Comment tirer parti des nouveaux partenariats ?

accaparement des terresL’Afrique est objet de toutes les sollicitations actuellement. La tournée de Barack Obama à Dakar sur le continent, prouve à suffisance que le temps est révolu où le continent était royalement ignoré, sinon méprisé par les puissances du monde. Ce voyage est survenu juste après la tournée du nouveau Président chinois Xi Jiping dans certains pays du continent et indique que nulle puissance ne veut rater sa part des ressources de l’Afrique. Ses nombreuses ressources minières ainsi que son potentiel stratégique, font de ce continent un partenaire en devenir dont tout le monde veut s’attirer les bonnes grâces. Face à l’offensive de charme dont elle est l’objet, la stratégie africaine n’est pas facilement lisible. Aïssatou Diallo, chargée des programmes au Centre africain pour le commerce, l’intégration et le développement (Enda-Cacid), experte dans les relations avec les pays émergents, fait ici une analyse froide de cette dénuée de passion, et indique les voies de solution pour que l’Afrique tire tout le bénéfice de ces nouveaux partenariats. 

Que pourrait-on retenir comme décision concrète au bénéfice de l’Afrique sortie de cette rencontre au sortie du Ticad V? 

Ce que je trouve intéressant dans le Ticad qui vient de se terminer, c’est qu’ils ont mis en œuvre un plan d’action clair. Il y a un document publié en anglais, sur le site web du ministère japonais des Affaires étrangères, et qui est un plan d’action qui va de 2013 à 2017. Il relate les différentes actions que la coopération japonaise va oeuvrer en Afrique entre 2013 et 2017 sur la base d'un plan d'action, dans différents domaines : l’agriculture, l’industrie ou les infrastructures. C’est un modèle qui se rapproche beaucoup du modèle chinois. C’est-à-dire qu’à la fin de chaque Focad il y a un plan d’action qui définit les termes de la coopération dans les deux ans à venir qui suivent le prochain Focad. Ce qui est intéressant, c’est qu’aujourd’hui les Africains sont au courant de ce que le Japon a l’intention de faire en Afrique, les différents mécanismes d’intervention, les différents agents impliqués, que cela soit au Japon ou en Afrique. Et l’on pourra suivre l’évolution de ces relations. En fait, ce que l’on peut en tirer, c’est une clarification des activités que le Japon a l’intention de mener, en coopération avec les pays africains, et c’est une opportunité pour nous, de pouvoir mesurer l’évolution de ces relations au prochain Ticad, qui va se tenir d’ici cinq ans. 

On note aussi que c’est la première fois que le Japon prend un engagement chiffré, financier aussi important. Quelle lecture peut-on en faire ? 

Il faut peut-être aussi remettre cela dans le contexte. L’Afrique, qui était jugé comme un continent «perdu» dans les années 1980, est maintenant devenu l’enjeu de tout le monde. Aussi bien l’Europe que les Etats-Unis y reviennent parce qu’il y a des opportunités. Le Japon aussi veut avoir sa place dans cette nouvelle configuration des relations. Aujourd’hui, les acteurs se multiplient et l’Afrique a un parterre de partenaires très important par rapport à début des années 1990. L’Afrique est aujourd’hui au centre de tous les regards et de toutes les stratégies. Le Japon a mis en place le Ticad en 1993, c’est-à-dire, que cela ne date pas d’hier. A un certain moment, on se demandait même si la configuration du Focad ne s’inspirait pas de celle du Ticad. C’est peut-être donc tout naturel que le Japon veuille revenir et reprendre sa place d’antan, en se disant qu’il a été le premier à mettre en place ce genre de cadre de coopération. 

On sait qu’en Asie, il y a une très forte rivalité entre le Japon et la Chine, ainsi qu’avec un troisième larron, qui est l’Inde. Ne peut-on voir ce retour en force du Japon comme une volonté de repositionnement dans le cadre de cette rivalité régionale ? 

Ce qui est en train de se passer en Asie du Sud-Est, avec l’extension de l’Asean, peut-être comparé avec ce qui se passe en Afrique. Les premières puissances qui avaient déjà une implantation, se sont retirées, et essaient aujourd’hui de se repositionner dans un contexte différent. En Afrique aujourd’hui, il y a la Chine, l’Inde, le Brésil, la Corée qui reviennent et la Turquie qui s’amène. Les Japonais doivent donc donner le meilleur d’eux-mêmes car plus rien n'est acquis. On ne vient pas en Afrique en disant, «On est des partenaires traditionnels», car il y a des nouveaux venus qui sont plus compétitifs, qui sont beaucoup plus innovants et qui ont une stratégie assez offensive. Il faudra donc que le Japon, l’Union Européenne, ou les Etats-Unis reviennent avec des nouvelles stratégies, pour pouvoir retrouver leurs positions d’antan dans le contient. 

Par rapport à toutes ces sollicitations, on n’a pas le sentiment que l’Afrique a une vision claire, d’abord au niveau régional, et ensuite, au niveau des pays pris de manière individuelle. Alors que vous parlez d’un plan structuré du Japon, qui est quasiment pareil à celui de la Chine. Et il y a au delà de ces deux, l’Inde, la Turquie, et d’autres… Que propose donc l’Afrique ? 

Ce qui importe aussi de mettre en avant, c’est que l’Afrique c’est 54 pays, chacun avec sa vision, sa stratégie, aussi bien dans un espace sous-régional que régional. Regarder de près ce qui se passe dans le Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe). On trouve des pays qui sont en même temps membres du Comesa et du Sadcc. Il y a des pays qui sont dans le Comesa et dans l’Eac (Coopération de l’Afrique de l’Est) ; alors qu’il pourrait y avoir des discordances ou des incohérences dans les politiques entre l’Eac, le Comesa, le Sadc (Communauté pour le développement de l’Afrique australe) et le Sacu (Union douanière de l’Afrique australe). En termes de répartition géographique, les pays africains ne sont pas organisés de manière stratégique. On a une Union africaine, dont la vision politique peut être incohérente à celle des sous-régions ou à celle des pays ? Et tout ce groupe de pays, fait face à un seul, le Japon, la Chine, l’Inde, qui sont des pays cohérents. Quand on convoque des sommets, on ne va pas à un sommet Union Africaine-Asean, mais c’est les pays africains face à l’Inde, la Turquie, le Japon, la Chine ou d’autres. 

Ne serait-il donc pas plus bénéfique pour certains pays du Continent d’aller en solo vers les partenaires et de négocier par eux-mêmes leurs stratégies de développement ? 


Les organisations sous-régionales sont des opportunités dans le sens où l’Afrique a été fragmentée en de petits espaces, faisant d'eux des marchés tellement restreints qu'ils ne pourraient s'en sortir de façon unilatérale. La Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) représente un marché de 300 millions de personnes. Cet ensemble peut faire face à des partenaires extérieurs. Elle a toutes les ressources dont elle a besoin pour construire une industrie. Si l’accent est mis sur les infrastructures, elles peuvent permettre de booster la production, mais aussi la circulation des biens. La prioté devrait être donnée aux marché sous-régional, eplutôt qu'à l'exportation parce que les premiers partenaires de la Chine sont en Asie, mis à part les Etats-Unis. La Chine, stratégiquement parlant, cible l’Asie. Les Etats-Unis ciblent l’Alena. L’Europe cible l’Europe. Un exemple assez frappant est que le Cameroun soit autosuffisant en matière d’alimentation et que l’on ait la famine en Somalie. Ou que le Nigeria soit l’une des plus grandes puissances pétrolières de ce continent, et que l’Afrique ait toujours des problèmes à s’approvisionner en ressources pétrolières ou ait des problèmes d’électricité. 

Le manque de politique structurée semble parfois aussi conduire à des dérives de la part de nos partenaires. Les Chinois occupent des secteurs de l’économie, même dits informels, qui en principe, devraient être réservés à des populations locales. 
Aujourd’hui, n’importe qui ne peut exercer n’importe quelle activité en Chine, parce qu’elle a mis en place des barrières, des politiques qui protègent certains secteurs d’activités. Idem pour l’Inde ou d’autres pays. Par conséquent, c’est aux africains de définir leur stratégie. Des industries comme Tata en Inde, ont été couvées pour leur permettre de grandir dans le pays et de s’exporter. Le partenariat, ce n’est pas seulement un forum organisé où l’on se rencontre, et où des chiffres sont émis. C’est une construction. Et cette construction est politique, juridique, stratégique et économique. C’est toute cette imbrication qui fait que le pays est protégé, et que l’on pourra toujours tirer le meilleur du partenaire, dans le respect mutuel. 

Est-ce une bonne chose pour l’Afrique d’avoir une multiplicité de partenaires ? 

Cela permet aux pays africains d'avoirune certaine autonomie vis-à-vis de ses partenairs traditionnels de l'Union Européenne et les Etats Unis. Aujourd’hui l’Asie et l’Amérique latine sont des géants dans le monde, autant on devrait pouvoir parler de l’Afrique. Les pays africains peuvent s'inspirer de l'exemple de ces pays pour construire sa propre stratégie de développement. Le Nigéria à la capacité d'impulser le développement au sein de la CEDEAO. L’Afrique du Sud a la capacité de mutualiser les efforts en investissant dans les autres pays, parce qu’il a des entreprises qui en sont capables. Ces deux pays peuvent faire en sorte que les partenaires viennent en complément du marché africain et non en être le principal client. 

Cet article est paru initialement sur le site du CICAD

Zoom sur la production des jus de fruit en Afrique

jus_fruitLe marché des jus de fruit est une occasion d’accroître la capture de valeur pour la plupart des pays, même si l’approche de chaque pays dépend de son niveau de production, la transformation et l’intégration dans les marchés d’exportation internationaux. Le rapport sur la transformation structurelle en Afrique classe les pays dans les groupes suivants.

Les pays producteurs de fruits produisent des fruits matériels, mais n’ajoutent pas de la valeur à une part importante de la production, soit par la transformation ou l’exportation. Ils semblent donc avoir la une marge de manœuvre important pour augmenter leur contribution à la valeur ajoutée. Ces pays ont généralement un degré limité de traitement (par exemple, Jakana Foods produit des jus de fruits en Ouganda avec des produits locaux ) et font face à des défis importants d’exploitation des économies d’échelle, y compris l’accès limité au financement et des difficultés de d’approvisionnement des fruits de la bonne qualité à un coût assez bas. Les principales priorités de ces pays sont de se concentrer sur le développement de la production et à tirer parti des possibilités immédiates sur les marchés locaux, régionaux, et potentiellement à l’exportation pour les fruits frais.

Les pays exportateurs de fruits, tels que le Cameroun et le Mozambique, produisent en s’appuyant sur les économies d’échelle et exportent une part importante de leur production. Les exportations des deux pays se concentrent sur ​​les bananes, et n’a ni été en mesure d’exploiter les possibilités de transformation de fruits. Dans ces pays, soutenir l’expansion et le développement du secteur de la transformation des fruits – et en particulier l’accès aux start-up et le financement du fonds de roulement – est critique.

Les pays transformateurs de fruit intégrés, tels que le Kenya, peuvent extraire de la valeur à partir de fruits par l’exportation des fruits de qualité vers d’autres pays africains et au-delà et par la transformation des fruits locaux, en particulier pour la fabrication de jus. Dans l’exportation et la transformation des fruits, un soutien plus général pour améliorer l’environnement des entreprises favorisera la croissance, étant donné qu’il a déjà commencé à gagner du terrain.

Certains pays qui n’ont pas un volume important de la production de fruits aujourd’hui, sont le Botswana, le Burkina Faso, Maurice, le Rwanda et la Zambie. Des possibilités de valeur ajoutée sur les fruits peuvent exister dans ces pays, et le traitement peuvent bien exister dans une certaine mesure déjà. Par exemple, des usines de transformation de fruits ont été développées avec le soutien du gouvernement au Rwanda. Cependant, lorsqu’on prend en compte l’échelle de production d’autres produits tels que le coton – pour le Burkina Faso ou le soja pour la Zambie, l’échelle de transformation des fruits ne permet pas de justifier que ces pays se redéploient sur la production des fruits pour conduire la transformation dans l’agroalimentaire.

