Le capital-investissement acclimaté à l’Afrique: un modèle en construction

capitalMalgré les taux de croissance élevés de la dernière décennie, le volume des investissements en Afrique est resté modeste comparé aux autres régions du monde. Le continent ne représente que 6.5% des transactions du capital-investissement sur les marchés émergents contre 78% pour les pays émergents d’Asie (1).  Une situation qui résulte de la stratégie des sociétés de capital-investissement ; ces dernières investissent principalement dans les entreprises à forte capitalisation. Les grandes entreprises des secteurs du pétrole, des mines, de la banque, des télécommunications sont privilégiées au détriment des PME, certes peu structurées, mais représentant l’essentiel du tissu économique des pays. La moyenne des tickets d’investissement est d’environ 10 millions de dollars -hors Afrique du Nord- (2) ; des montants que très peu de sociétés ont la capacité d’absorber. Il se pose ainsi la nécessité de repenser le modèle actuel du capital-investissement dans un contexte où, les performances des entreprises des marchés cibles sont affectées par la baisse des cours des matières premières, réduisant davantage les opportunités d’investissement.

 

Le développement de compétences entrepreneuriales : La solution face à l’effet paradigme

L’effet paradigme résulte des divergences entre les méthodes de gouvernance d’entreprise appliquées par les fonds d’investissements et celles souvent moins orthodoxes des PME africaines. Ce qui constitue un frein au développement du capital-investissement.

Il convient de présenter l’entreprise comme un système composé d’éléments en interaction permanente. Envisager une entreprise en tant que système revient à la considérer comme un ensemble organisé composé de différentes fonctions, individus, ayant tous des objectifs, pouvant être contradictoires. C’est cette contrariété en termes d’objectifs qui oblige le manager à adopter un modèle de gestion moderne afin de concilier les buts et assurer une croissance maitrisée. L’entreprise moderne met en place des procédures, établie des organigrammes, définit les responsabilités et les délégations de pouvoirs puis assigne les rôles aux individus. En Afrique, les PME ou les entreprises en début d’activité communément appelées  start-ups,  sont caractérisées par la concentration du pouvoir entre les mains du chef d’entreprise, qui n’est généralement pas prêt à le partager. Une autre caractéristique de ces entreprises est qu’elles sont pour la plupart familiales. On entreprend en famille. Des facteurs socioculturels peuvent expliquer cet état de fait. L’esprit communautaire, le sentiment d’appartenance à un groupe social, souvent  le village, est particulièrement présent dans les sociétés africaines. Zady Kessi, écrivain et Président du Conseil économique et social de Côte d'Ivoire,  disait dans Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne (1998), que « L’esprit communautaire constitue la clef de voûte de l’édifice social africain ».

La mise en place d’un système de développement de compétences entrepreneuriales et d’apprentissage de bonnes pratiques, intégrant cette caractéristique indissociable à la culture de « l’entreprise africaine », qu’est l’esprit communautaire, trouve ainsi sens. Pour ce faire, le modèle des incubateurs est une piste. En effet les incubateurs, en plus d’être des lieux d’apprentissage, sont des lieux de socialisation. On apprend à se connaitre, à partager, à collaborer. Le lien de famille n’est plus le seul moteur de collaboration, donc de productivité. Pour l’investisseur, il permet de diffuser les meilleures pratiques en matière de gestion d’entreprise, mais aussi d’aligner ses intérêts avec ceux de l’entrepreneur ou du dirigeant de la PME dans l’optique de favoriser l’entrée au capital et le partenariat à long terme. Le développement du numérique accélère la transition vers ce nouveau modèle. De plus en plus de centres d’innovations se créent sous l’impulsion d’institutionnels et d’investisseurs. Au Ghana, le  « MEST » est un précurseur. Il a été créé en 2008 grâce au soutien de Meltwater, une multinationale spécialisée dans l’analyse de données en ligne. On le voit plus récemment  au Sénégal avec Cofina start-up House l’incubateur du groupe COFINA, une institution de financement. Cette approche qui semble se développer davantage en faveur des start-ups n’est pas exclusive aux entreprises en démarrage. Le capital humain étant le principal accélérateur de croissance ; les dirigeants des PME dans une démarche participative, au cours de périodes d’incubation ou de « camps de formation » organisés au sein de ces lieux, pourraient être invités à travailler ensemble hors du cadre familial. Le changement de génération à la tête des PME facilite la mise en œuvre de tels programmes. Ces moments seraient des occasions pour faire connaitre les règles du financement, en l’occurrence du capital-investissement, et faire apprendre l’orthodoxie en matière de gouvernance d’entreprise ; favorisant ainsi l’entrée au capital des PME.

 

Promouvoir des équipes locales et une nouvelle stratégie de levée de fonds

La particularité de la plupart des fonds d’investissement  intervenant en Afrique est de disposer d’équipes à très hauts potentiels. Ceci entraine des coûts de gestion élevés; ces dernières ayant des niveaux de rémunération identiques ou proches des standards occidentaux. Des équipes qui souvent, ne résident pas dans les pays où s’opèrent leurs investissements. Pour  J-M. Severino, Président d’I&P -un fonds d’investissement dédié aux PME africaines-, « avec les structures de coûts que doivent supporter les professionnels opérant depuis Londres, Paris ou Dubaï, il est quasiment impossible d’imaginer être rentable en investissant seulement 500 000 euros ou 1 million par opération». Une contrainte qui justifie le fait que ces fonds préfèrent participer à des transactions de plusieurs millions. Pour permettre aux structures plus modestes telles que les PME et les start-ups d’avoir accès aux énormes ressources du capital-investissement, il faut nécessairement favoriser la mise en place d’équipes locales. Cela passe par des transferts de compétences via des partenariats-métiers avec des structures ou des professionnels aguerris du capital-investissement. Ces équipes locales présentent l’avantage d’être proches des entreprises bénéficiaires des investissements. Ce qui s’avère primordial pour la réussite de ces dernières pour lesquelles un accompagnement dit « hand-on » ; c'est-à-dire au plus près de l’entrepreneur, est essentiel. Jean-Marc Savi de Tové, ancien de Cauris Management et associé du fonds Adiwale explique que, « La difficulté de ce métier, c’est qu’il faut vivre à moins de 5 Km de l’entreprise dans laquelle on investit, car l’entrepreneur va avoir besoin de vous presqu’en permanence ».  Les exemples de Teranga Capital au Sénégal ou de Sinergi au Burkina, des fonds soutenus par l’investisseur I&P et dirigés par des équipes locales sont illustratifs. Ces fonds investissent en moyenne entre 30  000 et 300 000 euros. Des montants qui correspondent aux besoins des entreprises.

Aussi réorienter la stratégie de levée de fonds s’avère indispensable. Au Sénégal par exemple -pays ayant bénéficié d’un des montants les plus élevés d’investissement d’impact en  Afrique de l’Ouest- ; sur 535 millions de dollars levés sur la période 2005-2015, plus de 80% ont été mobilisés par le biais de transactions de plus de 10 millions de dollars (3). Les investisseurs habituels des fonds d’investissement ont des exigences de rentabilité qui peuvent contraindre les gestionnaires à cibler, les grandes entreprises présentant un profil de risque moins prononcé ou, des transactions dans les projets d’infrastructures, au détriment des entreprises de plus petite taille ne garantissant pas le niveau de rentabilité souhaité. S’orienter vers des investisseurs sociaux à vocation entrepreneuriale, c'est-à-dire privilégiant un impact social par l’accompagnement des entreprises, favoriserait l’accès aux ressources aux PME et aux start-up. Il s’agit entre autres des fondations, des institutions de développement au travers de programmes spécialisés, d’investisseurs privés, etc. Selon la Banque mondiale, les jeunes représentent 60% de l’ensemble des chômeurs africains. Le rapport Perspectives Économiques en Afrique du Groupe de la Banque Africaine de Développement publié en 2012 indiquait que le continent avait la population la plus jeune au monde, avec 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans ; un chiffre qui devrait doubler d’ici 2045. Les défis auxquels fait face l’Afrique, en l’espèce la problématique du chômage des jeunes, rendent davantage pertinent cette approche et le choix du continent comme terre d’investissement pour ces investisseurs. Ce capital dit « patient » permet de rallonger la durée des investissements. En moyenne de sept (7) ans dans le modèle classique, la durée des investissements pourrait aller au-delà de dix (10) ans et ainsi garantir une croissance réelle des entreprises financées.

