La dette handicape-t-elle réellement l’économie ?

185075466Dans des articles récents, Georges suggérait que le développement d’un pays n’est pas qu'une simple question de financements mais nécessite aussi des institutions fortes. C’est donc la conjonction de ces deux facteurs qui pourraient assurer le développement durable d’un pays. Si la force des institutions peut découler d’une simple volonté politique, accompagnée de réformes ; la disponibilité de ressources financières suffisantes n’est pas aussi simple. Pour les pays disposant de ressources naturelles (pétrole, gaz, or, etc.), le problème ne se pose pas réellement ; il est relativement plus considérable au niveau des pays avec des ressources naturelles limitées. Certes un article a indiqué que nonobstant cette dotation, un pays peut enregistrer des taux de croissance considérables ; mais insuffisantes pour assurer le décollage économique.

Dans le contexte africain, la fiscalité semble être un outil limité pour lever des ressources financières, du fait de l’importance de l’informel mais aussi du fait de la faiblesse des institutions sa gestion. Ainsi l’outil le plus utilisé pour le financement des investissements publics en Afrique est l’emprunt : auprès de partenaires bilatérales ou multilatérales ou à travers les émissions de titres. Il fait cependant l'objet de certaines critiques, surtout de la part du FMI en charge de la surveillance des économies. Il faut rappeler que c’est le surendettement qui a occasionné les programmes d’ajustement structurels des années 90, dont les impacts restent encore mitigés. D’ailleurs la crainte de retomber dans cette situation oblige les pays à être prudent quant à son utilisation. Le FMI exige, pour ces pays, le recourt à des prêts concessionnels[1] pour maintenir le cadre de soutenabilité de la dette. Ce critère limite les montants que les pays africains peuvent mobiliser sur les marchés financiers, obérant ainsi la portée des investissements publics. Cette situation amène à s’interroger sur l’impact de la dette[2] sur les performances économiques et sur la capacité des pays africains à s’endetter au delà du cadre actuel imposé par le FMI.

Le financement sous forme d’emprunt est le moyen le plus rapide pour un pays de disposer des capitaux nécessaires pour financer ces plans d’investissement ou couvrir les besoins ponctuels de trésorerie[3]. Ce moyen de financement a suscité des débats macroéconomiques quant à son impact sur la performance économique d’un pays. Certains économistes estiment que l’endettement est nécessaire pour la relance économique, notamment dans les pays en voie de développement. Selon les travaux de Rina et al. (2004), l’endettement n’est favorable à la croissance économique que s’il finance des investissements rentables. L’instrument fiscal, outil financier d’un Etat, est considéré comme un frein à l’activité. En effet, pour financer ses plans d’investissement, l’Etat peut être tenté d’augmenter l’impôt afin de mobiliser les capitaux. Ce faisant, la demande augmente certes mais avec les dépenses publiques, la demande privée se trouve être réduite. Cela suppose par ailleurs que l’économie est capable de répondre à cette nouvelle demande. Alors qu’avec la dette, l’Etat finance l’activité tout en préservant le pouvoir d’achat du privé. Ainsi l’endettement qui peut être considéré comme l’injection de capitaux supplémentaires dans une économie, permet de soutenir la dynamique économique.

Cependant, à un certain niveau, la dette devient nuisible. De fait lorsqu’un pays est en pleine phase de décollage, la dette permet de soutenir cette dynamique car le rendement du capital est assez fort durant cette période et chaque nouvel investissement est rentable ; mais à partir d’un certain seuil, tout nouvel investissement n’est plus rentable. Emprunter dans ces conditions devient néfaste à l’économie. De fait les gains des investissements permettent de rembourser les emprunts. Quand ces gains deviennent limités, l’Etat devra mobiliser des ressources supplémentaires pour assurer le remboursement de ces prêts. Krugman (1988) et Sachs (1989) considèrent donc que la dette ne devrait pas excéder les ressources internes d’un pays, afin d’éviter que le pays ne tombent dans une situation de défaut, qui se traduirait par son incapacité à rembourser les emprunts passés et dissuaderait les investisseurs potentiels.

L’endettement peut aussi provoquer la fuite des capitaux privés. En effet, l’endettement se traduit par une aggravation du déficit budgétaire, du fait que ces emprunts financent essentiellement les dépenses en capital. Quand le tissu industriel est aussi atrophié que celui des pays africains pour absorber cette demande publique, les importations évoluent à la hausse en lien avec les entrées de biens d’équipement et en machines, provoquant ainsi un déficit de la balance courante. Ces déséquilibres font craindre au secteur privé une dévaluation ou la hausse des impôts pour assurer le service de la dette. Celui-ci devient alors réticent à financer des projets, aussi porteurs soient-ils.

La nécessité de disposer de ressources financières suffisantes pour assurer le décollage économique ne peut se passer de mécanismes d’endettement, plus particulièrement dans le contexte économique mondial actuel marqué par des crises et rendant presqu’indisponible les ressources en dons pour les pays en voie de développement, comme ceux de l’Afrique subsaharienne. Cependant, au-delà de toutes les considérations théoriques sur la question, ces mécanismes ne sont profitables que si les revenus futurs peuvent permettre de couvrir les engagements pris. Au regard de la dynamique actuel du continent et des contraintes imposées par le FMI quant au niveau tolérable d’endettement, on pourrait être tenté de penser que l’Afrique est sous endetté. Qu’en est-il réellement, dans un contexte où les investissements réalisés à partir d’emprunts concernent notamment des projets d’infrastructures que des projets rentables ? Un prochain article tentera d’analyser la situation de la dette en Afrique, tout en essayant de déterminer si le continent dispose d’une marge pour prendre de nouveaux engagements financiers. 

Foly Ananou


[1] Prêts incluant au moins 35% de dons.

[2] Il s’agit de la dette publique, qui représente l’ensemble des créances dus par l’administration centrale et les collectivités locales

 

 

[3] Il s’agit notamment des emprunts à moins d’un an. 

 

 

Pour un système plus efficace de paiement des per diem en Afrique

incentivesUtilisée essentiellement comme instrument de motivation, le paiement de per diem est devenu dans certains pays d’Afrique, la règle plutôt que l’exception, faussant ainsi l'impact des efforts de développement et constituant  un poids supplémentaire pour les  finances publiques. Le sujet mérite d’être analysé, dans le contexte actuel de raréfaction des ressources financières en dons et les moindres performances fiscales des pays Africains. Un article précédent discutait de son impact sur l’économie, plus particulièrement sur les finances publiques. Dans la même lignée, cet article se propose d’aborder des pistes de réflexion pour rendre le système de paiement de per diem plus optimale.

Face au constat de l’abus des per diem et de ses conséquences sur les finances publiques et les efforts de développement, la question qui se pose est de savoir s'il faudrait les supprimer ou pas.  Une étude récente de la BAD (Banque Africaine de Développement) essaie de répondre à la question, en s’appuyant sur les facteurs pouvant motiver les fonctionnaires à faire la chasse au per diem.

Avant toute chose, revisitons la notion de motivation, qui semble-t-il serait au centre de ce phénomène. Le concept de motivation est régi par la loi de l'offre et de la demande et l'effet-prix associé. Augmenter les incitations monétaires augmente l'offre. Par conséquent, plus élevés seront les per diem, plus motivés les gens seront à participer à des ateliers, des séminaires, etc. Cela pose, cependant, un problème quant à la qualité des participants et la pertinence des travaux qui seront menés. Il y a en effet un risque que les gens inappropriés participent aux ateliers, les gens convenables étant évincés. Des psychologues sociaux (Reitman, 1998; Frey, 2001; Meiyu et Gerhart 2012) ont déterminé que la structure de motivation des individus est constituée de la motivation extrinsèque et de la motivation intrinsèque. La motivation extrinsèque provient de l'extérieur de l'individu et implique des récompenses externes (l'argent, des prix à l’évaluation des performances, etc.) alors que la motivation intrinsèque ou "motivation du comportement" vient de l'intérieur et s’attache à la volonté de contribuer à la résolution des problèmes. Ainsi la chasse au per diem serait plus portée par la motivation extrinsèque. L’objectif serait donc de disposer d’un système de per diem permettant de ne sélectionner que des personnes motivées intrinsèquement.

UntitledLa nature de l'interaction entre les per diem et les motivations peut être formellement analysée à l’aide du modèle de Frey (2001). La figure ci-contre représente l’adaptation du cadre proposé par Frey, qui montre  graphiquement l'interaction entre les per-diem et l'effet d'éviction pour la participation à un atelier hypothétique. S est la courbe de l'offre traditionnelle basée sur l'effet relatif des prix: augmenter la récompense externe (per diem) pour la participation de O à R augmente la participation à l'atelier de A à A'. L'effet d'éviction fait  déplacer la courbe d'offre vers la gauche pour S' (suite à la chute de la motivation intrinsèque). Ainsi, augmenter le per-diem de O à R mène au point C (au lieu de B). Comme le montre la figure, l'effet d'éviction domine l'effet des prix relatifs et en augmentant la récompense de O à R, on constate une réduction de la participation de A à A''. Une fois que la motivation intrinsèque a été évincée complètement, la courbe d'offre normale (S') reprend la main, et en augmentant la récompense  le nombre de participants augmente mais il ne s'agit là que des individus inappropriés.

Trois hypothèses peuvent être formulées pour un individu-type :

H1 = l’Africain est un individu avec une motivation purement extrinsèque.

Il n'a pas de motivation inhérente à assister à l'atelier et est seulement intéressé par les récompenses monétaires associées à la participation, sans égard  de ce que sera sa contribution à l'atelier ou de la plus value intellectuelle qu’il peut y gagner et qui pourrait influencer son institution et l'impact pour le développement de son pays ou région.

H2 = l’Africain est un individu  avec une motivation purement intrinsèque.

Il n'a pas besoin de per diem pour assister à l'atelier, ou il a seulement besoin d'être remboursés suivant le coût réel que cela constitue. Cette personne non-rationnelle (au sens économique) est seulement motivée par son «esprit patriotique» avec le désir d'être utile et serviable. Il participera à l'atelier s’il estime pouvoir apporter une valeur ajoutée à l'atelier ou acquérir des connaissances qui pourrait l’aider à changer positivement son environnement.

H3 = l’Africain est entraînée par un mélange de motivation intrinsèque et extrinsèque.

Entre les cas extrêmes décrits ci-dessus, il y a toute une gamme de combinaisons possibles de motivation intrinsèque et extrinsèque. La situation la plus probable est qu'un individu type, soit habité par un mélange des deux. Dans ce cas, l'introduction de la récompense monétaire a en même temps un effet positif sur la motivation extrinsèque sans nuire à la motivation intrinsèque. Cependant l’effet global dépendra de l’effet relatif de l’un sur l’autre. L’objectif visé ne sera pas atteint si l’effet positif sur la motivation extrinsèque l’emporte sur la motivation intrinsèque car le nombre de participants plus motivés par l’argent que par la formation sera élevé. Il s’agira donc de trouver l’équilibre. 

Ce modèle révèle que la suppression des per diem n’est pas la solution. En effet, le paiement de per-diem permet dans une certaine mesure à accroitre la motivation des collaborateurs,  indispensables pour l’organisation. L’idéal serait de pouvoir retenir comme participants aux ateliers ou activités similaires, les individus de type H2 ou H3.

Il faudrait donc revenir aux objectifs premiers de l’instauration des per diem, à savoir la couverture des frais des agents en mission ou appelés à des fonctions n’entrant pas dans leur cahier de charge. Ainsi le système devrait plus s’attacher au remboursement des notes de frais. Au lieu des sommes forfaitaires, qui sont généralement bien au delà du cout réel de la mission sur le terrain, on pourrait déterminer une grille évaluée à la baisse, obligeant l’agent à présenter des pièces justificatifs sur la base desquels lui sera remboursé le reliquat. Cette grille pourra aussi inclure les types de dépenses qui feront l’objet d’un remboursement. Elle pourra, par ailleurs, préciser les taux de rémunération suivant le type d’activité et le lieu sans distinction dans la hiérarchie, sur la base d’une enquête relative au niveau de vie dans les différentes zones où sont généralement affectés les agents. Ainsi, les agents cherchant à se rendre en mission, espérant ainsi « arrondir leur fin de mois », ne seront plus tentés par l’expérience. Ce faisant, la mission devient plutôt coûteuse pour l’agent qu’il n’oserait plus s’inscrire pour des activités sauf en cas de réelle nécessité. 