Les décideurs ont besoin d’une analyse plus détaillée au niveau des pays pour comprendre les facteurs spécifiques à chaque pays qui détermineront l’attractivité de la poursuite de la transformation des fruits dans n’importe quel pays. L’industrie des fruits dans son ensemble est très large, mais les possibilités sont spécifiques à chaque pays. Le rapport dont cette analyse est issue adopte une approche sélective en se concentrant sur la façon de déverrouiller les possibilités d’exportation de fruits frais et de développement d’un secteur de la production des jus de fruit.

Traduction d’un extrait modifié du rapport de l’ACET sur les jus de fruit

Neuf idées pour booster les TICs en Afrique

mark_kaigwaLors du salon de l’innovation technologique DEMO Africa 2013, 40 finalistes issus du continent africain avaient présenté leurs créations au monde. De ces créations, se sont dégagées neuf leçons que le bloggeur et inventeur kenyan Mark Kaigwa propose de retenir pour le développement des TICs en Afrique.

1- Changer notre vision du financement de la technologie

En Afrique, le financement des innovations technologiques ne doit plus dépendre des épargnes ou des fonds personnels des innovateurs. Il faut désormais penser grand, faire confiance aux inventeurs. Les entreprises doivent leur donner les moyens de travailler afin que leur génie ne soit plus restreint par le manque de moyens financiers.

2- Faire évoluer les centres d’innovations africains

À travers le continent, plusieurs centres d’innovations technologiques où se retrouvent innovateurs et porteurs d’idées se sont multipliés. On a iHub au Kenya, ActivSpace au Cameroun et bien d’autres. Seulement, les centres technologiques ne doivent pas demeurer des lieux de pensées. Ils doivent susciter l’esprit d’entrepreneuriat qui se traduit par la création de nombreuses start-ups.

3- Penser d’abord des solutions locales

Les solutions technologiques qui devraient permettre à l’Afrique de prendre une place dans le monde numérique devront d’abord résoudre les problèmes des Africains. Elles devront apporter des réponses locales. Il ne sert à rien de penser déjà au monde et de passer à côté des nombreuses opportunités qu’offre le continent.

4- Les médias sociaux africains doivent développer une force de vente

En Afrique, les médias sociaux pullulent. Seulement, ils ne doivent plus se restreindre aux outils basiques que sont le chat, le partage d’images, etc. Ils doivent développer une force de vente, se diversifier, proposer des services générateurs de revenus comme des jeux en ligne, etc.

5- Investir dans les jeux

Les innovateurs africains ne doivent pas seulement chercher à développer des solutions technologiques de pointe. Ils peuvent aussi investir dans des domaines ludiques comme les jeux en ligne, très prisés par les internautes.

6- Ne pas oublier l’e-commerce

Avec l’actuelle course effrénée vers le haut débit fixe et mobile, il serait intelligent pour l’Afrique de ne pas négliger l’e-commerce. C’est un secteur porteur qui a déjà permis la création de nombreux emplois à travers le continent. C’est une grosse source de revenus, donc un atout majeur pour le développement économique.

7- Ne pas négliger le potentiel de la diaspora

D’après le Brooking Institute, 30,6 millions d’Africains disséminés à travers le monde ont envoyés 5,1 milliards de dollars vers l’Afrique en 2010. Ces chiffres montrent à suffisance le potentiel financier que représentent les Africains de l’étranger. À cela il faut ajouter leurs compétences intellectuelles et la diversité culturelle.

8- L’Afrique doit faire dans le Hardware

Fini la consommation de ce que les autres fabriquent, c’est au tour de l’Afrique de fabriquer ses appareils et de les vendre au monde. En Egypte par exemple, la start-up Vivifi a développé une technologie permettant d’utiliser n’importe quelle surface comme un écran tactile. Cette découverte peut avoir de multiples applications.

9- La fourniture de contenus

Avec la multiplication des TV web comme celles de Facebook, Youtube, Twitter, Tumblr, etc, le marché des contenus en Afrique sera d’une grande importance. Pour les créateurs de contenus qui l’ont compris, ce sera un moyen de tirer leur épingle du jeu.

Un article initialement paru sur Ecofin

L’inclusion financière: Clé de la croissance durable pour tous en Afrique

inclusion_financièreLe taux de croissance moyen du PIB des économies africaines a été de plus de cinq pour cent par an depuis 2004, et nombreux sont celles qui devraient atteindre en 2060 le groupe des pays à revenu intermédiaire ou élevé. Cependant, cette vision ne peut être atteinte sans un secteur financier solide, développé et concurrentiel. Notamment, un système financier qui fonctionne bien sera une condition essentielle pour atteindre une croissance durable et inclusive.

Le secteur financier en Afrique a fait des progrès considérables en termes de développement et de stabilité. Beaucoup de pays africains ont fait des progrès dans la réforme de leur cadre institutionnel et la création d'un environnement propice à un meilleur accès aux services financiers. On observe une augmentation du taux de pénétration dans plusieurs pays africains grâce à des modèles économiques innovants tels que les services bancaires mobiles. Néanmoins, de nombreux défis restent à relever. Pour que les services financiers soient plus disponibles, accessibles, abordables et donc inclusifs, il y a lieu de développer des instruments financiers innovants et des infrastructures financières opérationnelles pour le bénéfice des groupes défavorisés et vulnérables.

Dans un livre récent intitulé « l'inclusion financière en Afrique "(co-édité par Thouraya Triki et Issa Faye), nous documentons l'état de l'inclusion financière en Afrique et fournissons aux décideurs, aux intervenants du secteur financier et aux acteurs du développement des informations précises sur les opportunités et les défis spécifiques qui méritent de l’attention et de l'action. Bien que l'accès aux services financiers se soit considérablement amélioré dans les pays africains, de nombreux individus et entreprises sont encore exclus des systèmes financiers formels. Le livre note en outre que moins d'un quart des adultes en Afrique ont un compte dans une institution financière formelle, et de nombreux adultes en Afrique utilisent des méthodes informelles pour épargner (comme les tontines, les fonds de funérailles, etc.) et emprunter (amis, famille et prêteurs privés informels). Néanmoins, le succès de certains instruments financiers novateurs tels que le Mobile-banking en Afrique de l'Est offre davantage de possibilités en matière d'inclusion financière, en particulier pour les pauvres, les femmes, les jeunes, les personnes vivant dans les zones rurales et les petites et moyennes entreprises (PME).

Une nouveauté de cette publication est l'analyse qu'elle fait de l'impact que l'instabilité politique et la vulnérabilité économique peuvent avoir sur la capacité des ménages et des PME à accéder à différents types de services financiers. Selon le livre, seulement 14 pour cent des adultes vivant dans des États fragiles d'Afrique ont un compte dans une institution financière formelle. Compte tenu du risque élevé pour certains pays africains d’être en situation de fragilité, le livre préconise qu'il est impératif que l'inclusion financière efficace et durable fasse partie des stratégies nationales de reconstruction. Le livre encourage également une plus grande coordination entre les partenaires de développement pour une approche contextualisée, flexible et adaptée à l'inclusion financière dans les États fragiles.

Pour que l'inclusion financière devienne un moteur de la croissance durable et inclusive en Afrique, les auteurs prévoient une série d'options stratégiques concernant le rôle de transformation que la technologie peut jouer dans la réalisation d’une plus grande inclusion financière, la nécessité de concilier l'inclusion financière et la stabilité financière, les leçons que l'Afrique pourrait apprendre des autres pays en développement, et le rôle des institutions financières de développement (IFD) pour aider à la conception et la mise en œuvre de programmes d'inclusion financière en Afrique. Les principaux messages du livre sont:

  • Les services financiers mobiles peuvent aider l'Afrique à parvenir à un développement plus important et plus inclusive. En fait, l'inclusion financière a le potentiel de stimuler l'épargne intérieure, l'augmentation des transferts d'argent entrants de la diaspora, et de réduire les coûts de transactions des PME et du secteur privé en réduisant le nombre de ménages et des entreprises financièrement exclus en Afrique.
  • La stabilité financière et l'inclusion financière pourraient constituer des objectifs complémentaires. Pour assurer une stratégie réglementaire inclusive, les régulateurs financiers devraient adopter un cadre conceptuel qui permettra d'atteindre l'inclusion financière tout en préservant la stabilité et en tenant compte des exigences réglementaires inhérentes aux différentes fonctions de l'industrie des services financiers.
  • Les modèles d'affaires innovants et rentables mis en œuvre par d'autres pays en développement (comme en Amérique latine) pour élargir l'accès aux services financiers pour les ménages à faible revenu pourraient inspirer les gouvernements africains et d'autres intervenants afin d'atteindre une plus grande inclusion financière en Afrique. Un exemple notable est le modèle de l'agence bancaire.
  • Les IFDs sont de plus en plus des acteurs clé dans la promotion de l'inclusion financière en Afrique. Afin de renforcer l’impact de leurs interventions sur le développement, il est nécessaires de promouvoir une plus grande collaboration entre elles; mettre à leur disposition plus de ressources et de compétences pour promouvoir les activités de renforcement des capacités, et renforcer les effets d’entraînement et catalytiques de leurs projets d’inclusion financière devrait être la norme.

 

Un article de Mthuli Ncube, initialement paru sur son blog de la Banque Africaine de Développement, traduit de l'anglais. 

Le développement durable est-il un paradigme au service de l’humain?

une_kerouedanExtrait de l'article "La vocation altruiste dans un monde globalisé" de Dominique Kerouedan, Professeur au Collège de France. Titulaire de la Chaire Savoirs contre Pauvreté (2012-2013) sur le thème "Géopolitique de la Santé Mondiale"


Le sujet sur lequel nous nous proposons de réfléchir concerne plus particulièrement la toile de fond de l’aide humanitaire, de l’action sociale et du développement humain, de leur insertion (ou non) en tant que priorité du programme pour le développement après 2015. Les négociations sont en cours à l’Assemblée générale des Nations Unies et pour les deux ans à venir. Ceci est important et nous concerne tous : si dans les années 1970 ou 1980 il était encore possible aux humanitaires d’échapper à l’emprise des paradigmes de développement, ce n’est plus le cas aujourd’hui : nous sommes tous enveloppés dans la toile du développement durable, selon un modèle unique, contraints et limités par les injonctions dominantes du modèle que l’ensemble des pays de la planète seront invités à décliner pays par pays après 2015.

La Commissaire européenne à l’aide humanitaire invitée en mars 2013 à la restitution à Paris des Assises de développement tenait à rappeler que : « Le futur est à propos de nous tous et pas seulement des pays en développement » (The future is about all of us, not only the developing world »). Il est en effet question que les objectifs qui seront retenus par l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2015 s’appliqueront à l’ensemble des pays de la planète, et pas seulement aux pays en voie de développement, auxquels s’appliquaient les objectifs du millénaire pour le développement sur la période 2000-2015. 

Lors de la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies consacrée à ces sujets le 25 septembre dernier, le Secrétaire général résumait sa direction ainsi : « Le développement durable – auquel devront s’intégrer croissance économique, justice sociale et gestion de l’environnement – doit devenir notre principe directeur et notre modus operandi à l’échelle mondiale  ». En France, la toute première décision du Comité interministériel de la coopération internationale au développement (CICID) réuni en juillet dernier, établit, selon le ministre du développement Pascal Canfin, que : « Le développement durable devient le fil directeur de la politique de développement et de solidarité internationaleIl n’y a plus d’un côté la lutte contre la pauvreté, l’éradication de la pauvreté, et de l’autre côté, l’agenda de la soutenabilité ; mais au contraire une fusion des deux » [27]. 

