un moment de leur vie, ils ont fait un choix, ils ont pris un risque, ils ont décidé de mener un combat certes rude et harassant, mais ô combien excitant.  Nous sommes les enfants de cette prise de risque.

Des difficultés certes à pointer du doigt

Le défi du développement de l’Afrique est passionnant, mais personne ne nie sa difficulté ainsi que les embûches sur le chemin : l’insécurité, les tensions ethniques, la menace terroriste, l’avancée du désert,  la corruption érigée en norme, les rebellions arrogantes, le paludisme, les rebelles désormais apôtres de la paix, la justice aux ordres et corrompue, le manque d’infrastructure de base, les pseudo-leaders en manque de vision, les crises humanitaires, la vision archaïque du rôle de la femme, la mortalité infantile, le SIDA.

Voici, pour faire court, ce à quoi nous serons confrontés lors de notre retour. Oui ! Le challenge est rude ! Mais embrasser ce challenge, relever ce défi c’est offrir à nos enfants un avenir radieux et l’opportunité de grandir sur une terre pacifiée où tous leurs rêves seront réalisables, loin des turpitudes de notre temps. Ne leur laissons pas notre combat en héritage.

Le but ici n’est pas d’appeler à rentrer pour la forme, mais de rentrer avec une vision, avec un projet. Le retour est de rigueur, mais il doit être construit, pensé et inscrit dans une dynamique. La vision qui doit nous guider sur le chemin du retour est celle que partageait le commandant Ernesto Che Guevara : « élargir le champ des possibles. » Notre objectif ultime doit être celui de rendre sa dignité à notre peuple en lui donnant les moyens d’une vie décente.

Néanmoins, remplie de certitudes et croyant toujours détenir la vérité, la jeunesse africaine vivant à l’extérieur se pose parfois en donneuse de leçon. Aveuglée par sa prétendue supériorité, elle ne peut appréhender de manière précise les réalités d’un continent qu’elle a parfois oublié. Pour mener ces batailles, il nous faut prendre le chemin du retour. Mais prendre ce chemin en laissant derrière cette arrogance qui à trop longtemps caractérisé la jeunesse africaine expatriée sous peine d’échouer.

Il y a un regain d'espoir

Rentrer, investir, entreprendre, réussir et créer de la richesse en Afrique, ils sont nombreux à avoir suivi cet itinéraire et à nous montrer la voie. Les initiatives ne se comptent plus, la plateforme KODJI portée par de jeunes ivoiriens, la tablette éducative QUELASY, la Chaine de café NEO, le Smartphone africain ELIKIA. Aux côtés de cette jeunesse qui rentre, l’autre restée sur place se met elle aussi en marche. Elle se positionne, s’active, prend des risques et essaie malgré les embûches de se construire un avenir meilleur.

Elle n’attend pas la venue d’un hypothétique messie, elle n’écoute plus et n’entend plus les vaines promesses de ses frères en exil.

Chaque jour elle  montre la voie en se battant contre un système corrompu qui ne lui laisse aucun répit. Elle garde le cap. Elle ne rêve plus d’un avenir meilleur à l’extérieur mais préfère réaliser un futur brillant à l’intérieur. Pour cette jeunesse restée sur place, la question ne se pose plus l’Afrique est déjà le continent de demain et chaque jour elle le prouve. Yerim Sow, Koné Dossongui, Marie-Solange Sahoun, Charles Emmanuel Yacé sont les étoiles qui lui servent de boussole.

Pendant qu’a l’extérieur on tergiverse et hésite sur la réalité du potentiel africain, les multinationales étrangères, quant à elles, passent à l’action. On peut s’en rendre compte avec l’implantation du groupe Carrefour en Côte d’Ivoire, la création d’une chaine 100% africaine par le groupe Canal +, la création de radios commerciales par le groupe Lagardère sur le continent, l’entrée au capital d’ECOBANK de Qatar national Bank, l’implantation du cabinet d’avocat ORRICK en Côte d’Ivoire.

Partout l’Afrique bouillonne. Elle est en mouvement. Ne nous limitons donc pas à un simple contrat de travail, à un  poste, un bureau au 29ième étage, à un salaire confortable, à un prêt immobilier, à un prêt à la consommation ; ne nous contentons pas des illusions de la vie en occident. Comme le disait le camarade capitaine Thomas Sankara : « Osons inventer l’avenir ».

