Les fintech en Afrique : des outils à géométrie variable favorisant l’inclusion financière

Mina habite à Sahuyé, à 70kms d’Abidjan. Depuis 2008, elle a un compte mobile money qui lui sert à envoyer de l’argent à sa tante à Ouagadougou et à se constituer une petite cagnotte chaque mois. Avec près de 100 millions d’autres personnes[1], Mina a désormais ainsi accès à des services financiers de base dont elle était auparavant exclue. Quel est le degré d’inclusion offert par les fintech sur le continent ? Permettent-ils effectivement d’offrir des services financiers à tous, du Cap à Alger en passant par Dinga en République Centrafricaine ou Gondere en Ethiopie ?

Si les fintech ne représentent pas une solution unique et globale pour l’Afrique – il serait réducteur de le croire – ils apportent néanmoins des réponses pertinentes à des défis quotidiens ainsi que des innovations qui bouleversent l’écosystème financier mondial.

La percée singulière des fintech en Afrique 

L’Afrique se positionne comme une terre nouvelle pour les services financiers. L’Afrique est l’un, sinon le seul continent à avoir adopté directement des services financiers virtuels, sans passer ni par la case départ des agences en dur ni par la téléphonie fixe à grande échelle[2].

Cette singularité s’explique par un accès peu propice à l’offre financière classique. Les services formels sont fournis par des agences concentrées en zone urbaine[3] – tandis que la population rurale représente 2/3 de la population africaine – et pratiquant des taux d’intérêt et de commissions élevées – autour de 10,07% en moyenne dans la zone UEMOA par exemple[4]. Le recours à des moyens peu onéreux de technologie financière se comprend alors facilement.

Ce recours a ainsi favorisé une plus grande inclusion financière en faisant accéder un grand nombre de personnes à des personnes exclues des services financiers de base. Alors que le nombre de personnes non bancarisées est de 66% en Afrique[5] – avec toutefois des différences notables entre les pays – le recours aux fintech change la donne avec 12% d’Africains ayant accès à des services financiers via des fintechs[6].

Toutefois, il est clair que le mobile money est une solution parmi d’autres proposées pour résoudre le problème. On trouve ainsi le paiement par mobile (mobile money), le transfert d’argent, les services bancaires et les opérations d’investissement et de gestion de fortune, etc. Cette diversité est à comprendre au regard de celle des marchés africains, de leur maturité et de leurs besoins. Si certaines options – en particulier le mobile money – sont effectivement fructueuses ici, elles ne font guère de sens là, où une option plus ou moins sophistiquée sera plus indiquée.

En outre, le profil de certains pays facilite le déploiement d’une solution, où ailleurs elle ne répondrait que partiellement ou pas du tout à réduire le manque d’accès aux services financiers. Ainsi, le succès de M’Pesa au Kenya, basé sur la proposition d’une solution créée par une demande du marché, n’a pas abouti en Tanzanie et au Nigeria. Ces échecs sont liés à la diversité des écosystèmes, soulignant la nécessité d’adopter une approche plurielle pour penser l’inclusion financière.

Les défis à surmonter pour faire des fintechs de réelles solutions d’inclusion financière

Le mobile money représente aujourd’hui la plate-forme la plus développée et aboutie en matière d’inclusion financière en Afrique, en se positionnant comme une porte d’entrée à une variété de services pour ses usagers. Cependant, de nombreuses problématiques doivent être résolues pour offrir véritablement un accès inclusif, c’est-à-dire des services financiers accessibles en tous, y compris aux personnes « en bas de la pyramide ».

En effet, fintech ou pas, le défi d’inclusion financière des personnes dites « au bas de la pyramide » reste aigu. Cette population, qui vit en-dessous du seuil de pauvreté, effectue des opérations qui ne dépassent pas les 2 dollars par jour. Or, le modèle de l’agent dans le système de mobile banking, dont le revenu est assuré à 100% par les transactions, requiert un certain montant total pour être rentable. Avec l’hypothèse d’opérations à 1 dollar, pour un agent dont le coût mensuel est compris entre 150 et 200 dollars, en prenant un pourcentage par transaction, l’agent devrait enregistrer un montant de 20 000 dollars pour arriver au point mort, ce qui fait 2 transactions par minute, 8 heures par jour, 7/7…

En outre, les chiffres fanfaronnant sur la pénétration du mobile en Afrique ne doivent pas masquer certaines réalités. Des pays africains ont des taux d’usagers mobile inférieurs à 30% – sur 100 personnes, seules 30 au Burundi et 6 en Erythrée utilisent un téléphone portable[7]. Cette carence existe aussi en matière de données numériques. Pour l’entreprise en telco Tigo, seuls 20% de ses clients à travers le continent utilisent des données. Ainsi, si des services financiers de plus en plus innovants se multiplient, l’accès au service de base n’est pas encore assuré sur tout le continent.

D’autres défis restent à surmonter pour accroitre la couverture des fintechs et leur accessibilité à tous tels que l’interopérabilité, qui entrave le transfert d’argent domestique et international, et les efforts en matière de sensibilisation et d’éducation financière. Alors que le Rwanda peut être cité comme un exemple en matière de pédagogie financière, d’autres pays comme le Nigeria ne promeuvent pas une culture des technologies financières. Ainsi, le Gouvernement rwandais a soutenu la mise en place de plates-formes numériques pour les services de base (Irembo) : paiement des factures d’électricité, procédures administratives, etc. A l’inverse, l’économie nigériane est principalement basée sur la liquidité avec des agents de rue – appelés esusu ou ajo – opérant informellement des opérations courantes. 

Le potentiel des fintech offre une ambition visionnaire pour l’Afrique

Si ces limites doivent être résolues, des avancées majeures en matière d’inclusion financière ont été permises par le développement des fintechs en Afrique. Cependant, l’inclusion financière ne se limite pas aux paiements. Cette « innovation frugale » déploie toute une gamme de services financiers rendus accessibles au plus grand nombre.