A un an de la Conférence de Rio+20 (en 2012), à moins 2 ans de la conférence sur le climat que doit réunir la France en 2015, les décideurs et les experts s’entendent pour demander la convergence des objectifs de développement avec ceux du développement durable [28]. Nous traversons une période toute imprégnée de préoccupations d’envergure planétaire relevant du développement durable (climat, énergie, environnement) qui vont entrer sévèrement en compétition avec celles, non communes, du développement humain dans les pays pauvres. Le risque est de voir les populations les plus pauvres, les femmes et les filles en particulier, continuer d’être les moins bien servies, tant du point de vue de l’attention politique, économique et sociale, que du point de vue stratégique et financier. 
La représentation du monde inspirée par le courant de pensée du développement durable dans le cadre duquel s’inscriront toutes les décisions et les interventions à l’échelle globale après 2015 pendant des décennies, est-elle favorable à l’action humanitaire ou même à l’action sociale et au développement humain ?

Les priorités des populations et des pays les plus pauvres, les plus fragiles, les plus vulnérables, les souffrances qu’endurent les fillettes, les adolescentes et les femmes, qui sont celles vis-à-vis desquelles les objectifs du développement ont le moins progressé au cours des quinze ou vingt dernières années, ou même des décennies antérieures, ces situations qui incitent à mener une action humanitaire et sociale, notamment dans le Sahel, sont-elles des sujets ciblés par les politiques de développement durable ?

Les populations et les pays en situation de conflits armés ou de post conflits, les pauvres de France ou d’Europe, des pays émergents ou d’ailleurs, ces priorités peuvent-elles être considérées, seront-elles prises en considération, dans le cadre de ce paradigme de développement durable ? 

La réponse à ces questions est non. Pourquoi ?

3.a. Pour des raisons historiques et même culturelles

Toutes les interventions relatives à la justice sociale et au développement humain ont été réalisées dans le cadre du développement, et non celui du développement durable qui ne s’est intéressé, depuis la Conférence de Rio sur la Terre en 1992, qu’aux questions environnementales. Sans oublier de mentionner quelques réunions dans les années 1970, reconnaissons que le rapport fondateur du développement durable est celui de Gro Harlem Brundtland intitulé : « Our Common Future  » (Notre avenir à tous), publié en 1987. Les pratiques de développement, de développement humain et de développement social, ont alors déjà une histoire de plus de 40 ans ! C’est la durée d’installation de toute une culture de politiques, de stratégies, d’acteurs, de valeurs et de pratiques de développement depuis le discours de H. Truman en 1949 [29] qui nommait pour la première fois les pays sous développés : « Il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mettre les avantages de notre avance scientifique et notre progrès industriel au service de l’amélioration de la croissance des régions sous-développées. Plus de la moitié des gens dans le monde vivent dans des conditions voisines de la misère. Ils n’ont pas assez à manger. Ils sont victimes de maladies. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace, tant pour eux que pour les régions les plus prospères » [30]

Le développement durable est certes, en théorie, défini par trois piliers : environnement, développement économique et justice sociale. En pratique en plus de 26 ans depuis le rapport Brundtland, il semble qu’aucune intervention d’action sociale, de développement humain ou d’aide humanitaire, de justice sociale, n’ait été conduite ou revendiquée dans le cadre de la réalisation de politiques de développement durable

3.b. Pour des raisons liées aux mandats respectifs du développement et du développement durable

Le développement social et l’action humanitaire, et même le développement humain ne sont pas des priorités du développement durable, qui ne s’intéresse à la justice sociale qu’en ce que la pauvreté et l’iniquité produisent de néfaste pour la planète en termes d’environnement : lorsque la question de la justice sociale est abordée par les « durabilistes », ce n’est pas pour améliorer le développement humain, c’est pour combattre les effets de la pauvreté et des inégalités d’accès aux ressources sur l’environnement et l’avenir de la planète (impacts des industries sur la pollution de l’air, des eaux et des sols, déforestation et utilisation du bois pour la cuisine ou le chauffage, etc.). 

Le développement durable s’intéresse, disent les textes, aux disparités des pouvoirs économiques et politiques sur la planète et à l’accès inéquitable aux besoins de base : « emploi, alimentation, eau, assainissement, énergie  », en tant que ces sujets posent problème à nos intérêts communs : « De nombreux problèmes viennent des inégalités d’accès aux ressources. Ainsi, notre incapacité à promouvoir le commun intérêt du développement durable est souvent le résultat de la négligence relative de la justice sociale et économique entre et au sein des nations  » (Many problems arise from inequalities in access to resources ». « Hence, our inability to promote the common interest in sustainable development is often a product of the relative neglect of economic and social justice within and amongst nations.) [31

Le développement durable n’est pas un paradigme d’expression de la générosité, de la solidarité ou de l’altruisme, mais plutôt celui du partage d’intérêts présentés comme communs aux êtres humains où qu’ils se trouvent sur la planète. Il ne s’agit pas de donner, mais de prendre, par exemple de s’inspirer au nord, de politiques et interventions réalisées au Sud, dans le domaine de l’urbanisation. La distinction la plus centrale entre les acteurs du développement humain et ceux du développement durable, a trait à cette longue expérience auprès des populations pauvres, ce partage d’intimité, cette compassion au sens propre de « souffrir avec », qui semble n’avoir animé que les seuls acteurs de l’humanitaire, de l’action sociale et du développement humain. 

L’homme, la femme, le pauvre et la fragile, le combattant et le blessé de guerre, la fillette violée, la personne sans domicile, ces personnes intéressent-elles ceux qui exercent leurs métiers dans le cadre du développement durable ?

L’humain est-il placé au cœur et comme cible directe des objectifs de développement durable ? L’homme, la femme, le pauvre et la fragile, le combattant et le blessé de guerre, la fillette violée, la personne sans domicile, ces personnes intéressent-elles ceux qui exercent leurs métiers dans le cadre du développement durable ? L’histoire le démontre d’elle-même. Ces problématiques sociales relèvent des problématiques du développement, telles que les stratégies de coopération les ont définies et mises en œuvre, même si nous ne pouvons que déplorer « le massacre des secteurs sociaux  » opéré par les politiques d’ajustement structurel dans les années 1980, ainsi que le regrette Serge Michailof, grande figure du développement qui réfléchit à sortir l’Afrique de la fragilité et du conflit [32]. 

Le développement durable réunit les pays riches et les pays émergents autour de préoccupations pensées comme communes, mais vis-à-vis desquelles les réponses vont s’avérer cependant très disparates, tant du point de vue de leur ampleur que de leur nature. Il n’empêche que du fait de ses centres d’intérêts, le développement durable s’accompagne d’un clivage du monde, qui n’est plus Nord-Sud, mais plutôt pays riches et émergents d’un côté, pays les plus pauvres de l’autre, où la croissance est tellement basse qu’elle ne génère pas d’effets désagréables. 

Si le développement durable devait s’emparer de questions de développement à l’échelle universelle, alors il devrait se concentrer en priorité sur les spécificités des Pays les moins avancés, ainsi que l’attendent ces pays avec Patrick Guillaumont : « La vulnérabilité est un risque de non-durabilité. Il est donc normal qu’un agenda universel de développement durable s’attache à traiter la vulnérabilité dans ses diverses composantes (économique, sociale, environnementale) et prête attention aux pays qui pour ces diverses raisons sont particulièrement vulnérables. Souligner la nécessité de prendre en compte la spécificité des pays vulnérables dans l’agenda 2015 ne doit pas apparaître comme une défense de « catégories. Il s’agit au contraire d’une défense de principes d’efficacité et d’équité » [33]. Il ne suffira pas de prendre des engagements dans ce sens. Il faudra que les défenseurs du développement durable prouvent à l’avenir l’efficacité de leurs stratégies sur des terrains qu’ils ont délaissés pendant des décennies.

3.c. La Couverture sanitaire universelle

La Couverture sanitaire universelle semble être un objectif qui fait consensus pour le programme de développement après 2015. Il se pourrait que ce soit le seul objectif de santé retenu. Qu’en pensent les acteurs de l’action sociale et du développement humain ? Ils ont trois questions :

L’objectif est-il réaliste ? Ne sommes-nous pas entrain de réconforter nos consciences ? Est-il sérieux de penser que les pays les plus pauvres à la croissance démographique la plus élevée au monde, seront en mesure de mettre en place, dans des délais raisonnables et de manière durable, des mécanismes et les financements de systèmes d’assurance maladie ou de protection sociale pour faire face aux fardeaux multiples des maladies infectieuses et chroniques, des accidents de la voie publique et des problèmes de santé mentale qui ont commencé d’atteindre une population qui s’apprête à être multipliée par deux d’ici à 2050 ? Nos modèles déficitaires de milliards d’euros peuvent-ils être des modèles pour les pays et les populations pauvres du monde ?

Derrière un objectif bien intentionné, n’y a-t-il pas plutôt l’intention pour les pays riches de se décharger de leur responsabilité et de leurs engagements à contribuer aux coûts du développement, du développement social et humain justement ?

Si la CMU est bien un objectif de réduction de la pauvreté, au sens de diminuer le nombre de personnes qui basculent dans la pauvreté du fait du paiement des soins, est-ce pour autant un objectif d’amélioration de la santé ? Si la CMU a contribué en Europe à améliorer l’accès aux soins, a-t-elle contribué à améliorer la santé et la qualité des systèmes de soins dans nos pays ? N’est-ce pas une nouvelle fois une réponse financière à prendre en charge de plus en plus de malades, plutôt qu’une politique en réponse à la question de savoir comment bâtir des sociétés moins pathogènes ? Chaque pays devra faire son chemin et trouver le modèle adapté à réduire la pauvreté et améliorer l’état de santé de ses populations selon des priorités débattues en société de manière démocratique. 

3.d. Que pense la société civile de ces sujets ? 

Sans énumérer les documents produits par la société civile de par le monde, dont les associations et les ONG notamment, ont été invitées à contribuer à réfléchir en préparation de la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies du 25 septembre 2013 sur les OMD, il semble, de ce que nous pouvons lire des synthèses mises en ligne sur les sites internet « post 2015.org » ou « beyond 2015.org » par exemple, que la très grande majorité des organisations de la société civile se prononcent en faveur de la convergence des objectifs du millénaire pour le développement avec ceux du développement durable, tout comme le rapport au Secrétaire général des Nations Unies du Panel d’experts de haut niveau sur le programme de développement après 2015. Ainsi la société civile, consultée, rejoint spontanément les positions dominantes des Experts, de l’ONU et des politiques. Nous n’aurions pas observé un tel consensus dans les années 1990. Du côté des chercheurs les travaux s’interrogeant sur la place des PMA après 2015 sont plus nombreux que ceux qui examinent la vulnérabilité de certains groupes de personnes, telles les populations vivant dans la guerre, les fillettes et les femmes [34]. 

L’indifférence est grandissante à l’égard des personnes vulnérables où que ces personnes vivent

Voici donc un indicateur majeur de changement du monde : le débat démocratique à l’échelle mondiale est évacué faute d’opposition et d’idées respectant le principe de contre poids. Il ne faut pas se faire d’illusion. Même si la consultation de la société civile a pu prendre un instant l’allure d’une invitation à une participation démocratique à l’élaboration du programme de développement à venir, et même si le Secrétaire général dans son allocution le 26 septembre 2013 cherche à rassurer sur la capacité du développement durable à (désormais) intégrer les trois piliers initiaux : en pratique cela ne sera pas le cas, pour les raisons historiques, culturelles et de compétition financière déjà évoquées. Mais aussi, et sans doute avant tout, parce que l’indifférence est grandissante à l’égard des personnes vulnérables où que ces personnes vivent, pour différentes raisons sur lesquelles il serait possible d’agir pourtant, au travers d’actions d’éducation civique, d’enseignement supérieur, des médias, de la politique nationale de coopération, des politiques européennes et internationales, de toutes nos institutions, etc. qui pourraient sensibiliser et former chaque citoyen à une sensibilité et à une connaissance de l’autre, « à faire de notre planète une autre cité, qui serait aussi la cité des autres  » conclut Philippe Kourilsky. 