Joël-Armel Nandjui

Macky Sall ce président qui gouverne du coté obscur de la force !

Afin de valider son deal devant aboutir à la libération d’un condamné pour enrichissement illicite, Macky Sall est d’abord allé le faire valider dans les foyers religieux. Puis pour poser un jalon devant le faire demeurer dans le sens commun, après cette volte-face aux relents de forfaiture, il a marché, à l’heure de la prière du vendredi, de son palais à la mosquée à grand renfort de publicité. Enfin, pour faire croire que ce régime est garant de certains principes alors qu’il « deale », se dédit, et hypothèque ce qui lui restait de légitimité, l’on a demandé à un commissaire de police de convoquer une starlette en mal de popularité, au motif fourre tout d’atteinte aux bonnes mœurs, un vendredi, pour pouvoir la garder à vue pendant trois jours (sachant qu’au parquet on se repose le samedi et le dimanche), et ne la présenter au procureur que le lundi. Pour rien au final, aucune charge, dossier classé.

Mais on se sera assuré d’un weekend pendant lequel les citoyens qui s’étaient ligués contre le deal, le dénonçant, commençant à atteindre une masse critique dangereuse pour tout pouvoir happé par le côté obscur de la force, ont plus mis en avant leurs divergences sur les notions de liberté individuelle et de valeurs sénégalaises que leur unanimité contre la forfaiture en préparation. Beaucoup parmi ceux qui étaient vendredi matin contre la justice à deux vitesses qui libère les « grands » noms accusés ou condamnés de graves crimes et emprisonne des corps anonymes convaincus de petits larcins ou de gros méfaits, se sont mis à nuancer leur jugement à propos de ce système inique dès que la rappeuse jusque là inconnue au bataillon a fait irruption dans le débat. Non finalement ce n’est plus une justice à deux vitesses… et ils trouvaient des arguments pour légitimer ce qu’ils pourfendaient la veille. La justice est là pour réprimer les anti-valeurs ont-ils dit et elle le fait bien.

Soudain ils étaient satisfaits peu ou prou de ce système qui promeut l’impunité, peut-être l’anti-valeur suprême. Ce système capable de laisser en prison, par la magie de la détention préventive, pendant cinq ans, un anonyme, de le juger et de le déclarer… non coupable. Ce système capable aussi de juger un « grand » nom, de le condamner puis de le laisser, au bout d’un moment, vaquer tranquillement à ses occupations. On fait croupir des innocents dans les cachots et on laisse à l’air libre des coupables. Puis on parle de valeurs à sauvegarder (l’entretien dans un journal d’un ministre porte-voix du palais, ce matin). Et on utilise la religion pour légitimer le forfait, se faire passer pour un homme du peuple et déchainer les passions pour monter les uns contre les autres ceux qui s’indignent d’un système fait d’iniquité et d’accaparement du bien commun.

Ailleurs pour faire passer ce type de forfait, des régimes autoritaires désignent l’autre : les étrangers, l’occident (non sans raison pour le dernier cité) pour masquer leurs propres turpitudes..

Ici on désigne des anti-valeurs à travers la proie facile d’une fille qui fait une vidéo dans son salon, ni plus ni moins vulgaire que ce qui se passe dans nos boites de nuit et même nos rues parfois avec par exemple ces sabar torrides qui rythment le quotidien. Déesse major est un prétexte, un moyen dans l’allumage d’un contre-feu. Le comité qui a porté plainte contre elle n’est que l’idiot utile dans l’orchestration de cette mascarade. Quand on dit que le Sénégal est un pays tiré vers le bas par le système LMD (Lutte, Musique, Danse) dont les ambassadeurs, qui ne sauraient servir de modèle à la jeunesse, vont du lutteur Balla Gaye 2 à la chanteuse Déesse Major, on se doit aussi et surtout d’ajouter que ce pays est tiré vers le bas par une caste de privilégiés : politiciens, religieux, businessmen et autres personnages connus ou non, qui se soutiennent mutuellement. Les uns légitimant les forfaits des autres. Les autres donnant des avantages indus aux uns.