Parmi les services proposés, on trouve bien sûr des services bancaires classiques, offrant la possibilité aux personnes exclues du système bancaire de contracter des prêts (comme avec Aire ou Kreditech), des services d’assurance et micro assurance, d’investissement, de paiement et de transferts en ligne. Des startups comme Afrimarket, Azim ou Mergims facilitent le transfert d’argent et de biens à des taux réduits et en toute sécurité ; WeCashup et Dopay offrent la possibilité de payer en ligne et/ou de recevoir son salaire de manière électronique, sans risque de corruption et d’insécurité.

En outre, ces services accroissent non seulement l’inclusion financière mais également sociale avec des produits facilitant l’accès à des services de base dans la santé et l’éducation. Par exemple, la fintech sénégalaise Bouquet Santé s’appuie sur la diaspora pour résoudre certains manques du système de santé national. 

Ces initiatives sont portées par un ensemble d’éléments facilitant le déploiement de solutions numériques. Premièrement, la simplicité de la technologie la plus couramment utilisée, l’USSD, ainsi que le dynamisme de ce secteur qui propose constamment des innovations améliorant cette technologie et des applications nouvelles. Deuxièmement, le bas coût des mobiles, qui favorise une pénétration facile et croissante. Troisièmement, la capacité à mettre en place un réseau de distribution étendu, même en zone rurale, avec un système d’agents pour le mobile money. Enfin, la tendance croissante des acteurs à saisir cette opportunité et à développer des partenariats (entre les opérateurs, les banques, les coopératives, les institutions de micro finance) et faciliter l’extension de leurs services avec un effort en formation et sensibilisation.

Jusqu’à présent, les résultats enregistrés par les fintech pour accroitre l’accès aux services financiers sont nombreux. Aujourd’hui, plus de 80% du continent est couvert par des services d’argent mobile[8]. Au Kenya, le taux de bancarisation a augmenté de 58% depuis 2007, année de lancement de la licorne nationale M’Pesa[9]. Il est indéniable que l’accès aux services de base s’est renforcé sur le continent avec 15,4% de la valeur totale des transactions de 2014 revenant aux paiements de factures et de transactions marchandes[10].

L’accès et la participation étendus au système financier ne sont pas une fin en soi mais un moyen. Ils offrent des bénéfices directs et indirects majeurs. Au sein du système, ils permettent d'abaisser le coût des virements de fonds transfrontaliers et celui de l’offre des services financiers de 80-90%, permettant ainsi à des sociétés de proposer leurs services à des clients à faible revenu tout en assurant leur rentabilité. Pour les usagers, ils diminuent l’insécurité liée au fait d’avoir de l’argent liquide sur soi et offrent la possibilité de lisser leur consommation, de gérer les risques de chocs financiers en se constituant une épargne et, petit à petit, d'investir dans l'éducation et la santé. Pour les entreprises ayant un accès facilité au crédit – en créant des historiques de crédit – de croitre et de créer des emplois.

Ces avantages ne sont les pas derniers, car les fintech sont un arbre en plein épanouissement. L’interopérabilité et l’ouverture croissantes, favorisées par l’intégration africaine, donnent des perspectives réjouissantes. Au-delà du mobile money, le bitcoin et les blockchain sont des chantiers en développement en Afrique – certains y voyant même le berceau d’une révolution : « Révolution Impala ». Le blockchain, qui permet d’établir des historiques de crédit, de conforter et/ou créer une identité financière basique, pourrait peut-être même être le prochain levier innovant d’inclusion financière, faisant de l’Afrique une pionnière au niveau mondial.

En conclusion, la possibilité d’offrir un accès le plus large possible aux services financiers implique de proposer des solutions adaptées à la variété de besoins existant sur le continent, en adoptant même une perspective locale – ce qui est vrai dans la capitale ne l’est plus au village. Il est donc crucial de ne pas croire en un modèle unique capable de résoudre les défis de l’Afrique comme une entité homogène. Enfin, l’enjeu clef est de maintenir la vitalité entrepreneuriale observée jusqu’à présent dans l’offre des fintech.

Pauline Deschryver 

 

 


[1] Banque mobile en Afrique sub-saharienne : 251 millions de clients potentiels d’ici 2019, BCG, 2015

 

[2] En 2015, 24 652 adultes sur 100 000 possèdent un compte mobile en Afrique Sub Saharienne, contre 3 485 en Asie du Sud ou 416 en Europe. (Source : Banque Mondiale et Groupe Spécial Mobile Association)

 

[3] On trouve 3,2 agences pour 100 000 habitants, Etude du cabinet Roland Berger

 

[4] Source : Banque Centre de l’Union Economique Ouest Africaine

 

[5] Données Banque mondiale 2015

 

[6] Idem

 

[7] Données Banque Mondiale

 

[8]Un Agency for Information and Communication Technology

 

[9] Source : Commission des communications au Kenya

 

[10] Données : GSM Association

 

L’Afrique, fer de lance d’une révolution financière ?

Partout dans le monde, on assiste à un bouleversement du paysage financier[1]. Les banques traditionnelles sont prises de vitesse par des acteurs nouveaux, dits barbarement fintech et/ou opérateurs de mobile banking (MNO ou MVNO)[2], optimisant l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En Afrique, cette tendance est croissante. Ce continent peut-il mener la voie d’une nouvelle ère financière ? 

L’Afrique, épicentre technologique des services financiers

Le phénomène de digitalisation financière est plus aigu sur le continent africain pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, les startups étiquetées « fintech » grouillent. Ce constat est sans équivoque et ce, dans la plupart des pays africains, notamment en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud. Certaines se sont même fait remarquées sur la scène internationale, attirant investisseurs étrangers en quête de solides retours et/ou d’impact social. Ainsi, sur l’ensemble des investissements alloués aux jeunes entreprises africaines dans les NTIC en 2015, 30% concernaient les fintech[3]. Soutenues par un écosystème favorisant le développement de ces entreprises – avec une offre croissante d’accompagnement par des incubateurs et des concours entrepreneuriaux – ces pépites jouissent d’un environnement de plus en plus favorable à leur éclosion.

