Rencontr’Afrique avec Mongi Marzoug: Pour une mise en lumière des enjeux du numérique en Afrique

1L’Afrique des Idées a eu l’honneur de recevoir samedi 7 mars 2015 à Paris, Monsieur Mongi Marzoug[1], expert en télécommunications et Ministre tunisien des Technologies de l’Information et des Communications de décembre 2011 à Janvier 2014. Lors de cet échange passionnant, Monsieur Marzoug a partagé avec nous son expertise et son expérience en matière de Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications et présenté les questions fondamentales qu’elles mettent en jeu sur le continent africain.

La transition numérique, une grande question pour l’Afrique

Cette Rencontr’Afrique très enrichissante a mis en lumière les enjeux colossaux que présentent les Technologies de l’Information et des Communications en Afrique ; en effet, les télécommunications, et notamment l’Internet constituent un monde parallèle, un espace virtuel qui reflète les même réalités et opportunités que l’espace physique dans lequel nous évoluons ; existe ainsi dans ce monde virtuel du commerce électronique, de la politique, voire même des guerres du numérique.

Le problème de la réglementation du numérique

Puisque le monde virtuel est aussi complexe que le monde réel, il est nécessaire qu’existe une réglementation exhaustive encadrant tous ses aspects, qu’ils soient juridiques, économiques, sociétaux ou politiques. Monsieur Marzoug pointe la faiblesse, voire l’inexistence de la réglementation dans ce domaine en Afrique ; or il est nécessaire que des questions relatives à la protection et l’hébergement de données, à l’ouverture et à l’accès au réseau, à la confiance dans le numérique, à la transparence ou encore à la gestion des trafics soient encadrées juridiquement.

En outre, il est impératif que les Etats adoptent des réglementations adaptées à l’économie numérique (services numériques et accès, infrastructures du numérique, protection des données, fiscalité, et autres), et instaurent des règles équitables entre les différents acteurs de l’économie numérique, fondées sur les services offerts et non les technologies utilisées (« same services, same rules ») ; à cet égard, les entreprises du Net (ou Over The Top) posent une véritable question ; les géants de l’internet tels que Google ou Amazon offrent des services et récoltent des bénéfices dans les pays d’Afrique, tout en étant basés à l’étranger, échappant ainsi à toute réglementation ou fiscalité, alors qu’ils devraient être soumis aux mêmes règles que les opérateurs qui fournissent des services en étant basés sur le territoire de l’Etat concerné.

Un secteur privé dynamique et des Etats en retrait

Le fait marquant à l’égard des réseaux mobiles en Afrique est leur ouverture à l’investissement privé d’une part, et étranger d’autre part. Il y a donc des enjeux économiques colossaux, et cette ouverture à l’investissement privé pose la question du service public ou du service universel des télécoms. En effet, les opérateurs qui bénéficient de licences ont tendance à déployer leurs services dans les zones urbaines qui sont les plus rentables, tournant ainsi le dos aux zones reculées et moins peuplées. Il est nécessaire donc que les Etats imposent à ces investisseurs privés de participer financièrement au service public des télécoms pour assurer sa continuité, et ce même dans les zones les plus en retrait.

Par ailleurs, il est de la responsabilité des gouvernements africains garantir la qualité des services de télécommunications offerts à leurs citoyens ; à cet égard, on observe, suite à l’octroi de licences à des opérateurs privés, peu de suivi de l’exécution de ces licences.

Beaucoup d’Etats africains travaillent à implémenter une identification numérique de leurs citoyens, qui permettrait à ces derniers d’accéder en ligne aux services de l’Etat et des entreprises publiques, et faciliterait leurs relations avec les administrations publiques ; dans ce cadre il est nécessaire de garantir la sécurité de des flux et stockage des données.

Un modèle à définir pour le développement du numérique

Pour les Etats africains se pose la question du modèle à adopter pour le développement du numérique : faut-il développer une industrie des télécoms, ou focaliser les efforts sur le développement des services numériques ? Selon Monsieur Marzoug, les ressources humaines et financières en Afrique sont insuffisantes pour développer une industrie complète des télécoms ; il serait préférable d’effectuer des choix sur des segments pour lesquels des ressources et compétences existent.

2A propos de l’utilisation de satellites pour garantir l’accès au réseau, à l’image des fameux « Ballons Google », qui visent à permettre l’accès à internet dans les zones reculées, Monsieur Marzoug note, qu’au-delà des questions d’autorisation et de licence qu’ils soulèvent s’agissant de Google, leur efficacité trouve ses limites dès lors que l’on se trouve en présence d’une importante concentration de population. Ainsi, s’ils peuvent être adaptés pour couvrir des zones vastes et peu peuplées, un réseau de type cellulaire est nécessaire pour garantir l’accès au réseau dans les zones à forte concentration de population.

Pour le développement des infrastructures haut débit (mobiles et fixes), la meilleure solution pour les Etats consisterait donc à mettre en place le partage d’infrastructures en particulier dans l’accès avec des processus de planification et de coordination efficaces entre les autorités et les différents opérateurs des services de communication électronique.

Dans la plupart des Etats africains, les infrastructures existantes étaient suffisantes pour le développement de la 2G, mais il faut maintenant les améliorer pour développer le haut débit mobile (3G et 4G) et fixe, notamment grâce à la fibre optique. Des solutions hybrides permettraient d’améliorer la qualité des réseaux en minimisant les coûts; dans ce cadre une coordination entre tous les opérateurs de télécoms pour le partage de l’accès à la fibre optique serait nécessaire.