En ce qui concerne le remboursement, il devrait intervenir seulement à la fin de l’activité et suite à la présentation des documents justificatifs. Aussi, le paiement devrait se faire à travers des transactions bancaires plutôt qu’en espèce. Ce faisant, on limiterait les pratiques de corruption et autres détournements liés au versement per diem.

Par ailleurs, la faiblesse des salaires étant l’une des causes de la chasse aux per-diem, les Etats devraient considérer leurs revalorisations, afin qu’ils soient plus incitatifs pour les fonctionnaires. Ce facteur, au-delà de la chasse au per diem, constitue une contrainte à l’efficacité des services publics. Revaloriser les salaires permettrait certainement de motiver suffisamment le fonctionnaire à exceller dans sa tâche et à être moins porter vers la recherche de revenus complémentaires.

En marge d’un système  de paiement de per diem qui se présente aux agents comme une source de dépenses supplémentaires, les Etats doivent s’orienter vers des outils de plannification et de contrôle afin ,d’une part, de réduire les multitutdes de réunion et autres activités « classées » comme mission au strict minimum et d’assurer, d’autre part, un suivi permanent de la participation des agents désignés à ces différentes activités.

L’abus des per-diem sur le continent est un sujet tabou relevant pratiquement de l’économie souterraine. Cela représente un coût caché considérable, avec un impact négatif sur les finances publiques et les efforts de développement. Ca pourrait être qualifié de corruption si l’on suit certains auteurs affirmant que la corruption est constituée de deux faces: l’une publique et comprise comme illégale, et l’autre enchâssée dans les pratiques sociales et légitimée. Il n’existe évidemment pas de solutions simples à un problème aussi complexe, mais toutefois, on peut ameliorer le système, tout au moins pour accompagner le processus de rattrapage du continent tout en assainissant les finances publiques. Une meilleure planification et une réforme de la fonction publique notamment en ce qui concerne le traitement des fonctionnaires seraient un premier pas dans ce sens, qui pourrait être pérennisé avec un système de versement des per diem qui fait appel à la volonté des individus à contribuer au développement de leur institutions et de leur pays.

                                                                                                                              Arnold Peyrol ANGLO.

Sources:

Guy Blaise NKAMLEU and Bernadette Dia KAMGNIA, Use and abuse of Per-diem in Africa, A political economy of travel allowances Working paper series 196 February 2014, African Development Bank

Valéry Ridde, « Réflexions sur les per diem dans les projets de développement en Afrique », Bulletin de l'APAD [En ligne], 34-36 | 2012 URL : http://apad.revues.org/4111

Seven ways to stop per diem abuse in aid work. Posted in NGOs  May 29, 2013, Piroska Bisits Bullen

Vers des institutions plus inclusives en Afrique

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Dans cette partie, nous examinons le cas particulier de l’Afrique. Quel bilan peut-on faire de l’évolution des institutions Africaines ? Comment l’Afrique peut-elle utiliser cette nouvelle grille de lecture proposée par Acemoglu et Robinson ?

Les institutions n’ont pas toujours été extractives en Afrique

Historiquement, Acemoglu et Robinson nous apprennent que l’esclavage a été un choc négatif sur les institutions Africaines dans la mesure où la capture et la vente généralisée des sujets ou des prisonniers de guerre a considérablement affaiblie la confiance entre les sujets et détruit la qualité des institutions. Suite à l’abolition de l’esclavage dans les pays plus développés, la colonisation a pris le relais cette fois-ci sur place à travers les travaux forcés auxquels collaboraient les chefs locaux en contrepartie du maintien de leur statut. Ainsi, les institutions ont été perverties là où elles étaient inclusives et aggravées dans les cas où elles étaient déjà extractives. Après les indépendances, ces mêmes institutions extractives ont été perpétuées dans la plupart des nouveaux Etats indépendants.[1]

Le cas des sociétés nationales de promotion agricole illustre bien la persistance d’institutions économiques extractives en Afrique.[2] Ces sociétés (anciennement bureau agricole) servaient à l’administration coloniale de jouer l’intermédiaire entre les agriculteurs et les acheteurs de produits agricoles sur les marchés internationaux. En tant que seul acheteur de la production, le Bureau agricole pouvait fixer le prix d’achat indépendamment de la demande et généralement à un niveau largement plus bas que le prix de revente sur les marchés internationaux. Selon Acemoglu et Robinson, cette extorsion s’est même amplifiée après les indépendances dans certains pays Africains comme la Sierra-Leone. Dans ces conditions, les agriculteurs n’ont aucun intérêt à augmenter la productivité agricole, dans la mesure où les profits additionnels générés sont systématiquement extorqués par les sociétés de promotion agricole.

Aujourd’hui, quelle est la qualité des institutions en Afrique ?

Lorsqu’on observe le tableau synthétique du modèle de Acemoglu et Robinson, ce qui nous intéresse est de savoir la case dans laquelle se trouve(ra) l’Afrique.

Sans titre
Source : Extrait de la presentation de Acemoglu et Robinson

Cela dépend évidemment des pays. De façon générale, la réponse à cette question nécessite d’évaluer l’ampleur des potentielles barrières économiques et politiques qui entravent l’effectivité des institutions inclusives sur le continent.

Sur le plan économique, il s’agit notamment de suivre l’évolution de la concurrence, des barrières à l’entrée dans les secteurs régulés, des licences requises pour l’exercice de certaines activités économiques. En complément à ces différents facteurs, il serait intéressant de mesurer l’inclusivité de la croissance économique ; c’est-à-dire la part de population qui bénéficie de la croissance économique, soit en y participant directement ou en bénéficiant des politiques de redistribution.

Sur le plan politique, il y a lieu de savoir dans quelle mesure les différents groupes d’intérêts de la société africaine participent effectivement à la prise des décisions politiques. En particulier la prise en compte des différents intérêts lors des changements de constitution importe beaucoup dans l’évaluation de l’inclusivité des institutions politiques africaines.

Actuellement nous disposons de très peu d’informations pour faire une telle évaluation. D’un point de vue quantitatif, l’idéal serait d’avoir un indicateur de développement inclusif à deux composantes : un indice de croissance inclusive et un indice de démocratie inclusive.

D’un point de vue qualitatif, les vagues de démocratisation du pouvoir politique observée à travers la tenue régulière d’élections, quoique souvent contestées, la baisse de la violence et des conflits armés suggèrent une légère amélioration des institutions politiques. De plus, les vagues de manifestations, voire de révolutions qui secouent de temps à autre les régimes politiques africains sont aussi des signes de vitalité des institutions politiques. A cela s’ajoute l’émergence et l’adoption des nouvelles technologies de communication et d’énergie sur le continent. Tous ces facteurs semblent indiquer un dynamisme de l’Afrique vers des institutions économiques et politiques plus inclusives.

Une question reste posée : l’émergence des institutions inclusives est-elle indépendante de la constitution des hommes qui composent la société ? Le modèle d’Acemoglu et Robinson ne nous dit rien sur la façon dont émerge des institutions inclusives. Dans la mesure où les institutions émanent des hommes, il nous semble que leur constitution dans la cellule sociologique la plus réduite qu’est la famille et dans la cellule sociologique la plus vaste qu’est la société détermine leur contribution à l’édification d’une société stable qui promet l’épanouissement de tous, sans aucune exception, ni discrimination. Cela sous-entend que la structure de la famille, de même que l’organisation de l’éducation peuvent être des facteurs déterminants pour l’émergence d’institutions inclusives. Ce sont là des pistes de réflexions à mener dans de prochains articles.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Nous reconnaissons le besoin de faire un travail fouillé sur les sociétés africaines qui avait des institutions inclusives avant l’esclavage et la colonisation.

 

 

[2] L’argument classique en faveur de ces sociétés est celui de l’assurance qu’elles procurent aux agriculteurs contre la volatilité du cours mondial des matières premières.

 

 

Les per diem en Afrique : une pression pour les finances publiques

incentivesUtilisé essentiellement comme instrument de motivation, l'abus des per diem est devenu dans certains pays d’Afrique la règle plutôt que l'exception, faussant l'impact des efforts de développement et constituant un poids supplémentaire pour les  finances publiques. Le sujet mérite d’être analysé dans le contexte actuel de raréfaction des ressources financières en dons et les faibles performances fiscales des pays africains. Cet article propose une analyse du système de paiement de per-diem en Afrique et de son impact[1].

Avant toute chose, il convient de préciser que le per diem[2] est une somme d'argent qu’une organisation donne à une personne par jour, pour couvrir les dépenses liées à une mission dans le cadre de travaux effectués loin de son domicile. Cette indemnité journalière élimine la nécessité pour les employés de présenter des rapports de notes de frais. Au lieu de cela les employeurs versent aux employés un taux journalier normal, sans égard du montant effectivement dépensé par l'employé, simplifiant ainsi les formalités administratives en éliminant les contrôles nécessaires dans un système de remboursement de notes de frais.

La pratique du per diem en Afrique

En Afrique, le versement des per diem est apparue dans les années 70-80, pratiquement au même moment que l’aide publique au développement et concomitamment à l’accroissement de la mise en œuvre des projets de coopération internationale. Un observateur critique des programmes d’aide au développement des années 1980 décrivait la manière dont l’arrivée massive de l’aide et des per-diem pouvait provoquer une « new epidemic in Africa : Fat Aids ».

Les taux sont déterminés par voie de négociation entre le gouvernement et les bailleurs de fonds et en fonction de l’activité (ou de la mission) en ce qui concerne les projets financés sur ressources financières extérieures ou de façon discrétionnaire par l’Etat pour des activités financés sur ressources intérieures. Il existe donc des différences considérables du taux de per-diem entre les projets, même lorsque les sources de financement sont les mêmes. Généralement, les per-diem accordés par les donateurs sont plus élevés que ceux accordé par l’état. Au Mali Par exemple, le taux de per-diem du gouvernement  est compris entre 4000 et 7500 FCFA, contre 15 000 FCFA pour les projets financés sur dons (Bergamaschi et al, 2007).

L’absence d’un bon système statistique ne permet pas vraiment d’apprécier globalement ces dépenses. Dans certains pays, l'ampleur des sommes dépensées au titre de per diem est telle que les gouvernements préfèrent ne pas les communiquer. Des rapports récents ont tentés de fournir des données budgétaires sur les indemnités journalières de deux pays : la Tanzanie et le Malawi.

En Tanzanie, un document de politique préparé par le Forum des politiques en 2009 a indiqué qu’entre 2001 et 2006, les sommes allouées au per diem ont augmentés de plus de trois fois. Au cours de l'exercice 2008/2009, la Tanzanie a budgétisé près de 390 MUSD pour les per diem. Un montant équivalent au salaire de base annuel de 109 000 enseignants (soit plus des 2/3 de tous les enseignants du pays). En 2009/2010, le montant alloué aux allocations représentait 59%  de la masse salariale. Une étude de Soreide et al. (2012) pour l'Agence norvégienne de coopération pour le développement a révélé que 16,2% de la masse salariale (soit près de 32% du budget national en 2011) étaient affectés au paiement des indemnités journalières.

Au Malawi, une étude de Peprah et Mangani (2010) a révélé que les allocations liées aux voyages constituent l'essentiel des indemnités et représentent 76% de toutes les indemnités versées en 2010. En proportion des salaires, le paiement des indemnités en général représentait 29%, et celles liées aux voyages spécifiquement représentaient 21,9%. Au cours de la période 2006/2007-2010/2011, le budget « voyage » (la somme des déplacements à l’intérieur et à l’étranger) représentait en moyenne 11,4% du budget national.