 

Instaurer un cadre législatif et fiscal avantageux et encourager la création d’associations locales du capital-investissement

Disposer  d’un environnement juridique et fiscal incitatif pour le capital-investissement, véritable alternative à l’emprunt bancaire, est essentiel au plein essor de ce mode de financement. Le développement de ce concept a toujours été précédé par l’introduction d’un cadre juridique organisateur. Aux Etats-Unis où est né le capital-investissement, il a fallu la promulgation du décret de la Small Business Investment Act (4) par le gouvernement américain en 1958, pour voir se développer le métier de capital-investisseur. Certains pays africains ont pris la mesure de l’importance du capital-investissement en édifiant des réglementations propres à ce métier ; c’est le cas de l’Afrique du sud et de l’île Maurice -où sont enregistrés la plupart des fonds d’investissement opérant en Afrique-. Dans l’espace UEMOA, une loi Uniforme sur les entreprises d’investissement à capital fixe a été prise et transposée par certains pays. Malgré des avancées sur le plan fiscal de cette loi, elle reste silencieuse sur certains points. S’agissant de la gouvernance des sociétés, elle n’indique pas les modalités de gestion et de contrôle. Par ailleurs, aucun texte ne précise clairement le capital minimum requis. Des améliorations restent à apporter afin de rendre cette loi plus efficace et incitative ; notamment en rendant possible un accompagnement financier par  les Etats, à ces sociétés, avec pour objectif de favoriser le soutien financier aux PME et aux start-ups. Cela passe par l’orientation de l’épargne locale, en l’occurrence celle collectée par les caisses de retraite, vers les fonds dédiés.

Afin de dynamiser le secteur du capital-investissement en Afrique, la mise en place d’associations locales est essentielle. Tel que préconisé par Jean Luc Vovor, – associé de Kusuntu Partners- lors d’une conférence tenue à Lomé sur le sujet ; les associations locales de capital-investissement devraient avoir pour mission d’informer et de promouvoir cette classe d’actif, parfois méconnue, auprès des partenaires que sont les entreprises en l’occurrence les PME et les start-ups, les sociétés d’investissement, les fonds de pension et les Etats.

La diffusion d’informations passe au préalable par le développement de programmes de recherches liés à ce secteur ; avec des recherches sectorielles, des enquêtes, le développement de normes, et aboutissant sur des sessions de formation et d’information. L’association sud-africaine de capital-risque et de capital-investissement (SAVCA), par son action, a favorisé l’instauration et la promotion de la réglementation relative aux fonds de pension en 2011 ; des amendements ont permis auxdits fonds de faire passer à 10% la part du capitalinvestissement géré. Il s’agit là du rôle déterminant que pourraient jouer les associations locales dans le développement du capital-investissement en Afrique.

 

Un écosystème entrepreneurial dynamique est essentiel au développement du capital-investissement en Afrique. Contribuer à l’éclosion de cet écosystème passe par la mise en place de centres de développement de compétences entrepreneuriales, en favorisant l’accès au financement. Les programmes comme celui lancé récemment par la BAD et la Banque européenne d’investissement, Boost Africa, qui ambitionnent de couvrir la totalité du secteur de la création d’entreprise ; en aidant à constituer un portefeuille de 25 à 30 fonds au cours des prochaines années sont à multiplier. Pour croitre et créer des emplois durables, les entreprises à forts potentiels que sont les start-ups et les PME ont besoin d’investisseurs capables de s’adapter à leur niveau de risque. Le capital-investissement en Afrique doit s’inscrire dans un cadre plus global mêlant développement de compétences, promotion d'équipes locales, accès au financement, et implication des pouvoirs publics.

 

 

Larisse Adewui

 

  1. Source : EMPA, Fundraising & Investment Analysis, Q4 2014
  2. Source : EMPA, Fundraising & Investment Analysis, Q4 2014
  3. Source : Le Marché de l’investissement d’impact en Afrique de l’Ouest : Etat des lieux, tendances, opportunités et enjeux actuels, Pages 12-17
  4. La Small Business Act est une loi du congrès des Etats-Unis votée en 1958,  visant à favoriser le développement des PME.

TIC et Développement Durable en Afrique

e-governmentTout au long des siècles, les innovations technologiques ont façonné les rapports entre les individus, ainsi que les interactions entre ceux-ci et leur environnement. On pense par exemple à l’imprimerie d’abord pratiquée par les Chinois (depuis le IIème siècle après JC) puis perfectionnée et démocratisée par Gutenberg. Il est dit que l’imprimerie contribua fortement à diffuser la pensée et les idées dès la Renaissance, révolutionnant par ricochet la transmission d’informations et de connaissances entre les individus. L’expansion d’internet dès le début des années 2000 a considérablement modifié nos modes de vie et ouvert la voie à de nouveaux outils et modèles de communication.  A travers ces nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), le monde est devenu un « village planétaire » : la mondialisation, disait-on ! En révolutionnant nos environnements, nos cadres de vie, nos systèmes d’apprentissage, nos déplacements, nos schémas de réflexion, bref notre quotidien, les TIC ont remanié de fond en comble nos sociétés. Au cœur des transformations de ces dernières, les innovations technologiques apportent des réponses à des problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Constat encore plus marqué dans les pays africains : le boom des télécommunications y a créé des conditions idéales pour le développement d’application et de logiciels locaux.

 L’exemple le plus marquant est celui de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne. Le téléphone portable y est actuellement le 1er moyen d’accès à internet. Selon une étude publiée en 2013 par l’Association Mondiale des Opérateurs Télécom (GSMA), le nombre d’abonnés mobile dans cette région du monde a progressé de 18% par an entre 2007 et 2012[1]. En Afrique, la plupart des téléphones portables vendus sont des smartphones sous Androïd, un système d’exploitation pour lequel il est très facile de créer des applications/logiciels mobile. Ceux-ci permettent de créer des synergies entre différents secteurs et contribuent à l’innovation sociale (e-santé, e-learning, etc.), économique (mobile Banking, e-commerce…), environnementale (consommation d’électricité, gestion des déchets urbains etc.)

D’abord cantonnées à un usage privé, les TIC sont aujourd’hui plébiscitées dans la sphère formelle et institutionnalisée: elles sont appréhendées tels de véritables outils de développement, de croissance socio-économique pour des populations en quête d’émergence. Ces innovations technologiques, impactent inégalement les PIB des différentes pays africains : selon une étude du Mc Kinsey Global Institute (MGI) rendue publique en novembre 2015, internet contribue à 3,3% au PIB du Sénégal, 2,9% pour le Kenya, 2,3% pour le Maroc et 1,4% pour l’Afrique du Sud.[2]

Il n’est donc pas surprenant que les TIC soient directement mentionnées dans 4 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l’ONU en septembre 2015. En tant que catalyseurs pour l’éducation, l’égalité homme-femme[3] ou moteur de la construction d'infrastructures résilientes pour une industrialisation durable[4] qui profite à tous, il est largement reconnu que les TIC jouent un rôle fondamental dans l’émergence de l’Afrique. Cet article revient sur le rôle que les TIC peuvent jouer dans l’émergence de l’Afrique ainsi que la manière dont elles participeront à la croissance inclusive sur le continent. 

