Comment expliquer la persistance des inégalités entre les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud ?

Plus de vingt ans après la fin de l’Apartheid et l’élection de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud demeure marquée par les stigmates de la ségrégation et des discriminations raciales.  La deuxième économie d’Afrique en termes de PIB (1) est aujourd’hui également « la société la plus inégalitaire du monde » selon l’expression de l’économiste sud-africain Haroon Bhorat, et présente un coefficient de Gini de 0,69 (2).

Dès 1994 des politiques volontaristes visant à réduire les inégalités ont été mises en place et l’Afrique du Sud a enregistré un taux de croissance permettant de faire reculer la pauvreté (3). Toutefois, les fruits de la croissance n’ont pas permis de modifier la structure des revenus et de réduire les inégalités entre noirs et blancs.

Si l’analyse économique des inégalités retient rarement le critère ethnique comme variable d’étude il convient compte-tenu de l’histoire de l’Afrique du Sud et de son passé ségrégationniste, d’évaluer la faiblesse des capabilités (4) dont dispose la population noire de ce pays pour rendre compte des discriminations structurelles qu’elle continue à subir de nos jours.

 

  1. Vingt ans après la fin de l’apartheid, les inégalités demeurent et menacent le développement économique du pays

 

  1. Inégalité de salaire, de patrimoine et de capital humain

Un rapport publié en 2015 par l’Institut national des statistiques sud-africain (5) rendait compte de l’inquiétante persistance des inégalités de revenu en Afrique du Sud. En effet, ce document révèle qu’avec en moyenne 6444 dollars par an les foyers noirs disposent toutes choses égales par ailleurs, d’un revenu moyen cinq fois inférieur à celui des foyers blancs qui plafonne à 30 800 dollars annuel.

Par ailleurs ces inégalités salariales sont amplifiées par les inégalités de patrimoines. En effet l’accès à la propriété foncière a longtemps été interdit aux populations noires reléguées en périphérie du Cap et de Johannesburg les ghettos lors de l’Apartheid.

Enfin, le système scolaire sud-africain est extrêmement polarisé. L’enseignement public et gratuit de ce pays compte parmi les plus défaillants du monde. Une enquête menée par le Boston Consulting Group montrait ainsi en 2015 que la majorité des enseignants ne disposaient pas du niveau requis en mathématique (6) ! Or les enfants issus des familles les moins aisées sont les principaux élèves des écoles publiques. Ils ne bénéficient donc pas d’une éducation de qualité comparable à celle dispensée dans les écoles privées plus coûteuses. Dès lors d’après la théorie du « signal » élaborée par Spence, pour un même nombre d’années d’études un lycéen ayant effectué toute sa scolarité dans un établissement sud-africain public et un lycéen ayant exclusivement fréquenté un établissement privé n’enverront pas le même signal à un potentiel employeur.

 

  1. Les tensions ethniques et sociales freinent le développement économique

 

Minée par les inégalités, l’Afrique du Sud est régulièrement en proie à des crises sociales majeures. En août 2012 les grèves parties de la mine de platine de Marikana ont causé la mort de trente-quatre  manifestants et se sont propagées vers d’autres secteurs industriels tels que l’or, le minerai de fer, le charbon et le chrome. Les pertes engendrées par ces échauffourées ont été estimées à plus d’un milliard de dollars tandis que le taux de croissance de l’économie sud-africaine a diminué de 0,9% lors du deuxième trimestre de l’année 2013. (7)

Outre ces affrontements marxistes et traditionnels liés au rapport de force à l’œuvre entre les détenteurs des moyens de production et les travailleurs, on observe également une augmentation des risques liés au sous-emploi. En 1993 C. Juhn révélait dans une étude l’existence d’une corrélation entre l’inégalité des salaires aux Etats-Unis et la recrudescence de la délinquance. En effet, à partir des années 1970, les populations noires américaines ont connu une massive sortie de la population active qui est allée de paire avec une nette augmentation de la population carcérale. Dans le cas sud-africain, le sous-emploi des travailleurs noirs les moins qualifiés a notamment été causé par les rigidités sur le marché de l’emploi (8).

Les structures syndicales héritées de l’apartheid sont restées très prégnantes et ont continué à influer sur le marché du travail sud-africain. Ainsi, l’instauration d’un salaire minimum trop élevé s’est faite au détriment des travailleurs les moins qualifiés qui n’ont pas pu profiter de la croissance économique et se sont massivement tournés vers les activités illégales ou informelles. Dans une enquête publiée en 2013 et intitulée “Job destruction in the South African clothing industry: How an unholy alliance of organised labour, the state and some firms is undermining labour-intensive growth”, Nicoli Nattrass et Jeremy Seekings témoignent des effets néfastes de l’action syndicale sur l’emploi dans les secteurs à faible intensité capitalistique comme l’industrie textile.

 

  1. De la redistribution à l’amélioration des « capabilités »

 

  1. Les tentatives de solution

Depuis la fin de l’apartheid, le gouvernement sud-africain n’a eu de cesse de développer des programmes de subvention et de redistribution fiscale. Toutefois ces solutions agissent en aval sur les conséquences de l’inégalité en capital humain mais ne permettent pas en amont d’accroître les capabilités des populations les plus démunies.

Pour l’heure le gouvernement sud-africain a préféré les solutions visant à corriger les effets des inégalités plutôt que d’engager des réformes touchant aux causes structurelles et historiques de ces inégalités.

 

  1. Recommandations : lutte contre les discriminations, politique de formation et mixité urbaine

La lutte contre les discriminations sur le marché du travail doit faire l’objet d’une politique publique afin de réduire les inégalités. Dans une enquête sur les inégalités économiques aux Etats-Unis, Phelps et Arrow analysent les discriminations en vigueur contre les noirs dans les années 1970. Les deux économistes ont ainsi montré que du fait des préjugés raciaux ancrés lors de l’époque ségrégationniste,  les employeurs anticipent que certains groupes ont objectivement moins de chances que les autres d’être productifs. Les anticipations des employeurs et les comportements engendrés par ces anticipations peuvent conduire à une persistance des inégalités de capital humain. En transposant cette analyse à l’Afrique du Sud post-ségrégationniste on comprend dès lors que la réduction des inégalités passera par une lutte active contre les discriminations à l’embauche notamment grâce à des campagnes de sensibilisation, à l’instauration de missions de testing, et à la prise de sanctions exemplaires contre les employeurs se rendant coupables de discrimination.

 

Par ailleurs, une politique de formation volontariste permettra d’unifier le système scolaire sud-africain et de le rendre plus égalitaire. La théorie du signal de Spence, affirme que les employeurs attendent des informations précises sur la qualité du diplôme et non pas seulement sur le nombre d’années d’étude. Dès lors l’octroi de subvention aux écoles publiques et une meilleure formation des personnels enseignant dans ces établissements permettra de réduire significativement les écarts en termes de capital humain et d’accès au marché de l’emploi.

 

Une refonte de l’enseignement public ne saurait se passer d’une politique urbaine audacieuse. En effet, le rapport Coleman publié en 1966 par l’administration américaine faisait état d’un échec des politiques publiques visant à augmenter les moyens des écoles des quartiers défavorisés, ainsi que d’une insertion médiocre sur le marché du travail. Plusieurs commentateurs du rapport ont rappelé que les résultats médiocres ne sont pas seulement imputables au fait que le milieu social détermine la réussite scolaire mais aussi à la composition des classes (peu d’émulation entre les élèves…). Le quartier d’habitation influe sur la réussite scolaire. Les externalités locales, au niveau micro-économique de la salle de classe, ont un effet global sur la dynamique des inégalités. Dans ces conditions, l’instauration d’une carte scolaire apparaît comme une solution pour favoriser la mixité sociale et ethnique tout en réglant le problème de la ségrégation urbaine qui sévit toujours en Afrique du Sud et est un vestige du régime de l’apartheid.

 

Daphnée Setondji

Sources

  1. http://afrique.lepoint.fr/economie/ou-va-l-afrique-du-sud-19-08-2014-1857787_2258.php
  2.  Haroon Bhorat, Fighting poverty: Labour markets and inequality in South Africa, 2001.
  3. http://www.rfi.fr/afrique/20170128-afrique-sud-inegalites-salaires-statitstiques-blancs-noirs-foyers-pauvres
  4.  Eric Monnet, La théorie des « capabilités » d’Amartya Sen face au problème du relativisme
  5. http://www.latribune.fr/economie/international/l-afrique-du-sud-champion-des-inegalites-de-revenus-478113.html
  6. http://www.agenceecofin.com/gestion-publique/2605-29246-lafrique-du-sud-occupe-le-2eme-rang-mondial-dans-le-domaine-des-inegalites-de-revenus
  7. http://www.slate.fr/story/80853/retombees-apartheid
  8. C. Juhn “Wage Inequality and the Rise in Returns to Skill”, 1993

OMD1 : Quel bilan pour l’Afrique Sub Saharienne ?

Afrique_rueDans le souci de mettre en place un véritable partenariat pour le développement mondial, 189 pays ont Adopté lors du sommet du millénaire des Nations Unies en Septembre 2000 ce qu’il était convenu d’appeler « Objectifs du Millénaire pour le Développement ». Réduire l’extrême pauvreté et la faim, avec en ligne de fond la logique selon laquelle « Tout être humain où qu’il soit aspire à de meilleures conditions de vie et y a droit », constitue le premier défi de ces temps.

Définie comme « la résultante de processus économique, politique et sociaux qui interagissent entre eux dans un sens qui exacerbe l’état d’indigence des populations pauvres » (BM, 2000, 1), la notion de la pauvreté interpelle d’avantage la responsabilité des sociétés ; tant pour créer les opportunités, réduire les inégalités et les discriminations (dans une approche socialiste) que pour doter les individus des moyens nécessaires à la satisfaction de leurs besoins fondamentaux (approche libérale). Ainsi, l’action concertée des Nations Unies s’agissant de la réduction de l’extrême pauvreté se déclinait ainsi en trois points essentiels:

  • Réduire de moitié entre 1990 et 2015 la proportion de la population dont le revenu est inférieur à 1$
  • Assurer le plein emploi et la possibilité pour chacun y compris les femmes et les jeunes de trouver un travail décent et productif
  • Réduire de moitié entre 1990 et 2015 la population de pauvre qui souffre de la faim

A ce jour, plusieurs rapports ont été dressés avec plus ou moins des perspectives favorables.  Toutefois, si l’intuition du 2ème bilan sur l’état d’avancement des OMD de Septembre 2010 affirmait sans ambages que tous les objectifs seront réalisés d’ici 2015, l’instabilité socio économique dont est tributaire le monde depuis quelques années peut inquiéter à plus d’un titre. Ce d’autant plus que ces aléas peuvent avoir de graves incidences sur les populations vulnérables, ralentir le rythme de réduction de la pauvreté et accentuer sa persistance notamment en Afrique Sub Saharienne qui en est la région la plus exposée.

La dernière décennie a été marquée par des progrès économiques impressionnants en ASS. Grâce à l’amélioration des perspectives dans un grand nombre de pays de la région, dont la plupart des pays exportateurs de pétrole et plusieurs pays à faible revenu et États fragiles, la  zone connait une croissance rapide et soutenue. L’activité économique de la région continue de s’appuyer sur des investissements de grande ampleur dans les infrastructures et le secteur minier ; ce qui lui vaut, selon les données du FMI, une croissance de 5,26% en moyenne au cours des trois dernières années. Théoriquement, la croissance serait positivement corrélée à la réduction de la pauvreté qu’elle favorise même s’il est reconnu que son effet reste marginal.

Cette croissance économique clairement anti-pauvre a-t-elle favorisée la réalisation de l’OMD1 ?

Cette question sera analysée sous le prisme des trois cibles subsidiaires qui lui sont associées.

1. Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour

Paradoxalement, l’ASS reste l’une des zones les plus pauvres du monde malgré l’étendue de ses ressources. Selon les données du PIB par tête du FMI en 2015, parmi les 25 pays les plus pauvres du monde, 22 se situent en ASS et, elle concentre désormais 49,4% des pauvres du monde.

Néanmoins, comme dans toutes les régions du monde, la part de la population concernée par la pauvreté en ASS a baissé au cours des trois dernières décennies. Si à l’échelle mondiale, le nombre de pauvres a baissé de façon marquée[1], en ASS par contre, il recule plus timidement. Mesuré au seuil de 1,25$/jour, la pauvreté en ASS s’établit à 43% en 2013. Une avancée tout de même par rapport aux 56,8% de 1990 ou aux 57% de pauvres enregistré en 1999. Ainsi, sur la période 1990-2013, elle a été réduite de 13,8% et de 4,5% entre 2008, année de la crise financière et 2013.