Rouguyatou Touré


[1] Mongi Marzoug est directeur dans le Groupe Orange en charge de la gouvernance de l'Internet et du développement du Numérique. Il était ministre des Technologies de l'Information et de la Communication de décembre 2011 à janvier 2014 en charge des technologies du numérique et des services postaux. Il a exercé entre 1999 et 2011 dans la direction technique du Groupe Orange. Il a occupé les fonctions de responsable du Département "Architecture & Fonctions",  Directeur Adjoint chargé des études, de l'ingénierie et des produits, responsable du Département "Networks Quality & Cost Modeling", et enfin responsable du Département "Roaming, Networks Modeling & Performance". Auparavant, il était pendant dix ans à Orange Labs en charge des projets et équipes de R&D dans les domaines de télédétection, imagerie radar et planification des réseaux mobiles. Il est auteur d'un brevet sur la modélisation des interférences et l'affectation des fréquences dans un réseau mobile. Il est également auteur de plusieurs articles scientifiques dans des revues internationales  en particulier IEEE et JAOT et de nombreux rapports techniques et communications dans des conférences et forums internationaux. Il est diplômé de l'“Ecole Polytechnique” et de Télécom ParisTech. Il est titulaire d'un doctorat en physique expérimentale et d'une Habilitation à Diriger des Recherches

 

 

Bilan et perspectives de la promotion de la concurrence en Afrique

adi NA7 BleuCette note fait l’état des lieux de la promotion de la concurrence en Afrique. Elle met en évidence la faible industrialisation qui n’est pas encore réellement prise en compte dans les objectifs du droit de la concurrence sur le continent. Alors que la nouvelle tendance à adopter des cadres règlementaires régionaux peut constituer un palliatif à la petitesse des économies nationales, cette note propose l’innovation comme but principal des droits communautaires de la concurrence en Afrique. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

Peut-on parler d’émergence d’une classe moyenne en Afrique ?

185298136La dynamique économique actuelle de l’Afrique entraine des transformations de sa structure sociale avec l’émergence d’une classe moyenne qui devrait accompagner le processus de développement du continent. L’émergence de cette classe pourra engendrer une hausse significative et diversifiée de la demande, le développement du secteur financier, l’urbanisation et une demande plus forte d’institutions démocratiques. Cependant, sur la base des données disponibles, notre analyse indique que cette classe ne porte pas encore les propriétés qui feraient d’elle l’un des moteurs du développement de l’Afrique.

Néanmoins, elle est actuellement composée de personnes dont les besoins de consommation ne cessent de croître et de se diversifier. C’est certainement cette dynamique qui va lui permettre de se muter en une véritable classe moyenne capable de contribuer  pleinement au développement de l’Afrique. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

Rencontr’Afrique avec Khadidiatou, Fondatrice du réseau médical NEST

rencontrafrique_khadidiatou_1Ceux qui ont participé à la Rencontr’Afrique du dimanche 23 novembre 2014 ont eu l’opportunité de découvrir le parcours d’entrepreneuriat social de Khadidiatou Nakoulima, qui diplômée de l’Ecole des Mines de Paris en 2009, ne s’est pas tournée vers un parcours professionnel classique de jeune diplômée, mais est rentrée dans son pays d’origine, le Sénégal, pour y créer un réseau médical dédié aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge.

Tout est venu d’une idée…

Alors qu’elle termine ses études, son frère lui fait part de l’existence, en Inde, d’un réseau médical destiné aux classes moyennes, spécialisé dans l’accouchement et la pédiatrie. Tous deux sont conscients de la binarité du marché sénégalais dans ce secteur : il y a soit le secteur public, son engorgement et ses insuffisances, soit le secteur privé, très onéreux et destiné aux classes sociales les plus favorisées. Khadidiatou et son frère Ousseynou se lancent alors dans un défi de taille : créer au Sénégal un réseau du même type, assurant un suivi médical de la grossesse, de l’accouchement et du nourrisson, et pas seulement accessible aux élites. Ce projet se veut d’une qualité irréprochable, avec d’excellents services médicaux appuyés par une technologie de pointe, tout en étant abordable pour les classes moyennes. C’est donc un projet d’entreprenariat social, en ce qu’il combine deux objectifs : créer un système profitable d’un point de vue économique, tout en contribuant à l’amélioration des conditions de vie de la population au Sénégal.

A laquelle il a fallu donner vie…

Khadidiatou et son frère établissent un Business Plan, qu’ils font concourir dans des compétitions d’entreprenariat internationales. Ces évènements leur donnent l’occasion de rencontrer des investisseurs et de leur présenter leur projet. Ce dernier gagne en visibilité en arrivant en finale de la Global Social Venture Competition, la plus prestigieuse compétition d’entrepreneuriat réservée à des projets alliant viabilité économique et impact social positif.

L’étape des concours terminée, Khadidiatou décide d’apporter une nouvelle dimension à son projet en allant s’immerger pendant trois mois au sein d’une clinique indienne. Cette immersion lui permet de mieux s’imprégner du modèle avant de se lancer au Sénégal.

rencontrafrique_khadidiatou_2Et à laquelle il a également fallu donner corps…

De retour au Sénégal en 2011, Khadidiatou ouvre un premier plateau médical avec son père pédiatre qui assure les services médicaux. Pour donner plus d’envergure à son projet, il lui faut des autorisations administratives, notamment celle du ministère de la santé, qu’elle n’obtiendra qu’au bout d’un an, grâce à l’appui de l’APIX, l’Agence sénégalaise de promotion des investissements.