 

  1. Les TIC comme catalyseurs de développement en Afrique

Tout l’intérêt des TIC en Afrique repose sur leurs usages et les services qu’elles permettent de développer : elles ne sont plus seulement utilisées comme de simples supports de communication (privée ou professionnelle)  mais plutôt comme de véritables instruments à des fins de développement socioéconomique. Le recours aux TIC dans le continent est passé d’un « usage de loisirs » à une « utilisation thérapeutique » : elles apportent des solutions aux besoins de base des populations : éducation, santé, transports, alimentation, accès à l’énergie et à l’eau potable etc.[5] Pourtant ce ne fut pas toujours le cas ; pendant très longtemps les « TIC-Sceptiques » ont vu l’émergence de ces nouveaux moyens de communication comme l’arbre qui cache la forêt ; un miroir aux alouettes qui détournait l’attention des « vrais » problèmes de l’Afrique : la famine,  la malnutrition, l’analphabétisme, l’illettrisme, les épidémies et pandémies, les guerres, les catastrophes naturelles et toute autre calamité collée à la représentation que certains se faisaient ( se font encore !) du continent. Ne dit-on pas que le temps est meilleur juge ? A ce propos, le temps a donné raison aux « TIC-Optimistes ». En effet depuis une dizaine d’années pléthores d’applications mobiles, développées par des start-up innovantes ont prouvé que les TIC ne sont pas superflues, bien au contraire qu’elles sont une des solutions pour résoudre  ces « vrais » problèmes auxquels les pays africains font face.

Pour les plus connues, elles s’appellent Obami en Afrique du Sud (plateforme-web de cours et vidéo éducatives gratuits),  Gifted Mom au Cameroun (santé de la femme enceinte et des nourrissons), M-Pesa au Kenya (paiement mobile), Jumia (e-commerce), W Afate au Togo (imprimante 3D à base de déchets électroniques),  M-Louma au Sénégal (bourse agricole en ligne). Toutes initiatives audacieuses illustrent le rôle incontournable que jouent les TIC dans la lutte contre la pauvreté, l’accès de tous à une éducation de qualité, l’accès aux soins de santé. Comme l’a souligné Alain François LOUKOU[6]  « les TIC ne constituent pas un problème totalement découplé des autres problèmes de développement. Elles sont plutôt en interaction avec eux». De plus l’usage des TIC à travers le développement d’applications mobile revêt une dimension de responsabilité intergénérationnelle, très peu mise en avant dans l’analyse de l’émergence des TIC en Afrique. En effet, en développant une application comme Gifted Mom, ou Obami, les créateurs répondent non seulement à des besoins actuels mais aussi anticipent des besoins futurs des générations suivantes : accès aux soins de santé,   accès à l’éducation etc.

En ce sens les TIC sont bel et bien des instruments qui permettront d’atteindre les Objectifs du Développement Durable tels que définis par les Nations Unies. On peut ainsi paraphraser la définition du Développement Durable en disant que les TIC sont des technologies qui permettent de répondre aux besoins des générations actuelles et à ceux des générations futures.

 

  1. Les TIC comme instruments de croissance inclusive

Il est indéniable que les Technologies de l’Information et de la Communication contribuent à booster le développement pour le continent africain. Il est révolu le temps où on voyait les TIC comme un luxe pour l’Afrique (en proie à de lourds retards structurels et infrastructurels). Aujourd’hui grâce aux TIC de nombreux entrepreneurs africains proposent  à leurs compatriotes des solutions locales aux problèmes locaux.  Mieux, certaines initiatives visent même une portée internationale : on parle de Glocalisation développer des solutions locales qui peuvent aussi bien s’étendre bien au-delà du marché national (notamment au sein de pays partageant des difficultés identiques). C’est le cas notamment des applications de transferts d’argent par mobile dans des sociétés où très peu de particuliers disposent de compte bancaire classique, mais possèdent 2 voire 3 téléphones portables. Aujourd’hui la réflexion ne porte plus sur l’utilité avérée des TIC pour le développement de l’Afrique. La question fondamentale est désormais comment les TIC peuvent-ils contribuer efficacement à la croissance durable et inclusive des pays africains ?

Face à ces bénéfices mentionnés ci-dessus, les gouvernants, les acteurs économiques mettent à pied d’œuvre des stratégies de promotion des TIC via l’émergence de l’économie numérique. Selon The Australian Bureau of Statistics,  l'économie numérique peut être définit comme l’ensemble des activités économiques et sociales génératrices de revenus qui sont activées par des plateformes telles que les réseaux Internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique. Cette nouvelle catégorie d’économie regroupe le secteur des TIC, les secteurs utilisateurs et les secteurs à fort contenu numérique, ces derniers ne pourraient exister sans ces technologies. Le caractère multidimensionnel des innovations technologiques en font un vecteur non négligeable de croissance, de productivité et de compétitivité dans certains divers secteurs comme l’agriculture, la finance, l’accès à l’énergie, la consommation de bien et services etc.

Mais pour que les TIC deviennent de véritables leviers de croissance (inclusive donc qui profitent à tous), les ressources nécessaires doivent être mobilisées.

  1. Le rôle des Etats

En commençant par une offre éducative et de formation en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi. Très peu de structures éducatives proposent des enseignements à l’utilisation des TIC ; très peu d’écoles primaires, de collèges, de lycées en Afrique disposent d’ordinateurs pour l’enseignement de l’informatique. Rares sont les établissements qui proposent des cours ou ateliers d’initiation à internet. L’apprentissage se fait intégralement dans le circuit informel (auprès des amis, de la famille ou dans les cyber café).  Inutile de préciser les dérives que ce manque d’encadrement engendre (utilisation détournée des outils de communication à des fins peu éthiques).  Beaucoup d’apprenants sont des autodidactes ou au mieux ont suivi des enseignements dans des structures d’apprentissage et d’initiation aux TIC[7]. Ces formations arrivent trop tard dans l’offre de formation éducative quand elles n’en sont pas à la marge.  Le secteur de l’économie numérique est un secteur porteur dont les besoins en compétences seront très forts dans l’avenir. Pour ce faire, l’Afrique a besoin de former les futurs codeurs, ingénieurs, développeurs et ne pas s’enfermer dans un état de léthargie qui en fera un désert de compétences.

Par ailleurs du côté des administrations publiques, pendant longtemps celles-ci n’avaient pas investi la sphère digitale ; depuis quelque temps, on note une digitalisation des  structures gouvernementales (site web, compte sur les réseaux sociaux, numéro d’accès via application mobile etc.). Ceci dénote une mobilisation par le geste des pouvoirs publics qui comprennent progressivement l’intérêt des TIC dans la gestion quotidienne des services. La mise en place d’une administration dématérialisée permettrait aux Etats d’être plus performants et mieux servir les citoyens.

  1. Le rôle des entreprises

Rappelons que pour une croissance inclusive des pays Africains, les entreprisses  sur le continent ont également un  rôle primordial à jouer.

Aujourd’hui encore, l’accès à internet s’avère coûteux pour beaucoup de particuliers. L’offre tarifaire (très vaste pour que chaque consommateur trouve chaussure à son pied) reste souvent très élevée pour une consommation en permanence. Il n’est donc pas rare que certains n’aient pas accès à internet pendant plusieurs jours car leur forfait est épuisé. Il faudra alors recharger son téléphone pour avoir internet.  L’accès à internet est certes en hausse mais il est encore insuffisant pour combler la fracture numérique Nord/Sud et atténuer les disparités intrarégionales (zones rurales, péri urbaines et urbaines). Les coûts d’accès élevés sont un corollaire de la faiblesse des infrastructures et de la faible connectivité intracontinentale[8]. La réduction des tarifs des « abonnements » internet est un prérequis majeur pour que l’accès à internet en continu ne soit plus un luxe pour certains.

Pour cela, les entreprises de télécommunication en collaboration avec les Etats et les investisseurs doivent travailler à améliorer les infrastructures de télécommunications. Dans le cadre de leur Responsabilité Sociétale (RSE) ces entreprises gagneraient à déployer des réseaux de télécommunication plus performants et plus modernes : la vétusté des équipements et le faible taux d’électrification du continent sont les principaux handicaps qui affectent la qualité de service des opérateurs.