Les deux exemples ci-dessus, bien que non représentatifs de la réalité dans tous les pays du continent, donnent une idée de l'ampleur des dépenses en per-diem.

Un système devenu une source complémentaire de revenu

Le paiement des per diem est dans bien de cas justifié, mais force est de constater que les montants sont bien au-delà des frais réels liés à la mission. Un tel système de quotas crée des possibilités d’abus. C’est d’ailleurs ce qu’observe la BAD. Dans certains pays, les per diem sont devenus un complément des salaires, amenant les fonctionnaires à définir des stratégies afin d’en bénéficier. Ce système renforce la pratique de la corruption et affecte négativement l’efficacité de services publics

Les ajustements structurels qu’ont subis la plupart des pays africains dans les années 90, ont affecté à la baisse des salaires dans le secteur public. Depuis lors, le salaire du fonctionnaire est resté relativement faible. Ces bas salaires, dans le contexte actuel de renchérissement du coût de la vie, incitent ces-derniers à accepter les pots de vin ou à détourner des ressources publiques. Pour faire face à cette situation, les gouvernements ont mis en place une variété de récompenses autres que les salaires de base, telles que  des indemnités de déplacement, les droits à pension, le logement, les allocations de santé, éducation, etc. Les indemnités paraissent particulièrement intéressantes pour les fonctionnaires. C’est en effet un moyen légal et non répréhensible d’augmenter le revenu mensuel. Ainsi assiste-t-on à une course au per-diem (per diem hunting) qu’un auteur burundais qualifie de « sport national » ou « gagne,qui peut » avec des stratégies de capture. L’objectif est donc pour les  « perdiemists » de multiplier leur présence au plus grand nombre possible de formations, ateliers et réunions proposant des per diem, parfois même au cours de la même journée ; développant ainsi un véritable « frog-leap », qui se réalise dans la pratique répandue du saut de grenouille. Cette stratégie consiste à signer les feuilles de présence de plusieurs réunions au cours d’une même journée sans y assister réellement. Pour mieux profiter de ce système, des formations, ateliers ou sommets inutiles sont organisés. Cette pratique est ironiquement dénommer « trainingism » ou « workshop symdrom » par les anglophones. Des fois, la même formation est organisée plusieurs fois pour les mêmes participants qui sont pour la plupart du temps absents ou qui passent juste avant la pause café. Certains services publics se trouvent ainsi vider de leur personnel, réduisant par voie de conséquence la performance des services publics.

Si bien souvent la pratique des per diem est justifiée, ce système laisse des marges à bien des abus. Ses abus ont un impact négatif sur les dépenses publiques, les projets de développement et ne facilitent pas forcément  l’atteinte  des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés pour 2015. Ils participent au maintien  du statu quo, à entretenir un ordre négocié et des relations de clientélisme et de pouvoir discrétionnaire. Dans un prochain article, nous allons explorer les pistes pour un système de per diem plus efficace.

                                                                                                                                                       Arnold ANGLO

Sources :

Guy Blaise NKAMLEU and Bernadette Dia KAMGNIA (Février 2014). Use and abuse of Per-diem in Africa : A political economy of travel allowances. Working paper serie n° 196, African Development Bank

Valéry Ridde, « Réflexions sur les per-diem dans les projets de développement en Afrique », Bulletin de l'APAD [En ligne], 34-36 | 2012 URL : http://apad.revues.org/4111


[1] Il s’agit essentiellement des per-diem accordé par l’état, ou issue des aides aux développement au travers de projets, appelé avec humour « Dollar projects » au Nigéria.

 

 

 

 

 

 

[2] « indemnité » ou encore « prime » en français ;  « allowances », « incentive » en anglais

 

 

 

 

 

 

Sortir du sous-développement: le rôle des institutions

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Grâce à leur modèle de réflexion, il est possible d’identifier les forces qui engendrent, entretiennent ou brisent le sous-développement.

Les forces qui permettent de briser le cercle vicieux du sous-développement

Historiquement, seuls les phénomènes naturels, les révolutions politiques et les ruptures économiques (innovation exogène) ont été en mesure de briser le cercle vicieux du sous-développement résultant de l’absence ou de la faiblesse des institutions.

Curieusement, les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre, les inondations ou les pandémies sont de puissantes forces redistributives des pouvoirs politiques et économiques. Cependant, en tant que phénomènes naturels, elles ne conduisent pas toujours à une meilleure redistribution des pouvoirs. Par exemple, les personnes qui sont initialement plus pauvres (économiquement et politiquement) peuvent aussi habiter les régions sismiques, inondables, comme dans des environnements plus favorables aux épidémies. Le tremblement de terre en Haïti ou le Tsunami de 2004 en Indonésie sont des exemples de catastrophes naturelles susceptibles de modifier durablement la distribution des pouvoirs dans la société et de repartir sur des bases nouvelles. Toutefois, elles ne sont pas souhaitables pour « redistribuer les cartes » au sein d’une société, compte tenu de leur neutralité par rapport aux conditions initiales.

Aujourd’hui, les révolutions politiques constituent les moyens les plus courants de renversement de l’ordre existant. Le « printemps arabe » illustre bien ce moyen d’action. D’un point de vue historique, la Révolution Glorieuse en Angleterre (1688-1689), dans la forme pacifique, et la Révolution Française (1789), dans la forme violente, sont des exemples de révolutions qui ont durablement changé la distribution du pouvoir politique et économique dans ces pays. A l’issue de ces révolutions, généralement conduites par la multitude défavorisée, les institutions politiques sont devenues plus inclusives du fait de son implication le processus de décision. De même, elles ont été à l’origine d’une révision des rapports sur le marché du travail (abolition de l’esclavage, revalorisation des salaires, mise en place de cadre de négociations appropriés des salaires, amélioration de l’accès à la santé et à l’éducation pour tous, etc.).

En plus de la révolution politique, les ruptures dans les échanges économiques comme la révolution industrielle, la découverte des Amériques et l’explosion du commerce international qui en a découlé, sont aussi de puissantes forces susceptibles de déclencher le cercle vertueux du développement à travers la modification des institutions économiques. Plus spécifiquement, ces ruptures redistribuent le pouvoir économique grâce à l’enrichissement de nouveaux entrepreneurs. Ces derniers profitent des nouvelles idées, des nouvelles technologies pour fructifier des opportunités d’affaires et s’engager dans le processus de création de la richesse.

Pourquoi les révolutions politiques et économiques échouent ?

Si chacune de ces trois forces peuvent ouvrir des fenêtres d’opportunités sur le développement, il n’en demeure pas moins qu’elles ont besoin d’être déployées dans des conditions minimales afin de garantir un développement durable.[1] Idéalement, les résultats sont plus significatifs et durables lorsque les révolutions politiques se produisent dans un contexte de révolution industrielle ou plus généralement d’innovation. Par exemple, selon Acemoglu et Robinson, la prospérité durable de l’Angleterre et de la France est liée à l’occurrence presque simultanée de révolutions politiques et économiques. La Révolution Glorieuse a permis de limiter les pouvoirs de la monarchie britannique alors que l’essor du commerce international grâce à l’esclavage et à la découverte des Amériques a créé de nouveaux riches réclamant davantage de libertés.

La présence d’institutions extractives, est à la base de l’échec des révolutions politiques et économiques, dans la mesure où leurs retombés ne sont pas utilisés pour préparer une prochaine vague d’innovation (révolutions politique et économique). Tel que documenté par Acemoglu et Robinson, le déclin des empires Aztec et Inca en Amérique du Sud, de l’Egypte Antique, de l’empire Kongo, et même de l’ex-Union Soviétique est en partie expliqué par l’occurrence d’une innovation économique dans un contexte d’institutions extractives. Malgré que ces empires fussent initialement prospères, la propriété privée n’y était pas garantie, encore moins les libertés politiques. Ainsi, les incitations à innover étaient plus faibles, créant ainsi un retard technologique sur les autres pays du monde.

Le cas de l’ex-Union Soviétique illustre bien comment l’introduction des nouvelles technologies dans une économie extractive peut générer de la croissance en présence d’un pouvoir politique centralisé. Il illustre aussi pourquoi cette croissance ne peut être durable. En effet, dans un Etat centralisé comme l’ex-Union Soviétique, la capacité de l’Etat à réallouer les ressources économiques dans les secteurs productifs de même que l’introduction du train et des NTICs a engendré une croissance forte, faisant d’elle la deuxième économie mondiale. Cependant, cette croissance était capturée par une élite profitant des institutions politiques extractives. Il s’en est suivi très peu d’innovations, conduisant à un essoufflement de la croissance à partir des années 60.

Le cas le plus frappant est celui de l’esclavage et de la colonisation en Afrique qui font suite à la révolution industrielle en Angleterre. Il montre bien comment les innovations majeures comme la machine à vapeur et l’imprimerie ont eu des impacts différents selon la qualité initiale des institutions. Alors que ces innovations ont été largement adoptées dans les pays Européens ayant subis aussi des révolutions politiques, cela n’a pas été le cas dans les royaumes et empires Africains qui étaient pourtant en contact avec les européens et connaissaient donc bien l’utilité de ces technologies. L’une des explications à la base de cette faible adoption est bien l’absence d’un droit de propriété privée. Le roi pouvait exproprier et redistribuer les terrains agricoles à sa guise, ce qui n’incitait pas les agriculteurs à augmenter leur productivité.

Toutefois, comme nous le verrons dans la troisième partie de cette série d’articles, les institutions n’ont pas toujours et partout été extractives en Afrique. Nous nous interrogerons aussi dans cette troisième partie sur la position actuelle et les perspectives des institutions en Afrique.

Georges Vivien Houngbonon

Les conséquences des institutions extractives : Expropriation de la force de travail

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[1] Ici la durabilité ne fait pas allusion à l’épuisement des ressources naturelles.

 

 

 

Finance islamique : une opportunité à saisir ?

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Face aux défis du développement et des contraintes liées à la rareté des ressources financières en dons, les pays africains tentent de trouver des alternatives moins coûteuses aux mécanismes de financement traditionnels. Dans cette optique, ils s’ouvrent de plus en plus au profit des ressources financières asiatiques : chinois et arabes essentiellement. Si des travaux sont en cours sur la stratégie chinoise en Afrique, l’opportunité des ressources financières arabes pour le continent est assez mal connue alors qu’elles semblent susciter un grand intérêt auprès des décideurs du continent. C’est dans ce contexte que le Bureau de L’Afrique des Idées  de Dakar a organisé le 29 mars 2014 une conférence, animée par des spécialistes du sujet : Dr Abdou Karim Diaw[1] et M. Rodolph Missihoun[2]. Cet article fait une synthèse des principaux enseignements sur la finance islamique issus de cette conférence et le rôle qu’elle pourrait jouer dans le processus de développement de l’Afrique.

Très peu connue et demeurée assez longtemps l’outil financier des pays musulmans, la finance islamique intéresse de plus en plus le monde. Outre sa banque qui s’implique dans le développement (la BID), elle dispose d’autres instruments comme les sukuks (similaires aux obligations classiques) qui intéressent de nombreux pays. Londres, centre financier de classe mondiale, veut d’ailleurs se positionner comme pionner de l’insertion de cette finance dans le monde occidental en émettant cette année des sukuks à hauteur de 233 MEUR. Elle a d’ailleurs aménagé sa réglementation à ce propos et abrite de nombreuses formations diplômantes spécialisées en finance islamique. En Afrique, le Sénégal s’apprête à tester le marché financier islamique avec une émission de sukuks pour  un montant de FCFA 100 Mds. Il a d’ailleurs déjà bénéficié de l’accord de la Banque Centrale pour son refinancement. Disposant de centaines de millions USD (près de 1 000 Mds USD fin 2012 contre 300 Mds USD en 1990), le marché financier islamique est en pleine expansion (ses actifs pourraient atteindre 4000 Mds USD à horizon 2020) et a donc de quoi susciter l’intérêt de tous, plus particulièrement de l’Afrique, dont les besoins financiers sont énormes.