Quand on lui demande si elle a vécu des obstacles en tant que femme au Sénégal, Khadidiatou répond que la principale difficulté était plutôt liée à son jeune âge. Ses interlocuteurs la prenaient souvent pour l’incarnation d’une jeunesse utopique… En outre, le fait de vouloir ouvrir un réseau médical tout en étant ingénieur, et non médecin de formation, était une démarche innovante au Sénégal.

Après l’obtention des autorisations nécessaires, Khadidiatou peut véritablement développer son projet. En discussion avec la société d’investissement Investisseurs et Partenaires (IetP) depuis un certain temps, elle obtient un financement qui lui permet de mettre en place les infrastructures qui vont fournir les services médicaux et accueillir la clientèle. Ce financement lui permet également de lancer les premiers recrutements. Ces recrutements portent non seulement sur le personnel support administratif, mais aussi sur le personnel médical : sages-femmes, infirmières, aides-soignants et bien sûr médecins ; ces derniers qui s’associent aux premiers promoteurs pour le développement du projet. Au-delà du financement, IetP lui permet aussi d’avoir accès à de l’assistance technique là où les compétences locales font défaut. Enfin, Khadidiatou peut s’appuyer sur un comité stratégique qui compte parmi ses membres des conseillers dont l’expertise est reconnue et indispensable à NEST.

Nest est désormais un réseau médical, composé d’un plateau médical, qui offre un pôle de consultations et de soins d’urgences pédiatriques ouvert 24h/24 et 7J/7, ainsi qu’une clinique permettant la réalisation d’échographies obstétricales, du monitoring materno-fœtal, des analyses de laboratoire ainsi que des interventions chirurgicales. La clinique dispose également d’un bloc opératoire.

Aujourd’hui, Nest voit sa clientèle croître de jour en jour, et, bien qu’encore fragile en raison de sa jeunesse, le réseau affiche tous les signes positifs pour s’installer durablement sur le marché médical sénégalais.

Espérons que le parcours courageux et exemplaire de Khadidiatou inspire d’autres talents, issus de la diaspora africaine ou non, et nous la remercions vivement d’avoir bien voulu le partager avec l’Afrique des Idées.

Rouguyatou Touré

Quel rôle l’Union Africaine peut-elle jouer dans la gestion des crises humanitaires en Afrique ?

union_africaine« Là où sévissent de graves manquements au respect des droits humains, l’Union africaine (UA) doit être la première à condamner et à réagir rapidement conformément à la lettre et à l’esprit de l’Acte constitutif de l’Union et tous les autres instruments pertinents » dont elle est signataire.[1] Cette déclaration de Jean Ping, alors Président de l’Union Africaine, est révélatrice de la nécessité pour l’organisation de s’affirmer en matière d’intervention humanitaire. Forte de l’encrage de la notion de Responsabilité de protéger dans ses différents actes et protocoles, contrairement à l’ONU, l’Union africaine semble techniquement prête à répondre des violations graves des droits de l’Homme perpétrées par ses Etats membres. Mais pour que cela se concrétise, l’UA devra veiller à ne pas confondre indépendance et autonomie, à l’heure où la coopération se révèle être un élément incontournable. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.


[1]    La Lettre du Président – Numéro 1, Novembre 2011 La Lettre du Président. Disponible sur : http://www.au.int/fr/dp/cpauc/content/lettre-du-président-numéro-1-novembre-2011-l’union-africaine-et-la-crise-libyenne-remettre-l

Peut-on parler d’une instrumentalisation du droit à l’éducation en Afrique ?

educ1Indéniablement reconnu par la communauté internationale comme un droit de l’homme, le droit à l’éducation soulève, malgré tout, une multitude de questionnements. Loin d’être un droit absolu, l’éducation est un outil fortement dépendant des intentions de l’acteur qui le détient.  L’étude de la complexité et de la malléabilité de l’éducation permet de prendre conscience de l’ambivalence des rôles qu’elle peut jouer. L’instrumentalisation de l’éducation est aussi bien porteuse d’obstacles sérieux à la réalisation de l’Objectif mondial du développement qu’est « l’Education pour tous » (EPT), que d’éléments clés à la dissémination d’une culture de la paix. Si l’éducation peut servir la cause de la domination et de l’oppression, il ne faut pas oublier qu’elle peut, de la même manière servir celle de la libération et de la liberté.[1] Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.


[1] TAWIL Sobhi, Rapport final et étude de cas de l’atelier sur la destruction et la reconstruction de l’éducation dans les sociétés perturbées. 15-16 mai 1997, Genève, Suisse. Organisé conjointement par le bureau international de l’éducation et l’Université de Genève

 

 

Rencontr’Afrique avec Stéphane Brabant


brabantPour la quatrième édition des Rencontr’Afrique qui a eu lieu le 13 juin 2014, une quinzaine de personnes a été reçue par l’avocat international Stéphane Brabant. 


Répondant ainsi à l’invitation de L’Afrique des Idées, il nous a accueillis dans son cabinet pour un échange riche d’enseignements dont nous résumerons la substance. La tâche n’est pas aisée, tant la richesse de ses propos témoigne d’une grande curiosité intellectuelle. « Stéphane » – comme il aime qu’on l’appelle – apparaît comme un homme enrichi par ses expériences ponctuées d'anecdotes qu’il a accepté de partager avec nous.


« Je n’avais jamais mis les pieds en Afrique. J’y suis arrivé, j’étais bien, on ne peut pas dire mieux » 


Lillois d’origine, il y étudie le droit avant de s’envoler pour le Vanuatu pour son service national de coopération et d’y devenir procureur de la République, à la faveur d’un concours de circonstances (« le plus difficile à passer »). Il poursuit ensuite des études de 3ème cycle en droit international public en Australie. Ayant toujours voulu être avocat international – vocation rare à l’époque-, mais conscient de la pauvreté, à cette époque-là, de l’enseignement en faculté de droit en finance et en comptabilité, il passe deux années au service d’une banque pour compléter sa formation. 