Cette évolution a été soutenue par l’amélioration des indicateurs sociaux faisant référence au développement. Bien que les Indices de Développement Humain des pays d’ASS restent les plus faibles du monde (inférieurs à 0,5), en valeur l’IDH de la zone a évolué de 0,115 (0,093) passant de 0,387 à 0,502 entre 1990 (2013 et de 0,405 à 0,502 entre 2000 et 2013). Selon les données de la Banque mondiale et du PNUD, l’espérance de vie aussi s’est améliorée dans la zone au cours des 15 dernières années passant de 50 à 57 ans.

2. Assurer le plein-emploi et la possibilité pour chacun, y compris les femmes et les jeunes, de trouver un travail décent et productif

L’ASS est la région du monde ou le plus d’efforts a été consentis pour améliorer le PIB par habitant. Mais, bien que la croissance de l’Afrique ait été relativement forte, elle a été insuffisamment rapide ou inclusive pour créer des opportunités d’emplois décents par rapport à la taille de  population du continent. Les taux de chômage les plus élevés en 2013 ont été observés en Afrique ; 21,6 % en Afrique australe, 13,2 % en l’Afrique du Nord, 8,5 % en Afrique centrale, l’Afrique de l’Est (7,9 %), et 6 % en Afrique de l’Ouest qui a connu les taux de chômage les plus faibles. Bien plus, les disparités de genre demeurent persistantes. En effet, le chômage des jeunes et des femmes reste supérieur à celui des hommes, toutes régions confondues.

3. Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim

Pressenti comme l’objectif le plus accessible aux pays africains, La proportion de la population exposée à la faim diminue lentement, mais les catastrophes et les conflits persistants freinent la progression vers la sécurité alimentaire.

Depuis 1990 des progrès ont été accomplis au niveau de la réduction de la faim dans le monde, mais 805 millions d’êtres humains souffraient toujours de sous-alimentation chronique à la fin de l’année 2014.

En ASS, La prévalence de la malnutrition aussi a évolué, de 28% en 2000 pour 23% en 2011. Le nombre de personnes exposé à la faim et à la malnutrition est tombé de 33% entre 1990 et 1992 à25% entre 2011 et 2013. Malgré cette amélioration de 8% par rapport aux chiffres de 1990-1992, L’ASS demeure la région du monde affichant le plus fort déficit alimentaire.

Ces évolutions sont complétées par la nouvelle actualité sur la question qui de part les nouvelles estimations et prévisions qu’elle autorise permet d’étendre les analyses jusqu’à l’année 2015, date butoir des OMD.

En effet, à quelques jours du bilan des OMD, la Banque Mondiale relève le seuil de pauvreté[2] de 1,25% à 1,90%. Le nouveau seuil représente le seuil moyen de pauvreté des 10 à 20 pays les plus pauvres du monde. Selon Jim Yong Kim c’est une décision nécessaire compte tenu de l’évolution de l’inflation, des prix des matières premières et des taux de change entre 2005 et 2011.

A ce nouveau seuil, les taux de pauvreté continuent de fléchir. Selon les prévisions de la Banque mondiale  le nombre de personne vivant dans l’extrême pauvreté passerait de 902 millions (12,8%) en 2012 à 702 millions (9,6%) en 2015. Le pourcentage d’africains au Sud du Sahara vivant en dessous du seuil de pauvreté en 2015 serait de 35,2%. Soit une réduction significative de 17,5% par rapport à l’année 2012.

Toutes ces statistiques et dynamiques traduisent le fait que les populations au cours des deux dernières ont bénéficié de meilleurs soins et d’un suivi meilleur. Les efforts déployés par la communauté internationale et les stratégies nationales de réduction de la pauvreté ont permis à ce jour de réaliser les efforts significatifs en ASS.

Toutefois, en dépit de la baisse de ses taux de pauvreté, l’ASS est la seule région du monde où le nombre de pauvres a augmenté de façon régulière et prononcée. Elle est d’ailleurs passée devant l’Asie qui abritait en 1990 la moitié des pauvres de la planète. Pour ce qu’il en est, la zone est passée de 284 millions de pauvres en 1990 à 388 millions en 2012. Soit 144 millions de pauvres en plus en 22 ans. En 2012, le nombre de personnes extrêmement pauvres représente donc près de 1,4 fois ce qu’il était en 1990.

En réalité, la pauvreté en ASS se perpétue par le biais de l’organisation sociale en lien avec les politiques pro-pauvres, du boom démographique qui a un impact négatif sur le développement économique et contribue durablement à la faire augmenter ; et par les crises sociaux politiques, alimentaire, énergétique le chômage, l’insécurité transfrontalière, les épidémies, les catastrophes naturelles, les migrations clandestines etc. qui continuent de peser sur la région. A cause de cela, plusieurs pays d’ASS (Madagascar, Nigéria, RDC, Zimbabwe, Kenya, Burundi) n’ont pu véritablement améliorer la qualité de vie des populations[3] entretenant ainsi le cercle vicieux[4] de la pauvreté.

Bien plus, les indicateurs agrégés de croissance, les statistiques sur la pauvreté et le développement humain masquent les écarts et les inégalités persistantes entre pays et même entre régions d’un même pays. La pauvreté peut reculer (pauvreté absolue) alors que l’écart entre le niveau de vie des plus pauvres et la classe moyenne s’accroit (pauvreté relative). Selon le rapport « Perspectives Economiques Régionales » du FMI  (2015), l’ASS reste la région où les inégalités de revenu sont les  plus accentuées bien que son indice de Gini[5] ait baissées d’environ 5% depuis 1990. Le Rapport sur le Développement de l’Afrique de la BAD atteste qu’en 2012, sur les 10 pays les plus inégalitaires du monde, 6 se trouvaient en ASS. A titre illustratif, le total du PIB par habitant des 10 pays les plus riches d’ASS représente 25,2 fois celui des 10 pays les plus pauvres. Les écarts de revenu mesurés par l’indice de Gini en 2012 oscillent entre 30% en Ethiopie et 68% aux Seychelles (BAfD,  2012) avec 46% en moyenne régionale.

A coté de ces inégalités de revenu, on note également la prédominance des inégalités en termes d’opportunités (Assiga, 2010) – aussi bien sur les plans foncier et financier ; qu'en ce qui concerne l’accès aux services sociaux essentiels et au marché de l’emploi – qui affectent la réalisation du potentiel humain et la productivité. 

L’Afrique demeure la région du monde la plus touchée par la crise de l’emploi. Sur les 75 millions de jeunes au chômage que comptait le monde en 2013, 38 millions vivait en Afrique. L’inégalité est fondamentalement considérée comme une injustice sociale. Elle engendre les problèmes sociaux et l’instabilité[6]. Elle accentue donc la pauvreté et, il serait incohérent de prétendre réduire la pauvreté sans résoudre parallèlement ou en amont le problème des inégalités. Si la croissance économique en permettant d’améliorer même marginalement la qualité de vie des populations est indispensable pour réduire la pauvreté, elle n’a pas réduit de façon significative les inégalités.

Réduire de moitié l’extrême pauvreté en ASS entre 1990 et 2015 engageait la région à passer de 56,8% de pauvres en 1990 à environ 29% à l’horizon 2015. Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, le nombre de pauvres à certes baissé mais l’objectif est loin d’être atteint. La pauvreté en ASS correspond à 35% de la population en 2015 ; soit une baisse effective de 21,8% seulement par rapport à l’année 1990.

En définitive, la dernière décennie a ainsi été marquée par les progrès considérables et par l’amélioration des indicateurs de bien être en ASS. L’engagement historique pris par les dirigeants du monde en 2000 a permis de réduire le taux de pauvreté dans la région même si en termes absolu, le nombre de pauvres augmente. Ainsi, l’Afrique Sub Saharienne compte encore plus du tiers des pauvres du monde. Cette dynamique de la pauvreté traduit donc en réalité une augmentation mais à un rythme moins prononcé que celui de l’évolution de la population.

La croissance économique forte nécessaire pour réduire la pauvreté n’a pas été suffisante pour que l’OMD1 soit réalisé. D’ailleurs, le poids des inégalités socioéconomiques et les discriminations soutenu par celui de la pression démographique continuent de peser lourd sur le développement humain de la région. Somme toutes, le défi de la réduction de pauvreté reste d’actualité. Ce d’autant plus qu’aux réalités sociales que subit la zone, s’ajoutent les risques liés au réchauffement climatique qui peuvent nuire aux récoltes, réduire les revenus des populations rurales, contraindre d’avantage la sécurité alimentaire et donc aggraver la pauvreté. 

On peut donc admettre avec Makhtar Diop, Vice Président du Groupe BM pour l’Afrique, que  « Le coût humain de la pauvreté est bien trop élevé en Afrique ». Les personnes pauvres n’ayant pas les moyens de sortir de la pauvreté, il convient d’accroître leur productivité en investissant d’avantage dans leur éducation et leur santé et en assainissant leurs milieux de vie. Parallèlement, il est tout aussi impératif de promouvoir l’intégration ou l’inclusion sociale et l’équité, base d’une croissance nécessairement pro-pauvre ; de réduire les vulnérabilités, de favoriser une meilleure redistribution des ressources et des richesses selon les critères relevant du contrat social ou de la constitution (Weber, 1997 cite par Assiga, 2010); et enfin, intégrer les aspects climatiques dans les actions menées en faveur du développement. Une autre porte de sortie de la pauvreté est l’emploi ; la création d’emplois décents étant primordiale pour mettre fin à la pauvreté et promouvoir une prospérité partagée de manière durable. Telle sont les responsabilités des autorités dont l’engagement est tout aussi déterminant dans la réduction de la pauvreté. C’est dans cette optique que le nouvel agenda post 2015 invite les dirigeants à redoubler d’effort pour atteindre les nouveaux objectifs de développement durable et éliminer la pauvreté extrême  à l’horizon 2030.

Claude Aline ZOBO et Ivan MEBODO

Référence :

ASSIGA E. Modeste (2010) : « Croissance Économique et Réduction de la Pauvreté au Cameroun » , Édition Harmattan. 

BAD (2012) : « Les principaux facteurs de la performance économique de l’Afrique », Rapport sur le développement en Afrique – Vers une croissance verte en Afrique.

FMI (2015) : « Afrique Sub Saharienne pour une croissance durable et plus solidaire », Etudes Economiques et Financières, Perspectives Economiques Régionales.

PNUD (2014) : « Pérenniser le Développement Humain : Réduire les Vulnérabilités et renforcer la résilience », Rapport sur le Développement Humain. 

Rapport des Nations Unies (2014) : « Objectifs du Millénaire pour le Développement ».


[1]Passant de 2 milliards en 1990 à 902 millions en 2012. Les prévisions de la Banque Mondiale anticipent que le monde ne comptera plus que 702 millions de pauvres en 2015.

[2] Niveau de revenu en deçà duquel un individu est considéré comme pauvre. Ce seuil est fixé depuis les travaux de Benjamin Seebohm Rowntree en 1901 en fonction d’un panier de biens alimentaires et non alimentaires nécessaire à la survie quotidienne.

 

 

[3]A titre illustratif, on note la prévalence des meurtres et des tueries en RDC, l’accroissement de la pauvreté de près de 50% au Zimbabwe, la mortalité infantile qui croit de 105 à 108 pour 1000 au Kenya.

 

 

[4]La faiblesse des revenus oblige à se loger à bas prix dans les quartiers ayant une mauvaise réputation, où il y a peu de travail et une éducation dégradée, une criminalité élevée et une prévention médicale moins active.

[5] Mesure statistique de la dispersion d’une distribution de revenu au sein d’une population.

[6]Selon une enquête de la Banque mondiale, environ 40% de ceux qui rejoignent les mouvements terroristes seraient motivés par le manque d’emploi.

 

 

Pourquoi la RDC doit mieux faire

La 10ème édition de la Conférence Economique Africaine s'est déroulée à Kinshasa du 2 au 4 novembre 2015 en République Démocratique du Congo (RDC). C'est à cette occasion que Son Excellence Monsieur le Premier Ministre Augustin Matata Ponyo a présenté l'économie de la RDC dont les performances interpellent notre sagacité. Le fait le plus spectaculaire de sa description est l'évolution du PIB par habitant de la RDC, une mesure du niveau de vie moyen, de 1990 à 2014. Le graphique, reproduit ci-dessous, montre un effondrement drastique du niveau de vie de la population congolaise entre 1990 et 2001, avec un revenu par habitant divisé par deux, partant d'un niveau exceptionnellement bas.

i

De l'avis du premier ministre, cet effondrement s'explique par la guerre civile qu'à connu le pays pendant cette période. Mais depuis la fin de la guerre, avec l'arrivée au pouvoir du président Joseph Kabila, le niveau de vie a rebondi pour retrouver en 2014 presque son niveau du début de la guerre. Ce rebondissement s'est accompagné d'une réduction de 15 points de pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Il s'agit là d'un progrès saisissant que le premier ministre explique par un leadership fort du chef de l'Etat et une bonne gouvernance. Il résume cette explication dans une équation, seule conclusion de sa présentation :

RP   = LF + BG

Cette équation relie la réduction de la pauvreté (RP) à un leadership politique fort (LF) et à une bonne gouvernance (BG). On peut dénoncer une posture politique et ignorer tout simplement cette équation, mais à tort car elle possède deux qualités. D’une part, elle émane d'un responsable politique ayant été au cœur de l'exécutif congolais pendant et après la guerre civile, ce qui lui confère un fondement tiré de l'expérience.[1] Dès lors, la contribution du leadership du chef de l'Etat à la réduction de la pauvreté mériterait d'être mieux prise en compte par les analystes du développement. D’autre part, cette équation a l'avantage d'être ancrée dans la théorie économique du développement car la bonne gouvernance représente la composante institutionnelle des modèles de Solow augmentés.[2] Cependant, la principale question qui se pose est de savoir si les performances économiques récentes de la RDC sont effectivement dues au Leadership Fort du chef de l'Etat et à la Bonne Gouvernance.