L’Afrique peut se targuer d’être le continent du mobile money et banking (ou m-paiement). La majorité des services de mobile money s’opérant à l’échelle planétaire ont lieu en Afrique (52%)[4]. Leur développement est exponentiel avec, en 2015, trois fois plus d’utilisateurs de portefeuille mobile et numérique qu’aux Etats-Unis et avec un rythme de croissance trois fois supérieur[5]. Cependant, certaines précisions s’imposent. D’une part, parler de rupture technologique en Afrique revient à négliger la situation actuelle. Contrairement aux pays occidentaux où l’offre bancaire est bien ancrée auprès une clientèle large, l’Afrique – avec des nuances pour l’Afrique du Sud – ne dispose pas de banques jouissant d’une telle base clientèle (9 Africains sur 10 n’ont pas accès aux services bancaires). Dès lors, ces acteurs créent des infrastructures et des services là où l’existant est quasi nul. D’autre part, la révolution en question n’est pas brutale mais par phases. Le déferlement du mobile money appartient à une première tendance, certes non achevée mais déjà talonnée par une seconde vague d’innovation menés par les fameuses fintechs. Alors que les services de mobile money, sont, dans l’ensemble, pilotés par de grands groupes de télécommunications et basés sur le téléphone portable, les fintechs sont surtout le fait d’entrepreneurs innovants en solo et axées sur l’usage d’internet[6].

Pionnière ou retardataire ?

Cette distinction permet de mieux apprécier si l’Afrique fait figure de pionner à l’échelle internationale ou si elle ne fait que rattraper un fort retard de bancarisation, avec des moyens qui lui sont propres. La réponse n’est pas binaire : l’Afrique crée de zéro des solutions répondant à des besoins basiques, pour combler le déficit de réponse adaptée des acteurs traditionnels. Cependant, la forme prise par ces solutions introduit un paradigme nouveau que les pays développés sont en train de copier, prenant dès lors l’Afrique pour modèle. Ainsi, on assiste à un bourgeonnement d’offres bancaires à distance en France (exemples de Soon, Hello Bank pour n’en citer que certaines) ; encore embryonnaires au Nord, elles font en revanche partie intégrante du paysage au Sud. En revanche, le focus sur le Nigeria du dernier rapport du cabinet KPMG sur les services financiers en Afrique souligne que les banques traditionnelles africaines semblent connaître les mêmes problématiques que leurs consœurs occidentales en ce qui concerne le passage au numérique. La conversion de leurs clients – qui utilisent déjà les plateformes numériques mais pour d’autres usages – à des services bancaires en ligne ne va pas de soi et la facilité d’utilisation reste un défi pour nombre de banques africaines.

Pourquoi un positionnement d’avant-garde ?         

Tout problème appelle une solution. C’est cette raison simple qui explique principalement l’ébullition constatée en matière de services financiers innovants. Elle se vérifie magistralement dans la problématique cruciale du financement des PME. Délaissées des banques – qui, peu flexibles, requièrent un nombre faramineux de garanties et comprennent mal leurs capacités de crédit – respectivement trop petites et trop grandes pour la plupart des fonds d’investissement et les institutions de microfinance – avec un ticket d’entrée trop élevé/petit pour ce segment – les PME reçoivent un meilleur accueil auprès de plateformes telles que Merchant Capital ou Rainfin en Afrique du Sud qui ont une connaissance fine de leurs besoins avec une proposition de valeur adaptée et flexible.

Similairement, alors que des institutions de la place existent pour répondre à des problématiques du quotidien, l’utilisation du numérique permet à d’autres acteurs de proposer des solutions plus adaptées, en accord avec les préférences des consommateurs africains[7]. Ainsi, en matière de transferts d’argent, face aux mastodontes occidentaux, l’opérateur de mobile money QuickCash cible les populations non desservies en brousse, reliant en particulier les planteurs de cacao en Côte d’Ivoire et leur famille dans les pays frontaliers. De même, la fintech WorldRemit a su s’imposer en se montrant plus réactive et moins chère pour répondre aux requêtes majeures de la diaspora. Ces exemples soulignent que, l’agilité et l’innovation, au-delà même de la technologie, sont les clés expliquant le succès des fintechs en Afrique. Dans le même registre, l’histoire de M’Pesa confirme cette hypothèse : c’est en saisissant que la population utilisait le temps de communication comme une monnaie d’échange, que Safaricom a eu l’idée de lancer l’opérateur de mobile banking kenyan.

Une tendance en plein essor

Premièrement, le marché est encore très peu desservi et ne demande qu’à croitre. Les chiffres sont cités à tour de bras mais leur effet demeure significatif : sur près de 330 millions d’adultes, 80% manquent d’accès aux services bancaires formalisés. Deuxièmement, une intégration est en cours, à la fois de manière organisationnelle et sectorielle. D’une part, banques et opérateurs de services virtuels tendent de plus en plus à s’associer pour renforcer leur service client et accroitre leur couverture. On peut ainsi citer les unions entre la Commercial Bank of Africa (CBA) et Safaricom au Kenya, créant M-shwari, ou entre des institutions de microfinance et M-Birr en Ethiopie. Multipliant les services, l’intégration entre MTN avec une division de la Standard Bank en Afrique du Sud, entre Airtel et Equity Bank au Kenya ou entre les opérateurs télécom et la Société Tunisienne de Banque ont favorisé des offres nouvelles, telles que la consultation des comptes, le transfert d'argent d'un compte bancaire à un autre via le mobile, le paiement de factures, le prêt bancaire, etc. En Afrique de l’Ouest, cette tendance a favorisé la forte croissance enregistrée depuis 2013 dans le mobile-money[8].