On ne peut ériger un socle de valeurs pour faire avancer un pays lorsqu’on veut le fonder sur l’injustice, la banalisation du deux poids deux mesures, l’indignation facile contre les plus faibles et le consensus mou autour des dérives des forts.

La foi est lumineuse. Elle forge un rapport fécond au monde, permet de vivre en paix avec soi-même et parfois de soulever des montagnes.
Mais lorsqu’elle est instrumentalisée, comme je pense que cela a été le cas dans cette affaire, aux dépens d’une proie facile, pour distraire les uns, flatter, rassurer les autres sur une prétendue préservation de valeurs alors qu’on pille le pays sous leurs yeux, cela s’appelle de l’obscurantisme.

Gouverner par le côté obscur c’est mettre tout ce monde qui devait nouer une alliance objective pour arrêter les pillards, les uns contre les autres en suscitant « une affaire » où il faut se déterminer non plus entre nous qui voulons une gouvernance vertueuse et eux qui pillent et « dealent », mais entre ceux d’entre nous qui seraient plus croyants parce qu’ils ont cloué la rappeuse sortie de nulle part au pilori et ceux qui le seraient moins ou pas du tout parce qu’ayant considéré que la jeune femme n’était que le dindon de la farce de l’inégalité devant la justice, celle de l’iniquité, de l’impunité et des privilèges indus.

Et l’ennemi, la caste des privilégiés, rit sous cape. Il a de beaux jours devant lui pour piller à son aise, creuser les inégalités sociales et continuer l’exploitation des plus faibles.

Racine Demba 

Cet article est paru initialement sur le blog de Racine Demba consultable ici : http://livracine.overblog.com/

 

Un procès a-t-il pour autant besoin d’être « exemplaire » pour être une réussite ?

JPG_Hissène Habré 050815Le verdict – perpétuité ! – fut accueilli par les cris de soulagement des victimes, salué au niveau international. Le 30 mai 2016, Hissène Habré a été condamné pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour des faits commis alors qu’il était à la tête du Tchad, de 1982 à 1990.

Depuis son ouverture à Dakar en juillet dernier, le procès « historique » fait l’objet d’une attention toute particulière. Plus qu’un procès : un symbole. Un contre-argument opposé à ceux qui reprochent à l’Afrique son inaction, voire son indulgence, envers ses dictateurs les plus sanguinaires. Un moyen de mettre un terme au bras de fer musclé qui oppose une partie de l’Union Africaine à la Cour Pénale Internationale.

Lourd poids que celui qui pèse sur les épaules de la justice pénale internationale !  On ne lui demande plus seulement de juger des coupables : elle se doit aussi d’aider à la construction de la paix, de réconcilier des nations divisées. Au procès d’Hissène Habré, il échoit en outre de donner à l’Occident une leçon d’indépendance de la part de l’Afrique, et un avertissement à tous les dictateurs du continent.

Un procès a-t-il pour autant besoin d’être « exemplaire » pour être une réussite ?

La condamnation d’Hissène Habré n’a pas émané d’une volonté subite et concertée des Etats africains de juger leurs pairs et ne facilitera sans doute pas l’inculpation des autres responsables de crimes internationaux sur le continent.

Mais pour qui a assisté comme moi aux témoignages glaçants de certaines des 96 victimes qui auront défilé à la barre entre les mois de septembre et décembre 2015, est-elle une victoire ? Assurément. Lorsque « Khadija la rouge » accuse le Président déchu de l’avoir violée (fait pour lequel il sera reconnu coupable), elle prononce ces phrases devant la Chambre : « Je me sens forte devant cet homme fort, silencieux, cloué sur sa chaise. Toute la haine que j’ai sentie, maintenant que j’ai parlé, je ne la sens plus. J’ai dit ce que j’avais à dire. ». Quelques jours plus tard, un homme dépose devant la barre. Les tortures qu’il a subies au cours du régime Habré l’ont rendu à moitié sourd. Il témoigne du décompte quotidien qu’il faisait des morts dans sa cellule, pour « pouvoir dire à la sortie : voilà, j’ai vécu cet enfer. Je n’oublie pas. Je n’oublierai jamais. » Il ajoutera ceci : Je pensais que l’affaire était terminée. Je ne pensais pas qu’il y allait avoir un jugement. Mais Dieu merci il a eu lieu, parce qu’on a crié « fatigué » ».