Les performances économiques de la RDC sous une perspective historique et régionale

Lorsqu'on considère le niveau de vie de la RDC sous une perspective historique, on s'aperçoit très vite que ce pays vient, non pas de loin mais, de très haut. Comme le montre le graphique ci-dessous, le niveau de vie après les indépendances était d'environ quatre fois supérieur au niveau actuel, et comparable à celui de la Malaisie et de la Corée du Sud. Il évoluait à un rythme annuel de 1% en dépit de l'instabilité politique ayant caractérisée la période post-indépendance. Cette tendance a malheureusement fléchi suite au choc pétrolier de 1974. La chute du niveau de vie s'est aggravée avec la mise en place des programmes d'ajustement structurel, combinée aux turbulences politiques du fait de la gouvernance par feu Mobutu. C'est dans cet état de déclin qu'éclate la guerre civile congolaise. Chacun de ces épisodes a contribué à dégrader le niveau de vie des congolais, plongeant la majorité de la population dans le dénuement total, avec plus de 9 congolais sur 10 qui vivaient en dessous du seuil de pauvreté extrême, fin 2004.

ii

Avant la guerre civile, les deux épisodes de baisse du niveau de vie des congolais résultent à la fois d'une mauvaise gouvernance politique et économique du pays : d’une part, le système de parti unique avec les dérives liberticides qui s'en suivent et d’autre part, le recours excessif à l’impression de billets de banques pour financer les dépenses excessives du régime politique.[3] Les performances économiques depuis 2001 ont, pour l’instant, permis de retrouver le niveau de vie atteint juste avant la guerre civile, bien en dessous de celui qui aurait été atteint si la tendance post-indépendance s’était poursuivie, soit 4 fois le niveau de vie actuel.

Par ailleurs, en comparant les performances économiques de la RDC à celles du reste de l'Afrique Subsaharienne, il ressort que le niveau de vie dans ce pays suit la même tendance (à la hausse) que celle du reste de la région, cependant de façon moins prononcée. L’augmentation du niveau de vie depuis 2001 n’est donc en aucun cas une spécificité congolaise. Par conséquent, l'explication des performances économiques de la RDC accompagnée d’une réduction de la pauvreté se trouve moins dans le leadership du chef de l'Etat ou dans la bonne gouvernance.[4] Les performances économiques soutenues du pays proviennent plutôt de la hausse des cours des matières premières depuis 2001, comme le montre le graphique ci-dessous : les cours du pétrole et du cuivre, deux principaux produits d'exportation de la RDC, ont été respectivement multipliés par quatre et trois sur cette période.[5]

iii

Le plus important n'est pas tant la justesse de l'explication du premier ministre, mais plutôt les conséquences d'un prochain effondrement des cours des matières premières comme cela s'observe depuis fin 2014.[6] Si cette tendance se poursuivait, alors l'histoire de la RDC risquerait de se répéter. Il faudra donc miser sur une amélioration rapide et effective de la bonne gouvernance et du leadership des responsables publiques pour que l'équation de S.E.M Matata Ponyo devienne opérationnelle, car avec ses ressources naturelles et humaines la RDC peut et doit mieux faire.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Voir le parcours du premier ministre sur sa page Wikipédia.

[2] Le modèle de Solow de base exprime le revenu par tête comme une fonction des investissements dans l'appareil productif et du capital humain. Dans sa forme augmentée, il intègre une composante multiplicative caractérisant la qualité des institutions.

[3] Au sujet du seigneuriage, voir Nachega (2005). « Fiscal Dominance and Inflation in DRC », IMF Working Paper, WP 05/221.

[4] Il suffit d'ailleurs de se référer à l'indice Mo Ibrahim de gouvernance de la RDC. Le pays occupe en 2015 le 48ème rang sur les 54 pays, dans un statu quo depuis 2000.http://www.moibrahimfoundation.org/iiag/data-portal/

[5] La pauvreté peut avoir effectivement baissé en raison du regain de l’activité économique, réelle, mais peu durable.

[6] Voir l’abaissement des perspectives de croissance économique de la RDC par le FMI entre Avril et Octobre 2015.

La redevabilité des acteurs, une priorité pour une lutte efficace et durable contre la malnutrition.

arton15640En 2000 s’est tenu un rassemblement historique des chefs d’État et de gouvernement au siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York. A l’issue de cette rencontre cent quatre-vingt-neuf (189) pays ont adopté la déclaration du millénaire, dans laquelle les huit (8) objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ont été annoncés. Quinze (15) ans plus tard, le résultat de l’objectif huit (8) concernant « le partenariat mondial pour le développement » indique que « L’aide publique au développement des pays développés a augmenté de 66 % en valeur réelle entre 2000 et 2014 ». En mettant en parallèle celui-là avec le résultat du premier objectif des OMD qui avait pour but de réduire l’extrême pauvreté et la faim montrant que « la proportion des personnes sous-alimentées dans les pays en développement a diminué de près de moitié depuis 1990. »,  il devient pertinent de s’interroger sur ce que ces avancements impliquent dans une dimension plus ciblée à savoir la lutte contre la malnutrition en Afrique Subsaharienne. 

Malgré les a priori sur le sujet, la malnutrition n’est pas liée simplement à des apports d’aliments en excès ou insuffisants ; elle est principalement causée par une absence de nutriments essentiels affaiblissants les défenses du sujet contre les maladies courantes tout en pesant sur sa croissance. En Afrique , même si l’on constate une augmentation de la visibilité des cas d’obésités  et de surpoids -qui sont un autre type de malnutrition- accompagnés par des cas de maladies liées à l’alimentation et à la nutrition comme les maladies cardiovasculaires, les diabètes etc.,  le type de malnutrition le plus connu par l’inconscient collectif, et attribué au continent africain, est celui lié aux carences qui touche généralement les enfants de moins de cinq (5) ans , dont les deux (2) principales formes sont définies ci-dessous :

  • la malnutrition chronique ou retard de croissance est le résultat d’une alimentation et/ou d’une hygiène inadéquate, de l’insuffisance des soins sur une longue période. Le retard de croissance est un indicateur de la pauvreté et de la vulnérabilité. Ses conséquences se mesurent sur le long terme.
  • la malnutrition aigüe résultant d’un apport énergétique insuffisante, des pratiques d’allaitement et d’alimentation inadéquate et des maladies récurrents. Ses conséquences sont immédiates et peuvent conduire à des risques de mortalité.

Le nombre de personnes touchées par la malnutrition est assez conséquent tant au niveau planétaire qu’au niveau du continent africain, d’où l’importance d’élaborer des stratégies de réponses harmonieuses, cohérentes et rationnelles nécessitant d’important flux financiers et de compétences diverses faisant appel aux Etats, aux bailleurs, aux agences onusiennes, à la société civile, au secteur privé et au secteur académique. Cela peut être expliqué par différents facteurs et en particulier par les multiples engagements pris par les acteurs de la nutrition présents en Afrique subsaharienne. En guise d’exemple on peut citer le cas du Burkina Faso qui, bien que les derniers événements socio-politiques aient ralenti l’avancement de sa feuille de route, est en cours d’élaborer son Plan Stratégique Multisectoriel. Ceci explique sans nul doute le fait que le gouvernement burkinabé a érigé au rang de priorité nationale : la lutte contre le retard de croissance, en signant le pacte mondial de nutrition pour la croissance économique et sociale.

Cette note introductive rend compte de l’importance des investissements pour soutenir les pays en voies de développement  dans leur lutte contre la pauvreté et les problématiques de santé publique à l’image de la malnutrition. Pour faire face à cette problématique de santé publique frappant de plein fouet le continent, des investissements sont attribués à l’ensemble des interventions destinées à lutter contre.

Ceux-ci sont généralement attribués à deux grands types d’intervention : d’une part les interventions directes ou spécifiques, autrement dit celles qui s’adressent aux déterminants immédiats de la nutrition et du développement fœtal et infantile (Ruel et al, 2013). D’autre part les interventions indirectes, c’est-à-dire celles qui attaquent les déterminants sous-jacents de la nutrition et du développement fœtal et infantile – sécurité alimentaire, pratiques de soins adéquats au niveau maternel, familial et communautaire, accès à des services de santé et à un environnement sain et hygiénique- en intégrant des objectifs et actions spécifique à la nutrition (Ruel et al, 2013) communément appelés interventions « sensibles ». Si ces deux premiers types d’interventions catalysent une grande partie des investissements de la nutrition, nous pouvons noter tout de même l’existence d’investissements destinés à un troisième type d’intervention pour faire face à la malnutrition: la construction d’un environnement favorable. Ce dernier type d’intervention renvoie à des évaluations rigoureuses, à des stratégies de plaidoyer adaptés et efficaces, à la coordination des actions à tous les niveaux, à un engagement de redevabilité, à la régulation des motivations et de la législation, à un développement des capacités d’investissements et à la mobilisation des ressources intérieures.

Ces faits montrent de part et d’autre l’importance de la lutte contre la malnutrition et des investissements mobilisés par les différents secteurs. Par contre si l’on tient compte du suivi des investissements réalisé dans les financements des activités de santé à travers les Comptes Nationaux de la Santé, des investissements publics pour les infrastructures, des audits auprès des entreprises privées et publiques etc., il devient tout à fait légitime de s’interroger sur le suivi des investissements en nutrition dans les pays en développement. Qui finance la nutrition dans ces pays, principalement en Afrique subsaharienne ? Quelles sont les interventions les plus financées ? Ces interventions ont-elles des impacts positifs ? Peut-on mesurer le coût-efficacité des interventions de la nutrition ? 

Pour répondre à ces différentes questions, une méthodologie ne concernant que les investissements publics  a été proposée par le mouvement Scaling Up Nutrition (SUN) «fondé sur le principe du droit à l’alimentation et une bonne nutrition à tous » regroupant les six secteurs (évoqués en haut) pour renforcer la nutrition. La méthodologie proposée consiste à :

  • identifier les  allocations budgétaires pertinentes pour la nutrition via une recherche par mot-clé ;
  • évaluer clairement les allocations budgétaires spécifiques et sensibles à la nutrition;
  • attribuer des ratios aux spécifiques (100 %), tel qu’un programme national de nutrition; et une allocation raisonnable pour les programmes contribuant à la nutrition (e.x 25 %), tels que les programmes de protection sociale et les programmes de développement de la petite enfance.

L’atelier SUN tenu dans la capitale ivoirienne du 27 au 29 avril 2015 avec la présence de quatorze (14) pays dont sept (7) pays – Benin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Cote d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Madagascar- ont réalisé et présenté l’analyse des budgets de la nutrition. Les résultats de l’analyse soulignent la quasi-absence d’interventions spécifiques à la nutrition pour le Cameroun ainsi qu’une grande partie des sept (7) pays, comme en témoigne la remarque d’un représentant de la société civile camerounaise : « il n’y a presque pas de budget pour les interventions spécifiques à la nutrition » concluant qu’ils vont se servir des résultats de l’atelier pour attirer l’attention du gouvernement afin qu’il soit pris en compte dans le prochain plan budgétaire.  Cet exercice  a permis également aux pays présents à l’atelier de connaître les secteurs qui contribuent à la nutrition et où trouver les allocations de la nutrition. 

Dans le même sens des ateliers SUN sur les investissements en nutrition on peut citer la rencontre des pays anglophones d’Afrique en Ouganda du 21 au 22 avril 2015 avec la participation de l’Ouganda, du Kenya, du Lesotho, de la Gambie, du Ghana, du Soudan du Sud et de la Zambie. Les faits saillants de l’atelier recommandèrent d’intégrer les allocations de la nutrition dans les différents secteurs du gouvernement zambien et la multisectorialité de la nutrition a refait surface ainsi que la nécessité d’adapter le jargon de la nutrition afin de la rendre accessible.