Sur son fonctionnement

Il faut avant tout rappeler que la finance islamique présente les mêmes caractéristiques que la finance classique. De fait, elle ne se veut pas philanthropique. La finance islamique s’appuie sur les principes de la Charia, qui considèrent illicites la perception de ressources financières sur des placements financiers par le mécanisme des taux d’intérêt. Les principes de la Charia supposent que chaque gain devrait être motivé par l’exercice d’une activité, ce qui n’est pas systématiquement le cas dans la finance classique. Ainsi les prêts dans le cadre de la finance islamique prennent plutôt la forme d’une prise de participation

Les acteurs pilotes de la finance islamique jouent un rôle d’entrepreneur multitâche aux allures de fonds d’investissement. Deux cas se présentent : le financement d’une activité rentable (prêt pour entreprise ou pour l’exécution d’un projet) ou d’un projet à dimension social (prêt aux particuliers ou à des entités publiques). Dans le premier cas, suivant que les acteurs estiment le projet viable, ils y participeront en tant qu’investisseurs et non en tant que banquiers. Dans ce contexte, les fonds investis dans le projet seront rémunérés en fonction des bénéfices générés et du quota dans le capital. L’avantage dans un tel système est que le prêteur « islamique » subira les risques inhérents au projet. Dans le second cas, le prêteur se prémunit des risques liés à l’investissement.

L’objectif est donc de répondre à un besoin financier réel tout en supportant les risques et en accompagnant l’emprunteur dans la réalisation de ses projets. Pour ce faire, le système financier islamique s’appuie sur un groupe bancaire, qui a les mêmes attributs que le groupe de la Banque Mondiale : la Banque Islamique de Développement ; et un ensemble de banques commerciales islamiques.

La mobilisation de fonds sur le marché financier islamique peut se faire auprès de banques commerciales islamiques, auprès de la Banque Islamique de Développement (BID) dont les activités concernent notamment le développement socio-économiques ou à travers l’émission de sukuks. Les sukuks sont des certificats d'investissement qui fonctionnent selon les mêmes critères présentés précédemment. Ils consistent pour le détenteur à participer à l’achat d’un bien qui sera revendu à un prix majoré au client, qui rembourse alors selon un échéancier sur lequel les deux parties se sont entendues. Il percevra ainsi comme rémunération du sukuk la marge en fonction de son niveau de participation.

La Finance Islamique en Afrique

L’exercice de la finance publique est essentiellement du fait de la BID. Sur les 56 membres de cette banque, 22 sont africains dont 17 en Afrique subsaharienne (12 sont Ouest-Africains). Au troisième trimestre 2013, les engagements de la BID dans le monde aurait atteint une centaine de milliards de dollars. En Afrique ces interventions sont plus concentrées au Maghreb. Pour renforcer sa présence en Afrique subsaharienne, la BID avait mis en place en 2008 un programme spécialement dédié à l’Afrique : le Programme Spécial pour le Développement de l’Afrique doté d’un portefeuille de 12 Mds USD (dont 4 de fonds propres de la BID et les 8 autres auprès de ses partenaires) sur la période 2008-2012 sur des thématiques telles que l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’eau et l’assainissement, l’énergie, le transport, les infrastructures, l’éducation, le renforcement des capacités, la santé et le contrôle des maladies transmissibles. Le bilan de ce programme révèle que ce sont au total 13 Mds USD qui ont été engagés à travers ce programme dont 5 provenant des fonds de la Banque, dont 59% pour l’Afrique subsaharienne.

La BID en soi constitue une institution solide, qui peut mobiliser autour d’elle d’autres bailleurs susceptibles de financer des activités de développement en Afrique. Les principales agences de notation du monde lui attribuent un niveau de risque nul. Comme dans le cadre du PSDA, elle a pu permettre aux pays africains de disposer de 8 Mds USD supplémentaires, mobilisés auprès de ces partenaires. Si la BID ne conditionne pas ces interventions par des critères socio-politiques[3], très fréquents dans le cadre africain et qui pourraient constituer une source de risque, sa force réside dans le choix des projets dans lesquels elle intervient mais aussi à ses principes de fonctionnement fortement ancré dans les principes de la charia.

Elle dispose d’autres outils similaires à la Société Financière Internationale (IFC) de la BM[4] (la Société islamique de développement du secteur privé – SIDSP) et son Agence Multilatérale de Garantie des Investissements[5] (la Société Islamique d’Assurances des Investissements et des Crédits à l’exportation – SIAICE) destinés au secteur privé, très peu connus sur le continent.

Quelques banques commerciales islamiques sont présentes sur le continent mais sont plutôt concentrées dans les pays du Maghreb. Leur émergence dans la zone subsaharienne est contrainte par une mauvaise connaissance du marché financier islamique, à une réglementation qui ne favorise pas leur établissement mais aussi aux conditions d’endettement assez particulières des pays africains auxquels le Fmi exige de n'avoir recourt qu'à des ressources financières comprenant au minimum 35% de dons. 

Il est évident que l’Afrique pourrait profiter de l’expansion de la finance islamique. Les principaux acteurs de ce marché alternatif à la finance classique ont, pour leur part, déjà adopté une stratégie devant leur permettre de s’implanter durablement sur le continent, présenté aujourd’hui comme l’un des moteurs de la croissance mondiale. Quelques bureaux régionaux de la BID ont déjà été installés : une pour le Maghreb, l’Afrique de l’ouest et l’Afrique de l’est. La BID œuvre déjà pour l’assouplissement du cadre réglementaire afin de favoriser l’implantation de banques commerciales islamiques.  Elle oriente de plus en plus les Etats vers les sukuks. L’Afrique, de son côté, devrait tenter de s’approprier cet outil qui présentent de nombreux atouts, en s’impliquant un peu plus dans le processus de son installation sur le continent à travers la réglementation et en portant une attention particulière sur les approches utilisées dans la détermination des marges mais aussi en développant ses capacités en termes de négociation, qui jusque-là constituent un goulot d’étranglement dans le processus de développement de l’Afrique. 

Foly Ananou


[1]Ph.D. en finances islamiques.

 

 

[2] Economiste principal au Bureau Régionale de  la Banque Islamique de Développement.

 

 

[3] Elle n’intervient d’ailleurs jamais sur des questions d’ordre juridico-politique

 

 

[4] chargé du développement du secteur privé

 

 

[5] qui garantie les investissements étrangers dans les pays en voie de développement. 

 

 

Les classes moyennes en Afrique : quels impacts sur l’environnement socio-économique?

185298136Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Comment peut-on définir la classe moyenne, dans un espace où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article analyse le rôle de cette classe moyenne sur l’environnement socio-économique.

De l’avis de la Banque Mondiale, du FMI ou encore de la Banque Africaine de Développement, une révolution socio-économique serait en cours sur le continent, sous l’effet de l’émergence des classes moyennes. Un précédent article présentait les caractéristiques de ces classes moyennes. Selon les projections de la BAD repris dans le rapport 2011 sur les finances et le développement du FMI[1], elles représentent un peu plus du tiers de la population africaine, et devraient représenter plus de 40%  de la population d’ici 2060. Ainsi, elle est sensée contribuer considérablement aux performances économiques futures du continent. Selon la publication récente de la Banque Mondiale sur les perspectives économiques de 2014, la classe moyenne joue un rôle important. Elle formule une demande solvable de biens de consommation et de services publics de bonne qualité. Par ailleurs, on lui prête aussi un rôle crucial dans l’environnement politique.  Si de telles hypothèses permettent de présenter l’Afrique sous de bons hospices, la question relative à un réel changement structurel de l’environnement socio-économique du continent sur la base des performances économiques récentes reste entière.

Si la classe moyenne est considérée comme un moteur de développement c'est en partie parce qu’elle permet la formation d’un marché intérieur, qui deviendra le socle de la croissance. Des signes de la croissance de la demande intérieure en lien avec l’émergence des classes moyennes sur le continent sont déjà perceptibles, notamment dans le secteur des télécommunications et de l’automobile. Selon les données de la Banque Mondiale, 467 millions de personnes en Afrique subsaharienne avaient accès au téléphone portable en 2011 ; 1,8 millions avaient accès à internet en 2011 et près d’une vingtaine de millions disposaient d’une voiture particulière en 2007. Une étude de McKinsey[2] indique que d’ici 2015 le nombre de demandeurs de biens de base devrait augmenter de 221 millions personnes. Proparco renforce cette position du cabinet McKinsey en précisant qu’à l'horizon 2020, au moins 132 millions de ces consommateurs seraient solvables avec une dépense annuelle de 584 Mds USD.  En 2040, ce nombre sera porté à 243 millions sur une population de 1,2 Mds d’habitants, représentant un marché de 1 750 Mds USD. Ainsi d’ici 2040, la classe moyenne, que constituent ces consommateurs solvables, dépensera plus que les 300 millions de chinois connectés à internet et dont les dépenses actuelles atteignent 1 400 Mds USD par an. Cela justifie l’intérêt des multinationales étrangères qui définissent d’ores et déjà des stratégies pour se positionner en Afrique.  Certaines font déjà une bonne partie de leur chiffre d’affaires sur le marché africain. On peut citer dans ce registre Nestlé, Danonce, Bic, Corsair, Air France, Walmart. Les centres commerciaux pointent aussi leur tête. On en retrouve dans toutes les grandes capitales africaines (Dakar, Abidjan, Lagos, Cape Town). Un processus qui s’accompagne du développement du secteur bancaire. Les produits bancaires de plus en plus imaginatifs sont offerts, notamment pour soutenir la consommation.

L’autre aspect qui suscite un intérêt pour l’émergence des classe moyennes est sa supposée implication dans le processus de démocratisation. Il est considéré que ce groupe, porté par son éducation, demande plus de participations aux activités citoyennes et constitue un levier pouvant provoquer le changement. Une position qu’il convient de considérer avec prudence dans le cas africain dans la mesure où la classe moyenne africaine semble plutôt montrer une certaine apathie face au pouvoir politique, et trouverait plutôt son intérêt dans le statu quo. Devant la dévalorisation de l’Etat ou dans les situations conflictuelles, la classe moyenne en Afrique préfère jouer la carte de l’ignorance. De fait, ces classes intermédiaires aspirent à s’émanciper de la société traditionnelle africaine, sur fond de références empruntées au mode de vie occidental. C’est d’ailleurs cette émancipation qui incarne les valeurs d’une société orientée vers la compétitivité, la bonne gouvernance, les droits humains, l’éducation et plus généralement la recherche, et qui pourrait en faire un moteur induisant des changements structurels dans l’environnement socio-économique.

Ce processus apparaît plutôt complexe dans le contexte africain. Selon une étude de Marie A. (1997)[3], les membres de la classe moyenne africaine sont pris en tenaille entre leurs aspirations à la modernité urbaine, l’individualisme, d’une part, et la pression de leur communauté, régie par l’entraide et les obligations, d’autre part. Cette dernière pression est encore plus forte en période de crise d’autant plus que la solidarité est la seule forme de protection sociale et de redistribution des revenus, qui semble efficace dans les sociétés africaines. Pour ceux qui arrivent toutefois à créer une scission d’avec leur communauté, ils doivent se réfugier dans de nouvelles formes de solidarité (églises dites de réveil, les associations, etc.), qui permettent d’entretenir un réseau autour d’actions philanthropiques et de promotion individuelle mais comportent aussi leur part d’obligations. C’est dans l’approfondissement de ce processus d’émancipation que les membres de la classe moyenne pourraient donc procéder à des changements structurels de comportements et dans le développement. Ils pourraient, par exemple, refuser d’accueillir les migrants du village ou d’impliquer la famille dans l’entreprise. L’objectif serait de se déconnecter de ce système oppressant qui empêche l’individu de se constituer un patrimoine éducatif, financier ou culturel, nécessaire pour impulser un changement dans l’environnement socio-économique.