Il découvre l’Afrique en rejoignant le réseau international juridique et fiscal de PricewaterhouseCoopers. La prégnance de l’oralité et l’importance de la confiance dans les rapports lui rappellent son Nord natal. Là-bas, il découvre le droit pétrolier, champ d'activité en friche dans lequel peu de juristes – occidentaux en majorité – étaient spécialisés. Lui qui en ignorait tout, y est introduit par M. Samuel Dossou-Aworet, à la faveur d'un nouveau concours de circonstances qu’il passe avec hardiesse, et surtout grâce à l'ouverture d'esprit et la générosité de ce dernier. C’est le point de départ d’une longue amitié entre les deux hommes, et de l'engagement de l’avocat sur et envers le Continent. 


Après 7 ans au Gabon, il rentre à Paris chez PwC puis s’engage chez Herbert Smith Freehills en 1998.  Aujourd’hui, il a développé une expertise en matière pétrolière, minière et d’infrastructures. S’il n’est plus étrangement regardé par ses confrères qui, lorsqu’il s’aventurait en Afrique, l’imaginaient déjà condamné à des « fusions tamtam » et un statut d’éternel collaborateur, c’est parce que « le regard sur l’Afrique a changé. Ce n’est pas Stéphane qui a changé ». 


Un engouement pour l’Afrique avant tout économique 


L'engouement actuel pour l’Afrique est une « bonne chose » («  Enfin ! »). Selon Stéphane, il s'explique par la conjugaison de plusieurs facteurs, au premier rang desquels l'augmentation des investissements internationaux vers l'Afrique. Les banques et les fonds ainsi s'intéressent beaucoup plus à l'Afrique qu'auparavant. En outre, il faut noter l'influence positive de la Chine qui a révélé la nécessité de réinventer les relations politiques et commerciales avec les pays africains.


Autre facteur, mais non des moindres, «  le regain d’intérêt des africains pour leur propre continent » et l’émergence de personnes de très haute qualité professionnelle, en raison, notamment, du retour de certains éléments de la diaspora formés dans les meilleures écoles du monde. 


Enfin, le mouvement en faveur de plus de transparence financière et la pénalisation en Occident de certains comportements des entreprises, tels que la corruption active d'agents publics à l'étranger.


rencontrafrique4« Il faut être africain-réaliste » 


Néanmoins, il ne se dit « ni africain-optimiste, ni africain-pessimiste », car même si de nombreux indicateurs deviennent verts, des problèmes de gouvernance demeurent dans certains pays dont la première cause reste la corruption. Il faut reconnaître la part de responsabilité tant des entreprises qui profitent de la corruption que celle de certains responsables africains. « Le droit est bon, aussi perfectible qu’ailleurs. Son respect strict est la condition nécessaire mais souvent pas suffisante pour réussir, il convient aussi, en Afrique, d'être juste ».


Il cible également les difficultés héritées de l'histoire, et plus particulièrement des suites du Traité de Berlin. « Il faut un modèle institutionnel africain », propre aux structures sociales africaines et qui ne soit pas l’imitation des modèles des anciennes métropoles. Il préconise de solliciter des juristes africains pour mieux réfléchir sur les institutions de demain et prend le risque de dire que, selon lui, le mieux pourrait être un système centralisé capable de juguler les velléités séparatistes de certaines communautés ethniques, associé à un pouvoir local « assez fort pour que les identités locales se sentent respectées ». Stéphane a par ailleurs souligné l'importance que les contrats signés avec les investisseurs soient équilibrés entre les intérêts des Etats, des populations et de la société. Il regrette parfois aussi une certaine insécurité juridique et fiscale qui n'est pas toujours justifiée (« certains adaptations peuvent être nécessaires mais les changements brutaux et imprévus sont toujours dangereux »).


Les voies possibles du développement de l’Afrique 


Pour y remédier, il cible quelques priorités:

  • L’éducation.  L'industrialisation requiert une main d’œuvre qualifiée, qui par certains endroits fait défaut. Certains Etats souffrent parfois d'un manque d'experts nationaux dans les négociations et Stéphane rappelle sur ce sujet l'apport du programme de facilité africaine de soutien juridique (ALSF) mis en place sous l'égide de la Banque Africaine de Développement.

  • La prise de conscience des communautés locales. Ces dernières s’imposent peu à peu comme un véritable contre-pouvoir sur lequel il faut compter avant tout projet.  Dans ce processus, l’intégration des femmes, qu’il juge très conscientes de certains enjeux tels que l’éducation et la santé, est essentielle. 

  • Enfin, il évoque l'idée croissante que, au-delà du respect « indispensable » du droit, il faut agir dans un esprit de justice. Et sur ce point, « l’Afrique influence positivement le monde ». Il dénonce ainsi les contrats déséquilibrés, et se réjouit de l’émergence de principes qui, quoique non contraignants juridiquement, s’imposent aux entreprises. Ces principes proviennent de sources telles que les Nations Unies, l'Union Africaine, l'Organisation de coopération et de développement économiques, la Banque Mondiale, la Société Financière Internationale et d'autres institutions internationales ou organisations professionnelles. Ainsi, « les manquements viendront un peu à la fois de moins en moins des entreprises mais risquent encore de rester trop souvent le fait de certains Etats ; les entreprises n’auront plus d’autre choix que de se conformer à ces principes, et les populations ne manqueront pas de les y encourager, dans l'intérêt de tous ».