En sommes ce que l’on peut dire à l’issu des ateliers SUN sur le suivi des investissements en nutrition est que « disposer de données fiables est essentiel pour permettre aux décideurs de procéder à la définition des priorités, à la planification et à la prise de décisions éclairées sur l’allocation des ressources pour la nutrition dans les budgets nationaux. C’est à ce point que les gouvernements opèrent des choix fondamentaux de dépense pour améliorer la nutrition, lesquels choix peuvent jeter les bases pour l’avenir de la nation ». En d’autre terme la redevabilité des acteurs des différents secteurs de la nutrition est primordiale pour la mise en place des Plans Nationaux de Nutrition. L’engagement des acteurs d’être comptable de la nutrition permettrait non seulement aux pays de disposer de données concernant les allocations et les dépenses pour la nutrition, mieux cet engagement serait aussi un baromètre pour mesurer le coût-efficacité des interventions. De plus si les données sont renseignées de manière transparente l’outil peut servir de comparaison entre les pays ayant suivi les investissements en nutrition, ce qui serait un moyen pour mesurer l’efficacité ou non des interventions financées dans différents pays et différents contextes.

Le Guatemala a compris cela en élaborant son propre système de suivi des investissements en nutrition. Il a mis en place un système de surveillance des investissements en faveur de la nutrition, dans l’optique de déterminer l’adéquation des ressources par rapport aux investissements. Depuis la mise en place de ce système le pays a maintenant à sa disposition (Bulux J. et al., 2014) :

  • un budget de sécurité alimentaire et nutritionnelle ventilé par Institution, Programmes et Activités ;
  • des responsabilités claires, avec des fonctionnaires désignés responsables des différentes étapes du système de mise en place ;
  • un outil simple de mise en œuvre, facilitant la compréhension des dépenses publiques à différents niveaux ;
  • une bonne coordination entre les institutions.

En dehors de cet exemple, l’Afrique subsaharienne pourrait disposer de son propre système de suivi des investissements en tenant compte par exemple aux amendements du dernier rapport d’Unicef sur le suivi des investissements en nutrition au Burkina Faso entre 2011 et 2014.  Ces amendements peuvent être améliorés en cherchant du côté des travaux réalisés par le mouvement SUN, même si sa méthodologie mérite d’être affiner, du côté des récents travaux académiques sur le sujet et du côté du SPRING qui envisage de continuer à suivre les investissements de la nutrition pour l’Ouganda et le Népal.

Cette démarche responsable, de qualité et d’engagement à la transparence, base d’un « contrat moral » à la redevabilité serait un premier pas pour « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable » comme souhaité par le deuxième objectif, des Objectifs du Développement Durable (ODD) qui sont une nouvelle série d’objectifs, cibles et indicateurs rentrés en vigueur cette année pour une durée de quinze (15) ans sur lesquels les États membres de l’ONU devraient baser leur programmes et politiques.

Ibrahima-Ndary GUEYE

Références :

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : http://www.un.org/fr/millenniumgoals/reports/2015/pdf/MDG%202015%20pressreleasemessage_fr.pdf

Malnutrition MSF : http://www.msf.fr/activites/malnutrition

Malnutrition FAO: http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/eufao-fsi4dm/doc-training/bk_1b.pdf

Mouvement SUN : http://scalingupnutrition.org/fr/ressources/suivi-financier-et-mobilisation-des-ressources/analyse-de-budget

Global SUN Gathering 2015 https://www.youtube.com/watch?v=MHp2B0NmjLs

Atelier SUN Ouganda: http://scalingupnutrition.org/fr/news/les-pays-sun-dafrique-demontrent-le-bien-fonde-de-linvestissement-pour-la-nutrition-a-travers-lanalyse-de-budget#.VkuJBvkve01

Atelier SUN Abidjan: http://www.euractiv.fr/sections/aide-au-developpement/les-odd-cest-quoi-315654

Les Objectifs du Développement Durable (ODD) : http://www.euractiv.fr/sections/aide-au-developpement/les-odd-cest-quoi-315654

Picanyol C., Financial Resource Tracking for Nutrition: Current State of the Art and Recommendations for Moving Forward, Global Nutrition Report, disponible sur: http://globalnutritionreport.org/files/2014/11/gnr14_pn4g_11picanyol.pdf

The Lancet, Maternal and child Nutrition, Executif summary of the Lancet Maternel and children nutrition series, 2013. Disponible sur http://thousanddays.org/wp-content/uploads/2013/06/Nutrition_exec_summ_final.pdf

Bulux J. et al ., Suivi des crédits financiers en faveur de la nutrition : l’expérience du Guatemala. Nutrition Mondiale, Rapport 2014 disponible sur : http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/gnr14fr.pdf

Afrique : le continent des pauvres ?

bm pauvreteDans un communiqué récent, la Banque Mondiale annonçait que le nombre de pauvres dans le monde aurait diminué de 3,2 points de pourcentage entre 2012 et 2015 pour s’établir à 702 millions de personnes, soit un peu moins de 10% de la population mondiale, et qu’à cette allure l’extrême pauvreté pourrait être éradiquée d’ici 2030. Cette donnée est d’autant plus impressionnante que le seuil a été révisé à la hausse, passant de 1,25 USD par jour à 1,90 USD.

Avant toute chose, il faut préciser qu’en termes réelles, ce seuil n’a point changé. La méthodologie utilisée par les analystes de la BM conserve le pouvoir d’achat réel et l’actualise au prix de 2011. En d’autres termes, il est considéré que la quantité de biens et services qu’une personne peut s’offrir n’a pas changé mais que ce sont les prix qui ont évolué. Ce nouveau seuil ne traduit donc qu’une augmentation de prix plutôt qu’une variation (à la hausse des capacités réelles) et c’est tant mieux. Les résultats des estimations effectuées par la Banque ne seraient donc pas liés à la méthodologie.

En ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, le taux de pauvreté est passé de de 56% en 1990 à 35% en 2015. Une donnée qui tend à prouver que les pays africains luttent effectivement contre la pauvreté. Or sur les 702 millions de personnes concernés, 346 millions seraient d’Afrique subsahariennes contre 285 millions en 1990.

Le 35% annoncé comme taux de pauvreté en Afrique subsaharienne serait donc lié à un effet de base ; la population africaine ayant fortement cru sur la période passant de 523 millions en 1990 à près d’un milliard en 2015. Comparé à d’autres régions du monde (notamment ceux affichant un niveau de pauvreté similaire à celui du continent en 1990), le constat est que de façon absolue, la croissance de la population africaine s’est accompagné d’une augmentation de la population des pauvres mais à un rythme moins prononcée de sorte qu’il paraît négligeable. En effet, en Asie du sud ou en Asie de l’Est-Pacifique, le nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté est passé de 583 millions et 1 milliard en 1990 respectivement à 225 millions et 84 millions en 2015.

Bien sûr la situation est très hétéroclite suivant les pays. Certains ayant subi plusieurs années de crises socio-politiques qui ont inhibé la mise en œuvre de toutes politiques susceptibles d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres. En outre, les données discutées ici ne sont que des estimations et pourraient être révisées à la  hausse ou à la baisse quand seront disponibles des données plus précises. Au-delà de ces considérations méthodologiques, ces données traduisent un certain échec des différents programmes (y compris OMD), des initiatives privées (d’ONG) visant à réduire la pauvreté. Un contexte africain pourrait-il expliquer cette situation, d’autant plus que les mêmes programmes exécutés ailleurs dans le monde semblent aboutir à des résultats satisfaisants ?

Une tentative de réponse avait été fournie dans un article précédent en insistant sur la conception de ces programmes qui se focalisent davantage sur la croissance, occultent les canaux de transmission et ne sont pas parfois adaptées aux réalités locales. La corruption (qui se traduit par des détournements de fonds) et les tensions socio-politiques sont autant de facteurs qui obèrent l’efficacité des programmes de développement. Le manque de planification autonome du développement constitue, par ailleurs, un facteur entravant. Plusieurs pays du continent subissent l’évolution de leur population, sans pouvoir y apporter une réponse adéquate. A titre d’exemple, le manque de politique d’urbanisation se traduit par une concentration des ruraux (qui se sont déplacés vers les centres urbains) dans des zones non adaptées pour l’habitation. A termes, ces personnes font face à des problèmes récurrents d’inondation, qui à leur tour induisent des problèmes d’assainissement, retardent les rentrées scolaires, etc., qui obèrent toutes perspectives d’élévation du niveau de vie de ces personnes, qui seront tout naturellement comptabilisées comme étant pauvres. En outre, les économies africaines sont extraverties sur l’extérieur de sorte que les performances économiques récentes du continent n’ont eu que des impacts limitées sur la situation des plus pauvres, qui ne participent pas du tout ou que très peu à cette embellie économique. Il apparaît donc que la résolution de la question de la pauvreté repose fortement sur la capacité des pays en mettre en place de façon autonome des politiques économiques susceptibles d’améliore la situation les plus pauvres comme l’ont fait les autres[i].

Rien n’a-t-il donc été fait depuis plus de 20 ans ? A cette question, la réponse serait : beaucoup mais pas assez. De toute évidence, si rien n’avait été fait, le nombre de pauvre sur le continent serait bien plus important. Il faudrait davantage approfondir la lutte contre la pauvreté et cela passerait sans doute par une politique (économique, sociale et de gestion) plus responsable et qui s’attache à l’amélioration du bien-être globale de la société. Si la mesure de la pauvreté, via l’approche monétaire, est discutable, elle ne peut en aucun cas constituer un argument. Certes le modèle utilisé se base sur une conception occidentale du mode de vie mais « un mode de vie à l’africaine » (encore qu’il faudrait pouvoir en donner une définition dans le contexte actuel de mondialisation) ne stipule pas non plus  une vie sans accès aux fondamentaux d’une vie décente (éducation peu importe la forme qu’on lui donne, accès aux soins, nutrition, etc.).

Foly Ananou

 


[i] Cas des BRICS ?

Les causes du proxénétisme et les acteurs en présence

Selon le lexique des termes juridiques, le proxénétisme peut être défini comme une activité délictueuse de celui ou de celle qui, de quelque manière que ce soit, contraint une personne à se prostituer, favorise ou tire profit de la prostitution d’autrui. De nombreux faits, pouvant directement ou indirectement faciliter la prostitution, sont assimilés par le législateur à l’infraction de proxénétisme.  L’Afrique de l’Ouest est en proie a ce fléau grandissant et les rues des grandes villes ouest-africaines sont quotées à la bourse de l’immoralité et du commerce sexuel.

A titre d'illustration, quelques grandes places africaines du tapinage : l’Avenue Kwamé N’Krumah et Bolomankoté au Burkina-Faso, la rue Princesse de Yopougon en Côte d’Ivoire, la rue d’Anfangua au Mali, la croisette au Niger, l’avenue Ponty au Sénégal, etc.

Les adolescentes font l’objet d’exploitation sexuelle par les tenanciers de maisons closes comme en témoigne Ouaga Camping (une maison close a Ouagadougou) qui fut épinglé par les services municipaux. Elles sont aussi insérées dans les rouages du tourisme sexuel. C’est l’exemple de Saly, station balnéaire située à environ 90 km de Dakar, qui est surtout le haut lieu du tourisme sexuel au Sénégal.  Raoul Mbog affirme :

«Saly est le point de ralliement des Occidentaux vieillissants qui souhaitent goûter aux charmes de jeunes Sénégalais(es), pas toujours majeur(e)s.»

A cela il faut ajouter le proxénétisme des africaines dans les pays occidentaux comme la Suisse, l’Italie, la France, la Hollande, le Danemark. 

Les causes de la prostitution sont à rechercher d’abord dans les conditions de vie des populations. En effet, les programmes d’ajustement structurel (PAS) des années 1990 ont conduit au licenciement de nombreux chefs de famille. La conséquence des PAS a été la désintégration de la structure familiale. Chaque membre de la famille étant laissé à son sort. Les filles qui sont les plus vulnérables, vont développer des moyens de survie telle que la prostitution.

Après les programmes d’ajustement structurel, la dévaluation du franc CFA dans l'espace francophone va sonner le glas de la paupérisation croissante des familles africaines. En parallèle à cela, il faut noter la cupidité d’un monde libéral sans humanisme qui ne fait que creuser les écarts sociaux entre les riches et les pauvres. En témoigne la crise économique de 2008 qui soulèvera de nombreuses vagues de protestations appelées « émeutes de la faim » en Afrique de l’Ouest (Burkina-Faso, Sénégal, Mali, Togo, etc.) où «  les pauvres demandaient des comptes au plus riches»

Il faut ensuite prendre en compte les causes politiques de la prostitution. La gabegie financière, la corruption et la  mauvaise gouvernance démocratique en Afrique matérialisées par la patrimonialisation du pouvoir politique et assassinats politiques ont conduit les populations a être abandonnées à leur sort. A cela il faut ajouter les conflits sociopolitiques et guerres civiles avec son lot de misère et d’exactions criminelles tel que le proxénétisme. 