La simple organisation de ce procès tenait en effet déjà d’une victoire, tant sa mise en œuvre fut longue : 16 ans se seront écoulés entre le dépôt de la première plainte par un collectif de victimes et l’issue du verdict.

En réponse à l’élan d’optimisme qui a accompagné la condamnation de l’ancien dictateur, certains pointent du doigt les ambiguïtés, voire les lacunes du procès. Parmi elles, l’absence des cinq autres officiels tchadiens inculpés, le jeu trouble joué par le gouvernement du président actuel Idriss Déby – dont beaucoup considèrent qu’il avait sa place aux côtés d’Hissène Habré sur le banc des accusés –, le poids des  nations et des organisations occidentales dans son organisation.

La nature « africaine » du procès, dont il est censé tenir son exemplarité, est en effet à relativiser. Les Chambres Africaines Extraordinaires chargées de juger l’ancien président, inaugurées par le Sénégal et l’Union Africaine, doivent en effet leur création à une décision rendue par la CIJ (Cour Internationale de Justice) saisie par la Belgique en 2009. Elles sont également financées en grande partie par l’Occident, Union Européenne en tête. Au final, le procès Habré est un procès africain qui intéresse – surtout ? – les Occidentaux. Est-ce un tort ? Il se veut après tout autant un signe adressé aux dictateurs du continent (nous pouvons vous juger) qu’à l’Occident (et nous le ferons nous-mêmes).

La création d’un tribunal ad-hoc pour juger un ancien chef d’Etat coupable de crimes internationaux constitue sans nul doute un précédent sur le continent. En théorie, d’autres Etats africains ont la capacité, comme le Sénégal, de juger eux-mêmes des étrangers accusés de crimes graves, en vertu du principe de compétence universelle. Dans les faits, le procès Habré, dont la tenue est longtemps demeurée improbable, pourrait  conserver longtemps sa valeur d’exception.

La mise en œuvre de la justice n’échappe pas aux réalités diplomatiques, aux jeux de pouvoir et d’influence, aux manœuvres politiques. Mais ces éléments, lorsqu’un procès est conduit avec rigueur et indépendance, ne remettent pas en cause le caractère juste et équitable du jugement qui est rendu.  Ce fut le cas le 30 mai dernier.

Le procès Habré n’est peut-être qu’un pas de fourmi vers l’établissement d’un système pénal international qui ne soit ni l’expression d’un revanchisme des vainqueurs, ni d’une emprise néo-colonialiste. Peut-être est-il uniquement l’expression d’une justice qui a été rendue. C’est aussi simple que ça, et malheureusement assez rare pour mériter d’être salué sans détours.

Marieme Soumaré

Trop noir pour être clean !

pub-publicite-lessive-chine-raciste-700x336

La publicité ouvertement raciste d’une marque de lessive chinoise a récemment défrayé la chronique. On y voit un noir taché de peinture à qui une jeune chinoise met de la lessive dans la bouche avant de le plonger dans une machine à laver. Il en ressort « plus blanc que blanc », sous un phénotype… asiatique. 

Ce n’est pas nouveau qu’une publicité fasse ainsi preuve de racisme sans équivoque. Et ce ne sera sans doute pas non plus la dernière. Mais nous avons le devoir, voire l’obligation, de ne point nous habituer au phénomène. 

Le racisme est un mal de nos sociétés et le banaliser signifierait verser dans le renoncement, qui est vecteur de culpabilité. Au même titre que dans l’espace politique, médiatique, ou sportif, la publicité est encore, trop souvent, un véritable véhicule du racisme. Même si elle pense faire appel au rire, à l’humour ou à l’intelligence émotionnelle.. 

Cette histoire tumultueuse d’une partie de l’Europe avec la publicité raciste a fait l’objet d’un admirable article de la journaliste Séverine Kodjo-Grandvaux. Certains se rappellent des fameuses marques de javel ou de produit nettoyant qui basaient leur renommée sur leur capacité à « blanchir même un nègre. »

Personne n‘oublie non plus le fameux « Y’a bon Banania », symbole d’une ségrégation raciale et d’une atteinte à la dignité d’hommes armés et impliqués dans une guerre qui n’était pas la leur. Même le poète Senghor s’en était offusqué à travers un vers resté célèbre. Qu’à cela ne tienne. Jouant sur un imaginaire collectif vassalisé, le visage ridiculisé du tirailleur a accompagné les petits déjeuners de France et de Navarre tout au long du 20ème siècle, au mépris du simple respect dû aux mémoires des Tirailleurs sénégalais.