D’autre part, l’innovation est dynamisée par une intégration sectorielle. Cette caractéristique positionne sans conteste l’Afrique comme pionnière. L’utilisation des technologies déployées par les fintechs ouvre la voie à l’inclusion d’autres services financiers (e-santé, e-assurance, e-éducation, etc.). Ainsi, à l’instar de M’Kopa, des fintechs se sont mises à offrir à leurs clients des services divers et variés étoffant leur modèle économique et leur part de marché. C’est dans cette perspective que peut se comprendre la dernière annonce par Jumia de se doter se son propre système de financement par mobile.

Les raisons foisonnent pour que cette tendance se maintienne à vive allure. Jusqu’à présent, contrairement à leurs analogues américains, les fintechs africaines n’ont pas ou peu tiré profit de la masse de données qu’elles drainent quotidiennement. C’est pourtant une mine d’or ! L’analyse de ces informations permettraient entre autres de mieux cibler leur clientèle, avec des offres plus adaptées, de réduire les risques, etc. Une autre opportunité vient de l’adaptation du marché du travail aux problématiques émergeant à mesure que se constitue une classe moyenne à l’aise avec les technologies numériques. De nouveaux métiers et de nouveaux modèles apparaissent. Au Rwanda, les entreprises Rwanda Online et Pivot Access se sont alignées avec la vision nationale de devenir un hub numérique en Afrique en se positionnant comme des plateformes de services intégrés facilitant la vie au quotidien de la population (visa, enregistrement d’entreprise, paiement des impôts, etc. … le tout en ligne). Enfin, et non des moindres, la bonne marche des fintechs va de pair avec la nécessité de répondre urgemment à des enjeux sociaux : leur développement favorise l’inclusion financière, l’entrepreneuriat, l’égalité financière pour les deux sexes et la réduction de la corruption.

Les freins et nuances de ce développement

Si la vague des fintechs est excitante à plus d’un titre en raison de son impact socio-économique majeur pour le continent, elle doit toutefois être nuancée. Tout d’abord, elle s’inscrit dans une mode pour les startups en NTIC. Etre un entrepreneur en Afrique est branché, être un entrepreneur fintech, ça l’est doublement. Le revers de cette clinquante médaille est l’illusion qui peut s’ensuivre. Alors que les fintechs pullulent, bon nombre d’entre elles ont une vie très courte. Le taux d’échec, comme partout, est très élevé, tandis que le discours ambiant semble faire fi des difficultés inhérentes à ce secteur. En Afrique, ces dernières s’expliquent par un manque de capacités techniques. Les diplômés rechignent souvent à rejoindre des startups face à des propositions bien plus alléchantes de grandes entreprises[i]. L’autre écueil tient à la stratégie de distribution. M’Pesa a trébuché sur cet obstacle de taille en Afrique du Sud, en copiant son modèle kenyan et en négligeant l’effet de réseau indispensable pour réussir dans ce marché.

Sur le plan macroéconomique, deux enjeux majeurs pourraient entraver l’expansion des fintechs africaines. D’une part, l’absence ou le patchwork de cadres règlementaires pose un risque à la fois pour les usagers et les acteurs financiers. Comment s’assurer de la viabilité du système ? Comment prévenir toute bulle financière dans un marché faiblement/mal régulé ? Des codes tels que le The GSMA Mobile Money Code of Conduct, the SMART Campaign et the UN Principles for Responsible Investment, ont commencé à voir le jour mais ils restent embryonnaires face à un écosystème fourmillant et peu discipliné. D’autre part, si l’Afrique peut se constituer en modèle, son offre reste limitée à l’intérieur de ses frontières. Selon le rapport de l’UNCTAD, l’exportation des services technologiques africains est marginal, représentant seulement 0,3% des exportations mondiales en technologie de pointe[9], amoindrissant toute idée de positionnement pionner.

En conclusion, le trait le plus inspirant des fintechs africaines, mais qui ne leur est pas propre, est certainement leur agilité. Moins que la technicité, c’est leur spontanéité qui fait pâlir les banques occidentales, ou les poussent à les accompagner pour mieux s’en inspirer[10].

 

 

Pauline Deschryver


[1] http://cdn.resources.getsmarter.ac/wp-content/uploads/2016/08/mit_digital_bank_manifesto_report.pdf

[2] Par Fintech, on entend des innovations techniques appliquées aux services financiers classiques et des services financiers modifiant le paradigme financier ; MNO est l’acronyme anglais pour les opérateurs de réseau mobile virtuel

[3] Disrupt Africa African Tech Startups Funding Report 2015

[4] State of the Industry Report Mobile Money, GSMA 2015

[5] Source : VC4 Africa

[6] White Paper « The powerful rise of the 2nd generation of mobile banking in Africa », FINTECH Circle Innovate & Bankin Reports

[7] Selon le dernier rapport de KPMG sur le secteur bancaire en Afrique, le service client est le premier critère d’évaluation pour une banque

[8] On peut citer les associations entre les groupes Ecobank, BNP Paribas, Société générale et BIAO qui se sont associés à travers leurs filiales d'Afrique de l'Ouest avec Orange, MTN et Airtel.

[9] UNCTAD Technology and Innovation Report

[10] A l’instar d’institutions comme Barclays, qui a mis en place une communauté promouvant les fintechs africaines, Barclays Rise.


TIC et agriculture : pour mieux informer et accompagner les agriculteurs !

inclusion_financièreMalgré la montée de l’urbanisation dans certaines villes africaines, l’Afrique pourrait trouver son salut dans l’agriculture. On peut citer le Nigeria qui en réponse à la baisse continue et soutenue des prix des hydrocarbures a décidé de se replier sur l’agriculture afin de maintenir son niveau de croissance économique. Dans le monde, environ 60% des terres cultivables sont non cultivées. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, une grande partie de ces terres se trouvent aux États-Unis et en Russie. En revanche, l’Afrique possède aussi beaucoup de terres cultivables non cultivées. Selon McKinsey, l’agriculture ferra partie dans les années à venir des secteurs offrant le plus de perspectives de croissance et de profitabilité. L’industrie agricole pourra s’appuyer sur les NTIC pour accompagner sa croissance et surtout éviter le gaspillage alimentaire.
Le gaspillage alimentaire est, en effet, une grande problématique dans le monde. Cependant, force est de constater que le gaspillage ne se produit pas au même moment dans la chaîne de distribution et varie suivant le pays en question. Le gaspillage a plutôt tendance à se produire pour les pays les moins avancés après la récolte durant la phase de récolte et de transformation contrairement au pays riches et industrialisés pour lesquels le gaspillage se produit durant la phase de consommation par le client final. Pour les PMA (pays les moins avancés), ceci peut s’expliquer par différentes raisons telles que le manque de moyens financiers, d’infrastructures de transport ou de conservation et de communication.