La crise post-électorale ivoirienne ou la guerre civile au Libéria ont été des facteurs favorables au développement du proxénétisme surtout de l'exploitation sexuelle des mineurs. Combien de lycéennes et étudiantes qui pour satisfaire leurs besoins élémentaires à savoir se nourrir, se loger, se soigner, sont obligés de vendre leur corps en échange de maigres sommes d’argent. 

A coté des professionnels du sexe, il ya des mineurs qui sont esclaves des réseaux mafieux. La plupart provienne des zones rurales et venues en ville pour chercher du travail comme ménagère, serveuse dans les débits de boisson. Malheureusement elles tombent entre les mains de personnes mal intentionnées qui les utilisent à d’autres fins.  

Enfin, nous pouvons évoquer des raisons sociologiques pour expliquer la recrudescence de ce fléau. La prostitution quoiqu’on puisse en dire, répond à un besoin social. Les prostituées sont prisées par des hommes de tout âge et de toute catégorie sociale. Si la prostitution existe, est-ce parce que la société se conçoit mal sans elle ?

En 2009, le maire de la ville de Ouagadougou décide d’entrer en lutte contre les tenanciers de chambre de passe et autres hauts lieux du proxénétisme dont la plupart faisait recours à des filles mineures. Dans le rang de ces  filles on notait celles de nationalités burkinabè, nigériane et ghanéenne surtout. Il a été dénombré près de cinq mille prostituées dans la ville de Ouagadougou (selon le projet SIDA III). La lutte menée par le maire s’est heurtée à l’opposition d’une grande partie de la population, dans un pays où le poids de la tradition ancestrale et de la religion dominent la conscience collective.

Aussi nous pouvons dire que la prostitution est un métier libéral. C'est-à-dire que de la même manière que l’on décide de devenir enseignant, on décide de devenir prostituée.   

Octave Bayili

Les stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP) ont-elles été efficaces ?

img-8Depuis les années 2000, plusieurs pays africains se sont engagés dans des stratégies, initiées par la Banque Mondiale et étendues plus tard aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), pour lutter contre la pauvreté. Ces stratégies, consignées dans ce qui est communément appelé « Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté » (DSRP), s’appuient sur le dogme selon lequel la croissance suffit à réduire la pauvreté. Elles mettent donc l’accent sur l’accélération de la croissance et identifient des mesures à mettre en œuvre pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres.

Discutant de l’efficacité de ces programmes, avec l’avènement des OMD, les institutions de Brettons Woods, FMI notamment, indiquaient que ces stratégies constituent une rupture par rapport aux autres programmes de développement existants et offraient un pool de mesures qui devraient sans doute permettre de résorber la pauvreté. Alors que les OMD ont atteint leur point d’achèvement et que les données sont disponibles, il est loisible de se demander si ces stratégies ont porté les fruits escomptés. Une tentative de réponse est fournie par Daouda Sembene[i] qui analyse l’impact des DSRP sur la croissance, les inégalités et la pauvreté dans les pays d’Afrique subsaharienne. Son analyse compare les pays ayant adopté les DSRP à ceux qui ne l'ont pas adopté.

De son analyse, il ressort que si la mise en œuvre des DSRP a permis une réduction significative de la pauvreté ailleurs dans le monde, dans les pays d’Afrique subsaharienne qui l’ont adopté (32 au total), il demeure difficile d'identifier son impact sur la pauvreté et les inégalités. En effet, le rythme de progression de la pauvreté est quasi-similaire dans tous les pays de la région, qu'ils aient adopté ou pas les DSRP. La bonne nouvelle est que les DSRP ont permis aux pays qui l'ont adopté d’être plus performants et plus résilients par rapport aux chocs économiques. Par exemple, les pays-DSRP enregistraient des taux de croissance bien plus stables et substantiels depuis la mise en place des DSRP (2.13% en moyenne en 1990-1999 contre 5.12% entre 2000 et 2012). Au contraire, les économies n'ayant pas adopté les DSRP ont connu des performances plus erratiques (de 7,1% en moyenne entre 1990-1990 à 5,3% entre 2000 et 2012). De plus, la crise financière et économique de 2008 a eu moins d'impact sur les pays-DSRP que sur les non-DSRP : croissance moyenne de -1,9% en 2009 pour les non-DRSP; alors que les pays DSRP affichaient une croissance moyenne de 4%. 

Au sens des DSRP, seule l’action publique peut permettre de générer une croissance durable, source de réduction de la pauvreté. Les actions à mettre en œuvre dans le cadre des DSRP dans les pays d’Afrique subsaharienne concernés étaient donc pro-croissance. Elles concernaient notamment les infrastructures et le capital humain (santé et éducation), la diversification et le développement du secteur privé mais aussi certains aspects transversaux comme la promotion de la bonne gouvernance et le développement rural. Pour que la croissance générée par le biais de ces mesures puissent réduire la pauvreté et les inégalités, il fallait donc renforcer les canaux de redistribution. Les DSRP prévoyaient, à cet effet, d’améliorer l’accès aux services sociaux de base, à l’emploi ou aux activités génératrices de revenus. Les transferts de fonds (conditionnels ou inconditionnels) et l’accès prioritaire des pauvres aux emplois publics constituaient en outre des piliers fondamentaux de ces documents de stratégies. 

L’échec de ces stratégies à réduire la pauvreté et les inégalités tient surtout à la stratégie de redistribution adoptée. Par exemple, les programmes de transferts sociaux ne sont généralement pas conditionnés à des résultats à atteindre de la part du ménage récipiendaire en matière de santé et d'éducation des enfants. Selon des travaux de Kakwani et al. (2005)[1], dans près de 15 pays d’Afrique subsaharienne, les programmes de transfert mis en place étaient conditionnés par l’inscription et la fréquentation régulière de l’école et les montants concernés n’était pas suffisant pour sortir les bénéficiaires de leur situation de pauvreté. Une autre forme de redistribution est la mise en place de subvention (soit dans le secteur de l’agriculture, de l’énergie, de l’alimentation ou de l’énergie). Il s’agit de loin de la forme de redistribution la plus pratiquée sur le continent ; chaque pays Africain dispose de subventions dans l’un ou plusieurs de ces secteurs : le Nigéria et le Ghana  par exemple ont mis en place des subventions pour les secteurs agricole et énergétique. D’autres sont plus concentrés sur le secteur agricole (Tanzanie) ou énergétique (Niger, Sénégal, Mali). Ces subventions censées bénéficier aux plus pauvres et qui mobilisent une part non négligeable des ressources budgétaires, ne produisent pas réellement les effets escomptés[2]. Elles profitent davantage aux plus riches, qui consomment une part importante des produits et services subventionnés.

Somme toute, la mise en œuvre des DRSP a notamment permis d'améliorer la gouvernance économique dans les pays qui l’ont adopté, se traduisant par une embellie de leurs performances économiques et une forte résilience aux chocs exogènes. En matière de pauvreté et d’inégalités, ces stratégies ont été moins performantes. Un échec qui serait lié à la stratégie de conception des DSRP. De fait, si dans leur conception, les DSRP offrent les conditions pour la réduction de la pauvreté avec un focus sur la croissance, leur mise en œuvre est rendue difficile par la capacité institutionnelle des pays à identifier avec précisions les cibles de ces politiques. Les politiques visant à réduire la pauvreté et les inégalités devraient davantage s’appuyer sur les réalités locales mais aussi intégrer des mesures visant à une appropriation par les autorités locales, afin de définir des politiques de redistribution plus adaptées au contexte local et dont la mise en œuvre serait plus en lien avec les compétences et les capacités institutionnelles du pays. C’est une démarche que les pays tentent déjà d’adopter dans le cadre de leurs propres programmes de développement qui sont ensuite soumis à leurs partenaires, pour financement. Les programmes régionaux, ou ceux initiés par des institutions internationales, devraient donc subir, suivant chaque pays, la même refonte pour renforcer davantage les mécanismes de redistribution.

Foly Ananou


[1] Kakwani, Nanak, Fábio V. Soares, and Hyun H. Son (2005). Conditional Cash Transfers in African Countries. UNPD International Poverty Centre, Working Paper n° 9, Brasilia.

[2] Lire Faut-il supprimer les subventions à l’énergie en Afrique ? pour le cas de l’énergie.

Les BRICS ont-ils réellement réussi à réduire la pauvreté ?

4brics2234Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont aujourd’hui cités en exemple comme des pays ayant réussi à réaliser des performances économiques impressionnantes et les maintenir durant la crise financière de 2008, et sont à ce titre  considérés comme des modèles de développement. Un postulat qu’il convient de vérifier, surtout si les pays africains veulent s’inspirer de leur expérience, et ce d’autant plus que le Brésil et l’Afrique du sud ont été secoués récemment par des manifestations de population réclamant de meilleurs conditions de vie. Cet article se propose donc de faire un point sur la situation socio-économique des BRICS tout en portant un regard sur les politiques économiques de ces pays.

L’économie indienne a fortement cru depuis les années 80, avec un taux de croissance annuel moyen de 5%. Néanmoins, selon les travaux de Deaton et Drèze (2008), cette accélération de la croissance n’a pas généré suffisamment d’emplois – canal principal de diffusion de la richesse créée. Le taux de croissance de la population active occupée pour un taux de croissance de 1% est passé de 0.4 entre 1983-1993 à 0.29 entre 1993-2004. Conséquence de cette situation, la pauvreté n’a reculé que très faiblement entre 1983-2004, s’accompagnant d’un accroissement des inégalités entre milieu urbain et milieu rural. Il y persiste d’ailleurs des poches de pauvreté au sein des populations exclues. Si ces performances économiques de l’Inde n’ont été que partiellement inclusives, elle tient à la politique des autorités, qui a favorisé le développement de secteurs intensifs en capital.

En effet, dès le début des années 70 (Sen, 2007, 2009), les autorités indiennes ont mis en place des mesures visant d’une part à renforcer et assurer l’expansion du secteur financier et son rôle dans l’économie : (i) nationalisation des banques, (ii) promotion de nouveaux produits bancaires pour la mobilisation de ressources et pour financer les investissements productifs dans le secteur agricole et industriel ; et d’autre part, ont procédé à une ouverture graduelle de leur économie au secteur des équipements pour booster la compétitivité des entreprises locales (qui bénéficient désormais de financement) et faire baisser les prix de ces équipements nécessaires à la mécanisation de l’agriculture. Ces mesures étaient accompagnées d’investissement public dans les infrastructures routières, ferroviaires, énergétiques et technologiques pour créer un environnement des affaires propices au développement du secteur privé.

Malheureusement, ces bonnes intentions ont plutôt favorisé le développement des secteurs nécessitant une main d’œuvre qualifiée ou beaucoup d’investissement en capital. La transformation structurelle ne s’est pas opérée en raison d’un système de protection de la main d’œuvre très contraignant, obligeant ainsi les entreprises à s’orienter vers des secteurs intensifs en capital ou en main d’œuvre qualifiée. Comme corrolaire, on assiste à un maintien des emplois dans les secteurs à faible valeur ajoutée et dans le secteur informel où les conditions d’emplois sont précaires.

A contrario, la Chine dont la stratégie de développement est décrite dans cet article d’Emmanuel Leroueil est l’une des économies les plus dynamiques du monde et dont les performances déterminent celles du monde, depuis près de trois décennies. Selon les travaux de Ravallion et Chen (2007), cette performance a permis au pays de réduire considérablement la pauvreté mais a renforcé les inégalités aussi bien en milieu rural qu’urbain, traduisant ainsi une distribution effective mais inégalitaire de la richesse.

Selon différents analystes, la situation socio-économique actuelle de la Chine résulterait d’une part des réformes introduites par le gouvernement chinois sous l'impulsion de Deng Xiaoping à partir des années 70 dans les domaines du foncier de la santé et de l'éducation. D'autre part, ces réformes ont été combinées avec une politique d’industrialisation par substitution aux importations, avant 1978 et par une stratégie de promotion des exportations et d’attraction des investissements directs étrangers à partir des années 80.

Le Brésil ne fait pas partie des économies les plus performantes des BRICS. Son PIB réel a cru en moyenne de 4% entre 2004 et 2010, après avoir stagné autour de 2% entre 1981 et 2003, une période d’essoufflement après les performances vigoureuses (7% de croissance en moyenne) entre 1945 et 1980. Malgré ces performances moindres (relativement aux pays du groupe), le Brésil a réussi à réduire considérablement la pauvreté et les inégalités. Selon les travaux de Neri (2011), les revenus des brésiliens ont connu une augmentation moyenne de 2 points de pourcentage par rapport aux taux de croissance du PIB alors qu’en Chine, l’évolution des revenus des ménages était moindre (inférieur à 2 pp) par rapport au taux de croissance.