Il n’y pas ni plus, ni moins de racistes. 

Notre époque n’est pas ni moins, ni plus raciste que par le passé. La médiatisation rapide des phénomènes donne seulement une plus grande résonnance à  une situation qui se déroule en Chine, loin de nous. Et qui, paradoxalement, est dans le même temps témoin des temps qui changent. Puisque la Chine compte une diaspora de plus en plus active et visible en Afrique. 

Mais il y a des choses que notre époque ne pourrait, ne saurait accepter. Il y a des maux devant lesquels on ne doit s’habituer. Un racisme, même sous un manteau ludique, demeure une ignominie qu’il faut dénoncer et combattre de façon vigoureuse. 

Il faut certes laisser place dans nos vies à l’humour, à l’ironie et à la plaisanterie, parfois à la blague lourdingue, même sur des sujets polémiques. Mais sans, comme c’est le cas pour la marque Qiaobi, tomber dans le grotesque, la grossièreté et le mauvais goût. Nous devons nous fixer des limites fermes et résolues devant l’inacceptable, et dénoncer avec force les productions qui s’appuient sur les ressorts de la division et l’incitation à la haine entre les peuples. 

Le racisme anti-noir est aussi un mal asiatique.

Le racisme asiatique vis-à-vis des populations noires est souvent moins connu. Or, il est aussi prononcé que celui que l’on peut rencontrer en Europe ou dans d’autres régions du monde. 

Même si nous avons tendance à nous focaliser très souvent sur ces dernières. Le lynchage sur les réseaux sociaux subi par Ariana Miyamoto, du fait de sa couleur de peau à la suite de son élection comme miss Japon en 2015 prouve ce mal asiatique. On a nié à la jeune femme, née au Japon, son identité nippone du fait de son métissage. Mais le racisme anti-noir ou la xénophobie de façon plus générale qui sévissent en Asie, semble étrangement bénéficier d’une certaine tolérance, sous le prétexte de la méconnaissance ou de l’ignorance de l’Afrique qui séviraient dans cette partie du monde éloignée de nous. Faux. 

A l’heure de la généralisation de la télévision, des médias en général et de l’Internet quasi gratuit, aucune excuse ne tient, et rien ne justifie de dévisager sottement un individu dans la rue sous prétexte qu’on n’est pas familier de sa couleur de peau.

 

Hamidou Anne

 

 

Hissène Habré : dernier tour de piste d’un vieil autocrate

habré 2

Après six mois de procès, le verdict qui est tombé lundi 30 mai à Dakar est implacable : Hissène Habré est reconnu coupable de « crimes contre l’humanité », « crimes de guerre » et « viols » et a été condamné à la prison à vie.

L’ancien dictateur tchadien vient de subir le jugement d’un tribunal qu’il n’a jamais voulu reconnaître, assimilant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) à une instance fabriquée par des impérialistes, ces « ennemis de l’Afrique » qui veulent sa peau.

Très tôt, Hissène Habré a choisi une défense de rupture. Devant des faits accablants, il a choisi de décrédibiliser la cour pour asseoir sa ligne de défense. En se faisantévacuer de la salle d’audience au début du procès aux cris d’« A bas les traîtres ! », « Allah Akbar ! », « Vive le Tchad ! », « Tribunal impérialiste et colonialiste ! », Habré a décidé de transformer son procès en une scène pour exécuter une sinistre farce. Celle-ci était de très mauvais goût face aux victimes de son règne (1982-1990).

Les éructations d’Habré à l’ouverture du procès représentaient les ultimes manifestations d’un homme qui se savait fini. C’était prémonitoire, Habré ne sort pas libre de son procès. Il finira ses jours dans les geôles sénégalaises.

Hissène Habré est un homme intelligent, un redoutable politique et un chef de guerre expérimenté. I n’est pas l’archétype du troufion arrivé au pouvoir par hasard et donnant l’image d’un comique, grossier et grotesque, en tenue d’apparat. Habré n’est pas le Guinéen Dadis Camara, ni le capitaine malien Sanogo.