En bref, cette Rencontr'Afrique, menée sans langue de bois, aura été l'occasion de découvrir un homme humble, chaleureux et disponible. Surtout, elle nous aura permis de rencontrer un véritable amoureux de l’Afrique, et des Idées. 

 

François Adao Cissé

Quelles sont les attentes des jeunes africains de la diaspora et comment les attirer sur le continent ?

carriere2L’Afrique a enregistré une croissance économique soutenue au cours des dix dernières années. En 2014, 17 pays africains (soit un tiers du continent) devraient enregistrer une croissance du PIB supérieur à 6,5%. De par ses performances économiques et de par sa stabilité politique qui se renforce, l’Afrique devient de plus en plus attractive, non seulement pour les entreprises, mais aussi pour les jeunes africains de la diaspora.

Dans ce contexte, le Think-Tank L’Afrique des Idées a conduit une Rapport[1] auprès des jeunes africains ayant effectué une partie de leur formation à l’extérieur du continent (94% en Europe). Les résultats issus de cette enquête apportent des éclairages sur les sources de motivation des jeunes de la diaspora qui vont travailler en Afrique, les difficultés qu’ils rencontrent dans le cadre de  leur retour et les domaines dans lesquels leurs attentes vis-à-vis des entreprises sont les plus fortes.

Principaux enseignements

Le 1er enseignement concerne la perception des jeunes africains de la diaspora sur les raisons de leur recrutement en Afrique. L’enquête a pris comme postulat l’expérience internationale et la connaissance régionale de l’Afrique comme facteurs déterminants dans les choix de recrutement des entreprises installées en Afrique. 65% des jeunes africains de la diaspora interrogés considèrent l’expérience internationale comme le principal facteur déterminant pour être recruté en Afrique, contre 22% pour la connaissance régionale.

carriere3Le 2ème enseignement porte sur les principaux facteurs qui motivent les jeunes africains de la diaspora à retourner travailler en Afrique. 75% des répondants considèrent la volonté de s’impliquer dans l’essor du continent comme leur principale motivation à rentrer travailler sur le continent. L’attache familiale en Afrique est mentionnée par respectivement 43% des répondants.  Il est intéressant de noter que les facteurs en lien direct avec la vie professionnelle sont considérés comme principales sources de motivation par moins de 25% des répondants. Il en va ainsi de la possibilité d’un plan de carrière plus rapide en Afrique qu’ailleurs (25%), de l’absence d’opportunités dans le pays où le répondant a fait une partie de ses études (14%), et plus frappant, de l’intérêt pour l’entreprise qui recrute (4%). Autrement dit, que ce soit Total au Gabon, la Société Générale au Sénégal ou Deloitte en Côte d’Ivoire, dans leur démarche de retour en Afrique, les jeunes africains de la diaspora attachent très peu d’importance à l’entreprise qui les recrute.

Le 3ème enseignement est relatif aux difficultés rencontrées dans le cadre du retour en Afrique. D’après les données collectées, la difficulté majeure à laquelle les jeunes africains de la diaspora sont confrontés concerne le manque d’informations sur les opportunités existantes en Afrique. Celle-ci est mentionnée par sept répondants sur dix. Le caractère peu attrayant des rémunérations est quant à lui cité par 31% des répondants. Les délais des processus de recrutement et les réticences de la part de l’entourage  sont considérés comme faisant partie des obstacles majeurs dans la recherche d’emploi par respectivement 21% et 20% des répondants.

Quant aux attentes vis-à-vis des entreprises, 67% des jeunes ayant répondu à l’enquête estiment que l’amélioration des rémunérations et avantages sociaux constitue un principal élément sur lequel les entreprises qui recrutent en Afrique devraient s’améliorer. La rémunération est suivie par « la formation et le renforcement du capital humain » (55%) et « la responsabilisation » au sein de l’entreprise (35%).

Ces enseignements laissent transparaitre deux points majeurs : les jeunes africains de la diaspora considèrent leur expérience internationale comme leur principale valeur ajoutée pour les entreprises opérant en Afrique ; le retour en Afrique de ces jeunes est essentiellement mû par des considérations qui ne sont pas en lien direct avec les entreprises. Dans ce cadre, les entreprises qui souhaitent se développer en Afrique font face à un double défi : d’une part attirer des talents qui ont à la fois une expérience internationale et une bonne connaissance régionale de l’Afrique, et d’autre part développer une attractivité plus forte pour attirer et surtout conserver les jeunes issus de la diaspora.

carriere13 leviers majeurs pour attirer et conserver des jeunes talents issus de la diaspora

Les entreprises devraient « donner du sens » aux carrières qu’elles proposent de façon à construire une plus forte identification entre elles-mêmes et « la volonté de s’impliquer dans l’essor du continent », qui est la principale source de motivation des jeunes de la diaspora. Les nouvelles stratégies de marque devraient s’appuyer sur une communication revisitée et des canaux de diffusion plus adaptés aux attentes des jeunes africains de la diaspora, d’autant plus que l’accès à l’information sur les opportunités de carrière en Afrique demeure leur principale difficulté.

Vu les fortes attentes des jeunes de la diaspora en termes de rémunération, les entreprises devraient mieux prendre en charge les préoccupations de jeunes professionnels déjà habitués aux standards internationaux. Cela pourrait passer par des avantages sociaux et des bénéfices en nature plus substantiels.