Par ailleurs, l’évolution des revenus était plus marquée chez les plus pauvres, contribuant ainsi à réduire les inégalités, traduisant ainsi le caractère inclusif de la croissance brésilienne. Si l'Inde a pu réussir un tel exploit, c’est parce qu’il s’est appuyé sur des mesures visant à stabiliser le pays et à créer des canaux de diffusion de la richesse. Concrètement, la banque centrale a orienté sa politique monétaire sur la maîtrise de l’inflation. En plus du programme très célèbre de transfert de revenus aux plus pauvres (Bolsa Família), le Brésil dispose d’un programme de protection sociale et d’accès aux services de santé très performants mais aussi d’une réglementation du travail à la fois souple et protecteur. Les autorités ont par ailleurs introduit différentes réformes visant à garantir une gouvernance plus saine avec notamment un mécanisme fonctionnel de décentralisation et un système de suivi et d’évaluation du système éducatif  (Alston et Mueller, 2001).

Si l’Afrique du sud a longtemps été considéré comme l’économie la plus robuste d’Afrique subsaharienne (affichant des taux de croissance positive, atteignant parfois 5%) sur les deux dernières décennies, les travaux  de Bernstein en 2004 portant sur l’impact de cette croissance sur la situation socio-économique indiquent que cette performance n’a pas été pro-pauvre et qu’elle a en plus approfondi les inégalités. Cette situation ne serait pas le simple fruit de la ségrégation et de l’apartheid. Elle résulterait davantage des politiques mises en place par les autorités pour mécaniser le secteur agricole et intensifier le processus d’industrialisation. La période de ségrégation et d’apartheid a été marquée par une confiscation de terres au profit de la minorité blanche, qui a introduit des méthodes modernes pour la production, contraignant cette main d’œuvre – constituée essentiellement d’autochtones et pas toujours qualifiées – à s’orienter vers le secteur minier  ou industriel, détenus par les plus riches ou à émigrer.

Il faut préciser à ce niveau que ce sont ces deux secteurs, très intensifs en capital, qui ont surtout bénéficié de la politique d’industrialisation de l’époque de l'arpatheid.  Par voie de conséquence, les populations (essentiellement noirs), exclues de leur terre, ne pouvaient être absorbée par ces deux secteurs et ce d’autant plus qu’elles n’avaient aucune qualification professionnelle. Le peu de travailleurs absorbés par ces secteurs ne percevait pas un revenu capable de favoriser leur sortie de la précarité (Moris, 1980). Plus généralement, cette période fut marquée par une inégalité dans la distribution des ressources, y compris dans la répartition spatial : les blancs, concentrés dans les zones géographiques les plus prolifiques alors que les noirs étaient concentrés dans des zones éloignées du centre des affaires et de l’activité économique en général.

La politique du gouvernement après l’abolition de l’apartheid n'a guère rétabli l'égalité des chances. La stratégie ne consistait pas en une destruction du mécanisme de discrimination dans la distribution des richesses ; l'Etat a considéré qu’en mettant en place un cadre propice pour une croissance inclusive, cela devrait permettre aux populations les plus pauvres de sortir de la pauvreté (Nattrass, 2001 ; McCord, 2005). Il n’a pas tenu compte du clivage créé par la période d’apartheid, qui a laissé ses derniers sans ressources, sans qualification professionnelle, les rendant incapable d’entreprendre ou de s’insérer sur le marché du travail. Conséquence de cette stratégie, les plus riches se sont davantage enrichis et des barrières encore plus importantes – économiques cette fois-ci– ont complètement obérés l’insertion des plus marginales sur le marché, contribuant ainsi à exacerber leur situation.

Somme toute, les BRICS considérés comme des exemples en matière d’émergence économique et d’amélioration des conditions de vie, ne sont pas des champions en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités. Si certains d’entre eux ont pu contenir la pauvreté (Chine, Inde, Brésil), leurs performances économiques ont été accompagnées d’un approfondissement des inégalités (Inde, Chine). L’Afrique du sud quant à elle fait face à un niveau de pauvreté et d’inégalité encore très importants. Toutefois, leurs expériences constituent pour les pays d’Afrique subsaharienne, dont une majeure partie aspire à l’émergence, un repère pouvant contribuer à la définition de leur stratégie de développement. Un prochain article s’attachera donc à exposer un ensemble de mesures, inspirées de la trajectoire actuelle des BRICS.

Foly Ananou

férences

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Les guerres civiles, seins nourriciers d’Ebola

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Credit photo: REUTERS/James Giahyue (Liberia)

C’est une scène glaçante : au fond d’une cour de maison quelque part dans Monrovia, un cadavre abandonné. Le corps gît au sol, couché sur le ventre. On perçoit de loin l’entame du processus de putréfaction. Personne n’ose roder aux abords immédiats du cadavre. La Caméra d’Envoyé Spécial qui s’y aventure, guidée par des riverains et voisins du défunt, caractérisés par un mélange saisissant de candeur et de peur, reste à distance raisonnable. Les services mortuaires libériens débordés, n’ont pas eu le temps d’enlever le corps. Quelques jours sont passés déjà. Dans les charniers dont se couvre la ville progressivement, leurs moyens dérisoires ne peuvent offrir une couverture entière. Le défunt est soupçonné d’être mort de la fièvre Ebola. Le document télévisé montre les scènes de chaos, de panique, la déstructuration de la chaine des urgences, et in fine, le désamour que la maladie finit par instiller dans les rapports de bienveillance si historiquement ancrés en Afrique. Les seuils symboliques de morts qui peuplent les bulletins d’information, 3000 morts, 4000 malades, portent donc un visage et une terreur: celui de la mort et celle de l’impuissance.

D’une épidémie dont on parle si souvent, sans jamais en voir les réels ravages, ballotés par les chiffres, mais lointains, Envoyé Spécial a  offert un premier portrait. Glauque, désarmant, particulièrement inquiétant. L’épidémie est hors de contrôle au Libéria. Ce que l’on soupçonnait s’avère triplement plus grave : Le Libéria se meurt. Principalement, de pauvreté et de désorganisation sociale. Héritées d’une guerre civile dont la nomination du reste très encourageante à la tête de l’Etat de Ellen Johnson Sirleaf ne gomme pas les stigmates, les plaies béantes du Libéria auront nourri Ebola. Le Parc sanitaire défectueux, l’absence d’automatisme des services de l’état, l’éternel mais si impardonnable manque de moyens, le type même de l’habitat ravagé et les promiscuités qu’il commande, ont fait le lit d’une maladie qui n’est pas prête de stopper sa faucheuse. L’on ressent à la vue des images, une mixture inconfortable de gêne, de colère sourde, de peine. Après la gifle des images, il faut refuser de se clore dans les perspectives immédiates et voyager aux sources de telles tragédies.

Il n’y pas de hasard dans le fait que ce soit les deux pays particulièrement fragilisés par des décennies de guerre civile, qui payent le lourd tribut des morts. Dans tous les défis urgents africains, dont l’enjeu principal sanitaire, le point décisif reste l’organisation sociale. Le Libéria et la Sierra Léone subissent le contrecoup d’un passé récent qui les a installés dans une fragilité sur le long terme, à la merci des étincelles politiques, des crises identitaires, et des aléas viraux. Le foyer de départ Guinéen paye un long chaos politique, quand le Sénégal et le Nigéria, du fait même de la nature de cas importés, offrent des gages et des dispositions qui sont indubitablement liés à la stabilité politique.

La pauvreté, éternelle absolution en toute circonstance, ne doit pas être considérée comme la cause d’un produit social dont il faut s’accommoder, en confiant au destin ses désirs de changement. La pauvreté a beaucoup de chance d’être, dans l’état des pays précités et bien d’autres du reste, le produit d’une histoire, d’une culture qui implique directement la responsabilité sociétale. L’abus de l’excuse de la pauvreté finit par « ordinariser » le problème et par impersonnaliser les responsabilités.

On ne se tire pas indemne des postulats culturels qui ont gouverné ce continent et dont on n’a pas fait l’inventaire. Ebola n’est qu’une maladie de pauvres. Elle ne frappe qu’eux, ne se nourrit que de leur faiblesse. La pitié et la propension à s’apitoyer sous de supposés décrets divins, sont des compassions qu’il faut s’éviter, car la pauvreté n’est pas une cause, c’est une conséquence : un état d’anarchie heureuse, un état d’absolution, un reposoir pour les politiques, et la gaieté ambiante des sans grades, comme d’ailleurs l’exotisation du continent, en tisse les légendes. Il faut d’une certaine manière vaincre cette forme de Providence singulière que campe la pauvreté, donc sonder l’abîme culturel.

Y-a-t-il une malédiction des terres fertiles en Afrique ?

Congo20112-058-lower-res.forest.river.568Il a été observé que les pays dotés de ressources naturelles sont les plus pauvres, les moins industrialisés et les plus politiquement instables. Les résultats de recherches pointent du doigt l’absence de bonne gouvernance comme la principale cause de cette « malédiction des ressources naturelles ».[1] Alors que ce phénomène a été largement examiné à l’échelle des pays, il semble qu’un phénomène similaire, peut être plus significatif, se déroule à l’échelle des localités de plusieurs pays et peut contribuer à un niveau élevé de pauvreté à l’échelle nationale. Il s’agit d’un paradoxe sur le lien entre la fertilité du sol d’une localité et la proportion de pauvres qui y vivent. C’est ce paradoxe que met en évidence et explique une récente étude du professeur Léonard Wantchékon.[2]

En effet, à partir de données collectées à l’échelle infranationale dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Ghana, Mali, Burkina-Faso et Sénégal), cette étude montre qu’il existe une corrélation positive entre incidence de la pauvreté et qualité du sol. Autrement dit, ce sont dans les localités où la qualité du sol est très bonne que l’on retrouve les plus fortes proportions de pauvres.[3] Cette relation n’est pas spécifique à un pays dans la mesure où elle est confirmée pour l’ensemble des cinq pays étudiés. Pourtant, l’on s’attendrait plutôt à observer une plus faible proportion de pauvres dans les localités où la qualité du sol est meilleure, toute chose égale par ailleurs.

Pour expliquer ce paradoxe, le professeur montre que ce sont aussi les localités où la qualité du sol est meilleure qui sont moins desservies par les infrastructures de transport dont les pistes rurales. Ce manque d’infrastructures de transport ne favorise pas la mise en valeur de leurs potentialités agricoles. En dépit d’une meilleure qualité de sol, l’absence de pistes rurales empêche les populations d’écouler leurs productions agricoles vers les marchés. A termes, cela décourage l’intensification de la production laissant place à une agriculture de subsistance. En l’absence des machines agricoles nécessaires à l’intensification agricole, l’exode des jeunes vers la ville vient entraîner la chute du rendement des terres agricoles.

Cette relation négative entre infrastructures rurales et qualité du sol trouve son explication dans la marginalisation politique des populations rurales de façon générale et en particulier de celles qui vivent dans des localités où la qualité du sol est très bonne. C’est ce que montre l’étude de Blimpo et al. (2013) selon laquelle, les localités où vivent les populations les plus marginalisées politiquement bénéficient de peu d’infrastructures routières.

La raison en est que face à des ressources financières limitées, le politicien cherche à maximiser le gain électoral de ses décisions en construisant des infrastructures routières dans les zones où la population est plus consciente de ses droits politiques. Ainsi, le faible niveau d’éducation des populations dans les localités où la qualité du sol est très bonne est à l’origine de leur marginalisation politique. Ce qui conduit donc le politicien à privilégier la construction d’infrastructures dans les localités où les populations sont plus conscientes de leurs droits politiques. Or ce sont justement dans les localités ayant une bonne qualité de sol que les niveaux d’éducation sont les plus bas.

Par conséquent, un moyen efficace de réduire la pauvreté en milieu rural consisterait à accroître l’offre d’éducation de qualité dans les localités où la qualité du sol est meilleure. Cela leur permettrait de réclamer davantage de biens publics, dont les infrastructures de transport, nécessaire à l’amélioration de leurs conditions de vie. Une telle appropriation des droits politiques par les populations de ces localités imposerait davantage de contraintes aux politiciens dans leur décision d’allocation des infrastructures routières dans les zones rurales. La construction des pistes de desserte rurales augmentera les débouchés aux produits agricoles issus de ces localités et par ricochet le niveau de vie des populations qui y vivent. Dans la mesure où ce sont les zones rurales qui abritent le plus grand nombre de pauvres dans la plupart des pays Africains, de telles mesures de politiques publiques pourraient avoir un impact significatif sur la réduction de la pauvreté à l’échelle nationale.[4]

Ainsi, il ne s’agit pas simplement d’augmenter l’offre d’infrastructures pour réduire la pauvreté ; mais le ciblage des zones bénéficiaires de ces infrastructures importe beaucoup. Dans le cas des pays étudiés, ce sont notamment les localités où la qualité du sol est très bonne qu’il faut cibler. Mais sachant que le politicien n’a aucun intérêt à investir dans ces zones, il faut veiller à accroître l’offre d’éducation de qualité précisément dans les localités ayant des sols de bonne qualité. Cela devrait à termes contraindre le politicien à construire des infrastructures routières dans ces localités, leur permettant ainsi de mettre en valeur leurs potentialités agricoles.