C’est aussi un homme qui a su se construire une épaisseur sociale par des relais puissants dans son exil au Sénégal. Les confréries religieuses, les associations de jeunes et de femmes du quartier d’Ouakam où il vivait ont reçu beaucoup d’argent de sa part.

Hermétisme et « mépris insultant »

Mais le vieux lion de l’Union nationale pour l’indépendance et la révolution (UNIR) a aussi montré durant le procès sa redoutable maîtrise des rouages de la communication. D’abord par son indignation bruyante. Ensuite par son silence.

Lire aussi : Procès Habré : l’ex-président tchadien condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité

Peut-être a-t-il beaucoup visionné les prestations d’une icône du barreau, Jacques Vergès ? La stratégie, limpide, est d’user du tribunal comme d’un plateau de télévision. Surtout que le procès était retransmis. Agile.

Mais les coups de théâtre successifs, la rengaine anti-impérialiste, les accusations de trahison et la volonté prêtée au tribunal de « rouler » pour les intérêts de l’Occident sonnent faux.

En vérité, Habré paie aujourd’hui des décennies d’une vie normale, loin de la confrontation avec les visages des milliers de victimes de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), cette redoutable Gestapo des tropiques.

La peur a changé de camp ! Les mots du bâtonnier de l’ordre des avocats sénégalais à l’ouverture du procès sont saisissants de justesse : « Les princes accusés de crimes de sang ne se sentent plus à l’aise que dans leur propre pays. »

Habré a joué, surjoué la victime, le martyr africain brimé par le méchant impérialiste occidental. Mais son scénario est devenu inefficace à force d’être ressassé à l’infini par d’autres avant lui. L’histoire retiendra qu’un dictateur sanguinaire, dont le vœu a toujours été d’échapper à un face-à-face avec ses accusateurs, vient d’être jugé et condamné. Justice est faite. Hissène Habré, à la barre du tribunal, s’est voulu Lumumba ou Sankara. Il ne sera hélas qu’un affligeant patriarche de 73 ans qui a décoché ses dernières salves guerrières face à une opinion internationale au mieux indifférente, au pire méprisante.

La défense de rupture d’Habré, refusant jusqu’à la confrontation avec les victimes, a même été scénarisée à travers sa tenue vestimentaire – turban et lunettes de soleil – qui le maintenait hermétique. Habré a été d’un « mépris insultant », selon les termes du juge burkinabé Gberdao Gustave Kam, face à la douleur et aux larmes des victimes survivantes et face à la mémoire de celles qui ont perdu la vie suite aux sinistres méthodes de la DDS.

En énonçant le verdict condamnant à perpétuité Hissène Habré, le juge Kam a fait tomber le rideau sur le dernier tour de piste d’un vieil autocrate.


Hamidou Anne

Mali : de la grandeur à la décadence ?

Bandiougou GakouJe tiens à saluer la lutte héroïque du père de la nation dans la conquête de notre Indépendance, même s’il ne s’agissait que de pouvoir saisir une balle au bond, une perche tendue par le général De Gaulle. La véritable lutte a consisté à dire non à l’occupant, comme l’a fait aussi de façon héroïque et sans violence ni tintamarre le résistant Cheik Hamaoullah de Nioro.

Dire non à l’occupant, c’est renoncer à l’armée d’occupation pour assurer la sécurité et la défense de sa patrie. C’est aussi tenter de reconvertir, si faire se peut, l’économie coloniale en une économie nationale saine. Les sociétés d’Etat, implantées parfois dans la précipitation et sans étude de faisabilité,  ont germé dans ce but. Bien que leur viabilité au plan économique fût très approximative, elles ont eu le grand mérite de casser le mythe de la toute puissance de l’occupant. Tout cela, bien fait, était loin de la perfection, qui n’est pas de ce monde faut-il le rappeler.

Modibo Keita notre bien aimé papa fut grand et parfois moins grand. Nous évoquerons  juste quelques aspects de ce qui fut par moment, traumatisant pour le peuple.