Le manque de capitaux dans le secteur des télécommunications peut  être résolu par la mise en place de garanties à savoir un climat des affaires plus sain et responsable. Conjointement avec les  Etats,  les entreprises doivent lutter conte la corruption et les pratiques déloyales. C’est ainsi que les pays africains sauront attirer de nouveaux investisseurs, pour palier le faible renouvellement des équipements et l’obsolescence des infrastructures. Les difficultés issues de la vétusté des équipements résultent aussi des défaillances dans la maintenance des infrastructures. Les insuffisances constatées s’expliquent également par l‘absence de ressources humaines hautement qualifiées. Toujours dans le cadre de leur RSE, les entreprises peuvent favoriser le renforcement  de compétences, de capacités en nouant des partenariats avec des centres de formations, afin que ceux-ci forment les apprenants aux métiers dont ont réellement besoin les entreprises. Une fois de plus l’éducation et l’offre de formation se trouvent au cœur de l’impact des TIC sur le développement des pays africains.

Mentionnons avant de clore cet article un élément peu traité dans la réflexion sur les TIC en Afrique : la gestion des déchets électriques et électroniques (DEE). Dans un contexte où la communication entre 2 opérateurs concurrents coûte excessivement chers, les consommateurs ont pris l’habitude d’avoir plusieurs téléphones (un pour chaque opérateur) ou un téléphone à 2 ou 3 puces. A cela s’ajoutent les tablettes et ordinateurs (portable ou fixe). Si on considère que chaque individu change de téléphone portable tous les 18-24 mois, tout cela représente une tonne de déchets non ou mal recyclés. Un certain nombre de précaution (par exemple porter des équipements de protection) sont à prendre dans le traitement de ces déchets.  En effet tous ces appareils sont composés d’éléments toxiques pour la santé des personnes et l’environnement s’ils ne sont pas correctement recyclés. En l’absence de réglementations, le marché du recyclage et de la revalorisation des DEE est principalement informel donc sujet à de graves manquement dans le respect des mesures de sécurité.  Dans le cadre de la RSE, les entreprises de télécommunication seront appelées à trouver des solutions à la gestion des « e-déchets ». Ces derniers, s’ils sont négligés entraineraient de graves dommages de santé aux recycleurs (cancers, problèmes respiratoires), et d’importants dommages environnementaux (pollution des nappes phréatiques et des sols à proximité des centres sauvages de tri et recyclage)[9].

 

Les TIC sont effectivement des instruments au service du développement durable de l’Afrique mais en poussant la réflexion plus loin, on peut affirmer qu’avec un certain nombre de prérequis remplis, les TIC peuvent être des catalyseurs de la croissance soutenable et inclusive des pays africains. Nous avons énuméré quelques points d’amélioration à l’égard des Etats et des entreprises en tant que principaux acteurs du développement du continent ; sans toutefois nier l’importance de la société civile dans cette marche vers l’émergence. Les TIC sont aujourd’hui un maillon fort de l’économie de beaucoup de pays africains dont la contribution d’internet pourrait atteindre 5 à 6% du PIB des pays africains d’ici 2025. Ce qui montre que le secteur est hautement dynamique. À cela, il faut ajouter un secteur informel dont les données par essence « informelles » échappent à toutes statistiques officielles.  Le secteur informel génère des  milliers (voire des millions) de petits emplois et des revenus substantiels aux personnes de tous âges et de tous sexes qui l’exercent partout où les réseaux sont disponibles.

Pour confirmer ces faits, il serait nécessaire que soient mis en place de solides indicateurs d’appréciation de l’impact réel des TIC sur le développement des sociétés africaines. Pour cela deux pistes : d’une part quantifier la part de l’économie numérique aux PIB des pays africains (à travers par exemple le nombre d’emplois décents et pérennes crées dans les secteurs liés aux TIC.). On parle d’approche comptable car elles s’expriment uniquement en termes financiers ou création d’emplois. D’autre part quantifier le manque à gagner des pays africains en cas de « privation » des TIC ; on évaluerait ainsi les conséquences organisationnelles sur les entreprises, les particuliers, les administrations de  la non utilisation des TIC.

 

Rafaela ESSAMBA


[3] 5.b  Renforcer l’utilisation des technologies clefs, en particulier l’informatique et les communications, pour promouvoir l’autonomisation des femmes

[4] 9.c  Accroître nettement l’accès aux technologies de l’information et de la communication et faire en sorte que tous les habitants des pays les moins avancés aient accès à Internet à un coût abordable d’ici à 2020

[5] Besoins qu’on peut assimiler aux 2 premières bases de la pyramide de Maslow à savoir les besoins physiologiques et ceux de sécurité/protection

[6] Alain François Loukou, « Les TIC au service du développement en Afrique : simple slogan, illusion ou réalité ? »

[7] Signe d’un fort engouement pour l’économie numérique et les TIC, des espaces d’innovation digitale (hub, pépinières, espace de co-travail, incubateurs..) voient de plus en plus le jour en Afrique.

[8] La plupart des pays africains utilisent la largeur de bande passante internationale pour un partage de données au  niveau local ; opération extrêmement chère.

Ce qu’apportent les fablabs aux écosystèmes numériques et entrepreneuriaux africains

Il y a dix ans, Neil Gershenfeld ouvrait le premier « fabrication laboratory » au Massachussetts Institute of Technology. Très vite et un peu partout dans le monde de nombreux « fablabs » ont vu le jour, en 2011 on en dénombrait déjà 50 dans 16 pays. Sur le continent africain, plus d’une vingtaine sont référencés. Que font ces fablabs et quel(s) rôle(s) jouent-ils dans les écosystèmes numériques et entrepreneuriaux africains?

fab

 

La carte ci-dessus répertorie tous les établissements respectant la charte du MIT mais il existe de nombreux autres établissements qu’on dénomme « fablab » par abus de langage.

 

Faire émerger des solutions adaptées aux besoins du continent africain et y faciliter l’accès et l’appropriation des nouvelles technologies…

Atelier de fabrication numérique, un fablab est un lieu librement accessible où l’on doit pouvoir trouver de quoi confectionner à peu près tout et n’importe quoi en bénéficiant d’une assistance opérationnelle, technique, financière et logistique. Voilà ce qu’exige la charte du MIT, qui se résume en tout et pour tout à cinq articles. Innovation et partage en sont les maîtres mots. Ainsi, chaque fablab est un lieu unique dont le destin ne dépend que de ceux qui s’y rendent. Cela en fait un espace idéal pour concevoir des solutions à des problèmes locaux, des produits « made in & for Africa » comme l’application GBATA développée à OVillage, en Côte d’Ivoire, pour fournir des informations sur l’immobilier à Abidjan. Il n’est plus besoin de présenter la désormais célèbre W. Afate, première imprimante 3D conçue à partir de matériaux recyclés, au sein du Woelab au Togo. Cette imprimante 3D low cost, primée à l’internationale, rend imaginable la diffusion d’une technologie de pointe sur le continent africain. Woelab se revendique d’ailleurs comme un espace de démocratisation technologie et vulgariser et faciliter l’appropriation des outils numériques est bien une spécificité des fablabs en Afrique. Ils jouent à ce titre un rôle important dans la formation des plus jeunes aux technologies d’aujourd’hui et de demain. Les membres du Ouagalab n’hésitent d’ailleurs pas à se déplacer et à consacrer des jours (et des nuits blanches !) à des formations dans les écoles du Burkina Faso.

Offrir des perspectives pour l’industrialisation du continent…

Si chaque fablab est unique et a sa propre identité, il est, à travers le label du MIT, intégré à un réseau au sein duquel des rencontres sont organisées. Entre les fablabs africains, des ponts se mettent progressivement en place, des échanges entre membres se font, la propagation d’innovations d’un pays à l’autre s’opère, des opportunités apparaissent. A Dakar, au sein du Defko Niek Lab de Ker Thiossanne, l’imprimante 3D jumelle de la W.Afate ainsi qu’une fraiseuse numérique, ont suscité l’intérêt des artisans sénégalais. Avec de tels outils, leur travail pourrait être mécanisé, l’industrialisation se substituerait alors à l’artisanat, une perspective porteuse pour un continent qui souffre précisément de son manque d’industrialisation.