Aujourd’hui avec le développement des NTIC, ces derniers  peuvent apporter une plus-value importante au secteur agricole. Cet article présente   les effets positifs des NTIC sur l’industrie agricole et identifie les conditions à remplir afin que les effets soient ressentis dans toute la chaine de distribution pour limiter le gaspillage alimentaire.

 

Le secteur agricole est dépendant des principaux éléments suivants :

  • Le cheptel : Les agriculteurs doivent s’assurer que le troupeau puisse vivre dans les meilleures conditions (protections contre les maladies, achat de vaccins …) ;
  • La météo : la majorité de l’irrigation des champs en Afrique subsaharienne provient de l’eau de pluie ;
  • Engrais et semences : obtenir les meilleurs produits aux meilleurs prix ;
  • Terre : entretenir la qualité de la terre afin que les récoltes puissent pousser dans des conditions optimales ;
  • Récoltes : s’assurer que les récoltes puissent subvenir aux besoins du village et que le reste puisse être revendu au meilleur prix.

 

La gestion de l’information

L’agriculteur doit donc avoir une bonne connaissance des différents paramètres liés  aux éléments ci-dessus. Et les NTIC peuvent l’aider à y arriver.

Les NTIC ont pour principal but d’accéder et d’échanger  l’information grâce à des supports comme les téléphones portables ou les ordinateurs. Les informations permettent aux agriculteurs d’accéder aux prix du marché des engrais et semences ou du marché des animaux (achat et revente, vaccins). En effet, une grande partie des récoltes sert à nourrir les habitants d’un village et le reste est revendu. Cependant, les agriculteurs n’ayant pas accès aux prix du marchés sont souvent emmenés à revendre leurs récoltes bien en deçà des prix du marché. Grâce aux NTIC, ces derniers pourront s’aligner plus facilement sur les prix du marché.
Les NTIC auront pour principal objectif de connecter les villages au monde extérieur notamment pour les prix du marché ou la connaissance des effets néfastes de certains produits chimiques.

Les effets sur la chaine de distribution

L’efficacité d’une chaine de distribution se mesure par la circulation de l’information. Et ceci peut se faire grâce aux applications mobiles. Ces dernières permettront le rééquilibrage de l’offre et de la demande. 
Un des moyens pour limiter ces gaspillages serait d’informer en continue et en temps réel les acteurs en aval de la chaine de l’évolution des récoltes afin d’écouler les produits dans les délais impartis (durée de vie faible pour certains aliments)., Aujourd’hui, de nombreuses applications ont vu le jour pour aider les paysans. Prenons l’exemple de l’application M-Farm qui a pour principales objectifs d’informer l’agriculteur en temps réel de la météo mais aussi des potentiels acheteurs.  Ce type d’application donne plus de pouvoir aux paysans qui pourront anticiper et mieux contrôler leurs récoltes sur le long terme.

Les conditions nécessaires pour bénéficier des effets des NTIC

Plusieurs conditions doivent être réunies afin que les NTIC soient utilisées à bonne escient.
La couverture réseau fait partie des conditions primordiales. Celle-ci selon sa puissance et sa fréquence permettra de faire circuler l’information.
Ensuite vient la problématique et pas des moindres de l’analphabétisme. La meilleure solution pour lutter contre cela reste la scolarité. Cependant, une alternative s’offre aux développeurs des NTIC pour faire face à cet obstacle. Il s’agit de l’utilisation d’images et pictogrammes. Non seulement l’utilisation des NTIC en sera simplifiée mais elles seront aussi accessible à plus de personnes du fait de l’existence d’une multitude de dialectes. Car il  est commun de retrouver plusieurs dialectes au sein d’un même village. Les solutions informatiques proposées doivent aussi être lisibles dans plusieurs dialectes afin de toucher un maximum de personnes au sein d’un même village mais aussi dans une même région.

L’agriculture restera donc un secteur à privilégier et à soutenir par le pouvoir étatique. Ce secteur reste une valeur sûre sur le long terme grâce aux terres très fertiles ainsi qu’une météo conciliante. Dans le cas où les NTIC sont utilisées à bon escient, celles-ci pourront diminuer le gaspillage alimentaire. Les prochaines étapes pour le secteur agricole seraient d’automatiser la production et de trouver une alternative à l’irrigation des champs par l’eau de pluie. Ces actions permettraient d’accélérer l’industrialisation de secteur agricole. Les NTIC constituent un support essentiel à la croissance de l’agriculture.