Les 5 péchés de Modibo Keita

1- Modibo Keita a imposé un culte de la personnalité au peuple malien. Que pouvait-il gagner dans cette divination faite sur sa personne, au point d’ériger son admiration en pratique cultuelle imposée ? Loin du narcissisme primaire, le désordre narcissique traduit généralement, selon les adeptes de Sigmund Freud, plus un mépris de l’autre, qu’une admiration de soi, et conduit tout naturellement, et ce fut le cas, au solipsisme. Nous ne pourrons jamais citer toutes les manifestations agaçantes de ce culte nocif.

Passons sur le cas anodin de ce citoyen lambda, interdit d’utiliser sa belle voiture, une grosse américaine, tout simplement parce qu’elle brille autant que celle du grand leader, la même américaine. La voiture n’est pas confisquée mais restera confinée sine die, chez son propriétaire.

Avouons qu’un zélateur du sérail peut avoir décidé à l’insu du chef.

Passons aussi sur cette superbe création artistique du terroir, un chef-d’œuvre musical issu du tréfonds des villages, qui fut, sans texte, sans loi ni arrêté ministériel, interdite sur les ondes, parce qu’elle rappelait qu’aucun pouvoir n’est jamais illimité. Un adage du pays dit ‘’une chanson vaut par le message qu’elle distille’’. Sous d’autres cieux, la création artistique est honorée,  soutenue et récompensée, surtout quand elle est si saine  d’éducation.

Là aussi, Le même zélateur a pu jouer sans ordre du chef.

Passons encore sur tous les billets de banque à l’effigie et à la gloire de l’incontestable chef bien aimé. Le citoyen ne devra plus et  ne pourra plus se passer de son image : elle sera sur lui, partout, dans sa poche, au village ou en ville, dans sa main, au bureau ou à la maison, au marché, dans la mosquée, à l’église. Don quichotte et ‘’One man show’’  en mourraient de jalousie.

Ici, impossible d’accuser le sérail.

Passons et  passons, mais restons sur ce point culminant, un rien pathologique. Dans ce pays du Ouagadou, du Kaarta, du Mande, des Songhays, de l’Almamy, dans ce pays de Tombouctou où les saints ont tracé des voies de la pureté spirituelle, la dignité de l’autorité se conjugue avec l’humilité. L’oublier c’est renier ses racines, c’est peut-être aussi être frappé de pathologie solipsiste, et sans doute, de la part du chef incontesté, c’est porter un coup malsain à l’Education et la culture. Le NOUS de la politesse est propre, sage, sain et noble.

Le  ‘’ JE ’’  dit-on est haïssable. Mais quand on en vient à parler de soi à la troisième personne, de la part du chef, il y a de quoi s’inquiéter. Quand le Moi ou le Je est propulsé chanson, cela devient amusant. Et quand l’intéressé soi même, pour  chanter  sa gloire, entonne et invite tout le microcosme politique à chanter en chœur derrière  lui ; quand notre bien aimé Modibo chante à la tète de ses troupes politiques,  non pas la voie tracée du Parti, mais plutôt sa propre VOIX : ‘’La voix de Modibo a sonné…’’,  le rituel devient prière canonique et le culte,  danger national. Au moins pour une première raison, l’éduction populaire et notamment celle des enfants en prend un coup véritablement  hostile.

2- Parlons justement d’éducation, et surtout des ‘’Sizoutards’’,   pour voir de près  cette question simplement absurde. Peut-on éduquer les enfants avec des maitres sans éducation ? Or c’est exactement ce qui s’est passé au début des années 60. Pour donner un coup d’accélérateur au taux de scolarisation, tous ceux-là qui avaient été rejetés par l’école pour indiscipline caractérisée, banditisme affiché, ces impénitents fumeurs qui empoisonnaient  l’école, tous ceux-là, les incorrigibles, dont la présence au milieu des enfants pouvait altérer leur éducation et qui ont été renvoyés d’une école qui se voulait saine, seront invités à se faire connaitre. Tous ceux qui, parmi les vagabonds, reconvertis ou non, avaient atteint un niveau voisin  du certificat d’études, étaient appelés et enrôlés, puis intégrés  moniteurs d’enseignement, le tout,  signé de main de MAITRE !