Le fait que la société civile adhère à une position dominante, globale et englobante du monde est un fait étonnant. C’est dire à quel point l’uniformisation du monde en est à un stade déjà avancé. Cela pose la question aussi de la connaissance, par cette société civile globale, du terrain et des situations particulières et spécifiques que vivent les femmes et les hommes, les garçons et les filles, les plus pauvres et les plus exclues du monde : comment les situations de ces personnes sont-elles appréhendées par la société civile elle-même au point qu’elles n’appellent pas de réponse spécifique de sa part en préparation du programme de développement post 2015 ? La société civile globale associe-t-elle des représentants des pays les moins avancés à ses travaux et à sa pensée ? Comment leurs préoccupations sont-elles intégrées ? D’une part, l’humanitaire, l’acteur social et de développement humain qui travaille au sein de la société civile globale connaît-il encore le terrain finalement ? D’autre part, comment les acteurs de terrain et les ressortissants peuvent-ils davantage, non seulement participer, mais faire entendre leurs savoirs, leur expérience et leur pensée à l’échelle globale ? Il ne s’agit pas seulement de défendre une dynamique de participation d’une poignée de personnes sollicitées pour la forme. La question en jeu est celle de la vérité des faits et des réalités endurées, considérées dans leur diversité, point de départ indispensable à des réponses bien pensées, au travers desquelles chacun trouve sa place.

Faut-il que l’Etat donne de l’argent aux plus pauvres?

une_cctUn excellent article est paru cette semaine dans le journal The Economist sur la pertinence, pour la lutte contre la pauvreté, des transferts en espèces (conditionnels ou non) versés aux plus démunis. Disant de cet article qu'il s'agissait sans doute du « meilleur traitement journalistique de ce sujet », Chris Blattman, l'un des chercheurs dont les travaux ont apporté de l'eau à ce moulin, souligne avec regret le fait que ce genre de papier ne suscite généralement aucun intérêt de la part du comité Pulitzer. Quoi qu’il en soit, l’idée en question présente un immense potentiel pour changer les choses.

Il est établi depuis un certain temps que les allocations versées aux parents à la condition qu’ils envoient leurs enfants à l'école ou chez le médecin améliorent concrètement les résultats en matière de santé et d'éducation. Plus récemment, des études ont montré que les transferts en espèces non conditionnels pouvaient avoir les mêmes effets. Les travaux de Chris Blattman démontrent qu'il est financièrement plus fructueux de donner de l'argent aux jeunes inactifs pour qu’ils développent un projet plutôt que d'utiliser ces fonds pour leur proposer des cours de formation professionnelle.

Parallèlement, Todd Moss, du Center for Global Development, ainsi que mon collègue Marcelo Giugale et moi-même (entre autres) avons exploré l'idée de transférer les revenus du pétrole aux citoyens sous la forme de transferts en espèces dans l'objectif de réduire les effets de la « malédiction » qui touche nombre de pays riches en ressources naturelles, particulièrement en Afrique. Le Gabon, par exemple, a un revenu par habitant de 10 000 dollars mais se classe avant-dernier pour le taux de vaccination des enfants parmi les pays africains. Marcelo et moi-même avons montré qu'en transférant tout juste 10 % des revenus issus des ressources naturelles directement aux citoyens (et dans des montants égaux), il est possible de faire fortement reculer la pauvreté dans les petits États africains riches en ressources.

De plus, les technologies permettant de réaliser ces transferts ont été fortement améliorées. Alan Gelb et Julia Clark ont notamment montré que les cartes d'identité biométriques ne coûtent plus que quelques dollars l'unité. Les autorités indiennes sont d'ailleurs en train d'en fournir à ses 1,2 milliard de citoyens, et 300 millions d'entre eux les ont déjà reçues. Avec ces cartes, l'argent peut être transféré sous forme électronique, voire par le biais d'un téléphone mobile. Sans surprise, il existe à l'heure actuelle un débat animé en Inde autour du remplacement de subventions mal ciblées et inefficaces par des transferts en espèces.

Ceux qui s’opposent aux transferts en espèces arguent du fait que les pauvres vont dilapider cet argent en alcool et en tabac au lieu de l'utiliser pour éduquer leurs enfants ou créer leur entreprise. Lorsque j'ai évoqué l’option de ces allocations au Soudan du Sud, on m'a répondu que « les gens allaient utiliser l'argent pour prendre une autre épouse (sic) ». Des arguments que la recherche bat largement en brèche et qui contribuent à négliger un autre aspect important du débat : en remplaçant les traditionnelles dépenses publiques (écoles et cliniques gratuites, etc.) et subventions à l'énergie, à l'eau et à l'alimentation par des transferts en espèces, on rend l'État comptable de ces services. En effet, lorsque celui-ci fournit des biens et des services gratuits ou subventionnés, les pauvres n'ont pas vraiment d'autre choix que de consommer ce qu'on leur donne. Bien souvent, ces biens et services sont de qualité médiocre, quand ils ne sont pas tout simplement inaccessibles. À l'inverse, lorsqu'ils reçoivent de l'argent pour « acheter » ces services, les pauvres peuvent exiger une qualité supérieure, et si le fournisseur ne répond pas à leurs attentes, il ne sera pas payé. Une situation que résume magistralement un fermier de l'Andhra Pradesh (Inde), après que les subventions à l'eau ont été remplacées par une tarification au coût intégral : « Nous ne laisserons plus jamais l'État nous donner de l'eau gratuitement »…

De même, dans les pays riches en ressources naturelles, les revenus du pétrole vont directement des compagnies pétrolières à l'État, sans passer par les citoyens. Il en résulte que les citoyens sont susceptibles de ne pas connaître le montant de ces revenus et, encore pire, de n'avoir aucune motivation à examiner les dépenses de l'État du fait qu'ils ne les considèrent pas comme « leur argent » (alors que c'est indéniablement le cas). Avec les transferts en espèces, les citoyens connaîtront au moins en partie l'ampleur de ces revenus et seront éventuellement davantage motivés à examiner la manière dont ils sont dépensés.

Les critiques visant les transferts en espèces, qui sont généralement issues de hauts fonctionnaires, sont moins liées au risque que l'argent soit gaspillé qu'à la perte de contrôle exclusif des dépenses publiques par l'État. Formulé autrement, les transferts en espèces présentent un fort potentiel pour faire évoluer non seulement les politiques de lutte contre la pauvreté, mais aussi l'équilibre des pouvoirs entre l'État et ses citoyens, en faveur de ces derniers.

 

Un article de Shanta Devarajan intitulé "Des subsides en liquides" initiallement paru sur son blog de la Banque Mondiale

La micro-finance au-delà du mythe : atouts et limites

microfinanceCe billet soutient, contrairement à des théories longtemps en vigueur, que la microfinance ne peut permettre d’éradiquer la pauvreté, mais qu’elle constitue un mécanisme complémentaire aux politiques de développement. Cette analyse appelle ainsi à une rupture épistémologique et suggère une implication proactive des Etats.

Il est assez fascinant d’étudier la micro-finance et d’observer toutes les transformations qu’elle a subit dans le temps, étant passée d’un outil destiné à soutenir l’entreprenariat des pauvres à une stratégie  qui met en danger et exploite les pauvres. Scruter l’évolution du concept – de ses origines telles que définies par Muhamed Yunus dans les années 70 et la Grameen Bank dans les années 80 à son âge d’or dans les années 90 – 2000, puis à sa phase la plus cynique de la dernière décennie – est impératif. Une étude de Milford Bateman et Ha-joon Chang[1] en fournit une analyse intéressante. Nonobstant le scepticisme des auteurs, il est assez enrichissant de constater l’effort déployé pour déconstruire l’histoire de la micro-finance.

Aucune compréhension de la relation entre la micro-finance et le développement ne peut être précise sans avoir au préalable identifié comment l'institution de micro-finance a été pervertie du modèle de subventions de Grameen à un modèle d'affaires centré sur des bénéfices privés. Le plus symbolique de ces abus est résumé par le scandale Compartamos au Mexique où des taux d’intérêt avoisinant 195% ont été appliqués sur des microcrédits contractés par des pauvres. Même si ce cas ne peut être généralisé, reconnaître l’existence et la pratique de ce genre d’abus dans le domaine de la micro-finance est primordiale afin d’y apporter des corrections saines. Ceci met en exergue le caractère urgent de réglementer ce secteur.

La micro-finance présente d’importants risques pouvant entrainer les plus pauvres dans une trappe à pauvreté, dans laquelle ces derniers contracteront toujours plus de microcrédits pour rembourser les emprunts précédents. Cette situation peut les amener à perdre des actifs tels que des parcelles de terrain ou du bétail. En réalité, quand ils sont utilisés par les groupes les plus vulnérables avec des taux d'intérêts élevés, les services de la micro-finance constituent une stratégie de survie plutôt que des outils de développement, comme ce fut le cas dans l’Etat indien d’Andar Pradesh. Des problèmes additionnels en lien avec des primes trop onéreuses, des bulles ou au surendettement peuvent avoir des effets néfastes dans certaines régions. Au Maroc, qui a été l’un des pionniers dans le domaine, le secteur de la micro-finance a connu une grave crise du fait des taux d’intérêts élevés, des défauts de paiement et du surendettement des clients qui étaient encouragés à contracter plusieurs crédits.

La seconde dimension qu’il importe de soulever est la place de la micro-finance dans les trajectoires de développement. Si l’importance de l’entreprenariat privé et des initiatives pro-pauvres n’est plus à démontrer, notamment dans le cadre du modèle de développement « bottom-up », le rôle de l’acteur essentiel qu’est l’Etat, dont la responsabilité et l’impact ne peuvent être niés, ne saurait être remis en cause. Pour étudier la relation entre micro-finance et développement, nous avons adopté une approche d’analyse dichotomique état/individu, macro/micro, long terme/court terme et publique/privé et avons évalué la contribution de chacune des deux dimensions au bien-être des populations des pays en développement.

Il en résulte que les défis de la micro-finance sont liés à son déploiement à une échelle très petite. Ses services offrent des opportunités de financement et permettent aux personnes d’améliorer leurs conditions de vie. Cependant, la question de l’échelle de déploiement se pose. Contribue-t-elle au développement de la communauté ? Cette question a été pertinemment soulevée par M. Fazle Hasen Abed (BRAC) dans les termes suivant : « small is beautiful but big is also necessary ».[2] En ce qui concerne la micro-finance, il est indéniable que (dans le meilleur des cas) elle facilite l’insertion financière des plus pauvres et leur permet de disposer des outils et du capital nécessaires pour améliorer leurs conditions d’existence. Les outils de la micro-finance peuvent transformer la vie des personnes qui ont un accès limité aux ressources financières conventionnelles et leur donner l’opportunité d’épargner tout en investissant dans des activités génératrices de revenus. Toutefois, cet impact n’est pas systématique.

Si la micro-finance peut améliorer les conditions de vie des personnes dans certaines communautés, les transformations qu’elle opère à l’échelle de l’ensemble de la société sont très limitées. Par conséquent, l’Etat dans les pays en développement a encore un rôle majeur à jouer. Aujourd’hui, la tendance est au laisser-faire alors qu’empiriquement, l’histoire des pays industrialisés a démontré l’importance des interventions de l’Etat. Ainsi, la micro-finance ne devrait pas être perçue comme une solution miracle au développement économique d’une nation.

En plus des économies d’échelle, les petites et moyennes entreprises jouent un rôle catalyseur dans le développement économique. Les PME sont importantes et présentent plus d’avantages par rapport aux micro-entreprises des secteurs agricole et industriel. D’une part, les PME ont la capacité d’expansion, d’innovation et de diffusion de la technologie, des facteurs importants soulignés par Schumpeter et Douglas North. D’autre part, les micro-entreprises opèrent toujours sous l’échelle minimale d’efficience et n’ont pas les capacités de se développer dans un environnement compétitif. En fait, les coûts liés à cette différence d’impacts sont encore plus importants lorsque nous intégrons les coûts d’opportunités associés à l’allocation des ressources financières des PME aux micro-entreprises. Par exemple, il a été prouvé que la pauvreté en Amérique Latine, était corrélée au détournement des ressources financières des “entreprises innovantes du secteur formel” au profit des “entreprises informelles”.[3]

Les micro-entreprises ont toutefois un rôle à jouer dans le développement. Les problèmes qu’elles soulèvent ne sont pas suffisants pour les rejeter, bien au contraire. De plus, la crise du secteur de la micro-finance n’implique pas qu’il faille l’abolir mais plutôt la réglementer. Toutefois, cela requiert du réalisme et de la régulation. Il faut pour cela une rupture épistémologique.