 

Issa Kanouté

 

Sources

Partage d’informations

http://www.finyear.com/Les-nouveaux-enjeux-technologiques-de-la-Supply-Chain_a36813.html?platform=hootsuite

Stimuler les rendements agricoles grâce aux TIC

http://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/tic/actualites/stimuler-les-rendements-agricoles-gr-ce-aux-tic.html

Les sols fertiles d’Afrique peuvent-ils nourrir la planète

http://www.nationalgeographic.fr/12418-les-sols-fertiles-afrique-peuvent-ils-nourrir-la-planete-enquete-alimentation/

Paradoxe : Afrique ; région la plus touchée par la faim mais ou il y’a le plus de terres fertiles

"Il est certain qu’il s’agit là d’une vision optimiste de l’avenir. La Thaïlande exporte actuellement davantage de produits agricoles que tous les pays subsahariens réunis,"

Terres africaines exploités par des groupes étrangers. Face à la pression démographique, manque de terres en Chine donc viennent en Afrique pour exporter en Chine

Travailler en collaboration avec grandgroupe qui possède la technologie

MacKinsey y croit toujours

http://www.jeuneafrique.com/mag/358092/economie/mckinsey-y-croit-toujours/

Gaspillage alimentaire

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/10/16/chaque-annee-1-3-milliard-de-tonnes-de-nourritures-gaspillee_4507636_4355770.html

Ampleur des pertes et gaspillage alimentaires

http://www.fao.org/docrep/016/i2697f/i2697f02.pdf

Les terres cultivables non cultivées dans le monde

http://www.agter.org/bdf/fr/corpus_chemin/fiche-chemin-208.html

Déçu par le pétrole, le Nigeria renoue avec l’agriculture

http://www.jeuneafrique.com/depeches/354558/economie/decu-petrole-nigeria-renoue-lagriculture/

Article teranga : TIC et agriculture: l’innovation au service du secteur primaire

http://terangaweb.com/tic-et-agriculture-linnovation-au-service/

High tech : le top 10 des applications mobiles africaines

http://www.jeuneafrique.com/165339/societe/high-tech-le-top-10-des-applications-mobiles-africaines/

 

TIC et Développement Durable en Afrique

e-governmentTout au long des siècles, les innovations technologiques ont façonné les rapports entre les individus, ainsi que les interactions entre ceux-ci et leur environnement. On pense par exemple à l’imprimerie d’abord pratiquée par les Chinois (depuis le IIème siècle après JC) puis perfectionnée et démocratisée par Gutenberg. Il est dit que l’imprimerie contribua fortement à diffuser la pensée et les idées dès la Renaissance, révolutionnant par ricochet la transmission d’informations et de connaissances entre les individus. L’expansion d’internet dès le début des années 2000 a considérablement modifié nos modes de vie et ouvert la voie à de nouveaux outils et modèles de communication.  A travers ces nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), le monde est devenu un « village planétaire » : la mondialisation, disait-on ! En révolutionnant nos environnements, nos cadres de vie, nos systèmes d’apprentissage, nos déplacements, nos schémas de réflexion, bref notre quotidien, les TIC ont remanié de fond en comble nos sociétés. Au cœur des transformations de ces dernières, les innovations technologiques apportent des réponses à des problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Constat encore plus marqué dans les pays africains : le boom des télécommunications y a créé des conditions idéales pour le développement d’application et de logiciels locaux.

 L’exemple le plus marquant est celui de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne. Le téléphone portable y est actuellement le 1er moyen d’accès à internet. Selon une étude publiée en 2013 par l’Association Mondiale des Opérateurs Télécom (GSMA), le nombre d’abonnés mobile dans cette région du monde a progressé de 18% par an entre 2007 et 2012[1]. En Afrique, la plupart des téléphones portables vendus sont des smartphones sous Androïd, un système d’exploitation pour lequel il est très facile de créer des applications/logiciels mobile. Ceux-ci permettent de créer des synergies entre différents secteurs et contribuent à l’innovation sociale (e-santé, e-learning, etc.), économique (mobile Banking, e-commerce…), environnementale (consommation d’électricité, gestion des déchets urbains etc.)

D’abord cantonnées à un usage privé, les TIC sont aujourd’hui plébiscitées dans la sphère formelle et institutionnalisée: elles sont appréhendées tels de véritables outils de développement, de croissance socio-économique pour des populations en quête d’émergence. Ces innovations technologiques, impactent inégalement les PIB des différentes pays africains : selon une étude du Mc Kinsey Global Institute (MGI) rendue publique en novembre 2015, internet contribue à 3,3% au PIB du Sénégal, 2,9% pour le Kenya, 2,3% pour le Maroc et 1,4% pour l’Afrique du Sud.[2]

Il n’est donc pas surprenant que les TIC soient directement mentionnées dans 4 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l’ONU en septembre 2015. En tant que catalyseurs pour l’éducation, l’égalité homme-femme[3] ou moteur de la construction d'infrastructures résilientes pour une industrialisation durable[4] qui profite à tous, il est largement reconnu que les TIC jouent un rôle fondamental dans l’émergence de l’Afrique. Cet article revient sur le rôle que les TIC peuvent jouer dans l’émergence de l’Afrique ainsi que la manière dont elles participeront à la croissance inclusive sur le continent. 

 

  1. Les TIC comme catalyseurs de développement en Afrique

Tout l’intérêt des TIC en Afrique repose sur leurs usages et les services qu’elles permettent de développer : elles ne sont plus seulement utilisées comme de simples supports de communication (privée ou professionnelle)  mais plutôt comme de véritables instruments à des fins de développement socioéconomique. Le recours aux TIC dans le continent est passé d’un « usage de loisirs » à une « utilisation thérapeutique » : elles apportent des solutions aux besoins de base des populations : éducation, santé, transports, alimentation, accès à l’énergie et à l’eau potable etc.[5] Pourtant ce ne fut pas toujours le cas ; pendant très longtemps les « TIC-Sceptiques » ont vu l’émergence de ces nouveaux moyens de communication comme l’arbre qui cache la forêt ; un miroir aux alouettes qui détournait l’attention des « vrais » problèmes de l’Afrique : la famine,  la malnutrition, l’analphabétisme, l’illettrisme, les épidémies et pandémies, les guerres, les catastrophes naturelles et toute autre calamité collée à la représentation que certains se faisaient ( se font encore !) du continent. Ne dit-on pas que le temps est meilleur juge ? A ce propos, le temps a donné raison aux « TIC-Optimistes ». En effet depuis une dizaine d’années pléthores d’applications mobiles, développées par des start-up innovantes ont prouvé que les TIC ne sont pas superflues, bien au contraire qu’elles sont une des solutions pour résoudre  ces « vrais » problèmes auxquels les pays africains font face.