Enfin, la formation et le capital humain étant deux dimensions clés auxquelles les jeunes Africains de la diaspora sont très attachées, les entreprises devraient les inscrire dans une perspective internationale, en proposant aux jeunes qui les rejoignent en Afrique :

  • des possibilités de formation à l’étranger
  • une mobilité aussi bien fonctionnelle et géographique (notamment en offrant la possibilité aux jeunes de travailler dans plusieurs pays du continent).

Nicolas Simel Ndiaye et Georges Vivien Houngbonon


[1] Les données ont été collectées entre le 1er et le 8 avril 2014 par le biais d’un questionnaire électronique sur un échantillon de 109 jeunes africains de la diaspora âgés entre 20 et 35 ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Afrique au regard de ses romanciers

chimamandaL’Afrique contemporaine est l’objet de nombreux récits : celui des économistes, des sociologues, des démographes, des militants politiques, des historiens, des journalistes, des investisseurs… Ces récits occupent l’espace médiatique et académique, ils façonnent notre vision du continent africain.

Le récit que portent les romanciers sur l’Afrique contemporaine, parce que parcellisé, protéiforme, hors cadre conventionnel, est lui peu audible. Pourtant, son importance est cruciale. Comme le soulignait Hermann Broch, les romans produisent des effets de vérité qui échappent à tous les autres systèmes d’interprétation et de représentation du monde.

Depuis un peu plus de deux ans déjà, nos chroniqueurs littéraires rendent compte de ce regard particulier que portent les romanciers sur l’Afrique contemporaine. Une période de l’histoire qui s’est caractérisé par une mutation sociale accélérée, qui ne s’est pas faite sans violence. Une situation que reflètent les thématiques abordées par les romanciers, et que transcrit ce document que vous pouvez télécharger en cliquant sur ce lien : Brochure Culture ADI.

Rencontr’Afrique avec Henri Lopes, Ecrivain et Diplomate

Lopes

La 3ème édition des Rencontr’Afrique a eu lieu le 28 février dans les locaux de l’Ambassade du Congo à Paris, avec Henri Lopes. Premier Ministre de 1973 à 1975 et plusieurs fois Ministre (en charge de l’Education Nationale, des Affaires Etrangères, des Finances), Henri Lopes a aussi été fonctionnaire international de l’UNESCO (entre 1982 et 1998) dont il a été Directeur Général Adjoint, avant de devenir, à partir 1998, Ambassadeur de son pays en France. Il est donc un homme politique et un diplomate aguerri. Parallèlement, Henri Lopes demeure l’un des principaux romanciers de la littérature africaine des 40 dernières années. Ses œuvres, comme Le Pleurer-rire (1982), sont étudiées dans de nombreux lycées d’Afrique francophone ; son dernier roman, Une enfant de Poto-Poto, est paru en 2012 chez Gallimard et a obtenu le Prix de la Porte Dorée (Musée de l’Immigration). Henri Lopes a accepté de recevoir une vingtaine de personnes, à l’invitation de L’Afrique des Idées, pour partager sa riche expérience d’homme politique et d’écrivain, qui est aussi celle de toute une génération (« Quand je dirai je, c’est de toute une génération dont je parle »).             

Le Métis de Maloukou

Né dans un hôpital de Léopoldville (actuel Kinshasa) d’une mère du Congo français (Brazzaville) et d’un père du Congo belge (Kinshasa), Henri Lopes a grandi à Maloukou, petit village de l’actuel République du Congo. Il est alors déjà le fruit d’un métissage biologique en attendant un métissage culturel puisque sa mère épouse en secondes noces un français qui deviendra son père nourricier. De cette époque, il dira que « toutes les colonisations avaient leur apartheid avant la lettre ». La disposition géographique de Pointe-Noire illustre ce propos : il s’agit d’une ville en éventail avec un poste de police au point goulot, et juste derrière, les quartiers réservés aux colons et auxquels les noirs ne peuvent accéder qu’en journée avec une autorisation de travail. Henri Lopes est alors très jeune et la prise de conscience de la colonisation n’arrivera qu’ultérieurement, lorsqu’il arrive en France en 1946. Il est alors âgé de 11 ans.

La prise de conscience de la colonisation

Après un voyage en bateau de 3 semaines qui le mène tour à tour à Abidjan, Dakar et Casablanca (« Je découvre Casablanca et Casablanca est un émerveillement pour moi »), Henri Lopes débarque à Marseille un jour de Pâques 1949. Alors que dans son Congo colonial, les activités manuelles étaient strictement l’apanage des noirs, il découvre, stupéfait, que les dockers du Port de Marseille sont blancs. Ses parents, qui l’ont accompagné pour ce voyage, le laissent alors dans un collège-internat à Nantes où il est très bien traité par ses camarades de classe et par sa famille d’accueil. Il se paie même le luxe, aux heures de récréation de jouer au foot, chaussures au pied, avec ses camarades blancs. De ce « décalage entre l’attitude des français de France en France et celui des français colons en Afrique » naît la prise de conscience de la colonisation et de la nécessité d’y mettre fin. Les rencontres avec d’autres jeunes africains, d’abord au lycée à Nantes et ensuite à l’université à Paris, amènent Henri Lopes à prendre part au mouvement de lutte pour l’indépendance. « A l’époque, on était tous des communistes. Notre conscience politique était ancrée à gauche, sur une ligne communiste » dira-t-il.

Deux événements marquent cette période. En 1958, la Guinée prend son indépendance et de nombreux étudiants africains en France vont s’y installer. La désillusion sera grande pour bon nombre d’entre eux. Certains seront emprisonnés, d’autres exécutés. En 1960, la plupart des pays d’Afrique noire accèdent à l’indépendance. Beaucoup d’étudiants en France décident de rentrer dans les années qui suivent ; c’est aussi le cas d’Henri Lopes car « il faut être utile au pays ».