Il serait difficile de se prononcer en faveur d’un rôle décisif de la classe moyenne africaine telle que décrit dans un précédent article. Une chose évidente est qu’un cercle économique se met en place sur le continent : une société consumériste se forme, l’immobilier prend du poil de la bête et la bancarisation suit. Cela ne suffit pas cependant pour impulser des changements dans la mesure où cette classe d’individus cherche à se conforter et s’orienter vers les valeurs qui pourraient garantir pleinement son rôle en tant que facteur structurant. La classe moyenne africaine n’est à ce stade composée que d’individus qui cherchent à s’éloigner de la situation de précarité mais chargés d’aspirations, et est donc par voie de conséquence, porteuse de revendications.  Elle pourrait donc jouer un rôle décisif dans le processus de développement, à termes. Ceci passera tout d’abord par l’émancipation vis-à-vis de l’ordre traditionnel  puis s’attachera à la construction d’un Etat capable de compenser la perte de sécurité issue de la disparition des formes traditionnelles de protection sociale.

Foly Ananou

Sources :

Pierre Jacquemot (2012). Afrique contemporaine : les classes moyenne en Afrique.

Estearly W. (2001). The middle class consensus and economic development. Journal of Economic Growth VI.

Trois leçons venues d’Asie dont l’Afrique pourrait s’inspirer

98842212Beaucoup a été dit sur les raisons du « miracle » asiatique. Alors que dans les années 1950-1960, des pays d'Asie comme la Corée du Sud ou Taiwan avaient des niveaux de développement quasi similaires à ceux de pays africains comme le Ghana ou le Nigeria, les décennies suivantes ont vu les « dragons » puis les « tigres » asiatiques entamer à marche forcée un processus de rattrapage économique du monde développé. Un certain nombre d’analystes ont salué la « dictature éclairée » de dirigeants asiatiques comme Lee Kwan Yew (Singapour) ou Park Chung Hee (Corée du Sud) comme étant le facteur décisif de ce rattrapage. A contrario, l’Afrique aurait souffert de dictateurs malintentionnés et/ou mal-éclairés (Bokassa, Mobutu, Idi Amin Dada, Robert Mugabe, etc.) qui l’auraient conduit à sa perte. Le problème serait donc une question de leadership. Cette théorie, qui trouve encore un très grand nombre de partisans, est simpliste à plus d’un titre. Elle réduit la politique, à savoir la conduite des affaires de sociétés complexes, à une question d’individus, de morale et de bonnes intentions.

L’essai de l’économiste britannique Joe Studwell, « How Asia works », est donc à saluer à plus d’un titre. L’auteur y explique le succès des pays d’Asie du Nord-Est (Japon, Corée du Sud, Chine, Taiwan) et l’échec relatif des pays d’Asie du Sud (Thailande, Malaisie, Indonésie, Philippines) au regard de trois politiques publiques, à son sens décisives dans le processus de développement économique d’une Nation.

Selon J. Studwell la transformation structurelle des économies d’Asie du Nord-Est est le résultat d’une recette à trois ingrédients :

  • la libéralisation du potentiel agricole par la redistribution des terres de sorte à faire émerger une agriculture capitaliste rurale, soutenue par des politiques de services d’accompagnement (accès aux intrants et aux crédits, infrastructures de stockage et de distribution) ;
  • la remontée sur la chaîne de valeur industrielle par l’acquisition à marche forcée des techniques et technologies de pointe par l’industrie nationale, à travers une politique proactive de l’Etat forçant les entrepreneurs nationaux à concentrer leurs efforts dans l’acquisition de ces technologies et la compétition internationale ;
  • l’orientation de la finance pour la réalisation prioritaire des deux objectifs précédents, au détriment de profits à court termes supérieurs dans des activités spéculatives (rente foncière, spéculation immobilière) pour privilégier des objectifs de plus long terme comme la maîtrise des technologies industrielles de pointe.

Ces leçons venues d’Asie contredisent un certain nombre de dogmes véhiculés par la vulgate libérale, notamment en réaffirmant la prééminence d’une intervention étatique forte dans les phases de rattrapage économique, au détriment de la main invisible du marché, les intérêts court-termistes des détenteurs de capitaux dans les sociétés en voie de développement pouvant se révéler des entraves à la transformation structurelle.

Pour Joe Studwell, le premier ingrédient de la recette miracle asiatique est la transformation structurelle de l’agriculture, qui emploie la majorité de la population dans les pays pauvres. La transition de sociétés agraires féodales vers des sociétés modernes passe généralement, selon l’auteur, par l’étape d’une production agricole intensive sur de petites surfaces (maraîchage, culture périurbaine, agriculture vivrière), portée par une classe de petits propriétaires terriens ruraux. Cela permet d’augmenter la productivité de la catégorie la plus large des travailleurs, avec un impact fort sur la productivité globale des facteurs de production du pays. La résultante est une première accumulation de capital par cette classe de cultivateurs ruraux, qui alimente un premier marché de consommation et permet l’émergence d’une classe importante d’entrepreneurs. Cette transition a été rendue possible, dans la plupart des cas par d’ambitieuses réformes agraires redistribuant les terres des grands propriétaires terriens féodaux (Japon, Corée du Sud, Chine, Taiwan) en de petites parcelles (3 à 5 ha) distribuées au plus grand nombre ; à contrario, les pays d’Asie du Sud comme les Philippines, la Malaisie, l’Indochine, n’ont toujours pas, à ce jour, mené ces politiques de redistribution des terres. De ce fait, de grands propriétaires terriens vivent de culture de rente dans de grandes plantations (sucre, hévéa, palmier à huile) mises en valeur par des ouvriers agricoles pauvres, avec peu d’effet d’entraînement sur l’économie et en empêchant l’émergence d’une classe moyenne rurale.

Le deuxième levier du succès est la transformation industrielle du tissu économique, avec une montée en gamme technologique et une remontée sur la chaîne de valeur des processus de production. Joe Studwell remarque que dans les cas asiatiques, la main de l’Etat est déterminante – soit à travers la création de sociétés publiques (Chine), soit à travers l’orientation et l’encadrement fort des sociétés privées (Corée du Sud) – pour inciter, protéger et orienter l’émergence de champions nationaux de l’industrie. L’auteur illustre avec brio ce qui fait la force des politiques industrialisantes asiatiques, comparativement aux échecs qui ont pu être enregistrés dans des pays comme l’Algérie par exemple. La condition du succès d’une politique de création d’industrie, est la mise en concurrence de plusieurs opérateurs nationaux et l’impératif d’exporter leurs produits (signe de compétitivité sur les marchés internationaux) mis en œuvre en Asie du Nord-Est.

Dans ces pays, les Etats n’ont pas hésité à mener des opérations de fusions forcées des entreprises les moins compétitives, intégrées aux groupes les plus compétitifs. La croissance du groupe d’électronique chinois Huawei s’est ainsi caractérisée par le rachat au rabais d’une multitude de compétiteurs moins aguerris, présents sur d’autres segments de marché, et redynamisés dans le cadre de la gestion Huawei.

De même, les financements d’Etat accordés aux industries nationales sont liés à des indicateurs de performance qui suivent notamment la capacité des opérateurs industriels à écouler leur production à l’étranger, signe de leur compétitivité. Il en ressort que la recette du succès consiste certes à protéger au début son industrie nationale,  mais également à la mettre sous tension permanente, interne et externe, afin de ne soutenir que les opérateurs les plus compétitifs, et de ne pas financer des canards boiteux. Pour Joe Studwell, le facteur décisif expliquant l’échec de l’industrie soviétique ou indienne (avant les réformes de 1991), n’est pas à chercher du côté de la propriété publique des capitaux, mais du côté de l’absence de mise en concurrence sur les marchés nationaux et de focus sur les exportations (compétitivité internationale) des industries de ces pays.

Dans le secteur financier également, Joe Studwell plaide pour un contrôle fort par la puissance publique. Selon lui, dans le contexte de pays à faible ressource, il est vital d’allouer le peu de capitaux disponibles en direction des deux objectifs précédents : une agriculture rurale intensive et une industrie autochtone en dynamique de rattrapage technologique. Selon l’auteur, c’est l’alignement stratégique du système financier aux objectifs d’agriculture intensive et d’industrie nationale qui a permis le développement au rythme accéléré sans précédent de l’Asie du Nord-Est.

Les exemples d’Asie du Sud montrent par contre les effets nocifs d’un système financier libéralisé, souvent aux mains soit d’une classe rentière (les grands propriétaires terriens et les oligarques), soit de la finance mondiale, à la recherche de gains faciles et de courts termes qui ne correspondent pas toujours aux objectifs de développement. La volatilité des investissements étrangers, ayant conduit à la crise asiatique du 1997, tranche ainsi par rapport aux investissements à long termes des banques de développement nationales. Quant aux banques aux mains des oligarques, elles ont servies à financer prioritairement une bulle immobilière et des activités spéculatives de court terme qui n’ont que peu concouru à la transformation structurelle de ces pays.

how-asia-worksA contrario, le décret de 1962 instituant la New Bank of Korea, sous la tutelle du Ministère des Finances, a fait de cette banque centrale un instrument de financement de l’économie réelle aligné aux objectifs de développement du pays, sans tomber dans les travers africains de la planche à billet. En effet, les prêts préférentiels accordés aux industries nationales dépendaient de la capacité des opérateurs à produire des lettres de créance de clients internationaux, et donc à prouver leur compétitivité sur les marchés internationaux. Les banques qui prêtaient à ces opérateurs pour financer leur production préachetée à l’étranger pouvaient se refinancer quasiment à taux zéro auprès de la banque centrale. Ce type de mesure va grandement contribuer à accélérer la constitution d’une industrie lourde en Corée du Sud, suivie ensuite d’une industrie de technologie de pointe. La conditionnalité de la compétitivité des opérateurs créditeurs sud-coréens a permis d’assurer la soutenabilité de la dette nationale. La crise de 1997 finira d’assainir le paysage économique sud-coréen, en ne laissant survire que les opérateurs les plus solides économiquement et technologiquement.

« How Asia works » est un essai qui réhabilite l’action de l’Etat dans la phase d’Emergence économique. Si l’Etat y joue un rôle stratégique, il n’y joue toutefois pas un rôle centralisateur et omnipotent ; l’Etat est plus fort dans son rôle de régulateur que dans son rôle d’acteur économique. Sa force est de mettre en place des règles du jeu équitable, tournée vers l’efficacité, qui incite les acteurs privés à donner le meilleur d’eux-mêmes pour l’atteinte d’objectifs de salut publique. Une leçon venue d’Asie qui pourrait justement inspirer les nombreux Etats africains qui désirent émerger à leur tour.

Emmanuel Leroueil

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : les limites

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendante en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les limites de la concurrence.