Pour les plus connues, elles s’appellent Obami en Afrique du Sud (plateforme-web de cours et vidéo éducatives gratuits),  Gifted Mom au Cameroun (santé de la femme enceinte et des nourrissons), M-Pesa au Kenya (paiement mobile), Jumia (e-commerce), W Afate au Togo (imprimante 3D à base de déchets électroniques),  M-Louma au Sénégal (bourse agricole en ligne). Toutes initiatives audacieuses illustrent le rôle incontournable que jouent les TIC dans la lutte contre la pauvreté, l’accès de tous à une éducation de qualité, l’accès aux soins de santé. Comme l’a souligné Alain François LOUKOU[6]  « les TIC ne constituent pas un problème totalement découplé des autres problèmes de développement. Elles sont plutôt en interaction avec eux». De plus l’usage des TIC à travers le développement d’applications mobile revêt une dimension de responsabilité intergénérationnelle, très peu mise en avant dans l’analyse de l’émergence des TIC en Afrique. En effet, en développant une application comme Gifted Mom, ou Obami, les créateurs répondent non seulement à des besoins actuels mais aussi anticipent des besoins futurs des générations suivantes : accès aux soins de santé,   accès à l’éducation etc.

En ce sens les TIC sont bel et bien des instruments qui permettront d’atteindre les Objectifs du Développement Durable tels que définis par les Nations Unies. On peut ainsi paraphraser la définition du Développement Durable en disant que les TIC sont des technologies qui permettent de répondre aux besoins des générations actuelles et à ceux des générations futures.

 

  1. Les TIC comme instruments de croissance inclusive

Il est indéniable que les Technologies de l’Information et de la Communication contribuent à booster le développement pour le continent africain. Il est révolu le temps où on voyait les TIC comme un luxe pour l’Afrique (en proie à de lourds retards structurels et infrastructurels). Aujourd’hui grâce aux TIC de nombreux entrepreneurs africains proposent  à leurs compatriotes des solutions locales aux problèmes locaux.  Mieux, certaines initiatives visent même une portée internationale : on parle de Glocalisation développer des solutions locales qui peuvent aussi bien s’étendre bien au-delà du marché national (notamment au sein de pays partageant des difficultés identiques). C’est le cas notamment des applications de transferts d’argent par mobile dans des sociétés où très peu de particuliers disposent de compte bancaire classique, mais possèdent 2 voire 3 téléphones portables. Aujourd’hui la réflexion ne porte plus sur l’utilité avérée des TIC pour le développement de l’Afrique. La question fondamentale est désormais comment les TIC peuvent-ils contribuer efficacement à la croissance durable et inclusive des pays africains ?

Face à ces bénéfices mentionnés ci-dessus, les gouvernants, les acteurs économiques mettent à pied d’œuvre des stratégies de promotion des TIC via l’émergence de l’économie numérique. Selon The Australian Bureau of Statistics,  l'économie numérique peut être définit comme l’ensemble des activités économiques et sociales génératrices de revenus qui sont activées par des plateformes telles que les réseaux Internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique. Cette nouvelle catégorie d’économie regroupe le secteur des TIC, les secteurs utilisateurs et les secteurs à fort contenu numérique, ces derniers ne pourraient exister sans ces technologies. Le caractère multidimensionnel des innovations technologiques en font un vecteur non négligeable de croissance, de productivité et de compétitivité dans certains divers secteurs comme l’agriculture, la finance, l’accès à l’énergie, la consommation de bien et services etc.

Mais pour que les TIC deviennent de véritables leviers de croissance (inclusive donc qui profitent à tous), les ressources nécessaires doivent être mobilisées.

  1. Le rôle des Etats

En commençant par une offre éducative et de formation en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi. Très peu de structures éducatives proposent des enseignements à l’utilisation des TIC ; très peu d’écoles primaires, de collèges, de lycées en Afrique disposent d’ordinateurs pour l’enseignement de l’informatique. Rares sont les établissements qui proposent des cours ou ateliers d’initiation à internet. L’apprentissage se fait intégralement dans le circuit informel (auprès des amis, de la famille ou dans les cyber café).  Inutile de préciser les dérives que ce manque d’encadrement engendre (utilisation détournée des outils de communication à des fins peu éthiques).  Beaucoup d’apprenants sont des autodidactes ou au mieux ont suivi des enseignements dans des structures d’apprentissage et d’initiation aux TIC[7]. Ces formations arrivent trop tard dans l’offre de formation éducative quand elles n’en sont pas à la marge.  Le secteur de l’économie numérique est un secteur porteur dont les besoins en compétences seront très forts dans l’avenir. Pour ce faire, l’Afrique a besoin de former les futurs codeurs, ingénieurs, développeurs et ne pas s’enfermer dans un état de léthargie qui en fera un désert de compétences.

Par ailleurs du côté des administrations publiques, pendant longtemps celles-ci n’avaient pas investi la sphère digitale ; depuis quelque temps, on note une digitalisation des  structures gouvernementales (site web, compte sur les réseaux sociaux, numéro d’accès via application mobile etc.). Ceci dénote une mobilisation par le geste des pouvoirs publics qui comprennent progressivement l’intérêt des TIC dans la gestion quotidienne des services. La mise en place d’une administration dématérialisée permettrait aux Etats d’être plus performants et mieux servir les citoyens.

  1. Le rôle des entreprises

Rappelons que pour une croissance inclusive des pays Africains, les entreprisses  sur le continent ont également un  rôle primordial à jouer.

Aujourd’hui encore, l’accès à internet s’avère coûteux pour beaucoup de particuliers. L’offre tarifaire (très vaste pour que chaque consommateur trouve chaussure à son pied) reste souvent très élevée pour une consommation en permanence. Il n’est donc pas rare que certains n’aient pas accès à internet pendant plusieurs jours car leur forfait est épuisé. Il faudra alors recharger son téléphone pour avoir internet.  L’accès à internet est certes en hausse mais il est encore insuffisant pour combler la fracture numérique Nord/Sud et atténuer les disparités intrarégionales (zones rurales, péri urbaines et urbaines). Les coûts d’accès élevés sont un corollaire de la faiblesse des infrastructures et de la faible connectivité intracontinentale[8]. La réduction des tarifs des « abonnements » internet est un prérequis majeur pour que l’accès à internet en continu ne soit plus un luxe pour certains.