Le temps des responsabilités politiques

De retour dans une République du Congo indépendante, Henri Lopes devient professeur d’Histoire à l’Ecole Normale Supérieure. Il est alors proche du premier noir Directeur de l’Enseignement, poste qu’il occupera d’ailleurs de 1966 à 1968. A peine 10 ans après son retour au Congo, Henri Lopes devient à son tour Ministre de l’Education Nationale, puis des Affaires Etrangères, Premier Ministre et enfin Ministre des Finances. De cette époque entre 1960 et 1982, qui correspond aussi à une forte période d’instabilité politique pour le Congo, il dira : « Nous avons été propulsés à des postes de responsabilité comme vous ne pourrez jamais l’être. C’était à la fois fascinant et dangereux ». A partir de 1982, Henri Lopes quitte son pays pour devenir fonctionnaire international à l’UNESCO dont il reviendra par la suite Directeur Général Adjoint. 1982, c’est aussi l’année au cours de laquelle Henri Lopes publie son 4ème livre, Le Pleurer-rire, qui deviendra un grand classique de la littérature africaine. C’est qu’Henri Lopes est d’abord et surtout un homme de culture, un grand écrivain.

Lopes, L’écrivain

De son recueil de nouvelles Tribaliques (1972), pour lequel il reçoit le grand prix de littérature d’Afrique noire, à son dernier roman Une enfant de Poto-Poto (2012), en passant par Le Pleurer-Rire (1982) ou Le Chercheur d’Afriques (1992), Henri Lopes, dans un français mêlé de français-congolais, s’est toujours lancé dans une quête identitaire à travers ses différents personnages. Pour lui, nous avons « trois identités, comme les cordes d’une guitare ; il faut utiliser l’une ou l’autre, quelquefois les trois à la fois ».

De son métier d’écrivain, il dira aussi que « c’est un travail quotidien, qui se fait en cachette, comme l’amour », ce qui est du reste difficile pour l’écrivain car l’isolement est mal compris et mal perçu dans les sociétés africaines.

Henri Lopes reste d’ailleurs globalement lucide sur la place de l’écrivain en Afrique puisqu’il estime que c’est la politique qui permet, in fine, de changer les choses, et non la fiction.

 

Nicolas Simel Ndiaye

Rencontr’Afrique n°2 : Takeaways

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Ce samedi 23 novembre 2013, L’Afrique des Idées a organisé la deuxième édition des Rencontr’Afrique à Paris. Cette rencontre a été l’occasion d’échanger avec Denis Cogneau sur l’histoire économique de l’Afrique et les perspectives qu’on peut envisager au regard des performances économiques actuelles du continent. Voici quelques idées qui ont émergé des échanges :

  1. Les vagues d'afro-optimisme et d'afro-pessimisme sont nourries par la méconnaissance des réalités africaines. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’entreprendre un travail d’éclairage sur l’histoire économique de l’Afrique et d’identification des enjeux du continent.
  2. Les comparaisons qui sont faites entre l’Afrique et d’autres régions du Monde peuvent être fallacieuses dans la mesure où chaque région à de très fortes spécificités historiques qui caractérisent ses institutions et ses performances économiques.[1] Il est bien sûr possible que de nouvelles dynamiques économiques se mettent en place, comme c'est cas dans les pays d’Asie, mais cela implique des changements assez profonds et radicaux.
  3. La colonisation a joué un rôle ambigu dans le développement de l’Afrique. Si elle a bien correspondu à l'introduction de l'école et de la culture écrite, ainsi qu'à certains progrès en matière de santé, il convient de rappeler que de nombreux investissements coloniaux ont été financés par les impôts prélevés sur les colonies elles-mêmes, et cela quel que soit le colonisateur. Dans le cas français, il y a certes eu des investissements massifs en infrastructures juste avant les indépendances; cependant, ces derniers avaient aussi pour but de conserver l’emprise de la métropole sur ses ex-colonies.
  4. Dans la plupart des cas, les élites locales ont conservées les institutions extractives mises en place par les colonisateurs, sources d'une perpétuation des inégalités. Dans un cas comme la Côte d’Ivoire, il y a eu toutefois des investissements majeurs dans les infrastructures et la mise en place d'une administration publique relativement efficace.
  5. La forte dépendance des recettes fiscales vis-à-vis des exportations de matières premières et le train de vie élevé de l’Etat ont conduit aux ajustements structurels à partir des années 80. Quoique ces politiques aient été plus ou moins mises en œuvre dans la plupart des pays, elles ont généralement conduit à une dégradation des conditions sociales. Cette situation a été à l’origine des visions pessimistes sur l’avenir de l’Afrique jusqu’au milieu des années 90.
  6. Depuis le début des années 2000 les taux de croissance observés en Afrique sont surtout tirés par les matières premières (mines et produits agricoles).[2] Il faut donc prendre un peu de recul face aux chiffres actuels de la croissance car tout dépendra de sa distribution dans l’ensemble des couches de la société.
  7. L’intensification agricole va devenir un enjeu majeur pour les pays Africains. Aujourd’hui nous sommes dans une phase où des terres fertiles inexploitées existent encore. Dans quelques années, il sera nécessaire de rendre l’agriculture plus productive afin d’accommoder les perspectives démographiques du continent. Cependant, cette nécessité risque d’être compromise par le dérèglement climatique. Il est donc essentiel pour l’Afrique d’envisager les politiques d’adaptation afin de limiter les effets du dérèglement climatique.
  8. Un aspect clé du développement de l’Afrique sera la mise en place d’une fiscalité transparente et détachée des fluctuations du cours des matières premières. Cela requiert d’une part que la structure des économies soit plus détachée de l’exploitation des matières premières, et d’autre part une vigilance accrue de la part d’organisations de la société civile pour s’assurer que les recettes issues des ressources naturelles soient utilisées de manière efficace.
  9. Enfin, le concept de développement peut être dit "étranger à l’Afrique" si on le considère comme une mutation du concept colonial de "mise en valeur". Cependant, si l’on voit le développement comme relevant de l'innovation sociale et conduisant à une augmentation des libertés, notamment celles permises par l'accroissement de l'espérance de vie, alors il devient une aspiration à part entière des Africains. Ceux-ci souffrent autant que tout le monde de la mort de leurs enfants, contrairement à ce qu'un certain discours colonial a parfois prétendu.