Pour reprendre l’adage populaire, « l’excès nuit en toute chose ». L’article précédent a décrit en quoi peu de concurrence pouvait être néfaste pour la société. De la même façon, trop de concurrence « peut » également nuire à la société. Il s’agit là d’un débat qui oppose d’une part les partisans d’une concurrence parfaite à ceux qui défendent l’utilité du monopole.[1] Au-delà des considérations académiques, la question fondamentale qui est posée est de savoir entre l’entrepreneur et le consommateur, celui qui est à même d’utiliser le plus efficacement possible le gain généré par les échanges au service de la société. Autrement dit, quelle est l’utilité des profits engrangés par l’entrepreneur pour la société ? Un monopoleur qui fait d’énorme profit ne va-t-il pas l’utiliser pour créer davantage de monopoles dans l’économie ? Et si le gain était entièrement capté par le consommateur, ne va-t-il pas l’utiliser pour faire de nouveaux achats et par la même occasion augmenter l’activité économique, inciter de nouveaux entrepreneurs à entreprendre, voire générer de nouveaux emplois ? Si l’un ou l’autre des scénarios n’est pas satisfaisant, alors où placer le curseur ?[2]

La réflexion sur cette question est bien semblable à la curiosité de savoir qui est le géniteur entre la poule et l’œuf. Par exemple, les implications d’une concurrence parfaite, donnant tout le surplus généré au consommateur paraissent séduisantes. Cependant, quand on y pense bien, elle soulève quelques contradictions. En l’absence de rente, qui apportera l’innovation nécessaire à chaque nouvel entrepreneur pour produire les biens et services que le consommateur désire acheter ? Imaginons une économie exclusivement faite de moyens de communications électroniques. Si le prix d’utilisation de la 2G était fixé à son coût de production, il n’y aurait aucune rente pour un inventeur qui s’engagerait dans une recherche incertaine d’une technologie supérieure. Dans ce cas, l’économie resterait de façon permanente dans son état initial : il n’y a pas d’innovation et tout le monde reste sur l’ancienne technologie (2G).

Dès lors, le financement des investissements dans les nouvelles technologies requiert que la rente issue de la production ne soit pas nulle. Cela exclut donc l’efficacité d’une concurrence parfaite entre les producteurs, sauf dans des secteurs où les opportunités d’innovation et d’investissement dans les nouvelles technologies sont faibles. Il s’en suit donc de façon générale, qu’il existe une solution intermédiaire de partage du surplus des échanges entre producteurs et consommateurs. Cette conclusion a d’ailleurs été confirmé par les travaux de l’économiste Phillipe Aghion et ses coauteurs. La détermination exacte de cette règle de partage est une question empirique en cours d’examen.

Aujourd’hui, cette limite de la concurrence parfaite n’est pas encore entièrement reconnue et appliquée dans les institutions en charge de la politique de la concurrence. Cette reconnaissance est pourtant nécessaire pour garantir l’innovation et la croissance économique. Puisque selon les travaux des mêmes économistes cités précédemment, c’est seulement l’innovation perpétuelle soutenue par l’investissement dans les nouvelles technologies qui garantit la croissance économique à long terme.

Toutefois, une question reste posée : la rente dédiée à l’innovation va-t-elle générer de la croissance inclusive ? Autrement dit, l’augmentation de la valeur ajoutée engendrée par la concurrence et l’innovation est-elle créatrice d’emplois à la fois pour les personnes qualifiées et moins qualifiées ? Cette question trouve sa légitimité dans l’observation factuelle des conséquences du progrès technique au sein de nos sociétés. Ce progrès est souvent associé à une baisse de la demande pour les emplois moins qualifiés laissant de côté une partie importante de la population active. Ces interrogations sont encore plus inquiétantes dans les régions en développement comme l’Afrique où plus de 80% de la population active ne dispose pas d’un diplôme de l’enseignement supérieur.[3]

A cette question, Dutz et ses coauteurs répondent par l’affirmative. En effet, à partir des données sur l’emploi et l’innovation dans les entreprises manufacturières, les auteurs montrent que la croissance de l’emploi est plus forte dans les entreprises les plus innovantes, en particulier celles qui ont la plus grande part de travailleurs moins qualifiés. L’ampleur de l’effet de l’innovation sur l’emploi est plus grande lorsque l’environnement des affaires (concurrence) favorise l’accès à l’information, au financement, les exportations et l’entrée des plus petites entreprises. Par conséquent, l’innovation engendrée par une politique de la concurrence « intelligente » est source d’emplois pour l’économie.

Au regard de ce qui précède, il en résulte que la promotion de la concurrence est source de bien-être pour l’ensemble de la société. Cependant, il est nécessaire de trouver le juste milieu entre concurrence parfaite et monopole afin de garantir l’innovation, source de croissance inclusive et durable. Cette série d’articles est un appel à la mise en place et au renforcement du droit de la concurrence et de la régulation sectorielle en Afrique. Dans un contexte de forte croissance, il est plus qu’urgent de s’assurer que tous les entrepreneurs y prennent part, que les consommateurs y trouvent leur compte et que l’Etat soit davantage le garant de cet aspect vertueux de la croissance en faisant de la promotion de la concurrence une priorité.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Pour des références théoriques, Arrow, 1962 et Schumpeter, 1942 sont très indiqués.

 

[2] Voir l’article de A. Lerner, 1934 qui présente une excellente discussion sur le sujet.

 

[3] Estimation de l’auteur à partir des données du African Developement Indicators (World Bank)

 

Les classes moyennes en Afrique : Qui en fait partie ?

185298136Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Comment peut-on définir la classe moyenne, dans un espace où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article tente de caractériser la classe moyenne.

Dès le début du 21ème siècle, l’Afrique a amorcé une dynamique caractérisée par un désendettement significatif[1], une réduction des déficits budgétaires, accompagnés d’une croissance moyenne de plus de 5% du PIB. Cette dynamique est considérée comme une porte de sortie de la pauvreté pour l’Afrique et une porte d’entrée vers le développement. Les principales institutions financières, pilotes de l’aide au développement, assurent que cette dynamique a engendré l’évolution de la société africaine, de sorte qu’elle puisse soutenir de façon pérenne les performances macroéconomiques du continent. Un précédent article présentait cette vision en décrivant le processus vertueux qui permettrait de maintenir les résultats actuels du continent. Il s’appuie notamment sur l’émergence de classes moyennes en lien avec l’évolution démographique, l’ouverture des marchés africains, les processus d’intégration en cours sur le continent, l’impact des médias[2], le rôle de la diaspora et la consolidation de nouveaux partenariats (l’Asie notamment). Il s’avère donc opportun de déterminer les caractéristiques de ces classes moyennes.

Avant toute chose, il faut préciser que le concept de classe moyenne est indécis et incertain dans les sciences sociales. Selon Chauvel, il n’est que l’un de ces concepts sans origine connue ni définition mais dont la popularité vient du fait que leur imprécision permet de dire tout et son contraire. La définition la plus connue et la plus commune repose sur deux critères : celui du revenu et de la profession. En Afrique, son utilisation est assez récente et il serait difficile d’en fournir une définition précise. L’un des travaux les plus élaborés sur le sujet est le rapport de la Banque Africaine de Développement. Elle identifie 3 catégories de classes moyennes :

– une catégorie dite flottante car regroupant les personnes à peine sortie de la précarité. Il s’agit de personnes dont le revenu journalier est compris entre 2 et 4 USD (en parité du pouvoir d’achat 2005). Ce ne sont là que des personnes qui se situent juste au dessus du seuil de pauvreté et qui pourraient donc replonger dans une situation de pauvreté à la survenue d’un évènement critique comme une perte d’emploi, une forte inflation, une augmentation non anticipée des cours internationaux de produits alimentaires importées ou encore une catastrophe naturelle. Cette classe constituait en 2010 près de 20% de la population (contre 10% en 1980) et représente plus de 50% de la classe moyenne dans sa globalité (selon les critères de la BAD) ;

– un groupe intermédiaire  qui regroupe toutes les personnes qui ne courent plus le risque de retomber dans une situation de pauvreté et dont le revenu journalier est situé dans une fourchette de 4 à 10 USD (PPA 2005). Il s’agit de personnes pouvant prétendre à élargir leur panier de biens au delà des biens alimentaires de base ;

– puis le groupe supérieur (gracieusement nommé Africa First) auquel appartient toutes les personnes ayant un revenu journalier supérieur compris entre 10 USD et 20 USD (PPA 2005). Il s’agit principalement des investisseurs locaux ou des entrepreneurs, des hommes d’affaires qui prennent activement part au fonctionnement de l’économie et qui ont tout intérêt à la préservation d’un environnement stable aussi bien sur le plan politique, sécuritaire que sur les principaux indicateurs de performance économique. Ce groupe ne représente toute fois que 4% de la population totale en 2010.

Pour les individus dont le revenu journalier est au- delà de 20 USD (PPA 2005), la BAD les classe dans une classe des riches. Elle regroupe les quelques millions de nouveaux riches africains, à qui profite le développement du secteur minier et extractive, des télécommunications ou de l’agroalimentaire et dont quelques uns se retrouvent au classement Forbes des milliardaires : les diamantaires d’Afrique du sud, les barons du pétrole nigérians ou encore les « haut d’en haut » congolais, pour ne citer que ceux là.

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Source : BAD (2011). The Middle of the Pyramid : dynamics of the Middle Class in Africa.

Cette structuration manque toutefois de révéler la persistance des inégalités. D’après les données de la BAD (graphique ci-dessus) les trois catégories (intermédiaire, supérieure et possédante) qui ne représentent que 19% de la population se partagent près de 40% des revenus alors que la classe flottante et les pauvres qui comptent pour 81% de la population disposent de 60% des revenus. Selon the African Progress Panel (2012), 24 sur les 53 pays africains sont plus inégalitaires que la Chine : l’indice de Gini[3] au Mozambique, au Kenya ou en Zambie se situe dans une fourchette de 0,45 à 0,55. En Afrique du Sud, au Botswana ou au Lesotho, cet indicateur affiche des résultats supérieurs à 0,6.

A ces groupes, s’ajoute la diaspora. Selon les travaux de Boateng sur le Ghana, la diaspora peut être considéré comme appartenant à la classe moyenne. En effet, les membres de la diaspora qu’ils soient employés avec des revenus stables ou appartenant à la classe flottante dans leur pays d’accueil, occupent dans leur pays d’origine un statut assez proche de la classe moyenne dans la mesure où leurs modes de consommation et autres aspirations influencent significativement les populations sur place.

Les déterminants de cette dynamique sociale sont toutefois assez hétéroclites suivant les pays[4]. Si au Nigéria, elle a été portée par l’activité pétrolière ; au Ghana ou au Cap Vert la classe moyenne s’appuie sur les transferts des migrants. Au Cameroun ou au Niger, l’entrée dans la classe moyenne est définie par la capacité à entreprendre alors qu’au Gabon, elle est assurée par l’accession à un emploi. En Afrique du sud, elle a été propulsée par les mesures postapartheid du Black Economic Empowerment.

Il est évident qu’entre extrême richesse et pauvreté, il existe sur le continent un groupe intermédiaire qui tend à prendre forme de plus en plus, indiquant que les performances économiques créent des opportunités permettant de faire sortir durablement une partie de la population de la pauvreté. Cet impact reste cependant très faible ; quand l’on considère que seulement 14% de la population africaine, en 2010, pouvait être considéré comme non vulnérable à  la pauvreté. Ainsi la place importante qu’occupe ladite classe moyenne dans les perspectives économiques du continent sont à relativiser. Elle ne serait pas suffisamment importante et représente moins du quart du revenu du continent, pour impacter significativement l’activité économique du continent. C’est cette hypothèse que le prochain article tentera de traiter. Il s’agira de vérifier si la classe moyenne africaine porterait les fruits socio-économiques (consommation, environnement politique, etc.) qu’on lui prêterait.

Foly Ananou

Sources :

African Progress Panel (2012). Jobs, Justice and Equity : seizing opportunities in times and global change. African Progress Report 2012

BAD (2011). The Middle of the Pyramid : dynamics of the Middle Class in Africa.


[1] Dans le cadre des PPTE

 

 

[2] Consulter l’article de Georges sur l’impact des médias sur le développement

 

 

[3] L’indice de Gini mesure les inégalités dans la distribution des revenus. Il varie entre 0 et 1 de sorte que le 0 indique une égalité dans la distribution alors que le 1 exprime l’inégalité parfaite.

 

 

[4] BAD (2011). The Middle of the Pyramid : dynamics of the Middle Class in Africa.