…Ou servir de relais pour agir sur les écosystèmes numériques….

Enfin la visibilité et la crédibilité que peut donner un label octroyé par le MIT font des fablabs des relais intéressants pour qui entend conduire des politiques publiques dans le numérique. Le plan « développement et numérique » lancé par le gouvernement français en décembre 2015 et, qui est presque exclusivement orienté vers l’Afrique, les perçoit comme des leviers possibles de son action.

A condition de trouver le bon business model

Néanmoins, les fablabs peinent aujourd’hui à trouver le bon modèle économique. Acquérir du matériel informatique et électronique, qu’il faut importer, coûte cher. Les fablabs, en Afrique comme ailleurs, vivent dans la majorité des cas de subventions versées par les pouvoirs publics ou les ONG ou encore des prix qu’ils reçoivent. Cela rend leur survie fragile à l’instar de l’Atelier de Beauvais qui n’a pas survécu au changement de couleur politique de son département.

Sur le long terme, deux choix semblent donc s’offrir donc aux fablabs : être rattaché à une entreprise ou une école (auquel cas ils ne seront plus des fablabs au sens du MIT) ou parvenir à une autonomie financière à travers la vente de prestations (conseils aux entreprises, formations) ou de produits. Cette dernière option passe par la professionnalisation des membres des fablabs et la commercialisation des productions qui en sont issues. Le défi est de taille mais il en vaut la chandelle.

 

Cet article est issu de TechofAfrica.com, site d'actualités sur les nouvelles technologies et les startups en Afrique.

La vision de l’entrepreneuriat par la famille sénégalaise

Quand on se promène dans les rues de Dakar, le nombre de vendeurs de chaussures, jus locaux et d’arachides est impressionnant. Cette forme de travail indépendant, souvent informelle, est très répandue. Est-ce un choix ou bien le résultat d’une conjoncture économique et sociale ?

Entreprendre ou avoir un « vrai travail » ?

La famille sénégalaise encourage les enfants à choisir la sécurité du travail avec un emploi dans une grande entreprise ou dans la fonction publique. Pourtant, la demande limitée des groupes et le besoin de relations pour intégrer les institutions restreignent les possibilités de carrières pour la plupart des diplômés. Une solution pour pallier ces difficultés bien réelles du marché de l’emploi est l’entrepreneuriat. Au Sénégal, « on peut créer son propre travail juste en regardant autour de soi et identifiant les manquements dans son environnement », explique Monsieur Diallo, conseiller fiscal de PME. Les opportunités de création d’entreprise ne manquent pas et pourraient servir l’économie du pays.

Malgré une conjoncture propice à la création, beaucoup de gens se limitent à un commerce nécessitant peu de fonds propres. Cette activité génère rapidement un revenu, ce qui convient bien à une mentalité locale averse au risque et souvent impatiente d’en voir le résultat. L’engouement pour ce type de négoce ne favorise cependant pas les investissements et les décisions de long terme nécessaires à la prospérité du business, précise Monsieur Oudiane, sociologue.

Pour mettre en place un véritable projet de création, l’entrepreneur doit faire preuve de courage et affronter le regard de sa famille. Un exemple marquant d’entrepreneuriat est celui de Monsieur Mbaye Sarr, fondateur de SENECARTOURS. Il a commencé ses services en achetant son premier taxi sur fonds propres en 1980 et dirige, 35 ans plus tard, un empire du transport touristique. Pour revaloriser l’entrepreneuriat dans le contexte familial, il faudrait pouvoir changer l’image de réussite limitée aux lutteurs et politiciens, et diffuser les histoires à succès d’hommes et de femmes d’affaires.

La place de la femme entrepreneure dans la famille  

En plus de la difficulté culturelle d’entreprendre, nous pouvons nous demander si l’expérience de l’entrepreneur homme ou femme diffère. Dans la famille sénégalaise, chaque individu a une place et un rôle bien définis. Le père est le pilier central et premier responsable de la famille. En cas d’absence ou de décès, c’est souvent l’ainé des garçons qui assume la charge familiale. La mère a également un rôle de première importance dans la gestion de la famille. C’est elle qui complète le revenu du père pour la (sur)vie familiale. Le rapport de force a été renégocié et l’activité économique des femmes est reconnue des maris mais « c’est dans le discours public que la femme est dévalorisée et ce depuis la colonisation», explique Madame Fatour Sarr, chercheure sur le genre au Sénégal.  

Monsieur Diallo porte beaucoup d’espoir aux femmes entrepreneurs qui selon lui ont une meilleure gestion de l’entreprise grâce à l’éducation reçue. Depuis l’enfance, elles appliquent des règles imposées par la structure familiale. Selon lui, elles sont devenues plus rigoureuses que les hommes. Un bel exemple de réussite est celui de Madame Dia, ingénieure et fondatrice de plusieurs entreprises de logiciels informatiques. Elle a dû trouver le bon équilibre entre sa responsabilité de mère et celle de femme entrepreneure mais maintenant que ses enfants ont grandi, elle assure ne rien regretter des sacrifices réalisés sur sa vie sociale. Mariée, c’est le mari qui va déterminer le succès professionnel de la femme en acceptant ou non que l’épouse voyage pour son travail ou même qu’elle travaille en bureau/entreprenne dans le secteur formel. Ainsi, les femmes entrepreneurs mariées ou divorcées réussissent mieux que les célibataires qui portent une pression familiale forte pour trouver un époux. « Les femmes réussissent bien au tout début de leur carrière, puis les hommes les rattrapent en raison de la culture et de la place de la femme de la société », conclu Monsieur Diallo. De nombreuses femmes se limitent alors au système de débrouille et d’imitation avec des microentreprises de couture ou transformation de produits locaux par exemple, plutôt que de créer de nouvelles activités.  

Finalement, on s’aperçoit que la culture a un fort impact sur la structure de l’économie. Les ménages aspirent à un travail à responsabilité pour les enfants et à un bon niveau de vie. Pourtant, l’innovation et de manière générale l’entrepreneuriat sont des activités rejetées par beaucoup de familles en raison des risques encourus. Contraints par un fort taux de chômage, femmes et enfants doivent alors reprendre l’activité familiale plutôt que suivre leur aspirations et profiter d’une ascension sociale. Cette peur de l’avenir est à contre temps des réalités sociaux économiques du pays mais de beaux exemples d’entrepreneurs donnent de plus en plus d’ambitions aux jeunes déterminés à développer leur pays.

 

Sophie André

No Silicon Valley in Africa yet?

The Silicon Valley does not hold the monopole of entrepreneurship. More and more new attractive centres for start-ups are created all around the world, in New York, Boston, Singapour, and Sao Paulo and Bangalore, also called the Indian “Silicon Valley”. These cities are well ranked in the international benchmark reference, and progress every year.

As a matter of fact, no city or region in Africa can reasonably claim to offer a similar international business ecosystem, in spite of all the imported concepts and plans that could not be successfully implemented in the continent. Under what conditions can we expect African start-ups to develop and be competitive in the world? How can they create a business ecosystem that could integrate and progress in the most selective international benchmarks?

The stakes are high: economies are transitioning towards services and knowledge-based economies will expand progressively in the next decades. Countries offering the best entrepreneurial ecosystems will have the best chances of being successful in the world. They will become the driving force for growth and employment.

The most successful start-ups created in the past decade (Google, Facebook, Amazon) are known internationally and have revolutionised our lives. These companies now belong to the playground of the greats. They have overthrown the well-established international conglomerates and their market capitalisation grows exponentially.

This economic revolution is likely to last long and keeps on growing larger. In 2030, the world economy will be dominated by companies that are unknown today or that haven't even been created yet. These companies will not only come from the Silicon Valley but from new emerging hubs in India, Brazil and maybe African countries in the near future.

The typical atmosphere for start-ups in the 21st centhury : more space, less time

A start-up is generally the result of a combination of different additional factors : the capital (which is more and more limited), talented co-founders, innovating techonology (not always digital) and an enabling environment.