Les parties prenantes devraient reconnaître que l’idée originale qui sous-tend la micro-finance, ne fonctionne pas. La micro-finance ne peut être perçue comme un outil (suffisant) pour éradiquer la pauvreté, bien qu'elle soit essentielle pour l’inclusion financière. Ensuite, la réglementation adoptée devrait permettre d’atténuer les défauts et d’optimiser les aspects positifs. La réglementation est nécessaire à deux niveaux : la clientèle et les modalités. En effet, il est crucial de distinguer l’impact suivant les types de clients : notamment les pauvres qui s’inscrivent dans une stratégie de survie (impact minimal) et ceux qui sont relativement plus aisés avec la possibilité d’avoir une perspective à long terme. En plus, il faudrait choisir parmi la multitude et la diversité des services  de la micro-finance le plus prometteur de ses instruments. L’épargne semble être la plus sûre de ces interventions. Pour être stratégique dans l'allocation des ressources rares, les groupes d'épargne semblent être les plus durables.

microfinanceL’expérience de Saving for Change est très instructive à cet effet. [4] Le passage de la dette à l’épargne peut être très prometteur en termes d’impact et d’échelle de déploiement. En effet, les groupes d’épargne offrent non seulement des microcrédits mais créent un environnement favorable à l’épargne avec des règles assez souples permettant de s’ajuster aux besoins. En fait, l’avantage des groupes d’épargne dépasse le simple cadre financier et s’étend au social. Ces structures offrent des incitations et des institutions pour une gestion autonome et transparente des fonds ; offrant ainsi une possibilité effective d’épargner et d’entreprendre. Plus encore, elles apportent aux épargnants un espace d’apprentissage sur la gestion financière. Typiquement, les compétences en gestion financière qu’elles offrent aux épargnants constituent un investissement dont le retour est bien plus que monétaire. Les groupes d’épargne ont aussi mis à disposition de leurs membres des plateformes sociales favorables à la solidarité, au dialogue et à la créativité.

Par ailleurs, un autre avantage précieux des groupes d’épargne vient de leur potentiel de diffusion. Leur reproductibilité et l’autonomie des membres leur permettre de réussir. L’exemple du programme Saving for Change du Mali illustre parfaitement cet avantage. L’efficacité d’un tel modèle est liée au fait que les groupes d’épargne sont construits à partir de structures pré-existentes et sont appropriés et adaptés par les membres. La vision apportée par des praticiens comme Jeffrey Ashe[5] montre combien le problème d’échelle de déploiement peut être résolu grâce à la systématisation, l'autonomie, l'indépendance, la reproductibilité et les faibles coûts de ce modèle.

Somme toute, la micro-finance ne peut éradiquer la pauvreté mais peut certainement y contribuer. Les causes de l’extrême pauvreté ne sont pas toutes d’ordre financier et la solution ne réside pas dans le simple fait d’avoir accès au crédit. La micro-finance offre d’importantes opportunités pour l’inclusion financière tout en assurant une amélioration des conditions pour ceux qui sont en marge des systèmes conventionnels mais qui ont le potentiel de réussir. Ceci étant, la micro-finance ne devrait pas être perçue comme un substitut à l’intervention de l’Etat mais plutôt comme un mécanisme complémentaire aux politiques publiques de développement.

Lamia Bazir


[1] Milford Batman and Ha-joon Chang, Micro Finance and the Illusion of Development: from Hubris to Nemesis in thirty years, 2012.

 

 

 

 

 

[2] Nous avons préféré garder la version originale pour ne pas trahir la pensée de l’auteur.

 

 

 

 

 

[3] Bateman, Milford. 2013. 'La Era de las Microfinanzas: Destruyendo las economías desde bajo' http://www.olafinanciera.unam.mx/new_web/15/index.html

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[4] Jeffrey Ashe, Deep outreach financial inclusion Mass scale, low cost saving and borrowing for those that micro-finance cannot profitably reach, 2013.

 

 

 

 

 

[5] Jeffrey Ashe, “In their own hands money and power for the world's poorest women,” 2010.

 

 

 

 

 

Les petites villes : plus propices à réduire la pauvreté ?

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A l’image du reste du monde, l’Afrique connaît une grande période d’urbanisation. Selon les projections des Nations Unis, plus de la moitié de la population mondiale vivra en ville d’ici 2020. Ce constat soulève de nombreuses réflexions sur les conséquences économiques de l’urbanisation. Certains évoquent l’existence d’un cercle vertueux, alliant emploi et consommation, ainsi que l’envoi de fonds vers les familles restées en zone rurale. D’autres soulèvent le débat concernant l’urbanisation de la pauvreté. L’urbanisation cache cependant des réalités très diverses, particulièrement en Afrique. On y compte de nombreuses villes de petite taille et des métropoles gigantesques comme Le Caire ou Lagos. Depuis les années 1970, la croissance urbaine a surtout été celle des petites villes : plus de la moitié de l’expansion urbaine concernait les villes de moins de 500 000 habitants. Dans les années à venir, les grandes villes devraient enregistrer une croissance plus forte de leur population que dans les villes de petites tailles.

La recherche en économie et géographie des questions de développement s’intéresse depuis peu à la question des villes de petite taille, en regrettant le fait qu’elles aient été longtemps ignorées dans de nombreux travaux. Il s’agit par exemple d’étudier les ressorts de leur croissance, démographique et économique, ou leur autonomie par rapport aux grandes agglomérations. La question est particulièrement soulevée dans le cas de l’Inde, où la définition de la ville est spécifique et parfois restrictive. Aujourd’hui l’attention se porte également sur le continent africain. En particulier, des économistes de la Banque Mondiale ont cherché à comparer les effets de l’urbanisation sur la pauvreté, dans les grandes villes et dans les villes de petite taille. Les différents contextes urbains peuvent avoir une influence sur la réduction de la pauvreté, à travers plusieurs mécanismes contradictoires. Dans les grandes métropoles, on peut s’attendre à des économies d’échelle de plus grande ampleur, et à de grandes externalités positives favorables à l’emploi, par la proximité des transports et des besoins de consommation. Par contre, les petites villes sont plus faciles d’accès pour les ruraux, notamment les plus démunis, et elles  permettent à ces derniers de garder des liens plus forts avec la campagne.

Des chercheurs de la Banque mondiale (Luc Christiaensen et al.) ont réalisé une étude portant sur ce sujet, selon deux perspectives, locale et internationale. Ils ont tout d’abord étudié le cas de la région de Kagera, en Tanzanie, pour laquelle ils disposaient de données très précises, permettant de suivre sur vingt ans les mêmes individus. Ils ont ensuite confronté leurs résultats à une étude à plus grande échelle, comparant des données macro sociales de pays du monde entier. Il ressort de leur travail que les petites villes, si elles sont moins porteuses de croissance économique de manière générale, seraient plus propices à la réduction de la pauvreté. En effet, ils observent en moyenne une augmentation des dépenses de consommation beaucoup plus forte parmi les individus migrant vers les grandes villes, mais les individus se tournant vers les villes de petite taille (ou les secteurs non agricoles des zones rurales) connaissent moins de chômage, et une augmentation tout de même significative de leur consommation.

Ils invoquent plusieurs explications à ce phénomène. Ils soulignent le fait que le taux de chômage est très élevé dans les grandes villes parmi les migrants venant des zones rurales. Les problèmes d’emploi seraient moins criants dans les villes de petite taille. De surcroît, les individus se tournant vers les villes plus petites, ou vers les secteurs non agricoles des zones rurales, gardent davantage de liens avec leur région d’origine. Enfin, ces migrations sectorielles ou sur de plus courtes distances concernent plus d’individus, ce qui peut expliquer l’impact positif qu’ils ont sur la réduction de la pauvreté. De nombreuses études sont à l’œuvre dans ce domaine.

Ces résultats, s’ils nécessitent d’être prolongés par d’autres travaux,  invitent néanmoins à réfléchir sur les bénéfices du processus d’urbanisation en Afrique. Ils invitent également à favoriser le développement d’infrastructures dans les villes de taille moyenne (et zones rurales dans lesquelles un secteur non agricole est en expansion).  Ce développement d’infrastructures ne devrait alors pas se penser par rapport au domaine de l’agriculture, pour laquelle le soutien est toujours nécessaire, mais plutôt comme appui à un nouveau monde urbain porteur d’opportunités.

Clara Champagne

L’Intégration de la main-d’œuvre africaine

une_ncubeNous avons tous vu des reportages consacrés aux travailleurs africains non qualifiés et aux migrants économiques qui cherchent désespérément à se rendre en Europe, à bord de navires surchargés et dangereux, risquant de perdre la vie dans leur quête d’une vie meilleure. Nous avons aussi lu des articles décrivant les importants flux de migrations clandestines (auxquelles participent des commerçants et des professionnels très qualifiés) observés sur le continent africain, dont le coût humain et social est très élevé. Les motifs de ces migrations illégales et massives ne sont pas nouveaux. L’instabilité politique et la détérioration de la situation socio-économique alimentent l’aspiration pressante de nombreux jeunes et travailleurs africains à des revenus plus élevés ou à des conditions de vie décentes, à l’étranger ou même sur un autre continent. Mais l’intégration régionale pourrait-elle constituer une stratégie pour résoudre les problèmes persistants et croissants que posent ces migrations ? Nous pensons en effet qu’une intégration renforcée et des stratégies migratoires régionales cohérentes peuvent contribuer à faciliter la libre circulation de la main-d’œuvre en Afrique et à relever les défis du chômage et de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, surtout parmi les jeunes. 

Les chiffres relatifs aux émigrants africains, qu’ils soient qualifiés ou non, qu’ils migrent sur le continent ou qu’ils quittent l’Afrique pour des pays de l’OCDE, sont saisissants. D’après les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT), en Afrique, les travailleurs migrants représentent près de 3 % de la population adulte. Environ 50 à 80 % des ménages ruraux d’Afrique comptent au moins un membre migrant. En outre, d’après l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la majorité des 15 000 migrants et demandeurs d’asile qui ont gagné les côtes de l’Italie et de Malte en 2012 provenaient de pays d’Afrique. L’OCDE a découvert que 21 des 40 pays les plus concernés par le problème de la « fuite des cerveaux » sont africains. Et bien que seulement 10 % environ des immigrants très instruits vivant dans des pays de l’OCDE soient africains, ce nombre est significatif, car les pays africains comptent relativement peu de citoyens d’un niveau d’instruction élevée (notamment des médecins, des infirmiers, des enseignants, des ingénieurs). De plus, il convient de souligner que ces chiffres relatifs aux migrations ne comprennent pas le nombre croissant de migrants clandestins ou sans-papiers qui franchissent les frontières au sein même de l’Afrique.

Le manque d’opportunités d’emploi décentes, la dégradation des conditions économiques et la très grande instabilité de la situation politique contribuent à l’augmentation des flux migratoires sur le continent africain. Et pourtant, de nombreux pays africains se battent pour renforcer leur croissance économique, stabiliser leur situation politique, ou relever les défis de leur développement. Les efforts d’intégration régionale visent à aider les pays africains à relever quelques-uns des défis économiques et de développement auxquels ils font face (par ex. la petite taille des marchés domestiques, la faiblesse des structures productives, la lenteur des progrès accomplis dans la mise en œuvre des réformes, la lenteur de la croissance économique, ainsi que les conflits de grande envergure et l’instabilité politique) en leur permettant de tirer profit des économies d’échelle, d’une plus vive concurrence, et d’un accroissement des investissements nationaux et étrangers. Toutefois, l’intégration régionale par la libre circulation des capitaux, les échanges commerciaux intra régionaux et les stratégies de développement ne peut réussir si la libre circulation des personnes et de la main-d’œuvre n’est pas assurée.