 

 

Cette folie homophobe est dangereuse pour l’Afrique

107911548« Ce sont des gens normaux avec des comportements anormaux ». Voici en quelques mots le cliché que répand depuis quelques semaines dans l’opinion mondiale le président ougandais, Yoweri Museveni, sur les homosexuels. Une anormalité « suffisante » pour une certaine classe populiste du continent pour lancer la chasse aux personnes gays.  

L’Afrique connue pour son hospitalité légendaire a vite été transformée en une terre hostile à des millions de personnes. Même s’il serait difficile d’estimer le nombre d’africains de la communauté homosexuelle,  la guerre ouverte orchestrée contre eux sur le continent est un mauvais signe pour la fraternité et la solidarité légendairement connues aux africains.

Le calvaire judiciaire des homosexuels au Cameroun est le signe avant-gardiste du revers de ces lois anti-homosexuels votées sous fond de populisme politique. De simples dénonciations suffiraient largement pour faire subir à quiconque la pire facette de la loi anti-homosexuel du pays. Et des personnes mal intentionnées s’en servent, aussi abusivement que possible, pour régler des comptes. De cette machination, des familles se sont révoltées contre leurs propres enfants, des jeunes diplômés mis au chômage, certaines personnes contraintes à raser les murs, d’autres à faire le choix de l’exil forcé en raison de leur orientation sexuelle. Seul moyen pour ne pas compter ses jours dans les geôles du pays. Mais pourquoi ce regain de l’homophobie sur le continent africain ?

On connaissait les crimes organisés contre les homosexuels dans certains pays de l’Afrique de l’Est. On savait que tout soupçon d’homosexualité est un passeport direct pour la prison dans nombre de pays du continent. On savait aussi qu’au nom de la loi islamique, les homosexuels étaient plus qu’indésirables dans le Maghreb. Mais jamais cette guéguerre contre les homosexuels n’a été une si sérieuse affaire d’Etat. Elle fait la quintessence des déclarations de plusieurs chefs d’Etat. Et c’est là ou le bât blesse.

Aucun serment présidentiel ne proclame la violation du respect des droits de la personne humaine. Des agissements qui donnent raison à Joël Té-Léssia qui disait deux années plus tôt que « l’homophobie est devenue une excuse » pour les leaders politiques de l’Afrique. Un nouveau moyen de prédilection pour se « sauver » des nombreux échecs des programmes de développement notamment en Afrique subsaharienne. L’homosexualité n’est donc pas la malédiction qui retarde notre développement et hypothèque notre émergence depuis des lustres.

Mais dites-moi, l’orientation sexuelle n’est-elle pas un droit humain au même titre que le droit à la liberté de penser et de religion ?

Certain que nombre d’entre vous diront que les coutumes africaines ne l’autorisent pas. Vous seriez bien nombreux à arguer que c’est une fabrication occidentale. Une fausse imagination commune. Les archives historiques de l’Afrique le montrent si bien qu’ils faillent arrêter cette intoxication qui divise, oppose les frères d’un même continent. Et le Rwanda et l’Afrique du Sud l’ont si bien compris que ces deux pays n’ont aucun mal à soutenir le Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité. 

Et si tous les africains en faisaient de même…

De-Rocher Chembessi

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Les conséquences d’une faible concurrence

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendance en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les conséquences d’une faible concurrence.

Il ne suffit pas de voter une loi pour instaurer la concurrence ; mais il faut y allouer les ressources financières et humaines nécessaires aux investigations des pratiques anticoncurrentielles. Autrement, il en résulte une faible concurrence dont les conséquences directes se manifestent sur le pouvoir d’achat des consommateurs, sur la qualité des biens et services, sur l’innovation voire le fonctionnement des institutions démocratiques.

D’abord, commençons par examiner ce qu’on entend par « concurrence faible ». Le cas le plus trivial concerne le monopole qui fixe son prix de manière à extraire tout le surplus généré par la transaction. Dans les autres cas où plusieurs entreprises sont présentes sur un même marché, elles ont intérêts à s’entendre pour fixer le prix du monopole et à se partager les profits colossaux générés. Lorsque la coordination n’est pas possible, une ou plusieurs entreprises ayant suffisamment de pouvoir de marché (une part importante des clients, une liquidité financière abondante) peut s’engager dans des pratiques déloyales visant à exclure les autres  pour instaurer plus tard des prix de monopole. Elles peuvent aussi envisager des fusions et acquisitions pour ne devenir qu’une seule entité potentiellement capable de fixer le prix du monopole. Ainsi, la concurrence est faible tant que la structure du marché tend vers une situation de monopole. Cette éventualité est permise par l’absence d’une veille active de la part des autorités publiques sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles.

Dans le cas des pays Africains, très peu d’informations existent sur l’ampleur de ces pratiques, dans la mesure où la plupart ne dispose pas d’un droit de la concurrence. Cependant, Evenett et al. (2006) ont compilé les cas de pratiques anticoncurrentielles révélés dans les médias en Afrique sub-saharienne de 1995 à 2004. On y a apprend que les secteurs de l’agro-alimentaire et de la brasserie entre autres sont les plus concernés par les pratiques anticoncurrentielles. Ces pratiques sont très courantes dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Cameroun par ordre d’importance. Comme l’on bien précisé les auteurs, ces chiffres sont à prendre en absolus car, il est possible que les cas de pratiques anticoncurrentielles soient plus détectés et médiatisés dans des pays où la pratique du droit de la concurrence est plus effective. Ainsi, des pays comme le Nigéria qui n’apparaissent pas en tête de peloton peuvent bien receler des pratiques anticoncurrentielles plus importantes que les autres.

L’une des conséquences immédiates de ces pratiques consiste à limiter le pouvoir d’achat des consommateurs : pour le même revenu, vous payez plus cher. Il s’en suit donc que l’effectivité du droit de la concurrence n’est pas un luxe pour des pays pauvres. Au contraire, elle est instrumentale dans la réduction de la pauvreté via le pouvoir d’achat supplémentaire qu’elle donne aux plus pauvres. On peut cependant objecter qu’il est possible de contrôler le prix des biens de premières nécessités comme cela se fait pour le riz, l’huile et le sucre au Sénégal. Même si cet argument est recevable, il omet la distorsion que cette régulation du prix induit sur les coûts de production. En général, elle n’incite pas les producteurs à baisser les coûts de production, ce qui conduit à une situation d’inefficacité économique car on aurait pu produire les mêmes biens à des coûts plus faibles et les revendre à des prix plus bas que ceux qui ont été fixés par l’Etat.[1]

Cette situation introduit une autre conséquence de la faiblesse de la concurrence qui est l’absence d’innovation. Ce sont les innovations dans l’organisation de la production et dans les intrants qui permettent de réduire les coûts de production et à terme les prix. Lorsqu’elles ne sont pas encouragées faute d’un niveau de concurrence « suffisante », la qualité des produits en pâtit ; avec pour corollaire la dégradation de l’état de santé des populations. C’est souvent le cas des filières de la viande dont la production (et non la distribution) est contrôlée en aval par si peu de producteurs.

Une autre conséquence moins soulevée dans la littérature et qui pourtant semble être aussi grave que les deux premiers est le risque de collusion entre les monopoles et les partis politiques. Que vaudrait une démocratie dont les institutions sont contrôlées par des patrons à la tête de monopoles ? Aujourd’hui, nous savons que la vague de libéralisation des sociétés d’Etat a été à l’origine d’un transfert du patrimoine des anciennes sociétés d’Etat vers des particuliers. A l’exception du secteur des télécommunications, ce transfert se traduit finalement en un monopole privé. Les exemples sont légions : les ex-sociétés nationales de production agricole, de l’eau et  de l’énergie, les sociétés de produits pétroliers, voire même les banques continuent d’être gérées par des monopoles privées sans une régulation effective. Dès lors, la promotion de la concurrence est également un moyen de garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques telles que le parlement et la justice et de s’assurer que la démocratie soit un bien pour tous.

Il s’en suit alors que la promotion de la concurrence est au cœur du développement de toutes les nations ayant opté pour le libéralisme économique. L’excuse financière n’est plus valable, il est grand temps de mettre en place ou de renforcer l’application du droit de la concurrence en Afrique !

Georges Vivien Houngbonon


[1] Voir les travaux de Martimort sur le sujet des incitations.

 

Les classes moyennes en Afrique : un moteur de développement ?

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Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Qu’est la classe moyenne, dans un espace où l’on considère que plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Que représente-t-elle ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article introduit une série d’articles concernant la classe moyenne en Afrique.

Le concept de classe moyenne en Afrique n’est pas récent, mais son importance comme moteur de développement est de notre millénaire. Déjà à l’époque coloniale, le concept existait avec ce qui était dénommé « auxiliaires indigènes du colonisateur ». Aujourd’hui, il occupe une place importante dans le discours des partenaires financiers au développement.

Fruit de l’afro-optimisme contemporain, le concept prend racine dans une théorie économique qui stipule que la croissance économique entraînerait une augmentation des revenus et donc de la consommation, puis des investissements productifs qui, eux-mêmes seraient favorables à la croissance économique. Un tel mécanisme suppose donc qu’une partie de la population profite suffisamment de la croissance économique, en ayant accès à un niveau de revenu lui permettant de sortir de sa situation de pauvreté. Cette évolution de la structure sociale sera suivie par une modification des habitudes de consommation. La consommation ne se limitera plus à la couverture des besoins de base ; elle s’étendra au-delà de la nécessité de survie et aux loisirs, permettant de renforcer l’activité économique en incitant à l’industrialisation et à une diversification du tissu économique.

Ces changements de comportements pourraient aussi affecter la sphère politique. Les classes moyennes auraient accès à termes à l’information, à l’éducation et pourraient ainsi se construire une expérience suffisante sur la base des pratiques observées dans d’autres pays. Tout ceci, leur donnant les moyens de participer activement au débat politique, et par voie de conséquence, de contribuer effectivement au processus de démocratisation. L’accumulation de connaissances et d’expériences importées d’ailleurs devrait, par ailleurs, se traduire par l’émergence de l’individualisme – signe de l’émancipation des individus par rapport aux pratiques traditionnelles et aux principes de la solidarité. En fait, il ne s’agit là que d’une caricature de ce qui est considéré comme classe moyenne dans les pays développées et dans une moindre mesure de la vision qu’ont les principaux partenaires financiers au développement de l’Afrique et qui justifie l’intérêt qu’ils portent à l’émergence de classes moyennes en Afrique.

En dépit de cette présentation reluisante du rôle de la classe moyenne, il est néanmoins nécessaire d’être prudent quant à son importance en Afrique. Au-delà du fait que l’appartenance aux classes moyennes reposent sur des considérations monétaires et relatives au coût de la vie, l’Afrique présente des particularités qui rendent presque impossible la projection de l’image des classes moyennes dans les pays développés sur le continent. [1] 

En effet, le secteur informel occupe une place importante dans l’économie des pays africains, de sorte qu’il est difficile de déterminer de façon strictement objective une frontière entre personnes pauvres et personnes appartenant à la classe moyenne. La réduction lente de la pauvreté en pplus de l'importance du secteur informel constituent un frein à l'émergence d'une véritable classe moyenne en Afrique. Si des stratégies de développement existent dans tous les pays du continent, notamment dans le cadre des OMD, leur mise en œuvre et les résultats qu’elles fournissent ne sont pas très convaincants. Par ailleurs, le processus de démocratisation en Afrique n’est réduit qu’à la tenue régulière d’élections sans un réel changement dans les régimes ni dans le dialogue politique.

Si une chose est certaine, c’est que la dynamique économique du continent a induit l’émergence de nouveaux groupes sociaux qui modifient son paysage social. Analyser la dynamique de ces groupes permettra certainement de mieux encourager l'émergence de la classe moyenne africaine et d’en faire un levier de développement pour le continent. Les prochains articles portant sur ce thème abonderont dans ce sens. Ils feront l’état des lieux au regard des critères « socio-économiques » caractéristiques des classes moyennes (revenu/consommation et comportements) et analyseront leurs impacts sur l’activité économique et l’environnement politique des pays africains.