The business environment is changing day by day. Past methods do not work anymore for those who cannot or who do not want to adapt. The major challenge for companies in the 20th centhury is to expand in a vast area and to extend their services without hurting the quality of services or the visibilty of the brand.

Things are very different in the 21st centhury. The challenge is not to conquer space, but time which seems to go faster and faster. The distance between companies and client has reduced and many obstacles have disappeared. Offer and demand are met almost instantaneoulsy in all parts of the world, thanks to the fast connections that new technologies now offer.

Since consumers are more easily accessible, the cost of access to the market has massively reduced for entrepreneurs. As a consequence, the market is much more competitive and the competition can come from the most unexpected companies.

An increasingly intense competition

Many sectors have been through major changes thanks to digital technology : media, education, healthcare, entertainment, transport, retail,… Some start-ups, such as Uber and Airbnb, have completely transformed their sectors and have created new opportunities. Innovation is not the priviledge of big companies or States anymore. It has expanded to younger and more ambitious new actors that constantly challenge the status quo.

For decades, most companies have benefited from more or less sustainable income. They have evolved in an isolated environment characterized by low competition, an asymmetry of information regarding the clients and growing consumption.

The obsolence of the established practices were revealed by the arrival of new trends and new actors. The companies were not protected anymore. Leading companies, such as Kodak, which had the quasi monopole in their sector for decades suffered a lot.

Easy to set up, difficult to keep up

Nowadays, it is very easy to set up a new company (apart from the administrative problems that persist). The readily available technologies (clouds, social media networks, free lance) make it easier for people to lauch their businesses quickly and with very few ressources (crowdfunding). A lot of people have set up their companies this way. This does increase competition among the new entrepreneurs who want to access the same markets.

The information flows quickly. Therefore, it makes it easier to adjust and personalize the products in real-time. Moreover, search engines and price-comparison sites give totally transparent information to the clients and help maintain a constant pressure on prices.

Thus, there is no reason why there cannot be a competitive business ecosystem in Africa, all the more so because innovation advances far more quickly here than elsewhere. One thing we can learn from successful start-ups in the Silicon Valley is that companies should be ready to constantly change and adapt their activity to keep up with the competition. Innovation is not necessarily a linear progression. It evolves in irregular rythms and often takes unexpected paths.

Translated by Bushra Kadir


 

Diary of a trainee entrepreneur

My name is Emmanuel Leroueil. I am a strategy consultant based in Gabon and I have worked in other African countries too. A few years ago, I took part in the creation of Terangaweb – l’Afrique des Idées. Since I moved to Africa about a year and a half ago, I did not contribute to the website and the association as much as I would want to because I could not put my "ideas" into "action". It was easier for me to write and talk about Africa when I was not living there. Now that I am back, I am busy with many activities and I feel like I do not have enough energy to take part in the debate. This «Diary of a trainee entrepreneur» is an attempt to put my "ideas" into "action". I dedicate it to Réassi Ouabonzi, for his constant commitment.

My vision of entrepreneurship in Africa

Like many profesionals such as bankers, consultants and corporate lawyers, I have studied business plans of large, medium and small companies. With my work, I have observed that older companies have a sustainable economic performance but have difficulties to grow. Business creation is very important for the development of the economy of African countries.

Having an entrepreneurial mindset, I want to help meet the challenges faced by many countries on the continent such as the creation of jobs in a context of demographic explosion and the creation and redistribution of wealth. The creation of dynamic companies is a major concern. Here are some ideas I want to share with you to improve the current situation.

1) Focusing on simple businesses addressing people’s basic needs (production of vegetables, bakery, chicken farming, cooking, etc.) on existing markets, and on businesses where the production/sale cycle can be improved.

Investment in these sectors might seem logical. However, there are two main trends that I have observed.

The first and most common one is that small African investors systematically invest in usual small businesses without improving them. For instance, in the taxi business, everybody knows the price of a standard car to make a cab (between 2 and 3 millions CFA Francs for a second-hand car bought in Gabon). Everyone knows how the taxi-industry business model works. The taxi driver rents the car and pays a pre-determined amount of money. He keeps the remainder but if he does not earn enough money, he has to pay the amount regardless. This amount is known and the risks and profitability are quite low (around 75 000 CFA Francs per week in Gabon). In ten months, this investment becomes profitable while the market continues to absorb the increase of the offer. This example can be applied indefinitely, like the trend of telecenters (public payphones in the 1990s) or cybercafés, etc. Most real estate investments are similar to this model. These small businesses create extra wealth but do not really have any ripple effect on the rest of the economy. There is no increase in productivity.

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A second trend that appeared more recently in Africa, is followed by the majority of start-up incubators. It gives priority to companies focusing on innovating or often non-existing segments: services linked to telecoms or Internet, sustainable energies or creation of high technology devices. Of course, some of these business models can succeed and are useful to both economy and society. However, they are riskier for investors since demand usually has to be created, flexibility has to be acquired for the product to meet with clients demands. Furthermore, economic and operational balance has to be reached in order to develop the company without using existing ideas… Undoubtedly, these start-ups have high failure rates.

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In Africa, there is always loads of opportunities in simplest sectors where consumers demand already exists. We can bring some improvements and professionalise their organization because the competitors are often informal or under-productive. It is necessary to distinguish oneself from existing offers by implementing small innovations. There are multiple change levers: more efficient production tools, different distribution/sale channels that are closer to the customers, superior quality requirements and improved marketing of the products… These small innovations provide an added value to consumers and, eventually, to society. Nevertheless, the main interest of these businesses is to be able to make a quick scale change, and then to have an easily replicable model.

2) Choosing duplicable and suitable industrialization projects right from the start.

More concretely, it means that if you want to create a bakery, you should already start thinking about a "pilot project" to open a second, third, fourth store. And you have to take into account the failures and successes of the first project. This ambition is the best way to bypass the issue of access to funding that are decisive for African entrepreneurs (http://www.omidyar.com/insights/accelerating-entrepreneurship-africa-report). The ideal solution is to start the pilot project with your own funds. Thus, it is important to choose a business where the initial investment is not too high and where it is possible to progress gradually. The pilot project's income flows must then allow to partially fund the second investment wave (requiring businesses with short incomes cycles and positive cash flows). Above all, they have to allow the production of accounting data on the relevance of the project’s economic model, and activity history, which will help to attract investors (private equity) or convince bankers to give access to credit.

Of course, the duplication of the pilot project will not be easy since new issues can arise. How to store a bigger production? How to distribute a bigger production? How to replicate the model on new geographical markets? How to face embezzlement/malpractice with empowered teams and a weak creator/investor control? These difficulties are real and are part of the growth path for any actual and upcoming business in Africa. But they can be overcome.

Based on these ideas, I launched my own business creation project a month ago.

I plan to implement intensive greenhouse vegetable production around Kigali in Rwanda.

This Diary of a trainee entrepreneur is an opportunity for me to share this experience and the practical lessons I will learn with readers interested in business creation in African countries. The next post will provide details on the investment I made for this project, and will show how it will apply the ideas mentionned in this article.

Translated by Olivia Gandzion

Journal d’un entrepreneur #volet2

Je m’appelle Emmanuel Leroueil. Je suis consultant en stratégie et travaille actuellement au Gabon, à partir duquel j’interviens dans plusieurs autres pays africains. J’ai participé à la création il y a quelque années de Terangaweb – l’Afrique des idées. Depuis un an et demi, date d’un déménagement et du début d’une nouvelle expérience professionnelle, je n’ai plus beaucoup contribué au site et à la vie de l’association, ce que je regrette. Certains camarades me l’ont reproché à juste titre. Ma réponse était que je n’arrivais pas à concilier le « faire » et le « dire » : il m’était plus facile d’écrire et de parler de l’Afrique quand je n’y étais pas ; maintenant que j’y suis revenu, je suis absorbé par toutes les activités dans lesquelles je m’implique et n’ai quasiment plus l’énergie pour participer au débat d’idées. Ce « journal d’un apprenti entrepreneur » est ma tentative de réconciliation du « faire » et du « dire ». Je le dédie à Réassi Ouabonzi, pour son exigence constante.