Les résultats utilisés dans cet article ont permis d’identifier l’éducation comme source du paradoxe entre qualité du sol et pauvreté en Afrique. Cette « malédiction des terres fertiles » n’est pas une fatalité dans la mesure où elle s’explique par la marginalisation politique et le manque d’infrastructures de transport dans les localités ayant des sols de bonne qualité. Cependant, la validité du lien entre marginalisation politique et pauvreté reste à confirmer par davantage d’études similaires, car le sens de la causalité allant de la qualité du sol à la pauvreté, en dépit de sa logique, n’est pas rigoureusement établie. Si cette chaîne de causalité était vraie, il serait intéressant de savoir si la même problématique se pose aux autres types d’infrastructures telles que l’énergie, l’eau et l’assainissement.

Georges Vivien Houngbonon

 

Références :

Wantchékon L., Soil quality, infrastructures and poverty in Africa, presentation à la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique, Paris, 23 juin 2014.

Frankel J. 2010. The Natural Ressource Curse : A Survey. NBER Working Paper No. 15836

Moussa P. Blimpo & Robin Harding & Leonard Wantchekon, 2013. "Public Investment in Rural Infrastructure: Some Political Economy Considerations," Journal of African Economies, Centre for the Study of African Economies (CSAE), vol. 22(suppl_2), pages -ii83, August.


[1] Voir la revue de la littérature proposée par Jeffrey Frankel.

[2] Les résultats de cette étude ont été présentés par le professeur à la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique à Paris, le 23 juin 2014. L’auteur parle plus précisément de la qualité du sol.

[3] La qualité du sol est mesurée par l’indice proposé par la FAO.

 

 

[4] Voir perspectives économiques africaines.

Problématique du travail des enfants en Afrique

200253513-001Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), est considéré comme travail des enfants, les travaux effectués par des filles et des garçons en deçà de l'âge minimum requis pour les exercer.

Au niveau international, la réaction au travail des enfants est ancienne. Dès 1919, l'OIT adopta une convention internationale sur l’âge minimum dans l’industrie (fixé à 14 ans). En 1973, une convention porte sur tous les secteurs d’activité et fixe l’âge minimum d’admission à l'emploi à 15 ans et par exception à 14 ans pour les pays dont « l’économie et les institutions scolaires ne sont pas suffisamment développées »[i]Cependant les statistiques montrent que cette convention n’est pas respectée à travers le monde. Selon le rapport de l’OIT, en 2004, près de 220 millions (soit 1 sur 7) d'enfants  âgés de 5 à 17 ans étaient astreints à un travail. 126 millions des enfants qui travaillent effectuent des travaux dits dangereux comme enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics et activités illicites.

Le travail des enfants n’a pas cependant les mêmes caractéristiques selon les régions du monde. L'Afrique sub-saharienne continue d’être la région avec la plus forte incidence du travail des enfants (59 millions, plus de 21% en 2012 selon OIT-IPEC, 2013).

Les données de l'OIT indiquent que plus de 40% des enfants africains travaillent – ce qui représente près du double des enfants qui travaillent en Asie.[ii]

Au niveau des experts africains, d'aucuns n'y voient aucun problème, tandis que d'autres en revanche pensent qu'il s'agit d'un problème beaucoup plus sérieux en Afrique que nulle part ailleurs au monde[iii].

Dans quels domaines travaillent-ils ?

Selon le dernier rapport de l'OIT, la plupart des enfants de 5 à 14 ans travaillent dans le secteur informel, sans protection légale ou réglementaire, 69% des enfants économiquement actifs travaillent dans l’agriculture, 22% dans le secteur des services, et 9% dans l’industrie.

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En Afrique, plus précisément en Afrique de l'Ouest, le travail des enfants consiste le plus souvent pour les jeunes filles à être domestiques ou commerçantes ambulants et pour les jeunes garçons à être apprentis mécaniciens, bergers, cultivateurs ou autres.

Travail des enfants : effets négatifs sur les enfants et sur les parents

Il est clair qu'en général, le travail des enfants, soustrait ces derniers à leur jeunesse, mais pourrait aussi compromettre leur avenir. Selon l'OIT, beaucoup d'enfants qui travaillent courent des risques pour leur santé et leur vie et compromettent leurs chances de devenir des adultes « productifs ». Toujours selon l'OIT, il s'agit d'une atteinte aux droits des enfants, à leur enfance, et d’un gaspillage de leurs potentialités de formation. Il en résulte un irrémédiable handicap au développement.

Mais pourquoi les parents laissent-ils leurs enfants travailler ?

Des études ont montré que la famille d’origine de l’enfant a une grande part de responsabilité. En effet, compte tenu du manque de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de la famille, les parents sont souvent contraints de faire travailler leurs enfants dans le but d’augmenter et de diversifier les sources de revenus. En milieu rural, les enfants sont considérés comme une main d'œuvre pour les travaux champêtres. Ces parents, sans le savoir, détournent l'avenir de leurs enfants, qui auraient pu se spécialiser dans l’agronomie et contribuer de façon efficiente à valoriser les terres. La société africaine accorde une grande valeur aux enfants travaillant à la maison ou au champ familial. Cela n'est donc pas perçu comme "nuisible" ou comme une question de bien-être économique.

Certains parents considèrent qu'en envoyant les enfants à l'école, il y a un double frais : les dépenses liées à la scolarité et la perte de la contribution de l'enfant en tant que main d’œuvre. Ce raisonnement ne tient pas compte du fait qu’un enfant bien formé devient un adulte suffisamment rémunéré pouvant prendre en charge les dépenses de ses parents. De ce fait, selon la perception de certains, le travail devient en réalité une perte, non seulement pour l'enfant, mais aussi pour ses parents.

Certains enfants cumulent le travail et les études. Ils travaillent pendant les soirées, les fins de semaine, les congés ou les vacances pour participer aux dépenses de la famille y compris les dépenses scolaires. Ceci semble efficace dans les cas où l'enfant a des dispositions lui permettant d’assimiler assez rapidement ses cours. Néanmoins, il aura perdu une partie importante de sa jeunesse, celle de s'amuser, une phase qui revêt d’une grande importance dans le développement d’un enfant.

Certaines jeunes filles migrent vers la ville en quête de travail pour aider leurs parents et épargner pour leur futur mariage.

Est-il toujours mauvais de faire travailler les enfants ?

En Afrique où les enfants n'ont pas tous leurs droits fondamentaux, où beaucoup de familles n'ont pas les moyens de subvenir aux besoins des enfants, où la vraie éducation ne concerne pas toujours tous les enfants et où le chômage est très élevé, peut-on interdire de façon stricte le travail des enfants ?

Des travaux dangereux comme enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics et activités illicites doivent être interdits de façon ferme et stricte. Cependant interdire le travail à un enfant qui n’est pas instruit est plus préjudiciable. Ce dernier étant laissé oisif serait plus porté à s’orienter dans la délinquance. Si le travail des jeunes filles comme domestique paraît non formatif, les travaux d'apprentis des jeunes garçons constituent pour ces derniers un moyen d’apprendre un métier et devenir plus tard des adultes « productifs », et donc, il serait absurde de l'interdire même s'il n'est pas à encourager. Ainsi, faire travailler les enfants n’est pas si problématique tant que ces derniers exercent dans un environnement sain et leur sont confiées des activités à leur portée.

Il ne faut pas perdre de vue que les parents, surtout, en zone rurale ne font travailler les enfants que parce qu’ils n’ont pas les moyens de les inscrire dans une institution d’éducation. Partant de ce constat, doit-on forcer les parents à un faible revenu de renoncer à faire travailler leurs enfants et investir dans l’éducation de ces derniers, avec moins de certitude sur la rentabilité de cet investissement ?

Quelles recommandations pour l'Afrique ?

Les gouvernements devrait indexer la scolarité aux revenus des parents ou la rendre gratuite, tout au moins le niveau primaire et permettant aux enfants de bénéficier d’un minimum d’instruction avant de s’orienter si les moyens ne sont pas disponibles pour une poursuite des études. Ils pourraient aussi mettre à la disposition des enfants issus de familles défavorisées des subventions ou des bourses afin de permettre à ces derniers de renforcer le capital humain. Toutefois cette réforme devrait s’accompagner d’autres mesures sociales permettant aux parents, qui se considéreraient comme léser par l’inscription de leurs enfants à l’école de compenser cette perte de « mains d’œuvre » gratuite. On pourrait s’inspirer de la bourse familiale du Brésil, qui offre pour chaque enfant scolarisé et vacciné, une somme forfaitaire (..) en plus d’un appui dans le domaine agricole. Le Sénégal tente de mettre en place un programme similaire, qui certes n’aura pas la portée brésilienne mais qui est une initiative qui au-delà de son objectif de réduction de la pauvreté permettrait d’éviter le travail des enfants.

Des formations professionnelles pourraient être aussi envisagées pour former les enfants qui n’arrivent pas à s’insérer dans le dispositif classique de formation. Ceci permettrait d’une part d’éviter que les enfants ne soient exposés à des abus (très fréquent dans le secteur informel de l’apprentissage) mais de les introduire aux notions d’entrepreneuriat et de gestion. Il pourrait s’agir de centres de formation spécialisés aux métiers de mécaniciens, de charpentiers ou de gouvernante.

Le rôle des ONG et de la Société Civile ne doit pas être négligé dans le dispositif, dans ce sens que toutes ces structures permettent d’alimenter le débat public autour de la question et de définir sur la base d’un consensus national les directives à suivre en ce qui concerne le travail des enfants.

Ali Yedan


[i] Jean-Baptiste Racine (2005) La problématique du travail des enfants à l’épreuve de la mondialisation de l’économie

 

 

 

[ii] Banque Mondiale, novembre 2011, Le travail des enfants en Afrique : Problématique et défis

 

 

 

 

Les petites villes : plus propices à réduire la pauvreté ?

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A l’image du reste du monde, l’Afrique connaît une grande période d’urbanisation. Selon les projections des Nations Unis, plus de la moitié de la population mondiale vivra en ville d’ici 2020. Ce constat soulève de nombreuses réflexions sur les conséquences économiques de l’urbanisation. Certains évoquent l’existence d’un cercle vertueux, alliant emploi et consommation, ainsi que l’envoi de fonds vers les familles restées en zone rurale. D’autres soulèvent le débat concernant l’urbanisation de la pauvreté. L’urbanisation cache cependant des réalités très diverses, particulièrement en Afrique. On y compte de nombreuses villes de petite taille et des métropoles gigantesques comme Le Caire ou Lagos. Depuis les années 1970, la croissance urbaine a surtout été celle des petites villes : plus de la moitié de l’expansion urbaine concernait les villes de moins de 500 000 habitants. Dans les années à venir, les grandes villes devraient enregistrer une croissance plus forte de leur population que dans les villes de petites tailles.

La recherche en économie et géographie des questions de développement s’intéresse depuis peu à la question des villes de petite taille, en regrettant le fait qu’elles aient été longtemps ignorées dans de nombreux travaux. Il s’agit par exemple d’étudier les ressorts de leur croissance, démographique et économique, ou leur autonomie par rapport aux grandes agglomérations. La question est particulièrement soulevée dans le cas de l’Inde, où la définition de la ville est spécifique et parfois restrictive. Aujourd’hui l’attention se porte également sur le continent africain. En particulier, des économistes de la Banque Mondiale ont cherché à comparer les effets de l’urbanisation sur la pauvreté, dans les grandes villes et dans les villes de petite taille. Les différents contextes urbains peuvent avoir une influence sur la réduction de la pauvreté, à travers plusieurs mécanismes contradictoires. Dans les grandes métropoles, on peut s’attendre à des économies d’échelle de plus grande ampleur, et à de grandes externalités positives favorables à l’emploi, par la proximité des transports et des besoins de consommation. Par contre, les petites villes sont plus faciles d’accès pour les ruraux, notamment les plus démunis, et elles  permettent à ces derniers de garder des liens plus forts avec la campagne.

Des chercheurs de la Banque mondiale (Luc Christiaensen et al.) ont réalisé une étude portant sur ce sujet, selon deux perspectives, locale et internationale. Ils ont tout d’abord étudié le cas de la région de Kagera, en Tanzanie, pour laquelle ils disposaient de données très précises, permettant de suivre sur vingt ans les mêmes individus. Ils ont ensuite confronté leurs résultats à une étude à plus grande échelle, comparant des données macro sociales de pays du monde entier. Il ressort de leur travail que les petites villes, si elles sont moins porteuses de croissance économique de manière générale, seraient plus propices à la réduction de la pauvreté. En effet, ils observent en moyenne une augmentation des dépenses de consommation beaucoup plus forte parmi les individus migrant vers les grandes villes, mais les individus se tournant vers les villes de petite taille (ou les secteurs non agricoles des zones rurales) connaissent moins de chômage, et une augmentation tout de même significative de leur consommation.