Foly Ananou


[1] Selon la BAD, appartient à la classe moyenne en Afrique toute personne dont les dépenses sont comprises entre 2 USD et 20 USD PPA par jour alors qu’en France, sera considéré comme individu de la classe moyenne une personne dont le revenu mensuel (hors impôts et prestations sociales) se situent entre 1 163 et 2 127EUR. 

 

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Les obstacles

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Les prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous mettions expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendance en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les obstacles à leur mise en place après avoir fait un état des lieux.

La promotion de la concurrence passe par le vote d’une loi, qui instaure le droit de la concurrence ou d’un code de régulation sectorielle. Le droit de la concurrence s’applique à toutes les activités économiques une fois qu’un comportement anticoncurrentiel est suspecté. Par contre, le code de régulation sectorielle s’applique à un secteur particulier présentant des barrières à l’entrée. Typiquement, c’est le cas du secteur des télécommunications où l’entrée d’un opérateur nécessite soit l’accès à un réseau fixe où l’achat d’une licence donnant accès à une bande de fréquences hertziennes.

Dans les deux cas, la promotion de la concurrence se traduit par la mise en place d’une autorité administrative indépendante dotée des moyens financiers, législatifs et humains pour conduire les analyses et investigations nécessaires à la sauvegarde de la concurrence sur les marchés.[1] Ici, la notion d’indépendance de l’autorité vis-à-vis du gouvernement est centrale, dans la mesure où il peut y avoir des conflits d’intérêts entre les entreprises mises en cause et l’Etat. C’est souvent le cas dans la régulation sectorielle lorsque le régulateur est en charge d’un monopole d’Etat (la production de l’énergie par exemple). Du moins indépendant au plus indépendant, on distingue généralement trois cas selon que les investigations et analyses soient conduites par : i) une direction du ministère du commerce ; ii) une commission sous la tutelle d’un ministre (typiquement celui en charge du commerce) ou iii) une autorité indépendante dont les décisions sont validées exclusivement par les tribunaux.

Lorsqu’on fait un tour de l’Afrique, on n’y rencontre pas seulement ces trois cas ; mais aussi des pays qui ne disposent même pas d’un droit de la concurrence. La Côte-d’Ivoire, le Burkina-Faso et le Sénégal font partie des premiers pays Africains à avoir mis en place un droit de la concurrence ; même s’il n’est pas clair si ces lois ont été effectives depuis leur vote. Dans le même temps, le plus grand marché africain, en l’occurrence le Nigéria, n’en dispose pas encore même si les débats parlementaires sont en cours en vue de sa prochaine adoption. Beaucoup de pays africains sont encore à la traîne. Certains sont couverts par la règlementation des institutions régionales telle que la COMESA. C’est le cas de pays comme le Soudan, la Lybie ou Madagascar.

Les raisons qui expliquent cette grande hétérogénéité dépendent certainement de la situation de chaque pays. De façon générale, on peut évoquer la faible industrialisation avec comme corollaire la dominance et la persistance du secteur informel, de même que la présence de plusieurs monopoles d’Etat – en particulier dans les secteurs de l’énergie et des transports -, comme les premiers obstacles à la promotion de la concurrence en Afrique. Pour ces raisons, il y a peu de demande pour l’intervention de l’Etat à travers les autorités de la concurrence et de la régulation sectorielle. Cette faible demande s’explique aussi par la méconnaissance des consommateurs et des PME des inconvénients qui découlent des pratiques anticoncurrentielles ; comme le souligne si bien le Dr. Coulibaly dans son article sur l’effectivité de la concurrence dans l’UEMOA.

Cependant, la faible industrialisation ou la présence des monopoles ne suffissent pas pour expliquer l’Etat du droit de la concurrence en Afrique, surtout lorsqu’on considère le cas du Nigéria. En s’appuyant sur les théories d’économie politique de fourniture des services publics, on parvient à comprendre pourquoi certains pays ne mettent pas en place un droit de la concurrence en dépit d’une activité économique formelle en forte croissance.[2] La fourniture de services publics comme la régulation de la concurrence sur les marchés dépend du poids des intérêts contradictoires qui se présentent au politicien. Ce dernier devra choisir de satisfaire les intérêts d’un groupe particulier en fonction de son pouvoir de lobbying. Ainsi, lorsqu’on se retrouve dans un pays où les PME sont de tailles très petites, où les consommateurs ne comprennent pas le rôle d’une autorité de la concurrence dans la sauvegarde de leur pouvoir d’achat et de la qualité des biens et services, alors les secteurs monopolistiques qui n’ont pas intérêt à subir plus de concurrence vont militer en faveur d’un retard dans l’adoption du droit de la concurrence ou du code de la régulation sectorielle. Dans certains cas, c’est l’Etat qui s’inquiète des conséquences de la concurrence sur ses recettes fiscales à la suite d’une libéralisation ou de la mise en place d’un monopole privé régulé.

Enfin, il faut reconnaître aussi le caractère onéreux que revêt la mise en place d’une autorité de la concurrence ou de la régulation. Son fonctionnement effectif nécessite d’importants moyens financiers, ainsi que des ressources humaines fortement qualifiées. En général, ce sont des docteurs en droit et en économie qui sont recrutés dans ces agences et la charge le travail requiert d’avoir un grand nombre de personnels ayant ce profil. A titre d’exemple, l’autorité de la concurrence américaine (FTC) dispose d’environ 500 juristes de la concurrence et de 70 docteurs en économie. Comme le montre l’article de Tchapga (2013), les autorités de la concurrence africaines disposent de très peu de moyens financiers par rapport à leurs besoins.

L’une des critiques formulées à l’encontre du droit de la concurrence est que son application coûte chère sans des résultats concrets. Très souvent les investigations d’un cas d’abus de position dominante peuvent prendre plusieurs mois voire des années. Cependant, il arrive qu’on s’aperçoive après ces mois d’investigations que les suspicions initiales n’étaient pas fondées. Dans les cas où elles sont fondées, il arrive aussi très souvent que les décisions d’amendes soient invalidées par le tribunal ou cassées par la cour de cassation. Dès lors, le gain à mettre en place des autorités de la concurrence n’est pas toujours positif a priori ; mais c’est sans compter les conséquences d’une faible promotion de la concurrence.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Voir par exemple les travaux de Esther Duflo qui suggèrent que les leaders politiques ont tendance à fournir des services publics biaisés en faveur des groupes auxquels ils doivent leur maintient au pouvoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

[2] Dans le droit français, une autorité administrative indépendante (AAI) est une entité qui agit au nom de l’Etat sans être sous le contrôle du gouvernement. Cependant, le cadre législatif de l’AAI est définit par le parlement alors que ses décisions sont contrôlées par le pouvoir judiciaire.

 

 

 

 

L’OHADA, succes story d’un outil juridique d’intégration en Afrique

UntitledL'Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires OHADA a fait le bilan et les perspectives des ses activités à l'occasion de ses vingt ans d’existence en octobre 2013. Première expérience réussie sur le plan mondial d’uniformisation de règles juridiques interétatique, elle suscite un intérêt toujours croissant d’autres pays sur le continent. Mais malgré ce succès, l’OHADA peut-elle se feliciter dans un contexte d’internationalisation, d’ouverture croissante des marchés africains, et de normalisation rapide des règles comptables & financieres ?

L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA)[1] a été créée par le traité du même nom le 17 Octobre 1993 à Port Louis (Ile Maurice) et révisé le 17 octobre 2008 au Québec. Son objectif est de remédier à l’insécurité juridique et judiciaire[2] dans ses états membres afin de restaurer la confiance des investisseurs mais aussi de faciliter les échanges socio-économiques entre les États Parties. Elle vise également à promouvoir l’arbitrage et les autres modes alternatifs comme instrument  de règlement des différends commerciaux. Elle compte actuellement 17 membres dont l’essentiel fait partie de la Zone Franc et est ouverte à tous les Etats de l’Union Africaine, qui souhaiteraient y adhérer. Son fonctionnement repose sur quatre institutions dont :

  • le Conseil des ministres de la Justice et des Finances, qui se réunit une fois par an pour adopter "les actes uniformes" applicables dans chacun des droits internes des Etats-parties ;
  • le Secrétariat permanent, rattaché au conseil des ministres et chargé de la préparation de tous les actes et du programme annuel d'harmonisation du droit des affaires.
  • l'École Régionale supérieure de la Magistrature (ERSUMA) à Porto-Novo au BENIN, assure la formation et le recyclage des magistrats et auxiliaires de justice des Etats-parties ;
  • la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) composée de sept juges élus pour un mandat de sept ans renouvelable une fois.

UntitleLes actes uniformes adoptés par l’organisation depuis sa création, ont profondément changé l’environnement juridique et socio-économique. Ils ont contribué au développement économique de la région au point où beaucoup la considère comme la première expérience réussie sur le plan mondial d’uniformisation de règles interétatiques. Ses actes divers et variés, vont du droit commercial général à l’organisation et l'harmonisation des comptabilités des entreprises en passant par le droit des suretés, le droit des sociétés commerciales, le droit de l’arbitrage, les procédures collectif d’apurement du passif, les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution, etc.

On peut citer en exemple : l’acte portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, d’où est issu le plan comptable OHADA. Il a non seulement constitué une vraie rupture avec la règlementation OCAM alors en vigueur depuis les années 1970, mais a aussi permis d’harmoniser le droit comptable dans 16 pays Africain (aujourd’hui 17), permettant ainsi une bonne comparabilité des états financiers d’un pays à l’autre, d’un secteur à l’autre et facilitant ainsi l’accès au marché des capitaux (embryonnaire au début, mais qui ne cesse de se développer) : BRVM à Abidjan, BVMAC à Libreville, Douala stock exchange au Cameroun, etc.

Ce succès et cette reconnaissance internationale est tel qu’un projet similaire est en construction dans la caraïbes depuis le 15 mai 2007, par les autres pays[3] de l’ACP et d’autres pays de l’Amérique Latine, afin de favoriser les échanges commerciaux et le développement économique intégré de ces états dotés de réalités juridiques différentes (Organisation pour l’Harmonisation du Droit des affaires dans la Caraïbe OHADAC); De nouveaux diplômes de « Juriste OHADA » sont aussi annoncés pour la rentrée 2014 au sein des universités Panthéon Assas et Paris 13. Enfin le récent rapport VEDRINE-ZINSOU le considère comme un outil d’intégration sur lequel la France pourrait s’appuyer pour renforcer sa coopération avec l’Afrique.

Au regard de ces performances, on peut, en réponse à un article sur le même sujet de Thierry Lucas Diouf publié sur l'Afrique des Idées, aisément conclure que l’organisation a réussi sa mission. Mais, peut-on dire pour autant que tout est fait, que tout est parfait et que l’OHADA peut déjà se féliciter dans un contexte d’évolution croissante des marchés africains et d’évolution rapide de la normalisation au niveau international ?

Il faut reconnaitre qu’en dépit de ce bilan positif, l’OHADA, afin de demeurer le garant du droit des affaires de la zone, doit faire face à beaucoup de défis, qui feront l’objet d’un prochain article.

                                                                                                                                        Arnold Peyrol S. ANGLO

 Sources:

http://www.ohada.org


[1] Pour des informations plus détaillées sur le fonctionnement et les institutions de l’OHADA se référer à : www.ohada.com

 

 

 

 

 

[2] L’insécurité juridique et judiciaire étant caractérisé par la vétusté des textes juridiques en vigueur, la plus part datant de l’époque coloniale, la coexistence de texte contradictoire, la lenteur des procédures, l’imprévisibilité des tribunaux, la corruption des systèmes judiciaire et les difficultés d’exécutions des décisions ;

 

 

 

 

 

[3] La Martinique, la Guadeloupe, Haïti, le Cuba, le Bahamas, le Mexique, la Colombie, la république dominicaine, le Venezuela, le Honduras etc…

 

 

 

 

 

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