La Genèse de mon projet entrepreneurial

Mon projet d’agriculture maraîchère sous serre n’a en soi rien de très imaginatif ni innovant. Ce projet ne m’est toutefois pas venu tout seul : il a fallu une conjonction de rencontres et une maturation de mes convictions sur la manière de lancer un business, pour que je décide de me lancer dans le grand bain de l’entrepreneuriat. 

L’élément déclencheur aura été mes discussions avec René NGIRIYE, agriculteur que j’avais interviewé pour Terangaweb, et qui a suscité mon intérêt pour une agriculture maraîchère périurbaine à proximité des grandes agglomérations africaines. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la population urbaine africaine devrait passer d’environ 300 millions de personnes aujourd’hui à 600 millions dès 2030[1]. Une proportion croissante de cette population devrait rejoindre la classe moyenne, avec les changements de consommation, notamment alimentaire, que cela implique. Toutefois, l’agriculture africaine ne s’est pas encore mise au diapason de ces évolutions ; l’agriculture vivrière, qui alimente les marchés de consommation locaux, n’a connu que de très faibles augmentations de ses rendements, ce qui ne permet pas de faire face à ces nouveaux besoins. De sorte que l’Afrique continue à importer massivement pour se nourrir. Pour le seul cas du Gabon, pays pourtant peu peuplé et bien doté en terres arables, les importations alimentaires se sont élevées à 250 milliards de F CFA en 2013.

Pourtant, les solutions techniques qui permettent d’augmenter la productivité des exploitations existent, et sont mêmes disponibles à des prix abordables. René NGIRIYE avait ainsi attiré mon attention sur un fournisseur de kits agricoles (serres + graines sélectionnées + engrais + pesticides + conseils agricoles), Balton, qui propose à des prix abordables des solutions de production à haut rendement dans plusieurs pays d’Afrique anglophone, notamment d’Afrique de l’Est.

Une autre rencontre aura été nécessaire pour me décider à me lancer. Une rencontre non pas avec une personne, mais avec une ville : Bukavu, capitale du Sud Kivu, en République Démocratique du Congo. Cette ville, juchée sur d’imposantes collines verdoyantes et bordant le paisible et magnifique lac Kivu, a connu une transition démographique accélérée particulièrement douloureuse. Bien qu’il n’existe pas de statistiques fiables reposant sur des enquêtes démographiques récentes, certains habitants de la contrée estiment que la population de la ville a doublé en à peine 3 ans, passant d’environ 750 000 habitants en 2010 à environ 1,5 millions aujourd’hui. Une série de conflits et la prolifération de milices armées terrorisant les populations rurales a conduit à un vaste mouvement migratoire vers Bukavu, capitale régionale. Le résultat ne s’est pas fait attendre : les collines et vallons de la ville ont été rapidement couverts de bidonvilles d’un dénuement extrême, où les habitations sont faites de planches pourries, humides, les toits de bâches plastifiées. Juché sur un taxi-moto qui me faisait faire le tour de la ville, je découvrais la transformation effarante de cet ancien lieu de villégiature des princes belges, qui dispose toujours sur les bords du lac Kivu d’un quartier surréaliste où la douceur du climat, la beauté du lac et la magnificence des villas pourrait vous faire croire que vous vous trouvez en Suisse, à Montreux sur les bords du Léman.

Un autre élément a particulièrement retenu mon attention pendant ce bref séjour à Bukavu : la très faible offre en produits alimentaires des marchés locaux, où l’on ne trouve quasiment que de la banane et des tubercules, et quasiment aucun légume, même les plus consommés comme les tomates, piments, oignons, etc. En questionnant les vendeuses, j’appris que la migration des populations rurales avait coupé la ville de son approvisionnement naturel en produits agricoles, les agriculteurs de la région étant devenus les habitants des bidonvilles de la ville. Désormais, les vendeuses traversent tous les matins la frontière avec le Rwanda, vont parfois jusqu’au Burundi, pour s’approvisionner en bananes et tubercules, qu’elles portent sur leur tête généralement. Les régions du Sud-Ouest du Rwanda et du Nord-Ouest du Burundi sont essentiellement des régions de production de cultures d’exportation, de thé et de café.  D’où la faible disponibilité de produits maraîchers pour le marché de Bikavu.

Cette expérience m’aura ouvert les yeux sur l’impact social déterminant de la production agricole sur la qualité de vie de communautés humaines importantes. Produire des tomates et des légumes à un prix compétitif à proximité de Bukavu pourrait non seulement apporter des revenus supplémentaires aux vendeuses locales, mais également améliorer le régime alimentaire de plus d’un million d’habitants. Et pour cela, pas besoin de faire de la charité, juste du business. A ce moment, déterminant, je me suis convaincu que j’avais un rôle à jouer à ce niveau.  

Faire de la production intensive de légumes grande consommation à destination des marchés urbains africains

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Mon ambition est d’approvisionner en légumes frais plusieurs grandes villes africaines, à destination de consommateurs haut de gamme (consommateurs fortunés, supermarchés), moyen de gamme (restaurants et hôtels) et bas de gamme (marchés populaires). Je souhaite à la fois produire moi-même, sur de petites surfaces (entre 2 à 5 hectares) de manière intensive (production sous serre, avec semences améliorées, usage raisonné d’engrais et pesticides naturels si possible), et agglomérer autour de moi d’autres producteurs intensifs de légumes, en prenant en charge le conditionnement, stockage, labellisation et distribution. La particularité que je souhaite donner à mon entreprise est une compréhension fine des besoins de consommation des populations de ces villes, une éducation de certains consommateurs (proposition de nouveaux légumes et produits naturels – brocolis, tain, melons, etc – aux restaurateurs par exemple),  un marketing sophistiqué de mes produits et une supply chain et capacité de distribution souple et efficace. Vaste programme !

Ayant des moyens financiers relativement limités, essentiellement constitués d’économies sur mon salaire, et n’ayant pas encore d’expertise technique dans le secteur, j’ai décidé de commencer petit. Mon choix s’est rapidement arrêté sur la ville de Kigali pour commencer mon activité. C’est tout d’abord le lieu où habite ma mère, retraitée, qui a un vaste jardin qu’elle peut mettre à ma disposition gratuitement. Kigali est également une ville dynamique, de plus d’un million d’habitants, avec une forte communauté de membres de la diaspora retournés au pays ainsi que d’expatriés, entraînant de nouvelles attentes de consommation alimentaire. C’est enfin la capitale d’un pays où le climat des affaires est réputé l’un des meilleurs d’Afrique et qui connait une dynamique économique remarquable.

J’ai donc mis à profit mes vacances d’août 2014 au Rwanda pour installer une première serre de 8 mètres sur 25, achetée à la représentation rwandaise de l’entreprise Balton, dans le package du Amiran Farmer Kit, qui prévoit un accompagnement conseil de 8 mois. Le tableau ci-dessous détaille les coûts entraînés par l’achat et l’installation de cette serre, exprimé en francs rwandais et convertis en francs CFA.  Cet investissement a été entièrement financé sur fonds propres personnels.

article_manu_1Au regard des trois premiers mois d’activité et au titre des frais de fonctionnement, les principaux postes de dépenses sont les suivants :  

tableau2Nb : le salaire du jardinier n’est que partiellement pris en charge par le projet de serre à tomates, et exprimé sur 11 mois

Mon choix de culture s’est porté sur la tomate, qui est une culture simple, rapide, et un produit de grande consommation. Une entrée simplifiée pour une première maîtrise de culture maraîchère intensive puis du cycle de distribution/vente. Il faut compter entre trois à quatre mois entre le moment où l’on installe la serre et plante la semence, et le moment où les premières tomates pourront être ramassées. Une serre de 200 m² comme celle que j’ai achetée peut produire 8,8 tonnes de tomates sur une saison continue de 8 mois, soit environ 1,1 tonne par mois. Ainsi sur une surface exploitable d’1 hectare, où l’on pourrait mettre pratiquement 50 serres de 200 m², il serait théoriquement possible de produire 50,5 tonnes de tomates/mois.