Pour cela, les entreprises de télécommunication en collaboration avec les Etats et les investisseurs doivent travailler à améliorer les infrastructures de télécommunications. Dans le cadre de leur Responsabilité Sociétale (RSE) ces entreprises gagneraient à déployer des réseaux de télécommunication plus performants et plus modernes : la vétusté des équipements et le faible taux d’électrification du continent sont les principaux handicaps qui affectent la qualité de service des opérateurs.

Le manque de capitaux dans le secteur des télécommunications peut  être résolu par la mise en place de garanties à savoir un climat des affaires plus sain et responsable. Conjointement avec les  Etats,  les entreprises doivent lutter conte la corruption et les pratiques déloyales. C’est ainsi que les pays africains sauront attirer de nouveaux investisseurs, pour palier le faible renouvellement des équipements et l’obsolescence des infrastructures. Les difficultés issues de la vétusté des équipements résultent aussi des défaillances dans la maintenance des infrastructures. Les insuffisances constatées s’expliquent également par l‘absence de ressources humaines hautement qualifiées. Toujours dans le cadre de leur RSE, les entreprises peuvent favoriser le renforcement  de compétences, de capacités en nouant des partenariats avec des centres de formations, afin que ceux-ci forment les apprenants aux métiers dont ont réellement besoin les entreprises. Une fois de plus l’éducation et l’offre de formation se trouvent au cœur de l’impact des TIC sur le développement des pays africains.

Mentionnons avant de clore cet article un élément peu traité dans la réflexion sur les TIC en Afrique : la gestion des déchets électriques et électroniques (DEE). Dans un contexte où la communication entre 2 opérateurs concurrents coûte excessivement chers, les consommateurs ont pris l’habitude d’avoir plusieurs téléphones (un pour chaque opérateur) ou un téléphone à 2 ou 3 puces. A cela s’ajoutent les tablettes et ordinateurs (portable ou fixe). Si on considère que chaque individu change de téléphone portable tous les 18-24 mois, tout cela représente une tonne de déchets non ou mal recyclés. Un certain nombre de précaution (par exemple porter des équipements de protection) sont à prendre dans le traitement de ces déchets.  En effet tous ces appareils sont composés d’éléments toxiques pour la santé des personnes et l’environnement s’ils ne sont pas correctement recyclés. En l’absence de réglementations, le marché du recyclage et de la revalorisation des DEE est principalement informel donc sujet à de graves manquement dans le respect des mesures de sécurité.  Dans le cadre de la RSE, les entreprises de télécommunication seront appelées à trouver des solutions à la gestion des « e-déchets ». Ces derniers, s’ils sont négligés entraineraient de graves dommages de santé aux recycleurs (cancers, problèmes respiratoires), et d’importants dommages environnementaux (pollution des nappes phréatiques et des sols à proximité des centres sauvages de tri et recyclage)[9].

 

Les TIC sont effectivement des instruments au service du développement durable de l’Afrique mais en poussant la réflexion plus loin, on peut affirmer qu’avec un certain nombre de prérequis remplis, les TIC peuvent être des catalyseurs de la croissance soutenable et inclusive des pays africains. Nous avons énuméré quelques points d’amélioration à l’égard des Etats et des entreprises en tant que principaux acteurs du développement du continent ; sans toutefois nier l’importance de la société civile dans cette marche vers l’émergence. Les TIC sont aujourd’hui un maillon fort de l’économie de beaucoup de pays africains dont la contribution d’internet pourrait atteindre 5 à 6% du PIB des pays africains d’ici 2025. Ce qui montre que le secteur est hautement dynamique. À cela, il faut ajouter un secteur informel dont les données par essence « informelles » échappent à toutes statistiques officielles.  Le secteur informel génère des  milliers (voire des millions) de petits emplois et des revenus substantiels aux personnes de tous âges et de tous sexes qui l’exercent partout où les réseaux sont disponibles.

Pour confirmer ces faits, il serait nécessaire que soient mis en place de solides indicateurs d’appréciation de l’impact réel des TIC sur le développement des sociétés africaines. Pour cela deux pistes : d’une part quantifier la part de l’économie numérique aux PIB des pays africains (à travers par exemple le nombre d’emplois décents et pérennes crées dans les secteurs liés aux TIC.). On parle d’approche comptable car elles s’expriment uniquement en termes financiers ou création d’emplois. D’autre part quantifier le manque à gagner des pays africains en cas de « privation » des TIC ; on évaluerait ainsi les conséquences organisationnelles sur les entreprises, les particuliers, les administrations de  la non utilisation des TIC.

 

Rafaela ESSAMBA


[3] 5.b  Renforcer l’utilisation des technologies clefs, en particulier l’informatique et les communications, pour promouvoir l’autonomisation des femmes

[4] 9.c  Accroître nettement l’accès aux technologies de l’information et de la communication et faire en sorte que tous les habitants des pays les moins avancés aient accès à Internet à un coût abordable d’ici à 2020

[5] Besoins qu’on peut assimiler aux 2 premières bases de la pyramide de Maslow à savoir les besoins physiologiques et ceux de sécurité/protection

[6] Alain François Loukou, « Les TIC au service du développement en Afrique : simple slogan, illusion ou réalité ? »

[7] Signe d’un fort engouement pour l’économie numérique et les TIC, des espaces d’innovation digitale (hub, pépinières, espace de co-travail, incubateurs..) voient de plus en plus le jour en Afrique.

[8] La plupart des pays africains utilisent la largeur de bande passante internationale pour un partage de données au  niveau local ; opération extrêmement chère.