Depuis leur création, la plupart des communautés économiques régionales (CER) d’Afrique ont fixé des objectifs et promulgué des protocoles visant à faciliter la libre circulation des personnes au-delà des frontières nationales. Des progrès significatifs ont été réalisés par quelques CER, telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). Par exemple, les passeports de la CEDEAO ont remplacé les passeports nationaux, et les citoyens de la Communauté ont le droit d’entrée, de séjour et d’installation dans tous ses États membres. D’autres CER, par contre, comme la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) et le Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe (COMESA), n'ont pas réussi à pleinement mettre en œuvre leurs politiques régionales de migration, certains de leurs membres refusant de supprimer les exigences en matière de visa. En fait, certains États membres ont rechigné à adopter une politique de frontières ouvertes aux citoyens de leur communauté en raison des risques liés au renforcement de la liberté de circulation, comme la traite des êtres humains, le crime organisé et le terrorisme, et à l’augmentation de la main-d’œuvre non qualifiée, qui pourrait avoir un impact négatif sur la sécurité, la stabilité et l’économie du pays hôte. Un autre facteur expliquant les restrictions à la libre circulation des personnes est le coût engendré par la mise en œuvre des politiques migratoires, par ex. le coût élevé de la réforme de la gestion et des protocoles frontaliers, et la perte des revenus générés par les visas et les droits de douane.

Si les pays africains veulent opérer la transformation structurelle et l’intégration régionale, les travailleurs et les talents africains doivent être à même de considérer les opportunités d’emploi et d’envisager le transfert de compétences entre des industries différentes et entre plusieurs pays. La libre circulation de la main-d’œuvre au sein des communautés économiques et entre les groupements régionaux ne favorisera pas seulement la mobilité des personnes dans leur région, mais elle encouragera aussi les échanges commerciaux, la création d’emplois et de nouvelles entreprises. La fuite des cerveaux que connaissent de nombreux pays africains pourrait se transformer en un transfert transfrontalier de talents. Un infirmier ou une infirmière sans emploi au Ghana pourrait gagner sa vie décemment au Libéria tout en contribuant à de meilleurs services de santé dans le pays hôte. Un jeune diplômé d’une école technique en Tunisie pourrait trouver un emploi décent dans l’industrie de la plomberie en Afrique du Sud et contribuer à répondre aux besoins en main-d’œuvre de ce pays. Dans un certain sens, la libre circulation des personnes et de la main-d’œuvre crée également des débouchés pour la jeunesse africaine, qui est aujourd’hui au cœur des initiatives récentes et des débats de politique portant sur l’Afrique.

 

Article initialement publié sur le Blog de Mthuli Ncube, Economiste en Chef de la Banque Africaine de Développement

Le Brésil en Afrique : coopération et affaires

Durant les célébrations du 50ème anniversaire de l'Organisation de 'lUnité Africaine, la présidente brésilienne Dilma Rousseff a annoncé l'annulation par de la dette de douze pays africains, pour un total de 900 millions de dollars. Sans sous-estimer la solidarité "Sud-Sud" et les motifs humanitaires, cette décision est également motivée par des intérêts économiques, environnementaux et politiques communs.


dilma-af490Au Brésil, il est très mal vu d’arriver à une fête les mains vides. Et en tant qu’unique chef d’État non africain présent à la célébration du 50ème anniversaire de l’organisation de l’unité africaine, Dilma Rousseff n’a pas seulement amené à Addis Abeba des paroles amicales mais également un cadeau : l’annulation de la dette de douze pays africains, d’une valeur totale de presque neuf cent millions de dollars.

Cette somme dépasse le total perçu en aide publique au développement par le Brésil, qui devient ainsi donateur tout en restant, officiellement, un pays en développement. Le geste n’est pas seulement philanthropique, car comme l’a expliqué Roussef en conférence de presse, « sans cette annulation je n’arrive pas à entretenir de relations avec eux, tant du point de vue des investissements, du financement des entreprises brésiliennes dans les pays africains que du commerce avec une plus grande valeur ajoutée ». 

Lorsque Lula da Silva a commencé à consacrer une bonne partie de ses efforts diplomatiques et de son temps personnel à entretenir des relations avec les pays du Sud, cette politique a été perçue comme idéologique et peu pragmatique par les milieux d’affaires brésiliens. Mais en dix ans, le commerce entre le Brésil et l’Afrique a quintuplé, passant de 5 milliards de dollars en 2002 à 26 milliards en 2012. Presque la moitié de ces exportations sont des produits manufacturés, une proportion beaucoup plus élevée que pour l’ensemble des exportations brésiliennes, où les produits industriels, d’une plus grande valeur ajoutée que les matières premières agricoles ou minérales, représentent seulement un tiers du total.

Durant ces dix ans, le Brésil a augmenté de dix-sept à trente six le nombre de ses ambassades en Afrique et la banque brésilienne de développement BNDES a commencé à accorder des lignes de crédits, que ce soit pour la construction d’un aéroport au Mozambique ou l’installation de systèmes de paiements électroniques dans les autobus sud-africains. La plus grande partie des crédits se concentre en Angola, où le constructeur brésilien Oderbrecht est devenu le principal employeur du pays. Enfin, lors de la visite de Rousseff, des crédits brésiliens d’un milliard de dollars pour les chemins de fer en Ethiopie, le pays d’accueil de l’Unité Africaine, ont été annoncés.

L’entreprise publique Petrobas et la compagnie minière Vale sont les deux autres grands investisseurs en Afrique, souvent en concurrence avec les entreprises chinoises pour l’exploration et l’exploitation du sous-sol. Derrière ces deux géants, des dizaines d’entreprises brésiliennes de moyenne et petite taille s’établissent sur le continent comme fournisseurs et sous-traitants. La compagnie aérienne brésilienne à bas coûts Gol a annoncé le lancement prochain d’un vol direct entre Sao Paulo et Lagos, la plus grande ville du Nigeria. Ce vol durera environ 2 heures de moins que le trajet direct jusqu’à Miami.

En plus de la proximité géographique, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique Sud, le Brésil et l’Afrique ont une histoire commune qui a récemment commencé à s’écrire, et un sol et un climat semblables. La médecine tropicale développée par l’Institut Osvaldo Cruz donne lieu à des dizaines d’accords de coopération, dont un avec le Mozambique pour produire localement des médicaments génériques contre le VIH. Pour sa part, l’agence brésilienne de recherche agricole Embrapa, travaille sur l’adaptation au Sahel de son expérience dans l’aridité du cerrado (ici préciser en notes « région de savane au Brésil »). Le Brésil coopère plus particulièrement avec le Bénin, le Burkina Faso, le Tchad et le Mali sur l’amélioration du coton et à l’Organisation Mondiale du Commerce, ils font front commun contre les subventions des Etats-Unis à leurs propres producteurs de coton, qui nuisent directement à ces pays ainsi qu’au Brésil.

Dans le domaine de l’énergie renouvelable, que Roussef connaît de près, ayant été ministre de ce secteur durant la présidence de Lula, le Brésil promeut activement ses technologies pour obtenir de l’éthanol à partir de la biomasse, en particulier de canne à sucre. A plusieurs occasions, la présidente brésilienne a comparé l’éthanol à l’énergie solaire, promue par les européens, qu’elle considère comme un « crime contre l’Afrique » parce qu’elle engendrerait une dépendance technologique.

Alors que Roussef trinquait avec ses pairs africains à « nos vastes intérêts communs » et à une coopération Sud-Sud qui « profite aux deux parties », l’ex-président de la Tanzanie Benjamin Mkapa critiquait durement les accords commerciaux que l’Union Européenne est en train de négocier avec l’Afrique. Selon lui, les propositions actuellement sur la table « empêcheront le développement des pays africains, conduiront à la désindustrialisation et empêcheront les tentatives d’ajouter une valeur aux biens exportés, en leur refusant l’accès aux marchés », alors que les produits européens bénéficieront de baisses de prix et d’impôts.

L’Union Européenne demeure la principale source d’aide en Afrique, mais c’est le Brésil et la Chine que les gouvernements africains perçoivent comme des « associés ». A l’inverse, l’image de l’Afrique Subsaharienne dans les pays développés continue d’être celle d’une région misérable, plongée dans la pauvreté absolue. Les diplomates et entrepreneurs brésiliens y voient, eux, des économies qui croissent à un rythme de sept pour cent par an et un continent sur lequel onze pays ont un revenu par habitant supérieur à celui de la Bolivie.

BISSIO Roberto


Cet article a été traduit de l’espagnol vers le français par Aurélie Gasc, traductrice bénévole pour Ritimo. L’article original est en ligne sur le site Red del Tercer Mundo : Brasil en África : cooperación y negocios. Publié initialement sur Ritimo.org et repris ici sous licence Creative Commons.

Revue du « Global Corruption Barometer 2013 »

money_2L’ONG Transparency International vient de publier son « Baromètre Mondial de la Corruption » 2013. Démarré en 2003 et publié de façon bisannuelle depuis 2009, ce baromètre est le résultat de sondages menés à travers le monde. Il documente les expériences individuelles des sondés vis-à-vis de la corruption dans leur pays et recense leurs évaluations du niveau de corruption de différentes institutions nationales. Pour l’édition 2013 du baromètre, 114.000 personnes ont été interrogées à travers 107 pays différents. Les pays Africains profilés dans ce baromètre sont les suivants: Algeria, Burundi, Cameroun, RDC, Egypte, Ethiopie, Ghana, Kenya, Liberia, Libye, Madagascar, Malawi, Maroc, Mozambique, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Afrique du Sud, Sud-Soudan, Soudan, Tanzanie, Tunisie, Ouganda, Zambie et Zimbabwe.

Les perceptions individuelles de la corruption et l’évaluation subjective du niveau de corruption dans un pays sont d’assez délicates approximations du vrai niveau – objectif – de la corruption dans un pays. De nombreuses critiques ont été adressées au baromètre de Transparency International. Elles concernent entre autres :

  • Le risque d’auto-renforcement des « perceptions » de la corruption : l’idée ici étant simplement que la reprise médiatique des résultats du baromètre pourrait influencer la perception subjective de la corruption, renforçant le décallage éventuel entre corruption réelle et corruption perçue.
  •  L’incomplète prise en compte de l’influence des caractéristiques individuelles (âge, emploi, sexe, situation familiale, etc.) dans la perception de la pauvreté, alors même qu’elles peuvent avoir un impact décisif.
  • L’insuffisante différenciation entre les influences variables des Institutions : la corruption au sein des plus hautes sphères de la fonction publique a-t-elle la même importance que celle au sein des agents subalternes ou intermédiaires ? Est-elle « perçue » de la même façon ? Est-elle « percevable » de la même façon.
  • Enfin, l’influence excessive de ces comparaisons internationales, malgré leurs limites, sur les décisions des bailleurs de fonds et l’impact négatif que de tels classements pourraient avoir sur les allocations des ressources de la part des organisations internationales et au sein des différentes administrations publiques. La création d’organismes ou de ministères en charge de la « lutte contre la corruption » n’est nullement une garantie de la réelle volonté de mettre fin aux pratiques de corruption.

Une autre source de critiques concerne l’influence réelle de la corruption sur le développement. Une partie non-négligeable de la littérature économique – suivant l’article séminal de Nathaniel Leff en 1964, replaçant la corruption bureaucratique comme un « ingrédient » du développement économique, permettant d’éviter des règles trop encombrantes ou inefficientes – a cherché à mesurer l’influence réelle et le rôle de la corruption dans la croissance économique. Les synthèses les plus récentes pointent vers un rôle globalement négatif de la corruption sur, entre autres :

  • Le niveau d’investissement public et sa productivité [Mauro 1995 ; 1996 ; Tanzi & Davoodi, 1997]
  • Et sur le niveau global de la croissance économique, via l’investissement comme supposé plus haut ou plus directement.