Plusieurs autres questions ont été abordées et davantage de réponses ont été apportées. Nous vous renvoyons vers la vidéo de la rencontre qui sera prochainement disponible sur ce site internet.

 


[1] Par exemple, avant la période coloniale, le développement agricole a été extensif en Afrique et en Amérique contrairement à l’Europe et à l’Asie où il était plutôt intensif. De même, l’apport du capital a été beaucoup plus faible dans les régions comme l’Afrique sub-saharienne ou l'Asie qui n’ont pas connu de colonisation de peuplement. Pour cela, il faut relativiser les comparaisons entre grandes régions, et ne pas chercher à tirer mécaniquement des leçons pour l'Afrique des "exemples" asiatiques ou latino-américains, comme cela est parfois fait.

[2] En effet, l’exploitation des ressources naturelles et l’augmentation des cours des matières premières agricoles a encouragé les investissements dans les infrastructures, le développement des services de transport et d’assurances, le développement de la consommation des classes moyennes et par ricochet des grandes chaînes de distribution.

Comment mesurer la croissance inclusive en Afrique ?

On veut de leau potable, Sinzinzin. Sculpture de Kifouli Dossou, Peinture de Kifouli Dossou, 2010 - 2011
On veut de leau potable, Sinzinzin. Sculpture de Kifouli Dossou, Peinture de Kifouli Dossou, 2010 – 2011

Au cours de la dernière décennie, l’Afrique a connu une croissance économique forte et stable.[1] Cette performance économique a suscité beaucoup d’espoir sur la réduction de la pauvreté comme ce fût le cas dans d’autres régions du monde comme la Chine et l’Inde.[2] Cependant, la part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté n’a baissé que très légèrement durant la période.[3] La plupart des études académiques à ce jour se sont intéressées à comprendre les causes du décalage entre la croissance économique et la réduction de la pauvreté en Afrique. L’approche consistant à mesurer l’impact de la croissance sur l’ensemble des groupes sociaux (en fonction des niveaux de revenu) et non plus seulement sur les catégories les plus pauvres est toutefois moins courante.

La mesure de l’inclusivité de la croissance est devenue progressivement un sujet majeur de préoccupation. Toutefois, nous en savons encore très peu sur l’évolution réelle des revenus et des dépenses des différentes catégories de ménage en fonction du taux de croissance global de l’économie dans laquelle ils s’inscrivent. De ce fait, il n’est pas possible encore à ce jour d’identifier les politiques publiques appropriées susceptibles de rendre la croissance économique plus inclusive. Cela est dû à l’absence d’observations empiriques sur les liens réguliers qui existent entre certaines politiques publiques et « l’inclusivité de la croissance ».

Le think-tank Terangaweb-l’Afrique des Idées s’est donc proposé de mener une observation empirique de l’évolution des revenus des ménages dans trois pays africains (Tanzanie, Cameroun, Sénégal) au regard des taux de croissance économique respectifs de ces pays.  Cette étude a permis d’identifier des relations stables entre l’évolution des revenus/dépenses des ménages et le niveau, la stabilité et la structure de la croissance économique. L’identification de ces relations a permis d’apporter des éléments de réponses aux questions suivantes :

  • La croissance économique a-t-elle besoin d’être forte pour être inclusive ?
  • Faut-il promouvoir une croissance stable pour la rendre inclusive ?
  • Existe-t-il un lien entre la structure de l’économie et « l’inclusivité de la croissance »

Sur la base de l’étude de cas de trois pays africains aux performances économiques différentes que sont le Cameroun, le Sénégal et la Tanzanie, nous avons pu obtenir des résultats préliminaires qui sont présentés à Helsinki dans le cadre de la conférence de l’Institut Mondial de recherches sur le développement de l’Université des Nations Unies (UNU-WIDER), les 20 et 21 septembre 2013.


[1] Selon les Perspectives Economiques pour l’Afrique de 2012, le taux de croissance réel du PIB a été de 5,2% sur la période allant de 2003 à 2011.

[2] Avec un taux de croissance d’environ 8% en 25 ans, la part de la population Chinoise vivant avec moins de 1,25 dollars EU par jour est passée de 73% en 1980 à environ 12% en 2005. (Voir Ravallion, 2009)

En Inde, la plus forte baisse de l’incidence de la pauvreté a été enregistrée durant la période de forte croissance (voir Aghion & Aghion, 2004, p.4). En effet l’incidence de la pauvreté a chuté de 10 points en Inde à la fois en milieu urbain et en milieu rural durant la période où le taux de croissance a été d’environ 5%.

[3] Selon la Banque Mondiale, la proportion des pauvres en Afrique est passée de 47% à 40% entre 2002 et 2008.

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