Ils invoquent plusieurs explications à ce phénomène. Ils soulignent le fait que le taux de chômage est très élevé dans les grandes villes parmi les migrants venant des zones rurales. Les problèmes d’emploi seraient moins criants dans les villes de petite taille. De surcroît, les individus se tournant vers les villes plus petites, ou vers les secteurs non agricoles des zones rurales, gardent davantage de liens avec leur région d’origine. Enfin, ces migrations sectorielles ou sur de plus courtes distances concernent plus d’individus, ce qui peut expliquer l’impact positif qu’ils ont sur la réduction de la pauvreté. De nombreuses études sont à l’œuvre dans ce domaine.

Ces résultats, s’ils nécessitent d’être prolongés par d’autres travaux,  invitent néanmoins à réfléchir sur les bénéfices du processus d’urbanisation en Afrique. Ils invitent également à favoriser le développement d’infrastructures dans les villes de taille moyenne (et zones rurales dans lesquelles un secteur non agricole est en expansion).  Ce développement d’infrastructures ne devrait alors pas se penser par rapport au domaine de l’agriculture, pour laquelle le soutien est toujours nécessaire, mais plutôt comme appui à un nouveau monde urbain porteur d’opportunités.

Clara Champagne

Une nouvelle vision de l’aide au développement

adp« Nous ne voulons pas de vos poissons, apprenez nous à pêcher tout simplement » aurait été certainement la réponse de Confucius s’agissant de l’aide au développement.

Le philosophe chinois Confucius (Kong Fuzi) avait très vite cogité et compris que : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ». Cette vieille leçon d’un demi-millénaire avant Jésus Christ, n’était certainement pas adressée à l’aide publique au développement que nous connaissons, mais elle n’a rien à envier aux réponses récemment formulées à l’égard de celle-ci.

On aurait pu se passer volontiers de définir ici cette aide au développement, on la connaît si bien ! D’une part, parce que c’est la chose la mieux défendue par les nations dites « pauvres » sur les tables de négociations internationales. Et d’autre part, parce que tout simplement, c’est aussi l’un des débats les plus abordés dans la littérature économique récente. Du best seller mondial de Joseph E. Stiglitz (2002) « La grande désillusion », s’agissant des « faux objectifs de façades de lutte contre la pauvreté au Sud» menés par le Fond Monétaire International (FMI), au non moins best seller, très osé, et surtout très controversé ouvrage de la zambienne Dambisa Moyo (2009) « L’aide fatale », sans parler de la panoplie d’articles en tout genre sur la question, comme la critique de Marc Raffinot (2009) sur Dambisa Moyo.

Il n’y a quasiment plus rien qu’on puisse dire sur cette aide au développement, qui soit vraiment nouveau, aussi bien dans le fond, que sur la forme. C’est connu et reconnu que l’aide publique au développement n’aide pas vraiment, elle ne serait pas non plus une fatalité, c’est un flou total quant à son efficacité. Curieusement, l’aide persiste et même s’accroit (Figure 1), malgré les crises financières très sévères, les crises de la dette, et la très forte pression sociale au Nord, d’Irlande en Grèce, en passant par le Portugal et l’Espagne,…, sans oublier les Etats-Unis hyper endettés auprès de la Chine, et à ce propos, Jacques Attali (2013) n’y va pas par le dos de la cuillère : « Les Etats-Unis sont  donc dans une situation bien pire que celle de  l’Union Européenne, et même que les plus endettés des pays de l’Union. Ils sont en faillite ». La morosité des économies du Nord laisse difficilement croire, dans la débâcle absolue actuelle, que l’aide, c’est vraiment pour aider !

Figure 1 : Evolution des montants de l'APD des cinq gros donateurs entre 2001 et 2011 (Source : diplomatie.gouv.fr)

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Cet article s’inscrit au cœur du débat sur l’aide publique au développement de façon « terre-à-terre », et s'adresse au grand public. Il tente de trouver des alternatives pour la croissance inclusive pour les pays de l’Afrique Sub-saharienne, que l’aide pourrait accompagner comme une mise en orbite, puis s'arrêter progressivement avant de l’être définitivement dans un horizon temporel le plus court possible.

Qu’est-ce que l’aide au développement ?

Jean-Michel Servet (2010) souligne que l’aide trouve son origine dans le discours d’investiture (le 20 janvier 1949) d’Harry Truman, alors président des Etats-Unis.

L’aide était perçue en Amérique comme étant une véritable « arme de guerre » qui devait servir les intérêts américains contre l’influence communiste, jadis en pleine guerre froide. Vingt ans plus tard, en 1969, le Président Nixon n’en faisait guère l’amalgame, comme le rappelle Yolande S. Kouamé (2002). Nixon disait clairement : « Rappelons-nous que le but de la coopération au développement n’est pas d’aider des pays tiers, mais de nous aider nous mêmes » !  

Déjà au départ, elle n’était d’aide que de nom ! Au fil des ans, elle a changé de visage, et s’est toujours adaptée au contexte, jusqu'à intégrer plus récemment celui du développement durable. Si d’aucuns murmurent que même l’aide humanitaire se crée, nous autres au Sud en doutons de moins en moins.

Formellement, l’Aide Publique au Développement (APD) est une part du revenu national brut (RNB) d’un pays développé membre du Comité d’Aide au Développement (CAD). Elle est consacrée au financement de programmes de coopération au développement des pays pauvres et des pays à revenu intermédiaire, suivant une liste mise à jour annuellement. Actuellement, 26 pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE)  ont rejoint le CAD, dont justement : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, les Etats- Unis, … L’aide à consacrer est fixée à 0,7% du RNB, avec une date butoir d’atteinte des 0,7% en 2015, conformément à l’objectif des Nations- Unies en 1970. Ce taux est reconduit en 2000 au Sommet du Millénaire des Nations- Unies à travers les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Jusqu’en 2011 (Figure 2), aucun des plus grands donateurs à savoir : les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et le Japon, n’avait atteint 0,6% du RNB. Les  Etats-Unis consacraient à l’aide 0,2% du RNB, ce qui représentait 23% du total des APD, soit 22,2 milliards d’euros !

Figure 2 : L’Aide publique au Développement en chiffres, en 2011 (Source : diplomatie.gouv.fr)

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L’aide au développement et le développement

Selon François Perroux : « le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d'une population qui la rend apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global». Ce qui signifie que, le développement est extrêmement complexe, il ne s’atteint d’aucune façon en empruntant des raccourcis, or l’aide est une sorte de voie rapide littéralement illusoire, qui mène tout droit au perpétuel recommencement.

D’une décennie à l’autre, d’un programme à un autre, on finit toujours par se rendre compte qu’il fallait allouer l’aide autrement, parce que ses effets pervers l’emportent toujours sur ses bénéfices. A ce propos la thèse de Dambisa Moyo (2009) pour un arrêt progressif de l’aide, de sorte à se sevrer totalement, le plus rapidement possible semble pertinente. Il faut d’urgence explorer d’autres pistes pour une croissance soutenue, durable, et surtout responsable.

Nicolas Lemay-Hébert et Stéphane Pallage (2012) ont démontré avec brio les effets pervers de l’aide, ils disent en ces termes que : «  Il est difficile de concevoir que de tels afflux d’aide n’aient pas donné d’importants résultats. Pourtant de nombreux pays récipiendaires d’aide ont connu de véritables tragédies du développement. Le plus célèbre d’entre eux est la République démocratique du Congo, dont le revenu par habitant en 2007, corrigé pour l’inflation, représentait 20 % de ce qu’il était, en unités comparables, en 1960 ». Le tableau ci-dessous présente le PIB par habitant, exprimé en dollars US constants de 2005, et corrigé pour les différences de coûts de la vie (ppp ou parité du pouvoir d’achat) en 1960 et 2007. Tout facteur inférieur à un, implique une baisse du niveau de vie entre les deux dates. Le tableau parle de lui-même !

Évolution du PIB par habitant entre 1960 et 2007

Penn World Tables (Heston, Summers et Aten, 2011), via Lemay-Hebert et Pallage (2012)

L’aide n’est pas plus qu’une folle mise en compétition des nations face à la pauvreté, ce qui a pour conséquence de les engouffrer davantage. Si les donateurs y trouvent un intérêt certes, les véritables responsables, il faut le dire, sont les gouvernements des pays récipiendaires. Marc Raffinot (2009) le dit de la meilleure manière : « De nombreux gouvernements africains cherchent à maximiser l’aide, considérée comme une ressource permanente, plutôt que d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies pour accélérer la croissance et réduire les inégalités ». Ont-ils encore le choix de passer outre? Le très cupide ver, « sournois » de surcroit, n’est-il pas déjà profondément enfoui dans la très juteuse pomme « pauvre » ?

L’aide a cette fâcheuse tendance à se transformer en une machine adaptatrice à volonté des modes de vie, créant une société consommatrice de biens finis qu’elle ne produit pas, et productrice de biens qu’elle ne peut pas consommer. Le but étant de servir une mondialisation à deux vitesses, toujours sous le prétexte de lutter contre la pauvreté. Un jeu appauvrissant auquel on vous invite bon gré, mal gré, et dont vous ne pouvez que prendre acte des règles. On se souviendra du très cauchemardesque film documentaire d’Hubert Sauper (2004) : « Le Cauchemar de Darwin ».

Malheureusement, s’agissant de la pauvreté, il est plus facile d’en dresser des statistiques, d’en définir un seuil (absolu et/ou relatif) selon une quantité de monnaie par jour, que de sortir un peuple de la pauvreté par l’aide. Lubrano (2008), et Davidson & Duclos (2000) sont revenus largement sur les techniques quantitatives de mesure de la pauvreté et des inégalités.

Vers une croissance inclusive, excluant peu à peu l’aide extérieure sous toute forme.

Si l’aide a permis de financer certes une part non négligeable des infrastructures des pays qui en sont tributaires, on est littéralement incapable de dire ce qu’auraient été ces pays sans aide. A l’évidence l’aide n’a non seulement pas permis le développement qu’elle a longtemps promis, bien au contraire, elle a fortement contribué à appauvrir ces pays, en décourageant quasi-systématiquement toute incitation interne de développement. Par exemple, il y’a moins d’un mois le Rwanda a lancé avec succès un emprunt obligataire d’environ 300 millions d'euros dans le marché international des capitaux, pourtant très exigeant, après un refus d’aide par le Royaume-Uni de prés de 26 millions d’euros en fin 2012. Pour peu importe le motif de ce refus, son effet a été de permettre au Rwanda de battre de ses propres ailes, en prenant davantage ses responsabilités.

L’Afrique sub-saharienne a besoin d’une sérieuse intelligence économique qui lui soit propre, incluant toute les couches, d’une stratégie large de communication innovante, se diffusant en profondeur, de sorte à refonder un espoir de sortie de pauvreté sans aide à long terme, soutenu par les masses populaires. C'est-à-dire, en misant davantage sur la croissance inclusive. Ce message est de plus en plus porté par de jeunes africains, à l’image du think-tank l'Afrique des idées, où justement d’imminentes réflexions sont menées en faveur de la croissance inclusive Nicola Simel (Juillet 2012).

Mahamadou BALDE

Bibliographie :

  • Dambisa
Moyo, l’aide fatale. Les
ravages
d’une
aide
inutile et de
nouvelles
solutions
pour
l’Afrique. JC
Lattès, 
2009, 
250
p.
  • Davidson, R. et Duclos J.-Y. (2000), Statistical inference for stochastic dominance and for the measurement of poverty and inequality ; Econometrica, 68, 1435–1464
  • Hubert Sauper, Le Cauchemar de Darwin (Darwin's Nightmare), Arte et WDR  2004
  • Jacques Attali (Blog) http://blogs.lexpress.fr/attali/2013/02/11/les-etats-unis-sont-en-faillite/
  • Jean-Michel Servet, « Aide au développement : six décennies de trop dits et de non dits », Revue de la régulation [En ligne], 7 | 1er semestre / Spring 2010
  • Joseph E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, juillet 2002, 324 p.
  • Marc Raffinot « Dambisa Moyo, L'Aide fatale. Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique », Afrique contemporaine 4/2009 (n° 232), p. 209-216.
  • Michel Lubrano, Introduction à l'économétrie des mesures de pauvreté, Document de Travail n°2008-09, GREQAM, Mars 2008
  • Nicolas Lemay-Hébert et Stéphane Pallage (2012). Aide internationale et développement en Haïti: bilan et perspective. Haïti Perspectives 1(1), 13-16.
  • Nicola Simel, Pour une croissance inclusive en Afrique, Terangaweb (Juillet 2012)
  • Yolande S. Kouamé, Coopération : vers la fin de l’aide liée, MFI HEBDO : Economie Développement 08/11/2002, rfi.