Enfin, une autre lignée de critiques insiste sur la différence entre « corruption » et « capture de rente », et leurs influences sur la croissance et le niveau des institutions.

Il convient donc d’avoir ces réserves en tête à la lecture du rapport de Transparency International. Cela n’empêche pas, néanmoins de noter quelques chiffres marquants :

  • 45% des personnes interrogées en Afrique jugent les Organisations Non-gouvernementales corrompues ou extrêmement corrompues. Les extrême étant le Soudan et le Sud-Soudan (79% et 62% des personnes interrogées) et le Rwanda et le Burundi (8% et 1% respectivement)
  • 94% des Nigérians interrogés jugent les partis politiques du pays corrompus ou extrêmement corrompus.
  • Pour 85% des Congolais
  • 2% des Africains interrogés jugent les agents de l’Etat corrompus ou très corrompus. En RDC ce chiffre atteint 85%
  • 27% des Africains jugent leurs institutions religieuses corrompues.

Corruption

Quelques soient les limites éventuelles du rapport de Transparency international, ces chiffres restent inquiétants.

Raphaël Set-Salei

Les inégalités sanitaires dans les villes d’Afrique subsaharienne

L'urbanisation de l'Afrique est présentée, de plus en plus souvent, comme une exceptionnelle source d'opportunités et de croissance pour l'Afrique. Cet article propose d'aller au delà du concert de louanges et met en évidence certains aspects de cette urbanisation, insuffisamment pris en compte : son impact sur la santé et les inégalités sanitaires.


Taux-d-urbanisation-par-pays-et-villes-de-plus-de-100-000-habitants-en-1995_large_carteL’Afrique subsaharienne a connu, au cours des cinquante dernières années, une croissance exponentielle de sa population urbaine. Passée de 19 millions d’urbains en 1950, elle atteint 300 millions en 2010 et devrait être de 600 millions en 2030. Si les projections actuelles se réalisent, en 2050, un africain sur deux (soit un milliard deux-cent millions d’Africains) vivra en zone urbaine. En termes relatifs, la part de la population vivant en zone urbaine, en Afrique subsaharienne est passée de près de 10% en 1950 à 37% en 2010 (UN-Habitat, 2010). Un aspect important de cette croissance urbaine tient à ses déterminants et à leur évolution au cours du temps . Jusque dans les années 70, les deux tiers de cette croissance urbaine provenaient de déplacements de population des villes vers les campagnes. Durant les dernières décennies en revanche, son principal ressort a été endogène, lié à la croissance démographique des populations urbaines. Ainsi, il est difficile de séparer dynamiques urbaines et dynamiques démographiques,  de façon générale et dans le cadre particulier de l’Afrique subsaharienne. Aussi, l’évolution démographique est liée aux tendances de mortalité et de natalité, et reflète l’amélioration des conditions sanitaires et épidémiologiques d’une société donnée.

Plus encore, le lien entre urbanisation et santé peut être plus direct, et lié à la complexité des dynamiques urbaines. L’urbanisation peut impliquer autant la concentration des populations que la densification des milieux de vie. Elle entraine une modification des rythmes et des styles de vie, des structures familiales et des régimes alimentaires. Elle induit une transformation de l’habitat, une différenciation des occupations professionnelles et des risques qui y sont liés, des altérations de l’environnement et un accès différencié aux infrastructures publiques, notamment sanitaires. Une multitude d’influences qui une à une autant que collectivement, peuvent avoir une influence sur les profils sanitaires et épidémiologiques des sociétés subissant ces transformations. Pourtant, comme le rappelle l'expert Gérard Salem: « parmi les multiples aspects déconcertants de la croissance urbaine des pays du tiers-monde, les aspects sanitaires sont parmi les plus originaux et les moins connus. »

Une simple analyse descriptive permet de noter les évolutions similaires des taux d’urbanisation et de certains indicateurs de santé, en Afrique subsaharienne. Qu’il s’agisse du taux de mortalité infantile ou de l’espérance de vie, on constate une corrélation assez forte de ces indicateurs avec celui du taux d’urbanisation dans les principales régions d’Afrique subsaharienne.

Figure 1 : Urbanisation et Mortalité infantile en Afrique subsaharienne 1950-2010 (Données de la Banque Mondiale)

Urbanisation et mortalité infantile

Figure 2 : Urbanisation et Espérance de vie à la naissance 1950-2010 (Données de la Banque Mondiale)

urbanisation et mrotalité infantile

 

Pourtant, derrière la notion relativement simple « d’urbanisation de l’Afrique » se cachent de profondes disparités, dans le temps et dans l’espace. La définition de l’urbanisation en Afrique (fondée sur la densité de population) reste variable selon les pays : l’organisation onusienne UN-Habitat situe la limite inférieure à 2000 habitants, tandis qu’une « ville » au Nigéria compte au moins 20.000 habitants, 5000 au Ghana, etc. Elle ne prend pas en compte le type d’urbanisation ayant eu lieu : densification des zones urbaines, agglomération des zones péri-urbaines, transformation des zones rurales en villes par conglomération administrative. Mais surtout, elle occulte les disparités existant au sein même des villes, et l’existence de « villes dans la ville ». Or ces disparités en termes d’habitat, de statut professionnel, de revenus et d’accès aux infrastructures ont d’importants effets sur le profil de santé des urbains.

Ainsi, l'un des aspects les plus importants de l’évolution des profils sanitaires dans les villes africaines est la coexistence de pathologies supposément « réservées aux pays riches » telles que l’hypertension et le diabète, et de « pathologies classiques de pauvreté ». Cela renvoie à l’aspect « prolongé » de la transition épidémiologique formulée par Smallman-Raynor et Phillips (1999). Dans une étude sur l’évolution dans le temps des principales causes de décès dans la ville d’Accra (capitale du Ghana), depuis les années 1950, Agyei-Mensah et Atkins (2010) montrent la persistance des maladies infectieuses et parasitaires.

Causes de décès en Afrique

Premières des causes de décès en 1953, elles représentaient encore 15,7% de celles-ci en 2001. Sur la même période, les maladies cardiovasculaires, responsables de moins de décès que les troubles nutritionnels en 1966 étaient la cause d’à peu près un décès sur trois au début de la dernière décennie. Aussi, les troubles respiratoires, l’une des trois principales causes de mortalité avant l’indépendance du Ghana (1957), sont toujours, cinquante après, la troisième cause de mortalité dans la principale ville de ce pays.

hopital_principal_lgDe fait, l’urbanisation de l’Afrique a occasionné une « épidémiologie nouvelle », liée à certaines caractéristiques intrinsèques du milieu urbain : hétérogène, dense et ouvert par définition. Si les citadins se trouvent en meilleur santé que les habitants des zones rurales, il existe des écarts significatifs de santé au sein des villes, et certains citadins se retrouvent, paradoxalement, dans une plus mauvaise santé que les ruraux. Les épisodes palustres sont par exemple moins fréquents en zone urbaine, mais la concentration des populations, et l’écosystème dans lequel certains des habitats urbains sont construits peuvent intensifier l’exposition de certaines populations urbaines aux vecteurs de cette maladie.

Dans leur étude sur les enjeux sanitaires des villes en Afrique, Salem et Fournet (2003) confirment l’impact des disparités interurbaines. Ils remarquent l’impact des différences d’habitat au sein même des zones urbaines, directement liées à l’ancienneté de l’urbanisation, donc aux flux migratoires entre les campagnes et la ville (les populations récemment arrivées, s’installant souvent en zone péri-urbaine).

Il est indéniable que l’offre de soins de santé « modernes » est plus fournie en ville qu’à la campagne. Ce phénomène n’est nullement circonscrit à l’Afrique subsaharienne (cf. « déserts médicaux » en France). Pourtant, cette offre de soins, dans cette zone, est souvent « virtuelle » : tous les citadins, ne bénéficient pas du même accès aux soins. Les raisons de ces inégalités sont multiples : pécuniaires, liées  la faiblesse de la couverture sociale, conséquences de l’absence de « relations » au sein des services publics en charge de la fourniture de soin de santé ou simplement par inconscience de la gravité des troubles et maladies.

Tout ceci contribue à faire de l'urbanisation de l'Afrique subsaharienne, un peu plus qu'un sujet de réjouissance et une source de prospérité future. Elle est aussi grosse d'un renforcement des inégalités et de troubles sanitaires d'une nature fluctuante et indéterminée : l'urbanisation de l'Afrique est aussi un problème de développement.

 

Raphaël Set-Salei

Raphaël est étudiant en économie à l'Université Paris IX-Dauphine. Cet article est adapté de l'introduction à une plus longue étude sur les dynamiques urbaines et sanitaires en Afrique.


Bibliographie

Aikins, A. D. G. (2010). Epidemiological transition and the double burden of disease in Accra, Ghana. Journal of Urban Health87(5), 879-897.

ONU-Habitat (2012) « État des villes dans le monde 2010-2011 : réduire la fracture urbaine »   http://www.unhabitat.org/documents/SOWC10/FR/R7.pdf

Oucho, J. & L. Oucho, (2010), « Migration, Urbanisation and Health Challenges in sub-Saharan Africa”, Working Paper, Academia.edu, November http://academia.edu/1495926/Migration_Urbanisation_and_Health_Challenges_in_sub-Saharan_Africa

Salem, G., & Fournet, F. (2003). Villes africaines et santé: repères et enjeux.Bulletin de la Société de pathologie exotique96(3), 145-148.

Smallman-Raynor, M., & Phillips, D. (1999). Late stages of epidemiological transition: health status in the developed world. Health & Place5(3), 209-222.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5 défis économiques qui attendent l’Egypte post-Morsi

egypte_eco_uneA l’heure où certains débattent sur la nature de la transition qu’a connu l’Egypte la semaine dernière (un coup d’Etat ? une seconde révolution ?), la situation économique de l’Egypte continue de se dégrader. Le premier ministre du gouvernement de transition, Hazem el Beblawi, économiste de son état, devra entre autres redresser l’économie égyptienne. Analyse des cinq défis qui l’attendent.

 

Le prêt FMI se fait encore attendre

Cela fait deux ans que les autorités égyptiennes déclarent qu’elles n’ont jamais été aussi proches d’un accord, et l’on pourrait croire que le staff du Fonds Monétaire International a pris un abonnement Washington-Le Caire.  Mais telle l’arlésienne, le prêt (4,8 milliards de dollars) n’a toujours pas été formalisé : le FMI demandait un plan de réformes structurelles, au coût social élevé, que le président Morsi n’a pas eu le courage de mener. En avril 2013, le principal interlocuteur du FMI, le vice-ministre des Finances Hany Kadry Dimian a démissionné, ce qui a eu un impact négatif sur la conduite des discussions avec Washington. Les récentes déclarations du porte-parole du FMI, Gerry Rice, ont fait état de l’embarras du FMI, qui même s’il affirme être en contact avec les hauts fonctionnaires du Ministère des Finances égyptien, semble avoir adopté une position attentiste. Il convient de rappeler que le prêt FMI est déterminant pour stabiliser l’économie égyptienne, car de nombreux bailleurs de fonds, notamment l’Union Européenne, ont fait de son obtention une condition pour attribuer leur soutien financier.

Les réserves de blé sont au plus bas

L’Egypte est le premier importateur de blé au niveau mondial, avec 83 millions de bouches à nourrir. Avec 10 millions de tonnes de blé importées chaque année, le pays subventionne encore largement le pain, vendu quelques centimes d’euros le kilo. Ce pain subventionné est essentiel pour la survie de la plupart des familles égyptiennes, une pénurie en 2008 avait d’ailleurs provoqué des émeutes de la faim au Caire. La situation actuelle est critique, l’Egypte ne disposant plus que de 500 000 tonnes de blé importé et ne s’est plus approvisionnée sur les marchés internationaux depuis février dernier. Le gouvernement égyptien avait alors affirmé que le pays s’appuierait davantage sur ses récoltes, alors que la production intérieure est insuffisante et affectée par les pénuries d’essence qui diminuent les rendements des récoltes. La FAO a d’ores et déjà lancé une alerte concernant l’impact de la baisse des réserves de devise sur les stocks de blé du pays.