la serre

Le prix du kilos de tomates est de 350 Fr Rwandais (260 F CFA) sur les marchés populaires en bonne saison (saison sècghe) et proche de 500 Fr Rwandais (378 F CFA) en mauvaise saison. Sur le segment moyen de gamme, avec des tomates plus grosses et mieux présentées, que l’on peut vendre à des restaurants, le prix moyen de la tomate est de 700 Fr Rwandais (530 F CFA), et peut aller à 1000 Fr Rwandais (757 F CFA) sur le segment haut de gamme. La qualité de ma semence de tomates devrait me permettre de viser le segment moyen de gamme. Théorique, mon business plan sur une serre de 200 m² est donc le suivant pour ma première saison : 

Revenus : 8800 kilos * 700 Fr Rwandais = 6 160 000 Fr Rw (4 665 740 FCFA)

Investissement : 3 892 000 Fr Rw (2 948 352 FCFA)

Frais de fonctionnement : 773 100 Fr Rw (602 574 FCFA)

Bénéfice : 1 494 900 Fr Rw (1 165 162 FCFA)

Si tout se passe comme sur le papier, la première saison de production devrait permettre non seulement de rentabiliser l’investissement initial, mais de générer un retour sur investissement de 32%, bien plus que ne pourrait vous proposer n’importe quelle banque ou fonds de placement. L’histoire est tellement belle sur le papier qu’elle semble improbable et qu’il me fallait la tester, l’éprouver. Il y aura sans doute des imprévus, sans doute sera-t-il compliqué d’écouler les 8800 kilos de tomates au prix de 700 Fr Rwd.  Le prochain billet devrait décrire les premiers pas dans le circuit de commercialisation et préciser si cette histoire est un conte de fée ou l’amorce d’un business model avec un grand avenir.

Emmanuel Leroueil

 


[1] : VIMARD P. & FASSASSI R., 2013, Changements Démographiques et développement durable en Afrique, L’Harmattan, Paris

 

 

 

 

La diaspora, le Saint-Graal de l’Afrique

Le défi du retour

Nombreux sont les esprits brillants qui ont quitté le continent africain à la recherche d'une meilleure éducation ou de meilleures opportunités professionnelles. Il n'est guère difficile de comprendre ce choix et il est tout à fait normal et acceptable lorsque le but final est d’acquérir un savoir solide et utile pour revenir l'appliquer dans son pays et au service du développement économique de celui-ci. Il est cependant très fréquent de constater parmi les étudiants allés poursuivre leurs études à l’étranger, un complexe avéré, une hésitation, lorsqu'il s'agit de retourner dans leur pays d’origine au terme d'études achevées avec succès. Pourtant, peu importe ce que l'on puisse dire, le moyen le plus certain de développer l'Afrique est par le biais de ses fils et filles qui sont allés acquérir un savoir à l’étranger mais qui, ensuite, osent relever le défi du retour pour créer et développer leur pays. Le continent africain a besoin de sa diaspora-qui-revient.

Pour faciliter son retour et ainsi accélérer sa participation à la création de richesses, il est important de favoriser l’émergence d’opportunités véritablement attirantes. Il est impératif d'insister sur l'aspect «création de nouvelles richesses», car la dernière chose dont l'Afrique a besoin est un afflux de personnes sur-qualifiées dont la seule motivation de retour serait de trouver facilement un emploi sécurisé, stable, et qui s'y accrocheraient dur comme fer, contre vent et marrées. Un tel état d'esprit ne résoudra certainement pas les problèmes auxquels l'Afrique fait face aujourd'hui.

 

Insuffler l’esprit d’entreprendre

Ce dont le continent a réellement besoin pour son développement est sans aucun doute l'innovation et la créativité : la capacité à repérer un problème important dans la société et trouver une solution pour le résoudre. En Afrique, des idées considérées comme simples dans des écosystèmes plus matures peuvent devenir de véritables innovations dans la mesure où elles arrivent à être adaptées au contexte local et à prendre en compte les besoins de base des communautés.

Dans cette optique, l'entrepreneuriat serait la voie la plus évidente vers une explosion de la croissance économique du continent. Il n'y a rien de tel que la création d'entreprises et de start-up innovantes pour améliorer le quotidien des populations et par la même occasion créer des emplois sur le continent. Ceci, non seulement réduit le chômage, mais amène également d'autres membres de la diaspora à constater qu'en Afrique aussi, il est tout à fait possible de faire la différence avec un peu de consistance et un brin de créativité. Fort heureusement, il semblerait qu'il y ait progressivement une prise de conscience au sein des diasporas africaines. Bien que le mouvement soit encore plutôt timide, nous assistons à une augmentation considérable des initiatives entrepreneuriales mises en place par des jeunes diplômés de la diaspora: nous ne pouvons qu'en être fiers, et encourager au mieux ces comportements qui serviront de modèles à ceux qui hésitent encore à rentrer au pays pour se lancer.

 

Des entrepreneurs issus de la diaspora-qui-revient

Abdoulaye Touré, jeune ingénieur sénégalais diplômé de l'école Polytechnique – France en expertise énergétique a fondé, avec six autres jeunes diplômés pour la plupart sénégalais, diplômés de diverses institutions françaises, la startup Baobab Entrepreneurship; une jeune startup qui a pour mission de promouvoir l'entrepreneuriat au Sénégal à travers les TICs. Il confie que l'avantage indéniable dont dispose l'Afrique réside dans le fait que le continent présente beaucoup de problèmes à résoudre et de besoins non satisfaits faisant de ce dernier une terre d’opportunités pour tout entrepreneur. Par lui, le fait d’être ancré dans des standards professionnels occidentaux représente le frein majeur pour le retour de la diaspora en Afrique. Il dit aussi que cela pourrait être réglé en rendant beaucoup plus accessibles les opportunités de carrières et d'entrepreneuriat, depuis la France.

 

 

Olabissi_AdjoviOlabissi Adjovi est d’origine béninoise. C’est un autre entrepreneur de la diaspora, basé en France mais faisant des affaires au Sénégal. Il a fondé, avec des associés sénégalais, OuiCarry, une startup qui permet d’envoyer et de réceptionner des colis entre Paris et Dakar. D’après lui, l’énorme potentiel qu’offre l’Afrique en termes de croissance constitue son principal avantage. Il avance également que l’un des facteurs qui stoppent considérablement le retour de la diaspora dans leur pays respectif, est, la plupart du temps le fait que ces jeunes quittent leur pays sans une ferme intention d'y retourner au terme de leurs études à l’étranger. Il est convaincu que plus de jeunes montreront l’exemple, plus  ceux qui hésitent sauteront enfin le pas.

 

Malick DioufMalick Diouf, un autre entrepreneur sénégalais, est le Co-fondateur de la startup LafricaMobile qui offre des solutions de communication entre les entreprises africaines et la diaspora à travers le monde. D’après lui, la flexibilité des clients, fournisseurs, employés etc. est l’avantage le plus saillant lorsque l’on décide d’entreprendre en Afrique, parallèlement à une main d’œuvre de plus en plus qualifiée et embauchable à prix compétitif. En revanche, il pense que le facteur principal de frein au retour de la diaspora est sans nul doute le manque d’infrastructure. Il nous confie également que pour les inciter à rentrer, il faudrait challenger les jeunes de la diaspora et clairement leur signifier le rôle qu’ils ont à jouer pour le développement économique de leur pays. Enfin, il est persuadé que l’Afrique ne se développera que par les africains eux-mêmes, d’où l’importance pour lui d’apporter sa pierre à l’édifice.

 

En somme, il est vraiment encourageant de voir autant d’initiatives mises en place par des d’entrepreneurs de la diaspora africaine qui daignent regarder au-delà des difficultés logistiques présupposées de l’Afrique et lancer leurs activités malgré les conditions du Doing Business parfois très contraignantes. On ose espérer que cette génération d’entrepreneurs inspirera un grand mouvement d’innovation à travers tout le continent.

 

Ibrahima Gabriel Mall, Sénégal