L’école, c’est pour apprendre à lire, écrire, compter, mais pas seulement. L’école, c’est aussi pour éduquer. Ces apprentis-chauffeurs, ces cuistots de libano-syriens du business, ces vermines que l’addiction au tabac avait rendu délinquants  et qui empoisonnaient déjà les rues, sont tous promus un certain six-août, d’où la retentissante expression de sisoutards. Doit-on dans ces conditions s’étonner que l’école malienne fût en chute libre ? Doit-on s’étonner aujourd’hui de sa faillite morale et intellectuelle. La médiocrité ne peut engendrer que la médiocrité. Et le cycle infernal des malformés devant à leur tour former et éduquer est vaillamment mis en marche. La crise de l’Ecole malienne trouve dans l’invention des sisoutards toute son origine, n’en déplaise aux responsables encore présents de cette mésaventure   pédagogique, qui porta une blessure au moral des vrais éducateurs soucieux de la bonne tenue de leur si noble métier. Le taux de scolarisation fut légèrement amélioré mais la qualité de la formation fut gravement et durablement détériorée.

En dépit de ces tares, le Mali rayonne à l’international. De Buckingham Palace au Kremlin, le leader charismatique est aux petits soins. C’est cet aura qui lui vaudra de régler de main de maitre une vive tension qui menait le Maroc et l’Algérie au bord de la confrontation musclée. C’est encore cet aura qui permit le rapatriement sans heurt diplomatique, de tous les Maliens détenus  esclaves en Arabie.

Cependant, à l’interne, l’enlisement s’accentuait. L’option socialiste courageusement proclamée  en pleine guerre froide imposait de fait un embargo occidental. Par les temps de vaches maigres, le dessein revanchard  frappera de toute évidence les opposants connus.

Le régime, bien conscient de sa poigne, de sa main de fer impitoyable,  par sa voie la plus autorisée, avouera le destin des trois ‘’trois tiers’’ : un tiers des Maliens s’enfuira et ira à l’aventure, un tiers restera sur place dans la contestation stérile, et le Parti s’occupera d’eux. Le troisième tiers utile bâtira  un Mali fort, prospère et respecté.

Les investissements humains ont fait fuir du pays tous ces bras forts déversés sans rémunération sur les chantiers routiers tels que Kayes/Conakry. Le Mali se videra d’une part substantielle de sa population active à cause de ces taches assimilées à des ‘’travaux forcés’’.

3- Le second tiers était bien pris en main par la milice de l’USRDA et soumis à la  rééducation musclée dans les camps spécialement dressés à cet effet. Le camp de Bamako, jouxtant le parc zoologique  créa au tout début une vraie confusion dans l’esprit du peuple. Les rugissements et mugissements lugubres, les hurlements et vociférations sinistres, les cris stridents dont les collines voisines diffusaient les échos, ne venaient pas du parc zoo, mais bien du camp des corrections. Au début le peuple sage avait du mal à s’y résoudre. La logique simpliste mais implacable paya ; le peuple est mis au pas.

4- A Ségou, l’USRDA avait inventé la solution Tienen-Amen avant Pékin. Les récalcitrants de Sakoyba et tous les autres habitants avec, sont sommés de vider les lieux sous peine d’être broyés par les chenilles des chars déployés. L’impénitent patriarche viscéralement attaché à sa case,  tous coqs et chèvres que l’instinct animal avait ramenés au bercail se trouveront tous sous le coup d’un Tienen-Amen malien, sans autre forme de procès.

5- Au grand Nord le schéma est identique et le scenario aussi. L’Amenokal qui rejette le socialisme, qui s’affirme libéral,  opposé au système en vigueur, sera traqué jusque dans sa progéniture, au fond des cavernes du Teghargaret, puis sauvagement anéantis. Aucune option de dialogue n’est au programme.

Voyez-vous mes braves amis. Le Mali fut porté sept ans sur les épaules de Modibo Keita à la tète de  l’USRDA. Modibo était incontestablement un grand patriote. La patrie ne tombera pas de ses mains. Au contraire, elle aura ses belles heures de rayonnement mondial.

Puis le système sans nom  a conduit où nous en  sommes : une mise sous tutelle. Jugez-en par vous-mêmes.                             

Bandiougou Gakou,

Ancien ministre, Ancien ambassadeur du Mali

 

 

Powered by WordPress