L’Egypte vit la plus grave crise énergétique de son histoire

Les coupures d’électricité et les pénuries d’essence au Caire et en province sont un des facteurs du mécontentement de la population égyptienne vis-à-vis de Mohamed Morsi. Contrairement à ce qu’annoncent certains journaux, ces deux phénomènes n’ont pas soudainement disparu depuis la mise en place du gouvernement de transition. Les coupures d’électricité sont la conséquence de centrales électriques anciennes et mal entretenues et surtout d’une consommation nationale en constante augmentation. Le fait que l’électricité soit lourdement subventionnée, pour les particuliers comme pour les industriels, ne fait qu’aggraver le problème. Quant à l’essence, la déconnection de son prix vente final vis-à-vis des cours mondiaux a progressivement aggravé le déficit public, et la récente suppression des subventions sur l’octane 95 n’a pas réglé le problème, les consommateurs ayant alors privilégié l’octane 80, ou le diesel. Rappelons que 40% du budget de l’état égyptien est dédié aux différentes subventions.

Les investissements étrangers se sont évaporés et les touristes ont disparu

Les deux principales sources de devises étrangères, à savoir les recettes tirées des investissements directs étrangers (IDE) et du tourisme se sont taries. Avant la révolution de 2011, les IDE s’élevaient en moyenne à 6.5 milliards de dollars. Au deuxième trimestre 2012, ils ont atteint 0.3 milliards de dollars, conséquence de la prudence des investisseurs de l’Union Européenne et du Golfe. Le secteur du tourisme, d’habitude résilient, traverse une crise sans précédent : le nombre de touristes en 2012 était en baisse de 25% par rapport à 2010, dans un pays où le secteur contribue à hauteur de 25% des devises, et emploie 12% de la population active. L’instabilité politique des deux dernières années (manifestations au Caire et insécurité dans le Sinaï) ainsi que des déclarations maladroites sur la volonté de promouvoir un « tourisme islamique » ont fait disparaître l’Egypte des catalogues de voyage européens.

La livre égyptienne s’est effondrée

La diminution des devises étrangères a eu comme impact immédiat une dévaluation lente et progressive de la livre égyptienne, qui a perdu 15% de sa valeur depuis l’arrivée de Morsi au pouvoir fin juin 2011. Le glissement de la livre a entraîné une forte inflation, notamment sur l’alimentation, qui a grevé le budget des ménages égyptiens et fortement amputé leur pouvoir d’achat. La pénurie de devises se fait sentir au quotidien : difficile pour les détenteurs de comptes en dollars dans des banques égyptiennes d’accéder à leurs économies, et les entreprises égyptiennes peinent à trouver des banques en mesure de leur ouvrir des lettres de crédit pour financer leurs importations.

Un an après l’élection de Morsi, le constat est sans appel : l’économie égyptienne est au plus mal, malgré les perfusions en dollars et en gaz qataries. Le grand projet de Morsi, pompeusement appelé « projet Renaissance » a échoué, et laisse l’Egypte dépendante de l’aide internationale, qui tarde à venir. Le gouvernement de transition de Hazem el Beblawi devra inévitablement  prendre les mesures sociales que le gouvernement précédent a sans cesse repoussées, au risque de fragiliser sa légitimité déjà contestée.

Yasmine Rigaud

Comment le Gabon compte devenir un pays Emergent ?

« L’Afrique a besoin d’une transformation structurelle et non d’un ajustement structurel. » Le mot d’ordre, lancé en mars 2013 par Carlos Lopes, président de la Commission Economique pour l’Afrique des Nations Unies, résume l’orientation des politiques économiques prise par l’Afrique au tournant de la décennie 2010. L’heure est à la planification stratégique pour la transformation des structures de production des économies africaines. Plusieurs pays africains ont déjà formalisé leur stratégie et se sont lancés dans leur mise en œuvre : le Kenya, le Rwanda, le Maroc, l’Afrique du Sud ou le Gabon par exemple. 

Gabon émergentL'arrivée au pouvoir en septembre 2009 d'Ali Bongo au Gabon a été accompagnée d'un discours politique tournant quasi exclusivement autour de la notion d' « Emergence ». Politiquement, le principe derrière ce discours est de promettre aux gabonais de créer plus de richesses, plus d’opportunités d’emplois, mieux diversifiées, créant plus de prospérité partagée. Mais au-delà du slogan publicitaire, qu’en est-il des fondements théoriques de la notion d’ « Emergence » ?

L’économiste et statisticien sénégalais Moubarack Lô a synthétisé dans une étude une réponse à cette question. Il y explique que la schématisation binaire entre d’un côté des économies développées et de l’autre des économies sous-développées (ou en voie de développement) est insatisfaisante, puisque cette dernière catégorie couvre un spectre d’économies ayant des niveaux très diversifiés de maturité et de dynamisme (la Malaisie avec le Zimbabwe). Le concept d’Emergence permet de distinguer au sein du groupe des pays en voie de développement ceux qui se situent en phase de décollage, en écho à la théorie de Walt Whitman Rostow pour qui l’évolution des sociétés suit un modèle en cinq étapes : la société traditionnelle ; les conditions préalables du décollage ; le décollage ; la phase de maturité ; la consommation de masse.

Concrètement, ce décollage se caractérise, selon M. Lô, par « l’amélioration des performances des facteurs de production, la densification et la modernisation du réseau d’infrastructure, le développement des institutions et le changement des attitudes et des valeurs par un mouvement haussier de l’ensemble du système social ». Ces caractéristiques permettent aux pays concernés d’échapper à la trappe à pauvreté (dynamique de divergence) pour s’inscrire résolument dans une dynamique de convergence avec les pays riches et puissants.

Ce sont donc ces caractéristiques dont le pouvoir en place souhaite doter le Gabon. A ce jour, l'économie gabonaise a une Production Intérieure Brute estimée de 19,8 milliards de $ (chiffres 2012), pour une population de seulement 1,5 million d'habitants. Ces données sont à comparer avec celles du Cameroun, du Congo Brazzaville, de la Guinée Equatoriale, du Tchad et de la Centrafrique, ses voisins membres de la CEMAC, qu’illustre le schéma ci-dessous.

CEMACRelativement à ses proches voisins, la situation du Gabon n'est donc pas dramatique, en termes absolus comme relatifs. Si l'on compare le Gabon avec d'autres pays ayant une population comprise entre 1 et 2 millions d'habitants, la situation est la suivante :

OilLa particularité du Gabon ne réside pas tant dans la faiblesse de son PIB que dans sa composition peu diversifiée et son inégale répartition : malgré les apparences d'un PIB par habitant de 7370 USD, relativement élevé en Afrique, dans les faits, un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, 30% des jeunes de moins de 30 ans sont au chômage dans un pays où le coût de la vie est bien supérieur à la moyenne africaine. La prépondérance du secteur pétrolier dans l'économie (en 2011, 49% du PIB, 55% des recettes de l'Etat et 83% des exportations) a deux conséquences majeures : le moteur économique du pays est très intensif en capitaux (étrangers pour la plupart) mais peu en main d’œuvre locale ; les revenus de l'Etat fluctuent d'une année à l'autre suivant les cours internationaux du baril de brent. De ce fait, l'économie gabonaise est très dépendante du marché international et peu inclusive, à ce jour.

Si l'on compare le Gabon à Bahreïn, on s'aperçoit que le développement des services financiers (30% du PIB) dans l'émirat pétrolier offre plus de possibilités d'insertion sur le marché du travail à ses habitants. Mais surtout, Bahreïn est un minuscule territoire désertique de 665 km² quand le Gabon a une superficie de 267 000 km², couverte de forêts, de terres agricoles riches et bien arrosées, avec un sous-sol riche de manganèse ou de fer. Le potentiel de l'économie gabonaise est donc bien supérieur. Pourtant, à ce jour, le Gabon n’exploite pas ses ressources naturelles de manière productive et durable. La fonction publique reste le principal fournisseur d’emplois du pays, et le taux de fonctionnaire/habitant est l’un des plus élevés du continent africain (4% de la population, contre environ 2% en moyenne). 

C'est sur la base de ce constat que les nouvelles autorités gabonaises se sont fixé comme objectif de placer le Gabon sur la rampe de lancement de l' « Emergence ». En juillet 2012, un document préparé par le cabinet de conseil Performances Group et avalisé par les autorités gabonaises est venu fixer la stratégie devant conduire le Gabon à ce statut de l'émergence en 2025. Que dit ce Plan Stratégique Gabon Emergent ?

Le plan stratégique se décline selon un modèle pyramidale échelonnant trois étapes devant conduire à l’Emergence :

  1. Le renforcement des facteurs de productivité, surnommés les « fondations de l’émergence » (gouvernance, capital humain, infrastructures, développement durable).
  2. Le développement productif dans les trois grands secteurs d’activités (primaire, secondaire, tertiaire), considérés dans le document comme les trois « piliers » du Gabon Emergent : le pilier du Gabon vert (construire une filière industrielle autour du bois, augmenter la productivité agricole, augmenter la productivité et créer une filière industrielle autour de la pêche), celui du Gabon industriel (relancer la production pétrolière et minières, et augmenter les revenus des hydrocarbures et des industries connexes ; ) et enfin le pilier du Gabon des services
  3. La répartition équitable de la richesse constitue la pointe de la pyramide. Elle se décline en cinq leviers visant à une prospérité mieux partagée : la mise en place de services de santé de qualité pour tous ; la garantie de l’accès universel à l’eau potable et aux services d’assainissement ; la facilitation de l’accès à un logement décent pour tous ; la promotion de l’emploi ; enfin la valorisation du patrimoine culturel et le développement de l’accès aux services culturels de la population.

Ces différentes strates de la "pyramide de l’Emergence" ont été pensées comme différents blocs de réformes cohérents et complémentaires, qu’il s’agit de mettre en œuvre simultanément, afin d’enclencher une dynamique de rétroactions positives, les résultats de chacun de ces blocs venant renforcer ceux des autres.

Le Plan Stratégique pour le Gabon Emergent pose un cadre général définissant des objectifs à atteindre, mais également un certain nombre de moyens d’y arriver. Une centaine de propositions concrètes sont avancées dans le document. Parmi les plus emblématiques, qui ont d’ailleurs déjà été réalisées : l’interdiction d’exporter des grumes (troncs d’arbre) pour obliger à une transformation sur place, promouvoir l’industrie du bois dans le pays et le hisser dans la chaîne de valeur du commerce international de produits boisés ; créer une société nationale pétrolière (Gabon Oil Company), pour mieux maîtriser la valeur ajoutée créée dans le secteur pétrolier ; créer deux grandes zones franches (Nkok et Ile de Mandji) qui ont déjà attiré plusieurs milliards de dollars d’investissements dans des installations industrielles.

L’enjeu est désormais de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés (Gouvernement, investisseurs locaux et internationaux, représentants des salariés, société civile) pour que tous contribuent à leur échelle à la réussite de cette stratégie. C’est l’objectif du forum de l’industrie qui s’est tenu du 26 au 28 avril 2013 à Libreville, et qui s’est conclu par la signature conjointe du pacte de l’industrie par ces différents protagonistes.

Il est encore trop tôt pour juger de la réussite ou non du plan stratégique gabonais devant conduire le pays à l’Emergence.  On pourra lui reconnaître déjà le mérite d’avoir identifié un certain nombre de blocages à la croissance (sous-productivité agricole, quasi inexistence du tissu industriel de transformation des ressources naturelles du pays, ressources humaines pas suffisamment qualifiées et adaptées aux besoins nationaux, problèmes de gouvernance et pesanteurs administratives, entre autres), et de s’être proposé d’y remédier. Les années à venir nous apprendront comment le Gabon aura réussi ou non à mobiliser les ressources humaines, financières et techniques nécessaire pour enclencher la dynamique d’Emergence.


Article paru initiallement dans le n°243 (9-15 mai 2013) de l'Hebdomadaire "Les Afriques".